4 - Charles Berling
Du fait qu'il s'agit d'un acteur et de surcroît d'un
homme, le rapport ne peut être ici que différent du
précédent. D'abord parce qu'il introduit la notion de
séduction inhérent au rapport entre les hommes et les femmes. Et
ensuite parce que l'invité n'exerce pas la même profession que
Pascale Clark : on a peu de chance d'avoir affaire à une
confrontation.
Charles Berling a été
révélé en 1996 par le film de Patrice Leconte
« Ridicule » : acteur français majeur, il
n'intéresse pas vraiment les médias : il est assez discret.
Il ne s'agit donc pas d'une personnalité à priori
« spectaculaire » comme pourrait l'être Maïtena
Biraben. Son passage chez En aparté est dû à la
promotion d'un film dont il assure le doublage « La marche de
l'empereur ». La pression promotionnelle n'est donc pas très
élevée. Cette décontraction va mener l'entretien.
Dès le début, Charles Berling donne le ton.
Joueur, il imite le ton solennel de l'animatrice mais pénètre
timidement dans l'antre du studio. Pascale Clark l'invite à
« prendre possession » du bar. Au lieu de s'installer sur
le tabouret prévu à cet effet, il prend littéralement
possession du bar et se place derrière. L'animatrice d'abord surprise
l'invite à rester là où il le désire. Il
déguste la collation, ne montre aucun signe visible de gêne, ce
que constate l'animatrice : « Mais pourquoi voulez-vous que
je soit mal à l'aise ? ». On sent qu'il est
habitué aux caméras, mais il ne s'agit pas de la même
aisance que Maïtena Biraben. Lui montre bien moins de calcul, ne semble
pas vouloir prouver quelque chose. Il répond tranquillement aux
questions de l'animatrice, qui concerne surtout la promotion du film. Des
images du film sont projetées. L'acteur a choisi de rester debout,
soutenant le bar, comme pour dominer le dispositif. L'entretien reste assez en
surface : l'animatrice semble respecter la vie privée de Charles
Berling et s'en tient au commentaire des images du film. Elle essaie
néanmoins d'établir des ponts entre le film et la vie :
« Mais ce qui les (les manchots dans « La marche
de l'empereur ») fait courir, c'est l'amour, comme dans la vie,
non ? ». Elle aborde aussi le rapport de l'homme par
rapport à son métier d'acteur. D'ailleurs, la mise en
scène a choisi de privilégier des plans où apparaissent
à la fois l'acteur et l'image du film. Ensuite, un autre petit film
retraçant sa carrière est projeté. Le
téléspectateur le regarde en même temps que le regarde
Charles Berling. Ce dernier paraît indifférent et s'applique
à manger la galette des rois préparée à son
intention. Les plans d'ensemble mettent en valeur cette indifférence. Se
succèdent des plans où on voit le film et des plans d'ensemble
où on voit l'acteur regarder le film en mangeant. A la fin de la
projection, l'animatrice conclut par : « Vous ne vous
intéressez pas à vous-même... » Mais voyant
Charles Berling cherchant à boire, la conversation s'oriente vers des
aspects plus prosaïques : où est le frigo, pourquoi les
bouteilles n'ont pas de marque...L'animatrice a quelque difficulté
à faire parler son hôte, mais réussit finalement,
après moult efforts. Ce n'est qu'à la dixième minute
qu'elle arrive à lui extirper une réflexion sur le métier
d'acteur. Celui-ci avoue finalement : « Bien sûr que
je m'intéresse à moi-même, comme tous mes
collègues ».
S'ensuit une séquence assez originale, qui fait partie
des surprises d' En aparté : l'acteur s'installe devant le
rétroprojecteur. Il y apparaît la photographie d'un ami, Marc
Thiercelin, qui venait d'abandonner à cette époque le
Vendée Globe. Il confie qu'il ne l'a pas appelé depuis son
abandon. Pascale Clark lui demande alors de se justifier : on entre alors
dans la sphère vraiment intime de la personnalité. Ce n'est plus
le ton désinvolte du début. L'animatrice a réservé
une surprise à son invité : son ami lui a enregistré
un message qu'elle lui fait écouter. Dans ce message, son ami lui avoue
qu'il l'a inscrit à une course et qu'il lui écrit un film.
Charles Berling est visiblement ému.
L'émission se révèle assez rapide et
superficielle mais l'équipe a réussi à extirper de
l'émotion. Lors de la séquence musicale, l'acteur se
dévoile un peu, parle avec enthousiasme des musiques qu'il affectionne.
L'animatrice perd un peu de son contrôle physique car l'acteur se ressert
à boire, tarde à choisir sa musique, critique le dispositif...on
sent qu'il veut donner l'image d'un électron libre. Devant son cadeau,
un coffret « Star Wars », il ne force pas son
enthousiasme : « Je ne suis pas fan. »
De la prestation de Charles Berling, nous en retiendrons que
celui-ci a dévoilé quelques bribes de sa
personnalité : discret et désinvolte, il n'ignore cependant
pas le pouvoir de l'image et en joue. Pascale Clark aura eu un peu de mal
à conférer de l'intimité à l'entretien :
l'acteur s'est tout de même donné en spectacle pour affirmer son
indépendance. Il a donné ce qu'il a eu envie de donner. Seul le
message de Marc Thiercelin a donné un tout un peu personnel au passage
de Charles Berling. Grâce à pouvoir du média,
l'émission a livré une émotion à son invité,
et donc à son téléspectateur.
L'émission En aparté repose sur les
mêmes ressorts que les « émissions de
l'intime » de ces deux dernières décennies : elle
exploite le désir de voyeurisme du téléspectateur qui
répond à la volonté d'exhibitionnisme de l'invité.
Dans le cadre de cette émission, le média s'efface -absence de
l'animatrice- pour mieux mettre en valeur cette relation dans un souci de
« spectacularisation » de l'intime. Cet intimité
reste par contre relativement superficielle, l'invité connaissant le
principe de l'émission. Pourtant, le média parvient parfois par
des stratagèmes originaux à obtenir des parcelles
d'intimité qui échappent au contrôle de la
représentation de l'invité. L'originalité majeure d'
En aparté par rapport aux autres
« émissions de l'intime » est qu'elle concerne les
célébrités, plus communément appelés les
« people ». Ceux qu'Edgar Morin appelait les
« Olympiens » ont acquis une importance dans notre
sphère affective et médiatique majeure, qui sera le sujet de
notre prochaine partie. Les médias redoublent d'imagination pour
établir des liens et des connexions affectives entre le
peuple/téléspectateur et l'Olympien/people.
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