La garantie des droits fondamentaux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Zbigniew Paul DIME LI NLEP Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004 |
B.- La portée des droits civils et politiquesLes droits civils et politiques sont des droits-attributs de la personne humaine, droits qui sont, pour l'essentiel, opposables à l'Etat dont ils supposent d'abord une attitude d'abstention pour qu'ils puissent être respectés147(*). Dans leur aménagement, ils subordonnent ainsi l'Etat à certaines obligations qui entraînent comme conséquence par la suite que les droits puissent être exigibles par les citoyens, rendant compte par-là de leur exigibilité immédiate et de leur justiciabilité. Les obligations qui s'imposent à l'Etat dans la mise en oeuvre des droits de la première génération sont l'obligation de respecter les droits et l'obligation de les protéger148(*). Respecter les droits impose une obligation d'abstention de la part de l'Etat, autrement dit, les pouvoirs publics ne doivent pas s'immiscer dans l'exercice des droits par les citoyens. Toutefois, ils peuvent s'ingérer dans cet exercice si cette ingérence est prévue par la loi, vise la réalisation d'un but légitime et est faite par des moyens nécessaires et proportionnés149(*). Protéger les droits impose aux pouvoirs publics une obligation d'intervention positive, mettre les citoyens à l'abri des atteintes portées aux droits fondamentaux dans les rapports interindividuels. L'Etat prend, dans ce cadre, des mesures raisonnables visant à la protection des droits contre les atteintes de toute sorte. Il peut ainsi prévoir et régler les litiges qui peuvent naître d'un contrat passé entre individus ou qui ont trait à l'état des personnes dans un code civil, comme c'est le cas au Cameroun. Il peut aussi prendre des mesures législatives visant à faire connaître aux citoyens les répressions prévues en cas d'atteinte à certains droits et les inscrire dans un code pénal, tout comme les diverses procédures permettant aux citoyens de saisir les juridictions en cas de violation de leurs droits et inscrites dans des codes de procédure pouvant être civile, commerciale, pénale ou administrative. Les droits civils et politiques ne sont plus seulement, dans ce cas, des droits appelant une abstention des pouvoirs publics, ceux-ci devant intervenir pour la protection des droits et même permettre leur réalisation dans l'ordre juridique camerounais. Toutefois, cette intervention de l'Etat peut aussi conduire à des restrictions et dérogations apportées aux droits fondamentaux, contribuant à limiter leur exercice. Se pose alors la problématique de la nature des restrictions et de leur régime juridique. En quoi consistent ces restrictions apportées aux droits ? Dans quelles conditions peuvent-elles être faites ? Tous les droits sont-ils susceptibles d'en souffrir ? Le texte constitutionnel de 1996 confie souvent la réglementation d'un droit au soin du législateur ou délimite l'exercice d'un droit, afin d'éviter de possibles conflits avec d'autres droits fondamentaux ou pour en atténuer l'absolutisme. Cette limitation est généralement faite au moyen de formules telles « dans le respect... », « sous réserve... ». Pour le Pr POUGOUE, les droits consacrés dans l'ordre juridique camerounais sont alors susceptibles de connaître trois régimes juridiques de restriction à savoir, le régime de l'ordre public, les régimes d'exception et le régime de la garde à vue administrative150(*). La notion d'``ordre public'' consiste dans une double limite à l'exercice de la liberté que sont la liberté d'autrui et les impératifs sociaux. En droit camerounais, elle est entendue au sens large et est assimilée parfois à la notion d'« intérêt supérieur de l'Etat ». Ces deux notions ont, de l'avis du Pr Maurice KAMTO, un contenu « non défini, en tout cas, fuyant et fluide »151(*) qui peut s'avérer pernicieux pour la garantie des droits fondamentaux. La sauvegarde de l'ordre public implique, par voie de conséquence, que le droit fondamental soit contrôlé, son exercice étant soumis à des contraintes administratives. Le droit peut aussi être contrôlé, soit par les autorités de police pour la protection de l'ordre, de la sécurité et de la tranquillité publics152(*), soit par un tiers lésé sur la base de la théorie de l'abus de droit153(*). Cette sauvegarde de l'ordre public ne doit pour autant pas être attentatoire aux droits fondamentaux. L'équilibre entre la sauvegarde et le respect des droits doit être recherché au maximum et exige pour ce faire, que les mesures de sauvegardes soient soumises au contrôle du juge. Les régimes d'exception s'entendent des périodes d'une certaine gravité au cours desquelles les droits fondamentaux, particulièrement les droits civils et politiques, se trouvent suspendus. La législation camerounaise en organise trois situations, à savoir, l'état d'urgence prévu à l'article 9 alinéa 1 de la loi constitutionnelle de 1996 et organisé par la loi n 90/047 du 19 décembre 1990154(*), l'état de mise en garde prévu par l'article 3 de la loi n° 67/LF/69 portant organisation générale de la défense et l'état d'exception prévu à l'article 9 alinéa 2 du texte de 1996155(*). Ces situations conduisent à ce que les droits fondamentaux soient mis entre parenthèses, au moins pour une période donnée, traduisant ainsi un « écrasement des droits de l'homme au profit des régimes d'exception »156(*). Elles peuvent par exemple conduire à la restriction des libertés individuelles, telle qu'une mise en résidence surveillée et à l'interdiction des droits de l'action collective comme la tenue de réunions publiques. Le régime de la garde à vue administrative constitue également, en droit camerounais, une limite considérable aux droits fondamentaux en général et au droit à la liberté et à la sécurité des citoyens en particulier. Il est prévu par l'article 2 dernier paragraphe de la loi n° 90/054 sur le maintien de l'ordre aux termes de laquelle « les autorités administratives peuvent, en tout temps et selon les cas, prendre des mesures de garde à vue d'une durée de 15 jours renouvelables dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme ». Il s'agit, selon le législateur, d'un régime dérogatoire dans les situations de lutte contre le grand banditisme au sens du droit répressif camerounais. Mais, la pratique de cette mesure, qui devrait être exceptionnelle, donne lieu à des débordements si bien que les motifs invoqués par les autorités pour justifier une telle garde à vue excèdent souvent les prévisions du législateur, conduisant par-là à des violations du droit à la liberté et de la sécurité des citoyens camerounais157(*). Les droits civils et politiques dans leur mise en oeuvre, appellent ainsi des obligations de la part de l'Etat camerounais. Toutefois, des régimes restrictifs peuvent leur être imposés, constituant en conséquence une forte limite dans leur exercice. Il importe, cependant de se demander si l'ensemble des droits civils et politiques et partant, des droits fondamentaux est astreint à ces régimes restrictifs. N'en existe t-il pas certains qui ne peuvent souffrir de dérogations ? C'est à ce niveau que se pose le problème de l'intangibilité des droits. Le texte constitutionnel camerounais ne dresse pas une liste de droits susceptibles de ne pas souffrir de ces régimes restrictifs et il convient, pour reprendre le questionnement du Pr SUDRE, de se demander si l'hypothèse d'un ``noyau dur'', d'un ``noyau intangible'' est plausible concernant les droits consacrés au sein du texte. L'hypothèse d'un ``noyau dur'' des droits recouvre deux significations selon que l'objet est singulier, un droit de l'homme, ou pluriel, les droits de l'homme. Lorsque l'objet est singulier, « il s'agit de rechercher quel est le minimum irréductible au sein de chaque droit pour que celui-ci subsiste et conserve un sens »158(*). La problématique des restrictions à l'exercice des droits avec l'opposition des intérêts individuels et de l'intérêt général se pose ici avec acuité, car il convient de se demander jusqu'à quel seuil les autorités nationales peuvent restreindre l'exercice d'un droit sans porter atteinte à la substance même du droit. Selon le Pr SUDRE, cette interrogation suppose de définir le seuil en deçà duquel le droit en cause perd toute sa signification, or ce seuil varie en fonction des particularismes nationaux, des traditions locales. Le juge a ainsi un rôle fondamental à jouer dans ce cas, puisque « en dernier lieu, c'est à lui qu'il appartient de définir et de préserver la substance du droit mis en péril par les limitations qui l'affectent », écrit-il159(*). Lorsque l'objet est pluriel, il convient d'isoler au sein du corpus des droits consacrés, les droits plus fondamentaux que les autres, « de tracer une ligne de partage entre (...) des droits prioritaires et d'autres qui seraient secondaires, entre des droits de premier rang et d'autres de second rang »160(*). La définition du contenu du ``noyau intangible'' des droits fondamentaux va ainsi procéder de la combinaison des dispositions du préambule constitutionnel et de l'article 4 (2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui énonce les droits indérogeables. A la suite du Pr MINKOA, on constate que cette opération consacre l'érection de sept droits en droits intangibles dans l'ordre juridique camerounais. Ce sont, le droit à la vie, le droit de ne pas subir de torture et des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, le droit de ne pas être placé en esclavage et en servitude, le droit de ne pas être emprisonné pour la non-exécution d'une obligation contractuelle, le droit à la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, le droit à la rétroactivité de la loi pénale moins sévère, le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique, la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ainsi donc, seuls ces droits civils et politiques ne doivent pas, en principe, être soumis aux différents régimes restrictifs applicables aux droits fondamentaux dans l'ordre juridique camerounais. Ils constituent en conséquence le ``noyau dur'' des droits fondamentaux consacrés dans cet ordre juridique, séparés des autres qui eux, dans leur exercice, peuvent subir des dérogations. Au demeurant, cette scission appelle immanquablement une hiérarchisation entre les droits fondamentaux, car même s'il faut reconnaître à la suite de la Déclaration de Vienne du 25 juin 1993 que « tous les droits (...) sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés », force est d'admettre que dans leur aménagement, « bien qu'ayant même valeur constitutionnelle, les droits fondamentaux n'ont pas tous en pratique le même poids spécifique »161(*). En conséquence, dans leur aménagement, la force juridique des droits civils et politiques ne sera pas la même. S'ils sont tous exigibles et justiciables, il convient dans la pratique de tenir compte du poids de certains droits, suffisamment précis et clairs dans leur énoncé et n'ayant pas besoin de mesure complémentaire pour être mis en oeuvre par le citoyen, tels que le droit à la vie par exemple, par opposition à ceux requérant des mesures législatives d'accompagnement pour bénéficier aux citoyens, à l'exemple de certains droits de l'action collective tels que la liberté d'association et la liberté de réunion. Cette différenciation quant au ``poids spécifique'' de certains droits permet également de rendre compte de la prudence avec laquelle sont constitutionnalisés les droits des seconde et troisième générations dans le texte constitutionnel camerounais, eux qui nécessitent généralement la prise de mesures positives par l'Etat pour être effectivement exercés par le citoyen. * 147 K. VASAK, ibid., p. 301. * 148 O. DE SCHUTTER (Doc. rassemblée par), Droit matériel des droits de la personne, Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie, UAC, Bénin, 2002-2003, p. 12. * 149 Ibid., p. 12. * 150 P. G. POUGOUE, ``La législation camerounaise et la protection des droits de l'homme'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, Penser et réaliser les droits de l'homme en Afrique centrale, Yaoundé, Presses de l'U.C.A.C., Juil. 2000, pp. 10-11. * 151 M. KAMTO, ``Actes de gouvernement et droits de l'homme au Cameroun'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, op. cit., p. 135. * 152 L'art. 2 de la loi n° 90/054 du 19 déc. 1990 relative au maintien de l'ordre permet la saisie administrative des journaux en cas d'atteinte à l'ordre public. * 153 P. G. POUGOUE, ibid., p. 10. * 154 L'art. 9 al. 1 de la loi constitutionnelle de 1996 énonce : « Le Président de la République peut, lorsque les circonstances l'exigent, proclamer par décret, l'état d'urgence qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi. », in Juridis périodique, n° 25, op. cit., p. 3. * 155 L'art 9 al. 2 de la même loi dispose : « Le Président de la République peut, en cas de péril grave menaçant l'intégrité du territoire, la vie, l'indépendance ou les institutions de la République, proclamer, par décret, l'état d'exception et prendre toutes mesures qu'il juge nécessaires. Il en informe la Nation par voie de message », ibid., p. 3. * 156 P. G. POUGOUE, ibid., p. 10. * 157 Pour une étude critique sur le régime de la garde à vue administrative au Cameroun, v. E. KITIO, ``La garde à vue administrative pour grand banditisme et respect des droits de l'homme au Cameroun (Application de la loi n° 90/054 sur le maintien de l'ordre)'', Juridis périodique, n° 30, Avr.-Mai-Juin 1997, pp. 47-56. * 158 F. SUDRE, ``Quel noyau intangible des droits de l'homme'', in D MAUGENEST et P. G. POUGOUE (dir.), Droits de l'homme en Afrique centrale, Colloque de Yaoundé, 9-11 nov. 1994, Yaoundé, Paris, U.C.A.C., Karthala, 1995, p. 270. * 159 Ibid., p. 271. * 160 Ibid., p. 271. * 161 R. BADINTER et B. GENEVOIS, ``Normes de valeur constitutionnelle et protection des droits fondamentaux'', R.U.D.H., 1990, p. 266. |
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