Partie IV
Enquête et analyses
Hypothèses et contexte
L'ébauche d'une stéréoscopie de la
« conversion » à l'islam chez les hommes à la
fin du XXème siècle et au début du XXIème
s'attachera à « superposer » les points de vue des
convertis exclusivement. Croiser les éclairages et les images produites
par les autres acteurs potentiels de cet événement qu'est la
« conversion » serait à finaliser
ultérieurement. L'analyse et le commentaire du matériau
collecté s'équilibreront dans une dialectique classique entre le
pôle de la découverte ou phase exploratoire et le pôle de
vérification, d'une part et d'autre part, en mettant l'accent sur la
subjectivité et l'intersubjectivité que manifestent les
« convertis ».
L'hypothèse de départ, consiste à
supposer qu'il existe dans la société française
postmoderne des « convertis » à l'islam, d'origine
sociale « favorisée », hommes et femmes, de
formation supérieure, âgé(e)s de plus de 30 ans,
vivant en région parisienne, de toute origine religieuse, et n'ayant pas
eu de contact avec la culture ou le monde musulman dans leur enfance et
adolescence. Le type de « conversion » recherché est
celui d'une « conversion » à l'islam comme
résultat ou fruit d'une quête spirituelle individuelle, distincte
de la « conversion » dite
« opportuniste », liée, particulièrement
à des nécessités sociales, comme le mariage avec un
musulman sociologique. Enfin, les « convertis » d'une telle
typologie qualitative pouvaient ne pas être affiliés ou
rattachés à une obédience particulière de l'islam.
Ce qui serait défini comme de
« l'indépendance » envers des courants ou groupes
religieux musulmans. C'est donc l'expérience religieuse de la
« conversion » qui a primé en termes de
mobilité sociale et culturelle, comme passage ou franchissement de
frontières et élaboration de soi.
Ce portrait imaginaire a été
élaboré à partir de trois sources d'expériences de
la vie sociale ultramoderne en France et dans le monde, allant du plus
particulier et anonyme, aux plus célèbres des domaines de la
politique, de l'université et de l'art. Il s'agit, dans un premier
temps, d'une rencontre fortuite avec une personne ayant ces
caractéristiques (il y a un peu moins de 10 ans) ainsi que celle de
français qui, au cours d'un cursus d'études universitaires de
langue arabe classique ou dialectale à Paris, n'étaient pas
insensibles à l'islam du point de vue historique, anthropologique et
politique, sans pour autant se déclarer être convertis. Puis, dans
un second temps, de la lecture d'ouvrages produits par des
« convertis » comme René Guénon, Vincent
Mansour Monteil et Eva de Vitray-Meyerovitch. Et enfin, dans un
troisième temps, de l'observation de la médiatisation originale
et significative de l'expérience de « conversion »
de stars du sport, de la World Music, dans les pays anglo-saxons et plus
récemment en France, et du constat des manifestations de
personnalités médiatisées comme M. Béjart, M.
Chodkiewick et A. Guiderdoni, pour ne citer qu'eux, ou d'autres
personnalités universitaires, spécialistes d'histoire, de
civilisation, de politique ou de langue arabes.
Pour être arabisant lui-même, le chercheur a
nourri, au cours de son expérience, sa curiosité concernant les
interactions sociales ultramodernes du monde musulman et de la culture arabe
avec l'univers français, dans le cadre des rapports politiques
internationaux de ces 25 dernières années, marquées par la
révolution iranienne, le conflit israëlo-palestinien, la guerre
civile en Algérie, les conflits entre l'Inde et le Pakistan, les vagues
de migrants issus de pays de tradition islamique, en France, le terrorisme et
l'augmentation des voyages vers l'Orient ainsi que les dimensions culturelles
voire folkloriques de la culture arabo-musulmane, des rapports du religieux au
monde postmoderne, des rapports du religieux à la laïcité,
des rapports des différentes croyances monothéistes entre elles,
dans le monde et en France, en particulier et de l'émergence de
revendications religieuses sur la scène des relations sociales
françaises et internationales.
Afin de constituer un échantillon significatif de
« convertis », supposés tels, et de réaliser
avec chacun d'entre eux un ou des entretiens, il fallut trouver les moyens
adéquats pour les rencontrer. Par le biais de ces entretiens, il
s'agissait de pouvoir collecter le matériau central
recherché : le récit de leur rencontre avec l'islam et de
leur expérience religieuse de la conversion l'islam.
La fréquentation depuis presque 15 ans de groupes
et d'individus de la sous-culture « arabo-musulmane »
à Paris, plus particulièrement, tant pour des raisons
personnelles qu'universitaires ont permis de savoir expérimentalement
que le thème de la religion et plus spécifiquement de la
conversion concerne, dans le cadre de la laïcité française,
la sphère de l'intime individuel. Cette sphère est si
privée, que « dire » la
« conversion » à l'islam s'avère
conditionné par la spécificité du religieux et plus
particulièrement de l'islam en France, par les caractéristiques
psychosociologiques de l'expérience intime de la
« conversion » et par celles des rapports historiques
entretenus entre l'islam et l'Occident. En effet, et l'on retrouve
déjà la prégnance du « secret » dans
les récits de conversion aussi bien au sein d'une même religion
monothéiste que de l'une à l'autre ; cette expérience
et sa confidence sont jalousement protégées par l'individu qui
les vit.
Ces nombreuses raisons qui irriguent cette discrétion
ont imposé de s'armer de patience et de précautions, d'outils de
contacts précis, pour favoriser les rencontres et la
spontanéité de chacun de ceux qui ont constitué
l'échantillon présenté, de participer, par leur
récit, à cette recherche et de maintenir le souci de la mener
à bien, scientifiquement tout en respectant leur intimité. C'est
la raison pour laquelle, l'anonymat des personnes sera préservé
dans ce travail. D'autant plus impérativement depuis les
évènements du 11 septembre 2001, qu'il est observé,
simultanément à un regain d'intérêt pour l'islam, un
repli identitaire de la part des musulmans dans touts leurs diversités.
Les « convertis » sont évidemment dans un tel
contexte, encore plus sollicités, mis à l'épreuve
d'interrogations les plus diverses et mis en demeure de justifier leur foi
islamique. Ils se méfient donc et sont encore plus difficiles à
rencontrer.
Les « convertis » médiatisés
ont été écartés d'emblée, sujets qu'ils sont
déjà de nombreuses sollicitations. Mais, le voeu pieux d'inclure
des personnalités universitaires, dans l'échantillon ci-joint,
n'a pas influencé l'effort de centrer la recherche sur les
« anonymes ». Les universitaires, en effet, s'ils ne
« revendiquent » pas leur état d'être musulman
dans les sphères publiques et officielles, sont identifiables par leurs
écrits ou productions, qu'ils signent, le plus souvent, de leur nom
accompagné d'un prénom arabe : un indice qui avertirait de
leur appartenance (ce qui ne signifie pas qu'une personne ayant un
prénom arabe et un nom à consonance européenne, soit
systématiquement un « converti »). Pour les
contacter, la méthode à consister à leur écrire, le
plus souvent, par le biais des institutions dans lesquelles ils travaillent ou
par celui des maisons d'éditions qui diffusent leurs ouvrages et
à leur soumettre le plus objectivement possible les tenants et les
aboutissants de ce travail. Ecrire, à la fin du XXème
siècle signifie utiliser deux modes de communication : la poste
« classique » et le courrier électronique par voie
internet. Ces deux modes ont été utilisés
indifféremment, simultanément ou l'un après l'autre. Le
plus souvent le mode électronique finit par dominer.
Pour contacter les « anonymes », il s'est
agit de choisir un des trois modes suivants : celui de l'immersion dans le
monde associatif musulman ou interreligieux, ce qui était
déjà le cas pour le chercheur depuis de nombreuses années,
du fait de ses études précédentes, celui de l'activation
d'un réseau de relations et enfin celui de
« l'annonce ». Envisager le troisième mode, a
été motivé, de façon essentielle, pour
éviter au maximum l'éventuelle situation relationnelle du
« harcèlement » du chercheur envers ses
interlocuteurs. Il lui semblait, en effet, relativement inévitable de
s'achopper à cet écueil. Car souhaiter rencontrer quelqu'un qui
ne vous connaît pas, qui ne connaît pas ou ne voit pas
« l'intérêt » de vous parler d'une telle
expérience intime, dans le contexte de suspicion ambiant envers la
communauté musulmane internationale et nationale (terrorisme, attentats,
actualité) et provoque des sortes de paranoïas et de
méfiances plus ou moins rationnelles, plus ou moins légitimes. Il
s'est donc agit de se mettre en situation de les
« apprivoiser ».
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