Conclusion du chapitre 5
Les actions de la compagnie minière en faveur des
populations de Hiré ont connu des mutations diverses depuis le
démarrage de l'exploitation industrielle de l'or. En l'absence d'un
cadre institutionnel formel, ces actions ont été faites au coup
par coup, guidées par la RSE commune à toutes les compagnies
minières. Elles ont connu plusieurs mutations au fil du temps puis avec
l'initiative du plan triennal de développement local 2012-2015, ces
actions ont connu un début de formalisation. Élaboré en
partenariat avec le PNUD, ce plan de développement a permis la
réalisation de plusieurs projets en faveur des communautés
locales, puis est intervenu la formalisation des actions communautaires par le
code minier de 2014.
Les actions en faveur des populations portent sur la
création d'emploi, la contribution à l'amélioration des
conditions de vie et la réalisation d'équipements et
d'infrastructures.
189
CHAPITRE 6 : LES MUTATIONS SOCIALES LIEES
A L'EXPLOITATION DE L'OR
INTRODUCTION AU CHAPITRE
L'exploitation minière, outre ses répercussions
démographiques et économiques, a également des incidences
sociales dans la sous-préfecture de Hiré. Ces incidences sont
diverses et feront l'objet de ce chapitre. Ce sixième chapitre tente
d'abord de décrire les nouveaux comportements observés au sein de
la cellule familiale puis ceux observés au sein de la communauté.
Il analysera les problèmes sociaux liés aux rapports entre les
acteurs de l'exploitation minière et les populations.
6.1. L'AGGRAVATION DES INEGALITES SOCIALES 6.1.1. La
classe paysanne dans l'indigence
L'agriculture, facteur des premières vagues de
migrations vers Hiré, qui a permis aux producteurs de connaitre un
prestige économique ainsi que toutes les activités qui se
greffaient à elle, connaît depuis l'arrivée de la mine une
période de stagnation. Le pouvoir économique avant l'ouverture de
la mine industrielle était tenu par les grands producteurs de
café et de cacao. Le poids de la production était un
critère capital dans la classification sociale des paysans. Celui qui
fait régulièrement un bon tonnage de ces cultures phares
était considéré comme riche. La superficie de
l'exploitation agricole, la qualité de la culture, le volume de la main
d'oeuvre mobilisée et le volume de production sont autant de
critères de classification sociale des paysans. Cependant, l'ouverture
de la mine industrielle a bouleversé cette stratification sociale. Les
paysans ayant perdus du fait de l'exploitation minière leur terre, leur
production, leur pouvoir économique, le critère de classement
social a changé.
6.1.2 L'émergence d'une nouvelle élite
sociale à Hiré
Avec l'ouverture de l'exploitation minière, deux
nouveaux facteurs de catégorisation sociale valorisante sont apparus
dans la sous-préfecture. Ce sont : l'indemnisation et les revenus issus
du travail de mineur.
6.1.2.1 Les indemnisés de NEWCREST
La société minière NEWCREST pour
l'exercice de ses activités occupe des terres pour lesquelles elles
payent des indemnités aux populations. Si les ressources minières
appartiennent à l'État qui en autorise l'exploitation, les terres
appartiennent aux populations. Les indemnités sont versées en
dédommagement soit de l'occupation de parcelles, la destruction de
cultures
190
et/ou pour la destruction de l'habitat. Le montant des
indemnités perçues par certaines personnes en a atteint des
centaines de millions et fonde l'image très valorisante que la
population se fait des personnes bénéficiaires de ces
indemnités.
En effet, la perte de sa parcelle ou de sa plantation n'est
plus perçue par les populations comme un malheur mais comme une chance.
Toutes les populations aspirent à voir leurs parcelles touchées
par les activités de l'entreprise minière à tel enseigne
que lorsque NEWCREST occupe juste une portion de la parcelle qu'elle
dédommage, les populations préfèrent qu'elle
récupère toute la parcelle afin de bénéficier d'une
meilleure indemnité.
6.1.2.2. Les mineurs de Hiré
? Les employés de NEWCREST.
L'appropriation populaire de métiers de la mine
s'observe autour de la construction d'un imaginaire populaire des
métiers qui découle de l'activité minière.
L'embauche par NEWCREST crée un nouveau type de travailleurs plus
qualifiés qui cristallise les nouvelles perceptions car ces ouvriers
s'inscrivent dans des rapports sociaux en termes de « classe bourgeoise
», par opposition à la « classe prolétaire ». Les
investissements miniers favorisent l'apparition d'une nouvelle classe moyenne,
relativement aisée, principalement composée de cadres du secteur
privé et de fournisseurs, sous-traitants, consultants, etc.
Diplômés de l'enseignement supérieur, ces derniers
développent un style de vie marqué par la construction des villas
et autres grandes concessions de prestiges. La classe prolétaire des
employés de la mine est composée des employés non
qualifiés qui exercent les petits métiers. Issus
généralement de la localité ils résident
majoritairement dans la ville. Leur niveau de vie est décrit comme
étant supérieur à celui des autres habitants. En outre, le
niveau de gratification des salaires de ces travailleurs est perçu comme
intéressant. Dans les maquis, bistrots ou restaurants locaux et autres
lieux de détente de la ville, leur niveau de consommation est des plus
élevés. Ils possèdent des engins de locomotion et cela
contribue à entretenir cette image de prestige et de réussite.
Cependant, la compagnie minière ne pouvant employer tout le monde, une
autre activité aussi financièrement intéressante et qui
attire un plus grand nombre est l'orpaillage.
191
? Les orpailleurs
Les orpailleurs sont aussi présents dans la ville de
Hiré. L'orpaillage est une activité très ancienne à
Hiré dont la pratique avait cessé depuis un siècle pour
refaire surface en 2007 à l'occasion de l'installation de l'usine
minière de Bonikro. L'orpaillage est aujourd'hui de loin
l'activité économique phare dans la sous-préfecture de
Hiré. Perçue comme une activité lucrative, l'orpaillage
draine du monde. Selon le recensement des orpailleurs effectué en 2010
par NEWCREST, ce sont environ 3 000 personnes qui exercent cette
activité sur les sites dispersés à travers la
sous-préfecture. Les sites les plus prisés sont ceux de la
compagnie minière, notamment le périmètre de la fosse
satellite de Hiré avant son exploitation par la compagnie
minière.
6.2 LES PERTURBATIONS AU SEIN DE LA CELLULE FAMILIALE
6.2.1 Les conflits entre parents et enfants
Des conflits éclatent entre parents et enfants dans la
sous-préfecture de Hiré au sujet de l'exploitation
minière. Ces conflits sont essentiellement dus au refus des parents de
laisser leur progéniture s'adonner à l'exploitation artisanale de
l'or. Ce refus est motivé selon Kouadio (2008) par plusieurs raisons qui
nous ont servi de base pour l'enquête auprès des populations (voir
tableau 29).
Tableau 29 : les causes des conflits entre parents et
enfants liés à l'activité minière
Causes de conflits
|
Proportion (en %)
|
Insoumission
|
19
|
Déscolarisation
|
26
|
Les dangers de l'orpaillage
|
40
|
Raisons religieuses
|
12
|
Autres
|
3
|
Source : Nos enquêtes, 2016
Selon les données collectées, 40% des
enquêtés pensent que le refus des parents de laisser leurs enfants
s'adonner à l'orpaillage est motivé par les dangers que
présentent cette activité. Le second motif avancé est
celui de la déscolarisation. La plupart des enfants qui exercent
l'orpaillage comme activité de vacances manquent les cours pour aller
pratiquer l'orpaillage ou abandonnent totalement l'école. Cela
s'explique par l'habitude qu'ils prennent d'avoir de
192
l'argent. L'insoumission des enfants avec 19%
représente la troisième raison des conflits entre parents et
enfants. L'insoumission est une situation à la laquelle tout parent est
confronté vis à vis de ses enfants surtout lorsque ceux-ci
atteignent l'âge de l'adolescence. Cependant, la situation dans la
sous-préfecture de Hiré est exacerbée par l'exploitation
minière. Les enfants généralement utilisés dans le
groupe domestique pour exercer des activités agricoles du fait du manque
de main d'oeuvre extérieure refusent désormais de le faire. Ils
s'adonnent plutôt à l'orpaillage soit à titre personnel
soit en tant qu'ouvrier journalier pour le compte d'un particulier ce qui
provoque des conflits entre eux et leurs parents. Ils sont ainsi
détournés, du fait de l'activité d'exploitation
artisanale, du contrôle parental. Ces derniers ne vont plus aider les
parents dans les champs et ne participent plus aux activités
économiques de la famille. Ils préfèrent exercer
l'orpaillage où les travaux bien que plus difficiles, sont
rémunérés. L'opinion cultuelle de l'or lui confère
un caractère sacré qui est perçu par certains comme une
malédiction rattachée à ce métal. Sur la base de
cette perception, certains parents interdisent à leurs enfants de
s'adonner à l'exploitation artisanale de l'or. D'autres raisons non
explicites sont également avancées. Ces conflits se manifestent
par des querelles. Les enfants sont parfois victimes de sévices et
certains vont jusqu'à quitter le domicile familial.
6.2.2 Les conflits d'autorité entre mari et
femme
Les conflits entre mari et femme au sujet de l'activité
minière surviennent lorsque la femme s'intéresse au travail de
l'or. Les femmes constituent 18% des orpailleurs enquêtés.
Initialement la femme s'occupe des travaux domestiques (repas,
ménage...) mais dans le milieu rural, elle est devenue une main d'oeuvre
nécessaire pour le chef de ménage du fait de la
raréfaction de la main d'oeuvre extérieure. Dans ce contexte, son
nouveau statut lui confère en plus des activités domestiques,
l'entretien des cultures vivrières et pérennes. Elle aide ainsi
son mari à l'entretien des plantations et à l'entretien de la
famille à travers les cultures vivrières utilisées pour la
consommation et pour la commercialisation. Avec la crise dans l'agriculture qui
s'accentue de plus en plus, les chefs de familles n'arrivent plus à
pourvoir aux besoins de leurs femmes. Celles-ci se tournent donc vers
l'orpaillage qui se présente comme une opportunité
économique et un palliatif dans la sous-préfecture. Les femmes
dans l'orpaillage s'adonnent au lavage et sont rémunérées
de façon journalière. Elles se détournent ainsi de
l'autorité de leurs époux en allant plus les aider dans les
champs et exercent l'orpaillage à leur propre compte. Leurs tâches
domestiques ne sont plus bien assurées. Cette attitude des femmes est
perçue par les maris comme une défiance de leur autorité
de chef de famille. Cela génère des conflits de natures diverses
(voir tableau ci-dessous).
193
Tableau 30 : répartition des conflits selon leur
nature au sein de la population enquêtée
Nature des conflits
|
Proportion (en %)
|
Privations
|
12,82
|
Interdiction à la pratique
|
38,46
|
Répudiation ou séparation de la famille
|
12,82
|
Reproches
|
32,05
|
Autres
|
3,84
|
Source : Donnée d'enquête, 2008
La chute du pouvoir d'achat des paysans et l'augmentation de
celui des mineurs perturbe également les relations entre mari et femme.
En effet, avec le prestige économique dont ils
bénéficient, certains mineurs courtisent les femmes des paysans
en les couvrant de présents et de gestes auxquels leurs maris ne peuvent
prétendent. Ces derniers ne peuvent pas rester indifférents et
cela crée des conflits qui débouchent parfois sur des
séparations.
6.3. L'EMERGENCE DE NOUVEAUX COMPORTEMENTS
SOCIAUX
A la faveur de l'expansion de l'activité minière
dans la sous-préfecture de Hiré, de nouveaux comportements
sociaux ont fait surface tels que la consommation abusive d'alcool et la
propagation du VIH/SIDA.
6.3.1. La consommation abusive de l'alcool
Les acteurs de l'activité minière ou du moins
les mineurs résidents dans la ville de Hiré sont pour la plupart
des jeunes vivants seuls ou loin de leurs ménages. Dans une ville comme
Hiré, longtemps ville agricole, les seuls espaces de loisirs de la
population sont les bars, buvettes et bistrots de la place. Des espaces de
loisirs plus prestigieux se trouvent dans les chefs-lieux de
départements voisins que sont Divo et Oumé. Les niveaux de
revenus tirés de l'activité aurifère procurent à
ses acteurs un pouvoir d'achat qu'ils expriment souvent à travers de
fortes consommations d'alcool qui crée en eux une addiction. La
consommation abusive d'alcool est perçue par ces personnes comme signe
de jeunesse, de modernisme et d'aisance financière. Cette tendance donne
souvent lieu à des dérives. Il est fréquent de voir des
jeunes orpailleurs dont l'activité n'est régie par aucun code
d'éthique, déambuler ivres dans les rues. Ils s'adonnent à
des compétitions dans la consommation de l'alcool qui se terminent
parfois par des bagarres. Ce sont des comportements nouveaux dans cet espace
habituellement paisible ou les populations sont habituées à vivre
en convivialité.
194
6.3.2 La dépravation des moeurs
Une autre menace et non des moindres se signale à
Hiré. A l'exemple des villes minières, la ville de Hiré a
attiré de nombreuses professionnelles du sexe. En effet, la
présence d'une activité minière dans une localité
est généralement interprétée comme la
présence et la circulation d'une manne financière à
gagner. Ce qui augmente les risques liés aux infections sexuellement
transmissibles (IST) et au sida. A Hiré, nous n'avons pas
réalisé un recensement de celles-ci mais selon les populations,
il y en a dans tous les quartiers. A ces professionnelles du sexe (PS) s'ajoute
la vulnérabilité des jeunes filles de la localité. Issues
généralement de familles démunies, les jeunes filles de la
ville de Hiré sont vulnérables face à l'argent et au
pouvoir de certains mineurs. Par ailleurs, les filles commerçantes le
jour se transforment en prostituées de luxe la nuit. Lorsque la
production est bonne, les orpailleurs peuvent donner facilement de grosses
sommes et avec l'alcool et la drogue, celles-ci peuvent avoir des rapports
sexuels non protégés avec ces derniers. Aussi, ces rapports
sexuels se déroulent parfois dans les champs et sur les sites
d'orpaillage, ce qui est formellement interdit dans la culture locale et
signifié aux orpailleurs par les propriétaires des terres qu'ils
occupent.
6.3.3 L'apport de croyances nouvelles
Depuis le début de l'exploitation minière
à Hiré, sur les sites d'orpaillage ou à proximité,
les populations disent constater l'apparition et la multiplication de nouveaux
fétiches venus d'ailleurs. Ces nouvelles croyances sont
singulièrement le fait des orpailleurs et se traduisent par
l'exécution de certains rites et sacrifices. En effet, ces nouvelles
pratiques constatées dans la sous-préfecture de Hiré sont
le fait d'orpailleurs allogènes d'origine malienne, guinéenne et
burkinabé. Ces pratiques nouvelles dans la sous-préfecture de
Hiré, vont jusqu'au sacrifice humain qui, aux dires des populations,
rendraient les sites d'orpaillage plus productifs. Ainsi, les
décès tragiques constatés dans la localité depuis
le début de l'orpaillage leur est-il imputé.
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