L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
2. Le déroulement des faits : la condamnation et la mise à mort d'Adolf Ngosso Din et de RudolfDoualaManga BellRudolf DOUALA MANGA BELL a abordé séparément des chefs importants du Grassland par des émissaires ou plusieurs agents de liaison, soit pour se renseigner sur leur position, soit pour obtenir leur soutien. Les deux hommes ont été condamnés à la suite de leur ferme opposition au décret de juin 1910 du gouverneur EBERMAIER et ordonnant l'expropriation et la réinstallation des indigènes de Joss, Bonapriso, Akwa et Deïdo. LesAllemands ont décidé de saisir la terre le long des rives de la rivière Wouri, violant ainsi la clause de souveraineté qui laissait la terre aux indigènes comme spécifié dans le traité signé le 12 juillet 1884 entre les rois Duala et les autorités allemandes. D'un autre côté, une zone tampon d'un kilomètre ou « Zone Freie » a été établie entre les Blancs et les Noirs. Des sites de relogement ont ensuite été créés pour les personnes déplacées : « NeuBell », « NeuAkwa » et « NeuDeïdo ». De 1912 à 1914, à la demande du Conseil vernaculaire « Ngondo », Rudolf DOUALA MANGA BELL et son assistant ont appelé à une mobilisation générale au Cameroun et en Allemagne afin de défendre leurs droits devant le Reichstag, le parlement allemand.Néanmoins, les premières expropriations ont commencé en décembre 1913. En mai 1914, sous l'hypothèse d'un faux document qui aurait été délivré par le roi BELL et adressé au sultan NJOYA, qui aurait plaidé pour une alliance avec l'Angleterre, les deux manifestants ont été capturés, détenus dans ce commissariat, condamnés pour trahison et pendus le 08 août 1914. Il ne reste que cette souche de l'arbre sur lequel ils ont été pendus. La PremièreGuerre mondiale venait de commencer en Europe. Alors que des navires de guerre hostiles naviguaient vers le Cameroun, les Allemands ont accéléré le procès afin de faire face aux assauts attendus de l'ennemi. Dans le même temps, dans le but de neutraliser une opposition interne croissante, 180 indigènes ont été pendus peu après Rudolf DOUALA MANGA BELL et NGOSSO DIN. En septembre 1914, avec l'aide de piroguiers Duala, les troupes françaises et anglaises pénètrent dans le chenal bloquées par des navires détruits par les Allemands. En 2006, le bâtiment est mis en valeur par une enseigne urbaine réalisée par « Doual'art » et dessinée par Sandrine DOLE ; l'enseigne présente une image historique du bâtiment et une description de son histoire. Par la suite, nous nous pencherons sur la mise en accusation de Rudolf DOUALA MANGA BELL et de ses alliés. · La mise en accusation de Rudolf Douala Manga Bell et de ses alliés Le 11 avril 1907, après un procès sommaire présidé par VON KROSIG au poste de Yaoundé, cinq chefs Ewondo dont ONAMBELENKU et MBALABEFOLO furent pendus pour haute trahison et tentative de meurtre. Il leur était reproché d'avoir décidé, au cours d'une réunion clandestine, d'empoisonner CharlesATANGANA dont ils étaient jaloux de l'ascension et de préparer le massacre des Blancs du poste de Yaoundé. Deux autres accusés s'en tirèrent avec cinq ans de prison. Le jour suivant, c'est-à-dire le 12 avril, toujours à Yaoundé, trois chefs Eton furent également pendus pour l'assassinat du planteur allemand VOSS.668(*) Le député STORZ, à la séance du 26 mars 1906, demanda par conséquent « qu'il soit mis fin d'urgence dans nos colonies à ce système d'arbitraire absolu et à cette absence d'équité ».669(*)Six années après STORZ, en 1912, la situation n'avait guère changé, et le député MULLER lui emboitait le pas en ces termes : « Notre procédure criminelle en est à un point où il faut l'arrêter : elle laisse les indigènes absolument sans aucun droit ».670(*) C'est ainsi que le 10 mai 1914, le chef de la circonscription de Douala, RÖHM convoqua Rudolf DOUALA MANGA BELL - à qui les Duala avaient donné les pleins pouvoirs pour défendre leurs intérêts - à un interrogatoire sur la dénonciation du roi NJOYA et le garda en détention préventive, parce qu'il était soupçonné d'être en contact avec les Anglais.671(*) Le 12 mai, le secrétaire d'État aux Colonies, SOLF demanda au parquet du tribunal de Berlin d'arrêter et de fouiller NGOSSO DIN. Le 15 mai, NGOSSO DIN fut arrêté et jeté dans la maison d'arrêt de Berlin. Neuf jours plus tard, il fut mis dans le bateau à destination de Douala. Le 07 août 1914, DOUALA MANGA BELL et NGOSSO DIN furent jugés à huis clos à Douala, reconnus coupables de « haute trahison » et condamnés à mort.Le Dr.HALPERTet d'autres avocats allemands qui s'étaient annoncés comme défenseurs des accusés ne purent intervenir dans cette procédure. Dans une correspondance adressée au secrétaire d'État aux Colonies, SOLF, le 07 août, le Dr. HALPERT demanda à ce que le procès soit reporté afin de lui permettre d'être au Cameroun. SOLF lui répondit par la négative672(*). DOUALA MANGA BELL et NGOSSO DIN furent exécutés le 08 août par pendaison.673(*) SelonAnanieRABIERBINDJI674(*), « RudolfDoualaMangaBell, à la veille de sa pendaison, va demander une permission d'une heure pour voir une dernière fois sa femme et ses enfants, sans toutefois les avertir qu'il sera pendu le lendemain et leur fait croire qu'il sera libéré deux jours plus tard. C'était un homme d'honneur car il est parti rendre visite à sa famille sans être accompagné de soldats et reviendra le soir même en prison ». Le 14 août à Soppo, près de Buéa, eut lieu la suite du procès. Cette fois, ce fut le tour d'autres compagnons de lutte de DOUALA MANGA BELL. Ils avaient été arrêtés le 21 juillet à Douala en qualité de « parents, amis ou conseillers » de DOUALA MANGA BELL et NGOSSO DIN. C'est l'administrateur adjoint VON KROSIG qui remplissait les fonctions de juge ; il les condamna aux peines suivantes : prison à vie pour TOKOTO ESOME ; dix ans de prison chacun pour MISSIPOWO MULOBY, MASO EYANGO, EKANDE EPANYA, KWELE NDUMDE, KOFI ET NJALA ; huit ans de prison pour LOBE MANGA PRISO ; cinq ans de prison pour Pasteur MODO DIN et NJEMBELE EKWE.675(*)LesAllemands effectuèrent des perquisitions chez lui et ses collaborateurs parmi lesquels MADOLA, EDANDEMBITA, ASSAKO NNA MBA ENAM, et firent main basse sur les preuves irréfutables de ses intentions : il s'agit du dépôt d'armes et de munitions. Les accointances des Bulu et des Banoko avec la France à qui l'Allemagne venait de déclarer la guerre le 03 août 1914 étaient désormais évidentes.Arrêtés le 1er août 1914 par Gunther VON HAGEN, administrateur en chef d'Ebolowa et de Kribi, Martin Paul SAMBA et ses compagnons furent jugés par un simulacre de tribunal militaire allemand et condamnés à mort pour « haute trahison » envers l'Allemagne. Le 08 août 1914, tandis que ses compagnons sont pendus, Martin Paul SAMBA, considéré comme traitre, et pourtant sous-officier de l'armée allemande est fusillé au champ de tir militaire de Mendo'o près d'Ebolowa. PhilippeLABURTHE-TOBRA ajoute ce qu'il suit : « C'est le colonialisme lui-même qui se fusille lorsque les balles allemandes abattent Samba le germanisé ».676(*)677(*) C'est dans cette perspective que nous nous sommes penchés sur les dynamiques et les logiques de coopération existant entre les potentats Duala et BamounBamun et l'administration coloniale allemande (Section II). * 668 Ibid, pp. 123-124. * 669 Verhandlung des Reichstags, Stenographische Berichte, 1913, p. 3511. * 670 Ibid, 1912-A1914, Anlagen, Aktenstuck Nr. 1576, p. 4875. * 671 ANY, FA 4/ 478, f. 32. * 672 Ibid, f. 32. * 673 Bundersarchiv Berlin, R 1001, Nr. 4227: Verwaltung von Kamerun, Band 2, ff. 122-127. * 674 Rabier BINDJI ANANIE : Journaliste/Directeur de l'Information de la chaise camerounaise Canal 2 International. Interviewé par : Paula EWANE, Aude TAMOKOUE, Valérie TAMBEKOU et Hugo LECOMTE. Sous la supervision de M. Mbangue Oumbuang, dramaturge. Lycée Français Dominique Savio, article publié sur le site www.LyceepedagogieSavio.com et disponible dans la rubrique «La Grande Guerre au Cameroun ». Article consulté le 05 mai 2021. * 675 I. KALA LOBE, Douala Manga Bell, héros de la résistance douala, Paris, Collection Grandes Figures Africaines, Paris/ Dakar, NEA, 1977, p. 77. Voir aussi A. P. TEMGOUA, LeCameroun à l'époque des Allemands (1884 - 1916), L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 263-264. * 676 P. LABURTHE-TOLRA, Martin Paul Samba, p. 325. * 677 A. P. TEMGOUA, Le Cameroun à l'époque des Allemands (1884 - 1916),op. cit, p. 265. |
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