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Subjectivité et intersubjectivité dans la conversion indiviuelle masculine à l'islam en France au XXI siècle

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par Marie Bastin
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris -  2002
  

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Partie IV

Enquête et analyses

Hypothèses et contexte

L'ébauche d'une stéréoscopie de la « conversion » à l'islam chez les hommes à la fin du XXème siècle et au début du XXIème s'attachera à « superposer » les points de vue des convertis exclusivement. Croiser les éclairages et les images produites par les autres acteurs potentiels de cet événement qu'est la « conversion » serait à finaliser ultérieurement. L'analyse et le commentaire du matériau collecté s'équilibreront dans une dialectique classique entre le pôle de la découverte ou phase exploratoire et le pôle de vérification, d'une part et d'autre part, en mettant l'accent sur la subjectivité et l'intersubjectivité que manifestent les « convertis ».

L'hypothèse de départ, consiste à supposer qu'il existe dans la société française postmoderne des « convertis » à l'islam, d'origine sociale « favorisée », hommes et femmes, de formation supérieure, âgé(e)s de plus de 30 ans, vivant en région parisienne, de toute origine religieuse, et n'ayant pas eu de contact avec la culture ou le monde musulman dans leur enfance et adolescence. Le type de « conversion » recherché est celui d'une « conversion » à l'islam comme résultat ou fruit d'une quête spirituelle individuelle, distincte de la « conversion » dite « opportuniste », liée, particulièrement à des nécessités sociales, comme le mariage avec un musulman sociologique. Enfin, les « convertis » d'une telle typologie qualitative pouvaient ne pas être affiliés ou rattachés à une obédience particulière de l'islam. Ce qui serait défini comme de « l'indépendance » envers des courants ou groupes religieux musulmans. C'est donc l'expérience religieuse de la « conversion » qui a primé en termes de mobilité sociale et culturelle, comme passage ou franchissement de frontières et élaboration de soi.

Ce portrait imaginaire a été élaboré à partir de trois sources d'expériences de la vie sociale ultramoderne en France et dans le monde, allant du plus particulier et anonyme, aux plus célèbres des domaines de la politique, de l'université et de l'art. Il s'agit, dans un premier temps, d'une rencontre fortuite avec une personne ayant ces caractéristiques (il y a un peu moins de 10 ans) ainsi que celle de français qui, au cours d'un cursus d'études universitaires de langue arabe classique ou dialectale à Paris, n'étaient pas insensibles à l'islam du point de vue historique, anthropologique et politique, sans pour autant se déclarer être convertis. Puis, dans un second temps, de la lecture d'ouvrages produits par des « convertis » comme René Guénon, Vincent Mansour Monteil et Eva de Vitray-Meyerovitch. Et enfin, dans un troisième temps, de l'observation de la médiatisation originale et significative de l'expérience de « conversion » de stars du sport, de la World Music, dans les pays anglo-saxons et plus récemment en France, et du constat des manifestations de personnalités médiatisées comme M. Béjart, M. Chodkiewick et A. Guiderdoni, pour ne citer qu'eux, ou d'autres personnalités universitaires, spécialistes d'histoire, de civilisation, de politique ou de langue arabes.

Pour être arabisant lui-même, le chercheur a nourri, au cours de son expérience, sa curiosité concernant les interactions sociales ultramodernes du monde musulman et de la culture arabe avec l'univers français, dans le cadre des rapports politiques internationaux de ces 25 dernières années, marquées par la révolution iranienne, le conflit israëlo-palestinien, la guerre civile en Algérie, les conflits entre l'Inde et le Pakistan, les vagues de migrants issus de pays de tradition islamique, en France, le terrorisme et l'augmentation des voyages vers l'Orient ainsi que les dimensions culturelles voire folkloriques de la culture arabo-musulmane, des rapports du religieux au monde postmoderne, des rapports du religieux à la laïcité, des rapports des différentes croyances monothéistes entre elles, dans le monde et en France, en particulier et de l'émergence de revendications religieuses sur la scène des relations sociales françaises et internationales.

Afin de constituer un échantillon significatif de « convertis », supposés tels, et de réaliser avec chacun d'entre eux un ou des entretiens, il fallut trouver les moyens adéquats pour les rencontrer. Par le biais de ces entretiens, il s'agissait de pouvoir collecter le matériau central recherché : le récit de leur rencontre avec l'islam et de leur expérience religieuse de la conversion l'islam.

La fréquentation depuis presque 15 ans de groupes et d'individus de la sous-culture « arabo-musulmane » à Paris, plus particulièrement, tant pour des raisons personnelles qu'universitaires ont permis de savoir expérimentalement que le thème de la religion et plus spécifiquement de la conversion concerne, dans le cadre de la laïcité française, la sphère de l'intime individuel. Cette sphère est si privée, que « dire » la « conversion » à l'islam s'avère conditionné par la spécificité du religieux et plus particulièrement de l'islam en France, par les caractéristiques psychosociologiques de l'expérience intime de la « conversion » et par celles des rapports historiques entretenus entre l'islam et l'Occident. En effet, et l'on retrouve déjà la prégnance du « secret » dans les récits de conversion aussi bien au sein d'une même religion monothéiste que de l'une à l'autre ; cette expérience et sa confidence sont jalousement protégées par l'individu qui les vit.

Ces nombreuses raisons qui irriguent cette discrétion ont imposé de s'armer de patience et de précautions, d'outils de contacts précis, pour favoriser les rencontres et la spontanéité de chacun de ceux qui ont constitué l'échantillon présenté, de participer, par leur récit, à cette recherche et de maintenir le souci de la mener à bien, scientifiquement tout en respectant leur intimité. C'est la raison pour laquelle, l'anonymat des personnes sera préservé dans ce travail. D'autant plus impérativement depuis les évènements du 11 septembre 2001, qu'il est observé, simultanément à un regain d'intérêt pour l'islam, un repli identitaire de la part des musulmans dans touts leurs diversités. Les « convertis » sont évidemment dans un tel contexte, encore plus sollicités, mis à l'épreuve d'interrogations les plus diverses et mis en demeure de justifier leur foi islamique. Ils se méfient donc et sont encore plus difficiles à rencontrer.

Les « convertis » médiatisés ont été écartés d'emblée, sujets qu'ils sont déjà de nombreuses sollicitations. Mais, le voeu pieux d'inclure des personnalités universitaires, dans l'échantillon ci-joint, n'a pas influencé l'effort de centrer la recherche sur les « anonymes ». Les universitaires, en effet, s'ils ne « revendiquent » pas leur état d'être musulman dans les sphères publiques et officielles, sont identifiables par leurs écrits ou productions, qu'ils signent, le plus souvent, de leur nom accompagné d'un prénom arabe : un indice qui avertirait de leur appartenance (ce qui ne signifie pas qu'une personne ayant un prénom arabe et un nom à consonance européenne, soit systématiquement un « converti »). Pour les contacter, la méthode à consister à leur écrire, le plus souvent, par le biais des institutions dans lesquelles ils travaillent ou par celui des maisons d'éditions qui diffusent leurs ouvrages et à leur soumettre le plus objectivement possible les tenants et les aboutissants de ce travail. Ecrire, à la fin du XXème siècle signifie utiliser deux modes de communication : la poste « classique » et le courrier électronique par voie internet. Ces deux modes ont été utilisés indifféremment, simultanément ou l'un après l'autre. Le plus souvent le mode électronique finit par dominer.

Pour contacter les « anonymes », il s'est agit de choisir un des trois modes suivants : celui de l'immersion dans le monde associatif musulman ou interreligieux, ce qui était déjà le cas pour le chercheur depuis de nombreuses années, du fait de ses études précédentes, celui de l'activation d'un réseau de relations et enfin celui de « l'annonce ». Envisager le troisième mode, a été motivé, de façon essentielle, pour éviter au maximum l'éventuelle situation relationnelle du « harcèlement » du chercheur envers ses interlocuteurs. Il lui semblait, en effet, relativement inévitable de s'achopper à cet écueil. Car souhaiter rencontrer quelqu'un qui ne vous connaît pas, qui ne connaît pas ou ne voit pas « l'intérêt » de vous parler d'une telle expérience intime, dans le contexte de suspicion ambiant envers la communauté musulmane internationale et nationale (terrorisme, attentats, actualité) et provoque des sortes de paranoïas et de méfiances plus ou moins rationnelles, plus ou moins légitimes. Il s'est donc agit de se mettre en situation de les « apprivoiser ».

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle