2-3 Le référentiel sociologique
européen
Le vieux continent regroupe des pays contenants des
systèmes de valeurs distinctes. Les systèmes comptables sont, par
conséquent, conçus comme étant issus de traditions, de
cultures, de manières de pensées et de pratiques diverses.
Pour synthétiser, on peut dire que la
comptabilité européenne repose sur deux conceptions
culturelles, à savoir :
- une tradition comptable continentale (modèle comptable
latin) ; et
- une tradition comptable anglo-saxonne ;
Les pays appartenant au modèle continentale (France,
Allemagne, etc.) poursuivent une conception comptable basée sur le
principe de prudence, alors que, les pays appartenant
au modèle économique (Grande-Bretagne,
Pays-Bas, etc.) poursuivent des principes de communication de
l'information financière qui soutiennent la notion d'image
fidèle.
La première catégorie de pays respecte une logique
légaliste favorisant tout ce qui est formaliste, alors que, les
anglo-saxons poursuivent une logique économique favorisant tout
ce qui est coutumier. L'individualisme américain
confère le droit de normalisation aux
organismes professionnels.
2-4 Le dispositif réglementaire d'harmonisation
comptable européenne
L'harmonisation comptable européenne «
relève du droit communautaire, celui ci est composé d'actes
divers dont la définition est donnée par le traité de
Rome. Certains de ces actes ont un caractère obligatoire et s'imposent
aux états membres, ce sont les règlements et
les directives ».123 Par ailleurs, les
modalités d'application des règlements et directives
suivent, dans les états membres, des démarches
divergentes.
123 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.758.
82
En effet, les règlements s'appliquent
immédiatement dans chaque Etats membre, ils constituent donc une
véritable loi communautaire. Tandis qu'une directive « ne
devient applicable dans un Etat membre que lorsque cet état, dans un
délai fixé par la directive elle- même, introduit son
contenu dans sa propre réglementation sous la forme, par
exemple, d'une loi ».124 Les règlements sont en
général plus détaillés et plus précis que
les directives, puisque ils ont une vocation à s'appliquer de
façon directe dans l'ensemble des pays membres de l'union. Par
contre, les directives stipulent un cadre juridique général,
laissant le soin aux Etats de les adapter à leurs
législations.
Ainsi, « les exigences énoncées par les
directives ne représentent qu'un minimum de telle façon que rien
ne s'oppose à ce que la loi d'un Etat membre soit plus contraignante,
à condition, toutefois, qu'elle ne soit pas contraire à l'esprit
de la directive ».125
En matière comptable, l'harmonisation
s'opère par la voie de directives, celles-ci suivent un
processus bien déterminé d'harmonisation des lois sur les
sociétés des Etats membres, offrant un cadre comptable
commun servant de référence aux ayant droit de
l'entreprise Européenne.
2-4-1 La quatrième directive
La première grande directive européenne sur
le plan comptable, est la quatrième, publiée au Journal
Officiel des Communautés Européennes (JOCE) le 14
août 1978. Elle s'avère la plus importante par
l'étendue de son champ d'application ; l'univers total des
quelque trois millions de sociétés de capitaux, et son
signal ambitieux de discipline et d'alignement comptable.
Son traitement des objectifs, de la présentation et du
contenu des comptes annuels des firmes individuelles constitue un «
mixe anglo-continental » de 62 articles assortis de 76 options et
précédé d'un exposé des motifs sous forme de 9
considérants.
124 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.758.
125 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.758.
83
La quatrième directive obligeait toute firme
de l'Union Européenne (hormis la financière
traitée distinctement) à dresser et à publier un
compte-rendu annuel minimal. Elle voulait répondre, d'une manière
universelle, aux problèmes de la diversité des systèmes de
contrôle (juridique, professionnel, ou autre) au sein de l'Union
Européenne. Ils sont bien définis, par exemple, en France et
en Allemagne, où la fiscalité et la loi des
sociétés en étant prescriptives, réduisent la
latitude comptable et orientent l'information vers l'Etat et les
principaux bailleurs de fonds. Ils sont flous là où, comme au
Royaume-Uni et aux Pays Bas,
le lien entre les états financiers et la
fiscalité est plus faible et la latitude comptable
prétendument plus grande en même temps que davantage
orientée, à l'américaine, vers les investisseurs.
Concernant le contenu de la directive, l'exposé des motifs
(les considérants) précise les objectifs de la directive. Les
considérants insistent notamment sur :
- l'importance particulière, quant à la protection
des associés et des tiers, que
revêt la coordination des dispositions nationales
concernant la structure et le contenu des comptes annuels et du rapport
de gestion, les modes d'évaluation ainsi que la publicité de ces
documents pour ce qui concerne la société anonyme et la
société à responsabilité limitée ;
- la nécessité que soient établies dans la
communauté des conditions juridiques
équivalentes minimales quant à
l'étendue des renseignements financiers à porter à
la connaissance du public par des sociétés concurrentes,
ceci assurera la comparabilité et l'équivalence des
informations contenues dans les comptes annuels ;
- l'obligation faite aux comptes annuels de donner
une image fidèle du
patrimoine, de la situation financière ainsi que des
résultats de la société et qu'à cette fin, des
schémas de caractère obligatoire pour l'établissement
du bilan et du compte de profits et pertes (compte de résultat)
doivent être prévues et que le contenu minimal de l'annexe ainsi
que du rapport de gestion doit être fixé ;
- la nécessité de contrôler les comptes
annuels par des personnes habilitées.126
Après avoir présenté les
sociétés, pour chacun des pays concernés par son
application
(pour la France : la société anonyme, la
société en commandite par action et la
société à responsabilité limitée ; en
Grande Bretagne, la comptabilité ne concerne que la
société anonyme, depuis 1980, en raison des directives
européennes, la loi britannique reconnaît
126 ROBERT OBERT, Synthèse droit et
comptabilité : audit et commissariat aux comptes, aspects
internationaux, 2ème édition Dunod, 1997,
p-p.314-315.
84
l'existence de sociétés de petite taille sans
qu'elles aient une forme juridique anonyme), la directive édicte un
certain nombre d'obligations réparties en 12 sections :
Section 1 : Dispositions générales
;
Section 2 : Dispositions générales
concernant le bilan et le compte de profits et pertes ;
Section 3 : Structure du bilan ;
Section 4 : Dispositions particulières à
certains postes du bilan ; Section 5 : Structure du compte de profits et
pertes ;
Section 6 : Dispositions particulières à
certains postes du compte de profits et
pertes ;
Section 7 : Règles d'évaluation ; Section
8 : Contenu de l'annexe ;
Section 9 : Contenu du rapport de gestion ;
Section 10 : Publicité ; Section 11 :
Contrôle ;
Section 12 : Dispositions finales.
La quatrième directive (les 12 sections) décrit
l'obligation annuelle faite à toute firme
de l'Union Européenne de présenter son
bilan et ses résultats avec annexe appropriée, des options
étant prévues là où divergent les
règles et la pratique. Elle précise que les notes annexes
forment un tout avec le bilan et le compte de profits et pertes.
Les comptes doivent donner ``a true fair view'' (une
image fidèle) de la situation financière ainsi que des
résultats de la société. Sa primauté
étant reconnue, ce principe d'origine anglo-américaine,
s'applique donc en toute situation où il y a conflit probant avec des
principes classiques (de prudence, par exemple). En ce qui concerne la
présentation du bilan et du compte de résultat, la directive
propose pour chaque document deux schémas ; laissant ainsi aux Etats
membres la possibilité d'imposer l'un de ces schémas à
leurs sociétés
ou de les laisser choisir entre les deux.127
Enfin, il était prévu que les Etats membres
devaient mettre en vigueur les dispositions législatives,
réglementaires et administratives pour se conformer à la
directive dans un délai
127 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.759.
85
de deux ans à compter de sa notification, c'est
à dire avant le 31 juillet 1980. Les Etats membres pouvaient
prévoir par ailleurs que ces dispositions nouvelles ne
s'appliqueraient que dix-huit mois plus tard. Aucun des Etats n'a
respecté ce délai.
2-4-2 La septième directive
Si on exige depuis longtemps dans le monde anglo-saxon
que les groupes financés publiquement consolident et divulguent
leurs comptes, pareille tradition de transparence en Europe Continentale
communautaire n'a vraiment commencé qu'avec l'intégration
de la septième directive aux droits nationaux respectifs.
Publiée au Journal Officiel des Communautés
Européennes (JOCE) le 18 juillet 1983, promise à l'article 57 de
la quatrième directive, la septième directive étendait aux
groupes les obligations de dresser, de contrôler et de publier des
comptes consolidés dans les formes et méthodes harmonisées
prescrites.
En principe, la septième directive impose aux Etats
membres d'exiger la consolidation
là où une société mère
contrôle en droit (via une majorité d'actions), ou de
fait (via une participation minoritaire suffisante, une gestion commune,
etc.), une ou plusieurs filiales. Ceci reflète bien la recherche de
l'union par les compromis.
La septième directive comprend 51 articles,
dispersés en 6 sections. Le texte proprement dit
étant précédé également de 9
considérants. Ils précisent les objectifs de la directive :
ils insistent en particulier sur le fait que, des comptes consolidés
pour les sociétés faisant partie d'ensemble, doivent
être établis pour que l'information financière puisse
assurer les objectifs de comparabilité et d'équivalence et
qu'elle soit portée à la connaissance des associés et
des tiers. Les considérants insistent également sur la
nécessité pour les comptes consolidés de donner une
image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi
que des résultats de l'ensemble d'entreprises comprises
dans la consolidation.128
128 ROBERT OBERT, Synthèse droit et
comptabilité : audit et commissariat aux comptes, aspects
internationaux, 2ème édition Dunod, 1997,
p-p.314-315.
86
Concernant le contenu, la directive édicte les
obligations des Etats membres en six sections :
Section 1 : Conditions d'établissement des
comptes consolidés ; Section 2 : Modes d'établissement des
comptes consolidés ; Section 3 : Rapport consolidé de gestion
;
Section 4 : Contrôle des comptes
consolidés ;
Section 5 : Publicité des comptes
consolidés ;
Section 6 : Dispositions transitoires et dispositions
finales.
La septième directive « traite de
l'élaboration, de la présentation et du contenu des
comptes consolidés. Elle indique notamment quelles
sociétés doivent faire partie de l'ensemble à
consolider. Elle précise également les méthodes qu'il
convient d'employer ».129
D'une certaine façon, c'est une extension de la
quatrième directive aux groupes. Toute fois, sur un certain nombre
de points, elle offre plus d'options que celle ci, notamment des
exemptions pour les petits et moyens groupes, les holdings financiers et les
groupes ayant une société mère non européenne
dont les comptes consolidés ont valeur d'équivalence, mais
surtout en matière d'évaluation. L'influence anglo-saxonne y est
beaucoup plus sensible que dans la quatrième directive.
Enfin, en ce qui concerne les dispositions finales,
l'article 49 prévoit que les Etats membres mettent en vigueur
avant le premier janvier 1988, les dispositions législatives,
réglementaires et administratives nécessaires pour se
conformer à la présente directive. Il précise
également que les Etats membres peuvent prévoir que
ces dispositions ne s'appliquent pour la première fois qu'aux
comptes consolidés de l'exercice qui commence le premier janvier
1990 ou dans le courant de 1990. Certains pays n'ont pas
rempli convenablement les termes de la disposition finale.
2-4-3 La huitième directive
Via la huitième directive publiée au Journal
Officiel de la Communauté Européenne
(JOCE) le 12 mai 1984, la communauté européenne
visait surtout à harmoniser les exigences
129 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.759.
87
à imposer aux réviseurs des comptes des
sociétés en son sein, sinon à instaurer de telles
exigences là où elles étaient absentes. Bien
évidemment, le contrôle légal des documents comptables
consacré aux professionnels a été rendu obligatoire par
les quatrième et septième directives.
La huitième directive dicte les conditions que
devaient remplir les professionnels chargés d'assumer la mission de
certification des comptes, en tenant compte de la diversité des
pratiques comptables en Europe. « La directive définit donc les
conditions d'honorabilité,
les compétences théoriques et pratiques
requises des professionnels chargés de l'audit
légal ».130 En effet, dans les
premiers articles, on réserve le travail de révision aux
spécialistes agréer par les Etats membres ou les instances
professionnelles concernées.
Elle précise aussi les modalités selon
lesquelles le futur auditeur légal doit acquérir une
expérience pratique, et sur les cas de dérogation aux exigences
de formation et sur diverses mesures de transition visant le personnel
comptable expérimenté non agrée qui, dans divers pays
(Allemagne, Danemark, Portugal, etc.), oeuvre depuis longtemps dans
l'entreprise.
Enfin, la directive décrit vaguement les
exigences d'éthique et d'indépendance. Elle exige en plus ;
qu'une liste de réviseurs agrés soit disponible et que chaque
société identifie ses propres réviseurs.
2-4-4 L'harmonisation comptable européenne: quel avenir
?
Il est certain que depuis la mise en application de la
quatrième, septième et huitième directive, les pratiques
comptables et l'information financière divulguée par les
sociétés européennes favorisent une
élévation générale de la comparabilité des
comptes. Ce pendant, certaines lacunes prédominent, puisque les
directives, par leur caractère consensuel, ont, soient
laissées certains problèmes comptables, jugées
délicats, non traiter, soient offert plusieurs modalités de
traitement concernant un même problème. Ainsi, pour
satisfaire les conditions d'un consensus, « une directive doit être
flexible et permettre de traiter le même
130 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.759.
88
problème de différentes manières, de
façon à ne gêner les entreprises d'aucun
Etat membre ».131
Par ailleurs, la conception d'une directive prend un
large temps, et son introduction dans la législation des
états membres, est un processus encore plus long. La conception de la
quatrième directive a duré une dizaine d'années et sa mise
en application par tous les états membres une quinzaine. On constate
donc « qu'une directive puisse être en partie obsolète au
moment où elle commence à être mise en oeuvre et
qu'elle ignore toutes les opérations nouvelles surgies entre sa
publication et sa mise en application. (...) L'harmonisation
européenne apparaît donc comme toujours en retard par rapport
à l'évolution économique et,
notamment, par rapport à l'internationalisation et
à la mondialisation des échanges ».132
Enfin, les comptes élaborés
conformément aux directives européennes et aux
réglementations nationales qui les transposent ne satisfont pas aux
normes exigées ailleurs dans le monde et qui, dans les faits, sont
souvent les normes américaines. Le fait pour les grandes entreprises
européennes souhaitant lever des capitaux sur les marchés
internationaux,
de devoir établir de nouveaux comptes à
cet effet, constitue un handicap concurrentiel important. Ce qui
amène certain à penser que « des tentatives d'harmonisation
à un niveau régional n'ont plus guère de sens et
qu'il convient de se lancer délibérément dans une
harmonisation mondiale ».133
La commission européenne a donc fini par
renoncer à compléter et amender les directives comptables,
eu égard à la longueur du processus de négociation de ces
textes et des problèmes cités ci-dessus. En d'autres termes,
cette solution est irréalisable rapidement, car elle résulterait
nécessairement de deux changements : celui des directives
européennes et celui des différentes réglementations
à l'intérieur de l'union. En outre, elle ferait courir
le risque à la commission de voir certains pays tenter de
renégocier les points ne les satisfaisant pas dans les directives,
indépendamment de l'objet de la mise à jour.
131 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p-p.760-761.
132 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.761.
133 BERNARD COLASSE, Harmonisation comptable
internationale, Encyclopédie de comptabilité de contrôle
de gestion et d'audit, Economica, 2000, p.762.
89
En juin 2000, la commission européenne a pour
sa part expliqué sa stratégie future concernant
l'information financière en Europe ; cette dernière
consiste à recommander l'application d'un jeu unique de normes
comptables propres à favoriser la transparence et la
comparabilité des sociétés dans l'union européenne.
Ce jeu unique de normes devait faciliter
la collecte de capitaux et renforcer la protection des
investisseurs. Comme jeu unique de normes comptables, la commission
européenne a donné sa préférence aux
normes comptables internationales, à l'horizon 2005. Elle envisage
également de créer un mécanisme d'approbation de ces
normes, aussi bien au niveau politique que technique, tout en préservant
ses propres acquis en s'assurant que les bénéfices de
l'harmonisation européenne ne soient pas perdus.
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