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Associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa (RD Congo) : Neo-fraternité, lutte hégémonique et citoyenneté segmentée

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par Jean Pierre Mpiana Tshitenge
Université de Kinshasa -  DES en Sociologie 2006
  

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III. ASSOCIATIONS ETHNIQUES POUR QUELLE CITOYENNETE ?

Tout au long de cette étude, nous avons essayé de démontrer que de par leur fonctionnalité, les associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa s'inscrivent dans l'illusio politique au sein du champ universitaire lui-même et de la scène politique nationale. Nous avons également démontré que ces associations naissent et prospèrent sur les décombres des mécanismes intégrateurs qui naguère définissaient l'identité étudiante. C'est dire que la néo-fraternité aborigène qui cimente ces associations trouve ses lettres de noblesse dans la situation sinistrée de l'institution universitaire au Congo.

Traditionnellement, en effet, l'université se conçoit comme une institution où les étudiants (...) subissent une forme de déculturation visant à les préparer à leur futur statut d'élite bureaucratique17(*). Elle participe par la formation qu'elle dispense en tant qu'instance de socialisation, à façonner un type d'homme au profil national et républicain. L'inscription du cours de civisme et développement aux programmes de toutes les facultés lors de la réforme de 1971, répondait officiellement entre autre à cet objectif. C'est donc dire que l'université est un agent de construction de la citoyenneté. Cette vocation de l'institution universitaire a jadis justifié sa rupture physique et symbolique avec les milieux socioculturels de provenance des étudiants.

Mais avec la crise la crise multiforme et multisectorielle qui a fragilisé des mécanismes institutionnels de protection sociale des étudiants et démantelé des espaces sociaux et symboliques de façonnement de leur identité, l'Université de Kinshasa n'arrive pas à déposséder les communautés originelles (les ethnies) de leurs fonctions essentielles de toujours : être des « unités de survie » pour les étudiants qui continuent d'y trouver leur sécurité, leur identité, le sens de leur existence. Elle semble même s'en remettre à ces communautés et oeuvrer à leur promotion, comme le témoigne la reprise en main de ces fonctions intégratives par les associations ethniques.

Il nous paraît donc opportun de nous interroger sur l'impact de ces associations en cette période où l'éducation à la citoyenneté s'impose comme socle pour l'édification de la nation congolaise en bute à des multiples défis. Car, au moment où le Congo négocie un tournant décisif de son histoire dans la tourmente de la mondialisation et des incessantes agressions par ses voisins de l'Est, requérant une cohésion nationale, ces associations se posent en officines de fabrication de stimulants ethnicistes (particularistes) et de vaccins « anti-nationalisme » et jouent un rôle important dans l'effritement de la conscience nationale, surtout chez l'« élite intellectuelle » 

En effet, la citoyenneté est à la fois un statut, correspondant à un ensemble de droits définis juridiquement et fondant la légitimité politique dans les sociétés démocratiques, et une identité, reposant sur un sentiment d'appartenance à la collectivité politique et donc source de lien social. Façonnée par l'Etat-Nation, elle a nécessité une séparation, plus ou moins radicale, entre l'espace privé, lieu d'identifications familiales, religieuses, professionnelles... et un espace public où s'exprime, de façon prioritaire, l'appartenance à la communauté nationale.18(*)

Mais la dynamique à l'oeuvre au sein des associations ethniques en milieu estudiantin de l'université de Kinshasa, débouche sur la construction du point de vue identitaire d'une citoyenneté segmentée à forte prégnance ethnique. La citoyenneté segmentée pose l'ethnie comme catégorie première de l'identité, de l'interaction sociale, la première caractéristique à laquelle réagissent les individus qui en sont marqués. Elle pose par principe autrui comme une menace d'invasion contre lequel il sied de se protéger. Elle repose sur la logique qui gouverne tout sectarisme : autoévaluation et dépréciation de l'autrui

Au demeurant, la citoyenneté segmentée dans son aspect identitaire conduit les membres de ces associations à se penser en toute circonstance d'abord comme ressortissant d'une ethnie. Ceci est d'autant plus périlleux pour ceux qui sont redevables à ces associations pour leur intégration professionnelle et qui, pour rendre l'ascenseur, sont consciemment ou inconsciemment conduits à se comporter comme des ambassadeurs de leurs ethnies respectives. Comme le disait l'ancien footballeur camerounais Antoine Joseph Bel à propos de son pays, « quand un ministre ou un fonctionnaire envoie de l'argent à ses covillageois, c'est par égoïsme...Au Cameroun, un ministre est le ministre de son village. Sauf que c'est l'argent public qu'il distribue. Comme il y a une quarantaine de ministres, cela veut dire qu'au Cameroun, il y a quarante villages qui vivent sur le dos de tous les autres villages du pays. »19(*)

Aussi, le sentiment ethnique galvanisé par la néo-fraternité aborigène forgée dans les associations estudiantines incline leurs membres à des pyrotechnies et subterfuges, à la recherche des intérêts particularistes, à l'exclusivisme sacrifiant par ce fait même sur l'autel de l'ethnicisme l'excellence, la compétence, l'intérêt général et la coexistence (des piliers de la promotion nationale).

En résulte dans le chef de tels citoyens, la confusion entre l'espace privé de sa tribu et l'espace public de la nation. La manipulation somme toute de ces deux espaces ne répond en réalité qu'à des fins personnelles. Les citoyens tribaux distillent des discours nationalistes là où ils étalent leur incapacité à mobiliser la communauté nationale pour le développement national et se présentent en défenseurs et garants des intérêts de leurs communautés tribales lorsque leurs intérêts sont menacés. La déchéance actuelle de la RDC en est la conséquence éloquente. On s'aperçoit en définitive, que ces associations incarnent les contradictions de la société globale où les pratiques ethnicistes et tribalistes trahissent les discours nationalistes de toutes les élites (politiques, intellectuelles, religieuses, etc.), où la floraison des universitaires dans tous les secteurs s'accompagne de la descente aux enfers du pays.

Au regard de ce qui précède, si la rupture symbolique d'avec le milieu familial est souvent considérée comme pivot de la définition du mode de vie (ajoutons de l'identité) étudiant, si l'université se pose comme espace où l'étudiant travaille à sa propre disparition en tant que tel, où il se construit une identité par bien des aspects universelle20(*), alors il y a lieu de souligner que la néo-fraternité aborigène que postulent les associations ethniques à l'Université de Kinshasa porte ombrage au façonnage de l'étudiant congolais dans cette perspective.

La question qui reste pendante est celle relative à la conversion des associations ethniques en milieux estudiantins en des espaces de construction de la citoyenneté nationale. Un tel projet ne peut être envisagé que si l'université elle-même est réhabilitée dans toutes ses fonctions régulatrices et intégratives de la vie étudiante. C'est en se posant comme vaste espace symbolique de définition de l'identité étudiante que l'Université de Kinshasa peut consolider la citoyenneté nationale dans le chef des étudiants congolais. Dans tous les pays, la citoyenneté n'a pu se construire qu'au prix d'un effort d'unification identitaire de la part de l'Etat-nation. Transcendant les particularismes, elle intègre les populations en une « communauté de citoyens » fondée sur un projet et des institutions politiques communs21(*).

Une précision avant de terminer. Ce n'est pas le fait objectif que sont les associations ethniques qui a été porté devant le tribunal de la raison. Ces sphères privées qui rassemblent ceux qui se ressemblent du fait de leur unicité culturelle, ont droit de cité dans la société congolaise. Elles sont les matériaux avec lesquels la nation congolaise se construit. En l'absence des véritables mouvements sociaux, elles constituent des intermédiaires par lesquels la société congolaise agit sur elle-même. Travailler à leur disparition constituerait une forme d'oppression, mieux d'ethnocide. Seul leur relent ethniciste a été mis au crible de l'intelligence sociologique.

Si l'histoire est un mouvement effectif par lequel la liberté se constitue en se délivrant de l'aliénation22(*), s'impose alors aux associations estudiantines à caractère ethnique un affranchissement de la pesanteur ethniciste afin que, la liberté retrouvée, elles s'érigent en actrices du développement national. Elles doivent, tout en préservant l'identité locale, participer à l'émergence d'une citoyenneté nationale, gage du développement du Congo. Leur droit de cité tient à ce prix.

* 17 YANN LEBEAU, Etudiants et campus du Nigeria, Karthala, Paris, 1997, p.25

* 18 Jean Etienne et alii, Dictionnaire de sociologie, Hatier, Paris, 2004, p.71.

* 19 Cité par Tshishimbi et tshienke, art-cit, p.57.

* 20 Yann Lebeau, op-cit, p.23

* 21 Jean Etienne et alii, Dictionnaire de sociologie, Hatier, Paris, 2004, p.75.

* 22 Marx K. cité par Verhaegen B., L'enseignement universitaire au Zaïre. De Lovanium à l'UNAZA. 1958-1978. L'Harmattan, Paris, 1978, p.8.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote