3-2- L'accompagnement relationnel à ADJAS
Etant donné que l'association ADJAS est
constituée uniquement d'entrepreneurs pastoraux, les membres
bénéficient des mêmes faveurs dans l'exercice de leur
activité. Dans le but de se rassurer de l'évolution des
activités de tous, les membres de l'association ont instauré
à chaque assemblée, une séance de débriefing des
activités. Dans ce sens, chacun des membres expose les
difficultés qu'il rencontre dans la gestion de son activité et
ensemble ils essayent de trouver des astuces afin de résoudre le
problème. Le président de l'association illustre bien cet
état de chose lorsqu'il dit :
C'est l'aide morale bon concernant l'aide morale dans la
réunion même quand on siège, on a 1heure avant la
réunion pour les gens qui ont eu les problèmes dans le mois les
difficultés dans ton élevage dont tu poses ton problème.
On essaye de t'expliquer comment faire si peut-être c'est l'aliment qui
dérange on t'explique, si c'est le problème des remèdes,
si tu as perdu un porcelet tu parles tu dis pourquoi tu as perdu et on te dit
comment faire pour que ça n'arrive plus prochainement (entretien du
19 février 2022 avec Eric à Mbankolo).
Ces propos du président traduisent la volonté de
l'association de consolider la solidarité à travers le partage
des connaissances et des et des expériences entre membres du groupe.
De plus, les membres peuvent en dehors de l'association
solliciter l'aide de leurs amis en cas de situation urgente. Certains se font
ainsi épauler par des prêts en espèce ou en
matériel, il peut s'agir du prêt d'un sac de provende ou encore le
prêt d'une somme d'argent avec la garantie de rembourser le jour de la
cotisation. Grâce au capital relationnel de certains membres,
l'association assiste souvent à des petits séminaires de
renforcement des capacités dans le domaine agro-pastoral. Afin de
s'assurer du respect de l'usage des prêts accordés, l'association
a instauré un système de suivi entre membres. De fait, une
personne est déléguée pour faire des descentes sur le
terrain, afin de vérifier que l'argent emprunté par X membre a
effectivement été mis au profit de son activité.
Par ailleurs, les membres de l'association peuvent compter sur
leur esprit de solidarité et sur leur entourage entrepreneurial pour
pouvoir écouler leurs (bêtes) sur le marché. Ainsi
lorsqu'un membre tombe sur une « grosse affaire », il ne
manque pas de partager cela avec ses confrères de l'association. On peut
ainsi entendre des propos tels que : « parfois tu peux tomber sur des
gros clients, qui veulent les porcs pour la dotes ou pour des fêtes. Si
la quantité en fonction de la grosseur qu'ils veulent ne suffit pas,
j'appelle directement mon ami de
98
l'association le plus proche pour qu'on complète le
reste chez lui » (entretien du 21 janvier 2022 à Oyom-abang
riviere).
Au regard des mécanismes de financement mis sur pied
par les associations EMERCOM et ADJAS, fort est de constater que l'esprit
d'entrepreneuriat et la solidarité collective priment dans ces
associations. En effet, les différents moyens de financement
déployés pour encourager les initiatives des membres vont de
l'épargne à l'emprunt en passant par la cotisation. De plus
à côté des moyens financiers, les membres
bénéficient d'un soutien relationnel (conseil, assistance). Ces
différents appuis permettent à certains d'accroitre leur
entreprise, d'écouler leurs produits et à d'autres de financer le
démarrage dans un contexte où l'accès aux services
bancaires formels est limité.
Il est maintenant question d'étudier la place
qu'occupent ces réseaux de financement dans le quotidien de ces jeunes
entrepreneurs. Cette préoccupation conduit ainsi au prochain chapitre
où il est question d'analyser d'une part sur la base des
différents entretiens et observations menées, les perceptions de
ces entrepreneurs sur le système tontinier. Par la suite, cela permettra
d'évaluer la contribution de ce système dans les activités
des entrepreneurs membres. À terme, cette évaluation aidera
à dégager la nature du rapport qui existe entre le système
tontinier et le développement de l'entrepreneuriat jeune.
99
CHAPITRE 4 :
CONTRIBUTION DES ASSOCIATIONS EMERCOM
ET ADJAS DANS LA PROMOTION DE
L'ENTREPRENEURIAT PASTORAL
ANALYSE ET ÉVALUATION DE LA
À côté des structures d'accompagnement
formel telles que les banques, les micros finances, les projets et programmes
officiels, une part de la population active exclue de ces structures
officielles a recours à des moyens de financements informels. Il s'agit
le plus souvent des regroupements associatifs à caractère
tontinier, couramment appelés tontines qui regroupent en moyenne 56% des
camerounais actifs (MINFI, 2014). Ces circuits de financement qui aujourd'hui
font l'objet d'un prélèvement d'impôts, sont d'une place
importante pour de nombreuses catégories d'acteurs sociaux (hommes,
femmes, adultes et jeunes) à la recherche de gains financiers. Il s'agit
d'un système financier qui offre des prestations similaires aux services
bancaires officiels (prêt, épargne, cotisations), dans une logique
de solidarité fondée sur l'entraide réciproque. Ce
système de don/contre-don représente de nos jours un outil
incontournable pour de nombreuses catégories d'entrepreneurs, dans un
contexte économique national peu propice au développement des
initiatives jeunes.
Après avoir présenté dans le chapitre
précèdent les mécanismes d'accès au crédit
par les entrepreneurs pastoraux des associations EMERCOM et ADJAS, il est
maintenant question dans ce dernier chapitre, de faire une analyse et une
évaluation de la contribution de ces associations dans le
développement de l'entrepreneuriat pastoral à Yaoundé.
Pour ce faire, il sera judicieux de commencerons par une analyse des
représentations sociales du système tontinier chez ces
entrepreneurs, afin de comprendre le rôle et la place de ces associations
dans leurs activités (section 1). Par la suite, il sera question de
faire une évaluation proprement dite de la contribution système
tontinier dans les activités pastorales des entrepreneurs de ces deux
associations. Cette évaluation nous permettra de comprendre les effets
de la contribution de ces associations dans la promotion de l'entrepreneuriat
pastoral à Yaoundé. Deux principales théories seront ainsi
mobilisées dans cette partie à savoir la théorie des
représentations sociales et la théorie des réseaux afin de
comprendre à terme l'influence que peut avoir le groupe ou le
réseau associatif dans la pratique entrepreneuriale.
100
1- LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DU
SYSTÈME TONTINIER CHEZ LES JEUNES ENTREPRENEURS PASTORAUX À
YAOUNDÉ
La représentation sociale est un mode spécifique
de connaissance dans un groupe social donné. Dans toutes les
sociétés, chaque phénomène, évènement
qui influence le quotidien humain nécessite une explication (Adam et
Herzlich, 2017). Le système tontinier, réalité sociale
n'échappe pas à cette exigence. Abordé le système
tontinier, sous le prisme des représentations sociales permet
d'appréhender les perceptions, le sens et les interprétations que
les individus, plus précisément les entrepreneurs du secteur
pastoral, lui attribue. Ces images se fondent généralement sur le
vécu et les expériences des individus en situation. D'autant plus
que les représentations sociales se fondent sur les manières
d'interpréter et de penser la réalité quotidienne, une
forme de connaissance sociale au sens de Jodelet (1989).
Les représentations socialement construites par les
jeunes entrepreneurs pastoraux sur le phénomène tontinier, sont
fonction des besoins individuels et varient d'un individu à un autre. En
effet, comme l'explique Henry & al (1991), chaque individu à une
perception individuelle de la tontine. Certaines personnes sont motivées
par des objectifs économiques, d'autres par des objectifs relationnels.
Pour ce qui est des objectifs économiques, les adhérents sont
attirés par la recherche des capitaux financiers et la multiplication
des épargnes nécessaires au développement d'une
activité économique. Concernant les objectifs relationnels, les
adhérents sont attirés par la recherche du lien social, le besoin
de voir du monde, s'unir aux autres, discuter, voir les problèmes
ensemble et trouver des solutions pour tous. Par ailleurs, ces
représentations sont aussi fonction de certains déterminants
sociaux, il s'agit entre autres : du niveau de vie des individus qui y
adhèrent et des conditions d'obtention de ces différents
services.
Les perceptions des jeunes entrepreneurs pastoraux sur le
système tontinier n'échappent pas à ce principe. Les
entretiens effectués montrent que ces regroupements ont plusieurs
significations qui peuvent être interprétées sous divers
angles. Ces différentes représentations de nos répondants
ont pu être regroupées sur 6 principaux points à savoir
:
v Le système tontinier, un outil de financement des
jeunes et petits entrepreneurs ;
v Le système tontinier, une caisse d'accumulation
d'épargne pour les projets ;
v Le système tontinier, un moyen de création des
emplois et des richesses ;
v Le système tontinier, un outil d'inclusion
financière pour les défavorisés ;
v Le système tontinier, une caisse de secours.
101
v Le système tontinier, un outil de financement
limité.
1-1- Le système tontinier : un outil de
financement des jeunes et petits entrepreneurs
Au cours de nos enquêtes de terrains, certains de nos
enquêtés ont affirmé que le système des tontines est
un moyen de financement pour les jeunes entrepreneurs. Pour certains,
après avoir traversé en vain de longues procédures pour
l'obtention d'un crédit de financement auprès d'une structure de
financement formelle, ils ont décidé de s'orienter vers d'autres
moyens de financement à l'instar des tontines. Ces regroupements
caractérisés par la souplesse et la confiance dans l'accord des
ressources financières sont le principal instrument de financement de
ces entrepreneurs. Emmanuel un jeune entrepreneur précise à ce
sujet que :
Les tontines sont vraiment des euh... des outils pour
financer les petits jeunes entrepreneurs que nous sommes. C'est vraiment
indispensable parce que dans ton activité, quand tu fais face à
des difficultés, c'est la tontine qui t'aide donc euh c'est un bon moyen
de financement » (entretien du 26 février 2022 à
Emombo).
Une autre dira :
Moi personnellement je pense que le système
tontinier est encouragé, il joue un très grand rôle surtout
pour nous les jeunes qui nous battons qui nous cherchons qui avons des petites
start-ups des petits projets. Les tontines jouent un grand rôle parce
que, le financement est de gré à gré il n'y a pas de
longues procédures pour avoir de l'argent tout est basé sur la
confiance (propos recueillis le 28 décembre 2021avec Simone
d'EMERCOM à Chapelle-Nkolbisson).
Pour ces enquêtés, le système tontinier
s'identifie davantage à un réseau pour tout individu
désirant entreprendre une activité génératrice de
revenus. À travers le financement, il permet aux jeunes entrepreneurs de
se réaliser et d'accomplir une vie professionnelle, dans un contexte ou
le système bancaire formel répond encore imparfaitement aux
besoins de tous. En effet, tous les agents économiques ont besoin d'un
financement, qu'il soit interne ou externe, pour réaliser leur objectif.
Le système des tontines en offrant des services à
caractère bancaire (épargne, prêt, emprunt) profitent aux
individus en leur fournissant des ressources financières pour
développer leurs activités et mener à bout leur projet
(Kazadi & al, 2021).
Présenter le système tontinier sur le prisme
d'une caisse d'épargne n'est pas une thématique actuelle. Il a
déjà fait l'objet de nombreux développement (Lelart, 1990
; Henri &
1-2- Le système tontinier : une caisse
d'accumulation des épargnes pour les projets
102
al, 1991 ; Bekolo-Ebe, 1989...). Lelart (1990) pour sa part
présente dans son étude les tontines comme des mécanismes
de financement innovant et original, qui permettent d'accumuler et de faire
circuler de la monnaie, entre des intermédiaires financiers informel.
Elles fonctionnent ainsi à partir d'un système de cotisation
fondé sur le drainage de l'épargne et l'octroi du crédit
pour réaliser les projets à visée économique.
Les enquêtes de terrains menées auprès des
jeunes petits entrepreneurs des associations EMERCOM et ADJAS nous ont permis
de récolter quelques données à ce sujet. L'analyse de ces
données montre qu'ils appréhendent le système tontinier
comme une caisse d'accumulation des capitaux dans laquelle ils peuvent
emprunter des sommes pour ensuite réaliser des projets. Un
répondant déclare justement à ce sujet que :
En bref on a compris que c'est quelque chose que quand tu
penses réaliser quelque chose, et tu vois avec autant de
problèmes on envisage tu vois que en épargnant cet argent sur
place tu ne peux pas la gardée jusqu'à tu puisses réaliser
un projet tu vois. En la cotisant comme ça là tu es sûr de
toi que bon le jour opportun ou tu as besoin de cela, sa peut t'aider à
gérer tes problèmes. Donc c'est une manière
d'épargner de garder un peu de sous (entretien du 31
décembre avec Luc d'ADJAS à Mvog-Beti).
Il faut dire que, la majorité des jeunes
éleveurs qui ont cette perception du système tontinier ont eu
à démarrer leur activité d'élevage à partir
d'une épargne ou d'un prêt obtenu grâce à l'aide de
l'association. En effet, certains ont pu réaliser leur projet
d'élevage à partir de l'épargne cumulée dans la
tontine sur une certaine période à l'instar de Jean-Daniel de
l'association EMERCOM. D'autres ont pu démarrer grâce un
prêt obtenu dans l'association, à l'instar de Martial d'ADJAS. Un
enquêté confirme cela lorsqu'il précise : « j'ai
remarqué que les tontines jouent un grand rôle. Parce que vous
allez voir la majorité des éleveurs de nos jours ont pour capital
l'argent qu'ils ont prêté dans les tontines, ou alors l'argent
qu'ils ont épargné dans les tontines » (propos
recueillis le 30 janvier avec Christophe à Ekorezok).
On constate dès lors avec Tello-Rozas et Gauthier
(2012) que les associations d'épargne et de crédit rotatif connu
sous le nom de « tontine » au Cameroun constituent une des
formes d'organisation les plus populaires pour financer les projets dans les
pays ou l'accès au crédit est restreint.
1-3- Le système tontinier : un outil d'inclusion
financière pour les couches défavorisées
Pour de nombreux jeunes entrepreneurs, particulièrement
les entrepreneurs du secteur informel, le système tontinier s'apparente
à une banque d'épargne et de crédit au secours des couches
à faible revenus. En effet, comme le souligne Hedi (2016) la tontine ou
« banque des défavorisés » est une forme de
banque informelle qui permet aux individus membre de cumuler
103
les épargnes et de financer les projets communs ou
individuels. Au cours de nos entretiens de nombreux répondants ont
affirmé que le système des tontines est un moyen pour eux d'avoir
des ressources financières de manière simple et sereine.
Il faut dire que l'image que les uns et les autres ont du
système tontinier sont toujours en opposition avec le système
bancaire officiel (banques, microfinances...). Aristide, un éleveur de
l'association EMERCOM déclare à ce sujet que :
Ce n'est pas facile d'avoir un financement, ce n'est pas
facile de monter un dossier de financement pour aller à l'Etat voir
l'Etat pour qu'on finance un projet. Non seulement ça met long alors
qu'à la tontine c'est très facile et vraiment sa booste nos
activités. Ça nous aide à nous réaliser
nous-même et ça nous donne l'emploi. Et sa développe
également le secteur des éleveurs qui est un secteur tant
négligé même (entretien du 27 décembre 2021
à Tsinga).
Comme le souligne Bekolo-Ebe (1996), ce sont les lourdeurs
administratives et les taux élevés d'intérêts dans
l'octroi des crédits qui sont à l'origine de la
préférence des agents vers les circuits de financement informel
à l'instar du système des tontines.
Au plan social, les entretiens réalisés nous ont
permis de comprendre qu'une part des jeunes entrepreneurs à faibles
revenus vivent des associations informelles d'épargne et de
crédit. Ces associations constituent « la matière
première » dans l'accès aux ressources
financières et même dans les autres problèmes de la vie
sociale, surtout lorsqu'ils ne sont pas les bienvenus dans le système
financier formel. C'est ce qui justifie les propos d'un répondant
d'ADJAS lorsqu'il déclare : « comme j'ai dit depuis il n'y a
que la tontine-là qui nous aide beaucoup. C'est comme notre support,
notre point d'appuis, quand tu es dans le choc tu rentres que vers là.
Nous avons notre compte épargne c'est ça notre banque, c'est avec
ça que nous on vie » (entretien réalisé le 10
février avec Joël à Mongonam). De ces propos il ressort
ainsi que, le système tontinier est un outil de financement pour de
nombreux individus à faibles revenus. Grâce aux ressources
financières dont ils bénéficient dans ces associations,
ces jeunes peuvent entreprendre une activité génératrice
de revenus et assurer le financement.
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