Associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa (RD Congo) : Neo-fraternité, lutte hégémonique et citoyenneté segmentée( Télécharger le fichier original )par Jean Pierre Mpiana Tshitenge Université de Kinshasa - DES en Sociologie 2006 |
2.1.2. Promouvoir les valeurs culturelles de la communauté d'origine.
Le Congo est une mosaïque des ethnies estimées à 450. Leur coexistence en milieux urbains et à l'université en particulier aiguise la conscience aussi bien d'identité que d'altérité. Ainsi, l'ethnicité comme « sentiment d'identification à son ethnie, la définition de son authenticité en tant que membre d'une ethnie et la reconnaissance de l'authenticité correspondante des membres d'autres ethnies »13(*) participent de la subjectivation même de l'individu dans la vie quotidienne. Cette conscience d'identité et d'altérité engendre naturellement un réflexe d'autodéfense face aux « menaces d'invasion » que représentent réellement ou virtuellement les autres groupes ethniques. Instrument de lutte contre la violence symbolique, les associations ethniques sont investies de la mission de faire valoir sur le site universitaire les valeurs culturelles d'une ethnie face aux autres avec lesquelles elle est virtuellement en compétition. Les étudiants Luba dans leur mutuelle n'en disent-ils pas mieux que kuetu kakujimini (que l'on peut littéralement traduire par « que notre origine ne disparaisse » pour dire « ne perdons pas nos valeurs culturelles »). A travers ces associations, les membres déclinent leur identité culturelle et leur permettent de s'affirmer en tant que groupe social distinct des autres. La langue est le premier élément objectif de l'identité d'un peuple qui extériorise son unicité. Promouvoir la langue pour chaque association consiste à aider les membres à conserver leur habilité linguistique durant leur séjour universitaire, qui disparaîtrait faute d'un exercice quotidien ; l'apprendre à ceux d'entre eux qui ne la connaissent pour n'avoir jamais été au terroir ; dissiper chez d'autres la honte de communiquer publiquement dans la « bouche du village ». Raison pour laquelle dans les associations ethniques les réunions se tiennent en langue maternelle. Comme aiment bien le stigmatiser les étudiants Luba dans leurs rencontres « français idi inyemesha bakishi » (le français chasse les mânes des ancêtres).Ceci permet aussi de limiter l'accès des autres communautés à l'information qui circulent dans le groupe. Des analyses faites, il se dégage que la promotion des langues maternelles participe des mécanismes de résistance contre le lingala parlé à Kinshasa, langue jugée brutale, impolie et envahissante des gens de la province de l'Equateur. Outre la langue, le folklore qui agrémente leurs manifestations constitue une autre valeur culturelle à la promotion de laquelle travaillent les associations. Le folklore réconcilie avec l'univers culturel du terroir et met en communion les membres avec les mânes des ancêtres. Au cours de leurs manifestations, ces associations jouent la musique du « village » ou invitent un groupe musical de la contrée pour agrémenter la circonstance. Sont également scandés les hymnes ethniques qui exhortent à l'amour du terroir et célèbrent la grandeur du groupe. L'unicité culturelle du groupe se révèle également dans les mets du terroir servis à cette occasion. A travers ces valeurs culturelles, les étudiants célèbrent la solidarité ou l'habitus communautaire de leurs milieux d'origine dans une société où la rareté toujours croissante incite à l'individualisme. Comme on le voit, les étudiants opèrent sur un tableau contrasté (un double registre). La modernité et la tradition. Cette dernière compense les déficits que provoque une modernité mal maîtrisée mais dont on se réclame pour témoigner son ascension dans la hiérarchie sociale. C'est dans cette continuité et rupture que se définissent les identités non seulement dans le champ universitaire mais aussi dans tous les univers sociaux et dans tous les segments de la structure sociale. * 13 Tshishimbi K. E. et Thienke K. D., « Les limites théoriques du discours ethniques au Congo-Kinshasa. Eléments pour une sociologie de l'historicité », in Mouvements et enjeux sociaux, n°1, Kinshasa, Octobre 2001, p.58. |
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