L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
PARAGRAPHE II : LES SANCTIONS ENCOURUES EN CASDE DÉSOBÉISSANCE DES CHEFS DUALALorsque les chefs AKWA rédigèrent leur pétition de 1905, se plaignant justement de la violation de cette clause, il faut voir que MaxBUCHNER se demanda plus tard dans son ouvrage « AuroraColonialis » si l'on avait fait disparaître convenablement ce document.Cette clause, reconnue ou niée par les colons allemands était diamétralement opposée aux intérêts de l'impérialisme colonial. Et les négociateurs allemands ne pensèrent pas un seul instant à respecter les clauses du traité, une fois maîtres du pays. Seuls les chefs furent assez naïfs pour croire une chose pareille, ils ne savaient pas que les Allemands jouaient avec des cartes truquées. L'intention de tromper était évidente chez les Allemands, ne serait-ce que parce que le système colonial en tant que système de domination n'eut jamais toléré une limitation de son expansion, et le rôle d'intermédiaires que se réservaient les Duala en constituait une, et d'importance.Pour preuve, nous n'avons qu'à nous reporter au mémorandum de WOERMANN. L'un des motifs qui les poussèrent à demander au gouvernement impérial de prendre possession du Cameroun était bien son intention de faire ainsi supprimer ce monopole. WOERMANN prévoyait même que d'éventuels conflits avec ces chefs n'atteindraient guère de proportions graves, étant donné qu'il s'agissait dans ce cas de « petits chefs »631(*). L'imposture ne faisait plus de doute. Le campcolonialiste se montra unanime quant à la suppression du droit de monopole c'est-à-dire quant à la violation flagrante des termes du traité. Pour le journaliste ZOLLER par exemple, la préoccupation première d'un gouvernement colonial consisterait à l'éliminer.Il n'y aurait pas de meilleur service rendu aux intérêts mercantiles du système colonial. En signant le traité avec les Allemands, les chefs Duala qu'Helmut STOECKER caractérise de« bourgeoisie compradore », croyaient se servir de l'alliance avec une puissance coloniale pour raffermir leur autorité plutôt vacillante et maintenir leurs privilèges commerciaux ceci à condition que leur monopole du commerce intermédiaire leur fût garanti. LesAllemands s'engagèrent entre autres à garantir aux chefs la perception du droit de péage. Chaque chef percevait ce péage ou « Comey »632(*) du commerçant européen dont les magasins étaient installés sur son territoire. Rappelons que ce droit avait été fixé officiellement par le traité Duala-Anglais du 16 janvier 1856. En échange de leur signature, les chefs Duala récurent des deux maisons de commerce un « dash » ou cadeau, autrement dit les Allemands n'obtinrent le traité qu'en achetant les chefs. Il ne semble pas régner sur cette affaire de « dash » une clarté totale.Les seuls chiffres disponibles sont ceux de MaxBUCHNER qui ne manque d'ailleurs pas de relever quelques années plus tard le caractère secret de cette affaire. Une chose reste pourtant certaine, les chefs Duala furent achetés. LOCK PRISO, dans sa lettre du 28 août 1884 à Max BUCHNER, commissaire impérial par intérim, protestant contre le fait que le drapeau allemand fut hissé sur son territoire, dit qu'on ne les achète pas, sous-entendu comme on a acheté les BELL et les AKWA. BUCHNERnota les pots-de-vin que les chefs reçurent des firmes coloniales. Ces différentes sommes ne leur furent pas payées en argent liquide mais furent seulement portées à leur crédit633(*). Comme sanctions punitives orchestrées contre les chefs Duala, nous aurons la destitution(A-), la déportation (B-) et la mise à mort des chefs rebelles(C-). A. LA DESTITUTION DES CHEFS REBELLESConcernant la destitution des chefs rebelles, on peut citer le Roi AKWA DIKA MPONDO (1-), le Prince DIN DIKA AKWA et le Roi RudolfDOUALA MANGA BELL (2-)qui font partie des cas les plus significatifs. 1. La destitution du Roi Akwa Dika Mpondo (1907)634(*)Ainsi le 19 juin 1905, dans une pétition adressée au Reichstag et à la Chancellerie Impériale, les chefs AKWA de Bonambela se plaignirent de façon détaillée du pouvoir arbitraire de nombreux fonctionnaires coloniaux avec en tête le gouverneur Jesko VON PUTTKAMER. Gravement mis en cause, PUTTKAMER et les siens leur intentèrent un procès en diffamation dont le jugement sommaire et expéditif condamna le 6 décembre 1905 tous les signataires de la pétition. Le King DIKAMPONDO bien que n'ayant pas signé la pétition parce qu'il purgeait une autre peine635(*), écopa de 9 ans d'emprisonnement avec travaux forcés. La campagne de lobbying menée au Reichstag par son fils aîné le Prince héritier LUDWIG MPONDO AKWA, résidant en Allemagne et mandataire des Bonambela avec le concours des socio-démocrates636(*) et du Centre Catholique637(*) contribuèrent à son annulation. Le second procès qui se tint du 23 au 26 octobre 1906 devant le juge indépendant Strachler qui avait la charge de le réviser condamna, sous mise en compte d'une détention préventive de quatre mois, le King AKWA DIKA MPONDO et le chef MUANGE MUKURI à 18 mois de prison et les autres accusés à des peines inférieures. En dehors du King DIKA MPONDO, des chefs MUANGE MUKURI et MPONDO EDJENGELE qui furent emmenés à Kribi comme détenus politiques en janvier 1907 et transférés ensuite à Campo en résidence surveillée, les 24 autres signataires de la pétition furent emprisonnés à Douala. L'administration coloniale destitua le King AKWA DIKA MPONDO et le remplaça par Adolf DIBUSI DIKA, un autre de ses fils paraissant faire preuve de meilleures dispositions à l'égard du maître allemand. Les chefsFredMUANGEMUKURI et MPONDOEDJENGELE furent aussi destitués et remplacés respectivement par PeterMUKURIMUANGE et KWA ELAME. Au courant de l'administration catastrophique des fonctionnaires du protectorat, le Secrétaire d'Etat aux Colonies Bernhard DERNBURG révoqua Jesko VON PUTTKAMER de ses fonctions en mai 1907 et le remplaça par Théodore SEITZ dont la mission fut de replacer les camerounais au coeur du développement de la colonie tout en préservant l'autorité des chefs. SEITZ qui connaissait bien les Duala pour y avoir été le premier chef de district de 1895 à 1899, promit dès sa première réunion de transformer les localités de Douala en municipalités avec une gestion minimum et d'amnistier le King AKWA et ses chefs si ces derniers s'engageaient à ne plus opposer de résistance au gouvernement colonial. Le King AKWA rejeta cette proposition. Au bout du compte et sans avoir obtenu du King AKWA un quelconque engagement, il libéra DIKA MPONDO et l'ensemble de ses chefs et notables le 20 décembre 1907 après une année de détention pour soi-disant bonne conduite alors que cela avait été ordonné par la chancellerie à Berlin. Par contre, il refusait catégoriquement de rétablir le King DIKAMPONDO sur son trône et menaçait d'exil quiconque s'opposerait encore à l'administration coloniale.Lorsque la procédure d'expropriation fut décidée en 1911, DIKAMPONDO prit aussitôt la tête de l'opposition et s'employa à soulever le Ngondo contre cette décision. L'agitation à laquelle le King AKWA se livra et les correspondances de son fils LudwigMPONDOAKWA retrouvées dans son Palais au cours d'une perquisition lui valurent en septembre 1911, une condamnation à huit mois de prison.Les courriers saisis contenaient de violentes attaques contre le colonialisme allemand; ils révélaient aussi le lien entre MPONDOAKWA et la chute du gouverneur PUTTKAMER et ses relations avec des parlementaires de Berlin à l'instar du centriste MathiasERZBERGER et du socio-démocrate August BEBEL, deux des critiques les plus réputés du régime colonial allemand.Mais afin que le King AKWA ne perturbe le transfert des autochtones du plateau Joss qui était imminent, on l'exila ensuite à Campo pendant plus de deux ans où le début de la guerre en août 1914 le trouva. Durant son exil, moult avantages parmi lesquels son rétablissement au trône lui furent proposés par l'administration coloniale s'il adhérait totalement à l'expropriation. Sa réponse fut bien entendue « NON ». Arrivé au Cameroun en juin 1911 pour la concrétisation de ses projets, LudwigMPONDOAKWA fit vaciller toute l'administration coloniale. Il avait au plan économique, prévu une organisation centralisée du commerce et de l'agriculture dans la région du Littoral.Politiquement, sa vision allait dans le sens d'une gestion raisonnable des régimes coloniaux à travers l'implication progressive des représentants africains dans les prises de décision. Aussi, son idée d'un grand Etat Duala sur la base de l'hégémonie précoloniale sur les ethnies voisines et ne dépendant pas des Européens était totalement avérée. Le témoignage ci-dessous du chef du district de Douala, HermannRÖHM qui filait ses faits et gestes présageait déjà des difficultés auxquelles l'administration coloniale allait être confrontée : « Mpondo était comme le guide, le porte-étendard et le libérateur du peuple Duala dans toutes les bouches. Son apparition enflamma Douala à tel point que, comme une traînée de poudre, toutes les couches de la population indigène furent entremêlées avec ses idées et espérances révolutionnaires, politiques, sociales et économiques même si elles dénotaient en partie d'une certaine originalité. Son nom, sa personne, son apparence, ses manières conscientes de soi face à ses gens, intrépides et habiles vis-à-vis de l'autorité administrative, même si aussi déférentes apparemment, ont entraîné tout le monde dans le mouvement, une partie entraînée aveuglément pour lui. » Finalement, l'ampleur que prirent ses idées fédératrices le long de la côte décidèrent les hauts fonctionnaires coloniaux à se débarrasser de lui au plus vite. MPONDO AKWA est finalement arrêté le 22 septembre 1911 et détenu au commissariat de Bonanjo sur la base de fausses allégations faites vraisemblablement par son frère, le chef régent DIBUSI DIKA selon lesquelles il aurait ramené des armes afin de provoquer une rébellion et probablement livrer le Cameroun aux Anglais. Accusé en plus de propagation de rumeurs quant à l'expropriation, il fut au bout du compte condamné à 10 mois et 3 semaines de travaux forcés. En réalité, c'était le succès lié aux adhésions massives et aux collectes d'argent organisées par MPONDO AKWA au profit de la « Société agro-commerciale Bonambela » qui faisait peur. Il faut dire que la collecte s'étendait le long de côte et se faisait très souvent au détriment du paiement de l'impôt. Au vu du danger politique que représentait sa réapparition à Douala, le nouveau gouverneur EBERMAIER proposa au département colonial de l'exiler au moins pour une année, ce qui fut approuvé. En août 1912,LudwigMPONDOAKWA fut transféré à Banyo dans le nord du pays où il fut maintenu en détention.Mais après une tentative d'évasion en avril 1913, il fut rattrapé et condamné à 3 ans d'enchainement en juin de la même année. On le déporta à Ngaoundéré, loin de la frontière Nigériane et du résidant allemand de Banyo vraisemblablement acquis à sa cause, pour y purger sa peine. La fin du mois de septembre 1911 sonnait comme une victoire pour l'administration coloniale allemande qui venait d'atteindre un de ses objectifs majeurs en mettant hors d'état de nuire le King AKWA DIKA MPONDO et son fils Ludwig MPONDO AKWA, deux des trois grosses personnalités Duala de cette époque capable de faire basculer le projet allemand.Raison pour laquelle les chefs Duala ne furent officiellement informés du projet d'expropriation qu'au cours des deux assises convoquées les 24 et 30 octobre 1911 par le gouvernement. La troisième personnalité Duala était le chef supérieur Rudolf DUALA MANGA BELL sur qui l'administration coloniale avait misé pour faciliter le processus. Mais contrairement aux attentes des autorités allemandes, le Prince RudolfDUALA MANGA BELL qui avait pourtant bénéficié du même traitement de faveur que son feu père, prit plutôt la tête de la protestation Duala en s'opposant, en dépit du prix à payer, à l'expropriation des terres ancestrales.Le feuilleton sous la houlette du Prince DUALA MANGA BELL débuta le 30 novembre 1911, lorsque le premier télégramme Duala arriva au Reichstag demandant l'annulation de l'expropriation et se termina tragiquement le 08 août 1914 par sa pendaison. Le Prince DINDIKAAKWA et le Roi Rudolf DOUALA MANGA BELL furent lui aussi destitués par l'administration coloniale allemande. * 631Ibid., pp. 81-82. * 632 Kumi. * 633 Ibid., pp. 83-84. * 634 Prince NGANDO EBONGUE AKWA, « Succession des rois et chefs supérieurs Akwa ». Article publié en mai 2014 sur le site www.PeupleSawa.com et consulté le 9 février 2021. * 635 Le 6 février 1905, le King Akwa fut condamné à cinq mois de prison avec travaux forcés en dépit de l'accord formel qu'il avait conclu en début d'année 1904 avec l'homme d'affaires Allemand Max Esser. La convention stipulait que ce dernier lui verserait 500 Mark par source de pétrole découvert, en dehors du prix de vente, dans toute sa zone d'influence jusqu'en décembre 1904. Le problème est né du fait que le chef du district von Brauchitsch voulait absolument attribuer à Manga Bell les droits de perception d'un quatrième puits qu'il situait dans le territoire Bell alors que celui-ci se trouvait, à l'instar des trois premiers, dans la zone Bassa (Logbaba) ou le King Akwa et ses ascendants avaient une hégémonie précoloniale. * 636 SPD : socio-démocrates. * 637 Zentrum Partei. |
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