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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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PARAGRAPHE I : LESTRAITÉS GERMANO-DUALA

Le désir du ReichAllemand de construire ses propres enclaves à l'étranger devait être orienté vers des régions relativement peu attrayantes - c'est-à-dire des régions du monde très pauvres ou très malsaines ou très rebelles ou très inaccessibles. Étant donné que la plupart des marchands britanniques dominaient parmi les étrangers, le « contrat de protection » conclu en 1884 avec le représentant de la compagnie Woermann n'était dû qu'à l'utilisation d'un consensus temporaire parmi les trois principaux chefs de clan.

Le conflit entre King LOCK PRISO, opposant véhément aux liens contractuels avec le Reich Allemand, et le  King BELL, l'ami des Allemands, a résulté en une lutte armée en décembre 1884. Pour les Allemands, le contrôle des terres semblait menacé, il n'était pas encore garanti par des contrats internationaux lors de la conférence de Berlin.

Dans le « contrat de protection » de 1884, les deux représentants allemands NACHTIGAL et BUCHNERavaient promis à l'élite Duala que leurs privilèges ne changeraient pas. C'était irréaliste, mais les Duala avaient une part disproportionnée de postes administratifs par rapport aux autres peuples.

Et certains responsables de la petite administration coloniale recherchaient une relation amicale. Les chefs de l'administration se sont efforcés de transmettre leurs décisions aux chefs Duala lors de patientes négociations683(*).

Même dans l'aggravation dramatique du conflit foncier dans la « ville principale » de Douala à partir de 1907, comme le souligne ManuelaBAUCHE dans sa thèse684(*).Le chef du clan BELL a fait former son successeur en Allemagne, Rudolf DUALA MANGA BELL, et lui, à son tour, son successeur, qui y est resté après l'exécution de son père et la Grande Guerre, et - quand la France et la Grande-Bretagne étaient prévisibles comme futures « fiduciaires » par la Société des nations - il a été membre d'un lobby pour garder la colonie avec l'Empire allemand.

Partout, la tolérance envers des élites autochtones est grande si on a besoin de leur soutien !685(*) Partant de là, les traités Germano-Duala doivent être catégorisés pour mieux appréhender leur complexité et déceler les possibilités qui en découlent tant pour les chefs Dualaque pour l'administration coloniale allemande(A-). Et ainsi déterminer la portée juridique de ces différents traités (B-).

A. LES CATÉGORIES DE TRAITÉS

Le traité du 12 juillet 1884 entre les Duala et les représentants des firmes allemandes au Cameroun n'était que l'un des nombreux traités que les Allemands signèrent dans le territoire entre 1883 et 1907.

La procédure suivante sera appliquée dans la réalité aussi bien pour les contrats de vente que pour les traités négociés :

a) Le gouvernement allemand s'entend avec les firmes privées opérant dans la Baie de Biafra que les firmes allemandes accèdent à des possessions privées au nom du Reich dans les zones ci-après : Bimbia, Kamerun, Malimba, Small Batanga, Bota, Benito686(*).

b) Le Contrat ou Traité est signé par la partie publique camerounaise (Cameroun dans le sens large et général) et par la partie privée allemande.

c) Le Contrat ou Traité est immédiatement (le même jour en général) légalisé par la partie publique allemande, généralement sur la même feuille au bas des signatures. Si le texte du traité est le plus souvent rédigé en anglais, celui de la légalisation est toujours écrit en allemand.

d) Le Contrat ou Traité est repris par le Reich pour son compte au nom de l'Empereur d'Allemagne et ceci par un texte en allemand et signé entre les autorités publiques et autorités privées allemandes exclusivement.

e) Le Représentant du Reich en présence des rois et princes camerounais réunis pour la circonstance, procède à la proclamation solennelle de la déclaration de la souveraineté du Reich sur le territoire.

Cette proclamation solennelle est par la suite matérialisée sur le terrain par le drapeau allemand qui est hissé en présence de toutes les parties concernées et des témoins687(*). Si la proclamation solennelle a bien lieu en présence de toutes les parties, l'acté écrit est signé exclusivement par les Allemands688(*). En fait, au cours de cette période, les Allemands conclurent environ 95 traités avec les populations camerounaises. Ces traités peuvent être classés en trois catégories : les contrats de vente, les traités négociés et les traités de paix (1-).D'autre part, nous ferons une analyse détaillée des Traités Germano-Duala (2-).

1. Lescontrats de vente, les traités négociés et les traités de paix

Les contrats de vente impliquaient la cession d'un territoire sur lequel la souveraineté devait être exercée contre une somme d'argent. Ils stipulaient souvent que la firme allemande achetant le territoire recevait tous les droits de souveraineté, de législation et d'administration dans ledit territoire.

Dans les contrats de vente, les chefs locaux transféraient leur souveraineté aux Allemands. La déclaration faite par le Consul Général en anglais et en allemand comporte dans l'ensemble les éléments suivants : sur la base du Contrat ou du Traité signé entre les firmes allemandes et les autorités camerounaises, contrat ou traité reconnu régulier et en fonction des pleins pouvoirs dont il jouit, le Consul Général, plénipotentiaire de l'Empire, place le territoire sous la souveraineté de Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne sous réserve :

- Des biens de Tiers ;

- De la liberté de commerce ;

- Des traités d'amitié et de commerce signés antérieurement avec d'autres puissances ;

- Que les droits de douane (Kumi) continueront à être versés aux autorités de la place ;

- Que les terres habitées et cultivées resteront la possession de leurs propriétaires et de leurs héritiers ;

- Que les moeurs locales soient respectées.

Les implications locales sont d'abord d'ordre politique. Par le contrat, les princes de la place vendent leur souveraineté à la partie allemande : « I... King Bell... have given up today to Mr. Ed. Schmidt... all my rights I have on the Isle Nicol... I acknowledge the receipt of seventy kroos as payment for this Isle »689(*).Par l'intermédiaire des firmes allemandes, le Reich supplantera donc l'autorité locale pour exercer sa volonté. L'Etat allemand peut acquérir toute l'autorité locale comme pour l'île Nicol ou pour tous les territoires du Cap St. John690(*) ou alors cette compétence est restrictive et ne s'étend pas sur les terres habitées et cultivées691(*).Dans le domaine économique, on parle de tous les contrats de droits de tiers, parfois seule réserve.

Mais dans certains contrats, les droits de percevoir les frais de péage sont garantis pour les dirigeants locaux ainsi que la liberté de commerce.Cela signifie en clair que aussi bien les autres Camerounais, les Anglais ainsi que les Allemands, dans la lettre et l'esprit du contrat vont continuer à payer, donc à reconnaître le droit de souveraineté des dirigeants locaux aux lieux de péages portuaires.

Parmi les 95 traités que les Allemands signèrent au Cameroun entre 1883 et 1907, 08 étaient des contrats de vente tels que : un contrat de vente signé avec Bimbia le 11 juillet 1884 entre Édouard WOERMANN, SCHMIDT et SCHULZE représentant la firme Woermann, et le Roi WILLIAM ; un contrat de vente sur l'île Nicol signé le 11 juillet 1884 entre King BELL et SCHMIDT, sur Bapuko au Cap St. John entre les chefs et les rois et Auguste LUBCKE au Cap St. John entre les chefs et les rois et Auguste LUBCKE représentant la firme Woermann ; un autre sur Lubaly à Campo et un dernier sur Medune.

Par la suite, nous évoquerons la problématique des traités négociés et des traités de paix.

· Les traités négociés

Les traités négociés étaient généralement conclus par deux parties égales qui se réservaient certains droits.

Le Traité final ne parle plus du monopole commercial garanti aux Camerounais, ni du refus d'annexion à une puissance européenne. Il contient cependant les points suivants :

1. Le territoire dénommé Cameroons est géographiquement délimité ;

2. Les droits de souveraineté, de législation et d'administration sont cédés aux firmes privées allemandes ;

3. Des clauses restrictives réservent positivement :

· Les droits des tiers ;

· La validité des traités d'amitié et de commerce signés avec d'autres puissances étrangères ;

· Le droit des Camerounais et de leurs héritiers sur les terres cultivées et habitées ;

· Le droit de douane au profit des rois ;

· Le respect des coutumes camerounaises.

Ces 03 (trois) points avec les 05 (cinq) restrictions se retrouvent dans presque tous les traités négociés dans le corps même du texte, bien avant de figurer dans le document de légalisation692(*).Par ailleurs, l'influence politique d'un premier signataire camerounais peut entraîner la signature de potentats indépendants.

Dans l'exemple des rois de « Ndoo » et de « Bakundu », ceux-ci s'engageront directement vis-à-vis de l'Empire allemand et non plus des commerçants privés, en se référant à leurs liens tissés avec King BELL : « We the undersigned kings and chiefs of N'doo and Bakundu declare that in conformity with our political and commercial friend King BELL of Kamerun ; we recognise the Sovereignity of the German Empire over us and our Country »693(*)694(*).Dans ces cas, les réserves ne figurent pas dans le corps du traité695(*).

Volontairement sur la base des négociations préalables ayant abouti à des réserves stipulées dans le contrat, les potentats du Cameroun cèdent leurs droits de souveraineté, de législation et d'administration à la partie allemande. Ils cessent ainsi d'être maîtres de jeu sur le territoire. Ils concèdent la partie essentielle des attributs de pouvoir au ReichAllemand et ne conservent que le droit de douane et un droit de propriété sur les terres habitées et cultivées. Le droit des tiers se référant en général au commerce et à la liberté commerciale, les souverains camerounais perdent par ces Traités le droit de négocier ultérieurement avec d'autres partenaires696(*).

Les traités négociés entre les commerçants allemands et les rois et chefs du Cameroun étaient les suivants : Yoko à Benito River signé le 29 octobre 1883 ; le traité germano-douala signé le 12 juillet 1884 ; Jibarret et Sorroko signé le 15 juillet 1884 ; Small Batanga le 18 juillet 1884 ; Malimba le 20 juillet 1884 ; Ndoo et Bakindu le 05 novembre 1884 et Benita le 02 août 1884.En dernier lieu, nous parlerons des traités de paix.

· Les traités de paix

Le dernier type de traité concernait les traités de paix. Un traité de paix était normalement signé après une victoire militaire et ses termes étaient plus ou moins dictés par le vainqueur. LesTraités de paix sont tous rédigés en allemand, au nom du ReichAllemand ou du gouvernement impérial du Cameroun. Ils imposent la reconnaissance de la souveraineté allemande et le Roi, Sultan ou Chef accepte de se soumettre à l'autorité du Reich697(*). Contrairement aux Contrats de vente ou aux Traités de cession négociés, les Traités de paix signifient une victoire militaire allemande sur les différents royaumes camerounais.

Les dirigeants locaux conservent une partie de pouvoir sur leurs sujets puisque les Allemands n'abolissent pas le royaume ou la principauté car ils installeront même de nouveaux chefs dociles là où besoin est. Mais nos princes perdront cependant leur souveraineté et leur autonomie d'action car ils se soumettront à l'autorité allemande qui deviendra en 1907 l'autorité réelle sur l'ensemble du territoire.Au niveau international, l'Allemagne jouit de son autorité exclusive sur le Cameroun et partant de sa puissance continentale en Europe, arrivera à agrandir ce territoire par un accord avec la France le 04 novembre 1911698(*).

Il faut souligner que les Traités de Paix n'interviennent en général que bien plus tard, après la création de l'armée de terre en 1891 et qui dicteront les conditions allemandes aux rois et princes camerounais vaincus par la force des armes. Ils se soumettent sans conditions à l'autorité allemande qui installe souverainement son autorité exclusive et confirme ainsi la domination totale du Reich sur le Cameroun699(*).

L'armée coloniale allemande, la « Schutztruppe », fut formée en 1891 pour conduire les campagnes militaires allemandes au Cameroun jusqu'en 1916. Les traités de paix signés entre 1884 et 1907 étaient de ceux de : Kamerun-Hickorytown700(*) le 13 janvier 1885 ; Banyo le 07 mai 1899 ; Tibati le 07 juillet 1899 ; Ngaoundéré le 20 septembre 1901 et Saran Fellani le 05 janvier 1907. De tous les 95 traités, le traité germano-douala restait le plus significatif en ayant une portée historique considérable pour le Cameroun.

Nous apporterons une analyse et des commentaires approfondies des traités Germano-Duala.

* 683 Prince KUM'A NDUMBE III,  L'Afrique et l'Allemagne. De la colonisation à la coopération. 1884-1986 (Le Cas du Cameroun), Éditions AFRICAVENIR, 1986.

* 684 M. BAUCHE, « Medizin und Herrschaft », Campus 2018.

* 685 Voir J. HARNISCHFEGER, Demokratisierung und Islamiches Recht. Der Scharia-Konflikt in Nigeria, Campus Verlag GmbH, 31 mai 2006. Étude portant sur les Britanniques et les Fulbe au Nigéria !

* 686 Lettre de Woermann à Bismarck du 30 avril 1884, ibid, p. 31. Aufzeichnung uber eine Unterredung des Reichskanzlers mit den Inhabern der im Biafragebiete interessierten Firmen, ibid, p.50. In PRINCE KUM'A NDUMBE III, L'Afrique et l'Allemagne. De la colonisation à la coopération. 1884-1986 (Le cas du Cameroun),Éditions AFRICAVENIR, 1986.

* 687 Prince KUM'A NDUMBE III,  L'Afrique et l'Allemagne. De la colonisation à la coopération. 1884-1896 (Le Cas du Cameroun), Éditions AFRICAVENIR, 1986, pp. 47-49.

* 688 Ibid, pp. 51-55.

* 689 « Moi... Roi Bell... abandonne aujourd'hui à M. Ed Schmidt... tous mes droits sur l'île Nicol... Je reconnais avoir reçu un paiement de sept (07) kroos en échange de la vente de cette île ».Traduction faite par nous.

* 690 Bapuko.

* 691 Awuni Lubaly.

* 692 Ibid, p. 60.

* 693 Abtretung Urkunde N'doo and Bacundu, 5.11.84, DZA - Potsdam 4204, f.192.

* 694 Traduction faite par nous : « Nous soussignés Rois et Chefs de Ndo'o et de Bakundu déclarons qu'en conformité avec notre ami politique et commercial, le King Bell du Kamerun ; nous reconnaissons la Souveraineté de l'Empire Allemand sur nous et notre territoire ».

* 695 Prince KUM'A NDUMBE III, L'Afrique et l'Allemagne. De la colonisation à la coopération. 1884-1896 (Le Cas du Cameroun),Éditions AFRICAVENIR, 1986, pp. 60-61.

* 696Ibid, p. 62.

* 697Ibid, p. 65.

* 698Ibid, p. 67.

* 699 DZA - Postdam; Deutsches Zentralarchiv - Postdam; Ibid, pp. 67-68.

* 700 Bonabéri.

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