II.4. La lutte contre la pauvreté au Cameroun : un
fait social, un fait social total et un problème de changement
social.
Les déconvenues de la politique de lutte contre le
sous-développement ont favorisé un gain d'intérêt
pour la politique de lutte contre la pauvreté. Cette politique qui
bénéficie à la fois d'une volonté politique
internationale et nationale a fait de la lutte contre la pauvreté un
fait social au Cameroun. Mais sa pratique pose un problème de changement
social.
II.4.1. La lutte contre la pauvreté au
Cameroun : un fait social, un fait social total.
Face à la situation de pauvreté engendrée
par la crise économique et à l'urgence d'y faire face, la lutte
contre la pauvreté est devenue au Cameroun un « fait social ».
Des instances étatiques (gouvernement) au bas peuple, passant par la
société civile, la lutte contre la pauvreté mobilise
l'attention et les efforts des camerounais. Elle est également un «
fait social total ». Du politique au social, passant par
l'économique, la lutte contre la pauvreté se déploie au
Cameroun.
Après plusieurs mesures prises en réaction
contre la crise économique, lesquelles mesures (ajustement interne,
Programmes d'ajustement structurel conclu avec le FMI) se sont soldées
par un échec conduisant à une paupérisation croissante des
populations, le gouvernement a entamé, dans le cadre de la mise en
oeuvre du programme triennal engagé en juillet 1997, la correction de la
profonde dégradation enregistrée à travers l'ensemble du
pays. Cette correction s'est orientée vers l'infrastructure sociale et
la prestation des services sociaux. Le gouvernement a ainsi concentré
ses efforts sur l'appui aux secteurs sociaux de l'éducation, de la
santé et sur la mise en oeuvre d'un programme d'entretien routier
privilégiant les routes rurales reliant les zones de production aux
centres de consommations. Bien que toutes ces mesures soient prises dans la
perspective de la lutte contre la pauvreté, cette lutte va
véritablement prendre de l'ampleur avec l'Initiative PPTE. Avec
l'admission du Cameroun à cette Initiative, la lutte contre la
pauvreté est devenue le credo de toutes les actions gouvernementales. A
travers les discours et autres formes de communication, le gouvernement convie
les populations à oeuvrer dans cette perspective. La lutte contre la
pauvreté est également au centre des préoccupations de la
société civile camerounaise.
Apparue au Cameroun sous la contrainte de la rue exprimant ses
réactions face à la profonde crise économique et politique
de la fin des années 1980, la société civile est un acteur
majeur de la lutte contre la pauvreté au Cameroun.
Au regard de l'ampleur et de la profondeur de la
pauvreté au Cameroun et face à « l'insuffisance
manifestée par l'Etat dans la recherche des solutions concrètes
et durables aux problèmes des populations », il s'est
développé, dans un cadre non gouvernemental, des initiatives pour
faire face à la pauvreté dans laquelle se trouve englué le
pays. C'est dans ce contexte que la société civile est devenue
une référence obligée des discours et actions de lutte
contre la pauvreté au Cameroun. Sa réponse à la
pauvreté au Cameroun s'exprime non seulement par la forte densité
de la société civile, mais aussi par leur importance dans la
lutte contre la pauvreté à travers les domaines de
l'éducation, de la santé, l'environnement, le genre,
l'agriculture. Les organisations de la société civile
s'investissent également dans l'approvisionnement en eau potable, un
grand nombre s'est engagé dans le domaine de la production agricole en
apportant leur appui aux agriculteurs, les aidant à améliorer
leur productivité, à introduire de nouvelles cultures et à
améliorer leurs capacités de commercialisation. La lutte contre
la pauvreté est également au centre des efforts des populations,
des bas peuples, des pauvres.
Les populations sont de véritables actrices de lutte
contre la pauvreté au Cameroun. Les premières stratégies
anti-pauvreté après la crise économique ont
été observées à leur niveau. L'Enquête
camerounaise auprès des ménages de 1996 relève un certain
nombre de stratégies adoptées par les populations pour faire face
à la pauvreté au Cameroun. Ces stratégies vont de la
modification des habitudes de consommation à l'éveil de l'esprit
d'initiative.
Dans le premier cas, la fréquence et la qualité
des repas ont connu une réduction, les biens et les services aussi. Les
populations ont réorienté leur consommation vers les produits de
bas de gamme. C'est dans ce contexte que les produits nationaux ont
été revalorisés. Cette réorientation concerne aussi
bien les domaines du sanitaire, du vestimentaire que ceux des infrastructures.
On assiste ici à un repli vers les produits locaux, du fait de leurs
prix relativement accessibles.
Dans le second cas, on observe une
diversification/multiplication des sources de revenus, sans distinction de
secteurs d'activités. C'est ainsi que les employés de la fonction
publique en viennent, eux aussi , à se discuter le secteur informel avec
les chômeurs et sans qualifications. Ils investissent également
dans l'agriculture de subsistance et même dans la commercialisation,
question « d'arrondir les fins de mois ». Ces stratégies
anti-pauvreté qui se sont amplifiés de nos jours comme le
témoigne aussi le développement à outrance du secteur
informel, traduisent le déploiement des populations contre la
pauvreté au Cameroun. La lutte contre la pauvreté est au centre
des préoccupations des différentes composantes de la
configuration de l'Etat camerounais : gouvernement, société
civile et populations. Cette lutte est également menée dans tous
les secteurs.
La lutte contre la pauvreté au Cameroun se
déploie dans tous les secteurs de la vie de la nation. Elle
intègre à la fois le politique, l'économique et le
social.
Sur le champ du politique, elle est orientée vers la
mise en oeuvre de la bonne gouvernance, de la démocratie, de la
décentralisation, de l'amélioration du cadre juridique et
économique, vers la lutte contre la corruption.
Sur le champ de l'économie, elle est orientée
vers la quête d'une croissance forte, durable et de qualité, vers
la quête de la stabilisation des équilibres
macroéconomiques, vers la diversification de la production et des
sources de revenus.
Sur le champ du social, elle est orientée vers le
renforcement des ressources humaines et du secteur social, notamment
l'éducation et la formation, la santé, l'emploi et l'insertion
des groupes défavorisés dans les circuits économiques.
Le déploiement des différentes composantes de
l'Etat camerounais sus-évoqué s'opère dans ces champs.
Il apparaît, à travers l'exploration de ces
différentes composantes en rapport avec la lutte contre la
pauvreté, que cette dernière est au centre des
préoccupations des camerounais sans exclusive. Mieux, elle structure
leurs pensées et leurs actions.
Compte tenu de ce qui précède, la lutte contre
la pauvreté au Cameroun peut être perçue comme un ensemble
de manières de faire, fixées ou non, susceptibles d'exercer sur
les acteurs sociaux une contrainte extérieure. Elle se déploie
dans plusieurs domaines de la vie de la nation camerounaise. Elle est un fait
social et un fait social total. En même temps, elle pose un
problème de changement social.
II.4.2. La lutte contre la pauvreté au
Cameroun : un problème de changement social
Le changement social renvoie à toute transformation qui
affecte le fonctionnement et la structure de l'organisation d'une
collectivité. La politique de lutte contre la pauvreté met
l'accent sur la promotion et l'instauration du processus participatif dans les
initiatives de développement. Elle suppose un changement à la
fois dans son contenu par rapport aux politiques précédentes, et
dans sa mise en oeuvre.
La politique de lutte contre le sous-développement
ayant laissé sur les rivages une proportion élevée des
populations, du fait de son approche peu socialisante, il s'agit pour la
politique de lutte contre la pauvreté de promouvoir et d'instaurer une
approche participative et socialisante dans les initiatives de
développement. Ainsi, cette politique consacre le passage d'une
conception du développement privilégiant presque exclusivement
les infrastructures matérielles à une autre qui
réserverait une place aux structures sociales, de même que
l'abandon progressif des modèles occidentaux ethnocentriques de
développement au profit du respect des cultures locales.
Dans sa pratique, cette politique pose le problème de
l'adéquation de son contenu à la réduction effective de la
pauvreté. En effet, la reconduction des orientations des politiques
antérieures (reformes économiques : libéralisation) dans
le contenu de la politique de lutte contre la pauvreté témoigne
de l'existence de fortes résistances face à une nécessaire
remise en question de ces orientations. Bien que l'adoption de la nouvelle
politique constitue implicitement un aveu d'échec des politiques
antérieures, des plaidoyers en faveur des IBW continuent à
attribuer la responsabilité principale de l'échec de l'ajustement
structurel aux défaillances des pays en développement dans leur
mise en oeuvre, plutôt qu'à celles de leur contenu. Compte tenu de
cette reconduction dans le contenu de la politique de lutte contre la
pauvreté d'une part, et de la déresponsabilisation du contenu des
politiques précédentes dans l'échec des Programmes
d'ajustement structurel d'autre part, ne faut-il pas penser, comme la «
gauche », que les IBW n'auraient adopté le slogan de lutte contre
la pauvreté que pour mieux faire accepter la poursuite de leur politique
de libéralisation ? Et dans ce cas, la politique de lutte contre la
pauvreté n'est-elle pas vouée aux mêmes résultats
que les précédentes ? Il se pose donc le problème de
l'adéquation du contenu de cette politique à la réduction
effective de la pauvreté
La politique de lutte contre la pauvreté pose
également le problème de son appropriation par les populations
bénéficiaires. Sa mise en oeuvre entraîne un changement de
la configuration des acteurs sociaux de développement. De la
configuration classique constituée des Institutions de
développement, notamment des IBW et l'Etat, on est passé à
une configuration rénovée dans laquelle devrait s'établir
une plate-forme de concertation entre tous les acteurs du développement
(Institutions de développement : Etat, société civile,
populations). Ce changement est favorisé par le principe de
participation promu par cette politique, lequel principe prône la
participation des différents acteurs sociaux aux programmes de
développement. A la faveur de ce principe, la société
civile a fait une entrée remarquable au sein de la communauté des
acteurs sociaux de développement. Elle est ainsi devenue un acteur
incontournable dans la mise en oeuvre des programmes de développement et
surtout un canal d'acheminement de l'aide au développement, l'objectif
pour les donateurs étant dans ce dernier cas, de contourner les canaux
étatiques faits de lourdeurs bureaucratiques et improductifs pour
toucher les populations à la base.
Le principe de participation ainsi promu ouvre de nouvelles
perspectives quant à la gestion des affaires nationales ; elle est
également supposée renforcer les capacités et le pouvoir
des acteurs intermédiaires (société civile) et ceux de la
base (populations bénéficiaires) dans l'élaboration, le
suivi, le contrôle, l'évaluation et la réorientation des
stratégies.
Mais, sa mise en oeuvre et par ricochet celle de la politique
de lutte contre la pauvreté pose le problème de l'appropriation
des programmes de développement par les populations
bénéficiaires. Du fait de l'exclusion traditionnelle des
populations des sphères de décisions, le principe de
participation pose le problème de l'adaptation de celles-ci à ces
nouvelles perspectives. Le principe de participation pose également le
problème de son application effective, car les IBW et l'Etat n'en font
qu'un processus consultatif. Or, la participation suppose non seulement que les
populations bénéficiaires soient impliquées, mais aussi
que leurs préoccupations soient prises en compte dans les programmes de
développement engagés dans leurs communautés.
En définitive, le processus participatif promu par la
politique de lutte contre la pauvreté implique un changement d'attitudes
et de comportements des acteurs sociaux de développement pour autant que
sa logique remet en cause le fonctionnement habituel des institutions dites
représentatives de notre pays/gouvernement.
Ce chapitre consacré à la pauvreté et la
problématique de lutte contre la pauvreté au Cameroun nous a
conduit à des esquisses de réponses aux questions
soulevées par les concepts de pauvreté de lutte contre la
pauvreté au Cameroun. Il en ressort que la pauvreté est une
réalité aux contours multiples, et que le recours à la
politique en vue de sa réduction est désormais établi. Il
ne se pose plus alors que le problème de son application effective. Une
application qui ne peut véritablement être examinée
qu'à travers les mécanismes de mise en oeuvre de l'instrument
principal de cette politique, l'Initiative PPTE.
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