Associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa (RD Congo) : Neo-fraternité, lutte hégémonique et citoyenneté segmentée( Télécharger le fichier original )par Jean Pierre Mpiana Tshitenge Université de Kinshasa - DES en Sociologie 2006 |
III. PROFIL ET MOTIVATIONS DES ANIMATEURS ET MEMBRES DES ASSOCIATIONS ETHNIQUES.1. Profil Le profil des animateurs et membres des associations ethniques à l'Université de Kinshasa renseigne sur la décrépitude de l'institution universitaire mais surtout sa déchéance de son statut d'instance de rupture symbolique avec le milieu socioculturel des étudiants. Les données recueillies au cours de nos enquêtes établissent que la quasi-totalité des animateurs et membres se recrute parmi les étudiants d'origine rurale, fraîchement arrivés dans la ville de Kinshasa. Mus par leur volonté de s'offrir une sécurité sociale, et même matérielle, dans un environnement relativement hostile et jonché d'incertitudes, ils (animateurs et membres) reconstruisent le tissu social primaire déconstruit par le fait de leur exode. Cette néo-fraternité aborigène se trouve promue par l'absence de structures formelles d'accueil chargées d'opérer la rupture avec l'environnement familial, clanique et ethnique. C'est non sans raillerie que la plupart d'étudiants nés et grandis à Kinshasa allèguent que les associations ethniques sont l'apanage des « bahuta », des « mbokatiers », c'est-à-dire des villageois. Mais ils ne manquent pas d'y adhérer par opportunisme étant donné les perspectives alléchantes qu'offrent ces associations comme nous le verrons plus loin. En outre, nombre d'étudiants qui peuplent ces associations sont à l'externat. Faute de trouver un logement sur le campus universitaire la plupart des étudiants venus de l'intérieur du pays débarquent d'abord dans une famille qui leur sert de point d'ancrage tout au long de leurs études universitaires10(*). Ces accointances prolongées avec la parentèle, loin de les sevrer des liens primaires, les inclinent à les reconstituer même de manière bricolée pour assurer leur sécurité sociale. Et pourtant jadis, tout étudiant inscrit trouvait sur le campus universitaire une structure d'accueil qui le soustrayait des membres de sa communauté ethnique. Il logeait au home universitaire avec des condisciples venus d'autres coins de la République. Bénéficiant d'une bourse et nourri par l'Etat, il n'avait pas besoin des apports de sa famille pour vivre sur le campus. Le T-shirt aux motifs de l'université, le képi avec perles et d'autres insignes qu'il arborait, attestaient son appartenance à la communauté universitaire. Ce qui ne manquait pas d'éveiller en lui la conscience d'une nouvelle identité. 2. Motivations.Faisons remarquer, d'entrée de jeu, que les associations regroupant les étudiants sur des bases ethniques fonctionnent sur un terrain fertile. En effet, l'Université de Kinshasa est une institution où la fibre ethnique informe et gouverne aussi bien les pratiques que les représentations collectives11(*). Elle est la catégorie première de l'interaction sociale, la première caractéristique à laquelle réagissent les membres de la communauté universitaire. Elle rentre dans les stratégies d'accumulation du capital social et politique des agents et révèle son efficacité dans les luttes qui ont pour enjeu le contrôle du champ universitaire. Les élections de chefs de promotions et de membres de la coordination estudiantine, de chefs de départements, de doyens des facultés, de comités exécutifs des différentes corporations professionnelles, etc., procèdent des combines ethnicistes. Placer un « frère » de l'ethnie quel que soit son profil à ces postes revient à garantir et à sécuriser les intérêts des membres du groupe ethnique. Ainsi, ces derniers se font-ils, au nom des intérêts de la coterie, l'obligation de soutenir et défendre même dans ses délires leur frère alors que ceux ressortissant d'autres groupes ethniques s'érigent en opposition pour désapprouver toutes ses actions, même celles qui sont salvatrices pour tout le personnel.
Une autre particularité de cette université réside dans l'ethnicisation de toute revendication. Lorsque s'annonce ou éclate un mouvement de revendication, la question suspendue à toutes les lèvres est celle de savoir quel groupe ethnique en est instigateur et contre quel autre groupe il est destiné. L'intériorisation du fait ethnique explique pour une part non négligeable (la fronde) les dissensions qui minent et fragilisent la plupart de revendications salariales au sein de cette Université. L'échec de la grève lancée par le Comité exécutif de l'Association des Cadres Scientifiques pour protester contre le barème salarial signé par le ministre de l'enseignement supérieur et universitaire Emile Ngoy en avril 2004 s'explique en partie par la manipulation de la fibre ethnique.
L'Université, ce haut lieu de l'intelligentsia, offre ainsi aux analystes l'image d'un laboratoire où se fabrique le virus ethniciste dont on infeste le reste de la communauté nationale. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que certaines associations estudiantines soient commanditées par ceux qui ont intérêt à les instrumentaliser lors des différents enjeux qui ont cours dans le champ universitaire. 2.1. De la néo-fraternité aborigène à l'affirmation identitaire dans les associations ethniques.Les associations estudiantines à caractère ethnique répondent aux motivations aussi bien manifestes que latentes. En compulsant leurs statuts et règlements d'ordre intérieur, il ressort que trois préoccupations motivent leur existence en milieux estudiantins, à savoir : la solidarité et l'entraide entre les membres ; la promotion de leurs valeurs culturelles et le développement socio-économique de leurs territoires d'origine. * 10 L'incontrôlable explosion démographique a sensiblement limité la capacité d'accueil des homes universitaires. Construits pour accueillir 5000 étudiants, ils sont sollicités par plus ou moins 25.000 étudiants que comptent à ce jour l'Université de Kinshasa. Face à cette incapacité de contenir toute cette population estudiantine, l'Université de Kinshasa n'attribue officiellement le logement qu'aux étudiants de deuxième cycle. Aux trois pensionnaires officiels s'ajoutent des maquisards qu'ils sous-logent faisant passer à huit ou à dix le nombre d'occupants d'une chambre. Nombre d'étudiants terminent leurs études sans avoir été logés aux homes universitaires. * 11 Dans cette Université on est d'abord perçu comme Luba, Tetela, Kongo, Mbala avant d'être reconnu comme professeur ou assistant de telle ou telle faculté ou département. |
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