L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
C. LA MISEÀ MORT DES CHEFS « REBELLES » : LE CASPARTICULIERDU CHEF RUDOLFDOUALA MANGA BELL645(*)Avant de mourir, comme Jésus la croix, Rudolf DOUALA MANGA BELL aurait lancé ces mots en allemand à ses bourreaux : « C'est un innocent quevous pendez. C'est en pure perte que vous m'exécutez. Maudits soient les Allemands ! Vous ne posséderez jamais le Cameroun ». D'après un article du Courrier international du 06 septembre 2019, MANGA BELL est mort la tête haute, et les colons ont laissé sa dépouille suspendue à la potence trois jours durant, en guise d'avertissement... Et comme l'avait prédit le combattant de la liberté, l'Allemagne perdra la main sur le Cameroun04 ans plus tard, à la fin de la PremièreGuerre mondiale. Ainsi, nous ferons un tableau des acteurs et des lieux majeurs de cette situation(1-), sans oublier le déroulement des faits c'est-à-dire la condamnation à mort d'Adolf NGOSSO DIN et de Rudolf DOUALA MANGA BELL (2-). 1. Les acteurs et les lieux majeursDans le cadre ce paragraphe, nous parlerons des acteurs majeurs que sont : Adolf NGOSSO DIN, Rudolf DOUALA MANGA BELL et le lieu où ils furent exécutés par l'administration coloniale allemande : l'ancien commissariat de police de Douala.Nous parlerons du cousin et secrétaire de Rudolf DOUALA MANGA BELL, Adolf NGOSSO DIN. · AdolfNgosso Din Adolf NGOSSO DIN est une figure de la résistance et du nationalisme au Cameroun. Il fut le secrétaire du chef Duala Rudolf DOUALA MANGA BELL. Accusés de haute trahison par les autorités allemandes, ils furent tous deux pendus le 8 août 1914 dans l'ancien commissariat de police de Douala. Cette date marque la naissance du nationalisme camerounais646(*). SelonValèreÉPÉE647(*), NGOSSO DIN était un proche de Rudolf DOUALA MANGA BELL. C'était aussi son secrétaire. Il a les fonctions liées à l'écriture : les actes émis par le royaume -il les écrivait... ou toute autre tâche liée à l'écriture. La veille de son départ pour l'Allemagne, les femmes de son village natal ont organisé une veillée funèbre factice au cours de laquelle elles confectionnaient des « Miondo »648(*) vrais et « faux »649(*). Cela a mis les Allemands dans une confusion totale qui ont été obligés de le laisser passer et il s'était déguisé en commerçant ouest-africain mais il fut arrêté en Allemagne avec comme chef d'accusation « Haute Trahison ». Il ajoutera même que « Les Duala étaient considérés par les Allemands non seulement comme des hommes élégants mais aussi orgueilleux. Ils n'avaient pas peur de regarder les Blancs droit dans les yeux. LesAllemands le leur reprochaient avec véhémence. Les Duala avaient même l'outrecuidance de courtiser leurs filles »650(*).Nous évoquerons par la suite le cas de Rudolf DOUALA MANGA BELL. · RudolfDoualaManga Bell Rudolf DOUALA MANGA BELL, né en 1873 et mort le 8 août 1914 à Douala était le roi du clan BELL du peuple Douala au Cameroun pendant la période coloniale allemande. Il était le chef de la résistance contre l'expulsion des Duala de leurs maisons ancestrales. RudolfDOUALA MANGA BELL est né le 24 avril 1873651(*) dans la région de Douala en tant que fils aîné du roi August MANGA NDUMBE BELL (de) et petit-fils du roi NDUMBE LOBE BELL652(*), qui avait signé un "traité de protection" avec l'Allemagne en 1884.En 1891,à l'âge de 19 ans, après avoir fait son école primaire et une partie du secondaire à Douala, DOUALA MANGA BELL est envoyé en Allemagne pour y continuer ses études. Il séjourne pendant cinq ans dans la famille Österle, à Aalen, comme enfant d'accueil. Durant cette période, il apprend l'allemand et en est influencé à vie. Il s'inscrit au lycée d'Aalen puis à l'Université de Bonn où il apprend le droit. A 23 ans, il a achevé ses études. En 1897, il revient au Cameroun pour épouser, une jeune femme métisse, EmilyENGOMEDAYAS, de père anglais. Son grand-père NDOUMBE LOBE meurt cette année-là, et son père MANGA NDOUMBE devient le chef supérieur des BELL, le 5ème de la dynastie. Évoluant dans la cour royale où ses études sont d'un apport précieux, il observe l'évolution politique et le traitement souvent réservé aux autorités traditionnelles lors de rencontres, ce qui ne le laisse pas indifférent.En 1902, il repart en Allemagne où il rencontra à Berlin le directeur du département des colonies du Ministère des Affaires étrangères, OscarWilhelmSTÜBEL. Il put ainsi comprendre la structure de l'administration coloniale allemande, ce qui a par la suite été utile.En 1905, il écrivit avec le roi AKWA Bonambela et 26 autres chefs de peuple camerounais une lettre ouverte au Reichstag allemand. Il se plaint de poursuites judiciaires intentées par le gouverneur Jesko VON PUTTKAMER, d'expropriation, de démolition de maisons non autorisées, de travaux forcés sans salaire, d'arrestations arbitraires et de peines excessives, ainsi que de traitements humiliants infligés aux dirigeants camerounais. Il demande sans succès la révocation du gouverneur, qui quitte ses fonctions en 1907, à la fin de sa mission. En 1908, suite à la mort de son père, Rudolf DOUALA MANGA BELL est intronisé chef supérieur du clan des BELL qui regroupe les Bonamandone, Bonapriso, Bonadoumbé, tous propriétaires et habitants du plateau Joss à Douala. Il est alors âgé de 35 ans. Il prend les rênes du pouvoir traditionnel juste au moment où les Allemands ont conçu un nouveau plan d'urbanisation de la ville. En 1910, Otto GLEIM devient le nouveau gouverneur du Cameroun. Sous GLEIM, il est envisagé d'expulser les Duala de leur zone résidentielle sur le fleuve Cameroun sans indemnisation adéquate, de mettre le feu à leurs maisons au profit d'usines et de séparer les zones résidentielles noires et blanches de Douala. Le projet, baptisé « Gross Duala » prévoit de faire de la ville, l'un des plus grands ports d'Afrique. De nouveaux lotissements653(*)seront aménagés à l'arrière du pays pour les autochtones selon le nouveau plan d'urbanisation et ils seront séparés de la ville européenne par un no man's land d'un kilomètre de large. Devenu entretemps roi, Rudolf DUALA MANGA BELL défend son peuple en adressant des pétitions au gouvernement allemand et au Reichstag. Devenu indésirable à Berlin, il envoie en 1912 son secrétaire, Adolf NGOSSO DIN, en Allemagne pour contacter l'opposition allemande et les missions chrétiennes, et faire appel à un avocat de Berlin. L'Allemagne le soupçonne d'ailleurs d'avoir pris langue avec ses beaux-frères anglais et les Français pour organiser la résistance, et le relève de ses fonctions de chef supérieur le 04 août 1913. Cette mesure lui fait perdre juste sa pension annuelle de 3 000 Marks la monnaie allemande, mais son autorité traditionnelle reste intacte, il ne renonce pas non plus à son opposition au projet allemand. Il entre en contact avec d'autres chefs à l'intérieur du pays, à qui il demande du soutien. Les chefs de Yabassi, Yaoundé, Dschang, Banyo, Ngaoundéré, Bali, Baham et le Roi des BamounBamun sont ainsi sollicités. Mis au courant de la démarche, le Secrétaire d'Etat allemand aux Colonies ordonne l'arrestation du chef des BELL. Lorsque le Roi MANGA BELL est poursuivi sous l'occupation allemande, il se réfugie à Baréhock chez son cousin et meilleur ami le RoiJosephEKANDJOUM, qui lui aussi revendique les droits de son royaume et de son peuple du Moungo. Les dépossessions s'arrêtent provisoirement à Douala, mais reprennent quelques semaines plus tard. En revanche, la presse allemande fait état d'une "demande d'aide" auprès de la France et de la Grande-Bretagne, qui n'a toujours pas été prouvée. En 1914, le Roi Rudolf MANGA BELL, qui reste fidèle à l'Allemagne jusqu'à la fin, utilise des moyens pacifiques pour exposer des griefs concrets, est condamné à la peine de mort par pendaison pour haute trahison. Mais le 10 mai 1914, il est arrêté à Douala et inculpé de haute trahison. Son secrétaire NGOSSO DIN est aussi interpellé 05 jours plus tard en Allemagne et ramené au Cameroun, une chasse à l'homme est également lancée contre les partisans de Rudolf DOUALA MANGA BELL. Leurs proches parents sont tous arrêtés en juillet 1914. Un mois plus tard, il est exécuté avec son secrétaire NGOSSO DIN le 8 août 1914 à Douala654(*). C'est avec émoi que les habitants de la ville de Douala, assistent vers 17 heures à l'exécution par pendaison de leur roi, et de son secrétaire particulier. Loin d'intimider la population, cette exécution conduit les Duala à lutter contre l'Allemagne et à soutenir la Triple-Entente655(*). En 2019, le court-métrage D'ADETOKUMBOH M'CORMACK, The German King, relate les derniers jours du héros national656(*). Rudolf DOUALA MANGA BELL est commémoré comme martyr et héros de la liberté, notamment par le clan BELL et l'ethnie douala. Dans les années 1920, la popularité de MANGA BELL est toujours présente, l'hymne patriotique: Tet'Ekombo (en français: le Père de la nation657(*), ou le Père du pays) est composé en 1929 par Martin LOBÉ BÉBÉ BELL658(*). Le « Tet'Ekombo » est la commémoration du martyr initiée depuis 1936 par Alexander BELL se déroule chaque année sur les lieux du monument funéraire Bell, le 8 août. La ville de Yaoundé, lui rend hommage en baptisant un boulevard: Rudolf MANGA BELL.Reconnaissant tardivement ses torts, Berlin prévoit de débaptiser, en 2019, la « Nachtigalplatz » pour lui attribuer le nom de Rudolf MANGA BELL et de son épouseEmily659(*). De plus, nous ferons une présentation de l'île de Manoka. · L'île de Manoka660(*) Manoka est la plus grande ile du Cameroun. Située à 35 minutes au large du petit port de pêche de Youpwé, près de Douala, dans la région du Littoral et le département du Wouri, elle constitue la sixième commune d'arrondissement de la Communauté urbaine de Douala661(*) et a pour autochtones les Malimba. L'histoire raconte que l'île, qui s'appelait Malendè à l'époque, aurait été découverte par des religieux allemands qui s'y seraient installés. Lors du décès de la soeur MONIKA, sa dépouille aurait été inhumée non loin de l'actuel emplacement de la brigade. En sa mémoire, les religieux auraient donc baptisé l'île au nom de « Monika' ». Après le départ des Allemands, les populations ont transformé le nom de l'île en « Manoka »662(*). La légende dit que le vieux phare était une ancienne prison. Il faut environ deux heures de pirogue à partir de Youpwé pour y arriver. Ce fut la prison de DOUALA MANGA BELL. Ce vieil édifice trône à l'une des rives de l'île, les résistants à la pénétration européenne y étaient enfermés. Cette île est magnifiquement constituée de vastes plages de sable fin et blanc. L'ancien commissariat de police de Douala fut le lieu de l'exécution de Rudolf DOUALA MANGA BELL et de NGOSSO DIN. · L'ancien commissariat de police de Douala L'ancien commissariat de Douala est un monument situé dans le quartier administratif de Bonanjo663(*). Il a été construit en 1905. Le bâtiment est aujourd'hui occupé par les services administratifs de la Marine marchande664(*). Le poste de police est le site où le Roi Rudolf DOUALA MANGA BELL et son assistant Adolf NGOSSO DIN ont été condamnés à mort et exécutés le 8 août 1914665(*). Le lieu de sa mise à mort, à savoir l'enceinte du Commissariat de Police relevé plus tôt est un lieu-mémoire de cette histoire de la présence coloniale allemande au Cameroun. A sa mort, il a d'abord été inhumé dans un cimetière commun et banal pour son statut. En 1936, sa dépouille a été transférée dans un caveau familial, le monument funéraire des Rois BELL, où reposent trois autres rois de la même dynastie, parmi lesquels l'un des signataires des traités de protectorat666(*). On pourrait ajouter à cette sépulture, le mausolée de NGOSSO DIN, Secrétaire particulier du Chef DOUALA MANGA BELL667(*). Dans la seconde partie, nous parlerons de la condamnation et de la mise à mort d'Adolf NGOSO DIN et de Rudolf DOUALA MANGA BELL. * 645 R. TSAPI, « Figures : Rudolf Duala Manga Bell, la résistance à l'impérialisme ». Article publié le 12 décembre 2019 sur le site de l'O.N.G. « UN MONDE AVENIR », https://unmondeavenir.org et consulté le 29 janvier 2021. * 646 P. BOUOPDA KAME, Histoire politique du Cameroun au XXe siècle, L'Harmattan, 2016, p. 29. * 647 Spécialiste de l'ethnie Duala. Interviewé par : Ambre ETAME, Thania EWANE, Irène OTZMAN et Sissa BEKOMBO. * 648 Bâtons de manioc. * 649 Faux parce qu'ils contenaient des documents compromettants qui allaient aider NGOSSO DIN à plaider la cause des Duala auprès du Reichstag. * 650Ibid. * 651 J.-M. ESSONO, YAOUNDÉ : Une ville, une histoire, Yaoundé, ÉDITIONS ASUZOA, 2016, p. 580. * 652 King BELL. * 653 New Bell, New Akwa, New Deïdo. * 654 JOURNAL DER SPIEGEL ONLINE, « Rudolph Manga Bell, l'autre mémoire du Cameroun », Courrier international, N° 1505, ý5 septembre 2019. Article publié sur le site https://www.courrierinternational.com et consulté le 16 novembre 2021. * 655 J.-P. F. EYOUM & S. MICHELS & J. ZELLER, « Bonamanga. Eine kosmopolitische Familiengeschichte ». In « Mont Cameroun ». Revue africaine d'études interculturelles sur l'espace germanophone, No. 2, 2005, p. 11 - 48. * 656 M. NOUGOUM, « Le film camerounais, The German King : une histoire africaine ». Article publié le 22 juillet 2019 sur le site https://lefilmcamerounais.com et consulté le 12 janvier 2021. * 657 NDOL'A BALI, « La fraternité de Bali, Tet'Ekombo (le père de la nation) » [archive], article publié sur le site www.ndola-bali.asso.web.fr et consulté le 12 janvier 2021. * 658 J.-P. CHRÉTIEN & J.-L. TRIAUD, Histoire d'Afrique, les enjeux de la mémoire, p. 482, Karthala, 1999. * 659 JOURNAL DER SPIEGEL ONLINE, « Rudolph Manga Bell, l'autre mémoire du Cameroun », Courrier international, N° 1505, ý 5 septembre 2019. Article publié sur le site https://www.courrierinternational.com et consulté le 16 novembre 2021. * 660 PEUPLE SAWA, « MANOKA, commune du Cameroun ». Article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 18 mars 2021. * 661 Douala VI. * 662 THE DREAMER, « ILE DE MANOKA ». Article publié le 10 mai 2019 sur le site https://thedreamer.cm/ile-de-manoka et consulté le 18 mars 2021. * 663 Ancien commissariat de police (Bonanjo). * 664 THE DREAMER, « ILE DE MANOKA ». Article publié le 10 mai 2019 sur le site https://thedreamer.cm/ile-de-manoka et consulté le 18 mars 2021. * 665 R. AUSTEN & J. DERRICK, « (En) Middlemen of the Cameroons Rivers: The Duala and their Hinterland », in African Studies Series, Cambridge University Press, 96, 1999. * 666 Le Roi NDOUMB'A LOBÉ. * 667O. ZOURMBA, « La conservation et la valorisation des vestiges du protectorat allemand dans la ville de Douala (Cameroun) », Mémoire de Maîtrise, 2016-2017, pp. 42-43. |
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