La garantie des droits fondamentaux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Zbigniew Paul DIME LI NLEP Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004 |
CHAPITRE II: LES MECANISMES NON JURIDICTIONNELS DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUXPour sécurisante qu'elle soit du point de vue de la protection des droits fondamentaux, l'intervention juridictionnelle présente quelques lacunes qui tiennent généralement au statut des juges, à la lenteur de la justice, à son coût élevé pour les citoyens et à la complexité de ses procédures. Il convenait donc face à ces limites, de rechercher de nouveaux mécanismes protecteurs des droits, pour combler le déficit des procédés juridictionnels de protection. Les mécanismes non juridictionnels constituent une nouveauté dans cette quête. Si dans bon nombre d'Etats ils sont le plus souvent prévus par les lois fondamentales, au Cameroun, ils sont organisés par la loi et même le règlement. Ils sont divers et sont alors appelés à participer à la protection des droits constitutionnellement consacrés. De façon générale, ces mécanismes peuvent se subdiviser en deux types : les autorités instituées par l'Etat encore connues sous la dénomination d'autorités administratives indépendantes (Section I) d'une part, et les institutions nées de l'initiative des individus regroupés en associations et constituant par-là les mécanismes de la société civile (Section II). SECTION I : LES AUTORITES ADMINISTRATIVES INDEPENDANTESCe sont des organismes dont l'activité ne peut s'apprécier comme rivale de celle des juridictions au sein d'un Etat. Elles se doivent d'être un complément des mécanismes juridictionnels de protection des droits fondamentaux. Afin de mieux les cerner, le Pr Jacqueline MORAND-DEVILLER propose de les définir de manière négative306(*). Les autorités administratives indépendantes présentent ainsi un certain nombre de traits caractéristiques : · ce ne sont pas des juridictions, car « leurs décisions ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée et ne relèvent pas du contrôle de cassation... » ; · ce ne sont pas des personnes morales de droit public ; · ce sont beaucoup plus que des ``Comités de sages'' même si les personnes qui les composent sont, en général, choisies pour leur expérience et leur impartialité307(*). Ces différentes caractéristiques doivent, au demeurant, leur permettre d'effectuer efficacement la protection des droits fondamentaux des citoyens. Au Cameroun, ils sont aussi divers que nombreux. On peut en conséquence les distinguer selon qu'ils ont une portée générale dans la protection des droits (Paragraphe 1) ou qu'ils participent à la protection d'un droit fondamental particulier : les mécanismes sont alors dits de portée sectorielle (Paragraphe 2). PARAGRAPHE 1.- LE MECANISME DE PORTEE GENERALE : LA COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES (CNDHL)La soif de la liberté des citoyens conjuguée au vent de la démocratie des années 1990 ont conduit à la libéralisation des différents régimes politiques de bon nombre d'Etats africains, dont le Cameroun. La résultante la plus immédiate en a été la promulgation de textes législatifs et réglementaires plus favorables aux droits et devant être mis à la disposition des principaux destinataires, les citoyens. Parmi les textes de cette période nouvelle pour les libertés, se trouvait le décret n° 90/154 du 8 novembre 1990 qui créait une institution nationale des droits de l'homme au Cameroun : le Comité national des droits de l'homme et libertés. Celui-ci se devait, tant sur le plan de son organisation que de son fonctionnement, d'être mis en place en totale adéquation avec les principes élaborés lors du premier atelier international des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme tenu à Paris du 7 au 9 octobre 1991, encore connus sous le nom de « Principes de Paris »308(*). Ces principes établissent les compétences et attributions incombant à une institution nationale de promotion et de protection des droits de l'homme, les règles devant régir sa composition et garantir son indépendance ainsi que les modalités de son fonctionnement. Ils posent au demeurant, et c'est une tautologie, les principes posant les bases d'un fonctionnement optimal des institutions nationales de promotion et de protection des droits fondamentaux. Le Comité national camerounais créé par le décret de 1990 a essayé de fonctionner tant bien que mal, mais son inaptitude à assurer une réelle protection des droits a longtemps été décriée309(*). Il a en conséquence été dissout par la loi n° 2004-16 du 22 juillet 2004 portant création, organisation et fonctionnement d'une Commission nationale des droits de l'homme et des libertés (CNDHL)310(*) qui, en vertu de l'article 30 de cette loi, se substitue de plein droit à l'ex Comité et ``hérite'' du patrimoine et du personnel de celui-ci. La question fondamentale que l'on est amené à se poser, lorsque l'on sait que le décret de nomination des nouveaux membres de l'institution n'a pas encore été pris par l'autorité habilitée et que l'on peut penser à une période intérimaire, dans l'attente de certaines réformes devant conduire à l'installation concrète de la nouvelle CNDHL, est celle de savoir si cette dernière n'hérite pas des lacunes qui ont affecté la mission de l'ex Comité ? En tout état de cause, certaines garanties sont présentées par la loi n° 2004-16 du point de vue de la protection des droits fondamentaux (A), même si l'on peut déceler des limites susceptibles d'affecter la dite protection par ce mécanisme non juridictionnel (B). A.- Les garanties présentées par la CNDHL pour la protection des droits fondamentauxElles s'analysent pour l'essentiel, du point de vue de l'indépendance de l'institution (1) et de l'ampleur de ses attributions en matière de protection des droits fondamentaux (2). 1.- La relative autonomie de la CNDHL« Une institution nationale efficace est une institution capable d'agir indépendamment du gouvernement et de tout autre pouvoir qui peut se trouver en mesure d'influencer son action »311(*). Ces propos du président de l'ex Comité trahissent la mauvaise influence que peuvent avoir les pressions de toute sorte sur une institution nationale de promotion et de protection des droits fondamentaux. Pour éviter ce type de situation, la loi n° 2004-16 accorde à la CNDHL une certaine indépendance tant sur le plan de la nomination des membres de l'institution que sur celui des moyens financiers mis à sa disposition. Au contraire du décret de 1990 qui concentrait la totalité de la désignation des membres du Comité entre les mains du président de la République, la loi n° 2004-16 associe plusieurs autorités à cette désignation312(*), même si c'est toujours un acte du président de la République qui procède à leur nomination, conformément à l'article 6 alinéa 2 de la loi. La totalité des membres bénéficient en plus d'une immunité de poursuites pour les opinions exprimées dans l'exercice de leurs fonctions313(*). Ce facteur important qu'est le statut indépendant des membres est prépondérant pour l'activité de l'institution. En effet, l'ex Comité a souvent conduit, du point de vue de sa création, à se demander si les autorités camerounaises avaient voulu en faire une institution indépendante dans son domaine de compétence314(*). Le législateur de 2004 semble apaiser cette crainte en ce qui concerne la CNDHL. C'est ainsi que des incompatibilités fonctionnelles sont même prévues pour les présidences des quatre (4) sous-commissions de travail, afin d'éviter les influences des pouvoirs publics sur l'institution nationale de protection des droits fondamentaux315(*). Mais l'apport essentiel de la nouvelle législation pour la garantie de la mission de la CNDHL est sans nul doute la consécration de l'autonomie de celle-ci au niveau de ses ressources financières. Aux termes de l'article 20 de la loi de 2004, « les ressources de la Commission proviennent des : · dotations inscrites chaque année au budget de l'Etat ; · appuis provenant de partenaires nationaux et internationaux ; · dons et legs ». Cette disposition marque un changement notable d'avec l'ancienne législation en ce qu'elle budgétise les ressources que l'Etat octroie à la CNDHL. De plus, elle élargit les sources de financement, ce qui peut constituer un élément d'autonomie notable. La CNDHL a en outre la possibilité d'adopter son propre projet de budget et de le soumettre à l'approbation du Premier Ministre dans le cadre de la préparation de la loi des finances de l'Etat. Dès qu'il est adopté, ce budget fait l'objet d'une inscription spécifique dans la dite loi, selon l'article 23 alinéa 2. Il serait intéressant, en examinant la loi des finances camerounaise, de voir quelle est la proportion des sommes allouées à la CNDHL, afin de constater si oui ou non elles cadrent avec le projet de budget élaboré par l'institution. L'autonomie financière de la CNDHL ainsi prévue permet véritablement de soustraire cette institution de la tutelle de l'exécutif. Comme le souligne Mme ETONGUE MAYER à propos du budget de l'ex Comité, « le Comité national des droits de l'homme et des libertés ne dispose pas d'un budget propre et sécurisé ». Et elle ajoute que « le montant et le déblocage des fonds dépendent du bon vouloir du Premier Ministre qui peut décider de ``couper le robinet'', de diminuer le montant de la cagnotte ou de retarder le déblocage des crédits sollicités... »316(*). De telles attitudes ne peuvent qu'être déplorées, car elles contribuent à enrayer de manière considérable toute efficience à l'activité d'une institution. On ne peut que saluer l'inscription du budget de la CNDHL dans la loi des finances nationale, ce qui au premier abord aura pour conséquence de le sécuriser. Ce budget se doit même, aux termes de la loi, d'être géré suivant les règles de la comptabilité publique317(*) et pour ce faire, un agent comptable et un contrôleur financier seront « placés auprès de la Commission »318(*). Ainsi pourvue de son autonomie financière, la CNDHL peut rémunérer ses instances dirigeantes319(*) et allouer des indemnités de session et des frais de mission aux membres320(*) de l'institution. Sous l'ancienne législation, leur activité n'était pas rémunérée. Cette situation avait pour conséquence notable un manque total de motivation des membres, susceptible de limiter l'ampleur de son activité. L'allocation d'une indemnité, même modique, est de nature a dynamiser cette activité, en sus de la motivation personnelle des membres à protéger les droits fondamentaux des citoyens, en vertu de la mission confiée à l'institution. * 306 J. MORAND-DEVILLER, ``Les mécanismes non juridictionnels de protection des droits'', Colloque international, L'effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone, 29 sept.-1er oct. 1993, Paris, Ed. Eric Koehler, AUPELF-UREF, 1993, p. 493. * 307 Ibid., p. 493. * 308 Les ``Principes de Paris'' sont adoptés au plan international par une résolution 1992/54 de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en date du 3 mars 1992 confirmée par une résolution 48/134 de l'Assemblée générale des Nations Unies du 20 décembre 1993. * 309 Pour des études critiques de l'activité du Comité national des droits de l'homme et des libertés camerounais, v. notamment E. MOTTE, ``Le Comité national des droits de l'homme dans l'illégalité. Des nominations non conformes. Des membres déchus de leur qualité. La loi piétinée depuis trois ans'', in Mutations, n° 204, 22 mars 1999, p. 15 ; E. J. ETONGUE MAYER, ``Le Comité national des droits de l'homme et des libertés du Cameroun'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 9, Droit à la démocratie en Afrique centrale, Yaoundé, Presses de l'U.C.A.C., 2003, pp. 229-266. * 310 J.O.R.C., n° spécial, juil. 2004, pp. 3-12. * 311 Dr Solomon NFOR NGWEI, entretien avec E. J. ETONGUE MAYER, ibid., p. 253. * 312 L'art.6 al. 1 associe diverses autorités à la désignation des 30 membres de l'institution nationale : le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, la Conférence des recteurs, etc., in J.OR.C., op. cit., p. 6. * 313 Art. 10 al. 1, in J.O.R.C., op. cit., p. 7. * 314 E. J. ETONGUE MAYER, ibid., p. 253. * 315 Art. 18 , in J.O.R.C., op. cit., p. 9. * 316 E. J. ETONGUE MAYER, ibid., p. 263. * 317 Art. 21 al. 1, in J.O.R.C., op. cit., p. 10. * 318 Art. 25, in J.O.R.C., op. cit., p. 11. * 319 Art. 12, in J.O.R.C., op. cit., p. 7. * 320 Art. 13 al. 1, in J.O.R.C., op. cit., p. 8. |
|