Conclusion
Le concept de territoire, malgré sa récente
apparition dans la littérature géographique est beaucoup
évolué. S'il évoque une idée de domination, de
gestion, d'appropriation d'une portion du substrat terrestre, il n'est plus du
seul ressort du pouvoir public. Dans le Nord du Cameroun, les autorités
traditionnelles locales exercent une appropriation et une gestion privative du
territoire rural (domaine public) au détriment des acteurs de son
exploitation pour assurer leurs besoins vitaux (agriculteurs et éleveurs
notamment).
La composante sociale du territoire est donc
étroitement liée aux rapports que les exploitants ont avec le
pouvoir coutumier local. C'est ce dernier qui contrôle et gère
l'accès au territoire rural ; c'est également lui qui tire des
revenu pour l'accès et l'exploitation de ce territoire. Bien que
vécu de manière permanente ou partielle par les exploitants, il
demeure une précarité pour son appropriation et son exploitation
durable. C'est pour cela que de nombreux acteurs se sont
intéressé à ce concept pour
118
fournir des solutions de développement
socioéconomique, mais aussi pour un aménagement cohérent,
équitable et viable des lieux avec plus ou moins de succès.
Le territoire a également un intérêt pour
l'élevage en tant que support et source de sa survie surtout en ce qui
concerne l'élevage extensif qui utilise une gamme de ressources
naturelles spatialisées. Au Nord-Cameroun, cet élevage est ici
une activité en compétition avec d'autres activités pour
l'utilisation de l'espace (agriculture et biodiversité notamment) ;
raison pour laquelle les relations entre ces acticités et
l'élevage sont à la fois complémentaires et
conflictuelles.
119
Chapitre IV. Les territoires de mobilité
pastorale au Nord-Cameroun : typologie, acteurs et fonctionnement
Les éleveurs utilisent de manière permanente
l'espace de pâturage délimité proche de leur village. Cet
espace s'intègre dans ce que l'on a qualifié de « territoire
d'attache » et dans les territoires complémentaires des villages
environnants où les animaux pâturent les résidus de
récolte des cultures pluviales lors de la saison sèche ainsi que
dans les parcours de taille modeste qui s'y trouvent encore (collines incultes
principalement). Ces espaces sont insuffisants par rapport au nombre d'animaux
détenus par les deux communautés d'éleveurs mbororo. C'est
pour cela que dans les deux territoires étudiés, tous les
éleveurs pratiquent la transhumance. Pour les grandes familles avec
beaucoup de têtes de bétail, le cheptel est scindé en deux
ou trois troupeaux ou lots. Le lot le moins important constitué des
vaches laitières et des boeufs de trait est gardé à
proximité des territoires de fixation (ou d'attache) pour contribuer
à l'approvisionnement en lait des membres de la famille et labourer les
parcelles. Le plus gros du bétail s'en va transhumer sous la garde de
jeunes fils ou de bergers salariés. Les ovins accompagnent les bovins en
transhumance tandis que les caprins restent dans le territoire attaché
au piquet ou sous la garde des enfants en bas âge.
Les éleveurs utilisent au cours de l'année une
diversité de territoires proches et éloignés de leur lieu
de fixation. Cet ensemble de territoires correspond à ce que l'on a
qualifié de territoire de mobilité d'un éleveur ou d'une
communauté d'éleveurs. Quels sont ces territoires ? Par qui et
comment sont-ils gérés ? Quelles sont les modalités
d'accès et d'exploitation de ces territoires ? Avec l'obstruction des
pistes de transhumance, comment les éleveurs font-ils pour y
accéder ? Les pratiques de transhumances ont-elles
évoluées avec la fixation de l'habitat ? Telles sont les
préoccupations sur lesquelles se fonde cette analyse.
IV.1. La zone de sédentarisation de la famille : le
territoire d'attache
Les éleveurs ont fixé leurs familles et une
partie de leur bétail sur des territoires qui leur ont été
affectés sur d'anciennes zones de transhumance. Après
l'appropriation de
ces territoires, les premiers venus (bibbe wuro) ont
accueilli de nouveaux habitants (jananbe). Ces derniers s'adressent au
jawro du nouveau village mbororo avec une somme de 30 000 Fcfa. Ce
dernier retient 10 000 Fcfa comme frais d'accueil et transmet le reste de la
somme avec la demande d'installation au ar'do qui vient
personnellement ou envoie un de ses fils indiquer une parcelle au nouvel
arrivant où il peut s'installer et cultiver. Le nouvel arrivant doit
s'acquitter régulièrement de la zakkat et de certaines
collectes ponctuelles (umroore laamii'do) demandés par le
laamii'do. Cependant, depuis longtemps, il n'y a plus d'espace
à défricher ni à octroyer dans les deux territoires. Pour
cette raison, les nouveaux arrivants n'obtiennent plus que des terres en
prêt même pour y installer une habitation. La figure 11
présente les caractéristiques de ce territoire de fixation des
éleveurs.
Pratiques agricoles
Statut du territoire - Reconnu par les
autorités traditionnelles - Connu des autorités administratives -
Accepté par les villages voisins
- Appropriés et exploités par les
éleveurs
- Organisé sur le modèle peul avec à sa
tête un chef (jawro)
- Allégeance au Laamii'do à travers le
lawan et le sarkin saanou
- Parcelles appropriées et cultivées de
manière individuelle par les éleveurs - Culture de maïs, de
sorgho principalement et accessoire de l'arachide en association - Utilisation
systématique de la fumure organique produite par le troupeau -
Début d'utilisation de la fumure minérale, mais de manière
anarchique
- Utilisation massive de manoeuvres pour les travaux
- Prêt et échanges de matériels de traction
(charrues, corps sarcleurs, corps butteurs, charrettes)
- Autosuffisance alimentaire
![](Les-territoires-de-mobilite-pastorale-Quelle-mobilite-dans-un-contexte-de-pression-sur-le-t17.png)
- Logique d'organisation spatiale raisonnée au niveau
collectif en auréole
- Au centre, le village regroupant les sièges des
exploitations - Deuxième auréole constituée des parcelles
strictement contigües aux habitations
- Troisième auréole constituée d'espace de
pâturage et de parcage des animaux
- Des pistes à bétail pour la sortie et la
rentrée des animaux pendant la saison des pluies
Organisation spatiale
TERRITOIRE D'ATTACHE
Activités et relations
sociales
- Présence de services sociaux précaires
(écoles, puits)
- Présence de mosquées en matériaux
sommaires
- Habitat groupé par affinités claniques - Appuis
divers des projets et programmes de développement
(alphabétisation, sensibilisation, accompagnement, délimitation
foncière...)
- Échanges et complémentarités entre les
éleveurs
- Conflits latents entre les éleveurs
Pratiques pastorales
- Pâturages limitrophes pendant la saison des pluies
- Parcelles très rapidement pâturées à
la récolte puis pendant la saison sèche - Parcages de nuits dans
des barbelées pour la production de la fumure organique et la
sécurité des animaux
- Installations pastorales (parcs de vaccination et forages
- Déficit fourragers en saison des pluies - Vaine
pâture et parcours en libre accès - Tentatives infructueuses
d'intensification - Petits ruminants attachés pendant la saison des
pluies avec les veaux
120
Figure 11. Caractéristiques du territoire
d'attache
Les champs ont été strictement affectés de
manière permanente aux premiers éleveurs par l'ar'do
avec l'assentiment du laamii'do. Du point de vue des droits
exercés
121
(pouvoirs de gestion au sens large), nous assistons à
la prédominance de l'individualisation car il n'y a pas de champ commun
au niveau des familles étendues ou lignages comme cela existait dans
beaucoup de régions soudaniennes. L'acquisition de la terre est donc
principalement le fait des droits permanents issus de la première
occupation, mais aussi des modes traditionnels de transmission au sein des
familles englobant les héritages et les dons. Les éleveurs
reconnaissent les limites des parcelles de chaque membre des territoires. Ces
limites assez visibles sont matérialisées par des pierres, des
bandes enherbées ou des levées de terre faites à la
charrue. Même si les limites des champs ne sont pas toujours très
visibles, les éleveurs commencent à marquer les limites de leur
territoire commun. Ils sont séparés par des touffes d'herbes ou
des repères naturels comme un arbre, une termitière...
Le départ temporaire d'un éleveur
propriétaire terrien ne met pas fin à son droit sur les parcelles
qu'il possède. Ces dernières sont laissées en garde
auprès d'amis ou entre les mains d'un membre de la famille restreinte.
Ce détenteur de droits d'exploitation peut soit mettre en valeur la
terre avec droit sur la récolte, soit la prêter à un ami ou
la louer. Les revenus souvent modiques issus de cette location reviennent au
locataire. A son retour, le propriétaire peut reprendre sa parcelle. Ces
cas sont fréquents dans les deux territoires à cause notamment
des voyages des jeunes chefs d'exploitation au Nigeria pour étudier le
Coran ou des déplacements de certains éleveurs avec leurs animaux
souvent sur une longue durée (2 à 3 ans). En effet, 2 à 3
éleveurs reprennent souvent le chemin du nomadisme (soit environ 10%).
Ayant tenté une expérience de fixation avec construction d'une
case et mise en culture de champs, ils estiment que leurs animaux ne se
reproduisent pas normalement et qu'ils ne sont pas en bon état physique.
Ils préfèrent donc quitter le village pour transhumer toute
l'année avec leurs animaux. Certains éleveurs ayant perdu tous
leurs animaux pour cause de maladie quittent également le village pour
la ville pour faire du commerce ou pour d'autres villages pour être
berger.
Le prêt est le mode privilégié
d'accès à la terre pour les éleveurs qui viennent
ponctuellement dans le village pour une saison des pluies afin d'y cultiver.
Les autres formes de prêt se font sous la forme d'échange de
travail avec les paysans des villages
122
voisins mais cela concerne les parcelles qui sont
situées à la limite de l'espace délimité pour le
pâturage. S'ils acceptent de prêter de temps en temps quelques
hectares à des connaissances, ils refusent systématiquement
l'installation de personnes étrangères à leur clan dans
les territoires, même s'ils ne se sentent pas encore à
l'étroit.
Lorsqu'un nouveau Mbororo désire s'installer dans le
territoire, certaines précautions sont prises. Tout d'abord, le
jawro prend soin de vérifier s'il n'est pas mal
intentionné en se renseignant sur ses antécédents dans les
différents sites où il s'est installé. Ensuite, il le
présente d'abord à l'ar'do puis au sarkin
saanou. Cependant, il ne peut plus défricher de terre faute
d'espace en friche disponible. C'est le jawro ou un autre chef
d'exploitation qui lui octroie des parcelles partiellement vacantes appartenant
à ceux qui sont partis en voyage ou en transhumance pour une longue
durée.
Par contre, le droit individuel sur la terre ne confère
pas le droit de contrôle social pouvant autoriser la vente. Dans les deux
territoires en effet, le droit de vendre les terres n'est pas admis. Le chef
d'exploitation peut accorder de manière provisoire à des
étrangers des droits de culture, mais jamais il ne doit vendre le champ.
Le don est donc rare en dehors de la famille. La transmission de la terre dans
la plupart des cas se fait de plus en plus directement de père à
fils. Lors du décès d'un chef de famille, les terres sont
partagées entre ses enfants en âge adulte (mariés) ou
exploitées par un membre de la famille avant la majorité des
enfants.
Si les femmes possèdent généralement des
animaux d'élevage en propriété, elles n'ont pas de champs
distincts de ceux de leurs époux sauf les veuves qui continuent
d'exploiter les parcelles laissées par le défunt mari si les
enfants de sexe masculin sont encore en bas âge. Dès que leur
premier fils se marie, il hérite des parcelles et prend en charge sa
mère qui est de fait installée dans la concession. Le mode
traditionnel de l'héritage et du don de terre n'empêche pas
certains éleveurs, cependant minoritaires, d'acheter des parcelles ou
d'en louer dans les villages voisins.
Les éleveurs exploitent un espace agropastoral reconnu
ou autorisé par les autorités coutumières ou l'État
qui constituent leur territoire d'attache. L'habitat y est construit en
matériaux pérennes. Ils se sont intégrés au jeu
politique local et régional et créent des organisations
d'éleveurs copiées sur le modèle cotonnier, font du
lobbying pour la
123
reconnaissance des chefferies d'éleveurs, sollicitent
des infrastructures socio-économique (écoles, routes, case de
santé, etc.) et participent aux comités consultatifs (commune,
terroir).
Les territoires d'attache sont généralement de
surface très réduite, et composés d'un pâturage
limitrophe, de parcs de nuit, d'installations pastorales (parc de vaccination,
forage) et des parcelles individuellement cultivées par les familles
(maïs, sorgho et rarement du coton) autour des habitations. Les parcelles
sont rapidement pâturées dès la fin des récoltes
pendant dabuunde. Puis, durant toute la saison sèche
(dabuunde et ceedu), grâce au ratio nombre d'UBT/nombre
d'ha cultivés qui varie en moyenne de 8 à 20 dans les UP des
éleveurs et de 1 à 2 dans celles des agro-éleveurs, les
déjections animales sont restituées sur les parcelles
cultivées (Dongmo et al., 2007). Les producteurs créent des parcs
de nuit ceinturés d'épineux qu'ils déplacent
régulièrement pour enrichir convenablement les parcelles.
L'excrétion fécale estimée à 1kg/100 kg de poids
vif par 24 h (Landais et Guérin, 1992), est de 1,7kg/UBT au parc de nuit
car le bétail y séjourne 14 h par jour (Dongmo, 2009). Le cheptel
des éleveurs restituerait donc en moyenne 400 à 800 kg de
fèces/ha/mois sur leurs parcelles cultivées, tandis que celui des
agro-éleveurs restituerait seulement entre 50 et 100 kg de
fèces/ha/mois sur les parcelles de ces derniers.
Le ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les
résidus sont appétés/nombre d'UBT de l'UP varie de 0,25
à 0,75 et offre un important potentiel fourrager pour le cheptel des
agro-éleveurs pendant la saison sèche (Dongmo et al., 2007). Avec
des rendements de 1 t/ha de feuilles appétées de sorgho et de 3
t/ha de paille de maïs et de fanes d'arachide (Dongmo, 2009), le
disponible fourrager est de 500 kg à 1 500 kg/UBT pendant la saison
sèche dans ces UP des agro-éleveurs.
Par contre, au Cameroun, l'entrée précoce des
troupeaux appartenant aux éleveurs sur les parcelles des
agro-éleveurs, limite le stockage des résidus de culture. Le
ratio nombre d'ha de cultures vivrières dont les résidus sont
appétés/nombre d'UBT se situe en moyenne entre 0,04 et 0,07 dans
les UP des éleveurs. Cela signifie que seulement 80 à 140 kg de
résidus de cultures sont disponibles pour chaque UBT pendant la
saison
124
sèche. La vaine pâture dans les parcelles des
agriculteurs et la transhumance de saison sèche sont donc
incontournables.
Les territoires d'attache des éleveurs connaissent
aussi un déficit fourrager en saison des pluies, en raison du
défrichement des portions du pâturage qui conduisent dans certains
cas à la disparition complète des pâturages ou tout au plus
au maintien de reliques de pâturages dégradés.
L'action collective des éleveurs a surtout servi
à faire reconnaître leur territoire d'attache, soit pour en faire
respecter les contours, soit pour le sécuriser et acquérir une
légitimité en termes de droit d'usufruit. Les éleveurs
restent timides voire passifs et n'aménagent donc pas les
pâturages du territoire d'attache, qu'ils utilisent comme un bien commun
et le surexploitent.
En saison des pluies, l'affouragement journalier des troupeaux
sédentaires (troupeaux de case) s'étend donc au-delà du
territoire d'attache et essentiellement sur les terroirs avoisinants.
L'organisation politique dans les deux territoires est
calquée sur le modèle peul. Les deux territoires ont à
leur tête un jawro. Ce dernier joue le rôle de collecteur
d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations
venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les
séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui
sert de relais entre les populations et les résidents des villages
voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes
auprès des ar'do ou tout autre représentant du
laamii'do comme celui qui est en charge de l'élevage, le
sarkin saanou. L'élevage occupant une place très
importante auprès de cette population, ce dernier fait de
fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs le
devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.
L'organisation politique dans les territoires de fixation est
calquée sur le modèle peul. Ces territoires ont à leur
tête un jawro qui joue le rôle de collecteur
d'impôt, surtout de la zakkat. Il transmet les informations
venant du lamidat ou de l'administration. Il organise les
séances de vaccination dans son village. C'est également lui qui
sert de relais entre les populations et les résidents des villages
voisins en cas de litiges. Le jawro prend donc ses consignes
auprès des ar'do ou tout autre représentant du
125
laamii'do comme celui qui est en charge de
l'élevage, le sarkin saanou. L'élevage occupant une
place très importante auprès de cette population, ce dernier fait
de fréquentes visites dans le village pour rappeler aux éleveurs
le devoir de donner la zakkat ou pour organiser les vaccinations.
Les jawro ne passent pas leurs journées
à la maison assis sous un arbre comme les chefs peuls. Ils n'utilisent
pas non plus leurs habitants pour des corvées. Ils vaquent à
leurs occupations comme tous les autres habitants. C'est ainsi qu'ils font
paître les moutons et les veaux. Ils sont de plus en plus
confrontés à la désobéissance des jeunes
éleveurs qui commencent à s'émanciper et refusent de se
soumettre à certaines règles ou ordres venant de la chefferie de
Tchéboa.
Les jawro dans la communauté mbororo ne
passent pas leurs journées à la maison assis sous un arbre comme
les chefs peuls. Ils n'utilisent pas non plus leurs habitants pour des
corvées. Ils vaquent à leurs occupations comme tous les autres
habitants. C'est ainsi qu'ils font paître les moutons et les veaux. Ils
sont de plus en plus confrontés à la désobéissance
des jeunes éleveurs qui commencent à s'émanciper et
refusent de se soumettre à certaines règles ou ordres venant de
la chefferie comme celle de Tchéboa dans notre zone d'étude.
Le territoire de fixation est organisé autour de
l'élevage. L'habitat est groupé en quartiers entourés par
des champs de culture continue, ensuite vient l'espace des parcours. Cette
organisation schématique évolue au cours des saisons. Si les 3
ensembles sont bien distincts en saison agricole, durant la saison sèche
les éleveurs considèrent un seul ensemble comprenant les champs
permettant la vaine pâture et les parcours qui sont en libre
accès.
Les logiques d'organisation spatiale observées dans les
territoires d'attache des éleveurs se raisonnent au niveau collectif.
Elles montrent qu'au cours des différentes saisons, l'espace est
structuré en différents niveaux d'organisation. L'élevage,
dont l'importance est bien sûr primordiale, est organisé au niveau
du territoire selon un consensus social lié à l'utilisation et la
gestion de l'espace. Nous assistons à une organisation spatiale en
auréoles. Au centre, se trouve le village où se regroupent les
sièges d'exploitations. La deuxième auréole est
constituée des parcelles strictement
126
contigües aux habitations. Elle assure une fonction de
production alimentaire pour les éleveurs pendant la saison des pluies.
Pendant la saison sèche, elle est utilisée pour la vaine
pâture pour l'alimentation et le parcage des animaux. L'espace de
pâturage qui occupe la plus grande partie du territoire permet aux
éleveurs de parquer leurs animaux la nuit après la
généralisation des cultures dans le territoire. Les animaux y
pâturent une partie de la journée avant de sortir du territoire
à la recherche d'herbes plus abondantes aux abords des champs des
villages voisins et des routes. Les territoires sont quadrillés par des
routes pour la circulation des personnes et par des pistes à
bétail pour la sortie des animaux. On note la présence dans
l'espace de pâturage de parcelles appartenant aux agriculteurs des
villages voisins. Ce qui constitue une violation des processus de concertation
menée pour délimiter cet espace et la volonté de
concertation autour de la gestion collective des parcours entre les
différents acteurs (éleveurs, agriculteurs et autorités
traditionnelles).
L'organisation groupée de l'habitat dans les
territoires permet aux éleveurs de minimiser le gaspillage et la
dispersion des terres notamment lorsqu'arrive la saison des pluies. Les
cultures peuvent ainsi être mises en place de manière
homogène et en auréoles concentriques autour de l'habitat,
permettant d'éviter les dégâts. Entre les concessions, sont
laissés pendant la saison des pluies, des petits espaces qui servent
principalement de pâturage aux caprins et aux veaux qui sont
attachés au piquet pendant la nuit. Dans la journée, ils sont
déplacés aux abords des champs, toujours attachés.
Selon la durée du séjour, leur désir de
se fixer et les moyens des éleveurs, l'habitat évolue de la case
sommaire en branchage et pailles vers la case en terre avec un toit de chaumes
à la maison en dur avec un toit de tôle. À la sortie ou
à la périphérie des deux territoires sont construites des
cases sommaires circulaires faites d'arceaux de branchage couverts de nattes ou
de la paille. Ces huttes appartiennent aux derniers arrivants ou à ceux
de passage dans le territoire.
En effet, à l'installation de chaque nouvel
éleveur, l'espace qui lui est alloué est d'abord un champ sur
lequel il pourra cultiver. Il y installe une case sommaire au milieu de la
parcelle et ses animaux sont parqués autour de cette concession
sommaire.
127
En fait, l'éleveur cherche d'abord à se
convaincre qu'il peut définitivement s'installer. Dans la plupart du
temps, cette période d'observation dure deux à trois ans. Lors de
ses déplacements avec ses animaux dans les différentes zones de
transhumance au cours de l'année, il observe le pâturage et l'eau,
il prend également le temps pour observer ses relations avec les autres
éleveurs ou les agro-éleveurs de la zone. Il va dans les
différents marchés pour voir les prix des animaux, des
céréales, des produits vétérinaires... Il y
rencontre également d'autres éleveurs qui sont installés
ailleurs et qui lui parlent de leurs conditions de vie et d'exercice de leurs
activités. Toutes ces données lui permettent donc de
décider s'il va rester ou continuer son chemin. Ce n'est qu'à
partir de ce moment qu'il décide de faire évoluer son habitat
notamment en construisant une case en briques ou en terre.
La construction de cases rondes ou carrées avec des
toits coniques faits de pailles constitue une étape importante dans le
choix et de désir de l'éleveur de se fixer. Les modèles de
cases construites sont largement empruntés aux agriculteurs guidar,
massa ou toupouri des villages voisins. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui
servent de manoeuvre pour la construction de toutes les cases dans les deux
villages. Cet emprunt n'est pas un choix délibéré mais
s'explique simplement pas le savoir-faire habituel des manoeuvres
sollicités pour la construction des cases.
De plus, les femmes des éleveurs ne jouent plus aucun
rôle dans la construction des cases comme lors des transhumances, ni les
éleveurs eux-mêmes d'ailleurs. Depuis leur fixation, les
éleveurs utilisent en effet systématiquement des manoeuvres issus
de la population d'agriculteurs migrants. En effet, en se sédentarisant,
les éleveurs et leurs femmes échappent à de nombreux
travaux qu'ils font faire par des paysans pauvres en quête d'argent au
cours de l'année. Ce transfert d'argent est un élément
très important du processus de sédentarisation.
Alors que l'habitat n'avait que peu de place dans le mode de
vie traditionnel des éleveurs transhumants, la salubrité, le
confort, la construction en dur, tendent à s'imposer parmi les normes de
construction lorsqu'ils se sédentarisent. Aujourd'hui, en l'absence de
déplacement de toute sa famille, l'éleveur construit un habitat
qui n'est plus marqué par sa précarité, son souci exclusif
de l'immédiat. De nombreux éleveurs
128
commencent à construire des maisons définitives,
résistantes et confortables. Cette évolution amène une
sorte de remodelage des formes et de la « substance » qui constitue
la nature de l'habitat. C'est ainsi que les cases sont faites soit en terre
pétrie, soit en briques. Aux formes rondes ont également
succédé les formes rectangulaires avec des toits en tôle
ondulée.
La concession est organisée selon la taille de la
famille. Les familles monogames se contentent le plus souvent de deux
constructions, une pour l'homme l'autre pour sa femme, jouant tous les
rôles : protection des effets personnels et des personnes, mais aussi des
réserves comme les récoltes, les semences, les provisions... Si
les matériaux de construction des cases évoluent avec
l'ancienneté de la fixation, la logique de disposition n'a pas
évolué. Pour les familles monogames, la case du chef de famille
se situe à gauche tandis que celle de la femme se trouve à
droite. L'enclos est construit à l'est, et à proximité la
case des jeunes.
La mobilité des troupeaux sur le territoire est
facilitée par le regroupement des parcelles de culture en blocs aux
abords des habitations (moins de 20% de la surface des deux territoires sont
cultivés) et par le maintien de pistes à bétail pour
sortir du territoire d'attache (départ en transhumance ou pâturage
sur les parcours proches). La coordination pour le moment harmonieuse des deux
activités de production - agriculture et élevage - au sein du
territoire d'attache est favorisée par la forte cohésion sociale
entre les éleveurs.
À la périphérie immédiate des
concessions, les femmes cultivent des légumes et condiments (oseille,
gombo, piment...) dans une première auréole de quelques
mètres de large. Mais dans la plupart des cas, les environs
immédiats des concessions sont constitués de champs de maïs.
Malgré la grande tendance à la monoculture du maïs, quelques
éleveurs pratiquent la culture de sorgho mbayeeri à la
périphérie du territoire en association ou non avec de
l'arachide.
Pendant toute la saison des pluies, l'espace agricole est
dévolu aux cultures. Du fait de la présence des animaux dans le
territoire et à proximité des habitations la nuit en début
de saison des pluies jusqu'en mi-juillet, la mise en culture des champs se fait
de façon ordonnée. En effet, les parcelles autour des concessions
sont les premières à être
129
semées. Pendant ce temps, les parcelles
périphériques continuent à être fumées car
les animaux ne sont pas encore partis en transhumance. A la fin de la fumure,
les semis sont mis en place toujours après un labour à la
charrue. Les animaux partent en transhumance et pour ceux qui restent dans le
territoire, le parc de nuit est déplacé dans l'espace de
pâturage.
Pendant toute la saison sèche, le territoire appartient
aux animaux, c'est la période de la vaine pâture
(nyayle). Les bovins et les ovins sont gardés par les bergers
qui les font paître dans toute l'étendue du territoire. Pendant
cette période de l'année, il n'y a aucune restriction sur la
gestion du territoire du village. Aucune culture de contre saison n'est en
effet pratiquée. Les caprins quant à eux sont attachés au
piquet dans des grillages à cause des chiens des villages voisins. Ils
sont nourris avec des résidus de récolte pendant la saison
sèche, à l'herbe verte et aux fourrages arborés pendant la
saison des pluies.
Les parcelles des éleveurs sont de forme quelconque
contrairement aux champs des agriculteurs des villages voisins où la
SODECOTON a imposé des formes quadrangulaires ou rectangulaires.
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