I.3.4.2. Des aires protégées sous la pression
des agriculteurs migrants autochtones
L'afflux massif des migrants de l'Extrême-Nord du
Cameroun, ajouté aux autochtones, vient compliquer la gestion des aires
protégées. Il va sans dire que le problème migratoire dans
le Nord n'a été que très partiellement résolu. Il
entraîne dans la région une incompréhension culturelle qui
complique la gestion des zones protégées. Les migrants ont en
effet du mal à comprendre les règles du jeu (passage des animaux
sauvages, pistes à bétail, limites des aires
protégées...), par manque de « conscience »
écologique disent les initiateurs de projets (PDOB, 2003), ce qui
entraîne des conflits avec les gardes-chasses. Les agissements des
migrants sur le terrain montrent bien qu'on a fait émigrer des gens de
l'Extrême-Nord vers le Nord sans qu'ils soient au préalable mis au
courant du fonctionnement des sociétés avec lesquelles ils vont
cohabiter. Deux faits importants peuvent expliquer cette situation :
l'inexistence de schéma directeur d'encadrement des récents flux
migratoires depuis la fin du Projet Nord-Est Bénoué (NEB) et le
rôle ambigu des chefs traditionnels qui souvent favorisent l'installation
des migrants au détriment de tout souci de conservation. Il s'en suit
une forte augmentation de l'emprise agricole (pour le coton
46
essentiellement et par voie de conséquence pour les
cultures vivrières), ce qui accroît les défrichements et
crée des perturbations pour la faune sauvage (Ndamé, 2007). On
assiste ainsi à une occupation régulière et une
transformation en champs des espaces supposés protégés.
Les populations acceptent de plus en plus mal la présence d'aires
protégées qui leur paraissent « vides », raison pour
laquelle, malgré les interdictions et les appels à la
négociation par les pouvoirs publics, elles les empiètent.
I.3.5. Un flou juridique autour du système
foncier
Le droit colonial mis en place sous le protectorat allemand
(entre 1884 et 1916), puis le mandat (1919-1939) et la tutelle (1945-1960)
franco-britannique, a ignoré les spécificités des nomades.
Par conséquent, il a ainsi institutionnalisé leur
marginalisation. Les conséquences de cette législation coloniale
ont été des plus désastreuses en matière de gestion
du foncier. Ces conséquences sévèrement catastrophiques
ont persisté après l'Indépendance, parce que le Cameroun
continue d'appliquer les principales orientations du droit colonial dans le
domaine foncier (Nguiffo et al., 2009).
En effet, l'article 15 de l'ordonnance de 1974 fixant le
régime foncier camerounais distingue « les terrains d'habitation,
les terres de culture, de plantation, de pâturage et de parcours dont
l'occupation se traduit par une emprise évidente de l'homme sur la terre
et une mise en valeur probante » de celles « libres de toute
occupation effective ». Autrement dit, ce texte foncier camerounais ne
reconnaît pas l'usage et l'occupation des terres par les Mbororo comme
source des droits fonciers coutumiers protégeables. Ceci parce que
contrairement aux agriculteurs, ces communautés ont un mode de vie de
type nomade et leur occupation des terres est parfois non permanente et sans
traces apparentes. Et pourtant, la Constitution camerounaise de 1996
énonce en son article 1 alinéa 2 que la République du
Cameroun « reconnaît et protège les valeurs traditionnelles
conformes aux principes démocratiques, aux droits de l'homme et à
la loi ». Dans le régime juridique foncier actuel, l'État
est gardien et propriétaire de toutes les terres depuis 1974.
Cependant, l'État n'a pu mener à bien son projet
envisagé en 1994 visant à promouvoir une plus grande
individualisation de la propriété foncière et une plus
grande
47
clarification de la propriété collective. Les
dispositions de l'ordonnance n°74-1 du 6 juillet 1974 relative au
régime foncier qui régissent jusqu'à présent le
régime foncier et l'exploitation des terres au Cameroun se heurtent
à la résistance du droit coutumier traditionnel qu'elles ignorent
(Nguiffo et al., 2009). En effet, au Nord-Cameroun, il existe dans les
faits une prééminence du droit traditionnel sur la
législation foncière de l'État. C'est pour cela que les
espaces de pâturage où les éleveurs vont en transhumance
sont coutumièrement gérés par les chefferies et les
sarkin saanou y sont omniprésents.
Les conflits fonciers sont généralement du
ressort de la chefferie, mais les parties peuvent aussi s'adresser à
l'administration, notamment le sous-préfet. La commission consultative,
composée de représentants de l'administration et
présidée par le préfet ou le sous-préfet constitue
une instance de règlement des litiges prévue par la loi, mais peu
utilisée car très onéreuse (à noter que les
communes n'en font pas partie, le texte les régissant étant
antérieur au transfert de compétence en leur faveur).
|