Disparités
Les disparités se situent à quatre niveaux. Au
niveau de la découverte et de l'acceptation de l'existence de dieu, pour
deux cas, au niveau des émotions ressenties et vécues par les
« convertis » au moment de la prise de conscience de leur
foi islamique, au niveau de la manière dont chacun estime vitaliser sa
foi et son expérience religieuse, et enfin au niveau du processus de
renversement.
· Dieu existe !
Deux cas sont à distinguer, celui de C1 et celui de C2.
En effet, ils n'ont pas fait d'études supérieures et n'en sont
pas stigmatisés. Il est, en effet, de plus en plus possible, bien
qu'encore trop rare, d'être normé à la
société française ultramoderne, sans avoir accompli de
cycle d'études supérieures. La réussite sociale
ultramoderne s'élabore également autour d'attitudes
professionnelles autodidactes. Pour C1, il semble que la question ne se pose
pas et/ou qu'il ne veuille pas en parler. Son chemin de vie et ses choix
existentiels, comme il le dit lui-même, semblent être
dominés par « les circonstances qui m'ont amenés
à des endroits et qui m'en ont fait partir. » Pour C2,
son parcours professionnel autodidacte reflète peut-être combien
les valeurs du travail comptent pour lui, en apparaissant les seules valables.
Les origines sociales modestes de C2 peuvent expliquer cette conviction.
N'avoir pas été « bon à
l'école », semble, pour lui une normalité liée
à son milieu social. Ni l'un ni l'autre ne croit en dieu, au sens
monothéiste du terme. Aucune autre pratique religieuse ne les maintient
sur le chemin d'un sens spirituel de l'existence. Ils ont en commun une
certaine « jouissance de la vie », une forme d'adolescence
tardive motivée par la recherche d'expériences sociales. Il est
possible d'observer, pour eux, ce que l'on pourrait nommer comme une absence de
projet de vie et une absence d'ambition professionnelle, mais plus un souci de
vivre au jour le jour. Leur « conversion » à
l'islam, pour C1, en pleine jeunesse (25 ans) et pour C2, en pleine
maturité (36 ans), leur fait découvrir une capacité
à admettre une existence divine et à s'engager dans la foi
monothéiste.
· Je cherche, je trouve
Pour C1, C2 et C5, le moment de la prise de conscience
d'être devenu musulman a été traversé de troubles
émotionnels, particulièrement forts chez C1 et C5. C2 semble
avoir maîtrisé ses troubles émotionnels par l'intellect, la
lecture, et surtout en ayant vécu ce
« réveil » religieux au cours d'une relativement
longue période de temps, plusieurs mois. Pour C1 et C5, le moment n'a
duré que quelques semaines. Il semble qu'ils ont vécu une sorte
d'urgence à se situer, à se dire ou non musulman.
Pour C3, C4, C6 et C7, la « tempête sous un
crâne » ne semble pas avoir troublée l'équilibre
de l'individu. La recherche spirituelle semble avoir été
très précisément définie intellectuellement dans
ces quatre cas. En effet, C3 dit : n'a voir eu « aucun
effort semble-t-il, à intégrer le système de
connaissances, de pratiques ». Pour C2, non plus, aucune
difficulté n'a surgit. Pour C7, « la démonstration
est simple et évidente ». Le processus de
détachement d'avec la religion d'origine était, en effet,
déjà enclenché avant la rencontre avec l'islam. Peut-on
alors imaginer qu'une sorte de terrain en friche était prêt
à recevoir un nouveau système spirituel ? Un cas de
conversion féminine contient les mêmes
caractéristiques : la rupture intellectuelle, voulue et consciente
de la jeune femme l'aurait libéré du système
précédent et ce, pendant plusieurs années. Ce qui lui
aurait permis de faire connaissance avec l'islam sans peur, sans crainte de
perdre quoique ce soit, au point que le moment où elle s'est sentie
musulmane n'a été ni brutal, ni douloureux. Il contenait
également une forme de sentiment
« d'évidence ». En quoi réside cette
évidence ? Si l'individu rompt volontairement intérieurement
avec un système de pensée, qu'il se met en quête d'autres
systèmes, parce qu'il suppose que le monde est porteur d'autres
vérités que celles dans lesquelles il a été
élevé, rencontrer un système qui lui
« convient », ne peut qu'être le produit de la
logique de recherche. Il est alors rasséréné et n'a pas
plongé dans un état de troubles émotionnels
irréversibles. La surprise, suppose-t-on, que ce soit le système
islamique, apparaît à un moment donné, certes. Et ce, pour
les raisons historiques et contemporaines des rapports des mondes islamiques et
judéo-chrétiens, des mondes orientaux et occidentaux, des mondes
du Nord et du Sud connues aujourd'hui. La négociation en jeu, ici, est
donc d'ordre intellectuel, parfois presque logique, mathématique et
démonstratif. En effet, dans un autre cas de conversion féminine,
il a été intéressant d'entendre la jeune femme, formuler,
à la suite de démonstration faite par la personne musulmane
sociologique avec laquelle elle a été en contact, sa
négociation presque scientifique. Le « si tu ressens telle
chose, si tu réagis ainsi, si donc les musulmans sont semblables
à toi sur ces points, alors tu es musulmane et tu dois reconnaître
l'existence dieu » est une sorte de démonstration aux
limites du sophisme qui semble avoir convenu à un esprit scientifique et
cartésien comme le sien. Quelques jours de réflexion et de
ré-analyse de la « démonstration », lui ont
semble-t-il « prouvé » son état de musulmane.
Dans les cas des « conversions » masculines traités
ici, nous n'avons pas retrouvé précisément ce type de
négociation pseudoscientifique. Mais, il est clair que la mise au point
intellectuelle et logique concernant l'islam plus que la foi en dieu, a
été faite et refaite, intérieurement d'ailleurs. C4 donne
un exemple concret de ce type de mise au point, quand il dit :
« j'ai accepté le livre coranique, mais je ne parvenais
pas intégrer Mohammed comme prophète. » C5, lui
indique qu'il s'était rendu compte que « pour être
musulman, il me manque ceci : être persuadé que le Coran
vient de Dieu ! »
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