L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
3. La perception des RoisDeïdo au sujet de l'administration coloniale allemande1110(*)EYUM EBELE CHARLEY DIDO accède au trône des Bonambela en 1804 à la suite du décès de son frère EBULÈ EBELE, il régna 72 ans. Son règne fut le plus long de l'histoire des Deïdo et je ne pense pas qu'il y ait pareil dans tout le Grand Sawa. Le règne d'EYUM EBELE sera long, riche et fructueux : sous sa direction éclairée, les Bonambela occupèrent alors pacifiquement les territoires de Musoko en pays Abo-Sud1111(*), Ndogbele1112(*) à Yabassi et surtout Njanga dans le Nkam.Il reste dans la mémoire de certains « Nkamois » que les premiers à payer les paysans pour leur travail dans les plantations étaient les Bonebela. EYUM EBELE fut signataire de nombreux traités avec les Européens, et plus particulièrement celui du 14 janvier 1856 établissant une Cour d'Équité à Douala : il signait sous le patronyme de CHARLEY DIDO, nom que les commerçants anglais lui attribuèrent. EYUM EBELE, soucieux de fonder un royaume puissant qui devait devenir le troisième royaume de Douala, il laissa une descendance nombreuse. Condamné à mort par le « Ngondo » pour s'être opposé à l'exécution de son neveu MUDULU DIBOTI EBELA qui était accusé d'avoir tué son cousin MUANJO'A MUDULU EBELA, il est fusillé le 7 décembre 1876 conformément aux dispositions de la loi dite « Dibombè » instituée par le Ngondo. Notre 1er Roi fit preuve de courage et de témérité car il refuse de livrer son neveu au Ngondo et il s'exprima ainsi : « Je ne peux pas accepter de perdre mon oeil gauche et mon oeil droit le même jour ». Cette phrase devint légendaire et déclencha une guerre qui opposa les Bonebela à tous les Duala ; cette guerre durera 03 jours et eut pour conséquence l'exil de la majeure partie du clan à Musoko. En se sacrifiant, King EYUM EBELE CHARLY DIDO laisse à sa descendance l'exemple d'un homme de paix et de courage, traits caractéristiques des Deïdo aujourd'hui. C'est ainsi que l'Homme « Deïdo » est connu comme quelqu'un qui ne se laissera pas marcher sur les pieds, quelqu'un qui prônera toujours l'excellence. Aujourd'hui à Deïdo et dans tout le territoire Sawa lorsque quelqu'un porte le nom d'EYUM, on lui donne le surnom de « Tchallé » qui est la déformation de « Charley » en souvenir du plus célèbre Roi des Deïdo. Trente-huit ans avant la pendaison du King BELL DUALA MANGA NDUMBE BELL et de NGOSSO DIN, et de la déportation du King AKWA DIKA MPONDO et de son exécution par les Allemands à Campo, King DEÏDO EYUM EBELE CHARLEY DIDO fut le 1er martyr des Rois Duala pour la sauvegarde des intérêts de son peuple1113(*).A travers les premières lignes de notre exposé sur le clan DEÏDO, nous observons que ce dernier a souvent été mis à l'écart des négociations entre les autres chefs Duala et l'administration coloniale allemande.Par la suite, nous essayons d'esquisser quelques arguments à cette situation qui laissait à désirer pour le clan Deïdo. Ainsi, NDUMBÉ LOBÈ BELL ou King BELL1114(*) était un chef Duala au Cameroun pendant la période où l'Empire allemand a établi une colonie au Kamerun. Il était un politicien astucieux et un brillant homme d'affaires1115(*). Le 12 juillet 1884, le roi NDUMBÉ LOBÉ BELL et le roi AKWA signent un traité dans lequel ils cèdent intégralement les droits souverains, la législation et l'administration de leur pays aux cabinets C. WOERMAN et JANTZEN & THORMÄHLEN, représentés par les marchands EDWARD SCHMIDT et JOHANN VOSS1116(*). Le traité comprend des conditions selon lesquelles les contrats existants et les droits de propriété devaient être maintenus, les coutumes existantes respectées et l'administration allemande continuait de faire des paiements, ou taxes commerciales, aux rois comme auparavant. Le Roi BELL a reçu 27 000 marks en échange de la signature du traité, une somme très importante à l'époque1117(*). Dès le 17 juillet 1885, le gouverneur V. SODEN présida une réunion à laquelle prirent part V. PUTTKAMER en tant que rédacteur du procès-verbal et 14 chefs Duala venant des différents quartiers. Il y fut décidé qu'une importante palabre aurait lieu à Noël et qu'au cours de cette palabre l'union de tous les chefs de Kamerun1118(*) serait réalisée.Ce projet illustre sans doute le souci du pouvoir colonial d'atteindre le plus de gens possible par l'intermédiaire d'un seul chef, autrement dit, le gouverneur semblait chercher à atteindre un certain degré d'homogénéité chez les Duala. Le Traité Germano-Duala a été signé le 12 juillet 1884 entre deux firmes commerciales allemandes et les rois NDUMBÉ LOBÈ BELL et AKWA DIKA MPONDO de la côte camerounaise. Plusieurs autres conventions, rapprochant les monarques de cette contrée et les Européens, ont été passées avant cette date...l'accord Akwa-Woermann du 30 janvier 1883 relatif à la protection des biens et apports de la firme Woermann sur le rivage de la ville d'Akwa.Donc, à travers ces témoignages, on observe que le clan Deïdo est la plupart du temps exclu des négociations avec les colonisateurs allemands ; il est marginalisé en tant que « famille traditionnelle » au sein de la société Duala. Par famille traditionnelle, il faut entendre par là, la désignation de la famille lignagère africaine1119(*). C'est-à-dire une famille fondée sur un lien de solidarité fort, de type mécanique, et le respect des valeurs traditionnelles. Le recul de la famille traditionnelle se manifeste donc logiquement par le recul du lien de solidarité, recul qui a pour implication ou pour conséquence logique l'effritement de la famille lignagère et l'établissement de la famille nucléaire de type occidental.En outre, le droit colonial et notamment le droit civil définira la famille comme étant l'ensemble constitué du père, de la mère et des enfants. C'est la naissance du ménage. C'est donc dès cet instant que le lignage sera évincé par le ménage, car la « famille lignagère par ses dimensions, par son organisation, par son fonctionnement posait sur la vie de l'individu qui y avait pourtant trouvé une sécurité et qui n'y trouve qu'une série de devoirs, obstacles à son épanouissement »1120(*).En effet dans la cosmogonie négro-africaine, l'homme est la valeur suprême, valeur située au-dessus de toutes les considérations matérielles. Il vit dans un groupe solidairement lié au destin de ce groupe. En retour, le groupe lui garantit une certaine sphère de protection en termes de sécurité1121(*).Ce qui ne sera pas toujours le cas entre les différentes chefferies Duala. On va donc assister à une désolidarisation envers le clan Deïdo de la part des chefs BELL et AKWA mais également à une rivalité farouche entre les deux premiers. La société Duala se verra profondément marquée par cette « éruption » coloniale allemande. Nous poursuivrons cette analyse en partageant d'autres éléments qui renforcent cette perception de l'administration coloniale allemande par les chefs Duala. * 1110Prince ESSAKA ESSAKA EKWALA-ESSAKA DEÏDO, « La perception des Rois Deïdo au sujet de l'administration coloniale allemande ». Article publié sur le site www.peuplesawa.com et consulté le 04 février 2021. * 1111 Musoko mwa Eyum Ebele. * 1112 Qui signifie Bonebela. * 1113 Engelbert MVENG, op., cit., p. 333. * 1114 1839-27 décembre 1897. * 1115 « Ndumbe_Lobe_Bell (n. d.) ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 07 avril 2021. * 1116 (En) E. VON JOEDEN-FORGEY, « Mpundu Akwa: the case of the Prince from Cameroon-the newly discovered speech for the defense » by Dr M Levi., LIT Verlag Münster, Geschichte, Bd.44, 2002. Voir l'article « Ndumbe Lobe Bell » disponible sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 07 avril 2021. * 1117 (De) W. POLLACK & E. MARCUS & F. WESTHOFF, « King Bell oder die Münsteraner in Afrika. Münster: Plattdeutsches Fastnachtspiel », Lit-Verlag Munster, 1886. Voir l'article « Ndumbe Lobe Bell » disponible sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 07 avril 2021. * 1118 Douala. * 1119 Cf. V. J.- C. KANGA, Le droit coutumier Bamiléké au contact des droits européens. Thèse de Doctorat, Faculté de droit, Université de Paris, 1957, p. 144. Cité par B. A. NGANDO, op. cit., p. 137. Cité par MOUBEKE A MOUSSI : « L'Etat colonial et les coutumes au Cameroun : Approche comparative des régimes allemand, français et britannique »,Mémoire de Maîtrise en Théories et Pluralismes juridiques, pp. 87-88. * 1120 S. MELONE, La parenté et la terre dans la stratégie de développement, op. cit., p. 73. Cité par MOUBEKE A MOUSSI, « L'Etat colonial et les coutumes au Cameroun : Approche comparative des régimes allemand, français et britannique », Mémoire de Maîtrise en Théories et Pluralismes juridiques, 2018, pp. 87-88. * 1121Ibid., pp. 87-88. |
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