SUBJECTIVITÉ ET
INTERSUBJECTIVITÉ
DANS LA CONVERSION
INDIVIDUELLE MASCULINE À L'ISLAM
AU XXIÈME
SIÈCLE EN FRANCE
MARIE BASTIN
SOUS LA DIRECTION DE
FARHAD KHOSROKHAVAR
EHESS
PARIS 2003
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
4
PREMISSES
6
De la « conversion » religieuse selon la sociologie des
religions
8
De la « conversion » ou des « conversions »
9
Partie I
11
Sociologie et religion
11
De la dimension religieuse
11
Religion, « conversion » et identité
individuelle ultramoderne
12
De la religiosité : trois dimensions
13
Partie II
15
Le récit de l'expérience religieuse de la
« conversion »
15
Partie III
17
La conversion à l'islam
17
Partie IV
21
Enquête et analyses
21
L'islam et les technologies : internet
22
Des analyses
24
A. Tableaux récapitulatifs
25
B. De la subjectivité :
« conversion » et individuation
27
Similitudes
27
·L'absence de rupture sociale ou familiale
27
·Le déplacement géographique
27
Disparités
28
·La critique de la pratique religieuse : où est
le « nous » ?
28
·La satisfaction de besoins spirituels individuels : le
« je » avant tout !
28
Similitudes
29
·Ma foi, ma différence
29
Disparités
30
·Dieu existe !
30
·Je cherche, je trouve
30
·Vitaliser sa foi, les rapports au savoir islamique
31
·Déstigmatisation
31
Similitudes
31
·Le prénom arabe, un nom initiatique
32
Disparités
33
·La circoncision
33
·Le « certificat de « conversion »
34
C. De l'intersubjectivité : « conversion
» et identité collective
34
Similitudes
35
·Avec les « siens d'appartenance »
35
·Le voyage
36
Disparités
36
·La vie estudiantine ou professionnelle
36
·Avec les « siens d'origine »
37
Similitudes
37
·Dire sa foi
37
Disparités
38
·Un guide spirituel, pourquoi ?
38
Similitudes
39
·De « l'homme marginal » au
médiateur
40
·Le mariage
40
Disparités
41
·Vitaliser sa foi
41
·Avec les « siens d'origine »
42
·Avec les « siens d'appartenance »
42
·Avec ses enfants
43
·Et les relations professionnelles
44
D. Une minorité dans la minorité
44
CONCLUSION ET PERSPECTIVES 50
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE et THÉMATIQUE
49
INTRODUCTION
« Je refuse de parler de l'islam en soi.
Il y a des musulmans qui sont des êtres humains,
qui ont des idées sur la vie et leur religion,
sur ce qu'ils pensent être leur religion. »
Maxime Rodinson1(*)
La thématique de la religiosité est devenue
prégnante à la lecture des faits de modernité par lesquels
l'homme se sent « libéré ». La
modernité fait de lui un être qui, de l'acquisition du
progrès et de la connaissance, à la maîtrise de l'espace et
des sciences, est devenu un surhomme à ses propres yeux, presque divin
et se donnant au-dessus de la Nature. Et pourtant ! Il se
« tourne », à nouveau selon les uns, encore et
toujours selon les autres, vers la divinité.
L'étendard du religieux ultramoderne flotte dans le
ciel des choix individuels et multiples au gré des renouveaux ou des
déclins religieux qui se disputent autant les avant-scènes des
médias, que celles du politique et de la recherche. Du bouddhisme aux
renouveaux évangélistes, les cheminements dans la foi islamique
sont particuliers, individualisés et plus encore, atypiques quand,
français « d'origine », catholique ou athée
l'on construit une vie spirituelle individuelle et collective à la
croisée de deux siècles et à celle de la conversion
à l'islam. Cet islam, monothéisme et facteur culturel, dont la
centralité est d'actualité, aux niveaux international,
européen et national, et aux niveaux religieux et politique en soi,
aussi bien au coeur des rapports enchevêtrés qu'entretiennent avec
lui, les autres sphères spirituelles monothéistes, plus
particulièrement. En France, la religion islamique est devenue, pour
des raisons historiques, politiques et sociologiques, la seconde religion
pratiquée ou « revendiquée d'appartenance ».
Si la très forte majorité des musulmans y sont de diverses
origines étrangères, maghrébines, africaines,
moyenne-orientales ou asiatiques, la minorité des convertis attirerait
l'attention. Ces « convertis » à l'islam, hommes et
femmes qui, pour des motivations diverses, spirituelles et personnelles,
embrassent la foi islamique.
Les rares travaux qui ont traité ce
phénomène des « conversions » à
l'islam en France ou en Europe, sont marqués de la question lancinante
des banlieues, par la thématique de l'émergence du
fondamentalisme et plus récemment par celle du terrorisme. Le parcours
individuel de croyants éloigné des bruits du monde susciterait
l'intérêt de qui pourrait s'interroger sur ce qui se passe
à la croisée de l'altérité culturelle et
spirituelle, que toute conversion et de tout temps met en lumière.
L'analyse de la confidence du récit de conversion
d'hommes âgés de plus de trente ans, d'origine sociale
plutôt favorisée et de formation plutôt supérieure
permettrait d'essayer de plonger au coeur d'intimités individuelles et
de convictions anonymes. Mais, est-il possible de se cantonner à
l'observation d'une telle expérience spirituelle et sociale, sans se
demander ce qui encourage un jeune homme du XXème siècle
français à devenir musulman ? Comment rencontre-t-il cet
univers spirituel, à la fois si éloigné de sa culture
d'origine et si proche par les interactions sociales et politiques du monde
post-moderne ? Que découvre-t-il de lui-même ? Quelles
ruptures ou quels prolongements personnels et spirituels sont-ils en
élaboration ? Que lui apporte cette foi ? Quelle dimension
spirituelle personnelle et collective élabore-t-il ? Quel accueil
reçoit-il de ses pairs d'origines chrétiens ou athées,
républicains et laïcs ? Quel accueil reçoit-il de ses
« nouveaux » frères en spiritualité,
musulmans, minoritaires, stigmatisés le plus souvent, tiraillés
entre l'universalisme islamique, la tradition voire l'orthodoxie, le repli
communautaire, les mouvements d'intégrisme à visée
politique ou de fondamentalisme, l'intégration et le renouveau
même de la pensée religieuse islamique ? Quel univers
musulman embrasse le néophyte, est-ce celui des confréries
soufies, celui des sunnites ou des shi'ites, ou encore celui des mouvements
associatifs ou bien tout simplement celui de l'islam au sens large sans attache
culturelle particulière ?
Ce travail d'enquête repose sur des entretiens avec sept
individus. Pour en faire une lecture avisée, il s'agira, dans un premier
temps de poser les cadres théoriques des notions aux prises avec le
sujet. Les définitions linguistiques, religieuses, sociologiques et
psychosociologique de la « conversion », permettront de
faire un état des lieux de la sociologie de la religion aux XXIè
siècle, et d'aborder, de façon synthétique les
théories développées, dont, en particulier les trois
dimensions de la religiosité et la dimension du récit de
« conversion ». Enfin, de quel islam s'agit-il ? Sa
présence en France et quelques éléments
« théologiques » et la thématique même
de la « conversion » à l'islam, établiront le
contexte de ces expériences.
Dans un second temps, l'enquête proprement dite,
l'analyse thématique et l'ébauche d'un commentaire des
récits récoltés poseront les principes de
l'hypothèse émise, des outils et des réorientations
été nécessaires. Deux tableaux récapitulatifs
relatifs à des types de variables de l'expérience religieuse
substantives ont permis d'évaluer les types d'émotions
suscitées par la « conversion » à l'islam et
admises d'être éprouvées. Les nominales, elles traiteront
du « radicalement autre » expérimenté comme
une réalité. Les analogiques, enfin sont celles des
émotions relatives à l'expérience du sacré,
identiques ou non à celles d'autres états ou situations non
ordinaires. Enfin, les variables du contexte auront permis de lister les
contextes de l'expérience du sacré.
Enfin, la subjectivité et de l'intersubjectivité
relatives à ces « conversions » seront les dimensions
sociologiques de réflexions choisies pour la lecture de ces
expériences. Les temps de la post-« conversion », de
la croyance et de l'après-« conversion ». A chacune de ces
étapes, des similitudes et des disparités ont été
repérées selon les individus. Les thématiques relatives
à ces similitudes et ces disparités ne seront pas exhaustives,
mais permettront un décryptage approfondi de ce qui est en jeu dans la
« conversion » à l'islam du point de vue de la
subjectivité individuelle et des relations aux collectifs.
La troisième et dernière partie du
mémoire affirmera la dimension minoritaire de l'identité des
« convertis » à l'islam en France à la fin du
XXème et au début du XXIème siècles. Il s'agira
alors de s'interroger quant à l'existence d'un groupe à
proprement parlé de « convertis », de la
spécificité religieuse que porte l'islam dans ces «
conversions » et d'ouvrir des perspectives d'études sociologiques
de l'islam en France.
Au cours de l'analyse et pour la soutenir, seront
livrés de larges extraits des entretiens menés avec les
témoins - qui au demeurant, sont inégaux du point de vue du
volume plus particulièrement, du fait des difficultés
inhérentes à l'enquête, de la disponibilité des uns
et des autres et des évènements internationaux récents. La
trame des interrogations sociologiques relatives à la « conversion
» à l'islam est si vaste qu'il fallut, en effet, en réduire
l'étendue. Cette réduction, bien qu'essentielle, a
été frustrante pour le chercheur qui a, néanmoins,
compilé un matériaux inédit et rare.
L'étude de la construction sociale du
phénomène de la « conversion » à
l'islam en France chez les hommes, consiste à identifier d'une part, les
logiques d'élaboration de soi, de l'identité individuelle
ultramoderne spécifique et du rapport individuel au sacré
particulièrement construit dans l'islam. Et d'autre part, il s'agit
d'observer les logiques sociales qu'élaborent les individus, entre eux,
envers les différentes cultures, les différents systèmes
de pensées, de représentation et d'action au coeur desquels ils
s'inscrivent dans le cadre de leur religiosité.
Cette étude est également conditionnée
par le sociologue lui-même ; malgré lui, acteur qu'il est
lui-même de sociocentrismes dont il tentera, au moins, d'éviter
les ornières du jugement de valeur et de l'orientation de la
problématique. Enfin, l'étude impliquant la méthode
s'ajustera aux questions et aux hypothèses de la recherche et en
dégagera les pertinences. L'innovation, toute proportion gardée,
de ce travail, devra prendre en compte les découvertes auxquelles le
sociologue devra faire face au cours même de la recherche, au point de se
soumettre à des réorientations.
« Conversion » au coeur, à la
croisée, au carrefour d'un changement et d'un abandon, de changements et
d'abandons
PREMISSES
A la croisée de la conversion à l'islam,
s'interpénètrent des questions de vocabulaire et au moins deux
champs linguistiques : la langue française et la langue arabe,
l'une et l'autre support des expériences religieuses et sociales mises
en oeuvre. En français, le terme conversion a pour source
étymologique le terme latin conversio qui signifie
retournement, changement de direction. Ce terme prend lui-même sa source
à l'étymologie grecque de deux termes, epistrophê
et metanoïa. Epistrophê signifie changement
d'orientation, retour à l'origine ou à soi et retour à
l'idéal parfait. Metanoïa, signifie changement de
pensée, repentir avec mutation et renaissance et arrachement à un
état de perversion et de péché. Dans le cadre de la
conversion religieuse, il s'agit « d'un changement d'ordre mental
qui peut aller d'un simple changement d'opinion jusqu'à la
transformation totale de la personnalité. » Dans la
notion de conversion, l'on constate d'emblée, « une
opposition interne entre l'idée du « retour à
l'origine » et l'idée de
« renaissance » ». Cette polarité
« fidélité-rupture » marque la conscience
occidentale depuis le christianisme.2(*)
En arabe classique, la notion de
« conversion » peut être envisagée selon les
trois champs sémantiques celui de aslama, celui de
al-tawba et celui de hadâ :
Le sens linguistique du verbe aslama, est,
s'abandonner à, se confier à et se rendre à qqn, par
exclusive à dieu. Le verbe aslama dérive du nom d'action
islâm, et signifie dans son acception plus spirituelle, devenir
musulman. Ce verbe se distingue strictement d'un autre dérivé de
la racine trilitère S L M, le verbe istaslama, issu
du nom d'action istaslâm, qui signifie se soumettre après
avoir été vaincu. Al-tawba, nom d'action,
dérivé de la racine trilitère T A B3(*), signifie au niveau strictement
linguistique : se retourner vers dieu, au niveau plu spirituel, il
désigne le repentir, le fait de revenir à l'obéissance
à dieu. Au sens linguistique soufi, Ibn `Arabi précise que
al-tawba « n'est pas seulement le retour vers dieu, mais
est la manifestation du regret des péchés
passés. »4(*) Al-tawba nécessite, ajoute Ibn `Arabi,
une persévérance dans le respect du pacte conclu avec dieu, (S.
II, v. 27). Le repentir ne concerne pas uniquement les pêcheurs, mais est
un retour existentiel permanent à la vérité dans tous les
états du croyant.5(*)
Enfin, le verbe ihtadâ ilâ, issu du nom d'action
ihtidâ'un, dérive de la racine trilitère
H D A, signifie au sens propre trouver son chemin et se convertir.
Son contraire est la perdition, al-dalâl6(*).
Toutes les religions couvent des types très
hétérogènes de « profits religieux »,
de modes d'intégration à la religion, très variés
et adéquats aux différentes conditions individuelles
d'existence7(*). Se
convertir est un des modes spécifiques aux univers
judéo-chrétiens. C'est une rencontre essentielle à
l'histoire même, de l'Occident marquée d'« un effort
sans cesse renouvelé pour perfectionner les techniques de conversion,
c'est-à-dire les techniques destinées à transformer la
réalité humaine, soit en la ramenant à son essence
originelle, soit (conversion-retour), soit en la modifiant
(conversion-mutation). »8(*)
La tradition chrétienne de la conversion est un des
thèmes des cultures européennes. Il est « à la
fois ambigu et très significatif ; il rattache paradoxalement
l'individu moderne dans son désir d'autonomie à des
modèles symboliques traditionnels prégnants qui l'influence
à son insu et qu'il reproduit dans un conformisme voilé :
c'est au nom d'une tradition (la conversion comme un acte de ralliement et de
conformité à l'ordre social) que la rupture
s'effectue. »9(*)
Cette rupture est le propre de toutes les religions monothéistes, et
fait de ces croyances des « religions de rupture »10(*) du fait même de
l'irruption divine dans le monde. La « conversion » y est
une « répétition » ;
« c'est l'irruption du divin dans le cours de l'histoire qui se
répète dans l'histoire individuelle. »
Dans ce cadre, selon l'Ancien Testament d'une part, les
prophètes d'Israël convient et conjurent le peuple à se
convertir, c'est-à-dire à retourner à l'alliance rompue
par l'infidélité aux engagements pris à l'égard de
Dieu, pour bénéficier de son élection et de ses promesses.
Cette conversion est à la fois epistrophê et
metanoïa, au sens défini précédemment. Selon
le Nouveau Testament d'autre part, il s'agit de « naître de
nouveau, pour vivre désormais la vraie vie, c'est déjà
posséder en puissance, et même en réalité comme un
germe croissant, le rayonnement de Dieu. » Le retour et la
renaissance se situent donc à l'origine, dans une perspective
eschatologique11(*). Cette
spécificité du Christianisme réside dans le fait que
l'événement intérieur de la
« conversion » y est lié à
l'événement extérieur, car, « le rite du
baptême correspond à une renaissance dans le Christ et la
conversion est l'expérience intérieure de cette
renaissance. »12(*)
Dans la tradition biblique, la
« conversion » signifie donc le « retour à
dieu » à l'issue de la rupture du péché originel
de l'homme : elle « est indispensable pour que l'homme
retrouve sa voie [...] assignée par Dieu et reprenne sa marche en
avant. »13(*) Mais, elle implique une prise de conscience de la
réalité du Mal et de ses conséquences, ainsi que le
repentir d'avoir péché. Pour le protestantisme et pour les
mouvements charismatiques, plus particulièrement,
l'évènement est «le changement prodigieux qui
s'opère dans la vie de tout croyant pourvu qu'il s'abandonne à
l'action extraordinaire de l'Esprit. »14(*)
Du point de vue islamique, la
« conversion » est perçue comme un retour à
la nature première, être musulman : « Tout nouveau
né est venu au monde dans sa nature première [de musulman] ;
ce sont ces parents qui en font un juif, un chrétien ou un
zoroastrien. »15(*). Cette reconnaissance de l'état d'être
musulman oublié, ignoré ou détourné par
l'éducation religieuse reçue dans l'enfance est la
« conversion ». Le « réveil »
est la prise de conscience d'un état religieux à mettre en
valeur, il est la porte de la « conversion à
l'islam » et comme « une entrée dans une
communauté où dieu devient sensible au coeur, où l'Esprit
se manifeste. »16(*)
Les sens religieux de la « conversion » ne
peuvent, en revanche, faire l'économie des éclairages de la
psychosociologie et de la sociologie. La psychosociologie mobilise, en effet,
les notions de personnalité et d'univers social, celles du rôle et
des jeux de rôles dont les individus sont acteurs. L'angle qu'elle
propose concernant le changement individuel, sur les plans public et
privé, est pertinent dans l'étude de la
« conversion » religieuse à l'islam, car les
phénomènes mystiques et les expériences intenses qui y
bouleversent la vie peuvent alors être étudiés de
l'intérieur, en les dégageant des a priori qui leurs
sont, le plus souvent, infligés par les analyses psychopathologiques.
Cinq dimensions marquent, ainsi, la notion de
« conversion » religieuse selon la psychosociologie. La
« conversion » est avant tout, un changement. Changement
d'objet et changement de communauté, elle est une mise en
conformité des croyances individuelles à des changements sociaux
produits hors des individus. Quand elle est religieuse, elle est
considérée comme une initiation de/au changement social. En
effet, la « conversion » participe à la dynamique
innovatrice que porte la religion elle-même, soit en élaborant un
chemin pour dépasser des notions ressenties de
« mal », soit en devenant le langage d'un sentiment de
stigmatisation ou de disqualification, soit encore les deux à la fois.
Quand la « conversion » n'est plus adaptative, elle est
révolutionnaire. Elle permettrait aux individus de manifester une forme
d'indépendance envers les déterminismes psychosociaux et les
prédestinations historiques dont ils semblent ne pas toujours
s'arranger. La conversion religieuse consiste aussi en un abandon de ce qui a
façonné l'individu et en une adoption d'un
incompréhensible pour ses pairs. Elle éclaire, d'une part, le
fonctionnement social et la place de l'individu dans la société,
défendue qu'elle est, par S. Laurens comme un changement de rôle
en référence à un modèle lointain, non
imposé par la communauté originale. Ce rôle
« exotique » ou
« hérétique » naît, le plus souvent, de
contacts avec les autres communautés de la société ou
d'autres cultures et de l'émergence de nouveaux modèles et
fonctions sociales, jouxtant des formes anciennes historiques et
préservées. D'autre part, parce que la socialisation de
l'individu est une suite de changements de rôle et une suite de
« conversions » qui permettent à l'individu
d'assumer divers rôles de sa palette identitaire et une série
irrégulière, de changements, d'adhésions et de remise en
question dans les domaines de la vie physiologique, familiale, estudiantine,
universitaire, professionnelle et affective, géographique, sociale et
politique. Les individus17(*) ne suivent pas les mêmes règles mentales
et logiques dans toutes les circonstances. Polymorphe, la
« conversion », est donc une affaire individuelle qui
revêt des formes diverses selon l'époque, le pays, la religion et
l'individu qui la vit, l'observe et la décrit. Parfois, renaissance et
renouvellement dans une vie nouvelle, elle peut être une continuation ou
un approfondissement de la foi. Instantanée, elle peut être un
changement irrésistible et puissant, provocant le basculement complet de
l'individu, ou au contraire, elle peut être un long cheminement. La
« conversion » religieuse diffère des conversions
politique, idéologique et scientifique, pour le psychosociologue,
« par la forme mystique que donne parfois le converti à
son changement.[...] Souvent les convertis ont eu le sentiment de la
présence divine, ils ont senti une puissance irrésistible qui a
changé, bouleversé, retourné le cours de leur vie.
Parfois, ils ont le sentiment de renaître et la conversion ne se limite
pas au domaine des attitudes religieuses. Elle s'accompagne d'un
véritable changement d'identité et d'un changement d'appartenance
communautaire. »18(*) En quatrième lieu, la
« conversion » est un travail qui, dans le cadre un peu
particulier de la « conversion » à une religion
lointaine, « issue d'un univers dans lequel l'individu n'a pas
baigné »19(*), nécessite un effort beaucoup plus important
que dans les cas de « conversion » à une religion
dite proche culturellement de l'individu. Le « converti »
à une religion lointaine se devra, en effet, d'« apprendre
toute une religion et son contexte culturel : une langue, une
mémoire collective, un imaginaire et évidemment des moeurs et
coutumes, des rites... »20(*). C'est le plus souvent le cas des
« conversions » à l'islam en situation socialement
minoritaire, comme celles qui se produisent en France, si elles n'ont pas eu
lieu dans un pays musulman. En cinquième lieu, le psychosociologue
distingue deux types de conversion. La conversion ayant pour source unique, la
lecture d'un ouvrage mystico-religieux, qui contient tout l'élan du
converti ainsi que sa foi, et qui diffère de celles où toute
l'adéquation de l'individu s'exprime, dans l'entrée dans la
communauté. Dans la première, il s'agira d'une conversion
purement individuelle à sens unique, quand l'individu n'a pas le sens
des réalités extérieures fournies par la communauté
religieuse et porteuse de la religiosité choisie. Dans la seconde,
l'identification à la nouvelle communauté et la reconnaissance
par les autres comme membre de la nouvelle communauté permettront
à l'individu « converti », d'agir pleinement dans le
cadre communautaire inhérent à la foi embrassée. Ces deux
types de « conversion » peuvent être parfaitement
séparés, et existés strictement indépendamment l'un
de l'autre, selon les individus. Mais, ils peuvent également cohabiter,
après s'être succédés, ou encore laisser la place
à l'un ou à l'autre. Le premier type
« autiste » précède,
généralement le second participatif.
En sociologie, la « conversion » est
essentiellement « un arrachement à un milieu social
déterminé et l'adhésion à une communauté
nouvelle »21(*).
Elle est, en conséquence, « un remaniement du champ de
l'environnement », indissolublement lié et productif
d'« un remaniement du champ de la conscience. »22(*) Changement de croyance
religieuse ou morale, c'est une rupture d'avec un modèle culturel et
indissociablement une adhésion à un autre. Changement de famille,
de communauté, de représentations, de croyances et de
significations, la « conversion » est un franchissement de
frontières qui s'opère au niveau intérieur, social et
interculturel ? Par l'expérience de la
« conversion » religieuse l'on franchit les
frontières intérieures du sujet, les frontières sociales,
celles dogmatiques des croyances en jeu, celles qui distinguent la vie
privée de la vie publique et les culturelles. Tout franchissement des
frontières qu'elle soit, la « conversion » est
également un établissement de nouvelles frontières.
Franchissement de frontières intérieures, « la
conversion n'est pas un processus radical de changement intérieur, mais
un événement initial, promoteur d'un processus de changement qui
définit la conversion comme création
d'intervalle », elle « peut être la
découverte d'une identité personnelle
« vraie », oubliée, dissimulée à
travers l'épreuve d'une altérité
affrontée. »23(*) Si elle enjambe les limites de séparation des
croyances, il n'existe pourtant « pas d'activité
religieuse finalisée à la conversion et qui la
précède historiquement. » Comme
franchissement de frontières sociales, la
« conversion » religieuse provoque chez le converti un ou
des changements de rôle social qui mettent en exergue le rôle de
croyant de manière plus ou moins globale et plus ou moins
définitive. En tant que franchissement de frontières
interculturelles, la « conversion » peut produire
l'acculturation ou le métissage de l'individu. Ces franchissements de
frontières s'accomplissent le plus fréquemment
simultanément, chez l'individu dont il est nécessaire de supposer
qu'il détient un dispositif mental de capacité d'assimilation et
de réélaborations originales favorable à
l'événement « conversion ».
Se convertir implique l'adhésion à un nouveau
système de croyance. Comment distinguer alors la
« conversion » de l'adhésion ? En effet,
« l'adhésion comporte un
« mélange » entre les croyances et pratiques
traditionnelles » et les croyances nouvelles de l'individu
« converti ». La « conversion », elle,
peut s'efforcer d'être radicale et stricte, en refusant toute
« compromission » avec un système de croyance
précédent ou avec les autres systèmes de croyance
présents, dans l'univers sociétal. Ainsi, en psychosociologie,
d'une part, la « conversion » religieuse se place sous le signe de
multiples réinscriptions d'ordre privé et intime et d'ordre
collectif et intersubjectif24(*) qui, d'autre part, mettent,
sociologiquement, en jeu l'identité individuelle et sociale du
converti.
Comme passage d'une communauté à une autre, la
« conversion » admet que sociologiquement,
« l'identité sociale se forme dans la relation aux
autres », et qu'il faut déplacer « l'attention vers
les pratiques sociales partagées par l'ensemble des groupes, et vers les
lieux et les formes d'interactions entre les groupes ou entre les individus
appartenant à des communautés différentes. Reste enfin
à prendre en compte les expériences de rupture, de transgression
et en particulier les cas et les mouvements de conversions
religieuses. »25(*). Puis, s'agissant de l'identité
collective26(*), il est
possible que « la conversion fonctionne comme un signe de ralliement,
[qui] rend plus forte la recherche d'un sens [...] qui s'enracine dans la
pratique de sociabilités nouvelles et construit autour
d'elles. »27(*) Enfin, l'action de se convertir n'est
« non pas [pour autant] la seule manière de trouver le
sacré dans son contenu immédiat, mais de le recomposer dans sa
forme vide, dans son absence rendue par là même
scintillante. »28(*), lorsque règne en société
postmoderne, ce que nomme M. Foucault, la transgression comme « une
profanation dans un monde qui ne reconnaît plus le sens positif du
sacré. »»29(*)
La « conversion » est également un
appel à un changement moral, de morale religieuse ou
éthique ? Elle est une transformation spirituelle, est-ce un
renversement ou un déplacement ?
De la « conversion »
religieuse selon la sociologie des religions
De quel renversement et de quel déplacement
s'agit-il ? Ces processus concernent-ils tous les individus
mobilisés par une « conversion » religieuse ? A
quel niveau de l'expérience religieuse de la
« conversion » cet événement se
développe-t-il ? Est-ce un processus unique dans la
« conversion » religieuse ou bien se combine-t-il plus ou
moins fortement, avec d'autres processus comme l'acculturation ou
l'identification ?
En mobilisant la combinaison des ressources
psychosociologiques et sociologiques en relation avec ce que l'individu met en
jeu dans ses pratiques sociales, on assiste, en effet, et dans d'autres
domaines que le religieux, dans la société postmoderne en France
à des phénomènes de renversement de ce que l'individu
considère comme une disqualification dont il se sent victime. Cette
disqualification, ce stigmate peuvent conduire l'individu à rejoindre
une identité éloignée de son identité
première, et plus particulièrement, à rejoindre une
identité religieuse. Cette identité religieuse peut être
éloignée de son identité religieuse originale,
« ainsi quand un individu devient musulman alors que ces
ancêtres ne l'étaient pas. »30(*) Ce processus est un
renversement. Il inclut le refus de la discrimination et est
succédé par un déplacement et par l'installation de
l'individu dans une identité nouvelle qui donne un sens à son
existence. Ce processus est souvent le fruit d'un sentiment de discrimination
ressenti, mélange de disqualifications sociales et/ou
socio-psychologiques ou plus indistinctement, sentiment d'indifférence
ou d'ignorance de sa catégorie. L'individu qui veut en finir avec ce
sentiment de disqualification, va fournir un effort pour réinventer sa
différence individuelle, subjective et collective.
La « conversion » religieuse s'inscrit, on
le voit, dans l'existence individuelle comme l'une des multiples
« réponses » individuelles ou/et collectives
à ces sentiments ou réalités de discrimination. Echo de
conflits intérieurs provoqués par divers évènements
psychologiques et interprétations de ces évènements, il
s'agit également d'échos de conflits liés à la
tension culturelle ambiante. Celle-ci prend racine à la situation
d'inégalité des cultures en contact, dans la
société postmoderne. Cette mobilisation identitaire est non
seulement stimulée par la disqualification, mais elle peut
également procéder de la quête du sens et/ou du manque
d'identité collective, par lesquels l'individu se soulage et se
dégage d'un système social. L'acquisition d'une nouvelle
appartenance, en marges des rapports sociaux connus de l'individu, lui permet
alors de prendre de la distance par rapport à la modernité, et
d'oeuvrer à une réflexivité qui le sauverait de la
rupture.31(*)
La démarche ou l'événement de la «
conversion » religieuse mettent, entre autres, « en relief
le conflit entre individu et communauté ainsi que l'importance
décisive du social enveloppé du
politique »32(*), dans le contexte de l'incapacité
sociétale moderne des sociétés postmodernes à
répondre, malgré leur capacité productive, aux besoins
fondamentaux des individus. De ce fait, la conversion religieuse est
susceptible, non seulement, de témoigner et de tenter de répondre
aux frustrations individuelles, dues aux difficultés d'accès
à un développement personnel, mais aussi d'ouvrir
« une brèche symbolique dans l'édifice religieux
mis en demeure par la volonté de plus en plus imposante de l'individu
tendant à l'autonomisation vis-à-vis de sa communauté
« ethnique ». »
Les processus de renversement ou de déplacement ne sont
donc pas seuls en oeuvre, dans le changement produit par la
« conversion » religieuse. Ils accompagnent les
franchissements de frontières et s'accomplissent différemment,
selon les individus, au point même de ne pas apparaître dans la
biographie religieuse du « converti ».
Finalement, si « la conversion est un fait qui
s'inscrit dans le déjà et le pas encore ; le salut est
déjà acquis et pourtant il est encore à
conquérir »33(*), cet état « en
suspension » est aussi celui de la rupture individuelle que le
converti expérimente comme l'abandon d'un état d'existence
ancienne au bénéfice de l'accès à un état
nouveau34(*). C'est donc,
bien ce changement radical qui « engagerait le salut »
même de l'individu postmoderne, et qui se produit selon divers modes.
De la « conversion »
ou des « conversions »
Il existe différents types de « conversion ».
Si les classifications sont diverses, selon les auteurs et les
dénominations, les six modèles définis pas J.-L.
Blaquart35(*) seront
retenus. La « conversion », dite moderne, attirera en premier lieu
l'attention, bien qu'elle soit la sixième dans la classification
empruntée. Car elle consiste en un certain éclectisme par lequel,
l'homme moderne ne veut « plus sacrifier à un ordre
collectif dans lequel il devrait renoncer à son identité
spécifiquement individuelle : cependant, il garde la nostalgie
d'une parfaite harmonie avec son milieu. » L'individu y est
« un « moi » irréductible à
toute norme exogène qui prétendrait décider de son
sort. »36(*) Si ce modèle peut être central pour
notre réflexion, les cinq autres modèles ne peuvent pourtant pas
être mis sous le boisseau. Une conversion religieuse n'est effectivement
presque jamais monolithique, tant sur le plan de la narration faite par le
converti, que par la « réalité » même
de la conversion. Chaque conversion mêle, selon les différents
moments de l'existence spirituelle du converti, des éléments des
différents types de conversions définis comme suit.
La conversion traditionnelle est un retour :
« l'individu qui se convertit vient à résipiscence
[...]. Il restaure le lien qui le retenait à sa culture, rentre dans le
rang, revient au bercail, efface la honte, l'indignité, le
déshonneur, l'exclusion. »37(*)
La conversion rationnelle est une critique :
« elle opère un jugement sur une tradition jusque-là
considérée comme vénérable et sacrée,
vis-à-vis de laquelle elle prend de la distance [...]. La crisis,
rupture par la raison, dédouble la culture : l'opinion et la
science, le mythe et la philosophie, l'illusion et la vérité
[...]. Elle sert une normativité secondaire [...] et place l'individu au
centre d'une conversion qui concerne la culture et ses
normes. »38(*)
La conversion biblique met l'accent sur la
rencontre : « se convertir, dans la Bible, c'est se tourner vers
quelqu'un qui a parlé, et ce faisant, rompre avec des attachements
idolâtriques [...]. Elle ouvre une histoire particulière et
contingente qui fait espérer un avenir inédit [...]. Cette
conversion ne se fait pas sans la décision du croyant, et celle-ci,
jamais définitive et irrévocable, est sans cesse
sollicitée [...] C'est à lui de choisir entre le vrai et les faux
dieux [...] La conversion ne soumet plus l'homme à un ordre collectif
qu'il n'aurait qu'à reproduire, elle lui donne au contraire une
existence et un poids nouveaux par le mandat qu'elle lui confie de rompre avec
le faux. »39(*)
La conversion gnostique est une évasion :
« cette conversion-ci ne fait pas assumer le mal par la culture.
Certes, l'individu n'y est plus tenu comme coupable, puni par son anomie [...].
Il est cette fois victime innocente d'une chute qui a entraîné le
divin dans l'horreur et la pesanteur du monde. C'est sur celui-ci qu'est
expulsé le mal. »40(*)
La conversion évangélique est un
renversement : le converti n'est alors pas « celui qui respecte
la loi et fait valoir ses mérites, mais au contraire celui qui accueille
le pardon inconditionnel de dieu. »41(*)
Partie I
Sociologie et religion
De la dimension religieuse
La religion est par nature un fait social, pour trois raisons,
selon R. Bastide42(*) : par son uniformité, car « il
n'est pas de religion personnelle qui soit tout à fait originale ;
le penseur le plus indépendant vit des idées
traditionnelles. », dans le sens où les
phénomènes religieux subsistent indépendamment des
individus et parce qu'elle est contraignante ; les croyances religieuses
s'imposent du dehors au fidèle et sont sanctionnées juridiquement
parfois, et moralement, toujours. Si donc que le collectif imprègne le
religieux, les facteurs individuels sont autant d'indices du religieux
postmoderne. Pour en apprécier au plus prêt les
spécificités, la théorie de l'échange, celle de
l'interactionisme symbolique/phénoménologie et celle de la
socialisation comme construction sociale, seront l'expression d'un choix d'une
posture exclusive, la pertinence des autres théories.
La religion, du point de vue de la théorie de
l'échange43(*), est
un facteur stabilisateur de la société tout autant qu'un facteur
de conflits. Bien que légitimant, en partie et d'une certaine
manière, l'ordre social existant, elle contribue à des
changements sociaux et à des conflits générateurs
d'innovations importantes, jusqu'à produire des civilisations.
Créateur de civilisations, le religieux participe encore de la
socialisation individuelle et collective, sous des formes postmodernes qui
s'inscrivent dans l'analyse du fondement de l'agir humain, pris à partie
par des systèmes culturels et par la satisfaction postmoderne des
intérêts individuels.
Dans ce cadre, « le système social est un
organisme complexe dans lequel s'observe fondamentalement un échange
intense et permanent entre pulsions et informations, énergie et
contrôle et dispersion et ordre. Cet échange est
régulé à différents niveaux : de celui de
l'adaptation immédiate aux exigences génétiques et
biologiques à celui où il est demandé aux individus
d'intérioriser des modèles culturels et des valeurs
morales. » Il s'agit, alors, de mettre en rapport quatre dimensions
de l'individu : celle du comportement, de la personnalité, de
l'intégration sociale et celle de l'avènement de modèles
culturels, tels que les religions historiques, qui s'acquittent d'une fonction
sociale décisive, qui tient au fait qu'elles pourvoient le
système social d'une source de légitimation, ultime
éthique, qu'aucun autre système ne peut lui donner. D'une part,
garantie d'une intégration sociale, la religion est un puissant
élément de standardisation des actions humaines : comme
cadre social à haut rendement, elle régule et unifie une
quantité d'informations sociétales aussi bien au niveau collectif
qu'individuel. Et, de par sa haute fonction de contrôle, elle permet au
système social même, de lutter contre les insatisfactions, les
crises, les conflits, les déviances, les gaspillages et les paralysies
de certaines parties du système. D'autre part, la religion est un
sous-système aux principes de fonctionnement propres aux
sociétés dites complexes, mais qui apparaît, dans la
société française de la fin du XXè siècle,
dépourvu de sa fonction intégratrice historiquement
identifiée. En effet, sa fonction est devenue plus celle d'un medium de
communication, qui tendrait à rendre tolérable aux individus, un
monde de sens indéterminé. Ainsi qualifié, ce
sous-système, seul à pouvoir proposer des réponses
à des demandes et à des exigences subjectives de sens, sans plus
être intégrateur, ne serait plus qu'interprétatif. Cette
compétence interprétative de la religion, issue du statut de
ressource de significations et de ressource de capacités de
déchiffrage, fait d'elle, un des moyens « d'imaginer uni ce
qui est divisé, et absolu ce qui est relatif »44(*).
En s'appropriant la dimension subjective de l'être
humain dans la société -terrain d'expressivité subjective
et de recherche de signification individuelle-, la religion stimule
fondamentalement, chez les croyants, le sens d'appartenance et
d'adhésion à des objectifs organisationnels religieux et
subordonnerait aux stratégies subjectives individuelles ou collectives,
les objectifs institutionnels du système social décentré.
Dans une société complexe dépourvue de centre, comme la
société française de la fin du XXème siècle,
la religion tiendrait sous contrôle les angoisses, les peurs, les
espérances et les besoins existentiels individuels. Mais, ne pouvant
plus pour autant, être un centre possible, d'un tel système social
« décentré » ou
« acentré », elle est bien facteur de stabilisation
sociale et réduit les contingences psychologique, sociale et politique
subies par les individus.
Sous cet angle, nous avons envisagé certaines
dimensions de la « conversion » religieuse dans la France
ultramoderne.
Dans un premier temps, la théorie de l'échange,
qui considère la religion comme « un bagage de connaissances
et de ressource symboliques cognitives et émotives favorables à
« l'investissement de soi », dans les transactions sociales
et des négociations quotidiennes entre les
individus. »45(*) et qu'elle « appartient au processus
de socialisation, elle y sacralise et y rend indiscutables les
présupposés éthico-moraux de l'échange
social », permettra de tisser, en termes de connaissances, de
transactions sociales et de négociations quotidiennes ce à quoi
ont affaire les « convertis ».
Dans un deuxième temps, l'approche de
l'interactionisme46(*),
pose comme postulat la fragilité et le caractère limité de
l'être humain. Cette fragilité et ce caractère
limités le pousseraient à se mettre en rapport avec les autres
pour survivre, en procédant, à la sélection des modes de
coopération et de transactions sociales, et surtout, à
l'élaboration de représentations symboliques de la
réalité sociale. Cette approche impose à l'esprit une
« mémoire sélective d'actions favorables à
la transaction sociale et pour supporter le « coût »
de la vie » et propose que cet esprit y est également et
de ce fait, le « produit d'interactions sociales et de rapports
de face à face ». La société est, alors une
« construction de l'esprit, donc une représentation dont
les acteurs (individus ou collectifs) ont besoin pour résister aux
pressions du milieu de vie. » Cette représentation est
composée par le sous-système, « religion »,
et fait de la religion un des systèmes de représentation
nécessaire à la construction de l'esprit qu'est la
société. La religion y est « un système de
représentations symboliques élaborées par l'esprit pour
une adaptation des valeurs communes. [Elle] offre un mode de fondation
d'identités propres et une autodéfinition dans l'espace
social. » Quelles représentations symboliques
émergent des expériences de « conversion »
individuelles à l'islam, aujourd'hui ?
Enfin, dans le troisième temps, la théorie
fondée sur la question : comment les individus qui interagissent
dans la société créent-ils une vision du monde ?
affirme que la socialisation, comme construction sociale de la
réalité, conduit chacun à construire différentes
provinces de significations qui permettent, à l'individu, de
gérer les multiples rôles qu'il a à remplir. Parmi ces
provinces, celle de la religion, est un « horizon de
« sens » en mesure de fonder un certain point de vue
d'intersubjectivité qui permet à l'attitude de « donner
pour avérée », l'existence d'un monde ordonné
par un principe transcendantal. » Quelles provinces de sens et
quels principes de transcendantalité sont élaborés dans
l'expérience de la « conversion » à
l'islam ?
Ainsi, considérant, la religion comme bagage de
connaissances et de ressources symboliques, comme sous-système de
représentation sur la base duquel se fonde identités et
autodéfinition de la société et enfin comme horizon de
sens, à la fois, il est permis d'envisager des relations de
l'identité postmoderne avec l'univers du religieux postmoderne.
Religion, « conversion
» et identité individuelle ultramoderne
La question individuelle de l'existence d'une
communauté de destin se pose dans le champ de la postmodernité
qui est balisé par le métissage culturel, estampillé par
la critique radicale de la raison moderne, inquiété par la crise
générale du futur et fasciné par le développement
accéléré des technologies liées à la
diffusion de l'information. La mise en commun d'un drame personnel,
l'acceptation des limites identitaires et la reconnaissance identitaire sont
alors incessamment recherchées par les individus, jusque dans la mise en
participation de l'espace du religieux.
Dans un premier temps, à l'ombre d'un tel
« désenchantement du monde »47(*), construire une
identité individuelle économique, culturelle, familiale et
politique est une préoccupation lancinante et très mobilisatrice,
du fait, que « les identités sont de moins en moins
attribuées et immuables »48(*). Construire, alors, « une
identité à contenu religieux peut apparaître comme
un moyen de garder la maîtrise du rapport à la
société de consommation sans sombrer dans la marginalisation et
le désespoir ».49(*) Mais, si une telle construction identitaire
permettrait à l'individu d'intégrer le rite et l'interdit,
à son histoire personnelle, afin qu'il structure ses limites
identitaires et subjectives dans le processus de reconnaissance, dans un
contexte où la religion, « dans l'optique postmoderne, ne
s'oppose pas à la raison moderne »50(*), l'individu, est
devenu un « sujet religieux qui oscille entre tradition
et modernité et qui opte pour les croyances du passé
tout en se laissant séduire par les valeurs attrayantes de la
modernité. Ce choix amphibologique marie les valeurs modernes et les
traditions. »51(*) L'enjeu postmoderne de la religion est de rendre
possible de jouer avec les limites, afin de se dégager de positions
fâcheuses et de « s'y prendre autrement » et
de s'ouvrir à autrui, à la différence et à
l'étranger.
Dans un deuxième temps, être en religion
postmoderne, serait comme un art de vivre, art d'aimer et de mourir, art de
manoeuvrer en situation difficile, et porterait l'individu à un travail
sur soi, à un exercice ritualisant ce qui est en excès en lui et
à un appel d'enchantement de la vie, afin qu'il lui devienne possible de
jouir « dans une agilité
lumineuse ».52(*) Il s'agit également, pour l'individu
« d'appartenir », au sens large. Appartenir, plus
spécifiquement encore, selon la théorie ressource mobilization
theory52(*), (du point de
vue individuel) signifie, procéder ou vivre l'action consistant à
mobiliser une ressource individuelle « sur laquelle investir
l'énergie, à alimenter avec des techniques
adéquates ». Dans ce cadre, l'appartenance religieuse
postmoderne pourrait « être l'acceptation de tout ou partie
de la série de devoirs auxquels [l'individu] se plie
volontairement ou inconsciemment. »
Finalement dans un troisième temps, le rapport au
sacré en société postmoderne semble marqué, d'une
part, par ce que nomme M. Arkoun53(*), « la religion
individuelle », qui révèle du
« besoin de philosopher » et qui spécifie
cette religiosité comme « le besoin des besoins
déjà satisfaits ». Et d'autre part, au vue du
nombre croissant d'individus qui interprètent leur vie et leur mode
d'existence (sans bénéficier d'interprétations
autorisées et extérieures), ce rapport au sacré, et plus
particulièrement le rapport au sacré islamique, est
stigmatisé par un déficit croissant des connaissances religieuses
diffusées et par une différence de plus en plus grande entre ceux
qui connaissent spécialement les contenus et textes religieux et la
masse des simples fidèles.54(*) Le changement de religion ou la conversion à
l'islam revêtent, pourtant, de moins en moins le caractère
extraordinaire, dû à la rupture totale avec l'univers social
précédemment fréquenté.
En effet, en suivant la théorie que développe M.
Wieviorka55(*),
basée sur le concept du « triangle de la
différence », participer, du point de vue individuel, à
la vie sociale postmoderne et à la modernité,
« c'est être de moins en moins appelé à se
conformer à des normes et à des rôles
prédéterminés. »56(*) Car, les valeurs postmodernes
dominantes sont plus la flexibilité, l'acceptation du risque et de la
complexité, l'incertitude, la disponibilité pour une
communication permanente, la capacité de se déplacer, et de
changer de métier, de lieu de travail et d'entreprise. Dans ce contexte,
le sujet, soucieux de son autonomie, de sa liberté et de sa
responsabilité personnelle et l'individu, participant de la
modernité, « entrent en conflit avec tout principe
d'identité »57(*). Car, cette dernière qui n'est plus
définie en termes d'adhésion à « des utopies
globales », ne peut, pourtant, s'élaborer sans une
stabilité, sans une certaine rigidité et sans une
fidélité qui délimitent et établissent
« un univers où ce qui advient est relativement
prévisible [...] et où les conduites peuvent par
conséquent être orientées par des valeurs qui ne bougent
pas en permanence. » Il s'agit, donc, pour les individus de
vivre avec ces conflits, de les gérer et surtout de s'y retrouver en
tant que tels et dans leurs relations aux collectifs. Et il est, alors,
question d'accomplir une véritable mobilisation identitaire qui
procède de la recherche de moyens, dont le religieux, pour, d'une part,
incarner la « liberté sans contenu
spécifique » et d'autre part, « être
à la hauteur des revendications multiples qui se cristallisent en
soi »58(*).
Si ainsi, le religieux est de ces moyens propres, saisis par
l'individu postmoderne, pour tenter ce type de réalisation, la
mobilisation identitaire, productrice de sens par lequel l'individu pourrait
être soulagé, lui permettrait de pouvoir se dégager du
système social, afin d'acquérir une appartenance originale, qui
marque une distance envers la modernité et fait de lui un
« individu ». Cette distanciation favoriserait, à
son tour, la mise en oeuvre d'une réflexivité propre à la
subjectivité en le réalisant comme « sujet ».
Cette réflexivité et cette subjectivité éviteraient
à l'individu la rupture sociale, et lui permettraient de se socialiser
pleinement, sur la base d'affects et de perspectives religieuses et de
développer son « identité collective ». La
triangulation individu-identité collective-sujet fonctionne, alors,
grâce à la dynamique du choix individuel, dynamique qui s'exprime,
également et plus particulièrement, dans le domaine du
religieux.
Choisir sa religion répond ainsi aux trois dimensions
de l'individu postmoderne :
individu-identité collective-sujet, qui en tendant à
satisfaire les besoins de ses trois élans interactifs pourrait lui
permettre de vivre une identité unifiée et de façon
originale, de se mettre en jeu sur trois niveaux, pour entrer,
individuellement, en relations avec les univers de la croyance et/ou de
l'expérience religieuse et/ou de la pratique religieuse. Que sont ces
univers et comment s'articulent les uns avec les autres ? Comment les
individus « convertis » vont-ils les fréquenter, les
valoriser et en construire leurs identités ?
De la
religiosité : trois dimensions
La religiosité est avant tout une
« manifestation de formes concrètes, empiriquement observables
au travers desquelles, acteurs individuels ou collectifs expriment diverses
dimensions de la religion. »59(*) Elle met l'accent sur l'investissement individuel
dans les relations d'échanges, sur l'élaboration de soi et
l'apprentissage de l'adaptation à la vie et sur le sens à donner
pour chaque individu en état d'intersubjectivité à
l'existence, et peut être envisagée comme la coordination de trois
dimensions, interdépendantes. La croyance fait écho au
« bagage de connaissances et de ressources symboliques »
d'Homans, l'expérience religieuse, elle, est du ressort des rapports
philosophiques de soi à la société et la pratique
religieuse, finalement, dégage, plus particulièrement, les
aspects concrets et exprimés entre les acteurs, dans le cadre du
collectif.
Grâce à la recherche anthropologique de l'origine
des formes de croyances religieuses, les dimensions du croire religieux ou de
la croyance ont pu être identifiées sur deux plans, celui des
besoins structurels de l'être humain et celui des stratégies de
satisfaction des besoins du premier. Les stratégies de satisfaction sont
anthropologiquement sédimentées dans l'espèce et
utilisées au cas par cas, par les individus pour construire des
systèmes culturels complexes ou des constellations de valeurs
socialement diffusées.
La croyance est, d'une part, une forme de connaissance
individuelle, autonome et distincte de la connaissance rationnelle qui peut
être ou non verbalisée. C'est l'individu qui lui confère
« un plein assentiment rationnel et
émotif »60(*). Elle est ainsi fondée sur une forme
d'intuition, fruit de la participation active des interrelations entre croyance
et expériences religieuses. D'autre part, la croyance est l'ensemble des
attitudes individuelles en relation avec un être supérieur ou avec
une puissance perçue comme transcendante ou mystérieuse et une
relation et un « croire en » qui indiquent une
reconnaissance de soumission, d'une limitation et d'une impuissance de
l'être humain vis-à-vis d'un « être »
puissant, lumineux et plein de vérité. Cette reconnaissance
fondamentale porte la connotation « verticale » de la
relation par laquelle les individus mettent en ordre leurs systèmes de
connaissance, la connotation « horizontale » de la
relation. L'ensemble des principes de ces systèmes de connaissance est
dérivé de la relation de croyance fondamentale sur la base
desquels les individus acquièrent une explication des ordres social et
cosmique61(*).
Les individus tendent, dans le cadre des cinq dimensions de la
croyance postmoderne identifiées62(*), à fonder l'authenticité de leur(s)
croyance(s) en termes psychologiques et en termes sociaux. Ils peuvent
rationaliser leur(s) croyance(s) et la(les) faire devenir une partie vitale de
l'agir quotidien ou ils peuvent adhèrer à une institution plus ou
moins stable, garantie dans le temps et l'espace de la continuité et de
la présence significative. Ces compositions donnent à distinguer
quatre grands types de croyance : la superstition, le dogmatisme, le
fondamentalisme et le mysticisme.
La deuxième dimension de la religiosité,
inséparable de la première, est l'expérience religieuse
dont l'instrument de mesure est le sacré63(*) comme double catégorie de termes. Cette mesure
s'établit en fonction de quatre types de variables.64(*) L'expérience religieuse
est une expérience dé-structurante créatrice d'un nouvel
ordre de pensées et de valeurs qui survient à un moment
précis de la vie individuelle. Elle donne lieu à des attitudes et
des comportements plus structurés et est un fondement de structuration
de l'individu. Dans le cadre de cette expérience, l'idée de la
force puissante à laquelle renvoie la notion de sacré, est
perçue comme mystérieuse et inquiétante.
L'expérience religieuse touche donc l'individu sur le plan strictement
personnel et sur le plan collectif. Elle est immédiate,
influencée par le désir d'immortalité, par la peur de la
mort, par le besoin d'être aimé et d'aimer et par le besoin de
connaître le monde et ses origines. Ce qui la met en relation directe
avec ce qui est pointé par M. Arkoun et M. Wievorka
précédemment. Si l'expérience religieuse est intimement
liée à la croyance, la pratique, elle n'est pourtant pas
systématique chez tous les croyants.
La pratique religieuse est la « mise en acte par un
croyant d'un ensemble de prescriptions rituelles plus ou moins
institutionnalisées plus ou moins imposées pour que
l'adhésion à la croyance soit visible et
vérifiable. » Pour qu'il y ait pratique religieuse, il faut
qu'il y ait non seulement croyance, mais aussi expérience religieuse et
il faut pouvoir identifier l'existence d'une autorité, d'un dispositif
de rituels et celle d'un corps de spécialistes. Si la pratique
religieuse est un bon indicateur d'appartenance, la pratique religieuse
invisible peut être néanmoins plus intense que sa
visibilité. En effet, dans la pratique religieuse, l'on
expérimente le degré de contrainte collective, exercée par
le contexte socio-religieux plus large alors qu'elle exprime également,
par la fonction fondamentale et originelle, une certaine expérience, une
certaine croyance et d'autres fonctions politiques et culturelles.
La pratique religieuse est une aune de mesure et de
matérialisation sociologiques de la religion, sous quatre angles :
le mysticisme naturel, l'expérience religieuse, la religion de salut
politique pour laquelle être religieux signifie être engagé
et la religion comme une religiosité sobre, spontanée,
fraîche et non contaminée culturellement.
Selon la définition de l'expérience religieuse,
la conversion religieuse est bien une de ces expériences, mais elle a
entre autres de particulier d'être objet de récit. Qu'elle est la
particularité du récit du choc biographique de la conversion
religieuse ?
Partie II
Le récit de
l'expérience religieuse de la « conversion »
De La « conversion » selon
René Guénon ou comment jalonner les intuitions d'une
réalité sociologique
R. Guénon65(*) est jusqu'à présent un intellectuel
incontournable lorsque le sujet de la conversion à l'islam est
abordé. « Cas spirituel »66(*), ce n'est, pourtant, qu'au
détour de sa pensée que l'on découvre qu'il fut musulman.
Il s'est en effet relativement moins intéressé à l'islam
qu'aux « vérités universelles ainsi qu'aux
règles symboliques et aux lois cycliques qui régissent leur
adaptation traditionnelle. »67(*) En effet, « l'islam apparaît dans
l'oeuvre de R. Guénon par ce qu'il a en lui de plus essentiel et
transcendant, et donc de plus universellement traditionnel » et
que l'intention majeure de son oeuvre « est, à la faveur
d'une reprise de conscience des vérités les plus universelles et
les plus permanentes, de rappeler l'Occident à sa propre
tradition. » Certaines de ses réflexions s'articulent
autour des deux notions de la « conversion » et de
l'individualisme auquel il a donné une importance prémonitoire.
Ainsi, le philosophe considère d'une part, que la
« conversion », au sens large, est avant tout une
transformation intérieure, et qu'au sens islamique ensuite, elle
« implique à la fois un « rassemblement »
ou une concentration des puissances de l'être, et une sorte de
« retournement » par lequel cet être passe
« de la pensée humaine à la compréhension
divine » ». Elle est également « le
passage conscient du mental entendu dans son sens ordinaire et individuel, et
considéré comme tourné vers les choses sensibles, à
ce qui en est la transposition dans un sens supérieur
[...] »68(*) Pas
de cheminement spirituel, donc, sans « conversion ». R.
Guénon estime qu'elle est « une phase nécessaire dans
tout processus de développement spirituel ; c'est, donc,
insistons-y, un fait d'ordre purement intérieur, qui n'a absolument rien
de commun avec un changement extérieur et contingent quelconque,
relevant simplement du domaine « moral » comme on a
trop tendance à le croire aujourd'hui (et l'on va même, en ce
sens, jusqu'à traduire metanoia par « repentir ») ou
même du domaine religieux et plus généralement
exotérique. » Le sens vulgaire du mot, lui,
« désigne uniquement le passage extérieur d'une forme
traditionnelle à une autre, quelles que soient les raisons par
lesquelles il a pu être déterminé, raisons toutes
contingentes le plus souvent, parfois même dépourvues de toute
importance réelle, et qui en tous cas n'ont rien à voir avec la
pure spiritualité. »69(*) Pour ceux « qui pour des raisons d'ordre
ésotérique ou initiatique, sont amenés à adopter
une forme traditionnelle autre que celle à laquelle ils pouvaient
être rattachés par leur origine, soit parce que celle-ci ne leur
donnait aucune possibilité de cet ordre, soit seulement par ce que
l'autre leur fournit, même dans son exotérisme, une base mieux
appropriée à leur nature, et par conséquent plus favorable
pour leur travail spirituel. C'est là pour quiconque se place du point
de vue ésotérique, un droit absolu contre lequel tous les
arguments des exotéristes ne peuvent rien, puisqu'il s'agit d'un cas,
qui, par définition même, est entièrement en dehors de leur
compétence. » Il s'agit de la manifestation « d'une
raison de convenance spirituelle, qui est tout autre chose qu'une
« préférence » individuelle, et au regard de
laquelle toutes les considérations extérieures sont parfaitement
insignifiantes » Les autres cas concernent « les hommes
qui, parvenus à un haut degré de développement spirituel,
peuvent adopter extérieurement telle ou telle forme traditionnelle
suivant les circonstances et pour des raisons dont ils sont seuls juges [...].
Ceux-là sont, par l'état spirituel qu'ils ont atteint,
au-delà de toutes les formes, de sorte qu'il ne s'agit là pour
eux que d'apparences extérieures, qui ne sauraient aucunement affecter
ou modifier leur réalité intime ; ils ont [...]
réalisé dans son principe même, l'unité fondamentale
de toutes les traditions. »
Pourtant, philosophiquement, R. Guénon indique que
« d'une façon tout à fait générale, nous
pouvons dire que quiconque a conscience de l'unité des traditions, que
ce soit par une compréhension simplement théorique ou à
plus forte raison par une réalisation effective, est
nécessairement, par là même,
« inconvertissable » à quoi que ce
soit. »70(*)
Cela permet de s'interroger sur ce qu'est cette
« conversion » pour chaque individu, tant du point de vue
sociologique que du point de vue religieux.
D'autre part, l'individualisme selon R. Guénon,
« c'est la négation de tout principe supérieur à
l'individualité, et, par la suite, la réduction de la
civilisation, dans tous les domaines, aux seuls éléments purement
humains [...] »71(*) Il insiste encore sur le fait que
« l'individualisme implique tout d'abord la négation de
l'intuition intellectuelle, en tant que celle-ci est une faculté
supra-individuelle, et de l'ordre de la connaissance qui est le domaine propre
de cette intuition, c'est-à-dire de la métaphysique entendue dans
son véritable sens. »72(*) Pour préciser que « qui dit
individualisme dit nécessairement refus d'admettre une autorité
supérieure à l'individu, aussi bien qu'une faculté de
connaissance supérieure à la raison
individuelle. »73(*) Il semble alors qu'il n'est pas concevable d'aborder
les phénomènes d'individuation et d'individualisation dans la
société française postmoderne sans cette notion
d'individualisme que R. Guénon rend responsable du déclin de la
vie religieuse dans la France contemporaine, car, c'est justement au nom de
l'individuation que les individus composent et revendiquent leur
« conversion ».
Pas de « conversion » sans
narration : la « conversion » est une histoire
intérieure, individuelle et sociale
Le récit de l'expérience religieuse de la
« conversion » se situe à la croisée des
thèmes de la biographie, du renouvellement postmoderne de l'explication
de soi, de l'exercice du témoignage spirituel et de la reconstruction
pour interpréter un avant et après existentiels.
Le récit de soi de façon autobiographique ou par
un tiers est le plus souvent, construit sur deux axes complémentaires.
D'une part, l'axe subjectif fait du récit biographique de
« l'identité [...], une narration d'un type
particulier. C'est le récit de la façon dont je suis devenu ce
que je suis [...], il s'agit d'une narration fondée sur le
souci de l'image de soi. » D'autre part, l'axe intersubjectif
met en avant « la capacité à reconfigurer notre
histoire de vie -le récit de vie devant donc continuellement être
refondu au moule de l'expérience- [comme étant] le signe
de la préoccupation intense du monde
extérieur. »74(*) Le récit manifeste et nécessite, donc
« la re-narration perpétuelle, acte de
réflexivité individuel, [comme] l'indication d'un
processus marqué de formation d'identité. » Cette
« élaboration identitaire »
démontre, au sein du récit, que « la
capacité à établir des renvois est bien plus importante
que la nature de ceux-ci. »75(*)
Comme « chaque conversion ressemble à celui
qui la subit »76(*) et que « l'époque contemporaine voit
le triomphe de l'autobiographie dans les domaines des récits, des
mémoires diverses, de l'expérience de prise
d'otage »77(*),
le récit de « conversion » ne peut ici être
contourné. En effet, « la mobilité et
l'incertitude » qui règnent dans la société
actuelle, dans tous les domaines de la vie, encourageraient, d'une part
« les gens à rééxaminer constamment leur
récit de vie et à renouveler leur explication de soi au
gré »78(*) des expériences. D'autre part, parce que
« l'identité relève d'un processus de
négociation, dans le monde extérieur, de sa propre image de soi,
intériorisée, et [que] cette activité délicate
s'exerce le plus souvent sur plusieurs fronts
simultanément »79(*), il est incontournable d'envisager la
« conversion » religieuse, sans son récit, qui en
fait comme une histoire de vie perpétuellement négociée.
Il semblerait qu'au début du XXème
siècle, les récits de « conversion »
prouvaient l'acuité de l'inquiétude religieuse à l'oeuvre
en cette période. Qu'en est-il aujourd'hui ? Quels sens peuvent
avoir ces récits de conversions ? Si le récit a pu devenir
un véritable exercice spirituel, biographie spirituelle et
témoignage personnel, il a été l'expression d'une
obéissance et d'un renoncement, pour P. Claudel80(*). Le récit de conversion
transforme néanmoins « la quête de soi en expression
de soi. [Il est] une histoire de l'âme, de l'action de dieu dans
cette âme. »81(*) Mais, « tout en avouant le besoin de
l'aveu, du témoignage, Massignon avoue que le récit est
impérieusement
« édifiant ». »82(*) Dans certains cas, il est
même évoqué comme le moyen d'exorciser le mal.
Le récit de « conversion »
s'inscrit encore aujourd'hui, dans cette expression autobiographique et
biographique. Le but du récit de l'expérience religieuse de la
« conversion » est double, satisfaire d'une part, le
« désir d'édification et de diffusion de la
« foi nouvelle » et accomplir une
« confession » ». Ce souci
d'exemplarité dégage la simple confidence et lui donne une
portée universelle. Pourtant, le récit écrit ou oral
soulève la problématique de l'inévitable
« rétrospection » de la mise en quête des
causes profondes d'un parcours. Le plus souvent, un récit écrit
est constitué de trois étapes. La première explicite
l'origine du cheminement, comme « la conversion avant la
« conversion » ». La deuxième
décrit la quête et la troisième « montre la
(lente) conquête de la foi », Dans la première, le
converti traduit le « mécontentement de soi et
l'insatisfaction douloureuse » qui le poussent, et c'est la
deuxième étape qui la narre, à la
« recherche de réponses aux troubles
décelés », à la
« démonstration de l'impuissance des autres
systèmes de pensée et la valeur de ce qu'il a
choisi. »83(*) Le sens et le « fil du
récit » sont présents dans les cassures et les
explications que l'on en donne84(*). Dans le tracé de vie du
« converti », il y a une infidélité, traduite
à un certain moment en une fidélité nouvelle, relativement
stable, parfois définitive. Il y a un avant et après, dont le
constat se produit dans le récit de « conversion ».
Dans la différence qui marque ces deux temps, « chercher
des raisons claires et conscientes dans l'après pour expliquer
l'avant » 85(*) est vain. Car, lors du récit qui est
déjà une reconstruction, pousser les individus à trouver
ces raisons, les entraînera à forcer le trait de
l'interprétation, à rechercher des raisons et des motivations en
reconstruisant un « avant
« conversion » » à la lecture de
l'« après « conversion » », et
ce, le plus souvent dans le champ du mysticisme, ajoutant
« inconsciemment » ainsi au mystère de leur
changement. Gardons à l'esprit avec S. Allievi que
« l'écoute des récits de
« conversion », avec leur ré-élaboration
ex-post toujours tellement « évidente » [...]
devient immédiatement suspecte aux yeux du
chercheur. »86(*) Qu'en est-il des récits de
« conversion » à l'islam en France
postmoderne ? Sont-ils soumis aux mêmes contraintes et aux
mêmes vigilances ?
Des récits de « conversion » à
l'islam
Pour certains, le passage d'une croyance à une autre,
peut être une manière de se mettre en scène et d'aborder un
répertoire dont les médias se font complaisamment l'écho,
même en négatif, comme dans le cas de l'islam. Les récits
de « conversion » peuvent se conformer assez souvent
à des modèles littéraires et à des
itinéraires emblématiques, comme ceux des plus connus comme R.
Guénon, Eva de Vitray Meyerovitch87(*) ou encore de Vincent Mansour Monteil et des plus
médiatisés, comme Malcom X, Mohammed Ali, et autres stars du
sport ou du show-business. Quoiqu'il en soit, ces récits de
« conversion » à l'islam n'échappent pas aux
spécificités des autres récits de
« conversions ». En revanche, on ne se dit sûrement
pas musulman de la même façon à l'heure actuelle qu'au
début du XXè siècle88(*) ou encore de la façon dont cela a pu se faire
dans les années soixante. Pourtant, le « converti »
à l'islam emprunte aux musulmans sociologiques, le vocabulaire qui lui
permet de se dire musulman. Celui qui narre son expérience religieuse de
« conversion » à l'islam, semble s'accorder un
statut de locuteur autorisé à dire l'islam, tout en se
défendant d'appartenir à la catégorie des savants en
matière religieuse islamique. La question de la reconstruction et de la
ré-élaboration du cheminement se pose de la même
façon, dans ce cadre que dans ceux des autres types de
« conversions » religieuses.
Partie III
La conversion à
l'islam
De l'islam en Occident
Comme « les déterminants qui
déclenchent la conversion diffèrent d'une époque à
l'autre, d'un pays à l'autre et même d'un individu à
l'autre »89(*),
connaître ce que furent des conversions à l'islam, la situation de
l'islam en Occident et les thématiques individuelles nous permettra de
dégager les dimensions qui ont lieu de se développer dans la
société postmoderne et de faire les distinctions les
différents angles d'élaborations des
« conversions » contemporaines.
L'islam n'a jamais été une entité
structurée et cohérente, comme toutes les civilisations
traditionnelles, il fut multiple et divers. Phénomène complexe,
l'islam a d'une part, entretenu des relations avec l'entité Occident, de
croisements, de rencontres et de fécondations mutuelles actives dans le
théâtre commun de la Méditerranée, au point d'avoir
« été à l'intérieur de l'Europe, il est
interne à l'Occident. »90(*) D'autre part, « l'islam est pluriel,
les formes qu'il a pu prendre historiquement sont variées, les
réalités géo-culturelles qu'il a embrassées sont
extrêmement diverses » ce qui permet de
« considérer que l'islam des origines contient de nombreux
principes parfaitement compatibles avec l'éthique
laïque. »91(*)
Qu'est ce qui caractérise l'islam en Occident
aujourd'hui ? Sa présence en Europe, en France, en ce début
de XXIème siècle, n'est pas le produit d'une conquête, mais
le fruit de déplacements historiques, politiques et sociologiques de
populations. Il se veut d'abord et d'emblée
« désincarné » culturellement ou socialement.
Effectivement, il refuse d'être une religion
« ethnique » et l'expression d'une culture d'importation.
Enfin, sa situation minoritaire en Occident, qui n'est pas inédite, a
l'originalité de faire vivre à l'univers musulman traditionnel
ainsi implanté, les affres et les merveilles de la mondialisation,
autant que tous les autres univers religieux en présence. S'il est vrai
que l'on identifie des phénomènes de réislamisation au
sein des populations traditionnellement héritières de l'univers
spirituel islamique, ils accompagnent plus qu'ils ne s'opposent aux processus
d'acculturation qui traversent les sociétés occidentales
postmodernes. Cette réislamisation, en tout cas dénommée
comme telle, est en fait l'expression de « la conscience que
l'identité musulmane, jusqu'ici simplement considérée
comme allant de soi, parce que faisant partie d'un ensemble culturel
hérité, ne peut survivre que si elle est reformulée et
explicitée en dehors de tout contexte culturel spécifique, qu'il
soit européen ou occidental. »92(*) Cette réislamisation
pour les uns et cette « islamisation » pour les autres, les
quelques rares convertis, « est liée à la
volonté de définir un islam universel [...] dont la
fragilité et l'historicité deviennent soudain
évidentes. »
L'islam : quelques éléments
Quels sont les particularismes de la foi et de la pratique
islamiques ? Le thème central de la solidarité permettra,
d'une part, d'envisager succinctement les aspects individuels et collectifs mis
en oeuvre dans la croyance islamique. D'autre part, quelques points essentiels
de « théologie » islamique seront exhaustivement
présentés.
Monothéisme révélé et religion
du Livre, l'islam est avant tout une attitude. « Cette attitude
fondamentale existentielle de gratitude [...] contient un principe de
réalisme : l'acceptation respectueuse par l'homme de sa personne,
d'autrui, de l'univers et de la dimension transcendante --donc pas
immédiatement perceptible-- de la Source d'où découle leur
signification ultime.[...] Il veut être une attitude de confiance
réaliste et non une foi aveugle. »93(*) L'islam est également
un acte : « l'acte d'islam se présente en même
temps comme acte de foi et obéissance, mystique et éthique :
l'acte d'islam, acte existentiel et conscience d'une relativité
foncière, est aussi bien abandon de soi confiant qu'obéissance
à une interpellation éthique
irréductible. »94(*) Foi, attitude et acte, l'islam « est un
façon de vivre générale, impliquant conviction et
action. »95(*)
Du point de vue normatif, dans un premier temps,
« la tradition religieuse coranique [a] un caractère normatif
en tant qu'héritage immuable et sacré transmis de
génération en génération alimentant la vie
privée et publique. »96(*) En islam, comme en calvinisme, « le salut
doit commencer à être conquis dans ce monde, le travail, la
profession et la capacité d'entreprendre sont mises en
avant. »97(*) La
croyance collective qui se manifeste dans l'appartenance à la
communauté de fidèles unique et globale de la Umma,
conçoit la société comme une société
d'égaux. Modèle parfait de collectivité harmonieuse, cette
communauté est fondée sur la parole révélée
du Prophète Mohammed. L'islam porte donc l'idée d'accomplissement
historique et de conclusion de l'évolution humaine, bien que
paradoxalement, selon les auteurs consultés, il « fournit un
dispositif mental d'une capacité extraordinaire d'assimilation hors des
frontières du monde arabe primitif et de réélaborations
originales et d'une incapacité structurelle
d'assimilation. »98(*) Dans un deuxième temps, selon l'approche
marxiste, l'islam est facteur de stabilité sociale, certes, mais est un
frein à l'émancipation économique.
La notion de solidarité, retenue par les sciences
sociales entre autres, est « éminemment
religieuse », car elle « exprime la vocation
spirituelle unitaire de l'islam et la vertu sociale collective de son
message. » Elle permet d'envisager l'intersubjectivité
postmoderne sous l'angle tant de l'appartenance, que sous celui de la
responsabilité individuelle et sous celui de la fierté de soi,
dans une société qui prône, comme en France, les valeurs
d'égalité et de fraternité auxquelles l'individu devrait
pouvoir avoir un plein et entier accès.
Les différents niveaux d'expression de la vocation
unitaire en islam s'articulent autour de deux grandes thématiques :
L'islam, comme religion de la justice sociale, base ses principes
d'économie par la zakât99(*), sur la solidarité sociale et la
Umma100(*). Comme
communauté humaine idéale, il recèle une double dimension
de solidarité, spirituelle et sociale.
Le sens de la solidarité se traduit en sept points dans
les obligations cultuelles : « en combinant spirituel et
vécu, en reliant le monde à Dieu, en affirmant son approbation
sans réserve à la Loi divine et à l'Unité absolue
du Créateur (al-shahâda), le croyant se déclare
volontairement solidaire de tous les autres croyants et intériorise
profondément cette solidarité qui va jusqu'à la fusion
avec »,101(*)
la Umma.
· La prière, elle, « relie
le fidèle aux croyants et l'intègre au monde universel. Elle lui
confère sa dignité par une vision transcendantale de sa nature.
De ce fait, elle exige, corollairement, l'humilité des gestes simples et
identiques » accomplis par les musulmans, ensemble, quel que soit
leur rang social. La prière exprime l'unité et la
cohésion, l'unité spirituelle des croyants entre eux, et du
croyant lui-même et la solidarité dans la foi.
· L'aumône (al-zakât), obligation
éminemment religieuse est un acte d'assistance sociale et un droit
réciproque à vocation solidariste.
· Le rôle social de la Mosquée,
lieu de prière et de communion, est aussi un espace où les plus
démunis viennent trouver refuge et soutien.
· Le jeûne (al-siyâm) est
fondamentalement un acte de solidarité envers les pauvres et envers
l'ensemble de la Umma. Il est un des fondements du solidarisme et de
l'égalitarisme. Epreuve de retenue du corps, de raffermissement de la
volonté, de libération de l'homme de ses passions et purification
de sa spiritualité.
· Le pèlerinage (al-hajj)
représente la plus explicite solidarité communautaire. Il
réunit sans distinction de classes, de race d'ethnies ou de coutumes,
dans une égalité parfaite, les membres de la Umma qui peuvent le
faire financièrement et d'un point de vue de santé. Il est la
preuve de l'unité communautaire mythique et est l'expression
unificatrice et solidariste de l'islam. Il est le lieu de brassage
d'idées, de revendication alternative dans le cadre du rêve de
l'unité que tous courants religieux prônent.
· Le jihad, de la racine arabe J. H. D.,
signifie l'effort personnel à accomplir constamment par le musulman pour
respecter l'éthique et la morale religieuses, être solidaire de
ses proches et à participer à la rénovation intellectuelle
et morale incombant à la communauté. Affirmation d'une
appartenance communautaire et d'une défense de l'unité du
Dâr al-islam, il tient de l'idée du devoir universel de
solidarité organique de la Umma.
Les vertus individuelles, selon le Coran, code éthique,
sont la justice, la charité, la solidarité comme bases de la
sociabilité. Le devoir de solidarité prime sur le droit
individuel. La vertu sociale essentielle est collective plus
qu'interindividuelle. Tout acte social est une expression de la foi
intérieure (al-imân) et est une reconnaissance de
l'individu, de sa raison et de sa
« liberté ».102(*)
Si l'islam est une attitude, c'est aussi l'enseignement d'une
pratique du salut, fondée sur la foi en Dieu et en son Livre qui est sa
loi. Dans ce cadre, le musulman reçoit le Livre pour le goûter et
pour l'analyser. Il se doit de faire un effort pour le prendre et le lire, avec
le plus d'exactitude possible. Dieu, en Islam, est par essence
transcendant : il n'est assimilable à rien, ni aux choses, ni aux
gens. Il est suprêmement créateur, et sa création ne peut
en aucun cas lui être comparée. Aussi proche qu'il soit de
l'homme, il lui reste néanmoins irréductiblement
extérieur. Et « c'est par structure ontologique
fondamentale qu'il y a, dans l'islam séparation entre le spirituel et le
temporel, entre l'être spirituel et les êtres temporels. [...] En
islam, la distinction entre l'Etre et les êtres est
radicale. »103(*) Comment entre-t-on alors en islam, dans la France
postmoderne ? Comment change-t-on de système religieux ?
De La conversion à l'islam dans la
société postmoderne
« Se convertir pour entrer dans un groupe
majoritaire qui détient le pouvoir, ce n'est pas se convertir pour
entrer dans un groupe minoritaire et disséminé. » Les
conversions à l'islam s'inscrivent dans la seconde situation et ne
concernent qu'à peine 100 000 individus, en France au XXIème
siècle.
Comme l'islam contemporain est aussi divers que l'islam
historique, ses particularités, en France postmoderne, peuvent
être classées sur trois niveaux. D'une part, transplanté,
l'islam est minoritaire bien que quantitativement évalué comme la
seconde religion du pays. Et, d'autre part, le groupe des musulmans est
plutôt considéré comme méprisé et
dévalorisé. Ses membres, le plus souvent immigrants sont
largement représentés socio-professionnellement, au bas de
l'échelle sociale. Les relations inédites de l'islam et du monde
chrétien en terre de sécularisation et d'oecuménisme
ambiant, favorisent une double et contradictoire perception : l'islam est
en France un rival et allié. Les évènements internationaux
depuis plus de vingt ans, de la révolution iranienne, en passant par le
conflit israëlo-palestinien jusqu'à l'attentat du 11 septembre
2001, contribuent également à ces sentiments d'attraction et de
répulsion dont le voisinage historique des mondes chrétien et
musulman ont toujours été empreints. L'islam est donc, non
seulement, une « réalité qu'on ne peut
désencastrer des autres dimensions de l'action sociale
globale »104(*) française, mais aussi une
réalité dont la transnationalisation « qualifie
d'une manière significative la présence des musulmans sur le
continent. »105(*)
Du point de vue plus interne à l'islam en France, il
est possible d'observer d'une part que les conséquences de
l'occidentalisation du monde le soumettent aux effets de la modernité,
inconsciemment ou non, passivement ou non, le tenant dans « un
entre-deux, entre la perte de ce qu'il fut et dans l'attente infinie de ce
qu'il sera. »106(*) Il s'agit alors avec F. Khosrokhavar de
constater que l'islam en France, en un demi siècle, à subi une
mutation : de religion de l'extérieur, il est devenu religion de
l'intérieur. Cette mutation induit d'autre part, ce qu'affirme S.
Allievi107(*) que « l'islam en Europe est
affaire d'individus. » La communauté musulmane est, en
effet, « une réalité qu'il faut
éventuellement construire, inventer au sens propre du terme. Son
présupposé est celui d'une adhésion individuelle et
volontaire. » Ce qui lui est en soi une nouveauté, car
dans les pays d'origine, l'appartenance à l'islam est « un
fait héréditaire social de clan ou d'ethnie. » En
Europe, par la logique individuelle qui dégage l'islam de son statut
communautaire, culturel et social, l'on est musulman « parce que
justement l'on n'est plus ni arabe, ni turc, ni persan. » Les
convertis eux n'ont jamais été qu'européens.
En France, si l'appel à l'islam s'accomplit, c'est
« en référence à un universel
alternatif »108(*) à celui de la société
française et, surtout à celui de la mondialisation, perçue
comme dominante. Au sein des musulmans eux-mêmes, il y a donc
« une transaction culturelle »109(*) dont les
« convertis » bénéficient plus facilement. En
effet, ils y participent sur les deux versants. Sur le versant de l'islam, ils
ont un « fonds culturel islamique égal voire
supérieur à celui de leurs homologues de la seconde
génération »110(*) (ce qui tend néanmoins à
s'atténuer depuis quelques années sur certains types de
connaissances). Sur celui de la société française dont le
cadre de « référence est laïque et
pluraliste »111(*), ils connaissent ce cadre de l'intérieur,
pour y avoir été éduqués et pour le vivre. Ils en
connaissent les implications, les contraintes et les opportunités.
Se convertir à l'islam implique, certainement dans un
tel contexte, d'une part, de lutter contre la certitude que le
« converti » est en passe de déchoir socialement,
politiquement et éthiquement, ce qui diffère des
« conversions » à l'islam dans les époques
antérieures. Et, d'autre part, d'envisager l'islam des
« convertis » comme étant toujours une option
à l'intérieur d'une ample phase de transformation individuelle.
En effet, selon « les éléments constitutifs d'un
modèle de conversion à l'islam des origines, selon l'islam
sont une entrée dans l'islam conçue non, comme un
événement révélateur, mais comme un
événement promoteur de changement, une instruction religieuse qui
peut se situer « après l'entrée en islam »,
un changement intérieur qui doit s'accompagner d'un changement
extérieur, complémentaire et même pouvant le
précéder puisque le corps n'est pas
« expulsé » en dehors du domaine de la
religion. »112(*)
Enfin, se convertir à l'islam implique un changement
particulier de système religieux. Passer du christianisme à
l'islam consiste, en effet, à changer, entre autre, de texte, mais et
surtout, à changer de système de lecture. Les messages de l'un et
l'autre sont différents, mais la lecture coranique ne peut s'accomplir
comme celle de la Bible, de théologie historisante. Ce sont les
Evangiles qui seraient les plus semblables à la Sunnah, les
difficultés de lecture seraient alors moins grandes.113(*)
C'est pourquoi, « les convertis doivent [au
contraire de la première génération de l'islam migratoire]
justifier avant tout à leurs propres yeux, leur référence
à l'islam. »114(*) et qu'ils sont « probablement
l'exemplification la plus évidente du processus d'obligation de
choix » 115(*)
forte, qui touche l'ensemble des sphères de la vie individuelle et
collective postmoderne. Il ne peut s'agir, dans leur cas, que d'un choix qui
participe du « succès de l'islam mystique qui puise ses forces
dans la recherche d'une spiritualité personnelle plus
intériorisée » 116(*) de leur part, et « dans l'absence d'une
communauté « gardienne de la tradition » à
laquelle ils pourraient se référer. »117(*)
Le constat global que les « convertis » se
tournent plus vers les confréries soufies permet d'évoquer une
certaine « soufisation de l'islam »118(*) en France. Pourtant, quelles
que soient les configurations de la « conversion » à
l'islam en France ultramoderne et bien qu'elles soient le fruit d'un islam
transplanté, les « convertis » n'en sont pas moins
un groupe représentatif de l'islam en/de France, mais aux
caractéristiques particulières. Ils sont, en effet, plus ou moins
organisés, pour certains, en « entrepreneurs sociaux du
sacré » ou en « entrepreneurs juridiques
indépendants » plus ou moins écoutés, et
ont « leurs propres réseaux de relations et de promotion
réciproques ». Tous les « convertis »
se caractérisent par « un certain autodidactisme et une
autonomie substantielle par rapport aux centres traditionnels de production de
sens et de norme [du sacré islamique] ». En revanche, ils
subissent moins l'obligation imposée par le contrôle social qui
pèse sur les « musulmans sociologiques » et ne sont
pas autant soumis à la nécessité d'atteindre une
adéquation aux comportements traditionnels qu'ils ignorent
cultuellement. L'intériorisation du sens de la pratique et le
témoignage de la foi individuelle priment, le plus souvent, chez eux,
sur les observances rituelles. Bien que le camaïeu des pratiques de
l'islam des « convertis » comme celles des musulmans
sociologiques peuvent se décliner du
« désengagement total à des formes très
exigeantes d'orthodoxie »119(*), elles ont « en commun le triomphe de
la logique individuelle. »
L'islam en France peut être considéré
comme une minorité sociologique et psychosociologique. Minorité,
car il est numériquement faible, mais par le fait également que
le groupe des musulmans est négativement connoté. En effet, ce
groupe a tort a priori et est envisagé comme étant en
conflit à cause des positions étranges ou anormales qu'il
soutient contre ce que le « bon sens » majoritaire partage.
Ainsi, bien que pour le futur converti, l'islam soit avant tout étranger
et extérieur à lui, l'objet « islam » va
s'implanter chez certains, plus sûrement et plus profondément
qu'il est rejeté, dénié, critiqué et non pas
simplement accepté.120(*) Cette situation spécifique est incontournable
car la « conversion » religieuse est toujours
accompagnée d'une subjectivité qui « se situe dans
le cadre de la subjectivité des groupes »121(*) et dont elle ne peut en
aucun cas faire l'économie. En effet, « avec la
conversion, l'identité se modifie. Subjectivement d'abord puisque c'est
le converti lui-même qui ressent ce changement dans sa
personnalité, dans son rapport au monde. Socialement, puisque le
converti abandonne une identité, une place dans une communauté
pour adopter une nouvelle identité, une place dans une autre
communauté. [Ce changement] conduit l'individu à
abandonner une position, un rôle établi pour assumer après
son changement une nouvelle position, un nouveau
rôle. »
L'enquête, son analyse et ses commentaires vont mettre
en rapport l'ensemble des principes théoriques recensés de la
question de la conversion et plus particulièrement de la conversion
à l'islam en France de la fin du XXème et du début du
XXIème siècles et les réalités individuelles et
collectives relatives à la conversion à l'islam dans une
quête spirituelle individuelle.
Partie IV
Enquête et analyses
Hypothèses et contexte
L'ébauche d'une stéréoscopie de la
« conversion » à l'islam chez les hommes à la
fin du XXème siècle et au début du XXIème
s'attachera à « superposer » les points de vue des
convertis exclusivement. Croiser les éclairages et les images produites
par les autres acteurs potentiels de cet événement qu'est la
« conversion » serait à finaliser
ultérieurement. L'analyse et le commentaire du matériau
collecté s'équilibreront dans une dialectique classique entre le
pôle de la découverte ou phase exploratoire et le pôle de
vérification, d'une part et d'autre part, en mettant l'accent sur la
subjectivité et l'intersubjectivité que manifestent les
« convertis ».
L'hypothèse de départ, consiste à
supposer qu'il existe dans la société française
postmoderne des « convertis » à l'islam, d'origine
sociale « favorisée », hommes et femmes, de
formation supérieure, âgé(e)s de plus de 30 ans,
vivant en région parisienne, de toute origine religieuse, et n'ayant pas
eu de contact avec la culture ou le monde musulman dans leur enfance et
adolescence. Le type de « conversion » recherché est
celui d'une « conversion » à l'islam comme
résultat ou fruit d'une quête spirituelle individuelle, distincte
de la « conversion » dite
« opportuniste », liée, particulièrement
à des nécessités sociales, comme le mariage avec un
musulman sociologique. Enfin, les « convertis » d'une telle
typologie qualitative pouvaient ne pas être affiliés ou
rattachés à une obédience particulière de l'islam.
Ce qui serait défini comme de
« l'indépendance » envers des courants ou groupes
religieux musulmans. C'est donc l'expérience religieuse de la
« conversion » qui a primé en termes de
mobilité sociale et culturelle, comme passage ou franchissement de
frontières et élaboration de soi.
Ce portrait imaginaire a été
élaboré à partir de trois sources d'expériences de
la vie sociale ultramoderne en France et dans le monde, allant du plus
particulier et anonyme, aux plus célèbres des domaines de la
politique, de l'université et de l'art. Il s'agit, dans un premier
temps, d'une rencontre fortuite avec une personne ayant ces
caractéristiques (il y a un peu moins de 10 ans) ainsi que celle de
français qui, au cours d'un cursus d'études universitaires de
langue arabe classique ou dialectale à Paris, n'étaient pas
insensibles à l'islam du point de vue historique, anthropologique et
politique, sans pour autant se déclarer être convertis. Puis, dans
un second temps, de la lecture d'ouvrages produits par des
« convertis » comme René Guénon, Vincent
Mansour Monteil et Eva de Vitray-Meyerovitch. Et enfin, dans un
troisième temps, de l'observation de la médiatisation originale
et significative de l'expérience de « conversion »
de stars du sport, de la World Music, dans les pays anglo-saxons et plus
récemment en France, et du constat des manifestations de
personnalités médiatisées comme M. Béjart, M.
Chodkiewick et A. Guiderdoni, pour ne citer qu'eux, ou d'autres
personnalités universitaires, spécialistes d'histoire, de
civilisation, de politique ou de langue arabes.
Pour être arabisant lui-même, le chercheur a
nourri, au cours de son expérience, sa curiosité concernant les
interactions sociales ultramodernes du monde musulman et de la culture arabe
avec l'univers français, dans le cadre des rapports politiques
internationaux de ces 25 dernières années, marquées par la
révolution iranienne, le conflit israëlo-palestinien, la guerre
civile en Algérie, les conflits entre l'Inde et le Pakistan, les vagues
de migrants issus de pays de tradition islamique, en France, le terrorisme et
l'augmentation des voyages vers l'Orient ainsi que les dimensions culturelles
voire folkloriques de la culture arabo-musulmane, des rapports du religieux au
monde postmoderne, des rapports du religieux à la laïcité,
des rapports des différentes croyances monothéistes entre elles,
dans le monde et en France, en particulier et de l'émergence de
revendications religieuses sur la scène des relations sociales
françaises et internationales.
Afin de constituer un échantillon significatif de
« convertis », supposés tels, et de réaliser
avec chacun d'entre eux un ou des entretiens, il fallut trouver les moyens
adéquats pour les rencontrer. Par le biais de ces entretiens, il
s'agissait de pouvoir collecter le matériau central
recherché : le récit de leur rencontre avec l'islam et de
leur expérience religieuse de la conversion l'islam.
La fréquentation depuis presque 15 ans de groupes
et d'individus de la sous-culture « arabo-musulmane »
à Paris, plus particulièrement, tant pour des raisons
personnelles qu'universitaires ont permis de savoir expérimentalement
que le thème de la religion et plus spécifiquement de la
conversion concerne, dans le cadre de la laïcité française,
la sphère de l'intime individuel. Cette sphère est si
privée, que « dire » la
« conversion » à l'islam s'avère
conditionné par la spécificité du religieux et plus
particulièrement de l'islam en France, par les caractéristiques
psychosociologiques de l'expérience intime de la
« conversion » et par celles des rapports historiques
entretenus entre l'islam et l'Occident. En effet, et l'on retrouve
déjà la prégnance du « secret » dans
les récits de conversion aussi bien au sein d'une même religion
monothéiste que de l'une à l'autre ; cette expérience
et sa confidence sont jalousement protégées par l'individu qui
les vit.
Ces nombreuses raisons qui irriguent cette discrétion
ont imposé de s'armer de patience et de précautions, d'outils de
contacts précis, pour favoriser les rencontres et la
spontanéité de chacun de ceux qui ont constitué
l'échantillon présenté, de participer, par leur
récit, à cette recherche et de maintenir le souci de la mener
à bien, scientifiquement tout en respectant leur intimité. C'est
la raison pour laquelle, l'anonymat des personnes sera préservé
dans ce travail. D'autant plus impérativement depuis les
évènements du 11 septembre 2001, qu'il est observé,
simultanément à un regain d'intérêt pour l'islam, un
repli identitaire de la part des musulmans dans touts leurs diversités.
Les « convertis » sont évidemment dans un tel
contexte, encore plus sollicités, mis à l'épreuve
d'interrogations les plus diverses et mis en demeure de justifier leur foi
islamique. Ils se méfient donc et sont encore plus difficiles à
rencontrer.
Les « convertis » médiatisés
ont été écartés d'emblée, sujets qu'ils sont
déjà de nombreuses sollicitations. Mais, le voeu pieux d'inclure
des personnalités universitaires, dans l'échantillon ci-joint,
n'a pas influencé l'effort de centrer la recherche sur les
« anonymes ». Les universitaires, en effet, s'ils ne
« revendiquent » pas leur état d'être musulman
dans les sphères publiques et officielles, sont identifiables par leurs
écrits ou productions, qu'ils signent, le plus souvent, de leur nom
accompagné d'un prénom arabe : un indice qui avertirait de
leur appartenance (ce qui ne signifie pas qu'une personne ayant un
prénom arabe et un nom à consonance européenne, soit
systématiquement un « converti »). Pour les
contacter, la méthode à consister à leur écrire, le
plus souvent, par le biais des institutions dans lesquelles ils travaillent ou
par celui des maisons d'éditions qui diffusent leurs ouvrages et
à leur soumettre le plus objectivement possible les tenants et les
aboutissants de ce travail. Ecrire, à la fin du XXème
siècle signifie utiliser deux modes de communication : la poste
« classique » et le courrier électronique par voie
internet. Ces deux modes ont été utilisés
indifféremment, simultanément ou l'un après l'autre. Le
plus souvent le mode électronique finit par dominer.
Pour contacter les « anonymes », il s'est
agit de choisir un des trois modes suivants : celui de l'immersion dans le
monde associatif musulman ou interreligieux, ce qui était
déjà le cas pour le chercheur depuis de nombreuses années,
du fait de ses études précédentes, celui de l'activation
d'un réseau de relations et enfin celui de
« l'annonce ». Envisager le troisième mode, a
été motivé, de façon essentielle, pour
éviter au maximum l'éventuelle situation relationnelle du
« harcèlement » du chercheur envers ses
interlocuteurs. Il lui semblait, en effet, relativement inévitable de
s'achopper à cet écueil. Car souhaiter rencontrer quelqu'un qui
ne vous connaît pas, qui ne connaît pas ou ne voit pas
« l'intérêt » de vous parler d'une telle
expérience intime, dans le contexte de suspicion ambiant envers la
communauté musulmane internationale et nationale (terrorisme, attentats,
actualité) et provoque des sortes de paranoïas et de
méfiances plus ou moins rationnelles, plus ou moins légitimes. Il
s'est donc agit de se mettre en situation de les
« apprivoiser ».
L'islam et les
technologies : internet
Le troisième mode, « l'annonce », a
été privilégié bien qu'il mette le chercheur en une
situation d'attentisme, dans les débuts de l'enquête, tout au
moins. Il est, en revanche, chargé de qualités au regard de la
préservation de la spontanéité et de la liberté du
converti à accepter de faire ce récit et de sa volonté
presque totale qu'il a à le faire ou pas. Il a fallu, ajuster sa
recherche, au cours de la réception des réponses en retour, et
être vigilant quant à l'éventuel ajustement du profil de
ceux et celles qui correspondaient au mieux à au portrait idéal
d'hypothèse. En l'absence d'une presse écrite, en français
spécialisée et diffusée régulièrement,
traitant de l'islam en France et les difficultés et les lenteurs des
procédés d'immersion ont dégagé Internet comme le
support le plus adéquat pour la diffuser et
« toucher » le potentiel de
« convertis » à l'islam recherchés. Depuis
1999, « l'annonce » a été diffusée sur
deux sites électroniques dédiés à l'islam en France
allahouakbar.com devenu oumma.com en 2000 et, le site des
« Cahiers de l'Institut des Hautes Etudes
Islamiques » qui fut tardivement sollicité, lors de la
rencontre avec son Secrétaire général122(*).
Le support a semblé adéquat pour trois raisons.
D'une part, technologie de communication de pointe et internationalement
consulté, ce support offre un potentiel de personnes susceptibles de
lire une telle requête, bien supérieur à tout support
papier. Il est privilégié par les associations islamiques (les
sites francophones sur l'islam pouvaient être recensés, en 2002,
à une hauteur de 70, selon les moteurs de recherche utilisés). Il
existe depuis peu, un annuaire électronique des sites islamiques
francophones. Enfin, dans certains sites, il est possible de trouver depuis
moins de deux ans un « salon des
« convertis » », dédié donc aux
nouveaux venus en islam et offre également un terrain de relations
interindividuelles et inter-sites qui décuple le potentiel (celui ou
celle qui ne consulte pas Internet est, de près ou de loin, toujours en
contact avec quelqu'un qui en fait usage et donc peut être
« touché »). D'autre part, ce support laisse une
entière liberté aux individus (comme le support presse classique
d'ailleurs) de répondre ou non à
« l'annonce », d'un poste informatique personnel ou
professionnel, de les assurer de leur anonymat ou d'être
préservés de tout abus concernant leur vie privée et
d'établir un contact rapide et une série d'échanges
écrits à même de contourner, pour les interlocuteurs, la
passivité dans laquelle ce mode peut les installer. Pour le chercheur,
la « sélection » se fait également de
façon plus efficace, plus ciblée et plus qualitative. Finalement,
ce support a pour avantage d'être très peu coûteux, tant
pour le chercheur, qui a essayer d'exposer, de la façon la plus neutre
possible, ses motivations de recherche, que pour ceux avec lesquels il souhaite
entrer en contact, et permet, d'autre part, un gain de temps et une
« efficacité » intellectuelle satisfaisant pour les
intervenants.
Ce support comporte pourtant des inconvénients. Le
nombre de personnes en France possédant d'une part, un ordinateur
personnel et donc un accès Internet est relativement faible et
l'estimation, d'autre part, du nombre de « convertis »
à 50 000 individus environ123(*), ont mis le chercheur face à une
minorité en minorité. Il aurait risqué de ne pouvoir
contacter que très peu de personnes. L'anonymat, si cher à ce
support de communication, peut induire des relations électroniques
faussées, et à nouveau stimuler la méfiance voire la
paranoïa des acteurs les uns envers les autres. Il peut également
bloquer la relation scripturaire engagée au stade électronique et
ne pas permettre au chercheur d'accéder à l'entretien en direct.
Moins coûteux qu'un support traditionnel (une annonce en presse
quotidienne coûte environ 45 euros), il peut paraître
onéreux à moyen terme, quand les échanges se prolongent.
Il nécessite d'avoir à disposition un matériel
informatique actualisé et une capacité rédactionnelle de
tous les acteurs. Et peut finalement ne pas permettre au chercheur, de
recueillir suffisamment de contacts et d'accords pour constituer son
échantillon.
Toutes ces caractéristiques ont influencé
l'hypothèse de départ sur sept niveaux. Le premier niveau de
réorientations a concerné la quantité de réponses
qui n'a pas été aussi importante qu'espérer. Le chercheur
a dû réamorcer cette annonce trois fois, en affinant son contenu,
et en allant, cette fois activement sur les sites consacrés à
l'islam en langue française, et en « surfant sur les
chats »125(*)
pour détecter d'éventuels sujets correspondants à son
hypothèse. Ce ne fut pas concluant. Le deuxième niveau a
concerné l'âge des convertis. Ils furent plus nombreux à se
proposer pour un tel type d'entretien, lorsqu'ils ont moins de 30 ans. Le
troisième niveau a concerné le sexe des
« répondants ». Une forte majorité d'hommes
s'est manifesté par ce mode de communication. Deux femmes seulement
correspondant au portrait idéal hypothétique ont pu être
recensées, mais une seule s'est concrètement soumise à
l'entretien. Le quatrième niveau a concerné
« l'indépendance ». Les plus nombreux à se
proposer, âge et sexe confondus ont été assez souvent des
sympathisants ou militants d'associations islamiques à identité
forte comme l'Association des projets de bienfaisance islamique, l'U.O.I.F ou
des confréries soufies. Ce fut l'occasion de réaliser que le
concept d'indépendance avait mal été défini et d'en
modifier l'expression dans les annonces suivantes, voire d'envisager que
très peu de « convertis » soient indépendants
d'un groupe de pratique ou d'obédience. Le cinquième niveau a
concerné la « cause » de la conversion. En effet,
les « convertis » susceptibles d'accepter de se soumettre
à l'enquête ont été nombreux à s'être
« convertis » pour des motivations
« opportunistes », le plus souvent il s'agit de
« conversions » liées à un mariage avec un ou
une musulmane. Le sixième niveau est celui de la sphère
géographique choisie. Le chercheur avait désigné
l'ensemble géographique de l'Ile de France comme son terrain. Or, parmi
les « convertis » qui se sont manifestés
résidaient dans le Nord de la France, dans le Sud Ouest ou encore en
Bretagne. Il fallut reconsidérer le travail et l'envisager à
l'avenir sur un terrain plus étendu. Le septième niveau a
concerné les moyens d'entrer en contact avec les personnes susceptibles
de correspondre au portrait idéal hypothétique. Se contenter
d'Internet et de la presse écrite n'a pas permis de constituer
l'échantillon. C'est en sollicitant, tout au long de son enquête,
les réseaux relationnels universitaires, intellectuels et amicaux, qu'a
pu finalement se constituer un groupe conséquent de parcours à
étudier.
A ce niveau, il est important de distinguer les
périodes d'avant et d'après le 11 septembre 2001. La
disponibilité des individus à se soumettre à des
entretiens sur ce type d'expérience se révèle nettement
plus difficile depuis les attentats. En effet, de tels évènements
mettent les convertis au centre de polémiques interculturelles complexes
à l'issue desquelles il ne peut, pourtant pas s'agir pour eux de renier
leur foi ni leur appartenance européenne, d'une part. D'autre part, le
« déballage » médiatique sur l'islam,
provoqués par ces attentats, s'il a été nécessaire,
a révélé la diversité d'être musulman du
point de vue mondial et français et du point de vue des
« convertis ». Cette diversité connue, mise en
lumière médiatiquement a également sorti de l'ombre les
ambitions et les opportunismes autant que les savoirs et les sagesses.
« Convertis » comme musulmans sociologiques se
découvrent eux-mêmes d'une manière inédite. Les
« convertis » peut-être plus que les autres perdent,
avec cette médiatisation, la dimension
« mystérieuse » de leur choix spirituel, perdent de
leur différence et ne conquièrent pas, pour autant, un champ
d'expression très important. Enfin, les
« convertis » comme les musulmans sociologiques se sont
repliés sur eux-mêmes voire ont durcit leurs opinions, tant par ce
qu'on leur demande sans cesse de prendre position, que parce qu'ils ont des
opinions qu'ils souhaitent affirmer, au nom de la démocratie et de la
liberté d'expression ! au risque peut-être qu'elles
déplaisent.
De nombreux accords de principes ont été
donnés au chercheur, mais les rendez-vous ont été souvent
différés, voire implicitement annulés, surtout depuis le
11 septembre 2001. Il ne s'agit pas de refus explicites, mais
d'hésitations ou de mises en évidence d'autres priorités
existentielles.
Ces informations ne se sont pas manifestées
simultanément. Il fallut plusieurs mois pour qu'elles se confirment et
poussent à opérer les réorientations nécessaires
à l'accomplissement de cette recherche. Le matériau recueilli au
cours des trois années d'enquête a pris sa forme définitive
à la fin des sept premiers mois de l'année 2002.
L'hypothèse de départ s'est donc vue amputée de sa part
féminine supposée. Le nombre d'hommes correspondant au portrait
idéal hypothétique s'étant révélé
suffisant pour préclore l'échantillonnage nécessaire.
Pour compléter le travail présent sur la
conversion masculine à l'islam et afin de produire une réflexion
sociologique la plus complète, le thème de la conversion
féminine à l'islam sera traité dans un travail
ultérieur en maintenant l'hypothèse de l'âge, plus de
30 ans et de la conversion comme résultat d'une quête
spirituelle personnelle.
L'échantillonnage porte donc sur sept cas d'hommes de
plus de 30 ans convertis à l'islam, à l'issue d'une
quête spirituelle individuelle dont deux tableaux récapitulatifs
détaillés, présentent ci-après les profils et
parcours, date et lieux de conversion, date et lieux d'entretiens, nombre
d'entretiens, situations familiales, activités professionnelles et les
variables de l'expérience religieuse, selon deux grandes
thématiques : la subjectivité et
l'intersubjectivité.
Les entretiens proprement dits, une fois l'accord de principe
établi personnellement avec chacun des convertis n'ont
révélé aucune difficulté. Deux raisons objectives
sont en amont de ce constat. La totale liberté de vouloir et de pouvoir
confier le récit de l'expérience religieuse de la
« conversion » à l'islam a pleinement
été respectée. La déontologie sociologique pour un
tel type d'enquête, l'assurance de l'anonymat, la discrétion quant
aux informations périphériques au thème traité et
l'exactitude brute du compte-rendu des récits, la présentation et
l'explication du travail, semble avoir été accomplies de
façon satisfaisante. Pourtant, il est possible de constater une
disproportion quantitative d'un entretien l'autre. Les raisons de cette
disparité tiennent aux disparités des individus eux-mêmes
et de leur spontanéité à détailler leur parcours
spirituel. Il n'est pas possible de classer ces entretiens de façon
très précise. Il aurait pu être constaté que
l'ancienneté de la « conversion » ne pousse pas
l'individu à « s'appesantir », or les cas de C3 et
de C6 démontrent le contraire. Pour C2, il était évident
au cours de l'entretien qu'il souhaitait
« contrôler » son discours et éviter la
confidence. La situation de sa récente conversion et les
conséquences familiales et de couple devaient être trop
prégnantes et ne lui permirent pas de véritable distanciation.
L'analyse et les commentaires dégageront certainement
d'autres raisons plus subjectives, intrinsèques au domaine de la
« conversion » à l'islam et au sujet même du
travail. Elles sont liées en partie aux thèmes de
l'intersubjectivité, dont le chercheur lui-même ne peut se
considérer exempt, acteur social, d'une part et d'autre part, sujet
d'une quête spirituelle individuelle.
Les entretiens ont tous été enregistrés
sur cassette avec l'accord des intéressés, accompagnés de
notes manuscrites ou informatiques. Chaque entretien sera remis par
écrit à son émetteur.
Recueillir les récits de
« conversion » tel qu'accompli dans ce travail a
consisté à s'astreindre à certaines précautions.
Comme l'indique la psychosociologie, si en effet, le converti fait le constat
de différences dans sa vie autant intime que publique entre l'avant et
l'après sa conversion, « il est vain de chercher des
raisons claires et conscientes dans l'après pour expliquer
l'avant. » L'expérience du chercheur, relativement aux
univers religieux post-modernes, tant islamique, que bouddhique et
chrétien, lui à permis, espère-t-il, d'éviter
à ceux qui lui ont fait confiance, de forcer l'interprétation. Le
contexte des entretiens, et la rencontre la plus libre possible et la plus
ouverte des témoins, n'a pourtant pas pu éviter totalement qu'ils
cherchent à trouver eux-mêmes des raisons à leur
« conversion », qu'ils se rappellent leurs motivations,
enfin qu'ils procèdent à une sorte de reconstruction ou une
ré-élaboration de leur expérience religieuse de la
« conversion ». Ils semblent, et c'est souvent le propre
des « convertis », trouver ces raisons dans un mysticisme
qui ajoute encore au mystère de leur changement.
L'option du chercheur fut donc de mener les entretiens de
façon semi-dirigée, laissant le plus de liberté possible
au converti, dans sa narration. Dans les cas réunis pour cette
étude, il est à remarquer comment chacun des convertis commence
son entretien avec le sociologue. En effet, certains (2) ouvrent leur entretien
sur le thème de leur « conversion ». D'autres (5)
spontanément procèdent à un discours chronologique, le
plus souvent très détaillé et très précis du
point de vue des dates biographiques, organisant une sorte de suspens qui
mènerait à la révélation verbale du moment de la
« conversion », ainsi que l'établissement d'un
« décor » antérieur, au sein duquel le
« converti » puise des éléments qui
justifieraient sa démarche spirituelle vers l'islam.
Si donc l'écriture devient missionnaire et que le
« converti » participe de l'effort prosélyte,
l'entretien confié au sociologue peut mettre ce dernier en situation
d'être instrumentalisé, au point qu'il se doit non seulement
d'être vigilant envers les propos et concepts du récit, mais aussi
de ne pas juger le discours. Le chercheur ici s'est astreint à ne pas
tomber dans ces ornières. Dans deux cas, le chercheur a, pourtant,
été confronté à quelques difficultés pour
mener ses entretiens et son travail à bien. En effet, le risque
d'instrumentalisation auquel il s'expose par la nature même de son
activité s'est très nettement présenté. Dans un
cas, il s'est agi de l'expression d'une forme de prosélytisme et dans
l'autre d'un goût très prononcé pour les détails au
point de se sentir dans la contrainte de réaliser une sorte de
« biographie spirituelle » totale. Pour sa part, le
chercheur espère que son souci scientifique et de respect de la vie
privée furent satisfaisants.
Des analyses
Dans la négociation du statut économique,
politique et culturel, le religieux est un moyen de mettre en oeuvre, par les
acteurs sociaux, une recomposition des rapports sociaux, en se revendiquant de
la part d'universalisme que la « culture » musulmane peut
faire valoir.
Si l'on admet que la conversion religieuse, et plus
particulièrement la « conversion » à l'islam,
est un changement d'identité et de cadre social de cette
identité, il est possible de se demander à quel point
pourrait-elle être une forme d'acculturation ?126(*) Comment ce changement
s'opère-t-il selon les individus ? Comment dégager un
éventuel portrait prototypique du converti à l'islam au
début du XXIème siècle en France ? La
subjectivité et l'intersubjectivité dans l'expérience
religieuse de la « conversion » à l'islam pourront
être respectivement étudiées sur trois plans : le plan
de la postconversion127(*), celui du moment de l'émergence de la
croyance, et enfin, celui de l'après conversion. Les
éléments thématiques qui permettront d'analyser
qualitativement ce que ces individus ont vécu et vivent encore quant
à la foi islamique seront divers selon qu'il s'agit d'un plan ou d'un
autre et selon qu'il s'agit de la subjectivité ou de
l'intersubjectivité, chacune ne mettant pas en jeu les mêmes
dimensions de l'individu.
Les thématiques dégagées pour l'analyse
ont été sélectionnées en fonction de leur
récurrence dans les récits et elles son exhaustives. Elles sont
pour les domaines de la subjectivité et de l'intersubjectivité
impliquées dans la « conversion » religieuse
à l'islam, classées en trois catégories. Dans ces deux
domaines, il s'est agit de les regrouper par similitudes et par
disparités. Dans le champ de la postconversion ; il sera traité
de « l'absence de rupture sociale ou familiale », du
« déplacement géographique » de
« la critique de la pratique religieuse » et de
« la satisfaction des besoins spirituels individuels ».
Dans le champ de la subjectivité relative à la croyance, seront
traités les thèmes de « ma foi, ma
différence », de l'existence de dieu, de la quête et de
la vitalisation de la foi. Quant au champ de l'après conversion et de la
subjectivité, l'adoption d'un prénom arabe, la circoncision et du
« certificat de « conversion » » seront
mis en exergue. De même pour le domaine de l'intersubjectivité, la
postconversion sera traitée sous les angles des rapports avec les
« siens d'appartenance », du « voyage »
et de « la vie estudiantine ou professionnelle ». Pour le
champ de l'intersubjectivité relative à la croyance, il s'agira
de faire une lecture en fonction de « dire sa foi », des
« rapports avec les « siens d'origine » et du
lien avec un guide spirituel. Enfin, le champ de
l'après-« conversion » sera envisagé sous les
aspects de la notion d'une « identité collective
amphibie », sur les thèmes de « de l'homme marginal
au médiateur », du « mariage du
« converti » », de « la vitalisation de
la foi », des « rapports avec les « siens
d'origine » et avec les « siens d'appartenance »,
des rapports avec les enfants et enfin des relations professionnelles.
A. Tableaux
récapitulatifs
1) TABLEAU RECAPITULATIF : DE LA SUBJECTIVITÉ
« CONVERTI »
|
AGE
|
FORMATION
|
DURÉE de la CONVERSION
|
SPIRITUALITÉ D'ORIGINE
|
LIEU de
la «conversion»
|
Connaissances et Mode d'acquisition
|
LES ÉMOTIONS
|
LE RADICALEMENT AUTRE
|
QUEL ISLAM ?
|
QUELS types de conversion
|
C1
|
33 ans
|
sans
|
1,5 ans
|
Sans
|
Sénégal
|
Ecrits de C. Ahmadou Bamba
Autodidacte
|
Troubles violents
|
Dieu existe !
|
Confrérique
|
4+3+5
|
C2
|
35 ans
|
sans
|
1,5 ans
|
Sans
|
Paris
|
Traductions du Coran, ouvrages d'initiation
Autodidacte
|
Troubles légers contrôlés par
l'intellect
|
Dieu existe !
|
Sunnite
|
5+3+1
|
C3
|
35 ans
|
ingénieur
|
17 ans
|
Pratiquant catholique
|
Turquie
|
Le Coran arabe et français, exégèses,
soufisme
Autodidacte+enseignement
|
Evidence
|
C'est ce dieu là, ce sont ces pratiquants là
|
Sunnite, shiite et soufi
|
2+3
|
C4
|
38 ans
|
architecte
|
8 ans
|
Pratiquant protestant
|
Tunisie
|
Ecrits de C. Ahmadou Bamba
Autodidacte
|
Troubles violents, lutte intérieure
|
Réconciliation avec dieu
|
Confrérique
|
5+3+2
|
C5
|
46 ans
|
enseignant
|
20 ans
|
Pratiquant catholique
|
Paris
|
Le Coran et textes sur l'islam
Autodidacte
|
Evidence
|
C'est ce dieu là
|
Sunnite
|
|
C6
|
47 ans
|
médecine
|
|
Pratiquant évangéliste
|
Paris
|
Le Coran, exégèse exotérique
Autodidacte
|
aucune
|
C'est cette fraternité là !
|
Sunnite
|
5+3+1
|
C7
|
43 ans
|
ingénieur
|
5 ans
|
Pratiquant catholique
|
Paris
|
Le Coran, ouvrages hitoriques
Autodidacte
|
Evidence
|
C'est Le message !
|
sunnite
|
2
|
Les types de « conversion » :
1 La conversion traditionnelle est un retour :
« l'individu qui se convertit vient à résipiscence
[...]. Il restaure le lien qui le retenait à sa culture, rentre dans le
rang, revient au bercail, efface la honte, l'indignité, le
déshonneur, l'exclusion. »
2 La conversion rationnelle est une critique :
« elle opère un jugement sur une tradition jusque-là
considérée comme vénérable et sacrée,
vis-à-vis de laquelle elle prend de la distance [...]. La crisis,
rupture par la raison, dédouble la culture : l'opinion et la
science, le mythe et la philosophie, l'illusion et la vérité
[...]. Elle sert une normativité secondaire [...] et place l'individu au
centre d'une conversion qui concerne la culture et ses
normes. »
3 La conversion biblique met l'accent sur la
rencontre : « se convertir, dans la Bible, c'est se tourner vers
quelqu'un qui a parlé, et ce faisant, rompre avec des attachements
idolâtriques [...]. Elle ouvre une histoire particulière et
contingente qui fait espérer un avenir inédit [...]. Cette
conversion ne se fait pas sans la décision du croyant, et celle-ci,
jamais définitive et irrévocable, est sans cesse
sollicitée [...] C'est à lui de choisir entre le vrai et les faux
dieux [...] La conversion ne soumet plus l'homme à un ordre collectif
qu'il n'aurait qu'à reproduire, elle lui donne au contraire une
existence et un poids nouveaux par le mandat qu'elle lui confie de rompre avec
le faux. »
4 La conversion gnostique est une évasion :
« cette conversion-ci ne fait pas assumer le mal par la culture.
Certes, l'individu n'y est plus tenu comme coupable, puni par son anomie [...].
Il est cette fois victime innocente d'une chute qui a entraîné le
divin dans l'horreur et la pesanteur du monde. C'est sur celui-ci qu'est
expulsé le mal. »
5 La conversion évangélique est un
renversement : le converti n'est alors pas « celui qui respecte
la loi et fait valoir ses mérites, mais au contraire celui qui accueille
le pardon inconditionnel de dieu. »
2) TABLEAU RECAPITULATIF : DE
L'INTERSUBJECTIVITÉ
« CONVERTI »
|
LA FAMILLE D'ORIGINE
|
LA VIE PROFESSIONNELLE
|
RELATIONS AVEC LA FAMILLE
|
LA COMMUNAUTÉ D'ACCUEIL
|
TYPE D'APPARTENANCE
|
VITALISATION DE L'EXPÉRIENCE
|
SITUATION DE FAMILLE
|
LANGUES
Relatives à la croyance
|
C1
|
Judéo-chrétienne :
Chrétien pratiquant
Juif non pratiquant
|
Formation professionnelle en création de site
internet
|
Bonnes voire renforcées
|
Très bons rapports
|
Mouridisme
|
Séjours d'un mois chaque année à Touba
|
célibataire
|
Français
|
C2
|
Sans pratique religieuse
|
Responsable commercial
|
Avec la mère : non dit
Avec l'épouse : mauvaise
|
Bons rapports avec les femmes, moins bons rapports avec les
hommes
|
Aucune
|
Des rencontres
|
En instance de séparation de son épouse
française
|
Français
|
C3
|
Catholique pratiquant
|
ingénieur
|
Rompues après plusieurs tentatives
|
Bons rapports
|
Anciennement à une confrérie, depuis aucune
|
Appartenance confrérique, puis pratique à la
mosquée
|
Marié avec une femme musulmane de naissance
|
Français
Arabe classique lu et écrit
|
C4
|
Protestant pratiquant
|
architecte
|
Pas très bonnes
|
Bons rapports
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Mouridisme
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Séjours à Touba d'un mois
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célibataire
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Français
Langue africaine
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C5
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Catholique pratiquant
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enseignant
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Bonnes
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Peu de rapports, bons rapports
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Aucune
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Pratique personnelle
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célibataire
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Français
Arabe
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C6
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Musulman
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Informaticien
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bonnes
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Insatisfaisantes
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aucune
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Immersion associative à Paris
Voyages en Syrie
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Divorcé, remarié avec une femme non musulmane
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Français
Arabe classique
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C7
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Catholique pratiquant
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Informaticien
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Bonnes avec le frère, distante avec le reste de la
famille
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Très sceptique
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aucune
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Deux pèlerinages de la `umra en 1999 et 2000
|
célibataire
|
Français
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B. De la subjectivité :
« conversion » et individuation
La nouvelle forme de subjectivité islamique128(*), plus
particulièrement celle des « convertis », se
distingue, d'une part, par la référence à un soi dont
l'autonomie subjectivement vécue est assumée. Le choix de l'islam
est toujours marqué par une décision individuelle jusque
même celui d'aliéner sa liberté, dans les formes
néo-communautaires plus spécifiquement. Le
« converti » semble briser les tensions vécues entre
la société à laquelle il ressemble et à laquelle il
appartient, tout en étant identifié comme
« différent » et en affichant son
ipséité. L'islam individuel est marqué par le rapport
entre soi et dieu. Il est plus ou moins privé. La communauté
musulmane semble y être presque invisible. Les
« convertis », porteurs d'une telle subjectivité
islamique, sont projetés dans la spiritualité pure qui lie les
membres au-delà et par de-là l'espace public.129(*) Comment s'élabore
cette foi islamique individuelle selon les individus ? Quelles en sont les
caractéristiques communes et celles qui les distinguent ?
D'autre part, si la « conversion »
religieuse à l'islam est toujours accompagnée d'une
subjectivité individuelle, la subjectivité de groupe y est
également un enjeu. En effet, si « avec la conversion,
l'identité se modifie. Subjectivement d'abord puisque c'est le converti
lui-même qui ressent ce changement dans sa personnalité, dans son
rapport au monde. Socialement, puisque le converti abandonne une
identité, une place dans une communauté pour adopter une nouvelle
identité, une place dans une autre communauté. [Ce
changement] conduit l'individu à abandonner une position, un
rôle établi pour assumer après son changement une nouvelle
position, un nouveau rôle. » S'agit-il donc d'un abandon
d'identité ou plutôt d'une reconfiguration identitaire par
laquelle émerge enfin une des facettes de l'identité individuelle
jusque-là en sommeil ? Le converti abandonne-t-il une place
occupée au sein de son groupe d'origine, pour en adopter une nouvelle au
sein du groupe d'accueil ou plutôt, ne trouvant pas le moyen d'occuper un
type de place qu'il est seul à ressentir en lui et avec ses propres
exigences, ne cherche-t-il pas un groupe au sein duquel, il pourrait tenir
cette place ? Sujet, l'individu, par la « conversion »
à l'islam devient-il un individu ultramoderne ?
a. La post-« conversion »et le
« sujet »
Quel rapport entretiennent les individus avec leur sujet avant
la « conversion » ? De quel type de connaissance de
soi sont-ils respectivement munis ? Le corpus ci-joint
révèle des similitudes quant aux formes d'individuation mises en
jeu ainsi que des disparités sur le plan des besoins individuels en
termes de sens à donner à la vie.
Similitudes
Les similitudes s'établissent autour de deux
thèmes, l'absence de rupture sociale ou familiale explicite et le
déplacement géographique vécu par tous les individus
rencontrés, mais de façon et pour des raisons
différentes.
· L'absence de rupture sociale ou familiale
Si l'on ne peut pas analyser ici la spécificité
de chacun des individus du corpus d'un point de vue psychologique, l'analyse de
la personnalité peut néanmoins se dérouler sur la base de
la manière dont chaque individu se narre quant à sa vie
post-« conversion ». Il est très nettement
perceptible que chacun d'entre eux et pour des raisons différentes, sait
se dire un individu particulier dans son environnement d'origine, la famille
proche le plus souvent. Ils ne se vantent pas, ni ne semblent être
prétentieux de la différence d'avec leur famille, qu'ils
ressentent avoir vécue. L'on peut même distinguer qu'ils essaient,
relativement peut être à la « conversion »
à l'islam, de banaliser cette spécificité. Ce qui les
distingue se manifeste surtout du point de vue de la vie intérieure. En
effet, il semble avoir tous été des enfants normés. En
fait, s'être très bien adaptés à certaines normes
sociales comme celle de l'école, de la famille ou de la pratique
religieuse familiale, mais, avoir vécu intérieurement
différemment le rapport au sacré et au
religieux130(*).
En fait, il est possible de synthétiser ce que ces
individus ont ressenti dans cette phase comme suit : je ne me reconnais
pas dans les autres membres du système de pensée, de
société et de culture dans lequel je suis né, j'ai
été éduqué et j'ai grandi, que j'ai accepté,
assimilé, d'une part. Mon « je » est une
entité que je ne veux pas soumettre à des compromis pour qu'elle
soit vivable dans ce système, d'autre part. Enfin, un autre
système peut potentiellement l'accueillir et j'ai les moyens
intellectuels, psychosociologiques et sociaux et le droit de le faire.
· Le déplacement géographique
Si l'on peut considérer qu'un événement
troublant le « je » puisse être
révélateur d'une spécificité individuelle ou du
besoin de vivre pleinement cette spécificité individuelle, et
donc peut-être d'être à la source du déclenchement de
la quête spirituelle individuelle, il semble résider pour chacun
d'entre eux, dans un déplacement géographique, lié aux
études ou à un/des voyages à l'étranger à
partir de 18 ou 20 ans. Ces déplacements marquent l'éloignement
du milieu familial donc la découverte de la solitude, de la
nécessité de l'autonomisation ainsi qu'un changement de point de
vue sur le monde. Cette distance révèle, chez tous,
l'intérêt pour l'altérité du monde, la
liberté d'être individuellement en opinion envers ce monde,
l'obligation de se situer soi-même, sans autres références
que, ce que l'on a appris face à ce monde et que le potentiel de modes
de vie autres existant. Pour C5 particulièrement, ces
déplacements ont été pénibles et violents, au point
de lui faire découvrir sa différence et le racisme dont il s'est
senti victime.
Le voyage déclenche la quête spirituelle et
permet l'unification de soi intérieure chez C1. Le retour en Europe pour
C1, par l'Espagne, ou en France pour les autres, semble lui, déclencher
une autre étape de la connaissance spirituelle. Pour C3,
l'éloignement du milieu familial, lui permet, à Grenoble de vivre
l'expérience religieuse de la « conversion ». Pour
C4, le retour en terre maghrébine, à Tunis, réactive des
souvenirs. C6, lui, sur les routes pendant 10 ans, connaît la
solitude, le dépaysement et la multiplicité des situations
relationnelles, qui stimulent réflexion, remise en question et
finalement, la « conversion ». C2, bien qu'ayant beaucoup
voyagé pendant sa jeunesse, au point d'avoir vécu au Danemark
presque deux années, vit sa « conversion » dans une
période sédentaire. La distance nécessaire semble-t-il,
à sa prise de conscience, à sa quête spirituelle et enfin
à sa « conversion » se déroulent pourtant
loin du foyer, sur le lieu de son travail. C'est-à-dire, hors de
« l'intime », puisqu'elles prennent toute leur
signification sur le lieu d'activité professionnelle, dans son
bureau.
Le voyage ou le déplacement géographique
impliquent autant l'individu et sa subjectivité que son
intersubjectivité.
Disparités
Les disparités sont de deux ordres. Elles concernent,
d'une part, le domaine de la critique émise par l'individu envers la
communauté religieuse à laquelle il appartenait ou à
laquelle son groupe d'origine faisait référence, d'autre part, il
s'agit du domaine de la satisfaction des besoins spirituels individuels qui
diffère d'un individu l'autre.
· La critique de la pratique religieuse : où
est le « nous » ?
Quatre d'entre eux C3, C4, C5 et C6, qui vivaient dans des
familles pratiquantes catholique ou protestante, se disent avoir
été tout à fait croyants et heureux de l'être
jusqu'à un moment précis, dont chacun fera la présentation
comme étant (rétrospectivement en termes de reconstruction
biographique liée à l'entretien) le moment annonciateur du futur
changement. Celui-ci se traduit en termes de déception à
l'égard des promesses du monde, des promesses de ceux en qui ils avaient
confiance, de celui à qui ils se livraient : Dieu. Ce sont ces
attentes, ces espoirs, ces croyances qui semblent les distinguer de leur
entourage, apparemment incompréhensif à leur égard, --ce
qui n'est pas explicitement dit d'ailleurs-- et qui les a poussés non
à changer d'opinion, mais à chercher à trouver un
« terrain » pour les faire croître.
Cette « hypocrisie » est également
souvent évoquée par les « convertis » en
terme de critique et d'opposition individuelle et intérieure, sans
qu'ils ne disent avoir eu à supporter de
« troubles » identitaires. Ils considèrent les
pratiquants de leur groupe d'origine comme trichant avec les valeurs qu'ils
prônent eux-mêmes. Les individus futurs convertis déplorent
le manque d'harmonie entre ce qui est prôné religieusement et les
tenants de ces propres valeurs. Sans évoquer les questions politiques,
l'on peut supposer que bien qu'ils se concentrent sur la dimension spirituelle
de l'existence, comme lieu idéal et encore pur de toute perversion,
l'expression « déçus de la politique »
pourrait leur être attribuée. C'est en termes suivants que ce
décalage identitaire s'exprime : complètement
éduqués et imprégnés des valeurs de croyance
chrétienne : solidarité, tolérance et empathie, et de
celles de la démocratie, bons modèles mêmes de l'ensemble
de ces valeurs, ils se sentent trahis par ceux qui les leur ont
inculqué. On pourrait donc dire que leur état intérieur de
déception est lié aux gens, et non aux valeurs, et à la
possibilité de les appliquer et de les partager. Ils se retrouvent
à « partir à la recherche » d'alter ego ou de
croyants avec lesquels ils espèrent pouvoir
« enfin » partager de façon authentique et
sincère les mêmes valeurs spirituelles. Très vite
perçues et voulues par l'individu, comme des valeurs universelles. Le
système de pensée qui est alors susceptible de recevoir cette
recherche se trouve d'emblée être défini implicitement par
le converti comme ouvert et différent de celui des origines et
susceptible de l'accueillir, a priori.
C5 se distingue un peu des autres, en termes de critique,
puisqu'il n'a pas seulement remis en cause le comportement de ceux dont il
s'était senti le coreligionnaire, mais il a « interrogé
dieu » et a remis en question « à
l'intérieur de sa tête ce que dieu donne aux
hommes ». A cette étape d'insatisfaction et de critique,
dieu se révèle aux yeux de C5 comme un
« menteur ». C'est dieu qui duperait les hommes, et non les
hommes seulement entre eux, à propos de Dieu et des valeurs divines.
L'origine protestante de C5 explique peut-être cette attitude critique
directe et sans intermédiaire, de dieu.
C6 est un cas particulier, lui aussi, puisqu'il exprime la
critique envers le système de croyance oecuménique
chrétien auquel il appartenait, suite à la stigmatisation, d'une
part dont il s'est senti victime par les membres de ce groupe de pratiquants.
Et d'autre part, au manque de chaleur fraternelle qu'il a identifié dans
sa communauté. Il est possible d'observer dans le parcours de C6 de
réguliers à-coups de déception par rapport à ses
coreligionnaires oecuméniques. Son besoin de comprendre et d'approfondir
sa connaissance spirituelle semble ne pas avoir trouvé le
répondant qu'il estimait et estime encore même de la part de ses
frères en islam, légitime de recevoir. Tout normé qu'il
fut au sein de cette communauté chrétienne dont il a
respecté les règles religieuses et séculières et
les hiérarchies du mouvement, il ne s'est pas normalisé au niveau
de la quête de connaissance et du ressenti spirituels.
· La satisfaction de besoins spirituels
individuels : le « je » avant tout !
Deux cas, pourtant, ne s'inscrivent pas dans cette
représentation. C1 et C2, n'expriment pas de déception à
l'égard des valeurs dans lesquelles ils vivent ou à
l'égard de ceux qui en seraient les exemples. C1 admet très
succinctement qu'il n'était pas très à l'aise en
société, et ne justifie pas son départ en Inde. Ce voyage
lui paraît normal, logique et implicite. Le Bouddhisme lui a permis une
connaissance et une maîtrise de soi, par laquelle, il a pu finalement
être plus ouvert au « nous ». C1 décrit
lui-même cette expérience religieuse comme une série
d'expériences thérapeutiques. Pour C2, il ne s'agit pas non plus
d'une attitude critique envers la société et ses valeurs, qui
serait, en amont de la quête spirituelle. Il s'agit d'un besoin
personnel, d'un manque intérieur qu'il a cherché à
satisfaire. Ainsi, il précise : « parce que j'avais
atteint les limites de la société de consommation, je gagne
très bien ma vie, j'ai de beaux enfants...[...] Plus tu avances dans
l'âge et plus socialement, tu es installé, plus tu gagnes mieux ta
vie...et plus, je me fais chier. »
b. La subjectivité relativement à la
croyance
Similitudes
La similitude est unique, ici, elle porte sur la dimension de
l'investissement de la foi par l'individu et le sens qu'il donne à cet
investissement.
· Ma foi, ma différence
Ces individus sont des enfants modèles et des
étudiants scolairement accomplis, ou encore membre d'une
communauté religieuse à part entière. Comment, alors, en
ayant ainsi parfaitement intégré les normes sociales de leur
milieu et de leur société, peuvent-ils exprimer leur
spécificité d'individu ? Il semblerait que ce soit donc sur
le terrain spirituel qu'ils aient trouvé l'occasion d'exprimer leur
individualité et donc leur différence aux autres. Trop bien
normés, ils cherchent à réaliser la « norme de
l'expression de l'individualisation » propre à la
société ultramoderne. Le champ le plus libre à leurs yeux
et le plus potentiellement créatif semble être celui du spirituel
et du religieux. Il est alors possible d'affirmer que leur individuation
s'élabore autour de leur spiritualité individuelle, de leurs
rapports subjectif et intersubjectif au religieux. C'est par la norme ou les
normes qu'ils élaborent une dynamique d'individuation qui leur donne
accès à un autre système normatif religieux, celui de
l'islam, au sein duquel par leur statut de convertis, ils demeurent
spécifiques, individus à part entière, voire marginaux par
leur état minoritaire. Leur individuation se réalise, en fait,
dans « l'assimilation » d'au moins deux grands types de
systèmes normatifs, le social, politique et familial de la
société française ultramoderne et le spirituel et dans
certains cas traditionnels culturels de l'islam.
Le moment de la « conversion » en
elle-même ne peut cependant pas être temporellement
évalué. Il s'agit, en effet, pour chacun d'une période qui
combine, dans l'esprit du « converti », le sentiment
d'avoir rencontré le type de foi auquel il aspirait, l'étonnement
que ce soit l'islam et une sorte de combat intérieur diversement
mené. Cette période aboutit à l'acceptation, par le futur
« converti », de son nouvel état d'être
musulman. Cette « tempête sous un crâne »
s'élabore sur des niveaux différents. Les conflits internes que
vivent les « convertis » au moment de ce
« basculement » sont de l'ordre de l'humain ou de
l'intellectuel. En effet, il peut s'agir soit de la difficulté de
reconnaître Mohammed comme un ou le dernier des prophètes
après avoir « accepté » le texte coranique,
l'éthique et la philosophie des valeurs coraniques, ainsi que la
conception musulmane de dieu. Ou bien encore, de la difficulté de
reconnaître le texte coranique comme un des trois textes
monothéistes, après avoir été
« convaincu » du caractère prophétique de
Mohammed et de ses spécificités d'être humain
modèle.131(*) Il
est remarquable, au cours de cette période, que deux systèmes de
pensée cohabitent dans l'esprit du futur
« converti » : le système de pensée
occidentale et le système de pensée musulmane, marqué par
l'injonction coranique faite aux croyants « de ne rien accepter
qui ne soit ni évident, ni prouvé. »132(*)
Ce temps est celui du désengendrement133(*) d'avec la filiation
d'origine, dans tous les cas, et d'avec l'appartenance chrétienne
simultanément dans certains cas (C1, C3, C4, C5, C7). Ce
désengendrement de l'Occident et du familial, symbolique et spirituel,
permet le retour à la source de soi, à sa « nature
première » ainsi que de « sentir cette part
d'esprit déposée en chacun de nous, par dieu »,
selon l'enseignement du Coran. Cet auto-baptême bien particulier et bien
différent du rite classique et initiatique du baptême
chrétien, est fondateur chez le « converti », bien
que celui-ci soit précédé le plus souvent d'une
désignation faite par autrui relativement à l'état
d'être musulman, « ignoré », par le futur
« converti ». Cette désignation, comme une
reconnaissance, produit un effet de joie intérieure chez l'individu
concerné, lui-même ayant déjà, dans son for
intérieur, identifié celui ou ceux qui le reconnaissent comme
leur semblable, comme étant un des modèles idéals de ce
qu'il estime être des « personnes de foi ». Elle
dérange également le futur « converti » dans
son processus autonome intérieur, vécu depuis longtemps en secret
ou inconsciemment. Ce qui l'oblige à prendre en compte l'autre tant
recherché, sa reconnaissance et implicitement déjà, son
engagement. Il est possible que de tels instants émotionnels soient
comparables aux moments bouleversés de l'émergence du sentiment
amoureux, ressenti de façon solitaire par l'individu, puis au cours
duquel l'autre annonce, d'une manière ou d'une autre, son amour, faisant
effet de la reconnaissance d'un sentiment réciproque, mais caché
dans le coeur des deux amoureux et jusque-là non partagé. Le
temps de « digestion » de la reconnaissance spirituelle
diffère, nettement, de celui de la période amoureuse du sentiment
enfin partagé à deux, par le fait qu'il est saisi tout de suite
ou presque, par un questionnement violent : que m'arrive-t-il ? que
dois-je faire ? Contrairement aux amoureux, le
« converti » se retrouve seul face à son
émotion et sa passion, et s'interroge presque instantanément sur
la dimension de l'engagement que cet attachement à l'islam semble lui
imposer d'emblée.
Il entre alors dans une phase d'analyse, de réflexion
et de comparaison. Cette phase d'interrogations semble permettre au futur
« converti » de « rationaliser » ce qui
lui arrive, de le justifier à ses propres yeux, de craindre la folie ou
de se croire déséquilibré. Pour chacun, la conviction
d'être musulman s'est d'abord manifestée dans la solitude
intérieure. Ils disent tous qu'ils se sont dit à eux-mêmes,
qu'ils se sentaient musulmans.134(*) Soit après lectures et rencontres, soit
seulement après des rencontres. Deux types de
« négociation » intérieure semblent avoir
été en oeuvre.
Disparités
Les disparités se situent à quatre niveaux. Au
niveau de la découverte et de l'acceptation de l'existence de dieu, pour
deux cas, au niveau des émotions ressenties et vécues par les
« convertis » au moment de la prise de conscience de leur
foi islamique, au niveau de la manière dont chacun estime vitaliser sa
foi et son expérience religieuse, et enfin au niveau du processus de
renversement.
· Dieu existe !
Deux cas sont à distinguer, celui de C1 et celui de C2.
En effet, ils n'ont pas fait d'études supérieures et n'en sont
pas stigmatisés. Il est, en effet, de plus en plus possible, bien
qu'encore trop rare, d'être normé à la
société française ultramoderne, sans avoir accompli de
cycle d'études supérieures. La réussite sociale
ultramoderne s'élabore également autour d'attitudes
professionnelles autodidactes. Pour C1, il semble que la question ne se pose
pas et/ou qu'il ne veuille pas en parler. Son chemin de vie et ses choix
existentiels, comme il le dit lui-même, semblent être
dominés par « les circonstances qui m'ont amenés
à des endroits et qui m'en ont fait partir. » Pour C2,
son parcours professionnel autodidacte reflète peut-être combien
les valeurs du travail comptent pour lui, en apparaissant les seules valables.
Les origines sociales modestes de C2 peuvent expliquer cette conviction.
N'avoir pas été « bon à
l'école », semble, pour lui une normalité liée
à son milieu social. Ni l'un ni l'autre ne croit en dieu, au sens
monothéiste du terme. Aucune autre pratique religieuse ne les maintient
sur le chemin d'un sens spirituel de l'existence. Ils ont en commun une
certaine « jouissance de la vie », une forme d'adolescence
tardive motivée par la recherche d'expériences sociales. Il est
possible d'observer, pour eux, ce que l'on pourrait nommer comme une absence de
projet de vie et une absence d'ambition professionnelle, mais plus un souci de
vivre au jour le jour. Leur « conversion » à
l'islam, pour C1, en pleine jeunesse (25 ans) et pour C2, en pleine
maturité (36 ans), leur fait découvrir une capacité
à admettre une existence divine et à s'engager dans la foi
monothéiste.
· Je cherche, je trouve
Pour C1, C2 et C5, le moment de la prise de conscience
d'être devenu musulman a été traversé de troubles
émotionnels, particulièrement forts chez C1 et C5. C2 semble
avoir maîtrisé ses troubles émotionnels par l'intellect, la
lecture, et surtout en ayant vécu ce
« réveil » religieux au cours d'une relativement
longue période de temps, plusieurs mois. Pour C1 et C5, le moment n'a
duré que quelques semaines. Il semble qu'ils ont vécu une sorte
d'urgence à se situer, à se dire ou non musulman.
Pour C3, C4, C6 et C7, la « tempête sous un
crâne » ne semble pas avoir troublée l'équilibre
de l'individu. La recherche spirituelle semble avoir été
très précisément définie intellectuellement dans
ces quatre cas. En effet, C3 dit : n'a voir eu « aucun
effort semble-t-il, à intégrer le système de
connaissances, de pratiques ». Pour C2, non plus, aucune
difficulté n'a surgit. Pour C7, « la démonstration
est simple et évidente ». Le processus de
détachement d'avec la religion d'origine était, en effet,
déjà enclenché avant la rencontre avec l'islam. Peut-on
alors imaginer qu'une sorte de terrain en friche était prêt
à recevoir un nouveau système spirituel ? Un cas de
conversion féminine contient les mêmes
caractéristiques : la rupture intellectuelle, voulue et consciente
de la jeune femme l'aurait libéré du système
précédent et ce, pendant plusieurs années. Ce qui lui
aurait permis de faire connaissance avec l'islam sans peur, sans crainte de
perdre quoique ce soit, au point que le moment où elle s'est sentie
musulmane n'a été ni brutal, ni douloureux. Il contenait
également une forme de sentiment
« d'évidence ». En quoi réside cette
évidence ? Si l'individu rompt volontairement intérieurement
avec un système de pensée, qu'il se met en quête d'autres
systèmes, parce qu'il suppose que le monde est porteur d'autres
vérités que celles dans lesquelles il a été
élevé, rencontrer un système qui lui
« convient », ne peut qu'être le produit de la
logique de recherche. Il est alors rasséréné et n'a pas
plongé dans un état de troubles émotionnels
irréversibles. La surprise, suppose-t-on, que ce soit le système
islamique, apparaît à un moment donné, certes. Et ce, pour
les raisons historiques et contemporaines des rapports des mondes islamiques et
judéo-chrétiens, des mondes orientaux et occidentaux, des mondes
du Nord et du Sud connues aujourd'hui. La négociation en jeu, ici, est
donc d'ordre intellectuel, parfois presque logique, mathématique et
démonstratif. En effet, dans un autre cas de conversion féminine,
il a été intéressant d'entendre la jeune femme, formuler,
à la suite de démonstration faite par la personne musulmane
sociologique avec laquelle elle a été en contact, sa
négociation presque scientifique. Le « si tu ressens telle
chose, si tu réagis ainsi, si donc les musulmans sont semblables
à toi sur ces points, alors tu es musulmane et tu dois reconnaître
l'existence dieu » est une sorte de démonstration aux
limites du sophisme qui semble avoir convenu à un esprit scientifique et
cartésien comme le sien. Quelques jours de réflexion et de
ré-analyse de la « démonstration », lui ont
semble-t-il « prouvé » son état de musulmane.
Dans les cas des « conversions » masculines traités
ici, nous n'avons pas retrouvé précisément ce type de
négociation pseudoscientifique. Mais, il est clair que la mise au point
intellectuelle et logique concernant l'islam plus que la foi en dieu, a
été faite et refaite, intérieurement d'ailleurs. C4 donne
un exemple concret de ce type de mise au point, quand il dit :
« j'ai accepté le livre coranique, mais je ne parvenais
pas intégrer Mohammed comme prophète. » C5, lui
indique qu'il s'était rendu compte que « pour être
musulman, il me manque ceci : être persuadé que le Coran
vient de Dieu ! »
· Vitaliser sa foi, les rapports au savoir islamique
Exception faite de C1 et de C4, tous les individus du corpus
ci-joint ont établis un rapport serré au savoir religieux
dés avant la « conversion », pendant et après
la « conversion ». C1 semble, lui, être un intuitif
et un instinctif, car il ne cesse d'être à la recherche et
à l'écoute de son coeur et de ses émotions, qu'elles aient
été relatives au bouddhisme ou à l'islam :
« pour moi, ce sont vraiment des signes quand mon coeur
répond » ou « le coeur, c'est la
vérité ». Il s'est uniquement
intéressé, au sens strict du terme, à la lecture de la
biographie de Cheikh Ahmadou Bamba135(*), mais n'a jamais (jusqu'au moment des entretiens
avec lui) lu le Coran. C4 n'a lu que les éloges au Prophète,
écrits136(*) par
Cheikh Ahmadou Bamba. L'affirmation négative de ne pas avoir lu le
Coran, est sans appel. Pour tous les autres, la lecture d'ouvrages sur l'islam,
du Coran en français, parfois dans plusieurs traductions, comme pour C7,
de philosophes musulmans ou ayant traité de l'islam, comme pour C3 et
C7, R. Guénon, Massignon, M. Iqbal, Rûmi et l'acquisition de
savoirs tant par internet que par le biais de personnes qualifiées
à leurs yeux pour les instruire, ont procédé,
intellectuellement et intensément, à une vitalisation de leur
foi. Cette vitalisation individuelle se produit à toutes les
étapes de la « conversion » et est poursuivie
après la « conversion » et ne semble pas cesser avec
le temps. Seul C3 est arabisant et a donc accès à
l'exégèse coranique. Pour les autres, tout en déplorant de
ne pas connaître l'arabe, l'apprentissage reste encore virtuel, et
parfois comme pour C7 pas « absolument
nécessaire ».
La lecture du Coran semble une étape essentielle, non
pas tant de la conversion en soi, mais de la vitalisation. Pour C5, la lecture
du Coran, s'est faite la première fois « à Tunis,
après avoir eu la conviction que Mohammed est un
génie. » Cette lecture, faite en français, a
déclenché, quand au hasard des yeux il a lu :
« Dieu est un, Dieu est Absolu, Il n'est pas engendré, Il
n'a pas engendré, Il n'a point d'égal », la
réflexion suivante : « je sais d'une absolue
certitude que le Coran est parole d'Absolu ! »
Pour C3 la lecture du Coran en français s'est faite
très rapidement. Pour C2, selon lui, elle s'est produite tardivement.
C'est-à-dire de longs mois après s'être
intéressé à l'islam et « s'être
senti » musulman. Quand elle s'est faite, ce fut avec
hésitation, victime qu'il fut des rumeurs prétendant qu'il est
« sacrilège » de lire le Coran dans une autre langue
que l'arabe et lorsque l'on n'est pas musulman. Pour C7, la lecture du Coran
s'est accomplie « tout de suite ». Après cette
première lecture, le texte semble ne plus quitter le
« converti ».
· Déstigmatisation
Ce qui distingue nettement C6 des autres témoins du
corpus tient au fait, qu'il est né musulman, en Algérie dans une
famille sociologiquement musulmane. Mais d'après lui, son
éducation fut peut emprunte de matière religieuse. Au chercheur,
il ne s'en est pas moins présenté comme
« converti » à l'islam. Sa découverte du
principe divin unique remonte pourtant à la période
chrétienne de son existence. Et s'est accomplie dans un contexte
oecuménique protestant. Emergée en termes chrétiens, sa
foi le fait se sentir pleinement chrétien. Prénommé en
arabe, il subit, au fur et à mesure de son existence missionnaire, des
micros stigmatisations systématiques lui rappelant ou l'appelant
à ne pas oublier ses origines. Cela lui a fait incidemment prendre
conscience d'une certaine « contradiction », dont seuls les
autres de sa communauté semblaient mesurer l'importance : arabe du
Maghreb d'origine, il était chrétien ! Le ver était
dans le fruit. Tout en poursuivant, avec acharnement, son travail de
missionnaire, il est troublé par ces sirènes, rencontre
fortuitement des musulmans, s'intéresse à eux et à
l'islam. Il constate que ce monothéïsme là n'est pas
intégré à l'oecuménisme auquel il participait. Se
sentant stigmatisé, d'une part, et motivé par sa quête
spirituelle non exclusive et, à ses yeux, vraiment oeucuménique
voire universalisante, il endosse son histoire d'algérien et petit
à petit chausse des lunettes de musulman. Après avoir pourtant
adopté un prénom français au moment de sa
naturalisation.
Sa quête d'universalisme et d'oeucuménisme
spirituel lui permet d'avoir élaboré un formidable système
de pensée qui englobe toute sa problématique identitaire :
français et algérien, « Pierre et
Mohammed »137(*), chrétien et musulman, il tente comme
beaucoup d'accéder à la fameuse « citoyenneté du
monde », dont la mondialisation, aujourd'hui, nous démontre
selon certains aspects le cynisme et l'utopie.
c. L'après-« conversion » et le
« sujet »
Dans la « conversion » comme une sorte de
lente acculturation ou de long apprentissage, « l'individu
apparaît comme une entité qui synthétise et organise tant
bien que mal de multiples informations, croyances et
opinions. »138(*) Des similitudes et des disparités se
distinguent. La similitude, en effet, porte sur une seule thématique,
celle du choix d'un prénom arabe ou nom initiatique. Les
disparités, elles, sont de deux ordres. Il s'agit du rapport à la
circoncision et au « certificat de « conversion
» ».
Similitudes
Dans un premier temps, il n'est pas possible d'entendre
clairement les « convertis » se plaindre d'un état
de malaise ou de souffrance intime qui les aurait poussés à
chercher des solutions de résolution. En effet, ils s'affirment, pour la
majorité et à des degrés différents, avoir
« toujours été croyants ». Cette croyance a
pu être religieuse, mais également philosophique. Il semblerait
que ce soit une insatisfaction du système de croyance auquel ils
adhéraient qui les a poussés à chercher les raisons de
cette insatisfaction, à les analyser soit dans les termes du dogme soit
dans les termes des pratiquants dont ils étaient entourés.
Pourtant, l'on peut relever, dans les récits, des
expressions comme « je me suis senti mieux »,
« il y a comme un alignement intérieur. Je sens une
intégrité, une harmonie, une complétude. [...] Ma
créativité maintenant est complètement au service de mon
être. », chez C1. Chez C4, le sentiment de
sérénité prédomine. Pour C2, « cela n'a
fait que renforcer mon choix, au niveau de la Création. »,
lors de l'après « conversion », qui permettrait de
penser qu'un état de moins bien être psychosociologique,
préexistait. Le mieux être est très nettement
manifesté en termes spirituels. L'harmonie, trouvée ou
retrouvée, siège au niveau de l'âme et de la paix
spirituelle. L'on constate, alors, qu'ils peuvent parler de leur vie sociale
comme, du fait d'un mieux être spirituel, inductivement plus
agréable à vivre. Ils semblent, en conséquence, convaincus
que cela ne pouvait en être autrement : un mieux être
spirituel produirait donc un mieux être social.
Ce mieux être spirituel, qui produit un mieux être
social, se traduit par le fait que le « converti » aurait
ressenti des intuitions spirituelles de trois ordres. Les réponses se
situeraient dans le champ islamique, du point de vue de l'absence de tout
intermédiaire entre le croyant et dieu (fondamental en islam), du point
de vue de l'aspect apparemment sans hiérarchie ecclésiastique
(dans l'islam sunnite tout au moins), et du point de vue de la
« clarté » du message coranique et de sa relative
accessibilité139(*) (voir C7, particulièrement).
· Le prénom arabe, un nom initiatique
Le changement véritable d'identité et
d'appartenance communautaire que provoque la « conversion »
religieuse, est un changement généralisé.
« Cette renaissance est symboliquement marquée par le
choix d'un nouveau nom qu'adopte le nouveau converti, il montre un changement
de filiation, un changement de mémoire familiale et
historique. »140(*) En effet, comme seconde naissance, ce moment devient
initiatique141(*) et
favorise de recevoir un nom initiatique différent du nom profane. Ce
nouveau nom correspond à la nouvelle modalité d'être que
vit le converti « dont la réalisation est rendue possible
par l'action de l'influence spirituelle transmise par
l'initiation. »142(*). Le « converti » acquiert ainsi
ses deux dimensions, la profane et l'initiatique, bien distincte l'une de
l'autre.
Cette pratique n'est, pourtant, assimilable ni à des
règles, ni à des « obligations »
supposées dans la religion adoptée. Pour l'islam en particulier,
en effet, aucune obligation religieuse ne stipule le changement de
prénom143(*).
Ceci reste facultatif au moment de la conversion qui ne devrait pas arracher le
converti de son milieu culturel d'origine. En effet, préserver le lien
familial demeure sacré, en islam. Il doit être consolidé
par la « conversion » et non dissout. Les parents restent toujours
les repères, bien que l'on ne partagerait pas avec eux la même
religion ou la même foi.
Dans les cas du corpus, le systématisme observé
quant à ce changement de prénom prend, en partie, sa source dans
le besoin de marquer son changement d'identité, sa
« renaissance », sa nouvelle appartenance. Ceci
relève donc d'un choix personnel et d'une certaine attirance pour le
sens porté par les prénoms arabes. Si nous pouvons
considérer que sur un certain plan, nous sommes là face au
registre de la culture, l'on peut envisager sur un autre plan de comprendre par
ce phénomène que le « converti » sait que,
par la « conversion » à l'islam, en l'occurrence, il s'est
inscrit dans deux ordres existentiels différents. Si avec R.
Guénon, il est admis qu' « un nom sera d'autant plus vrai
qu'il correspondra à une modalité d'ordre plus profond, puisque,
par là même, il exprimera quelque chose qui sera plus proche de la
véritable essence de l'être », il est
compréhensible que les convertis du corpus ci-joint, ont
procédé, par cette prénomination, à l'expression de
ce qu'ils ressentent en eux comme leur « vraie
modalité ».
Il s'agit sans aucun doute, également, de pouvoir se
DIRE musulman, le plus efficacement qui soit, en un seul mot, le
prénom. Il s'agit de pouvoir donc s'identifier auprès des autres
musulmans sans détour, de faire la synthèse du parcours de la
conversion et peut-être même d'effacer ce cheminement. Ne pas dire
« je suis devenu », mais dire « je
suis » musulman. Si R. Guénon144(*) affirme, d'une part, que le
plus souvent un nom initiatique, n'a pas à être connu dans le
monde profane de l'individu, et d'autre part, que l'individu doit se
dépouiller de son nom profane lorsqu'il pénètre l'univers
initiatique. Dans le cas des convertis du corpus ci-joint, la conversion
à l'islam revêt une spécificité : le secret de
la forme d'initiation qu'elle implique ne peut pas vraiment perdurer, puisque
les modalité individuelles qui s'y rattachent participent
également du profane.
Une certaine ambivalence imprègne l'attitude des
convertis envers ce nom initiatique. Au début, ce prénom n'est
connu que des autres musulmans, bien que, disons, un sentiment de
« fierté » et de bonheur d'être devenu
musulman, encourage l'individu à partager ce nouvel état avec
l'univers relationnel non musulman. Alors, il s'annonce avec sa double
prénomination, en conservant le prénom profane associé au
prénom initiatique. Ceci peut inciter autrui à l'interroger sur
la raison de ce prénom arabe, et permet ainsi au converti de dire sa
spécificité. Le prénom arabe, conservé pour les
relations intermusulmans, est comme une facette d'identité qui prend
toute son ampleur dans un contexte de confiance, de complicité
spirituelle et fraternelle. Le converti a, ainsi, l'occasion de partager avec
ses coreligionnaires de naissance, sa joie d'être parmi eux, non sans
quelque orgueil complice. Les années passant, le converti ressent de
moins en moins ce besoin. Il rééquilibre sa double
prénomination, la banalise, dirons-nous, car les deux univers qui
étaient désignés et séparés l'un de l'autre,
finissent par n'en faire qu'un. Quelle dimension de la profane ou de
l'initiatique prend alors l'enveloppe majoritaire ? Il est possible que le
« converti » n'attache finalement plus aucune importance au
type de nom dont il se désigne et par lequel les autres peuvent le
désigner, par le fait, peut-être que « quand
l'être passe aux « grands mystères »,
c'est-à-dire à la réalisation d'états
supra-individuels, il passe par là même au delà du nom et
de la forme puisque, [...] ceux-ci sont les expressions respectives de
l'essence et de la substance de
l'individualité »145(*).
Il est finalement, possible de comprendre que le
« converti » renouvelle sa « conversion » chaque
fois qu'il rencontre un autre musulman ou un non musulman, en se
présentant avec son prénom arabe.
Tous ont adopté, de leur fait ou par
l'intermédiaire d'autrui, un prénom arabe, qui marquerait leur
appartenance à l'islam, à la communauté des musulmans. C7,
lui-même, reste, d'une part, sceptique à l'égard de la
culture et des traditions arabes et des Arabes eux-mêmes, a d'autre part,
adopté son prénom arabe sans conviction. Il est
intéressant, à son propos, de soulever qu'il est le seul de cet
échantillon -mais aussi du grand nombre de
« convertis » rencontrés- à avoir
accepté qu'on lui donne un prénom, alors qu'il en avait choisi un
lui-même, avec une résignation et une indifférence
caractéristique. Ceci est remarquable, car C7 fait preuve de ce que l'on
appelle couramment d'une forte personnalité et que son choix, Abd
Al-Haqq, aurait en l'occurrence, parfaitement coïncidé avec sa
nature profonde de « chercheur de
vérité » ! C1, lui, a explicitement demandé
un prénom arabe, coutumier du fait peut-être -puisqu'en
bouddhisme, précédemment, il avait déjà pris un
prénom en hindi, qui lui a conféré un fort sentiment
d'appartenance au groupe de l'ashram et à celui des bouddhistes, plus
universellement. S'ils s'accordent tous pour préciser qu'ils ne veulent
pas confondre l'islam et les traditions culturelles qui s'associent à la
religion islamique, il est intéressant de soulever la contradiction dans
laquelle ils se retrouvent, au regard du prénom arabe qu'ils endossent.
En effet, du point de vue juridique, rien en islam ne stipule qu'il faille
adopter un prénom arabe pour être musulman. Il s'agit d'une
tradition dont il serait intéressant de mieux connaître les
fondements.
Disparités
Les disparités des rapports de
l'après-« conversion » et du « je »
portent sur deux thématiques, celle de la circoncision et celle du
certificat de « conversion ». Les rapports qu'entretiennent les
« convertis » du corpus avec ces deux dimensions de la
religiosité sont divers jusqu'à être très
opposés.
· La circoncision
Dans la mesure où le Coran n'a pas mentionné la
prescription de la circoncision, un vide juridictionnel existe de fait, que
seuls les hadiths146(*)
permettront de combler. Les hadith renvoient, en effet, cet acte, soit à
une tradition de fitra (nature première), en effet :
« Cinq actes relèvent de la tradition de la fitra :
la taille des ongles et celles des moustaches, l'épilation des
aisselles, l'ablation des poils du pubis et la
circoncision »147(*), soit à la tradition abrahamique. Pour les
systèmes juridiques islamiques, seul le système
shafi'ite148(*)
considère la circoncision comme une obligation pour tout musulman. Les
systèmes hanafite, malékite149(*) et hanbalite
la recommandent fortement (sunna muakkadat). La circoncision est donc
tenue par les musulmans comme un acte de conformité à l'esprit du
croyant plus qu'à la lettre coranique. Même si la dimension
hygiénique est exhaltée, par usage, les musulmans tiennent cet
acte pour celui de l'intégration à la communauté des
croyants. Cette divergence des systèmes juridiques laisse une marge de
réflexion et laisse légitime de s'interroger : la
circoncision est-elle une pratique des musulmans plutôt qu'une pratique
de l'islam ? L'islam de « conversion » en France est le plus
souvent celui qui est marqué par le système juridique
malékite ou sous influence de celui-ci. Les influences du shi'isme
existent, sans pour autant prédominer.
Trois d'entre les « convertis » sont
circoncis, deux C4 et C6 à la naissance et pour des raisons familiales.
C1, lui, a subit l'opération au moment de sa « conversion ».
C2, C3 et C7 ne le sont pas. Seul C7 a explicitement répondu qu'il ne
s'agissait pas d'une prescription coranique et qu'il n'envisageait pas de
procéder à la circoncision, « mutilé »
qu'il se sentirait. C2 et C3 envisagent de le faire faire, à un moment
qu'ils estimeront propice, mais ne semblent pas inquiets, religieusement
parlant, de n'avoir pas subi une telle opération. Il n'a pas
été possible de poser la question à C5.
Le témoignage de C1 à propos de sa circoncision
est riche d'enseignements concernant, pourrait-on dire, le besoin de ritualiser
un événement comme la « conversion ». Il explique
l'exigence qu'il a eu de vivre l'opération de façon
traditionnelle, tant parce que « cette expérience m'a
permis de comprendre ma soumission de ce qu'il y a de plus matériel, qui
donne la relation avec la terre la plus profonde »150(*) que par une
nécessité sous-jacente de « verser le sang, c'est
un symbole matériel, et là c'est le sacrifice de ce que tu as de
plus intime »151(*). Ce fut l'occasion pour lui de se retirer
du monde, pour convalescence, pendant quinze jours, au cours desquels, il
semble avoir vécu la transition nécessaire entre l'avant et
l'après conversion à l'islam : « Reclu 15
jours, dans la maison d'un homme qui a pratiqué la circoncision, sans
contact avec aucune femme. J'étais auprès de cet homme comme
auprès d'un père. Je me suis senti
béni »152(*). L'état de purification de soi qui
se dégage d'un tel acte, de la mise en éloignement du monde et de
ses tentations ainsi que la possibilité de vivre sa naissance, sa
renaissance, par une reconstruction d'un « rapport au
père », ne restent pas moins emprunts de
représentations plus liées au système de pensée
chrétien qu'islamique. En effet, la notion du sacrifice ne siège
pas, en de tels termes en islam, nous l'avons vu. La circoncision ne semble pas
ni traditionnellement ni islamiquement, avoir été emprunte d'une
quelconque dimension sacrificielle. Souffrir pour devenir autre, rappelle
étrangement le calvaire christique à l'issue duquel Christ de
simple messager put devenir fils de dieu ! En revanche, cette quinzaine de
repos apparaît comme une pratique saine pour l'individu, au regard des
moments émotionnellement violents qu'il a vécu juste avant. L'on
peut apercevoir là, comme une représentation physique du
phénomène de la « conversion », ce changement, cette
rupture qui propulse l'individu hors de son système d'origine, dans un
espace-temps, une zone neutre ou bisystémique, vers le nouveau
système. Chacun vit, en réalité, un tel moment de
transition, il peut être très intérieur et solitaire,
intellectuel et intime, plus ou moins exposé. Seul C1, dans cet
échantillon, offre une expérience physique pleinement
vécue de la « conversion ».
· Le « certificat de « conversion
»
Si être musulman se vit et se traduit par la
prononciation de la shahâda, dans un premier temps, est mis en
oeuvre, dans un second temps, selon les individus, la pratique des cinq piliers
de l'islam. La modernité impose, pour un des piliers
particulièrement, l'accomplissement du pèlerinage à la
Mecque, une démarche administrative. En effet, il n'est pas possible
pour un non musulman, relations commerciales officielles exceptées,
d'entrer en Arabie Saoudite. Le converti doit donc prouver son
« islamité » et pour ce faire, se faire
établir un certificat en bonne et due forme. Celui-ci peut être
établit à l'Institut de la Mosquée de Paris ou par
l'ambassade d'Arabie Saoudite, en France ou par des institutions religieuses
(Ministère des affaires religieuses ou mosquées) dans les pays de
tradition islamique153(*). Deux des « convertis » entendus
sont en possession d'un tel document écrit. C3 l'a fait établir
non seulement parce qu'il était musulman, mais parce qu'il devait se
rendre en Arabie Saoudite pour son service militaire, en coopération. On
peut y voir, ici, une banalisation de l'obtention de ce certificat, en termes
de religiosité, par le fait qu'il fut nécessaire d'un point de
vue semi-professionnel. Lors de son séjour en Arabie Saoudite, C3 n'a
accompli aucun des pèlerinage, trop nouveau
« converti » qu'il s'estimait et averti du sens même
de cet acte. Celui-ci s'accomplit en effet à un âge certain et
dans des conditions financières bien particulières. C7, lui, l'a
fait établir pour accomplir le pèlerinage de la `umra.
Pour C6, la question ne se pose pas du point de vue administratif, puisque
né en Algérie d'une famille sociologiquement arabo-musulmane, il
porte un nom et un prénom arabe, ce qui fait de lui un musulman
sociologique, qu'il le soit ou non.
Il est intéressant de constater que tous les
« convertis » du corpus, C2 excepté, ont
été baptisés, et n'ont pas
« renié » leur appartenance religieuse d'origine. En
effet, un cas de femme, révèle que certains, et en l'occurrence,
certaines avaient procédé, avant même la rencontre avec
l'islam, à un acte d'apostasie. Cette jeune femme a ainsi
manifesté son refus d'appartenir à un système religieux
qu'elle réfutait. Aucun des hommes du corpus n'a ressenti la
nécessité de procéder à une telle rupture
administrative d'avec l'Eglise. Pour leurs avoir explicitement posé la
question, il semble même qu'ils ne connaissaient pas l'existence de cette
possibilité, de ne plus figurer sur les registres religieux de la Sainte
Eglise Catholique et Romaine. Seul, C7 se définit lui-même comme
étant de double appartenance religieuse, catholique ET musulman :
« Je suis de double
« nationalité » ! » Il est
surprenant de noter l'utilisation du terme
« nationalité ». Bien que C7 soit parfaitement
conscient qu'être musulman ne constitue pas une appartenance nationale,
sa double appartenance est si forte, semble-t-il, qu'il ne paraît pas
avoir trouvé d'autre vocable pour la qualifier. Il en fait
néanmoins un usage provocateur qui tend à établir une
sorte de complicité avec son interlocuteur, en l'occurrence, le
chercheur.
Pour les autres, il s'agit d'être musulman, sans pour
autant, dénier les autres religions, ni manifester un rejet des autres
systèmes religieux. Il serait, ultérieurement, enrichissant
d'approfondir les rapports qu'entretiennent les
« convertis » à l'islam, avec les autres
monothéismes et les autre religiosités pratiquées dans le
monde ultramoderne.
C. De l'intersubjectivité :
« conversion » et identité collective
L'intersubjectivité du « converti »
à l'islam en France se développe sur deux plans culturels
différents. Le plan français et judéo-chrétien,
laïc et multiculturel, d'une part, le plan islamique et plutôt arabe
du point de vue culturel, ou turc ou encore persan ou africain dans certains
cas, minoritaire au sein de la société française, mais de
mieux en mieux « intégré ». Ce sont les deux
univers, dans lesquels le « converti » à l'islam va
continuer des études, travailler, maintenir ou non ses liens familiaux,
fonder à son tour une famille, conserver ou établir des
amitiés, avoir des activités associatives, s'impliquer
politiquement, être un interlocuteur européen et international
être un interlocuteur musulman. Ces deux univers cohabitent, d'abord et
avant tout, parce qu'ils participent tous deux d'un espace géographique
et culturel154(*) bien
précis, celui du monde méditerranéen. Historiquement,
leurs relations datent et ne peuvent pas être figées dans des
types de rapports dans lesquels l'un ou l'autre univers serait
systèmatiquement « inférieur » ou
« supérieur » à l'autre. Et enfin, en
société multiculturelle qu'est la France ultramoderne, l'univers
islamique commence à être une des composantes à
considérer. Ainsi les relations du futur converti avec le groupe
d'accueil, qu'est le groupe des musulmans sociologiques et par extension, avec
l'ensemble des musulmans au niveau transnational, s'élaborent bien avant
que commence la conversion, bien avant que la quête spirituelle
même s'amorce.
L'ensemble des références
énumérées par tous les « convertis »
du corpus, comme la gravure reproduisant la smala de l'Emir Abdel Khader, les
références dans l'histoire de France et d'Europe au monde
arabo-musulman, la présence à Paris de l'Institut de la
Mosquée de Paris, comme les évènements contemporains, la
révolution iranienne en 1979, le confits israëlo-palestinien, la
guerre civile en Algérie, la guerre du Golfe, la promiscuité de
vie avec les musulmans en France, qu'ils soient étudiants
étrangers ou ouvriers, collaborateurs ou partenaires professionnels,
décrit bien que, pour eux en tous cas, la dimension islamique de la
sphère civilisationnelle méditérranéenne et du
Moyen Orient, comme d'une partie de l'Asie et de l'Afrique, fait partie de leur
existence de français ultramodernes.
Dans un premier temps, l'univers du groupe d'accueil, le
groupe des musulmans sociologiques en France et également l'ensemble de
la communauté des musulmans dans le monde, est source de
curiosité, d'intérêts culturels, sociaux et politiques, de
fascination ou de rejet. Ces relations avec le groupe d'accueil vont se
modifier avec le temps de la « conversion » et vont se teinter de
toutes les catégories d'appréciation et de sentiments propres aux
relations à un groupe quelconque. Groupe choisi, ce groupe d'accueil
revêt dans l'esprit du converti une dimension idéale, le groupe,
la communauté idéale : l'humain social idéal. Cet
idéal se métamorphose, certes, mais l'appartenance du
« converti », une fois devenu musulman, l'encourage
à manifester son esprit critique avec précaution.
Dans le corpus ci-joint, il n'y a pas de cas individuel de
rejet de la communauté musulmane d'accueil avant la « «
conversion » ». Pourtant l'expérience et le terrain ont
assuré au chercheur que de telles situations individuelles existent.
Elles seraient certainement intéressante à étudier du
point de vue du type d'investissement qui est mobilisé lorsqu'un
individu décide d'appartenir à un groupe qu'il aurait
précédemment rejeté et dénigré.
Dans un second temps, les relations du
« converti » à l'islam, à son univers
d'origine perdurent malgré la « conversion ». D'abord, parce
que le groupe d'origine du « converti » est le groupe
majoritaire dans la société dans laquelle il se sociabilise. En
effet, si l'individu vit dans un pays majoritairement musulman, la
distanciation, du moins géographique et humaine d'avec son groupe
d'origine, ne pourra que s'établir clairement. Parce qu'ensuite, aucun
des témoignages recueillis n'exprime explicitement la volonté,
à un moment ou à un autre de la vie des individus en question, de
rompre les liens et les échanges avec leur univers d'origine. Il semble
d'ailleurs qu'en fait, si les relations avec le groupe d'origine, dans certains
cas, ne sont pas très bonnes, c'est plus du fait du groupe d'origine que
du fait de l'individu. Se dégage, à ce propos, de l'ensemble des
expériences réunies, un souhait, une envie de vivre avec les deux
groupes sociaux, voire de vivre avec l'un et l'autre en harmonie, au point
même où l'on peu se demander si ces individus ne cherchent pas
à harmoniser les relations entre ces deux univers sociaux
déjà en relation ?
a. La post-conversion et l'identité collective de
l'individu
En psychosociologie, certes la conversion est analysée
comme un lien entre l'individu et sa foi, mais, se déroulant dans un
contexte social, elle est néanmoins un acte social, que le converti le
veuille ou non. Elle engage les individus de la famille et du groupe d'origine,
les individus et le groupe d'accueil. En, effet, « le changement
le plus important l'est, non du point de vue des modifications psychologiques
internes à l'individu, mais du point de vue de la signification qu'il a
pour l'individu et les groupes ou les
société. »155(*)
Similitudes
S'il est possible de chercher un éventuel mal
être individuel précédant le changement religieux, source
de la conversion à l'islam, il est identifiable sur le terrain de
l'intersubjectivité. En effet, majoritairement, les entretiens de
convertis étudiés confient à quel point ce sont les autres
qui ont été porteurs de déception, de difficultés.
Ces autres, sont autant les membres de la famille du converti, que l'entourage
indirect voire l'ensemble de l'altérité avec lequel chacun
d'entre nous est en relation : les politiques, les intellectuels, etc. Il
s'agit donc d'une déception envers l'univers collectif. Il y a donc un
désaccord avec les ascendants. A les entendre, ils semblent avoir,
à un moment donné, perdu de l'estime envers leurs parents, plus
particulièrement, le père. La mère tient un rôle
assez falot dans leur discours. Les sept témoins du corpus se
rassemblent autour de eux thématiques : les relations avec les
siens d'appartenance et les voyages.
· Avec les « siens
d'appartenance »
Le futur converti peut être investi, en amont de sa
conversion, d'une démarche compréhensive envers l'univers
musulman et de partage de points culturels. Ceci se manifeste soit à
l'issue d'une rencontre avec « l'autre exotique », soit
à l'issue de lectures, de films ou encore de connaissances artistiques
ou architecturales concernant l'univers islamique, en France et dans les pays
de tradition islamique. Cette démarche, qui semble être
« objective », motivée par la quête du
« plus autre » est productive d'une série de
mobilisations qui tendent à ce que l'individu, le futur converti,
veuille saisir le sens que donne l'interlocuteur musulman à la vie.
Cette série de mobilisations permet au futur converti, en partageant
« les significations de l'autre, de participer à son
univers social. »156(*) L'empathie initiatrice produit ces mobilisations
dont chacune d'entre elles constitue « une petite conversion
momentanée ».157(*)
Bien que répertorié, dans d'autres cas de
conversion religieuses ou idéologiques, ni l'ensemble des rencontres
faites pour ce travail, ne permettent d'identifier de cas de conversion
accomplie à l'issue d'une antipathie ou d'une critique dans le meilleur
des cas, de la religion islamique ayant conduit l'individu à vouloir la
comprendre.
Ces relations avec le futur groupe d'accueil des musulmans
sociologiques, sur le territoire français et/ou dans les pays de
tradition islamique, se métamorphosent avec la conversion. En effet, en
écho à son empathie, le futur converti reçoit de nombreux
encouragements quant à l'intérêt qu'il porte à
l'islam. Dans certains cas même, si le futur converti ne manifeste que
des curiosités culturelles, ses interlocuteurs musulmans sociologiques
ne manqueront pas de l'instruire de l'islam. Il n'est pas recensé, dans
le corpus ci-joint, de situations ostensibles de méfiance, de la part
des musulmans sociologiques, envers le futur converti.158(*) En effet, ils sont pour leur
majorité, très « touchés » par
l'intérêt que l'on porte à leur religion. Désireux
qu'ils peuvent être, en situation minoritaire et stigmatisée,
comme en France, d'expliquer ce qu'ils sont et heureux d'avoir l'occasion de
sentir un peu reconnus par un « autre majoritaire ». Il
s'agit pour eux, alors ni de prosélytisme, ni d'apostolat, mais de
pouvoir exprimer sans honte leur croyance islamique. Des mouvements religieux
organisés, ont pour leur part, des attitudes très nettement
prosélytes, dont le bue serait de « sauver »
l'Occident de ses perversions et de ses souffrances. Ils font l'objet de
nombreux travaux dont il ne s'agit ici que d'évoquer l'existence.
· Le voyage
Tous les convertis du corpus ont été
amené à voyager ou à se déplacer dans la
période postconversion, qui, le plus souvent, correspond à la
jeunesse de l'individu. Ceci n'a rien d'exceptionnel à la fin du
XXème siècle. Qu'il s'agisse de voyages à
l'étranger ou de déplacements liés à la vie
professionnelle de la famille d'origine ou liés aux exigences des
études, il n'y a là rien que d'ultramoderne. L'ouverture sur le
monde, la quête de « l'autre », la recherche de
l'exotisme accompagnent la quête de soi bien spécifique à
cette période de l'existence individuelle. C'est le plus souvent
à l'issue ou au cours de ces déplacements que la quête
spirituelle se manifeste réellement, dans l'intérieur de
l'individu, d'une part, et qu'il semble trouver des interlocuteurs suffisamment
différents et distants de toute appartenance familiale ou sociale pour
prendre du recul et confier, même de façon très indirecte,
ses interrogations existentielles. Les réponses ou attitudes relatives
à ce type de rencontres sont par nature inédites pour l'individu.
Cet inédit le ravit, le libère, le trouble
émotionnellement, mais lui permet d'envisager l'existence sous d'autres
angles. Ces voyages désamorcent des tensions et amorcent la prise en
main du libre-arbitre qui « bouillonne » dans l'individu.
Découverte de soi, certes, mais surtout découverte de
l'altérité, en termes de solidarité, d'écoute et de
différences. Aucun d'entre eux, ce que parfois de jeunes voyageurs et de
moins jeunes, dans des circonstances qui purent paraître ou être
difficiles, ne racontent en termes de désagréments de
s'être trouvé dans tel ou tel pays, face à telle ou telle
incompréhension ou encore dans un sentiment de solitude et d'abandon
douloureux.
Malgré la similitude des expériences de voyages
partagée par tous, C6 se distingue des autres, pour avoir vécu
« sur les routes » ou presque, pendant 7 années de
sa vie. Il était alors missionnaire dans un mouvement religieux
oecuménique et prosélyte. L'instabilité d'existence
matérielle et l'exotisme de l'autre, l'ouverture altruiste et les
techniques de missionnariat ont été son pain quotidien. Les
séjours à Londres et en Corée, lui ont encore donné
le goût de l'universalisme et du transantionalisme religieux. La vie
communautaire et le partage de la foi et des pratiques avec « des
gens du monde entier » l'ont contenté et n'ont
cessé de revigorer son expérience religieuse.
Disparités
· La vie estudiantine ou professionnelle
Pour tous les cas, sauf pour C1, C2 et C6, l'existence sociale
collective postconversion est marqué par la vie estudiantine.
Période de succès universitaire, elle ne révèle pas
de disfonctionnement, ni de difficultés pour les individus à
s'adapter au monde universitaire ou au système d'études. Pour C3,
la période est favorable au développement de sa foi islamique et
de sa pratique. Pour les autres, il s'agissait de poursuivre un cursus, social,
familial et universitaire, sans accrocs. Pour C1, cette période est
celle de l'apprentissage, en Inde, non seulement de la vie en
communauté, mais également du sens spirituel et religieux, que
peut prendre le fait de travailler pour et avec les autres, par exemple.
Travailler ne signifie pas pour lui gagner de l'argent, mais gagner la
possibilité d'être en société et de permettre
à d'autres d'y participer. Travailler, comme prier ou méditer
devient une pratique spirituelle et socialisante. Pour C2, la période
est celle de nombreux voyages et de nombreuses activités
professionnelles qui permettent l'accomplissement de ces voyages, d'une part,
la découverte de différents milieux professionnels, d'autre part.
Il ne semble pas soucieux de s'épanouir dans une activité plus
que dans une autre, mais plus d'acquérir les moyens financiers d'une
certaine autonomie. Cette autonomie n'apparaît pas de façon
complète, puisqu'elle ne lui permet pas de
« s'assumer » pleinement en louant son propre appartement,
par exemple. Il dit lui-même qu'il vivait toujours chez d'autres
personnes, et finissait par retourner chez sa mère. Ce n'est qu'à
l'issue de la rencontre avec une femme qui devient rapidement son épouse
qu'il décide, le libre choix se manifeste alors, de s'ancrer dans une
activité professionnelle afin de pouvoir fonder un foyer et assumer ses
nouvelles responsabilités. Il est intéressant de noter dans le
cas de C2, comme de C1 d'ailleurs, bien que de façon différente
pour l'un et l'autre, que la vie professionnelle s'est développée
de façon autodidacte et grâce à l'intervention d'un tiers
qui « donne la chance ». Autodidacte
professionnellement, ils sont à des degrés un peu
différents et de manière différente, autodidacte en
religiosité.
C6, lui, a vécu, une sorte d'échec
universitaire, en commençant ses études de médecine. C'est
en concomitance avec ces début qu'il découvre par
l'intermédiaire de missionnaires protestants oeucuméniques, sa
dimension individuelle et collective spirituelle et la foi en dieu. Il
décide de se consacrer à ce type d'études joignant sa
quête individuelle et une dimension de vie communautaire satisfaisante.
Dans un cadre oecuménique et missionnaire, il élabore sa vie
sociale et collective. Il privilégie son désir propre,
plutôt que les espoirs que ses parents avaient nourri pour lui :
devenir médecin. Il privilégie sa naissance spirituelle, dans un
cadre de forte communion favorisant sa prise de responsabilité à
l'égard de la communauté. Ses ambitions individuelles semblent se
confondre avec les ambitions collectives de diffusion du message religieux et
de la pratique quotidienne de la foi.
Pour tous les autres, l'entrée en vie professionnelle
s'accomplit « normalement », à l'issue des
études. S'ils semblent avoir fait le métier pour lequel les
études les avaient préparés, ils ne manifestent pas un
enthousiasme particulier qui laisserait supposer un accomplissement de la
dimension socio-professionnelle individuelle. C7 explique lui-même qu'il
a modifié son parcours professionnel en s'adaptant aux besoins
économiques du moment, en mettant en place une réorientation
professionnelle, une formation supplémentaire. Ingénieur, il
devient alors informaticien. Dans sa présentation, C7 laisse entendre
qu'il s'est adapté au marché de l'emploi et aux besoins qu'il
avait de gagner sa vie, sans avoir chercher à satisfaire des envies ou
des ambitions de réussite et de bonheur personnel dans ce domaine.
· Avec les « siens d'origine »
Comment les rapports aux siens sont-ils objets de
négociations, de compromis ou d'arrangements selon les individus du
groupe concerné, selon le types de liens entretenus avec chacun d'eux et
selon la nécessité individuelle de partager sa croyance
nouvelle ? Les figures du père et la mère respectivement,
sont différemment mises en jeu. Elle sont les figures
emblématiques du groupe d'origine, quelque soit la
prééminence que leur accordent les individus, tout au moins dans
leur récit de « conversion ».
Le rôle de la maman, chez C2, d'une part, conserve
l'importance nourricière et la dimension de respect à une femme
qui a élevé, seule, huit enfants. Mais, une sorte de
« mépris » à l'égard de sa
capacité à comprendre l'expérience religieuse de son fils,
transparaît dans l'expression de la décision de ne pas lui confier
la conversion à l'islam. L'âge et la bonne volonté de
l'individu maternel sont appelés comme les arguments clefs au silence.
Le cas de ce converti est, d'autre part, exceptionnel, car en effet, il
était marié et père de deux enfants avant de se convertir
à l'islam. Il s'agit donc pour lui d'être aux prises avec ses
ascendants et frères et soeurs, certes, mais avec son épouse et
ses descendants. L'événement est très brutal dans sa vie
d'homme, puisqu'il sait d'avance le type de problèmes, concernant la
notion de prédestination, en particulier, qu'il va affronter en
annonçant à son épouse, qu'il est devenu musulman. Il dit
lui-même qu'un adultère avoué aurait été
moins pénible à accepter par son épouse. Etonnante
comparaison ! La conversion : un adultère ? Oui, la
conversion à l'islam est souvent perçu comme un acte de
tromperie, de traîtrise et emprunt de mensonges. La conviction de C2 est
si forte, son besoin religieux est prédominant sur tous les autres
besoins existentiels. Est-ce d'autant plus fort qu'il était
dépourvu d'une éducation religieuse quelconque et issu d'un monde
ouvrier communiste ?
Pour C3, la figure de la mère apparaît dans le
récit comme l'interlocuteur intermédiaire avec le père.
Pour sa part, les relations avec sa famille se sont dégradées,
à cause du parcours socioculturel et à cause de l'intervention
d'une de ses belles-soeurs et de son frère.
Pour C7, aucun problème ne se pose avec la famille,
d'autant plus qu'aux yeux des musulmans sociologiques il aurait accompli un
« retour » à l'islam plus qu'une
« conversion ».
b. L'intersubjectivité relativement à la
croyance
Autant le « moment » de l'émergence
de la croyance en termes islamique implique une forme de prise de conscience de
soi, distincte de ce qu'elle était avant la conversion, autant ce
« moment » marque également
l'intersubjectivité de l'individu converti à l'islam. Ces
nouveaux rapports au collectif s'établissent sur trois niveaux, ceux
qui s'élaborent de facto et effectivement, avec la
communauté des musulmans tant du point de vue de la proximité que
du transnationalisme de cette communauté, ceux qui s'élaborent
implicitement et concrètement avec les autres croyants, et enfin, ceux
que l'individu tendrait à l'élaborer avec l'humanité toute
entière, d'un point de vue spirituel et d'un point de vue plus
séculier. Les rapports avec le groupe d'origine peuvent -ils être
considérés comme impliquant toutes les interrogations et toutes
les certitudes du converti, comme « terrain »
intermédiaire et de la croisée de toutes les
préoccupations du nouveau croyant en islam ? Cette nouvelle
configuration relationnelle , à ce stade, est plus philosophique et de
l'ordre de l'expérience individuelle et intime du religieux islamique.
Les convertis du corpus ont en commun le moment de l'expression de leur foi
islamique et ils se distinguent les uns des autres quant au fait de s'affilier
ou non à un guide spirituel musulman.
Similitudes
· Dire sa foi
En manifestant son « envie » de se
convertir ou en exprimant le sentiment intérieur de se
« sentir musulman », le futur converti est accueilli par
les musulmans sociologiques avec enthousiasme et coeur, avec une certaine
fierté et comme, avec un soulagement. Effectivement, ces musulmans
sociologiques avec lesquels le futur converti vit cette série de
mobilisations, tendent à laisser venir le futur converti de
lui-même à l'idée qu'il se sent musulman et l'accompagnent
dans sa « découverte » en lui disant qu'ils avaient
deviné qu'il [le futur converti] était musulman sans le savoir.
L'interlocuteur musulman est conforté dans son intuition et dans son
effort d'avoir exposer sa croyance, tout en ne forçant pas son
« initié ». Le futur converti devenu à ce
moment-là, le converti, se sent accompagné, respecté dans
son choix et pris en main sans subir de pression. Parler la croyance se
révèle décisif. Dire, oraliser et verbaliser le sentiment
intérieur d'être musulman contient les prémices de la
conversion qui se formalise en fait, simplement, par la prononciation de la
shahâda159(*).
La conversion à l'islam, effectivement, est avant tout
un choix libre et un geste authentique. Pour que cette liberté de choix
soit respectée, la conversion doit être préservée de
toutes démarches compliquées. La conversion peut être
même, reconnue sans ces démarches, elle conserve, ainsi, sa
dimension personnelle et individuelle, spirituellement islamique. L'un des
contemporain du Prophète avait demandé à celui-ci :
« comment pourrais-je devenir musulman ? Le Prophète
lui répond : dis, je crois en Dieu et sois
correcte. »160(*). Prononcer donc la shahâda est
suffisant pour devenir et se reconnaître soi-même pour musulman. Le
Prophète dit à cet égard : « Je suis
censé juger les faits extérieurs et dieu seul peut juger ce que
les gens ont à l'intérieur. »161(*) La profession de foi est,
aujourd'hui, toujours valable et est porteuse du sens d'appartenance et de
reconnaissance de la croyance de celui qui se veut, qui se dit et qui est
reconnu musulman. Pourtant, le corpus ci-joint et l'expérience
puisée à l'immersion dans l'univers de l'islam en France, nous
permettent de constater l'existence de démarches que certains affirment
comme nécessaires à la manifestation de la conversion à
l'islam. Il s'agit, en effet, de se soumettre à une sorte d'examen de
connaissances religieuses, comme apprendre la fatiha162(*) et la
réciter devant, soit un musulman que l'on considère comme
susceptible de rendre crédible la démarche, soit devant un
« fonctionnaire de culte », le plus souvent un imam de
mosquée ou de lieu de prière. Pour d'autres encore, il s'est
agit, toujours par une forme d'ignorance et de bonne volonté ou de
crédulité, de non seulement avoir à prononcer la
shahâda, mais aussi la fatiha et de faire la
prière, précédées des ablutions rituelles en
présence de musulman(s) qui deviennent témoins du converti et de
« sa bonne islamité », devant dieu et/ou devant un
imam. Et encore et finalement, dans certains cas, devant celui ou ceux qui
seront amener à délivrer au converti un certificat ou une
attestation de conversion. Ces documents sont délivrés
après examen toujours, à Paris, à l'Institut de la
Mosquée de Paris ou par le service des ambassades d'Arabie Saoudite et
d'Iran, en particulier. Quel sens et quelle valeur ont ces documents ? Il
s'agit seulement de valeur administrative, en raison, en particulier de la
nécessité de « prouver » à
l'état d'Arabie saoudite et à ses exigences de politiques
extérieure et intérieure, que l'on est musulman, pour se rendre
sur le territoire saoudien afin d'accomplir la `umra ou le
hajj163(*). Ces
contraintes administratives mesurent-elles le degré de croyance du
converti ? Ou sont-elles mises en places par l'Arabie Saoudite, sur le
territoire de laquelle se trouvent les lieux saints de l'islam, afin de les
préserver de toute « impureté » liée
à la présence éventuelle de non-musulmans ?
Disparités
Etre en relation avec un guide lorsque l'on est musulman,
implique que l'on soit affilié de façon plus ou moins
serrée à une confrérie. Les confréries musulmanes,
le plus souvent dites soufies, c'est-à-dire, mystiques, ont une
tradition historique de missionnariat, « elles ont, [dès
le XIIè siècle] fourni des missionnaires pour la conversion des
populations conquises et développé un mysticisme populaire qui a
facilité l'adhésion des masses. »164(*) Elles rayonnent encore
aujourd'hui de façon transnationale bien que certaines soient plus
particulièrement attachées à une ethnie ou à une
région géographique. Ainsi, les individus du corpus ci-joint qui
annoncent leur affiliation à un guide, sont également sur une
voie islamique plus emprunte de traditions, comme les traditions
sénégalaise ou iranienne que ceux qui sont dans un lien à
l'islam moins « personnalisé ». Deux cas de
convertis attirent l'attention, il s'agit de C1 et de C5. Un troisième
cas, C3, est également significatif, bien qu'au moment des entretiens
accomplis avec lui, il dise ne plus appartenir à une confrérie et
ne veuille pas décrire plus avant son expérience.
· Un guide spirituel, pourquoi ?
Les relations avec un guide ou un maître permettent un
travail intérieur chez l'individu qui favorise l'effectivité de
l'entrée dans la voie de l'islam. La forme d'enseignement implicite
à cette relation se distingue des formes profanes d'apprentissage sans
pour autant en être les antithèses. Cette forme est symbolique et
son langage plus universel puisqu'elle tend à communiquer ce qui n'est
pas exprimable : l'influence spirituelle. L'individu converti est, dans ce
cadre, en pleine possession des moyens propres à sa personnalité,
pour envisager une forme d'universalisation de sa réalisation
spirituelle personnelle et individuelle.165(*) L'établissement d'un rapport initiatique au
maître est très inégal selon les expériences
recueillies dans le corpus. C1 et C5 sont clairement les seuls à avoir
entretenu un rapport avec un guide spirituel au cours de leur vie de musulman.
C1, pour sa part, avait déjà établit ce type de lien et de
relation dans sa vie religieuse précédente, en Inde. Dans son
récit, cette expérience semble très centrale pour lui tant
du point de vu spirituel et initiatique qu'émotionnel. C5 lui aussi,
semble établir un rapport de guidance dans sa vie religieuse islamique,
ce qui n'a pas été le cas, en apparence, dans sa vie religieuse
antérieure de protestant. En apparence, car, la forte présence de
sa grand-mère pourrait avoir été vécue comme une
relation à un guide. Dans ces deux cas, l'appartenance à une
confrérie religieuse islamique est manifeste. Il s'agit de la même
confrérie, celle des Mourides au Sénégal. C3, lui, dans un
entretien informel, précédant l'entretien enregistré et
transcrit dans le corpus, a confié une précédente
appartenance à une tariqa (voie, au sens de confrérie)
soufie. S'il ne parle jamais d'un guide dont il aurait suivi l'initiation, se
dégage de son discours, l'influence et la grande importance qu'a rempli
le « monsieur iranien » rencontré au début de
sa vie religieuse islamique. Si C1 et C5 sont pleinement impliqués dans
une relation à leur guide, C3 semble lui avoir, disons, mitigé
son rapport au « maître » spirituel. Tout en
préservant son individualité, son esprit critique et sa
liberté, il est resté sensible à l'apport intellectuel et
spirituel de certaines personnalités rencontrées, et auxquelles
il consacre à la fois, un respect et une forme de mystère.
Dans les cas des expériences religieuses de C1 et C5,
les rapports au guide sont emprunts de respect, de mystère et
d'admiration autant que d'incompréhension et de violents sentiments
émotionnels relatifs à des formes d'agressions du moi de
l'individu, agressions subies et acceptées au nom de l'engagement
spirituel pris implicitement avec le guide. En effet, la guidance n'est
marquée que par de l'implicite et du non-dit. Elle est également
marquée par une reconnaissance mutuelle. La reconnaissance et
l'acceptation d'être dans une telle sorte de lien, se produit à
l'initiative du « disciple » et à celle du guide. C1
dit même qu'il a choisi son guide. Pour C5, la relation est très
passionnelle, imprégnée de rejets et de forte attirance
intellectuelle et spirituelle. Cette relation est dominée, dans ces deux
cas, par la voix du guide en une sorte de Toi, seul, peux devenir ce que tu
es, et tu dois combattre ton orgueil. Ce qui s'effectue à l'aune du
guide, de son expérience, de sa dimension spirituelle, de son
rayonnement au sein de la confrérie, de son rayonnement en tant que
« descendant du Prophète » et de son rayonnement
international. Que préfigure cette relation ? Une relation au
père qui aurait manqué ? Une relation à un soi
idéal à atteindre ? Une initiation certainement, au sens
même que R. Guénon précise : « Dans le
cas de l'initiation [...] c'est à l'individu qu'appartient l'initiative
d'une « réalisation » qui se poursuivra
méthodiquement, sous un contrôle rigoureux et incessant, et qui
devra normalement aboutir à dépasser les possibilités
mêmes de l'individu comme tel ; il est indispensable d'ajouter que
cette initiative ne suffit pas, car il est bien évident que l'individu
ne saurait se dépasser lui-même par ses propres moyens, mais, et
c'est là ce qui nous importe pour le moment, c'est elle qui constitue
obligatoirement le point de départ de tout
« réalisation » pour l'initié
[...] »166(*) On y trouve ainsi l'expression de la liberté
individuelle utilisée pour secouer le joug des contraintes
intérieures tant psychologiques que culturelles ou religieuses ou
supposées telles, afin d'acquérir un mieux être spirituel
dans la nouvelle configuration de la foi islamique, que pour accéder
à la participation du collectif. Le collectif est, bien sûr, dans
un premier temps, celui de la confrérie et, dans un second temps,
l'ensemble des croyants et pour finir toute l'humanité. Comme dans
l'expérience de C1 en Inde, la relation au guide, comme pour C5, est
toujours suspendue à la possibilité qu'a le disciple de s'en
libérer. Cette contrainte est fondée sur la
responsabilité, le choix et la liberté individuels de tenir ses
propres engagements vis-à-vis de soi avant tout, de dieu et de la
communauté, avec effort et obligation, mais dans le cadre du libre
arbitre, renouvelé et rénové. Cette relation semble
investir le « disciple » de façon encore plus
profonde d'un rôle de transmetteur, de porteur de parole et de foi, quand
au retour en France, il se sent prêt à diffuser dans la
société postmoderne, ses convictions religieuses. Le rapport
guide/disciple est initiateur d'un apostolat chez le
« converti » que l'on ne retrouve pas chez les autres
témoins du corpus.
c. L'après conversion : une identité
collective amphibie
Il est possible d'observer ce qui suit quant aux relations du
converti avec, désormais et pour la vie, ses deux univers
d'appartenance. En effet, si au début de sa conversion, il est
particulièrement bien accueilli par les siens d'appartenance, ce sont
« les siens d'origine » qui demeurent assez sceptiques et
froids, voire franchement hostiles ou encore ne prenant pas au sérieux
la nouvelle dimension religieuse de l'existence de leur fils, de leur
frère ou de leur ami. Lorsque la conversion s'installe et devient une
réalité dans le temps, les hostilités des
« siens d'origines » peuvent diminuer voire
disparaître (ce qui est rarement le cas lorsqu'elles sont intenses
dès le départ). L'idée qu'il s'agissait d'une lubie de
jeunesse comme pour C3, qui avait permis aux parents de
« supporter » la nouvelle croyance de leur fils, mais
finalement de se voiler la face et de ne pas reconnaître l'individu et la
dimension responsable de leur descendant, fait place à une
déception et à un refus encore plus net de cette dimension chez
l'autre. Si les relations avec les « siens d'origine »
n'ont pas été hostiles, au début, mais seulement
empreintes d'une surprise, d'un étonnement et de tolérance, elles
s'améliorent avec le temps, avec la persévérance que vit
le converti dans sa foi, pour, en fait, normaliser cette nouvelle
identité au sein du groupe d'origine. L'après conversion
révèle en revanche de nombreuses difficultés au converti
dans sa communauté des « siens d'appartenance ». Ces
« heurts » sont nouveaux et bien spécifiques
à la fin du XXème siècle et au début du
XXIème. Les témoignages de convertis ayant vécu au milieu
du XXème siècle particulièrement, ne sont pas
frappés au coin de déceptions relatives à la
communauté d'accueil. L'on constate donc, sauf pour le cas de C1 et C4
appartenant tous deux à la confrérie des Mourides, dans le
témoignage de tous les autres, des formes de regret, de déception
et de désillusion concernant les relations qu'ils vivent avec les
musulmans sociologiques après la « conversion ».
Similitudes
Si le converti semble réconcilié avec le
collectif universel, il est en porte-à-faux avec sa famille d'origine,
les ascendants, le plus souvent (5, voir tableaux p.). Faut-il pour se
concilier l'universel s'affronter au collectif proche de l'appartenance
initiale ? Ou bien est-ce une simple conséquence ? Tous les
convertis savent d'avance que se convertir à l'islam posera quelques
problèmes à leur famille, pourtant, ils vivent leur conversion,
deviennent musulmans en prenant ce « risque ». C'est
d'autant plus intéressant qu'en termes islamiques, le respect des
ascendants et l'effort pour ne pas les faire souffrir sont fondamentaux, voire
constitutifs du fait même d'être un « bon
musulman ». Comment le justifier alors ? Au nom du fait qu'ils
répondent à un appel divin, dieu reste supérieur à
toutes créatures terrestres, ils acceptent de ne plus être en
harmonie avec leurs ascendants. Mais, en fait l'ont-ils jamais vraiment
été ? Pourtant ils ont tous le souci de recréer une
harmonie autour de leur foi, en fondant une famille basée sur un mariage
avec une musulmane. Qu'implique cette aspiration et comment vont-ils la
réaliser ?
· De « l'homme marginal » au
médiateur
« Homme marginal » au sens de R.
Bastide, le converti banalise sa marginalité
« d'origine » en essayant de la dissoudre dans deux
systèmes de pensée dont les deux univers socioculturels trouvent
des difficultés à communiquer dans la société
française ultramoderne. Pour tous, et à degré divers, leur
statut public de musulman les portent à devenir des médiateurs
culturels ou/et religieux, malgré eux parfois. Ceci, bien qu'ils ne le
souhaitent pas, ils privilégient leur développement spirituel
individuel. Ce développement très individualiste peut même
prendre des tournure misanthropiques. Cette médiation a tendance
à s'établir en termes d'explication de l'islam aux non musulmans,
donc de l'univers culturel islamique vers l'univers français,
plutôt que dans le sens inverse. En essayant de ne pas devenir, dans
leurs cercles de relations sociales, le « converti de
service », ils se prêtent aux débats, tant pour
continuer à témoigner de leur foi individuelle, que pour
désenclaver ceux qui les sollicitent, des idées reçues et
a priori de toutes sortes. L'exception à cette médiation
peut pourtant se rencontrer sur le terrain de l'interrogation concernant la
laïcité. En effet, si tous les Français semblent vivre en
toute conscience et en toute connaissance de cause dans une république
laïque, l'actualité de ces dernières années, a
révélé l'ignorance que nous pouvons avoir de ses principes
et de son application. La question de la représentativité de
l'islam sur le territoire national, celle du foulard
islamique167(*) et celle des évènements
internationaux, jusqu'aux plus récents, ont réveillé une
volonté de meilleure connaissance de la laïcité jusque dans
les sphères islamiques du pays. En effet, les musulmans sociologiques,
vivant en France, se sont astreints à mieux connaître la loi de
1905 et ses tenants et aboutissants tant philosophiques que juridiques. Les
convertis, même indirectement, y ont participé. Médiateur
malgré lui, parfois, donc, le converti cultive néanmoins une
modestie à l'égard de son savoir islamique, enclin à ne
pas faire de prosélytisme, à respecter les choix individuels et
la liberté d'autrui, possessif qu'il est de sa propre voie et soucieux
de préserver sa vie spirituelle. Pourtant, les entretiens, dont le
compte-rendu est joint, confirment à quel point, ils se
réjouissent socialement et spirituellement de partager leur
expérience et leur savoir, leur foi et leur conviction religieuse, d'une
part, et à acquérir toujours de nouvelles connaissances, d'autre
part. Comment la figure du converti prend-elle, alors sa dimension
d'intermédiaire religieux et culturel et son calibre
prométhéen ?
· Le mariage
Dans le cadre des relations entretenues avec les musulmans, et
plus particulièrement avec les musulmans sociologiques, il est possible
de traiter de la dimension à la fois individuelle et collective de la
création d'un couple, voire de la création d'une famille.
En islam, d'une part, se marier et procréer sont des
« obligations » spirituelles pour l'homme comme pour la
femme. D'autre part, un homme musulman peut épouser une femme non
musulmane, chrétienne ou juive. L'athée ou l'agnostique lui sont
interdites. Enfin, rappelons que le mariage entre musulmans n'est pas un acte
sacré, mais séculier, contrairement aux mariages chrétien
et juif. Le mariage, en islam sunnite, est un contrat entre deux individus,
réalisé chez le notaire, `adil, en présence de
témoins pour chacun des époux. Ce mariage s'apparente plus au
mariage républicain, ce qui n'est certainement pas pour déplaire
aux convertis du corpus concerné. Le mariage en islam sunnite ou shi'ite
revêt, quand même, une spécificité ignorée du
mariage républicain : la possibilité de la polygamie.
Comment se marie-t-on lorsque l'on est converti à l'islam ? Comment
ces hommes convertis à l'islam envisagent-ils la dimension polygamique
du mariage islamique ?
En effet, les hommes convertis du corpus étudié,
quand ils ne sont pas mariés, souhaitent le plus souvent épouser
une musulmane ou bien une femme « croyante » qui le
deviendrait. Pourquoi ne disposent-ils pas du choix qu'ils ont d'épouser
une non musulmane ? Un foyer univoque islamique leur semble
préférable, et ce, du point de vue individuel, dans un premier
temps. Dans un deuxième temps, ils arguent de ce choix pour manifester
leur souci de pouvoir élever leurs enfants à venir, dans l'islam.
Quand ils sont mariés, ils ont épousé une musulmane, le
plus souvent de naissance. On peut comprendre, dans un troisième temps,
qu'il sont motivés par le besoin de s'affilier à la
communauté musulmane, d'établir l'engendrement spirituel dans une
lignée familiale, une tribu, arabe et de surcroît potentiellement
et mythiquement descendante du Prophète Mohammed168(*). Il est, en revanche,
très clair pour tous, que devenir musulman ne signifie pas devenir
Arabe. Et bien que la distinction entre l'appartenance religieuse et
l'appartenance culturelle soit très précisément
établie, une « gourmandise » les pousse vers la
chaleur de la civilisation arabe. Exception faite de C7, d'une part, qui, en
conservant son esprit critique déjà mis au service de la remise
en question des attitudes de son groupe d'origine, manifeste son scepticisme
envers la civilisation arabe et les interactions arabe/islam. Et de C1 et C5,
qui sont plus en relation avec l'univers culturel sénégalais
qu'avec l'univers culturel arabe. Il est possible d'imaginer, bien qu'aucun ne
l'a dit explicitement, que la crise de la famille et du couple à
l'occidentale ne les encourage pas à envisager d'établir un
couple dans la multiplicité des configurations post-moderne, mais
à chercher dans un autre système de pensée, les moyens
d'élaborer un couple basé sur le spirituel et conçu comme
le champ de la pratique religieuse et de l'engagement.
C3, a lui, élaboré son couple. En choisissant
d'épouser une femme musulmane sociologique, plus qu'une femme convertie,
comme lui. Il est remarquable de constater comment C3 est partie à la
recherche de son épouse. En effet, il a mis en place des pratiques
traditionnelles que l'on retrouve très vivaces encore au Maghreb et plus
particulièrement au Maroc : ces pratiques consistent à
activer un réseau de relations sociales, familiales et amicales, afin de
rencontrer celui ou celle qui sera le compagnon de mariage. Exit pour C3,
l'histoire d'amour fondatrice d'un couple idéal et heureux ! Il
sollicite donc ses amis musulmans marocains, émet ses
« exigences », plutôt centrées sur le fait que
sa future épouse devrait être musulmane et mature. Peu lui importe
l'âge ou la beauté, l'origine sociale ou professionnelle. Le
renouveau des rencontres en vue de mariage par le biais d'agences
matrimoniales, du minitel et d'internet ne peut permettre donc de regarder la
démarche de C3 sous l'oeil moqueur ou sceptique si fréquent. En
puisant à des sources anthropologiques traditionnelles, il n'en reste
pas moins ou n'en devient pas moins, un individu ultramoderne. Le couple de C3
semble, non seulement s'être constituer, mais s'être
réaliser et se dérouler sans heurts. Trois enfants sont
nés de ce mariage, et chaque membre semble accompli. Peut-on
s'interroger alors ici qu'en fait le multiculturalisme ambiant est plus une
question de formes des comment vivre, travailler, aimer et croire, qu'une
questions de fond, quelle vie mener, quelle profession pratiquer, qui aimer et
que croire ?
Un cas, C2, attire pourtant l'attention. En effet, divorcer
d'une femme croyante n'est pas une obligation lorsque l'on se fait musulman, la
patience et l'espoir qu'elle se convertisse devant rester impérieux. Le
dilemme se pose quand elle est « agnostique et
athée » et que la configuration du couple semblait
déjà mise à mal, avant la conversion de C2. Si, à
l'heure actuelle, le chercheur ne sait pas si la rupture conjugale
annoncée a été consommée, il est évident,
par le témoignage de C2, que sa conversion a été un
bouleversement individuel, mais également familial et affectif, plus que
dans tous les autres cas. Bien que cette rupture l'affecte, il semble
déterminé à ne rien céder sur le terrain de sa vie
spirituelle individuelle qui devient Le centre de sa réalisation sociale
et identitaire. Il souhaite la consacrer pleinement à l'islam au point
de fonder une famille, un foyer avec et uniquement une femme musulmane. Il est
perceptible dans son récit qu'il s'agirait pour lui d'une
réalisation totale de sa nouvelle vie de musulman.
Quant à la polygamie, tous les convertis
interrogés ont non seulement expliqué qu'ils en connaissaient les
tenants et aboutissants islamiques historiques et juridiques, qu'ils ne
songeaient pas en user a priori, et que ce n'est pas cela qui aurait participer
de leur conversion à l'islam.
Se marier avec une femme musulmane, ne serait-ce pas une
façon de s'attacher corps et âme à la foi islamique ?
Cela ne pousserait-il pas cet homme a être plus musulman que musulman,
plus honnête qu'honnête et plus fidèle à son
engagement marital qu'il ne l'aurait jamais été ?
S'agirait-il pour ces hommes de finaliser leur intégration spirituelle
en se donnant « toutes les chances » de pouvoir
élever leurs enfants en islam, en faisant d'eux des musulmans
sociologiques et tentant alors « d'effacer » leur
conversion -conversion, dont certes ils ne souffrent pas et dont ils n'ont pas
honte, mais qu'ils décrivent toujours comme n'ayant pas
été assez précoce ? Ne s'agit-il pas pour eux de
« démontrer » qu'il est possible, aujourd'hui, de se
marier avec quelqu'un, et de projeter ce couple dans un long terme et sur des
bases, comme les spirituelles individuelles, plus difficiles à
ébranler que toutes celles qui sont appelés en renfort du point
de vue ultramoderne ? Ce type de mariage supposerait-il donc deux
idées sous-jacentes : celle qui considère que le sentiment
amoureux comme ciment du couple est désormais une hérésie,
la preuve en serait tous les échecs constatés et celle que le
couple concerne des individus avant tout, en étant une affaire
séculière, mais au coeur duquel il est possible de puiser des
forces spirituelles, pour les individus et les communautés auxquelles
ils appartiennent ?
Disparités
Les disparités de ces rapports
d'intersubjectivité se répartissent elles, sur cinq niveaux. Il
s'agit d'abord de la manière dont chacun et différemment va
vitaliser sa foi, puis des rapports qu'il va établir avec son groupe
d'origine et enfin, des rapports qui se nouent avec le groupe d'accueil. Les
rapports aux enfants et enfin les relations professionnelles les distinguent
les uns des autres.
La vitalisation de la foi peut se faire en effet autant de
façon très individuelle, le plus souvent par l'acquisition de
connaissances que par les rapports aux autres croyants, aux lieux de culte
proprement dits et aux cultures dans lesquelles l'islam s'est implanté.
Les relations au groupe d'origine s'établissent d'une part avec la
famille du converti et avec son milieu professionnel non musulman. Celles avec
le groupe d'accueil sont plus des relations de religiosité et de
pratiques. Ils différent les uns les autres quant aux relations qu'ils
établissent avec leurs propres enfants dans le cadre de l'aspiration
religieuse. Les relations dans le milieu professionnel, si a priori,
elles n'ont encore moins lieu d'être traitées sous l'angle
religieux, ne peuvent être exemptes des interactions vie
privée/vie publiques en jeu dans le monde professionnel ultramoderne.
· Vitaliser sa foi
Les pratiques religieuses sont pour tous les convertis du
corpus ci-joints le moyen de vitaliser l'expérience religieuse de la foi
et de la conversion. La prière, pour tous, un impératif, la
prière collective et le ramadan sont des actions très
significatives, très importantes.
C7 se distingue des autres nettement pour avoir accompli deux
fois, après deux années de conversion, le pèlerinage de la
`umra à la Mecque. Acte de vitalisation par excellence, certes,
mais aussi voyage en terre d'islam et rencontre avec des musulmans vivant
quotidiennement leur foi, en situation majoritaire. La confrontation d'une foi
un peu abstraite avec un type de fidèles musulmans, lui a permis de
mieux connaître l'islam, ses diversités et ses pratiques et de
dissocier l'islamité de l'arabité ou de l'africanité.
· Avec les
« siens d'origine »
Ce mieux être social, du point de vue de l'individu,
semble s'atténuer lorsque l'on aborde le thème des relations au
groupe d'origine, plus spécifiquement la famille du converti ou le
groupe auquel le converti participait avant. En particulier dans le cas de C1,
son groupe d'appartenance spirituelle précédant sa conversion
à l'islam, était bouddhiste. L'annonce de sa conversion à
l'islam semble avoir refroidi ses relations avec ce groupe. Au point qu'il en
déduit lui-même que, soit sa conviction est trop forte, pour
être comprise par eux, soit encore, qu'ils ne seraient pas prêts
à recevoir une telle « révélation ».
Lorsqu'il s'agit des relations aux parents, au père et à la
mère, les conflits ont surgi, bien qu'apparemment, il ne soit pas
possible à un parent français, dans les milieux sociaux
favorisés, aujourd'hui, d'empêcher un de ses enfants de choisir
une autre religion que la sienne, respect de la laïcité et de
l'individu également, oblige.
Si, bons nombres des convertis
« étudiés » disent ne pas avoir de bons
rapports avec leur famille d'origine depuis l'annonce ou la confirmation de
leur conversion à l'islam, pour certains il en va autrement. Les
relations sont aussi bonnes qu'avant. Ou plus complexes encore, les relations
avec certains membres de la famille sont meilleures qu'avant, c'est le cas de
C7 et de son frère athée dont C7 dit : « mes
relations avec mon frère athée sont meilleures depuis que je suis
musulman, les athées respectent plus les convertis que les croyants
d'origine. »
C1 dit avoir conservé de bonne relations avec sa
mère, malgré un petit moment difficile, le moment de l'annonce,
mais surtout avoir élaboré de meilleures relations avec son
père. Bien que ce ne soit pas dit dans l'entretien ci-joint, puisque
cela fait partie d'entretiens informels, C1 confie qu'un de ses oncles est venu
à l'islam « grâce à lui ». Cet oncle a
retrouvé le sens de la vie et la dignité de l'existence
grâce à l'islam, sans prosélytisme aucun de C1,
apparemment. Faire école, n'est pas très
fréquent !
· Avec les « siens
d'appartenance »
Une fois que le futur converti devient musulman et s'affirme
comme tel auprès des musulmans sociologiques, une période
idyllique courte s'ouvre à lui. Ce temps de
« convalescence », ce temps de « nouveau
né » en islam confère au converti un statut
privilégié au sein de la communauté musulmane
sociologique. Il est choyé, accompagné, encouragé,
soutenu, initié et est encore nimbé d'une aura de bienvenue. Le
temps des devoirs peut alors s'ouvrir. Devenu l'égal, en pratique et en
devoirs, en croyance et en tradition, des musulmans sociologiques, le converti
n'en reste pas moins toujours tenu pour « converti » par
ses pairs. La distinction croyance islamique et traditions est alors en pleine
lumière. Le converti se trouve, d'une part, face à une situation
nouvelle : celle de s'acculturer ou non, celle d'être
français musulman pour n'ayant, tout simplement pas la
possibilité de devenir arabe, marocain, syrien, jordanien,
égyptien, saoudien, sénégalais, pakistanais ou iranien,
etc. D'autre part, si chaque musulman sociologique sait que par les principes
coraniques, aucun musulman ne peut juger, jauger ou mesurer le degré de
foi d'un de ses coreligionnaires, l'appartenance à la communauté
des croyants, la Umma, pose la responsabilité de chacun à donner
l'exemple, en tant que croyant. Le converti n'échappe évidemment
pas à cette responsabilité, musulman « comme les
autres » qu'il est devenu. En fait, le converti n'est jamais
« comme les autres ». Le plus souvent, il se veut plus
musulman que les musulmans, dans les débuts de sa conversion tout du
moins, à la fois pour dépasser la séparation
traditionnelle qui le sépare de ses
« frères », pour acquérir au mieux les
pratiques et parce que novice il est encourager par les autres à faire
mieux encore, à honorer l'engagement qu'il prend non seulement devant
dieu, mais aussi dans la communauté humaine.
On peut supposer que dans les cas réunis dans ce
corpus, l'intention de bien faire, voire de mieux faire, soit d'autant plus
importante chez eux, qu'ils ont été critiques des pratiquants de
leur groupe religieux d'origine. Critique qui est à la base même
de leur quête spirituelle et donc de leur conversion à l'islam
(sauf C1 et C2). L'exigence d'être un « bon » croyant
vient donc d'abord d'eux-mêmes. Cet enthousiasme voire ce
« stakhanovisme » à devenir un musulman accompli, ne
peut, à son tour, que réjouir les musulmans sociologiques qui les
accompagnent. Mais, cette intensité de foi, de pratique,
d'apprentissage, de formation à la langue arabe (particulièrement
pour C3 et C6), de connaissance coraniques, hadithiques et
exégétiques met le converti en porte-à-faux avec ses
coreligionnaires sociologiques. Avide de savoir, il devient parfois plus
« savant » qu'eux. Mais, surtout vierge des poids de la
civilisation arabe, africaine ou asiatique, il aborde textes, connaissances et
références, le Coran excepté, d'un oeil vif, neuf et sans
complexe, le plus souvent. En l'absence d'un terreau traditionnel qui lui
permettrait d'élaborer des repères, le converti vitalise sa
croyance aux livres et met en jeu son esprit
« cartésien ». Ceci trouble ses coreligionnaires
sociologiques, au point parfois, que certaines confréries créent
des sous-groupes de convertis. Isolés au sein de la fameuse Umma
universalisante, ghéttoïsés, stigmatisés les
convertis sont, alors des musulmans minoritaires, suspects et
dérangeants. Les heurts culturels et de systèmes de pensée
peuvent éloigner les musulmans sociologiques du converti ou
éloigner le converti de ses frères, musulmans depuis des
générations, héritiers donc d'une mémoire
collective, intuitive et traditionnelle. A leur tour, les musulmans
sociologiques pour la plupart semblent « attendre » que le
« converti » devienne musulman « comme
eux ». Les références que peut établir un
« converti » avec d'autres systèmes de
pensées religieux ou philosophiques, souvent liés à sa vie
« d'avant », sont assez fréquemment
« refoulées » par les musulmans sociologiques. Ils
arguent du fait que le « converti » aurait en adoptant
l'islam, adopté « le meilleur système
religieux » qui soit. Ainsi, pourquoi donc continuer à le
mettre en rapport avec les autres, la pensée individuelle, l'analysez et
la compréhension ? Le « converti » devient
alors une sorte de « mouche du coche », trouble fête
malgré lui, et rengaine sa dynamique intellectuelle ou tout simplement
ses interrogations, pour souvent s'isoler d'une façon ou d'une autre de
ses frères sociologiques. Cette mémoire, donc à laquelle
il est condamné à ne pas avoir accès, ou du moins
succintement, il doit en faire le deuil. Au deuil de la tradition, le converti
ne se retrouve-t-il pas à faire le deuil de son rêve
(naïf ?) d'universalité, réalisé par son
appartenance spirituelle à l'islam et religieuse à la
Umma mythique, société idéale ? Il s'agit
pour le converti, à nouveau, de faire émerger son
individualité de musulman dans le cadre normé et normatif de
l'islam dont il sait, le plus souvent parfaitement, intégrer les
contraintes.
Les « convertis » entre eux ne se
facilitent pas la tâche pour autant, non plus. Ils suspectent la
sincérité de leurs semblables. Selon qu'ils sont d'une
obédience ou d'une autre essaient de convaincre qu'ils sont
« plus musulmans » que l'autre, mieux informés et
plus aptes à l'être. Ils rivalisent de connaissances et de
pratiques, s'excluant les uns et les autres et créant un tribalisme
nouveau. Certains fondent des confréries de
« convertis ». Quant à ceux qui sont
médiatisés, ils sont les plus susceptibles à être
critiqués tant par leurs « frères »
« convertis » que par les
« frères » sociologiques. Comment
désenchevêtrer cet imbroglio ?
· Avec ses enfants
Quatre des convertis interrogés sont pères. C3 a
accompli sa paternité dans un couple après sa conversion à
l'islam. Ses trois filles sont élevées dans l'islam tant par leur
père que par leur mère, celle-ci étant musulmane
sociologique. Si C3 peut souhaiter que ses filles choisissent d'être
musulmanes, il n'oublie pourtant pas qu'elles pourraient elles aussi, comme il
l'a fait, ne pas suivre la voie spirituelle de leurs parents. Il semble leur
enseigner l'islam de façon ouverte en leur apprenant que le
christianisme et le judaïsme existent. Pour C2, la situation semble plus
complexe. Il est père de deux garçons, nés, avant qu'il se
convertisse à l'islam. Si bien sûr, au moment de l'entretien, sa
situation familiale était bouleversée par son choix spirituel, il
n'en émettait pas moins le voeu de pouvoir instruire ses enfants des
valeurs islamiques, et se disant lui-même, d'une part qu'il ne peut pas
imposer à ses enfants d'être musulmans, d'autre part, qu'à
« l'âge de raison », ils comprendront la
différence de foi entre leur père et leur mère. Pour C4,
le choix religieux des enfants ne semble poser aucun problème,
« ils ne sont pas croyants, et d'instruction chrétienne
classique », dit-il. Pour C6, il semble que ce soit plus les
valeurs du coeur que les valeurs religieuses islamiques qui soient à
transmettre.
Pour tous les autres, le souhait est manifeste de pouvoir au
moins transmettre leur foi islamique à leurs enfants, d'autant qu'ils
ont avant tout le voeu d'épouser une musulmane. Ce dernier
permettrait-il donc à ces hommes de s'assure les conditions
idéales pour essayer de faire de leurs enfants des musulmans ?
S'agit-il de comprendre qu'implicitement, pour eux, ne pas vivre avec une
musulmane entraverait leur intentions ?
· Et les relations professionnelles
Du point de vue de la vie professionnelle, les individus du
corpus ci-joint sont différents les uns des autres. En effet, pour C3,
son entrée sur le marché professionnel s'est accompli
après sa conversion, au point que lorsqu'il a été
recruté comme ingénieur, il a souhaité préciser
qu'il était musulman, afin a-t-il dit dans une partie informelle des
entretiens menés avec lui, « qu'il n'y ai pas de surprise,
quant à sa pratique du ramadhan, en particulier. » C4,
également, est converti avant d'entrer sur le m arché du travail.
Enseignant, si chacun peut savoir qu'il est de pratique musulmane, cela n'a pas
l'air d'être vécu de façon prosélyte de sa part, ni
de façon paranoïaque. Il ne s'en cache pas, mais ne l'expose pas
pour autant. Pour C1, ce n'est pas le marché du travail, dans un premier
temps, auquel il dut se confronter, alors nouvellement converti, mais au monde
de la formation professionnelle. Sans aucune ostentation, voire même avec
discrétion, car il s'est présenté avec son prénom
français, il n'a pourtant pas caché son intérêt pour
le monde musulman. En formation informatique de création de sites
Internet, il développe son projet autour de la personnalité de
Cheikh Amadou Bamba, et recueille toutes les informations visuelles ou
techniques concernant le sujet. Il précise qu'il n'a pas à
imposer quoique ce soit et que ceux qui manifesteront leur intérêt
pour ce qu'il fait, en termes religieux, seront les bienvenus. C2 devient
musulman sur son lieu professionnel, ce qui le distingue nettement des autres.
Ainsi, non seulement il partage sa foi nouvelle avec ces collègues
féminines et masculins musulmans sociologiques avec lesquels il dit
s'être initiés. La direction de l'entreprise dans laquelle il
professe est pourtant de pratique judaïque. Il ne souhaite pas que cette
direction connaisse plus profondément le type de sa croyance. Bien qu'il
ne craigne pas les rumeurs, il n'affiche pas sa foi et espère avoir eu
raison d'avoir eu confiance en certains de ces collaborateurs et
collaboratrices qui n'iront pas parler de sa conversion. C5 était, lui
aussi, architecte avant de se convertir. L'entretien, avec lui, fut assez
difficile sur la question, il semble néanmoins qu'il ne rencontre pas de
difficultés à être devenu musulman, d'autant que la
confession religieuse d'un acteur professionnel ne fait pas, en France, l'objet
d'une connaissance publique. C7, ingénieur également avant sa
conversion, dit -lui même qu'il en parle volontiers
« à ceux qui veulent bien l'entendre », que
cela soit su dans son entreprise ou pas, l'indiffère. C6 n'est plus en
activité professionnelle depuis qu'il est converti, en formation, il ne
se soucie pas non plus de savoir ce que l'on pourrait penser de sa foi,
d'autant que pour lui, il s'agirait, d'une forme de « retour à
l'islam ».
Ainsi, il est possible d'observer que chacun use à son
aise de sa liberté d'exprimer en public sa croyance. Du domaine du
privé, elle reste toujours relativement préservé de toute
communication ostentatoire. Le cas de C3 reste exceptionnel, bien que l'on
puisse sentir chez tous une certaine envie de pouvoir le dire sans retenue dans
quelque espace public que ce soit. S'agit-il de l'expression ultramoderne de la
religiosité ? Ou bien est-ce spécifique à la foi
islamique ? Par, expérience, le chercheur ayant eu affaire à
des convertis au bouddhisme, il peut constater la même
« envie » chez ces croyants de
« partager » leur foi, aussi bien sur le lieu du travail
qu'en d'autres espaces publics. Ils sortent la croyance de l'espace
privé, avec une forme d'impertinence, mais également avec la
conviction qu'il faut investir le monde moderne trop sécularisé
à leur yeux, de dimensions éthiques revisitées et à
communiquer autrement.
D. Une minorité dans la
minorité
De la subjectivité
Le « sujet » du converti est, donc une
identité qui s'établit, d'une part, en termes de
« j'appartiens pleinement à un univers donné,
intellectuel, culturel, spirituel » ET « je suis un
individu qui interprète spécifiquement le monde et le
système de pensée de l'univers I auquel
j'appartiens ». Le converti ne change pas d'identité, il
complète son identité par le développement de sa dimension
spirituelle. L'individuation des « convertis » du corpus
est spécifiée par l'adoption d'un système religieux
dépourvu d'un intermédiaire entre le croyant et dieu,
dépourvu d'une hiérarchie ecclésiastique officielle. Ces
deux aspects mettent en exergue la dimension solitaire du musulman et donc de
l'individu postmoderne qui le devient et renforce le fait que dieu s'adresse
à lui personnellement et à qui tout aussi bien le
« converti » peut s'adresser. L'absence d'autorité
ostensible en islam sunnite, plus particulièrement, ou l'existence de
multiples autorités de savoir, sans que l'une prévale sur les
autres, font un effet de miroir à la désintitutionnalisation
ambiante en société française postmoderne, à la
« réseauification » ou à la
« tribalisation » de la société, et maintient
l'individu soit, dans un contexte de perpétuel apprentissage soit, lui
permet de choisir, encore une fois, comme un renouvellement d'alliance, la
sous-tribu musulmane.
Pourtant, sur les 7 témoignages recueillis, un seul
n'appartenait pas à un système religieux avant de se convertir
à l'islam. Bien que sociologiquement judéo-chrétein, pour
conserver cette acceptation, par son environnement sociétal, il n'a pas
eu véritable à désactiver un système de croyance
pour en adopter un autre. Contrairement aux autres, qui ne semblent pas avoir
complètement désassimiler le système religieux d'origine
pour assimiler le système religieux d'appartenance, mais plutôt
avoir accompli une série de transferts ou de glissements de sens. Ces
glissements s'arrêtent pourtant au niveau de l'acceptation d'un dieu
unique nouvellement présenté qu'en islam, on ne se figure pas,
qui n'a ni engendré, ni été engendré et dont la
propriété première, aux yeux des
« convertis » en tout cas, est la miséricorde.
C'est cette dimension qui prédomine dans la
« conversion » de chacun. Ils semblent avoir
« découvert » un secret qu'ils s'approprient, contre
vents et marées, contre les leurs d'origines et un peu contre les leurs
d'appartenance. La figure du converti prend alors des formes de la figure
symbolique d'un Prométhée ultramoderne, conquérant la
lumière-esprit, de l'Arbre de la Connaissance, condamné à
vivre le conflit entre deux idéologies culturelles, la culture de
l'instinct assumé, celle du feu dérobé, la culture de
l'ordre immanent et celle de la transgression par l'esprit169(*). L'une et l'autre
n'étant pas identifiées ni au système occidental ni au
système arabo-musulman. La combinaison de ces deux systèmes
permettent plutôt, à ces individus, dans une dynamique incessante
de renouvellement de ce système l'un par l'autre, de vivre le
précaire équilibre entre chair et esprit, entre régression
menaçante et exaltation presque perverse de la raison, en
société ultramoderne.
De l'intersubjectivité
Ces 7 cas de « conversion » sont des cas
de « conversion » individuelle participative puisqu'elles
font intervenir le collectif. Celui-ci intervient de double façon. Il
s'agit d'une part du groupe des siens d'origine que l'on
« quitte » et celui que l'on
« rejoint », le groupe d'appartenance.
L'intersubjectivité que développe le
« converti » avec ces deux groupes se répartit sur
les domaines professionnel, éducatif et familiaux, ascendants et
descendants. Remarquons que d'une part, les activités professionnelles
et de formation continue continuent à être accomplies après
la « conversion » dans le domaine du groupe d'origine,
l'univers non musulman du « converti ». C1 est une
exception limite puisqu'il a destiné sa formation en informatique
à l'usage professionnel et missionnaire de la diffusion du message de
paix mouride. En revanche, si C6 se distingue aussi des autres, c'est pour
avoir, les circonstances aidant, cesser son activité missionnaire en
devenant musulman. C'est à cette période-là qu'il
expérimente la vie professionnelle dans le privé pour la
première fois. A la connaissance du chercheur, certains et certaines
« convertis » à l'islam ont orientés
l'ensemble de leur vie sociale vers le groupe d'appartenance, quittant une
activité professionnelle qu'ils estimaient incompatible avec leurs
aspirations de musulmans, ne conservant d'avec le groupe d'origine que les
relations parentales.
D'autre part, la vie « affective » intime
en vue de l'établissement d'un foyer et d'établir de nouvelles
amitiés, est envisagée sous la nouvelle tutelle spirituelle
islamique du « converti ». L'exception est faite par C6. A
la connaissance du chercheur, cette configuration interrelationnelle est
majoritaires chez les « convertis » à l'islam et au
bouddhisme, exclusion faite de ceux et de celle qui se
« convertissent » à l'occasion d'une rencontre avec
un musulman ou une musulmane sociologiques, et pour s'harmoniser avec leur
futur compagnon conjugal.
Quant, il s'agit des enfants, il est possible d'observer
qu'ils souhaitent les élever dans l'islam (sauf C6 et C4). Mais,
à ce stade, ils sont saisis par la potentielle dynamique d'individuation
ultramoderne de leurs descendants. Ils se trouvent en
porte-à-faux : éduquer, certes, tout en respectant les choix
spirituels éventuels de leurs enfants.
Les univers sociaux dans lesquels les
« convertis » paraissent cloisonnés. L'univers des
musulmans sociologiques semble être essentiellement destiné
à satisfaire leur identité spirituelle et la dimension des
relations chaudes. C2, dans ce cadre, se distingue des autres, en entretenant
des relations avec des musulmans sociologiques sur le lieu de travail.
Quand ils sont à la recherche de relations avec
l'univers du groupe d'appartenance, c'est le plus souvent pour assouvir le
besoin d'apprentissage de l'islam, le besoin de la communauté des
croyants et peut être le besoin de régulièrement se sentir
un peu différent. Ces relations sont complexes et difficile dans
l'après-conversion, de leur point de vue, en tous cas.
Ainsi, le « converti » est une sorte de
stéréotype de la dimension métasociale du religieux
ultramoderne. Il sacralise d'une part l'ordre social de la Umma et d'autre part
tout ordre social.170(*)
Cette identité est marquée par la différence que
l'individu vit d'avec son groupe d'origine et d'avec son groupe d'appartenance.
Il est doublement différent de des siens d'origine, par ce qu'il est
croyant d'une part, croyant musulman, d'autre part. IL se distingue des siens
d'appartenance par le bagage socio-psychologique et religieux de la
société majoritaire. C'est en cela que sa situation est
minoritaire.
Les relations entre « convertis »
mériteraient à leur tour d'être passés au crible
d'une lecture qui dégagerait leurs spécificités en tant
que groupe minoritaire, triplement minoritaires qu'ils sont, vis-à-vis
de leur communauté d'origine, d'une part, de leur communauté
d'appartenance d'autre part, et eu sein même de leur communauté
d'appartenance. En effet, ultérieurement, approfondir les relations et
les perceptions des convertis avec leurs groupes d'appartenance et d'origine,
du point de vue des acteurs sociaux de ces mêmes groupes, permettrait de
croiser les regards et d'élaborer un portrait social plus complet du
converti à l'islam dans la société française
ultramoderne. Prendre en considération les convertis menés par
leur parcours en terrorisme et ceux qui ont choisi de vivre en
société musulmane majoritaire comme en Syrie ou au Maghreb nous
permettrait d'essayer l'étude des tous les phénomènes
inhérents à la conversion à l'islam au XXIème
siècle en Europe.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
L'individu religieux qui émerge dans la figure du
« converti » « s'affirme plutôt comme celui
qui se donne des règles de vie et qui cherche à diriger sa vie
selon des conduites licites en s'appuyant sur les « piliers de
l'islam » »171(*)
Il fait appel à un divin très
extériorisé qu'il intériorise jusqu'à être un
véritable rapport à soi. En effet, d'une part, contrairement
à la conception de dieu en christianisme, la conception de dieu en islam
n'est pas anthropomorphe, et donc n'est pas narcissique. L'interlocuteur
privilégié avec lequel le musulman, et donc le
« converti », établit un rapport est en permanence
absent. La croyance a de spécifique qu'elle situe le croyant en face
tout à la fois d'une immanence permanente de l'absence et à une
transcendance. Chacun donnerait, alors à dieu, l'image qui lui convient.
Cette potentialité représentative et spirituelle propre à
l'islam donne une place importante à la dimension du fascinans.
Celle-là même qui aurait disparu en société
ultramoderne.
Pourtant d'autre part, par ses principes l'islam semble
parfaitement répondre à la sacralisation du narcissisme
ultramoderne et ne remet pas en cause l'autonomie de l'individu, au point
même de la mettre, spirituellement, tout au moins en exergue.
Autant il n'y a pas de modalité unique à se
penser musulman en société lorsque l'on est musulman
sociologique, autant les « convertis » ne peuvent
être globalisés. Devenir musulman, est un choix renforcé
par l'appel à la responsabilité individuelle quant au choix pour
ou contre l'islam, qui fait partie des référents normatifs
islamiques de base. C'est un choix de se normer sans être susceptible de
subir les obligations imposées par le contrôle social du groupe
d'origine aussi bien que celui du groupe d'appartenance.
Qui est donc le « converti » à
l'islam en France du XXIème siècle ? Quelle identité
a-t-il élaborée en se convertissant ? Le
« converti » est un homme-dieu, qui non seulement accomplit
un retournement sur soi, mais désigne son propre maître :
Allah, tout en satisfaisant un besoin de socialisation du communautaire et du
social. Il s'inscrit dans un processus « d'établissement
de règles de fonctionnement d'un ordre social, un mélange
d'intégration sociale et de défense communautaire et de
solidarité avec une dominante conservatrice. »172(*) Ce qui lui permet d'accepter
« une invasion de l'irrationnel dans le monde humain en tentant
de le maîtriser par diverses techniques
religieuses »173(*), les islamiques en l'occurrence. Ce qui
prédomine dans son identité est la dimension de la croyance, bien
que celle de la pratique soit prégnante. Il invente une équation
religieuse islamique hybride aux dosages instables de laïcité et de
référents religieux et enchevêtre des modes de pratiques
traditionnelles empruntées aux coreligionnaires sociologiques et des
modes personnalisés. On assiste dans ces processus individuels à
une sorte de rapprochement entre le divin et l'humain d'où
disparaît l'opposition dualiste et par lequel une appropriation, un don
s'élabore entre le divin et l'individu. La
« conversion » à l'islam est bien une forme
« d'auto-spiritualité »174(*) propre à
l'individuation religieuse ultramoderne. Mais, elle est un défi
manifeste aux identités des groupes mises en jeu, le groupe que quitte
le « converti » et celui qu'il rejoint. En acceptant de ne
plus rêver à une dimension divine de leur être, et de
s'occuper pleinement, totalement et sans limites de leur dimension humaine.
La dimension collective est subordonnée à celle
de l'individu qui s'exprime en termes d'une certaine totalisation de soi et de
son rapport au monde à partir du religieux. C'est pour cela que la
dimension collective avec le groupe d'accueil est essentielle chez le
« converti ». Elle l'inscrit dans un processus de
« socialités électives »175(*) qui codifient les rapports
avec le groupe d'origine également. Et lui permet de développer
une « exogamie sélective »176(*), religieuse et non plus
ethnique ou sociale jusqu'à renforcer ses liens avec la
communauté d'appartenance. Ainsi, l'ultramodernité du
« converti » à l'islam en France au XXIème
siècle semble répondre à la primauté donnée
à la raison, aux limites de la science, à la liberté
individuelle, à l'émergence des masses sur la scène de
l'histoire, à la différenciation fonctionnelle
public-privé et à la mondialisation.
Pourtant si ce travail s'est plus développé en
termes d'amorce, d'interrogations, d'invitations à une plongée en
sociologie religieuse de l'islam en France, il nécessite d'être
poursuivi, approfondi et mis à l'épreuve d'autres
phénomènes religieux ultramodernes.
Quelles sont les conséquences des
« conversion » individuelles à l'islam sur l'islam
en France ou sur l'islam de France ? Sont-elles en devenir ? Quelles
types de particularités présentent ? L'étude d'autres
itinéraires de « convertis », plus
particulièrement de femmes « converties » à
l'islam, celle de leur approche de l'islam et celle de leurs productions
donneraient quelques pistes de recherche.
Les convertis relativisent-ils leur ancrage social par la
conversion à l'islam et comment ? En quoi l'islam en tant que
religion le permet-il, pourquoi et comment ?
Peut-on considérer que l'idéal de l'Umma soit
porteuse de l'idée d'une société
« sous-classe » et de l'établissement d'une telle
société ? Ainsi, à défaut d'adhérer
à l'idéologie marxiste ou communiste, adhèrent-ils
à l'idéal d'une société où les êtres
semblent socialement égaux, au sens recherché dans le projet
islamique, selon leurs interprétations de convertis ? Comment les
convertis considèrent-ils que les valeurs islamiques sont favorables
à l'égalité des conditions sociales, puisque qu'en islam
sunnite il n'y a pas de « prêtres »
élevés au-dessus des fidèles égaux entre eux ?
Comment la crise de sens et d'énonciation de l'autorité
retentissent en islam ? Les convertis participent-ils à une
candidature à une citoyenneté complète, à la
négociation du statut économique, politique et culturel
dévolu dans la hiérarchie sociale, des musulmans immigrés
d'origine ?
Par la requalification des rapports sociaux, les musulmans et
dans une moindre mesure, les convertis à l'islam, contribuent-ils
à une forme de ré-enchantement ou de
dé-sécularisation des sociétés
européennes ?
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE et
THÉMATIQUE
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* 1 Cahiers de l'Europe,
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* 2 P. Hadot, article
« conversion », Encyclopediae Universalis, volume 6, p 497,
1995, Paris
* 3 Ibn Manzûr, Lisan
al-`arab (La langue des Arabes), article
« al-tawba »Dâr al-Ma'arîf, Le Caire,
5ème édition, p.454
* 4 Su'ad Al-hakîm,
Al-mu'jam al-sûfî (le lexique mystique), Al-hikma fi hudûd
al-kalima (la sagesse dans les définitions du terme), Dandara
li-attiba'a wa la-nashr, Beyrouth, 1981, p. 289
* 5 ibid, p 240
* 6 ibid, p. 1101
* 7 Trigano, Qu'est-ce que la
religion ? p. 22
* 8 P. Hadot, article
« conversion », Encyclopediae Universalis, volume 6, p 497,
1995, Paris.
* 9 ibid, Nos traditions
religieuses, approche philosophique et théologique, p.17
* 10 P. Hadot, article
« conversion », Encyclopediae Universalis, volume 6, p 497,
1995, Paris
* 11 Encyclopediae universalis,
corpus 6, «article « conversion », P. Hadot, p 497,
Paris, 1995 : se repentir avant le retour à dieu
* 12 ibid
* 13 H. Clavier,
Expérience du divin, Fischbacher, Paris, 1983
* 14 Identités
religieuses en Europe, sous la direction de D. Hervieu-Léger et G.
Davie, article, « les mouvements religieux », D.
Hervieu-Léger & G. Davie, La Découverte, Paris, 1996, p.
278
* 15 Bokhari
* 16 ibid
* 17 S. Laurens, les
conversions du Moi, Paris, 2002
* 18 ibid, p. 29
* 19 ibid, p. 31
* 20 L. Valensi, Paroles
d'islam, article : Relations intercommunautaires et changements
d'affiliation religieuse au Moyen-Orient au XVIIIè et XIXè
siècles, 2000, Paris
* 21 Encyclopediae Universalis,
corpus 6, article « conversion », P. Hadot, p 497, 1995,
Paris
* 22 ibid
* 23 L. Valensi, Paroles
d'islam, article : Relations intercommunautaires et changements
d'affiliation religieuse au Moyen-Orient au XVIIIè et XIXè
siècles, Maisonneuve & Larose, Paris, 2000, pp.11-13
* 24 ibid, p.152
* 25
* 26 M. Wieviorka, La
différence, Balland, Paris, 2000
* 27 Paroles d'islam,
Maisonneuve & Larose, Paris, 2000, p.278
* 28 ibid, p. 293
* 29 ibid.
* 30 ibid, p. 129
* 31 M. Wieviorka, La
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* 32 ibid, p. 362
* 33 E. Godo, La conversion
religieuse, collectif, Imago, Paris, 2000
* 34 D. Hervieu-Léger,
G. Davie, Identités religieuses en Europe, La découverte, Paris,
1996, p. 278
* 35 ibid, p. 18
* 36 ibid, p. 24
* 37 ibid, p. 18
* 38 ibid, p. 19
* 39 ibid pp. 20-21
* 40 ibid, p. 22
* 41 ibid, p. 23
* 42 R. Bastide in Sabino
Acquaviva et Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994
* 43 Sabino Acquaviva et Enzo
Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994
* 44 Sabino Acquaviva et Enzo
Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994
* 45 ibid, « Ces
échanges de biens matériels et symboliques ne sont possibles et
ne se produisent qu'encadrés par les valeurs et les règles
acquises dans la socialisation. »
* 46 H. Mead, in Sabino
Acquaviva, Enzo Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994
* 47 Marcel Gauchet, Le
désenchantement du monde, NRF, Paris, 2000
* 48
* 49 R. Leveau & O. Schmidt
di Friedberg
* 50 D. Jeffrey, Jouissance du
sacré, religion et postmodernité, A. Colin, 1998
* 51 ibid
* 52 Sabino Acquaviva, Enzo
Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994
* 53 Cherif Ferjani, Les voies
de l'islam, approche laïque des faits islamiques, Histoire des religions,
CRDP Franche-comté, CNDP, Besançon, 1996
* 54 Sabino Acquaviva, Enzo
Pace, La sociologie des religions, CERF, Paris, 1994
* 55 M. Wieviorka, La
différence, Balland, Paris, 2000
* 56 ibid, p. 153
* 57 ibid, p. 154
* 58 ibid, p. 154
* 59 Sociologie des religions,
H. Mead,
* 60 ibid
* 61 R. J. Campiche, Cultures
jeunes et religions en Europe, collectif, Cerf, Paris, 1997, Ainsi
« passe pour « vrai » prioritairement, ce
dans quoi le sujet peut « se reconnaître » : la
validation subjective ou intersubjective des croyances tend à faire de
ces dernières, non point des « lieux »
d'affleurement d'une vérité transcendante [...], mais des
carrefours de libre circulation du sens », p. 349
* 62 La première est
la croyance en un être/une puissance surprahumaine, La deuxième et
la troisième sont le nom donné à l'entité de la
première et le degré de croyance en cette même
entité. La quatrième concerne la croyance en cette entité
dans le contexte socio-culturel de référence de l'individu. Et la
cinquième, finalement, est celle des croyances dérivées
comme la théodicée, le salut, l'origine de l'univers et l'ordre
social existant.
* 63 Elle exige l'usage de
la notion de sacré et de sa définition qui est, d'une part, une
notion antithétique du couple conceptuel formé avec la notion de
profane où le sacré est ce qui est perçu comme
présent dans la vie avec les traits de la puissance, de l'extraordinaire
et du « radicalement autre ». Il se décline en
termes d'immanence et en termes de transcendance. D'autre part, le sacré
est « une modalité de la société
elle-même ». Il s'agit de « la croyance
collective en un ordre méta-social et de l'expression sublimée
d'un besoin méta-utilitaire de la solidarité et de la
communion ».
* 64 Les variables
substantives permettent d'évaluer le type d'émotions
suscitées et admises d'être éprouvées. Les variables
nominales, elles, permettent un classement des définitions du
« radicalement autre » expérimentées
comme une réalité. Les variables analogiques envisagent la
compréhension des émotions et expériences individuelles du
sacré, identiques ou différentes de celles d'autres états
et situations non ordinaires. Les variables du contexte, pour finir, permettent
de contextualiser l'expérience du sacré.
* 65 Blois, 1886-Le Caire,
1951, philosophe français, fondateur de la revue La gnose, étudie
les principaux textes mystiques (hindous, taoistes, islamiques) opposant
à l'aspect exotérique des religions historiques
constituées une tradition unique, originelle, la connaissance
ésotérique.
* 66 Michel Vaslan, L'islam et
la fonction de René Guénon, Les éditions de l'oeuvre,
Paris, 1984
* 67 ibid, p. 14
* 68 René
Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, Editions
traditionnelles, Paris, 1994, p. 101
* 69 ibid, p. 101-106
* 70 ibid, p. 101-106
* 71 Renée
Guénon, La crise du monde moderne, Gallimard, Paris, 1994, p. 68
* 72 ibid, p. 69
* 73 Ibid
* 74 La différence
culturelle, colloque du Césy, sous la direction de M. Wieviorka et J.
Ohana, article, Sur l'identité, R. Senett, pp. 308-319
* 75 ibid
* 76 E. Godo, La conversion
religieuse, collectif, Imago, Paris, 2000, p 259
* 77 ibid
* 78 ibid
* 79 ibid
* 80 ibid
* 81 ibid, p. 262
* 82 ibid, p. 263
* 83 ibid, p. 265
* 84 S. Allievi, in Paroles
d'islam, p. 159
* 85 S. Laurens, Les
conversions du moi, Desclée de Brouwer, Paris, 2002, p. 88
* 86 S. Allievi, in Paroles
d'islam, p. 159
* 87 Eva de Vitray-Meyerovitch,
L'islam, l'autre visage, Albin Michel, Paris, 1991
* 88 voir le destin de Camille
Douls ou encore la vie d'Elisabth Eberhart.
* 89 ibid, p. 26
* 90 A. Meddeb, La maladie de
l'islam, Seuil, Paris, 2002, p. 196
* 91 A. Lamchichi, Islam,
islamisme et modernité, l'Harmattan, Paris 1994, p. 80
* 92 Esprit, Aout-septembre
2002, article « L'islam est passé à
l'ouest », Olivier Roy, p. 115
* 93 E. Platti, Islam...
Etrange ?, p 219-221, Cerf, Paris, 2000
* 94 ibid
* 95 ibid
* 96 S. Acquaviva et E. Pace,
La sociologie des religions
* 97 Hadith, "tu vis comme si
allais mourir demain et travaille comme si tu n'allais jamais mourir.".
* 98 S. Acquaviva et E. Pace,
La sociologie des religions
* 99
zakât :aumône légale obligatoire
* 100
umma :communauté des croyants
* 101 A. Lamchichi, p 89
* 102 ibid, p 92
* 103 Henri Sanson, Le
chritianisme au miroir de l'islam, CERF, Paris, 1984
* 104 A. Bastenier
* 105 ibid
* 106 A. Meddeb, La maladie de
l'islam, Seuil, Paris, 2002, p. 195
* 107 S. Allievi, Les
convertis à l'islam, L'Harmattan, Paris, 1999
* 108 Dassetto F. &
Bastenier, A., L'islam transplanté, EPO, Anvers, 1984
* 109 ibid
* 110 S. Allievi, Les
convertis à l'islam, L'Harmattan, Paris, 1999
* 111 ibid
* 112 Conversions islamiques,
p.44
* 113 Henri Sanson, le
christianisme au miroir de l'islam, Cerf, 1984
* 114 S. Allievi, Les
convertis à l'islam, L'Harmattan, Paris, 1999
* 115 ibid
* 116 ibid
* 117 ibid
* 118 ibid
* 119 J. Cesary, Musulmans
français et intégration socio-politique
* 120 S. Laurens, Les
conversions du Moi, p. 265
* 121 idem, p. 8
* 122 A. Conti de l'institut
italien, le Co. Re. Is., collaborateur de cette revue trimestrielle,
en 2002.
* 123 124 rapport
HCI, 1993 : 3 millions de musulmans en France
* 125 définition de
chat : forum de discussion en direct sur les sites internet.
* 126 S. Laurens, Les
conversions du moi, p. 87, « la conversion consiste en
l'acculturation d'individus venant d'une "autre communauté qui les avait
précédemment façonnés. »
* 127 la postconversion est
spécifique à l'état spirituel impliqué dans la
pensée religieuse musulmane au niveau individuel. En effet, si l'on
admet avec ce système de pensée que tout être naît
musulman et qu'ainsi non seulement l'individu n'hérite ni n'acquiert cet
état religieux et spirituel. Qu'individuellement l'époque, le
lieu et la famille de naissance imprègnent ou imposent le sujet de
spécificité sociales, culturelles et spirituel, par le processus
de socialisation de toute civilisation et qu'ainsi il n'est pas en relation
(quand il naît dans un contexte non musulman particulièrement)
avec son identité spirituelle donnée. Qu'être musulman
c'est le devenir dans un processus d'éveil, d'apprentissage et de
volonté individuelle ; le « converti » dans la
phase de « préconversion » est déjà
musulman, est donc déjà « converti »
ontologiquement. La postconversion est un état qu'il est en mesure par
une prise de conscience de rendre accessible à lui-même et visible
religieusement et socialement.
* 128 Séminaires de
l'EHESS de 1999 à 2002
* 129 ibid
*
130 C'est dans les quelques cas de
« conversions » féminines dont l'étude sera
plus complète dans un travail ultérieur que l'on rencontre
l'expression de « troubles » de « soi »
et du « je » formulés, en particulier, par au moins
deux femmes en termes de « j'étais rebelle ».
L'unité de leur personnalité intérieure ne parvenait pas,
à leurs yeux et au regard des normes dans lesquelles elles vivaient,
à s'accomplir avec paix. Elles ressentaient en permanence et quelque
soie le groupe auprès duquel elles ont recherché une
socialisation, propre à « respecter leur
personnalité », un décalage, une révolte
intérieure, le plus souvent en termes de difficultés à se
soumettre à des normes sociales et en termes de regret d'une hypocrisie
de la part de ceux qui vivent ces fameuses normes.
* 131 Les différents
types de réactions et d'interrogation sont répertoriés
dans le tableau ci-joint, « De la subjectivité ».
* 132 Jacques Jomier, Dieu et
l'homme dans le Coran, Cerf, Paris, 1996, p. 139-140
* 133 Le
désengendrement : si l'on admet la définition conceptuelle
de l'appartenance religieuse en termes chrétiens, comme l'accès
à une filiation au Père et une participation au christ, si l'on
admet que se convertir est un changement d'adoubement spirituel, et si l'on
admet qu'être musulman c'est se tourner vers un dieu « qui n'a
pas été engendré et qui n'engendre pas », la
conversion à l'islam, comme processus individuel de choix d'une
appartenance sans filiation divine, mais comme l'acceptation d'appartenir
à l'ensemble des créatures crées par dieu, nous sommes
face à une conversion par désengendrement.
* 134 Voir Tableau,
« De la subjectivité »
* 135 fondateur du mouridisme
(confrérie soufie) en 1882, Sénégal, auteur de
« les itinéraires du Paradis » et de
« Qassa'id »
* 136 ibid
* 137 prénoms
fictifs
* 138 Jacques Jomier, Dieu et
l'homme dans le Coran, Cerf, Paris, 1996, p. 102
* 139 voir entretien de C7,
particulièrement, Annexe p. 67
* 140 ibid, p. 29-30
* 141 « l'initiation
entendue au sens le plus strict du mot, c'est-à-dire comme une
« entrée » ou un
« commencement ». R. Guénon, Aperçus sur
l'initiation, Editions, traditionnelles, Paris, 1992, p. 198
* 142 R. Guénon,
Aperçus sur l'initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1992, pp.
182-187
* 143 S. Allievi, in Paroles
d'islam, p 167
* 144 ibid
* 145 ibid
* 146 Bokhari
* 147 rapporté par Abu
Hurayra
* 148 définition du
shafi'isme : système juridique fondé par Al-Shafi'i
(767-820)
* 149 Définition du
hanafisme et du malékisme : systèmes juridiques
fondés respectivement par Abu Hanifa (700-767) et Ibn Malik (715-795)
* 150 voir annexe,
témoignage C1, p. 17
* 151 ibid
* 152 ibid
* 153 Au cours, de
l'enquête, le chercheur a été confronté à des
individus qui ont fait établir leur certificat de conversion en Syrie ou
en Jordanie, ou encore en Egypte ou au Maroc. Les conditions de
délivrance de ces certificats feraient l'objet d'un travail
ultérieur.
* 154 Fernand Braudel, La
méditérrannée, poches histoire, Paris, 1995
* 155 Jacques Jomier, Dieu et
l'homme dans le Coran, Cerf, Paris, 1996, p. 101
* 156 S. Laurens, Les
conversions du Moi, Desclée de Brouwer, Paris, 2002, p. 223
* 157 ibid.
* 158 Dans certains cas, le
plus souvent, celui de femmes européennes s'intéressant à
l'islam, et lorsque cet intérêt n'est pas motivé de leur
part par l'intention d'une alliance maritale ou affective avec un musulman
sociologique, il est possible de la part des musulmans sociologiques,
d'identifier des attitudes réticentes voire de refus à partager
leur croyance. L'intérêt de la femme, perçu alors comme
« une simple curiosité » est loin d'encourager le
« prosélytisme ». En revanche, lorsqu'une femme est
engagée dans une relation affective, la communication des principes et
de la foi islamique se fait le plus spontanément de la part du
« compagnon » au point où l'idée qu'elle se
convertisse devienne un impératif au bon déroulement à
venir de la relation, d'autant plus qu'elle peut être
officialisée.
* 159 Profession de foi :
il n'y a de dieu que Dieu et Muhammad est son Prophète, la allah illa
llah oua mouhammadou rassoulou llah.
* 160 Bokhari
* 161 ibid
* 162 Première sourate
du Coran :
* 163 Petit et grand
pèlerinage
* 164 Encyclopediae
Universalis, article « Confréries musulmanes », par
C.-R. Ageron, Corpus 6, Paris, 1995, p. 497
* 165 R. Guénon,
Aperçus sur l'initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1992, pp.
203-209
* 166 ibid, p. 18
* 167 F. Khosrokhavar
* 168 Quant aux femmes
converties à l'islam et en âge de fonder un foyer, le même
voeu ou souhait d'épouser un musulman et un musulman de naissance est
émis. Certaines le justifient par l'interprétation la plus
courante de ce qui en islam et dans le Coran interdirait une femme musulmane
d'épouser un non musulman. Quelle normalisation pratiquent-elles dans ce
cadre ? Où est passé la force de leur libre arbitre et de
leur critique de leur groupe d'origine ?
* 169 J. Bril, Lilith ou la
mére obscure, Payot, Paris, 1981, p.171-207
* 170 selon M. Touraine,
«La recherche de soi », Seuil, Paris, 2000
* 171 Luc Ferry,
« L'homme-dieu », Balland, Paris, 1997
* 172 Alain Touraine, La
recherche de soi ; Seuil, Paris, 2000
* 173 ibid
* 174 S. Allievi, Paroles
d'islam, Maisonneuve & Larose, Paris, 2000
* 175 ibid
* 176 ibid
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