L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
ANNEXESPROTOCOLED'ENTRETIEN GUIDE D'ENTRETIEN I-IDENTIFICATIONDE L'ENQUÊTE 1-Nom et prénom Âge ou groupe d'âge 3-Sexe 4-Occupation professionnelle 5-Lieu de résidence II-SUR L'HISTOIRE POLITIQUE DU CAMEROUN *Comment déterminer la création des chefferies (la date de création) au Cameroun sachant que les communications étaient orales ? *Sur quoi se base-t-on pour déterminer l'ancienneté d'une chefferie vu qu'on n'était pas encore en contact avec l'Occident ? *Quels sont les rapports des chefs traditionnels avec les administrations postcoloniales ? *Quelle est votre perception de l'administration coloniale allemande ? *Quel est l'impact de cette dialectique sur l'histoire politique du Cameroun de nos jours ? III-SURLES CHEFFERIES DUALA * Quelle était la perception de l'administration coloniale par les chefs Duala ? * Quelle était la perception du Roi Bell ? * Quelle était la perception du RoiAkwa ? * Quelle était la perception du RoiDeïdo ? * Cette perception est-elle pertinente ? * A quoi renvoie la convention de réconciliation du 29 mars 1883 ? * A quoi renvoie l'accord commercial du 30 janvier 1883 ? * Quelle monnaie était le plus souvent utilisée ? Si oui, pourquoi ? * Combien percevaient les chefs Duala ? * Quelle était la fréquence salariale des chefs Duala ? * Existe-t-il des photos des chefs traditionnels Sawa avec des uniformes allemands ? * Pourquoi les chefs Duala ne s'entendaient pas entre eux ? (Rive droite/rive gauche) * L'arrivée des étrangers non Duala à Douala est-elle à l'origine de la diversité des allégeances politiques ? * Pourquoi Douala est perçue comme une ville « rebelle » ? IV - SUR LE ROYAUMEBAMOUNBAMUN * Peut-on dire que le pouvoir politique traditionnel BamounBamun a toujours collaboré avec le régime en place ? * D'où vient la tradition des arts et de l'artisanat chez les BamounBamun ? Pourquoile Roi Njoya a-t-il encouragé cela ? Quel était le but recherché ? * Quelle était la perception du Roi Njoya à propos de l'administration coloniale allemande ? * Comment était perçu le Roi Njoya par l'administration coloniale allemande ? * Y'a-t-il des ruines de l'ancienne forteresse ou des traces des tranchées où il y a eu des combats dans le passé ? * Est-ce-que l'islam tel qu'il est pratiqué aujourd'hui chez les BamounBamun est encore teinté de croyances traditionnelles pré-islamisation ? ÉBAUCHE DE LA CARTE DE L'ESTUAIRE DU WOURI ET DES RIVIÈRES ILLUSTRANT DOUALA AUTOUR DE 1850.
TOPONYMIE DES TERRITOIRES LITTORAUX DUALA.
LE NGONDO. LE NGONDO Assemblée traditionnelle du peuple Duala Maurice DOUMBE - MOULONGO ORIGINE DU NGONDO Novembre 1949. Le Conseil de tutelle de l'O.N.U. envoie au Cameroun sa toute première mission de visite. Entrée au territoire par Mora le 12 novembre, cette mission en sort par Douala, le 27 novembre 1949, emportant dans ses malles et valises près d'une centaine de pétitions recueillies au cours de sa traversée de notre vaste et beau pays. Au nombre de ces pétitions, il y eut celle du Ngondo. Qu'est-ce-que le Ngondo ? C'est l'assemblée traditionnelle du peuple duala. Son existence est antérieure à l'arrivée, en 1843, des premiers missionnaires à Douala. Son année de création peut se situer approximativement en 1830, soit une quinzaine d'années avant la mort, en juillet 1845, de Ngando a Kwa, roi des Akwa à l'époque. A Douala, en effet, l'on accorde à celui-ci l'honneur immédiat d'être le « père » du Ngondo, et cela généralement. Dans quelles circonstances fut fondée l'autre organisation ? C'est ce que nous allons tenter d'établir. Il y avait autrefois à Pongo, au Nord-Ouest de Douala, un colosse qui passait pour titan et qui semait la terreur dans les marchés périodiques. On l'appelait Malobè Elamè, ou Malobè tout court. Malobè commettait toutes sortes d'abus et d'exactions. Et ses principales victimes étaient les Duala stricto sensu. Dès que ce monstre apparaissait, le marché tout entier entrait en effervescence. On entendait alors crier de toutes parts : Malobè a o don ! Malobè a o don ! « Malobè est (là) au marché ! Malobè est (là) au marché ! » (Sous-entendu : « Que chacun se tienne sur ses gardes ! » « Sauve qui peut ! ») Les principaux dignitaires des quatre clans duala, accompagnés de leurs notables, se réunirent afin de rechercher ensemble une solution satisfaisante à cette affaire d'honneur. A tout prix, il fallait réparer l'impardonnable offense. Cette assemblée du peuple reçut le nom de Ngondo, du même mot qui désigne en langue duala le cordon ombilical reliant encore le nouveau-né et sa mère, après la délivrance (1). De cette image, les Duala tirèrent l'idée du lien devant les unir dorénavant. Ainsi le Ngondodevint le symbole de leur unité, la concrétisation d'un front uni appelé à défendre l'honneur du peuple, aussi bien à l'intérieur qu'à l'étranger. Le même jour, les Duala délibérèrent pour choisir dans une proche banlieue du pays, un Bakoko de Japoma, nommé Engomga, comme leur vengeur (à gages) de l'outrage jusque-là subi aux marchés de Pongo, Engomga était lui-même un colosse très fort, doublé d'un sorcier. Les Duala provoquèrent entre lui et le titan de Pongo un duel à coups de poings. Engomga eut raison de Malobè. Il le maitrisa, l'envoya à fond de cale d'une grande pirogue et le ligota solidement. Puis les Duala emmenèrent chez eux la terreur des marchés de Pongo, et le livrèrent aux...négriers. Pour toujours ! Mais la mémoire de Malobè reste immortalisé dans les vers suivants d'une de ces innombrables improvisations des troubadours du littoral camerounais : Malobè a si wèli Engomga : « Malobè n'a pas su résister à Engomga ». On entend encore ce refrain au cours de maintes cérémonies traditionnelles des Camerounais de la côte, à travers les captivants grelots des tambours-parleurs, notamment lors des compétitions sportives sur le Wouri ainsi qu'à l'occasion de la lutte duala, à l'heure incomparable, plus que solennelle, où d'invincibles héros (2) font sur les cours poudreuses et ensoleillées de décembre, l'exhibition de leur force comme de leurs pagnes étincelants... On le retrouve dans plus d'un conte des habitants des rives du Wouri, du Mungo, d'Abô et de la Sanaga. Enfin, le nom de Mabè est surtout demeuré célèbre dans les circonstances suivantes : dans ces contrées, lorsque quelqu'un se trouve en présence d'une épreuve ou d'une difficulté majeure, ou devant un de ces multiples cas embarrassants de la vie, ou devant les conséquences (fâcheuses) de ses propres actes, il est courant d'entendre les autres le plaindre et lui dire, parfois avec quelque pointe d'ironie : « Malobè a o don ». « Malobè est là ! » (Prenez vos dispositions, faites tout pour vous tirer d'affaire !). Voilà pour l'historique de la création du Ngondo, tel que nous l'ont fait quelques vieux Duala. Dans quelques années, les hommes de cette génération ne seront plus de ce monde. Or, notre conviction profonde est que de très nombreux Duala de notre époque ne savaient pas jusqu'ici un seul mot de l'origine du Ngondo. Ce Ngondo sacré qui, hélas ! est devenu, de nos jours - par certains côtés seulement, il est vrai - l'occasion par excellence de festivités bachiques, de manifestations populaires truculentes, d'apparat grossier et vulgaire. Hélas ! CHAPITRE II : SES ACTIVITÉS JUDICIAIRES, AUTREFOIS Quoiqu'il en soit, de l'union des populations duala, le Ngondo se fit la main vengeresse de leur humiliation à Pongo. Puis il devint, très vite, l'organe qui devait réprimer les meurtres suivant la loi du Talion : « Vie pour vie, dent pour dent, oeil pour oeil... » Ceci, quel que soit le rang social de leur auteur. Ainsi en fut-il, en 1876, d'Eyum Ebelè, prince de Deïdo qui, sur une sentence de ce tribunal du peuple, fut décapité et mis en pièces sur un banc de sable du Wouri, pendant la marée basse. Un des nombreux fils de Muduru Ebelè, nommé Dikongué Ebelè, voulant contester à sa manière un jugement rendu à ses torts et dépens dans un litige interne entre frères, avait en effet mis le feu aux poudres dans la maison où s'étaient réunis pour la circonstance les membres du conseil de famille. Tous périrent dans cette lugubre hécatombe. Le Ngondo, saisi de l'affaire, condamna à mort le criminel. Mais Eyum Ebelè marqua publiquement son opposition à l'exécution de ce verdict afin, dans son esprit, d'empêcher l'extermination du rameau de son frère Muduru. A cause de cette opposition, c'est lui-même qui fut arrêté par le Ngondo, jugé puis abattu et mutilé au lieu et place du véritable assassin. Ainsi en aurait-il été vers 1883 du roi Ndumbè Lobè, dit King Bell, s'il n'y eut l'agissante complicité d'Ed. Schmidt, agent à Douala de la firme hambourgeoise C. Woermann, qui le protégeait discrètement. En effet, King Bell avait été accusé devant le Ngondo, par Sôpô Priso Ekambi, d'avoir comploté (3) avec ses hommes de main le meurtre en haute mer (4) d'une grande figure de Bonapriso, Priso Ekambi, alors que celui-ci revenait de ses fermes du Mungo, en pays Balong. Juste la veille du jour où il devait être conduit à l'atroce et suprême supplice, Ndumbè Lobè, parvint de nuit, à gagner Bwadibô, sur la rive droite du fleuve. De là, il atteignit aisément l'île de Bota, au large de Victoria, dans la partie méridionale du pays. Farouche partisan de la présence allemande au Cameroun (certes après l'échec cuisant de ses multiples et pressantes démarches en ce sens auprès du gouvernement de Sa Majesté Britannique, entre 1864 et 1881)5, il ne retrouvera son trône et son royaume qu'avec le concours et l'appui de l'amiral allemand Knorr (6), quelques jours seulement avant l'arrivée des plénipotentiaires du Reich, venus parachever la négociation des termes du protectorat de leur au Cameroun. Durant tout le temps de son exil à Bota, le roi Ndumbè Lobè entretint une correspondance assidue avec le gouvernement allemand, par l'intermédiaire de l'agent Ed. Schmidt (7). L'histoire duala retient et admet dès lors, d'une manière générale, que c'est en partie grâce à la fuite du roi Bell devant l'arrêt de mort prononcé contre lui par le Ngondo, que le Cameroun doit d'avoir été protectorat allemand... Aux dires de certains chroniqueurs duala, le retour au pays du roi Bell se déroula pacifiquement sans que la canonnière « Möwe » à bord duquel il se trouvait eût à tirer le moindre coup de feu. Pour d'autres, le roi, désireux de se venger de ses ennemis conjurés, incita ses « alliés » allemands à user de représailles envers eux. L'amiral allemand Knorr eut alors à briser une forte résistance armée de la part de la coalition des Bonapriso et des Bonabéri qui prirent en otage et tuèrent un Allemand du nom de Hammer... Et QUE LES Allemands ne parvinrent à capturer Sôpô Priso Ekambi, le chef de l'armée des confédérés, surnommé Dimañ (8), qu'après qu'un traître leur eut dévoilé son secret. Il avait suffit - mais il avait fallu - raconte-t-on, centrer un obus vers l'astre du jour, pour pouvoir atteindre Sôpô Priso Ekambi, alias Dimañ, car, toujours selon la légende, c'était là son refuge (mythologique) le rendant invisible et indomptable. L'amiral Knorr fut chargé de protéger le roi Bell contre les foudres du Ngondo jusqu'à la signature des traités et plusieurs semaines encore après cette formalité. L'administration en place fit le reste, pour assurer la sécurité du roi tant qu'elle serait nécessaire, jusqu'au bout... Plus tard, le Ngondo déborda le cadre duala « stricto sensu » et devint l'assemblée traditionnelle de tous les côtiers du Cameroun. A présent, en est membre naturel et de droit, tout natif de la région du littoral camerounais. L'administration allemande, sans le dissoudre officiellement, mit néanmoins quelque peu le Ngondo sous l'éteignoir, en restreignant ses activités, surtout judiciaires, considérées alors comme contraires à la morale chrétienne. En fait, depuis l'arrivée des Allemands dans le pays jusqu'à ce jour, le Ngondo n'a plus rendu une seule sentence de mort. A propos de ses autres attributions, les Allemands durent raisonner ainsi : « Plus de Ngondo ! Pas de gouvernement parallèle ou concurrent ! Pas d'Etat dans l'Etat ! Au reste, ces gens ne nous ont-ils transmis la totalité de leurs pouvoirs ? » Et pourtant, c'est le Ngondo qui s'était réuni sans désemparer, durant tout le mois de juin et pendant toute la première moitié de juillet 1884, aux fins de décider le peuple duala à accepter la présence allemande en renonçant à la préférence - inflexible - de certains de voir plutôt s'installer dans le pays une administration britannique ! Encore que la Couronne britannique elle-même eût déjà réservé une fin de non-recevoir catégorique aux démarches réitérées de quelques chefs duala implorant son protectorat sur le pays... L'administration française, quant à elle, fit preuve de bienveillance et de bon sens en autorisant en 1949 la renaissance officielle du Ngondo, regardé comme un organe original d'entretien et de conservation des traditions du peuple. A une seule condition : c'est que ce mouvement ne puisse jamais avoir à sa tête qu'un seul chef traditionnel du pays. Et pour cause. Vous comprenez bien que c'était là l'une des exigences majeures de l'administration dite indirecte. Grâce aux excellentes relations qui existaient alors entre M. Raoul, chef de la région du Wouri à l'époque et le chef supérieur E. Betoté Akwa, le « réveil » du Ngondo s'en trouva facilité, d'autant que c'était le tour de ce chef d'en recevoir la direction, en remplacement du président sortant, le chef supérieur Lobè Bell. La présidence du Ngondo est en effet tournante entre les différents cantons duala tandis que les fonctions de secrétaire, également rotatives, sont assumées par un responsable pris dans un canton autre que celui dont est originaire le président en exercice. Dans les faits, cependant, pure théorie que cela ! Les deux personnes du président et du secrétaire du Ngondo demeurent immuables depuis leur installation en 1949. Pourquoi cela ? A Douala on vous répondra : « Ils conservent jusqu'ici la confiance du peuple entier... ». CHAPITRE III : SES ACTIVITÉS POLITIQUES AVANT ET PENDANT L'OCCUPATION ALLEMANDE Assemblée traditionnelle ? A vrai dire, le Ngondo n'avait nulle vocation à exercer des pouvoirs politiques, législatifs ou diplomatiques quelconques. Son rôle devait fondamentalement se borner, singulièrement avant sa mise en veilleuse par les Allemands, à trancher en premier et dernier ressort, sans appel, les graves affaires de pratiques de sorcellerie, de trahison du peuple ou d'atteinte à l'union des Camerounais de la côte. A l'origine, c'était une espèce de Cour Suprême en matière criminelle exclusivement. Mais son glissement vers la politique se fit de plus en plus irrésistible au point de devenir inévitable. Ce lent glissement prit corps à partir du moment où les Duala se mirent à sentir l'amer goût des réalités coloniales. Oui, à Douala, le peuple s'était jusqu'ici accoutumé à une administration étrangère par les consuls, c'est-à-dire apolitique par définition, lâche, lointaine, très souple à volonté. Il avait dès l'origine, et de très bonne foi, souhaité la présence d'une autorité exercée du dehors, sans trop savoir lui-même sur quel socle précis elle allait reposer. En toute hypothèse, l'on imagine sans peine qu'il n'avait point désiré l'avènement d'un pouvoir de type colonial pur. Cette supposée restriction devait avoir eu pour dessein de lui garantir une protection totale, effective, ainsi qu'une large dignité humaine impliquant le respect sacré de l'individu quel qu'il soit. Déchiré que lui-même était tous les jours par des querelles intestines sanglantes, le peuple duala avait, sans aucun doute, dû ressentir le besoin d'être départagé équitablement par un arbitre provenant d'une autorité exempte d'intrigues comme des procédés caractéristiques de la souveraineté de type classique. Par-dessus tout, il avait voulu et admis l'installation d'un pouvoir étranger d'éthique chrétienne, agissant d'après les préceptes du Christ sur l'égalité et la fraternité entre les hommes, sur l'amour du prochain, la bonté, et tout le reste... A preuve : les passages suivants extraits d'une lettre commune adressée le 6 novembre 1881 à Sa Majesté la Reine d'Angleterre, par les rois Akwa et Bell : « Nous avons appris que vous êtes un bon chrétien... J'espère que vous prendrez ce sujet en profonde considération et ferez tout ce que vous pourrez pour l'amour de Dieu... Aussi pensons-nous que le mieux est de remettre ce pays à vous, les Anglais, qui sans doute apporterez la paix, la civilisation et le christianisme dans le pays... » Certes, ce pouvoir ne fut pas anglais, comme ces deux rois l'avaient initialement espéré. Mais il était allemand. C'est dire qu'il était tout aussi chrétien. Le roi de Prusse ne fut-il pas l'un des éminents fondateurs et principaux signataires à Paris, le 26 septembre 1815, de la Sainte Alliance inspirée à l'empereur Alexandre 1er par Madame de Krüdener « au nom de la très sainte et invisible Trinité » ? Qu'importe, au reste, que ce pouvoir fût allemand, anglais, espagnol, italien, portugais, ou français, etc... ! De quelque puissance eût-il été l'émanation, cela n'eût rien changé, strictement rien ni dans le « processus traditionnel » ni dans la conjoncture... Pensées ingénues, donc, illustrant merveilleusement chez ces braves gens, une ignorance crasse de l'avenir ! On était bien loin du compte ! L'innocent peuple Duala ne se doutait alors pas de l'existence d'un système colonial conventionnel, homogène, mis au point universellement : travail forcé, climat de terreur et d'inquisition, justice expéditive, ségrégation raciale éhontée, répression tyrannique, etc. Très tôt, le mot « protectorat » apparut sous son vrai jour, résonnant de ses plus purs accents, profilant partout le spectre hideux du colonialisme parfait, que dis-je intégral. Protectorat ! Protectorat ! Ne fus-tu donc, après tout, dans ton contenu, qu'un vulgaire et cruel euphémisme ? Qu'une illusion, combien naïve, qui avait germé dans l'esprit d'un peuple désenchanté, à propos du caractère prétendument philanthropique d'une administration étrangère, quand bien même cette dernière serait fondée sur les principes mitigés du protectorat ou de la tutelle ! Ah ! C'est étrange, comme l'histoire de la colonisation s'apparente et se ressemble dans le temps et dans l'espace. A quelques nuances près, il faut en convenir : même volonté d'asservissement, même racisme impénitent, même avilissement de l'être humain, mais aussi mêmes combats pour la liberté... Ainsi furent amèrement déçues et l'attente et l'espérance des Duala des années mil huit cent... D'autant plus amèrement qu'à l'inverse de ce qui s'était passé ici et ailleurs en Afrique, eux avaient réclamé, voulu, favorisé, bousculé la venue des colonisateurs. Eux, au moins, avaient tôt compris l'inutilité qu'il y avait à résister, par la force ou n'importe comment, à l'implantation de cette hydre à deux têtes (à deux têtes seulement : l'une monstrueuse, l'autre magnanime) et qui avait nom : colonisation. Mais au départ, cette sagacité ne leur faisait-elle pas marquer des points ? Plus tard, cela les mettra d'autant à l'aise pour dénoncer la satiété, urbi et orbi, les méfaits, d'un mot tout le côté négatif de la colonisation. C'est ainsi que ce peuple, depuis l'autel de son assemblée traditionnelle, ne tardera pas à affirmer dans le pays sous occupation étrangère comme le tout premier bastion de la réaction, de la résistance et de la lutte anticolonialistes, disons par le fait même du double aléa de la géographie et de l'histoire. Cela, dès les premières années du protectorat allemand. Ce qui, de bonne heure, ne lui vaudra guère pas que des amis, au cours de son destin passé. Il s'en fallait de beaucoup. Placé aux avant-postes au gré de la Providence, peuple martyr parmi les plus martyrs, il lui en coûtera surtout bien de sacrifices en vies humaines - et tant d'autres encore - qu'il ne nous revient pas de décrire ici. Ce sera peut-être pour une autre fois, en une autre et meilleure occasion. Dès avant la fin de la deuxième décennie de la présence allemande, donc, rois, princes et peuple réunies sous les auspices du Ngondo, furent unanimes à considérer que, dans la pratique, l'administration protectrice violait ouvertement, si l'on ose dire, le Traité du 12 juillet 1884, lui-même négocié, comme on sait, du côté duala, sous la direction de l'assemblée traditionnelle du peuple. Voici quelques-uns des huit points du protocole d'accord dont était assorti ce Traité célèbre et formulant des voeux précis de la population duala : « 4) - Notre terre cultivée ne doit pas nous être arrachée parce que nous ne sommes pas capables d'acheter et de vendre comme d'autres pays... » « 6) - Nous continuerons à élever nos bouledogues, cochons, chèvres, volailles, comme cela se passe maintenant... » Juillet 1902. Dix-huit ans après l' « annexion », probablement même jour pour jour, le Ngondo organise dans les quatre quartiers une souscription populaire, à raison d'un demi-mark par personne adulte et valide. Le produit de cette quête est destiné à couvrir les frais de voyage et de séjour, en Allemagne, d'une importante délégation ayant reçu mission d'exposer les doléances du peuple et de remettre en mains propres, au roi de Prusse, la toute première pétition duala. Cette délégation comprend : 1 - du côté Bell : le chef supérieur Manga Ndumbè et le notable Eyum'a Njembèlè (9) ; 2 - du côté de Akwa : le chef supérieur Dika Mpondo, son fils Mpondo Akwa, conseiller, et le notable Mukudi Muanguè de Bonakuamuang ; 3 - du côté Deïdo : le chef supérieur Epée Ekwalla et le notable Dikonguè Môni de Bonamuduru. A la dernière minute, le chef Kum a M'bapê, de Bonaberi, avait fini par renoncer à ce long déplacement. Les Akwa et les Deïdo quittèrent Douala en septembre 1902, quelques jours après les délégués de Bell qui les avaient devancés. L'essentiel de la mission accompli, le gros de la délégation s'empressa de rentrer au Cameroun, laissant seul à demeure en Allemagne, Mpondo Akwa, mieux placé que quiconque pour intéresser ses nombreux amis à la plainte du peuple duala et prendre avec eux de fructueux contacts auprès de certains milieux politiques favorables, au sein du Reichstag, à l'amélioration du traitement des Noirs dans les colonies de l'Empire (10). En 1902, tout le peuple réuni en Ngondo décide par conséquent d'adresser des prestations à ce sujet à l'Empereur Guillaume II lui-même, sous forme de pétition. Le principal instigateur et meneur dans cette affaire est Mpondo Akwa, fils aîné de Dika Mpondo Akwa, l'un des principaux signataires du Traité du 12 juillet 1884. La pétition stigmatisait avec force les exactions du représentant local du Reich, le gouverneur général Von Puttkammer. En même temps, elle exigeait une scrupuleuse application de l'esprit ayant présidé à la conclusion des actes de 1884, savoir : une authentique protection des indigènes au lieu d'une autorité de fer et de terreur... Cette année 1902 précède de peu le début des mesures d'expropriation qui seront décidées à Douala par les Allemands, en mai 1906. Cela avait commencé par le quartier de Bonabéri, sur la rive droite du Wouri. Ces mesures ouvriront d'ailleurs la période du grave conflit Germano-Duala, laquelle se terminera avec la fin effective de l'administration allemande à Douala, le 28 septembre 1914. A partir de 1902, donc, le climat s'était déjà assombri dans les rapports entre Allemands et Duala. Les Allemands, en effet, avaient été désagréablement surpris de rencontrer auprès de leurs administrés, opposition et résistance en série, bref obstruction systématique à leurs moindres plans et projets, concernant la ville de Douala en particulier. Sans doute, ne s'y attendaient-ils que fort peu, convaincus qu'ils étaient d'avoir affaire à d'anciens pourvoyeurs d'esclaves, faciles à corrompre et à manipuler, en tout cas ayant prouvé autrefois leur extrême malléabilité. Or, la réalité était froidement tout autre. Car, nous l'avons vu, les Duala venaient de faire l'expérience de vingt années d'administration anglaise, d'une administration par des consuls, assortie d'une autorité ferme mais paternelle et conciliante, ignorant abus et exactions, soucieuse avant tout de mettre fin à la traite des esclaves. La transition ayant été presque nulle, l'épreuve de la toute première administration au vrai sens du terme - qu'elle fût du reste allemande ou non - devait forcément paraître très dure aux Duala. Ils la supportèrent, la mort dans l'âme. Aux exigences des Allemands, ils se mirent en devoir d'opposer des exigences. Ces raidissements réciproques de position expliquent assez clairement aujourd'hui les « méthodes fortes » qu'on reprocha aux Allemands, surtout vis-à-vis des Duala. Or, c'est bien dans le Ngondo, âme, foyer et levain de la résistance anticolonialiste, que le peuple duala autrefois divisé à l'envie, puisa en ces circonstances des plus graves de son histoire, toute la force de sa cohésion et de son courage. Mais revenons-en à la pétition du Ngondo auprès du Reich. Elle chargeait lourdement et plus particulièrement le représentant de l'Empire à Douala pour le Cameroun et le Togo, le gouverneur général Von Puttkammer. Sans épargner l'administrateur de la région de Douala, à l'époque, Von Brauchitsch. Le gouverneur général, lui, était le fils d'un ministre d'Etat du chancelier Bismarck et neveu du ministre de la guerre Von Papen. C'est dire de quelles puissantes protections il pouvait bénéficier. L'examen de la plainte Duala dura environ trois ans. Retour de l'exposition de Berlin de 1905, le gouverneur général Von Puttkammer s'entendait rappeler sans délai en Allemagne où, semble-t-il, il devait être admis d'office de ses fonctions. Le fait est qu'il ne revint plus jamais au Cameroun. Comment s'étonner dès lors que cet ancien gouverneur général en soit arrivé à vouer aux Duala une haine mortelle, au point d'écrire au sujet de ses ennemis déclarés : « ... qu'il aurait mieux valu les exterminer ou les déporter lors de l'arrivée des Allemands mais qu'il était maintenant hélas trop tard » (11). Très curieusement, plusieurs dizaines de Duala seront déportés dans les années 40, vers des régions lointaines du Cameroun au climat et au régime alimentaire des plus inadaptés pour eux. Beaucoup y mourront sans plus jamais revoir Douala. Pendant ces même années 40, indépendamment de multiples arrestations policières et de nombreux cas d'emprisonnement de patriotes à Douala même, il y eut la fusillade, à l'aube, devant la « poudrière » de la ville, de Dikonguè Meetom, notable de Bonakouamouang. Motif : « germanophilie ou intelligence avec l'ennemi allemand ». C'était, cette fois, sous l'occupation française. Hélas ! Von Puttkammer ne sera plus là, peut-être même plus de ce monde, pour voir, ô paradoxe, comment son vieux rêve devait se réaliser, fût-ce en partie, mais alors pour des considérations... qu'il n'eût certainement plus approuvées, parce que diamétralement opposées à ses propres intérêts ! Pauvres Duala, inconstants et insatiables ! Voire ! A moins que ce ne fut, ici encore, la même ancienne allergie, le même « épidermisme » au même colonialisme, seul le manteau ayant changé depuis 1916... Pour ce qui est de l'administrateur en chef Brauchitsch, conseiller du gouverneur général et chef de la circonscription de Douala, il fut, nous raconte-t-on, condamné... au paiement d'une amende de 1000 marks ! La pétition du Ngondo avait porté ! Mais, comme le dit si bien une maxime duala : Bakala na bakala ba si ma wutanê tamba. Littéralement cela signifie : « Les Blancs ne s'ôtent pas le chapeau entre eux » ; et au figuré : « Le Blanc marche toujours sur les traces de ses prédécesseurs, il tient toujours compte de leurs opinions, de leurs avis, de leurs appréciations sur les hommes et les faits ; entre eux, les Blancs ne se déjugent pas, ne se contrarient pas, même lorsqu'ils sont des ennemis avoués entre eux, et cela dès qu'il s'agit d'affaires concernant les Noirs ».Ainsi, les successeurs de Von Puttkammer ne furent pas prêts à oublier le grave affront qu'il avait essuyé et auquel eux-mêmes pouvaient s'attendre, d'un moment à l'autre. Ils tinrent, de plusieurs manières, à venger cet illustre enfant de l'Empire. En voici une, choisie au hasard parmi tant d'autres : Mpondo Akwa, chef incontesté de la délégation de son pays en 1902, fut obligé de rester en Allemagne jusqu'en 1911, soit pour suivre sur place les affaires de Douala, soit sur le conseil de ses amis allemands, sociaux-démocrates pour la plupart. Semble-t-il, ces derniers l'avaient adjuré de ne pas retourner immédiatement dans son pays, de crainte d'être pris au filet. Dès son retour en 1911, on s'empressa de tisser contre lui toute une histoire, dans les formes classiques. Sur dénonciation calomnieuse savamment préméditée, on l'accusa d'avoir tenu des propos anti-allemands. Une procédure sommaire et expéditive le fit condamner à la déportation à Banyo d'abord, à Ngaoundéré ensuite. La déclaration de guerre le trouvera dans cette dernière ville en 1914, comme détenu politique. Or, un jour d'août 1914, sous ombre qu'il avait tenté de s'évader de sa cellule, des tirailleurs reçurent l'ordre de tirer sur lui. Alors qu'en réalité, Mpondo Akwa allait, comme d'ordinaire, c'est-à-dire sous bonne garde, se baigner dans la rivière toute proche. Pendant des années, l'autorité administrante le porta disparu et se refusa même à révéler aux Duala le sort véritable qui fut le sien. C'est bien plus tard, à la suite d'enquêtes et recherches multiples menées par sa famille, que tout le monde fut enfin péniblement convaincu de sa mort, dans les conditions plus que tragiques qu'on connaît... Pour avoir, à l'exemple de son père, dit « non » au régime abject du colonialisme ainsi qu'à ses tenants ! 1905. Le gouvernement allemand met au point un plan d'urbanisme de la ville de Douala. Quelques années plus tard, les Français retrouveront ce document et l'appelleront « plan cadastral allemand », par ailleurs excellent et unique dans son genre au Cameroun, du moins à l'époque. Pour le mettre à exécution, l'administration locale doit procéder à des expropriations en règle, pour cause d'utilité publique. La première tranche de la procédure s'effectue en 1906, d'abord à Bonabéri, sur la rive droite du fleuve, sans difficulté (12). Dès 1911, une entreprise identique est envisagée pour les trois cantons de la rive gauche : Bell, Akwa et Deïdo. Ici, le projet se heurte aux protestations les plus énergiques de toute la population, contenues dans des pétitions successives adressées jusqu'au Reichstag entre 1911 et 1912. Malgré cela, les Allemands s'apprêtent à faire déguerpir, dans un premier temps, le canton de Bonadôo, et, au demeurant, le décret officiel paraît le 15 janvier 1913 pour 903 hectaresde terrains. Malheureusement, les indemnités proposées à cet effet sont si minimes qu'elles exaspèrent davantage encore les Duala et motivent de leur part une opposition généralisée. Une nouvelle fois, ceux-ci forment un front uni autour du Ngondo. Ils désignent Duala Manga Bell comme leur porte-parole et chef de la résistance. Le 8 mars 1912, Duala Manga Bell envoie au Reichstag, au nom du peuple, une longue lettre de protestation, mais aussi d'instantes prières. Auparavant, les Duala s'étaient constitué deux avocats défenseurs, l'un à Hambourg, l'autre à Berlin. Au fait, de quoi s'agissait-il ?D'éloigner à 5 km au moins à l'intérieur du pays tous les villages autochtones alors bâtis au voisinage immédiat du fleuve. De transformer ensuite les lieux ainsi vidés en quartiers résidentiels uniquement réservés aux Européens. Ouvrons la parenthèse pour noter tout de suite qu'en définitive, le déguisement des Africains du quartier de Bonadôo, appelé encore Plateau Joss, ou Bonanjô, se réalisera contre vents et marées 13. Ce quartier demeure, à ce jour, le principal centre administratif de la ville et, jusqu'en 1959 au plus tôt, soit à la veille de l'indépendance du Cameroun, il aura été en fait le quartier résidentiel des seuls Européens et assimilés, à l'exclusion de toute présence d'autochtones, apparaissant ainsi comme un exemple vivant, incontestable, de ségrégation raciale. Il reste vrai dire que l'essor très rapide de Douala rendra assez tôt ce quartier, en réalité le plus beau et le plus calme de la ville, insuffisant à l'habitat de tous les Européens. Force sera donc à bon nombre d'entre eux de résider également dans les quartiers d'Akwa (essentiellement commercial) et Deïdo, souvent à proximité des indigènes. Mais reprenons la trame du récit pour préciser qu'à la vérité, le projet allemand cachait secrètement des objectifs à peine voilés de ségrégation raciale. En effet, des médecins spécialisés avaient fait valoir auprès du Reichstag, le Parlement allemand, qu'une promiscuité entre Noirs et Blancs entraînerait fatalement, pour ces derniers, des risques graves de contamination de la malaria et de bien d'autres affections dites tropicales. Or, les Duala comptaient de nombreuses sympathies dans toute l'Allemagne. Très tôt, des amis sûrs et bien informés leur mirent la puce à l'oreille. L'indignation du peuple fut complète et eut pour effet d'aviver sa réaction catégorique à l'égard du projet. Dans leurs suppliques, les Duala avaient tenu à démontrer comment ce serait pour eux une question de vie ou de mort d'avoir à quitter la terre de leurs ancêtres, sur laquelle eux-mêmes avaient grandi. Il est difficile à quelqu'un d'autre de mesurer l'extrême douleur d'un homme habitué, depuis l'enfance, à vivre au bord de l'eau, à contempler le fleuve à toute heure, et qui, du jour au lendemain, se voit condamné à se priver de tant de joies intenses, difficilement explicables ! Face à ces scrupules et tant d'appréhensions, l'administration allemande argumenta que les ancêtres des Duala n'avaient pas toujours habité là ; que les Duala avaient d'ailleurs coutume de rester plusieurs jours ou des semaines entières dans leurs pêcheries ou dans leurs plantations ; qu'on allait leur bâtir une belle ville moderne ; que quinze minutes de marche pour arriver jusqu'au fleuve ne représenteraient tout de même pas un énorme sacrifice... Le moindre compromis était loin d'être réalisé ! Le 4 août 1913, intervenait la destitution, à titre temporaire, de Duala Manga Bell. Sa charge de chef administratif rémunéré sur les fonds de l'Etat avait été jugée incompatible avec son attitude hostile aux objectifs prioritaires de ce même Etat (14). L'affaire néanmoins reste au point mort et n'avance pas assez. Le 1er août 1914, éclate la première guerre mondiale. Entre-temps, le Ngondo avait dépêché en Allemagne Ngoso Din, secrétaire de Duala Manga, et l'avait chargé d'une « mission spéciale ». Les Akwa diront par la suite de n'avoir pas été mis au courant de cette « mission spéciale ». Ngoso Din, à son passage à Bordeaux et à Paris, aurait pris des contacts (mystérieux) avec certains milieux politiques français. Les Allemands n'avaient pas tardé à être alerté et, dès son arrivée sur le sol allemand, l'émissaire Duala était arrêté. A Douala même, la situation se complexifiait irrémédiablement et l'évolution de l'affaire tournait au tragique pour le chef de file de l'opposition. Celle-ci, en effet, avait connu, de manière subite, des développements d'un nouveau genre, et Duala Manga s'était vu accuser de haute trahison pour « entente avec des puissances étrangères et instigation des chefs de l'intérieur du pays à la haine et à la révolte contre l'Allemagne ». Le 7 août 1914, à 14 heures, Duala Manga et Ngoso Din étaient exécutés par pendaison dans l'enceinte du commissariat de police. Duala Manga Ndumbè a Lobè, petit-fils de Ndumbè a Lobè a Bebe, celui-là fut baptisé par tous les Duala le « père » du protectorat allemand au Cameroun ! Y aura-t-il eu plus belle et plus ironie du sort ? Mais sur ce drame historique, nous n'en dirons pas plus, tel n'étant point - Dieu nous en garde ! - notre véritable propos. Nous avons tenu tout simplement à évoquer quelques péripéties, dans le contexte particulier du rôle de haut niveau politique que le Ngondo a pu jouer dans un passé pas très lointain. Sans, pour ainsi dire, en avoir lui-même eu claire conscience. Ce faisant, il signait, de façon tout à fait inattendue, l'acte de naissance du nationalisme camerounais, annonçant alors la couleur par une voie absolument inédite. En dernière analyse, de quelle manière épiloguer sur tout ceci et que reste-t-il en substance à y condamner maintenant que les petits-fils et les arrière-petits-fils des Duala de l'époque sont devenus, quant à eux, capables de faire la part exacte des choses entre d'un côté ce qu'ils savent désormais des problèmes d'urbanisation des cités modernes - gage de leur développement harmonieux et de leur indispensable renommée - et d'un autre côté l'opposition aveugle, systématique à toute mesure d'expropriation organisée et soutenue jadis leurs honorables devanciers ? A notre opinion, tout le champ du possible reste ouvert : celui de la réflexion et de la critique. Celui de toutes sortes de spéculations juridiques ou doctrinales aussi. Tout tient pour l'essentiel à une question de forme procédurale. Déjà, autrefois, il y avait eu maints Allemands de bonne foi, sans doute appartenant à l'aile progressiste de l'Empire, qui n'avaient point hésité à flétrir à toute force le caractère inhumain du plan d'expropriation, en ce qu'à l'évidence, ce plan entendait essentiellement empêcher toute cohabitation entre Blancs et Noirs. N'empêche que des juristes avaient estimé devoir échafauder diverses thèses en faveur du principe même de la légitimité des expropriations ordonnées pour cause d'utilité publique, basant alors cette légitimité sur la pleine et entière souveraineté de l'Etat allemand dans l'administration du pays, à la suite de la totale abdication de leur propre autorité par les rois, chefs et notables duala. Ils justifiaient ainsi les mesures entreprises, fondées, selon eux, sur le strict droit européen. Et certes, les rois et chefs de la contrée avaient délibérément transféré à l'Etat allemand tous leurs droits et prérogatives de souveraineté, de législation et d'administration sur le territoire. Il n'en demeure pas constant, pareillement, que le Traité du 12 juillet 1884 est explicite en son point 3 qui édicte que : « Les terrains cultivés par nous, et les emplacements sur lesquels se trouvent des villages, doivent rester la propriété des possesseurs actuels et de leurs descendants ». Et de leurs descendants ! Ce membre de phrase à lui seul suffisait à exclure toute possibilité d'aliénation de terrains par n'importe quelle personne ou puissance étrangère, pour quelque motif fût-il, sauf acceptation préalable, librement négociée, des détenteurs. Dès lors, il était clair qu'aucune mesure de déguerpissement des Africains 16, pour légale et justifiable qu'elle ait pu apparaître sous le double aspect de l'utilité publique et du droit occidental, ne pouvait ni ne devait être décidée unilatéralement par la puissance de protectorat (protectrice par essence), sans préalable consultation des autochtones et, au besoin, intervention d'un protocole ou d'un addendum à l'acte juridique du 12 juillet 1884. A la limite, les Duala consentant collectivement à la mesure, le cas échéant, devenaient par la suite seuls habiles en droit à déterminer à leur totale volonté les conditions matérielles de l'indemnisation, en réparation des dépossessions ordonnées. Bien sûr, le régime de l'expropriation dans l'ensemble des territoires allemands du continent africain avait déjà fait l'objet d'une ordonnance impériale du 14 février 1903 prenant effet le 1er juin 1903 ; une décision de la section coloniale en date du 9 avril 1906 en avait arrêté les modalités pratiques d'application. Mais dans quelle mesure ces différents textes étaient-ils valablement opposables aux Duala ? Dans quelle mesure, au cas particulier des expropriations de Douala, se conciliaient-ils tant avec les termes qu'avec l'esprit du point 3 sus-évoqué du Traité du 12 juillet 1884 ayant force des actes diplomatiques ? Dans ce grand litige Germano-Duala, qui avait tort, qui avait raison ? Avouons notre propre embarras de pouvoir d'emblée répondre à une aussi délicate question, en toute objectivité. Avant d'essayer de nous y résoudre, un petit rappel historique s'impose. L'utilité publique invoquée en l'occurrence par l'autorité administrante visait, en premier lieu, la libre disposition par elle de terrains domaniaux nécessaires à l'implantation de ses services, puis secondairement à la résidence de ses principaux dirigeants et fonctionnaires - entendez expatriés. N'est-ce pas là les préoccupations prioritaires de toute puissance publique, qu'elle soit allemande ou non ? Elle reste, aujourd'hui encore, celle de nos propres gouvernants africains. A supposer même que l'expropriation du Plateau Joss ait tendu, dès l'origine, à quelque lotissement digne de ce nom, celui-ci ne pouvait qu'être assujetti aux règles courantes de tout programme urbanistique élémentaire, soumettant tout le monde à des normes précises et commune de construction. A ce prix, nos cases en matériaux provisoires devaient se voir condamnées sans ménagements dès la mise en jeu des mesures arrêtées, lesquelles devaient rendre pratiquement impossible le moindre investissement de la part des Africains. De ce fait, seules resteront intactes au quartier Bonanjô, frappées du sceau du privilège, quelques rares propriétés individuelles. Ce fut le cas des concessions, « valablement bâties », de la famille royale (à côté de l'immeuble du Palais de Justice), du très riche propriétaire duala de ce temps-là, Mandessi Bell, du regretté pasteur Modi Din et, naturellement, de la firme hambourgeoise Woermann. Étant donné le très faible niveau économique des Africains, il n'y eut aussi, maintenus à demeure, que les quelques particuliers européens vivant dans leurs maisons de style européen, c'est-à-dire construits en matériaux définitifs. La création du quartier Bali - destiné au recasement des déguerpis de Bonanjô - suivit immédiatement l'expropriation entreprise. On assistera à un processus à peu près analogue en 1937, lorsque l'administration française décidera d'importantes mesures de déguerpissement dans certaines zones particulièrement en vue du quartier Akwa où, par bonheur, une grande proportion de résidents autochtones étaient déjà propriétaires de villas plus ou moins modernes (pourvu qu'elles aient un toit de tôles et des murs en ciment) et détenteur de titres fonciers authentiques, opposables aux tiers. Ce qui explique la relative intensité des remous que provoqua cette deuxième vague de déguerpissements collectifs. Mais, sans doute aussi, le précédent allemand avait-il mieux aguerri les nouveaux maîtres du pays. Pourquoi pas ? Les Allemands avaient promis à leurs « protégés » duala une belle ville, autrement plus avenante que l'agreste cité antique de pêcheurs qu'ils trouvèrent à leur arrivée sur les rivages du Wouri. Et ceci, au moins, ne s'est guère démenti... Tout cela rappelé et précisé, une dernière question persiste néanmoins à l'esprit. Les règlements relatifs à l'expropriation pour cause d'utilité publique rendus en vigueur dans les possessions allemandes en Afrique, étaient-ils identiques à ceux-là mêmes qui étaient applicables sur les territoires du Reich ? Il y a, hélas ! Quelques raisons d'en douter ! Les règlements propres à l'Afrique avaient, selon toute vraisemblance, été conçus pour les Africains, à l'aune de leur « degré de civilisation ». Là résidait précisément la discrimination, le point d'ancrage de cette discrimination qui a toujours été et demeure jusqu'ici le responsable de tous nos maux, de tous nos malentendus. Mais en posant au préalable comme postulat que législation allemande en matière fut absolument une tant en métropole que dans les colonies, et que cette législation n'a pas évolué ou très peu - depuis 1903 (ce qui du reste est simplement et proprement impensable), tentons maintenant de procéder au moyen du parallèle, même sommaire : 1 -- Les règles générales organisant les procédures d'expropriation le furent souverainement par ordonnance impériale, en d'autres termes sans consultation préalable des populations duala, comme celles-ci l'eussent souhaité. Jusqu'à présent, un peu partout dans le monde, cette prérogative est, à quelques variantes près, de puissance publique, notamment par le biais des assemblées parlementaires. Sur ce premier point, la plainte du Ngondo s'avère donc assez peu consistante, mis à part l'élément établissant, dans l'espèce duala, qu'il y aurait eu violation par les Allemands du point 3 du Traité du 12 juillet 1884 (cf. supra.). 2 -- Les règles et taux de l'indemnisation font également partie intégrante des attributs, en soi inaliénables et inattaquables, attachés à l'exercice de toute souveraineté. Étant entendu que l'exception soulevée au paragraphe précédent, au cas particulier des Duala, conserve ici encore tout son poids pour ce qui est des conditions, apparemment arbitraires, dans lesquelles les Allemands fixèrent le montant des indemnités proposées aux victimes de l'expropriation, ces victimes étant réputées propriétaires légitimes indiscutables des terrains touchés, ceci en vertu d'un acte, avons-nous déjà dit, de portée diplomatique, unique charte devant gouverner tous les rapports entre Duala et Allemands. 3 -- Une fois décrétée la déclaration d'utilité publique, préalable et péremptoire, toute expropriation effective est communément précédée de formalités rigoureuses, entre autres d'une enquête publique et contradictoire présidée par le représentant de l'Etat, en présence des personnes concernées. Faculté est offerte à celle-ci d'élever des contestations dans les formes appropriées, en principe sur la nature et le montant des dédommagements ou compensations envisagés. L'Administration est tenue d'enregistrer toutes contestations ou oppositions reçues, de les instruire en commission composée de techniciens et de personnalités politiques, et d'y réserver la suite convenable. En principe, et très généralement, l'opportunité même de l'expropriation pour cause d'utilité publique n'est ni discutable ni négociable. Mais les garanties ainsi aménagées avant sa matérialisation définitive dans les circonstances normales le furent-elles au profit des propriétaires coutumiers duala ? Regrettablement, l'histoire donne à entendre qu'il n'en fut rien du tout.Qu'en conclure, sinon que chacun en juge comme il l'entend, suivant sa propre conscience ! Pour sa part, le Ngondo, y compris tous ses martyrs et zélateurs, garde jalousement la certitude d'avoir agi en cette époque célèbre pour la seule défense du respect de la dignité de l'homme, surtout de l'homme noir, tant et si souvent bafoué dans l'histoire de tous les temps de notre pauvre humanité ! CHAPITRE IV : LE ROLE POLITIQUE JOUE PAR LE NGONDO AVANT L'INDÉPENDANCE DU CAMEROUN Repris en 1949, le Ngondo fit école puisqu'il semble avoir inspiré à travers le pays quantité d'autres associations traditionnelles, par exemple : le Kumze des Bamiléké, l'Association Amicale de la Sanaga-Maritime, la Solidarité Babimbi, l'Association des Béti du Centre-Sud, l'Association traditionnelle des Bulu-Fang (Efulameyông), etc. Soulignons en passant qu'alors que le Ngondo était mis officiellement en congé, son esprit n'avait jamais cessé d'habiter son peuple. Il était mort sans être mort. C'est ainsi qu'en 1929, tandis que l'indigénat - tristement célèbre - faisait rage en Afrique, un petit groupe de Duala de toutes origines eut le mâle courage d'adresser à la Société des Nations, à Genève, une pétition réclamant la fin du joug colonial par l'octroi immédiat de l'indépendance au Cameroun placé sous mandat confié à la France. Mais en 1949, le Ngondo s'était trouvé devant l'alternative de choisir entre deux tendances : l'une qui souhaitait son affiliation au parti politique de l'Union des Populations du Cameroun (U.P.C), et l'autre qui rejetait cette obédience. C'est cette dernière tendance qui l'emporta. Selon elle, le Ngondo devait rester dans les limites du traditionalisme rigide et éviter justement de devenir politique, tout virage de l'espèce risquant de le dévier de son caractère propre ; risquant surtout de l'exposer aux aléas des multiples mouvements politique de l'époque. Grâce à quoi le Ngondo n'aura pas été dissout en 1955, comme ce fut le sort de l'U.P.C. et de toutes ses filiales... Malgré cette option fondamentale et, tout en demeurant « traditionnel », le Ngondo des Duala estima qu'il était, somme toute, comme au siècle passé, le meilleur gardien de l'âme comme des idéologies du peuple. Soucieux de ne pas s'arrêter en si bon chemin et voulant en cela cristalliser les traditions séculaires - bien connues - de ce peuple, savoir : son vif penchant pour l'indépendance, son amour ardent de la liberté, sa passion pour les nécessaires changements et le progrès en général, cette assemblée « apolitique » crut bon de poser clairement à la Mission de visite des Nations Unies le problème du devenir politique du Cameroun. C'était pour lui l'occasion, combien alléchante et propice, de reprendre son cheval de bataille. Ses arguments étaient simples ; ils puisaient dans la nature même des statuts successifs de notre pays. D'abord protectorat allemand, ensuite pays sous mandat de la Grande Bretagne, le Cameroun en effet, pouvait et devait se prévaloir de bonne heure, de cette condition particulière, et ce beaucoup plus aisément que les anciennes colonies au sens pur du terme. Cette exceptionnelle position le prédestinait admirablement à une plus rapide libération et sut, dans l'ensemble, forcer les évolutions nécessaires en Afrique, ayant été, sans conteste aucun, un puissant facteur d'accélération du mouvement général d'indépendance dans le continent noir. En effet, la Charte des Nations Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 avait stipulé en son article 76, paragraphe b, que les fins essentielles du régime de Tutelle étaient, entre autres, de « favoriser le progrès politique, économique et social des populations des territoires sous tutelle ainsi que le développement de leur instruction ; favoriser également leur évolution progressive vers la capacité à s'administrer eux-mêmes dans l'indépendance, compte tenu des conditions particulières à chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement exprimées des populations intéressées, etc. ». Tels furent les fondements sur lesquels s'était étayée la motion du Ngondo remise à la Mission de visite de l'O.N.U. en novembre 1949 et enregistrée par cette dernière sous le n° T-TEP-S/56/4/31. Les rédacteurs de cet important document avaient pris le plus grand soin de ne pas en faire un quelconque réquisitoire contre l'autorité administrante établie. Aussi s'abstint-il de ne contenir aucune attaque directe contre la France. Malgré ces précautions et scrupules, la pétition du Ngondo fut, dans les faits, jugée tendancieuse et réactionnaire et comme l'expression, à peine surprenante, des « prétentions exagérées des Duala ». Bien sûr mieux : une certaine campagne de diversion orchestrée au nom d'une certaine politique de division s'ingénia à accréditer, aux yeux des autres Camerounais, que ce document ne renfermait, en réalité, que des revendications d'intérêt purement régional, concernant les droits immobiliers des Duala, donc n'ayant le moindre rapport avec le destin général du Cameroun. Les dirigeants du Ngondo s'avisèrent alors brusquement d'organiser la plus large diffusion possible de leur pétition qui fut lue intégralement, expliquée et commentée avec patience, trois journées durant, à tous les Camerounais non-Duala des différents quartiers de New-Bell 17 convoqués en plusieurs réunions populaires à cet effet. L'inflexible rigueur des critères ayant présidé à la constitution du comité de rédaction de la pétition du Ngondo ; les conditions de travail, quasi mystiques, que s'imposèrent les membres de ce comité ; l'hermétisme grégaire, proprement maçonnique, qui entoura le style en même temps que le contenu du manuscrit ; l'anxiété fébrile qui s'empara de certaines personnalités autochtones et étrangères tantôt pour accéder au secret de ce manuscrit tantôt à l'affût de la remise au de la Mission de l'O.N.U. du document définitif ; les manoeuvres et tractions en tous genres qui précédèrent cette remise ; le nombre impressionnant des signataires de cette pétition historique (un peu plus de huit cent !) ; les circonstances, parfois cocasses, dans lesquelles furent recueillies sinon arrachées certaines signatures ; les modalités de sa diffusion à Douala même, puis à l'intérieur du pays et enfin auprès des autorités de Paris : quel beau thème de dissertation et quelle tendre aubaine de pages qui pourraient devenir célèbres dans l'histoire du Cameroun ! Il suffirait que quelqu'un y avise et qu'il veuille bien s'en charger... La tê la miango, disent les Douala eux-mêmes, kê di ma sala ! (Tout fait qui tombe dans de l'histoire - ou de la narration du passé - perd beaucoup de substance). Or, vraiment, ces journées ont droit de rester immortelles dans nos mémoires ! Nous avons déjà eu soin de mentionner qu'au cours de son passage de deux semaines au Cameroun, la Mission de l'O.N.U. avait collectionné un nombre extraordinaire de pétitions émanant de presque toutes les régions du territoire. Il semble du reste que le total des pétitions adressées par les Camerounais à l'O.N.U. pendant la période comprise entre 1949 et 1957, en chiffre par centaines sinon par milliers de tonnes. Affirme-t-on, avec beaucoup de sérieux ! Hormis celle portant l'estampille officielle du Ngondo, d'autres Duala avaient-ils remis à la Mission ou adressé directement à New York des pétitions individuelles ou collectives traitant de problème mineur, en l'espèce ceux relatifs à des droits terriens ? En toute honnêteté, il nous est difficile de le nier d'emblée, sans examen préalable. Malheureusement, nous n'avons pu disposer d'aucun moyen de vérification sur ce point. Une chose reste évidente : c'est que la Mission de l'O.N.U. de novembre 1949 crut devoir émettre l'appréciation suivante en ce qui concerne la pétition du Ngondo de l'époque : « Une autre (pétition), celle du Ngondo, est plus explicite encore à ce sujet. Elle critique les limitations de l'Assemblée Représentative du Cameroun et déclare : « Qu'on ne voit pas se manifester la tendance à lui attribuer des pouvoirs particuliers de législation et de représentation qui seraient une première étape vers le « self-government ». C'est seulement si on accorde aux Camerounais des responsabilités plus larges que celles actuellement laissées à l'Assemblée Représentative du Cameroun que les habitants du territoire pourront acquérir l'expérience législative nécessaire pour les préparer à l'autonomie » (18). Dès 1950, le Conseil de Tutelle recommandait l'extension progressive des pouvoirs de l'ARCAM, notamment dans le domaine législatif. 1954. Le Ngondo, las d'attendre la suite réservée aux points les plus saillants soulevés dans sa motion de 1949, désigne en son sein trois délégués chargés de se rendre comme pétitionnaires devant le Conseil de Tutelle des Nations Unies. Il prévoit et assure lui-même les frais de voyage et de séjour de la délégation composée de MM. Bétôté Akwa, chef supérieur d'Akwa, président du Ngondo ; Ekwalla Esaka, chef supérieur de Deïdo, vice-président et Kinguè Jong, secrétaire administratif de l'association. Arrivée à Paris, ces trois émissaires sont « interceptés » par les autorités françaises. A la suite de quoi, ils prennent le chemin de retour à Douala plutôt que la route pour le Palais de verre de Manhattan. Que s'était-il donc passé ? Le gouvernement français les aurait dissuadés de l'opportunité d'une démarche directe auprès de l'ONU, promettant qu'il n'allait pas tarder à examiner avec le maximum de bienveillance la requête du Ngondo, aux fins d'autonomie puis d'indépendance du Cameroun. « Mieux vaut laver notre linge sale en famille », se seraient-ils laissé dire... A Douala toute la population concernée les hua, les traita de « vendus » et de « traîtres » à la solde des Français... Eux s'employèrent à persuader le peuple du caractère solennel des promesses françaises, allant précisément dans le sens des desiderata du peuple tout entier. 1956. Les pourparlers bilatéraux promis par la France ne s'annoncent toujours pas. Le Ngondo commence à perdre patience. Finalement, il décide d'envoyer à nouveau une délégation aux Nations Unies. Comme la précédente, elle comprend trois membres : MM. Bétôté Akwa, Kinguè Jong et Mbonde Loko. Ceux-ci étaient porteurs d'une pétition assez laconique, rappelant simplement celle de novembre 1949 ainsi que les intentions françaises exprimées en 1954 et, jusque-là, non concrétisées. Devant le Conseil de Tutelle des Nations Unies, donc, le Ngondo, par l'intermédiaire de ses porte-parole, fit entendre sa voix au nom du Cameroun, pour sa modeste part, en vue de l'obtention d'une autonomie interne immédiate suivie de l'indépendance nationale dès que possible. Revenus des États-Unis, les trois délégués du Ngondo parviennent, cette fois, à convaincre puis à calmer les masses duala, par la diffusion d'enregistrements sur bandes magnétiques de toutes les interventions devant l'Organisation internationale. L'année d'auprès, soit en 1957, le Cameroun devenait autonome. Cela, bien entendu, grâce à la conjonction des forces et des moyens de toutes les couches agissantes du pays entier. Ainsi le Ngondo duala peut, aujourd'hui encore, se féliciter d'avoir apporté sa part de contribution positive à l'avènement accéléré de notre autonomie réclamée par elle dès 1929 et 1949 ! A cet égard, il n'a fait, redisons-le, que reprendre ses traditions d'autan marquées dès l'aube de la colonisation européenne au Cameroun. CHAPITRE V : LE NGONDO, FÊTE TRADITIONNELLE DES DUALA 12 juillet... En souvenir de cette année mémorable où, en 1884, il scella avec les envoyés diplomatiques allemands nos tout premiers liens, combien alors timide, dans le cadre de la future et vaste coopération humaine à l'échelle de la planète, le Ngondo organise le 12 juillet de chaque année depuis 1949, des festivités à vrais dire fastueuses. C'est le Ngondo, la fête traditionnelle du peuple duala. S'il est exact qu'en 1949 même, cette fête eut lieu le 19 juin, c'était uniquement parce qu'il fallait en anticiper le déroulement, pour permettre au président (nouvellement entrant) de l'organisation, le chef supérieur E. Bétôté Akwa, d'y participer avant de pouvoir effectuer un voyage important en Europe. De la solennité au profane, de l'allégresse presque infantile de la méditation grave et contenue : voilà les principaux traits qui, paradoxalement, caractérisent de nos jours la fête traditionnelle des Duala. La veille, un service religieux est organisé indistinctement au temple du Centenaire ou à la cathédrale de Bonadibông, et ce depuis la rénovation du Ngondo en 1949. Le lendemain matin, dès 5 heures, ses grands dignitaires suivis de leur état-major et d'une foule imposante d'hommes et de femmes, tous en tenus « traditionnelle » d'apparat, se dirigent vers une plage du Wouri préalablement choisie selon les années et les présages reçus des divinités du fleuve. C'est souvent au pied du pont du Wouri, parfois dans la petite pêcherie du Yupwè. Mais auparavant, ils auront parcouru toute la ville à pied, pour rendre chaque année un hommage immortel à leurs deux derniers souverains disparus. Ainsi vont-ils se recueillir pieusement et déposer une gerbe de fleurs sur la tombe tour à tour : de Rudolph Duala Manga, héros du peuple, à Bonanjô, et de King Akwa, Dika Mpondo ma Ngando a Kwa. Dommage que les Deïdo n'ont pas élevé de monument à la mémoire de leurs princes, ni pour Ekwalla Epèe, ni pour Epèe Ekwalla et Eboa Epèe ! Voici les hommes. Tous vont pieds nus ; petites toques de fibre de raphia noire sur la tête ; pagnes de velours ou de soie chatoyante, porté serré autour des reins, avec un art d'y faire des surplis et de laisser pendre de chaque côté deux pans, dont seuls ces hommes possèdent le secret ; chemise blanche à longues manches recouvrant l'ensellure du pagne, ou petits tricots collant au buste ; foulards aux couleurs vives et ondoyantes, tantôt en bandoulière sur l'épaule ou jetés nonchalamment en écharpe sur le cou, un peu à l'image des maires de France ou de chez nous ; chasse-mouche à la main. Il y en a qui sont torse nu, bustes de toutes les gammes de noir, de brin, de nègre ou de brique cuite. Leur pas est lent et majestueux. Leur masque grave. Ils marchent en silence, dans l'ombre encore fantomatique de la nuit qui se meurt, sous un ciel blafard, humide de ces pluies légendaires de la côte camerounaise, de ces pluies qui sont la marque de nos laides journées de juillet, sombres et brumeuses à fendre le coeur. Les femmes portent le kaba ngondo. Le kaba est une robe « maxi », d'une mode typiquement duala, fort ancienne dans la région. C'est l'habit de tous les jours des vieilles mamans de là-bas. Longues et très ample, cette robe se fait en tissu imprimé de toutes teintes, aux motifs d'une infinie variété. Le groupe des femmes s'avance, lui aussi, dans ce même silence fait tout à la fois de mystère et de ferveur. Leurs pieds, également, sont nus ; un foulard de soie ou de velours noué, également, autour des reins, comme dans le musuka des pleureuses, les jours de deuil (basasè kwedi). Habituellement, très peu d'enfants assistent à cette phase - qui se veut sublime - du cérémonial. Parvenu au bord du fleuve, à l'emplacement élu, tout ce monde foule fébrilement le sable mouillé de la plage et tourne, avec humilité, ses regards vers les eaux sales, glauques et palpitantes. Devant lui, à l'horizon, sur l'autre rive ou sur les mille et un îlots qui hérissent de leurs fouillis verdâtre le milieu du fleuve au Nord du pont, d'immenses champs de palétuviers se profilent à perte de vue, dans un entrelacs de racines aériennes ruisselantes de glu ou parées de minuscules coquillages, plongeant dans l'onde noire de suif et de boue comme les tentacules de pieuvres géantes. C'est la demeure divine des miengu sacrés des Duala, génies craints et vénérés de tous, sirènes ou naïades dispensatrices de toutes leurs fortunes, bonnes ou mauvaises. Puis, subitement, une voix de stentor s'élève par-dessus la clameur sourde, tandis que les palétuviers touffus en reprennent au loin l'écho, par saccades tardives et émouvantes. Le chef-président parle et demande le silence. Cela annonce le commencement du rituel au son du ngoso (19), des mikeñ (20) et des mbaka (21). D'abord, c'est un solo immédiatement suivi d'un duo... Puis le choeur enchaîne sur un rythme sourd, compact, majestueux, d'une incomparable richesse d'harmonie et d'une beauté mélodieuse pour nous sans pareille : Ya, Malobè, O! Malobè! Ho!Ho! Ya, Malobè, O! Malobè! Ho ! Ho ! Malobè a si wèli Engômga Malobè n'a pu résister à Engômga; Ya, Malobè e!O! Malobè! (Cf. la transcription musicale en annexe). Dans ce chant, les Duala à l'origine se moquent de Malobè, autrefois leur terreur aux marchés de Pongo. De ce Malobè qui se croyait invincible. Mais que la force (supérieure) d'Engômga finit par mettre à genoux. Aujourd'hui, c'est le chant du ralliement, l'hymne à l'union. Après quoi vient l'esa, l'esa ya mboa, la prière collective aux ancêtres disparus, l'invocation solennelle des miengu. C'est encore le male ma mboa : serment d'allégeance perpétuelle au Ngondo, de fidélité au peuple tout entier ainsi qu'à ses nobles idéaux d'union et de paix. Ni traîtres ni parjures dans ses rangs ! Sinon le peuple veille sur tout et sur tous, quels qu'ils soient. Souvenez-vous de la loi fondamentale du Ngondo : « Vie pour vie, etc. ». Souvenez-vous de la question d'honneur des Duala (qui se trouve à l'origine de sa création), du prodige réalisé sur le titan Malobè, grâce à l'entente et à l'union. C'est bien ce que, d'une voix autoritaire, sentencieuse, les yeux pleins de feu, dans des vers presque ésotériques, le chef-officiant proclame plusieurs fois, et la foule tout entière avec lui, dans une ferveur, dirait-on, cabalistique, car c'est proprement de l'ancien duala : Le chef : Ekwa muato ! La foule : O o ! Le chef : O tam ! La foule : Njôm ! Les paroles du serment duala ont été quelque peu déformées avec le temps et altérations multiples subies par la langue sous l'effet de phénomènes divers. Il convient de reproduire le texte original de l'ancien duala : E kwi ya muato : Ce qui est sorti des entrailles de la femme : (tout être humain). O-o !: Oui ! (Entendu !). O tam ! : (si) Tu attentes (jalouses, hais, envies, ou trahis, etc.) Njôm ! : Responsable (tu es ! avec toutes les conséquences, sous-entendu.) Aujourd'hui e kwi se dit en duala e busi ; muato se dit : muto ; o tam est l'abréviation de : o tam ñama (tu lui veux du mal ; tu cherches sa perte, sa mort, son malheur, etc.). Notons tout de suite, sans renvoi fastidieux, que la plupart des Béti (dans le Centre-Sud du Cameroun) disent : kwi (nsêñ) pour « sortir » ; que les Pongo et les Mungo appellent toujours la femme muato et les Wuri : muaro. (Il est connu que les populations de ces trois dernières sous-tribus parlent du duala archaïque). La prononciation actuelle de l'expression o tam fait penser à : « Tu ramasses », ou « Tu touches ». C'est proprement incorrect. Nos parlers étant des langues à tons, il faut prononcer cette phrase de manière à lui donner plutôt l'un des sens ci-dessus expliqués. Tout ceci pour rappeler symboliquement à la mémoire de tous le triste sort advenu à Malobè qui avait osé attenter à la vie et à l'honneur des Duala. Mais à ce moment de la cérémonie du serment, toute l'assistance entre dans un état de transe trépidante, comme mue et possédé par le Jengu. On se trémousse, on trottine (sur place !) ; des milliers de bras gesticulent tels des manivelles, comme dans la danse des malôkô, propre aux pas de lutte traditionnelle. Le tout cadencé par le son cristallin des mikeñ et des mbaka. Par cette prière collective, le Ngondo implore les miengu afin qu'ils protègent et gardent son peuple bien-aimé, qu'ils le couvrent de toutes les bénédictions, qu'ils le comblent de toutes les vertus de la terre : force, sagesse, intelligence, richesse ; qu'ils lui apportent la prospérité en tout, une plus grande fécondité des femmes, des parties de pêche fructueuses, de bonnes récoltes, l'union de tous dans la fraternité et l'amour du prochain, la paix dans les foyers et sur l'ensemble du pays... Que, du même coup, les miengu conjurent et éloignent du peuple tous les maux d'ici bas : la mort, le deuil, la stérilité des mères de famille, la pauvreté et la misère, la haine et la désunion. Tout ! Mais dans tout ce rituel du Ngondo, la minute la plus pathétique, la plus poignante, la plus subjugante, celle qui accroche le plus l'attention, retient le curieux et intrigue la profane, c'est, sans aucun doute, celle de la cérémonie d'immersion du vase sacré dans les profondeurs du Wouri, autre demeure mystique des génies peuplant le fleuve, les miengu. C'est le siba,l'eloko. Cet office remonte aux temps les plus reculés de la société des Bonambôngô dont sont issus les Duala lato sensu. C'est-à-dire avant même l'installation définitive de membres de cette vieille souche bantoue sur le littoral camerounais, il y a de cela un peu plus de 350 ans. La légende va jusqu'à soutenir que c'est l'exceptionnelle qualité des miengu de cette région qui, à la suite de nombreuses prophéties reçues des dieux morts, inspira puis détermina le départ de la famille Bonambôngô des lointaines boucles du Congo (ou Zaïre ?) et de l'Oubangui, dans la région des BâMuelè, pour les voisinages de l'Atlantique... Mais autrefois, le rite de l'immersion du vase dans l'eau n'était point, comme c'est le cas de nos jours, un symbole d'ordinaire réminiscence, la reconstitution évocatrices de faits du passé, lesquels, force de le reconnaître, ont vécu quant à leur authentique pureté. En cette époque-là, un initié plongeait jusqu'au fond des eaux, tenant dans ses mains un vase noir en terre cuite, assez volumineux. Il y séjournait pendant un laps de temps relativement long, environ une demi-heure. Lorsqu'il revenait à la surface, on pouvait le voir sans la moindre goutte d'eau sur le corps ni sur ses habits ; le vase lui-même revenait totalement sec mais avec, à son fond, un dingômbô. Le dingômbô, à Douala, est un crabe d'un brun très foncé, à la carapace particulièrement dure et aux pinces plus crochues, plus acérées et plus agressives que chez le crabe ordinaire. Mais le dingômbô figure surtout la fécondité : celle des mères de famille, du sol, des parties de pêche sur le Wouri, toutes choses distinctives de la prospérité dans l'esprit de ces gens. Toujours en ces temps-là, les miengu participaient manifestement à la fête.On voyait de multiples bras, sortis de l'eau, remuer autour de la barque au bord de laquelle montent le plongeur et trois autres initiés. Sur le sol de la plage, on pouvait encore apercevoir d'énormes quantités de poissons déposés par des mains invisibles. En un mot, on sentait et percevait la présence des miengu. Sans, bien entendu, les voir... A cet instant merveilleux de l'immersion du vase sacré, on entend fuser de la foule grouillant sur la berge, une litanie psalmodiée en sourdine par un groupe de chanteurs, rares initiés au langage des miengu que seuls ils savent parler, que seuls ils entendent... Puis cette ouverture se termine par un magnifique crescendo.Le retour du vase sur la terre ferme marque la fin des cérémonies de communion du peuple avec ses dieux tutélaires.Au temps jadis, le centre d'activité du Jengu (considéré ici comme secte religieuse ou magique de toute la communauté duala) se trouvait sur un rocher gigantesque qui s'élevait, tel un minaret, sur les rivages du Wouri, à l'emplacement actuel du quartier de Bonamouti, dans le canton d'Akwa. Les gens de Bonamouti passaient alors pour être les principaux détenteurs et les plus grands dignitaires du Jengu et, par le fait même, les plus purs éléments de la race. Car la pratique du Jengu était, semble-t-il, de par la structure sociale duala, incompatible avec des « origines impures » ou « incertaines », bref étrangères à la nation. Mais depuis l'arrivée des Européens, le bruit « insolite et incommodant » de leurs chaloupes et de leurs bateaux à vapeur a éloigné de Bonamouti le centre de la confrérie, le transférant de cet endroit à l'île de Jebalè, au large du Wouri. C'est dans un tourbillon situé au Nord-Ouest de cette île, au lieu dit Tondo ou Tonda Jebalè (confluent de trois bras du Wouri venant le premier du pays Wuri, le deuxième de Dibombari et le troisième de Bonendalè), qu'autrefois se déroulait le rite d'immersion du vase sacré. Jusqu'à présent les gouffres et tourbillons (betia) des fleuves et rivières se classent parmi les lieux enchantés des régions de notre littoral, à côté de certains monts, célèbres sous ce chapitre. Aussi bien les principaux gardiens du Jengu des Duala se retrouvent-ils à l'heure actuelle à Jebalè. Et c'est à Jebalè que recrutent les grands initiés : les plongeurs de l'eloko, les chantres mystérieux du Jengu, les interlocuteurs authentiques des miengu, les initiateurs éventuels aux rites du Jengu, etc. Les Malimba de la Sanaga-Maritime, les Batanga de Kribi, les habitants de la région de Santa Carlos à Dikabo (appellation duala de l'île de Fernando-Pô, en Guinée Équatoriale) possèdent aussi leurs lieux sacrés propres, destinés à la pratique du Jengu. Ces lieux sont le delta de la Sanaga pour les Malimba, les embouchures du Nyong, de la Lobè et de la Kienté pour les Batanga lato sensu (Batanga, Banôh et Bapuku réunis). Dès la fin de la phrase spirituelle des cérémonies, tous les assistants, les dignitaires du Ngondo en tête, entreprennent à pied le tour des principaux quartiers duala de la ville. Ensuite commence, la grande fête populaire. Dans les plus petits recoins de la cité, hommes, femmes, enfants de tous âge, habillés à la ngondo, dansent, chantent, s'embrassent à l'envi, boivent et mangent jusque dans les rues, à qui mieux mieux. Ce spectacle, extrêmement haut en couleurs, mérite d'être vu ! Vers 11 heures, en présence des autorités administratives locales, le bureau du Ngondo offre vin d'honneur aux différentes personnalités de la ville, étrangères ou camerounaises non-duala, représentant tous les secteurs d'activité en place. A cette occasion, son président prononce un important discours dans lequel il passe en revue l'historique du Ngondo, ses idéaux et ses objectifs essentiels, en insistant plus particulièrement sur la volonté de collaboration de ses membres avec les pouvoirs publics, par une communauté de pensée et d'action entre la puissance temporelle d'une part et les forces spirituelles et traditionnelles de l'Assemblée du peuple de l'autre. ÉPILOGUE Et aujourd'hui ? 1er janvier 1960. L'O.N.U. proclame l'indépendance du Cameroun précédemment sous tutelle assumée par la France. Devenu souverain sur les plans national et international, le pays va désormais siéger au Palais de verre non plus en pétitionnaire, mais en tant que membre à part entière de l'Organisation internationale. Avec de nombreux États du monde entier, singulièrement avec ses maîtres d'autrefois : l'Angleterre, l'Allemagne et la France, il traite désormais d'égal à égal, par la conclusion de multiples Accords et Traités et par l'ouverture réciproque de missions diplomatiques au niveau le plus élevé. Révolue, l'époque des interminables suppliques des porte-parole traditionnels de la nation duala, hier à la Reine Victoria d'Angleterre, le lendemain au Kaiser, en vue de l'annexion du pays à telle ou telle puissance étrangère. Finie aussi, celles des pétitions tantôt au gouvernement du Reich tantôt au Palais de Manhattan. Sur place, des gouvernants et des administrateurs authentiquement camerounais ont pris la relève de leurs homologues européens. Dans l'ensemble du pays, la liberté est retrouvée ainsi qu'un bien plus grand respect de la dignité de l'homme noir, sur son propre continent ! 1er septembre 1961 -- 1er septembre 1966 -- 2 juin 1972 -- Il aura fallu d'un lustre pour que se fonde définitivement un Etat camerounais rétabli, fût-il hélas ! en partie, dans ses frontières d'avant 1914, recouvrant de ce fait son unité territoriale et politique que devait concrétiser, fort opportunément, la fusion en un seul parti national des myriades d'organes et de mouvements jusqu'ici caractéristiques de sa vie politique. En effet, le 1er octobre 1961, est intervenue la réunification des deux parties de l'ancien Cameroun, autrefois l'une sous administration française et l'autre sous administration anglaise. Puis, le 1er septembre 1966, est née l'Union Nationale Camerounaise, parti du peuple camerounais tout entier, ayant pour visées majeures : la création puis la consolidation permanente d'une véritable patrie camerounaise dans l'union de tous ses fils ; l'entente entre ses diverses familles ethniques ou religieuses ; la solidarité agissante ; la défense farouche de l'intégrité du territoire. Enfin, suprême couronnement, le Cameroun est, depuis le 2 juin 1972, devenu un Etat unitaire sous la dénomination de République Unie du Cameroun, mettant ainsi fin à ses institutions fédérales qui ne garantissaient qu'assez imparfaitement et l'unité de la patrie et l'intégrité de son territoire. Tous autant d'objectifs qui s'accommodent et participent des propres idéaux du Ngondo, constamment proclamés et défendus dans le passé. Le Ngondo, tout au long de son histoire, ne s'était-il pas battu corps et âme pour la justice et l'égalité absolues ; pour l'indépendance et la liberté de tous les Camerounais, sans distinction d'origine ; pour le respect de la dignité de l'être humain ; pour l'entente entre les hommes de toutes races et de toutes origines ; pour l'amour du prochain ; pour le dialogue en toutes circonstances (à partir des gouvernants et administrateurs allemands) ; pour l'union qui fait force des nations et qui permit à son propre peuple, jadis, de réduire au silence l'impertinent et redoutable Malobè ; pour l'élimination de tous les traîtres à la nation et de tous les ennemis de celle-ci ; etc... ? Les propres idéaux et objectifs du Ngondo -- inséparables, supposons-nous, de ceux de l'ensemble des Camerounais -- ne se trouvent-ils pas pleinement atteints depuis 1960, 1961 et 1972 ? Tout, vraiment tout semble, depuis lors, avoir répondu à ses plus profondes aspirations, à son attente la plus exigeante. A présent, que lui reste-t-il à combattre, dans ces conditions nouvelles de l'histoire socio-politique du Cameroun où toute lutte pour des causes essentielles déjà gagnées, des conquêtes achevées, des victoires remportées, devient inutile, sans objet ? Du moins, de notre point de vue... Tels sont quelques sujets de méditation et de réflexion qu'aujourd'hui -- avec l'immense et affectueuse admiration que nous leur vouons -- nous osons prendre sur nous de soumettre aux Duala, ces authentiques frères. Et cela, à travers leur Assemblée traditionnelle. A notre sens, en effet, la mission politique du Ngondo paraît bel et bien terminée. Il lui faut maintenant descendre des grands desseins aux réalités. Néanmoins, toujours selon nous, il resterait à l'illustre Assemblée du glorieux et vaillant peuple duala, de déployer ses énergies dans d'autres dimensions, d'appliquer son initiative et son génie légendaire à transmettre puis à développer au sein de ses générations montantes, ces grandes et nobles valeurs humaines, ce riche patrimoine idéologique qui furent autrefois la marque distinctive de leurs pères : audace et endurance ; sens de l'entreprise et des affaires ; sens élevé de la nation, de la démocratie, du devoir et de l'honneur ; nationalisme virulent ; combativité et persévérance ; initiative créative et constructive ; diplomatie active et courageuse ; abnégation, sacrifice ; finesse intellectuelle ; sens de l'ordre et de la méthode ; lucidité et minutie ; netteté, scrupule et droiture ; tolérance et compréhension ; honnêteté sans faille, dans tous les domaines ; respect de la chose d'autrui ; générosité et hospitalité à nulles autres pareilles. Que tant de vertus soient donc mises pleinement au service du Cameroun en construction et en marche ! Que le Ngondo leur apprenne aussi, à ces générations duala de demain, de ne point se couper aveuglement des traditions de leurs ancêtres : leur langue, leurs danses, leur musique, leurs contes, leur art de la pêche, et nous en passons, comptent assurément parmi les plus valables qui puissent exister... Nous sommes intimement acquis à l'idée que rien en principe ne devrait pouvoir empêcher le Ngondo d'organiser en son sein des tâches spécifiques d'information parallèle, d'éducation particulière, de formation complémentaire de son peuple, dans le sillage, dans les limites tolérables et le respect scrupuleux de la ligne-maîtresse du parti national de tous les Camerounais, de son idéologie et de ses structures. Ce ne serait là, à nos yeux, qu'un bénéfice adjuvant. Et nos institutions respectent trop les traditions et tout ce qui y touche, pour que ceci puisse apparaître telle une formule à l'emporte-pièce, inutile ou malfaisante. Que les Duala, par le truchement de leur Ngondo, se rappellent donc ces quelques traits de la philosophie de leurs devanciers : Mudio a titi ekôn : « Il n'est pas bon d'envier la « marée montante » de quelqu'un. A chaque jour suffit sa peine ». Mudio bebe bebe : « A chaque marée son tour. Les marées montent et descendent alternativement. Il en est de même de la destinée des hommes ou des peuples. Cela va comme il plaît à Dieu ! ». Mubènè lambo a titi mutu : « Le possesseur d'un bien n'est jamais un petit enfant ». Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années », écrivait déjà Corneille au 17ème siècle. « Les souverains, si jeunes soient-ils, ont toujours droit à la considération du peuple entier ». Et cette autre leçon encore, à tiers d'une oeuvre célèbre d'une des grandes figures de leur histoire, l'organiste, poète et compositeur, illustre s'il en fut, Lobè Bebe Bell 22 : Binyô makôm lo bi môngèlè mam : « Vous tous, amis, connaissez mon rêve ! Na bana ba Kamerun bèsè : C'est celui de tout Camerounais. Embè sô nde, lo si bôbisè : Persévérons, et luttons sans cesse, Akwanè pè, Loba a mongwanè ! : Prions, et Dieu nous assistera ! Tô nja na timbisèlè momènè ka Yuda : Celui qui se comportera comme Judas, Su lao ja bè pè nde ka la Yuda : Trouvera la même fin que Judas... » Qu'ils se rappellent enfin cette lettre historique au roi Bell en date du 12 janvier 1885 dans laquelle, le Foreign Office, après avoir reproché à celui-ci de n'avoir pas eu la patience d'attendre une semaine de plus (ce qui, selon le Foreign Office, aurait permis l'installation des Anglais plutôt que celle des Allemands dans la région) crut bon de lui dire que « le seul conseil que le gouvernement de Sa Majesté paraît maintenant lui donner était de rester loyal envers le pays sous le protectorat duquel il s'était placé » (23). Pour conclure, aucune des familles composantes de la nation camerounaises n'étant, par la nature même des choses, frappée du sceau ni de la prévention ni de l'exclusive, toutes, sans exception et quelles qu'elles soient, doivent lutter résolument contre tout relent sinon toute velléité d'égocentrisme ou de repli sur soi même. Pour pouvoir bâtir une nation camerounaise réellement forte et unie, il leur faut, à toutes ces familles soeurs, déclencher ensemble, de part en part, la dynamique de leurs nationalismes particuliers et mettre alors ceux-ci au service d'un patriotisme plus élevé, plus noble, je veux dire plus large et plus homogène. Et cela sans réticence ni calcul. Toutes n'ont-elles pas un droit égal de prendre part aux agapes des dieux ? C'était une bien modeste évocation de l'histoire du Ngondo, survolée à grands traits. Tout à dessein, elle se veut axée principalement sur l'analyse de quelques vertus -- positives ou négatives selon le prisme du jugement de chacun -- que cette Assemblée « traditionnelle » a pu insuffler à un petit peuple du Cameroun, au fil des ans et de son destin, tout au long de la période coloniale dans ce pays. Or, c'est assez pour que certains, attentifs à ne manquer aucune occasion de tout condamner comme à plaisir, se prennent à considérer notre démarche comme une entreprise affichée de fabulation apologétique. Non et non ! Nous avons au contraire entrepris, au-delà de tout attrait pour quelque obscur passéisme, de retracer, moyennant l'histoire de cette organisation, celle autrement plus prenante sans doute, du fait colonial en Afrique, elle-même hélas vue dans son unique zone d'ombre, alors que cette zone-là n'est point la seule du tout ! Dieu veuille qu'un jour, il puisse nous être donné de peindre à son tour l'autre face, celle-là faite de splendeur et de munificence, que dis-je noble, généreuse, éternelle.Et nous avons encore voulu, grâce à ce panorama de l'histoire du Ngondo, souligner au passage l'apport tout à fait déterminant de cette institution traditionnelle par construction, de temps à autre étroitement clanique, à la naissance et à la genèse du nationalisme camerounais. Mais nous ne ferons point à l'immense célébrité de l'altière Assemblée, ni à l'amour-propre chatouilleux de ses fiers caciques, l'injure de prétendre avoir, l'espace d'une brève esquisse, épuisé le récit de leurs exploits communs. Loin s'en faut ! Il reste tellement de choses à écrire sur le Ngondo, que le présent témoignage n'est en somme qu'une fort sommaire approche, simplement à même de frayer alors, tout à fait opportunément croyons-nous, le chemin à d'autres recherches et travaux que l'auteur souhaite beaucoup plus approfondis sinon consistants, valables, véridiques. Puissent nos compatriotes d'abord, nos anciens maîtres ensuite, le reste du monde enfin, n'y percevoir en définitive nullement un quelconque panégyrique des Duala. Mais bien plutôt notre préoccupation exclusive de contribuer, à notre mesure, à la prise en main du devoir presque sacré qui nous échoit maintenant, à nous autres Africains, d'assumer directement la charge de dire notre histoire. Mais surtout de la dire en totales conscience et sérénité d'esprit. Sans crainte ni passion, ou intéressée ou partisane. FIN NOTES 1 -- Dans l'ancien duala, le cordon ombilical non encore sectionné s'appelait ngôndi. Avec l'évolution de la langue, ce mot devint ngondo. A la longue, ce dernier terme subit une assez importante altération tonétique ; le son bas des deux diphtongues devint beaucoup plus haut dans le nom propre de chose désignant l'assemblée et la rivière Bésèkè qui sépare les cantons Bell et Akwa. C'est, en effet, dans l'embouchure de ce cours d'eau que le Ngondo avait coutume de siéger aux heures de la marée basse. Autrement dit, c'est le Ngondo, assemblée, qui donna son nom au Ngondo, rivière. 2 -- En duala : ngum. 3 -- Selon certains chroniqueurs duala, c'est le roi en personne qui perpétra ce crime odieux, avec le concours de ses hommes de main. Question de haine ou de jalousie, dit-on, envers ce riche propriétaire dont la notoriété était trop grande pour plaire au souverain. Cette affaire provoqua une brouille profonde au sein du clan des Bonadoô déjà ravagé par maintes rivalités internes (rivalités non peut-être pas totalement estompées à ce jour, entre d'une part la branche du fils aîné, Priso -- ancêtre des Bonapriso -- et d'autre part la branche cadette de Bonamandonè ou Bali, issue des Bonabéri, et d'où devait sortir la dynastie communément appelée Bell). 4 -- Ces actes de piraterie étaient très fréquents autrefois dans les eaux de l'estuaire du Cameroun. Les corsaires duala étaient des tueurs bien plutôt que des brigands. Tous appartenaient à l'aristocratie du pays. Pour aller opérer en mer, ils se faisaient accompagner par des « esclaves ». La condition sociale de ces derniers permettait de mieux les tenir en secret. A la moindre indiscrétion, ils étaient sûrs d'y passer eux-mêmes. En duala, ces actes de piraterie s'appellent dibanda, et le bateau pirate : bôlô bwa dibanda. 5 -- Effectivement, dans une lettre datée du 1er mars 1882, le gouvernement du Royaume Uni avait signifié aux deux principaux chefs duala, King Bell et King Akwa, son refus d'accéder à leur demande conjointe de protectorat anglais sur le pays. Ce refus avait été recommandé au comte Granville, ministre des Affaires Étrangères, par le consul Hewett, en poste au Cameroun. Celui-ci avait estimé que l'annexion de la région de Douala présentait plus d'inconvénients que d'avantages. Ce qui, du reste, s'avèrera non fondé plus tard, puisque l'Angleterre entrera in extremis dans la course pour la prise de Douala, usant, selon la version allemande sur ces évènements, d'intrigues et de bousculades de dernière minute. Chacun sait qu'elle perdra la partie au profit de l'Allemagne impériale. Tant et si bien que le capitaine anglais Moore, (arrivant à Douala à bord de la canonnière « Goshawk ») envoyé spécial du même consul Hewett enfin pressé sur la question par son gouvernement, finit par recevoir le surnom historique de « Too late », ce qui signifie, dans sa propre langue : « Trop tard » (cf. Pasteur J. R. Brutsch, « Les traités camerounais » -- Bulletin de la Société d'Études Camerounaises -- Mémoires IFAN -- mars-juin 1955 n° 47-48). 6 -- L'amiral Knorr commandait l'escadrille allemande affectée à la surveillance de la côte ouest-africaine. C'est lui qui, sur les conseils d'Ed. Schmidt, alla rendre une première visite au roi Bell en exil. Celui-ci lui remit une lettre destinée au gouvernement allemand dans laquelle, d'u bout à l'autre, il implorait la protection de ce dernier. 7 -- La plupart des lettres du roi à l'agent allemand étaient cachées dans des morceaux de tronc de bananier. 8 -- En vieux duala, le mot dimañ pourrait signifier : qui passe comme l'éclair, comme l'ombre, rapidement, et qui, de ce fait, glisse facilement entre les mains de l'adversaire ; l'indomptable, l'insaisissable. 9 -- Au cours de ce voyage, Manga Ndumbè laissera en Allemagne son petit-fils Ndumbè Duala, ainsi que ses jeunes frères Dina Manga, Ekwè Manga et Lobè Manga, qui y feront diverses études pendant plusieurs années. Epée Ekwala y laissera également son fils Ebumbu. 10 -- Beaucoup d'Allemands eux-mêmes ne manquaient aucune occasion pour condamner et flétrir avec véhémence ce traitement. 11 -- Citation reproduite par R. Cornevin dans son article « Du régime colonial à l'indépendance nationale » (Le « Monde Diplomatique » de septembre 1971 -- Supplément consacré à la première décennie de l'indépendance du Cameroun -- page 19). 12 -- Il s'agissait ici de mettre en chantier les travaux de construction du premier chemin de fer camerounais, allant de Douala au pied du mont Manengoumba. Une loi impériale du 4 mai 1906 avait créé une société d'économie mixte à cet effet, avec la participation des fonds du Reich. Par un autre acte du 13 juin 1906, le gouvernement impérial avait défini les modalités d'attribution, à la société concessionnaire, du domaine ainsi exproprié. 13 -- En exécution d'une ordonnance impériale du 14 février 1903, entrée en vigueur le 1er juin 1903, une décision en date du 9 avril 1903 de la Section Coloniale en avait arrêté les modalités pratiques d'application. 14 -- Dès leur arrivée au Cameroun, les Allemands décident de mettre désuétude les anciennes dominations de « King » et de « roi » ; ceux-ci devinrent des « chefs supérieurs » rémunérés par l'Etat. Selon le Pasteur Brutsch citant Rudin, le chef Duala Manga touchait une pension annuelle de 3.000 marks (cf. Rudin « Germains in the Cameroons » -- New-Haven-1938). 15 -- Ngoso Din avait été transféré en temps opportun de Berlin à Douala. 16 -- Les Duala n'étaient pas les seuls noirs à habiter ce quartier de Bonandoô ; il y avait d'autres Africains, originaires surtout de la côte occidentale du continent. 17 -- New-Bell : quartier populeux de Douala, habité surtout par les allogènes et les étrangers au Cameroun. 18 -- Extrait du rapport de la première Mission de visite des Nations Unies dans le territoire sous Tutelle du Cameroun sous administration française -- 1949, page 30. Précisions que le rapport établissait une comparaison entre la motion de l'ARCAM et celle du Ngondo. 19 -- ngoso : musique traditionnelle des populations de la côte camerounaise. 20 -- mikeñ : au sing. mukeñ : instrument de musique de ces mêmes populations ; espèce de clochette à battant unique. 21 -- mbaka : en duala : claquettes sonores. 22 -- Ces vers sont extraits de l'hymne au roi R. Duala Manga, mort pour la patrie, hymne écrit et composé en 1929, par Lobè Bell (voir une étude consacrée par l'auteur à cette importante oeuvre musicale - Revue ABBIA, n° 17-18 -juin-septembre 1967 - pages 187 et suivantes). 23 -- Correspondance citée par le Pasteur Brutsch et extraite du « Blue Book » -- 1885 -- Inclosure in n° 80 - pages 86-87. Cf. « Les traités camerounais » par J. R. Brutsch (Bulletin de la Société d'Études Camerounaise -- n° 47-48 - mars-juin 1955 page 38). BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE Brutsch, Pasteur J. R. -- « Les traités camerounais », in Bull. Soc. Études Camerounaises, mars-juin 1955, n° 47-48. Brutsch, Pasteur J. R. -- « Autour du procès de Rudolph Duala Manga », in Bull. Soc. Études Cam., mars 1956, n° 51. Buchner, Max. -- « Aurora Colonialis » (Brüchstücke eines Tagebuchs aus den ersten Beginn unserer Kolonialpolitik, 1884-1885), München, 1914. Rudin, H. -- « Germans in the Cameroons », New-Haven, 1938. Ruppel, Dr -- « Die Landesgesetzgebung für das Schutzgebiet Kamerun. Rapport annuel du gouvernement français à l'Assemblée Générale des Nations Unies sur l'administration du Cameroun sous Tutelle confiée à la France, année 1950. -- Archives Nationales, Yaoundé. Rapport de la première Mission de visite des Nations Unies au Cameroun en 1949. -- Archives Nationales, Yaoundé. INFORMATEURS Principaux informateurs : Albert Mpondo Dika, Edinguèlè Muanguè Meetom, Modi a Bebe Bell, Mongwan a Ndemba. Autres informateurs : Ebosè Etôkê, Guillaume Jemba, Gaston Kinguè Jong, Pasteur Paul Mbendè, Thomas Mbôngô Mounoumé, Kunz Mukuri Kumba, Hans Ngaka Akwa, J. Ngallè-Miano, Jean Ngando Ekwa, etc. Note de l'auteur : Il convient de préciser que le gouvernement allemand avait donné pleins pouvoirs à ces commerçants et firmes bénéficiaires du transfert de souveraineté et qu'en tout état de cause, il s'était immédiatement substitué à ceux-ci dans les formes juridiques classiques. Maurice DOMBE MOULONGO est originaire de Bwènè-Wouri, au Cameroun. Né en 1923, diplômé de l'École Supérieur de Yaoundé, il appartient à la Fonction Publique de son pays depuis un peu plus de 30 ans. Après avoir occupé d'importantes fonctions de responsabilité à l'époque de l'administration française, notamment dans le commandement territorial, il a été stagiaire à l'École Nationale de la France d'Outre-Mer à Paris de 1958 à 1959. Administrateur Civil depuis janvier 1961, ce haut fonctionnaire camerounais s'est vu confier de nombreux postes dans différents départements ministériels. Chercheur isolé et occasionnel, sa passion pour les études historiques et ethno-sociologiques s'est affirmée dans plusieurs travaux consacrés aux populations du Sud-Cameroun en général et à celles de la côte en particulier. TEXTE PRÉLIMINAIRE DU TRAITÉ DU 10 JUILLET 1884. Le 10 juillet 1884, ÉdouardWOERMANN, SCHULZE et SCHMIDT se rendirent à Bimbia où ils obtinrent des chefs de la place la signature d'un traité préliminaire1460(*). En voici le texte1461(*) : Cameroons River, July 12 th. 1884. Our wishes that white men should not go up and trade with the Bushmen, nothing to do with our Markets, they must stay here in this River, and then give us trust so that we will trade with our Bushmen. We need no protection, we should like our country to annex with the Government of any European power. We need no alteration about our Marriages, we shall marry as we are doing now. Our cultivated ground must not be taken from us, for we are not able to buy and sell as other country. We shall keep Bullocks, Pigs, Goats, Fowls as it is nom and also no duty on them. No man shall take another man's wife by force or else a heavy fine. We need no fighting and beating without fault and no imprisonment on paying the trusts without notice and no man shall be put to Iron for the trust. We are the chiefs of Cameroons. Dies war ohne weiteren Text eingehandig unterschrieben The Imperial German Consul Emil Schulze Le Consul Hewett, chargé de négocier les termes d'un traité de protectorat, dut constater son échec devant le refus des chefs de renoncer à leur monopole du commerce intermédiaire1462(*).1463(*) Copie mise à disposition de la commission du budget du Reichstag le 16 février 1906 pour son enquête sur la pétition des chefs Akwa1464(*)1465(*).1466(*) Abschrift. We, the undersigned independent Kings and Chiefs of the Country called Cameroons situated on the Cameroons-River, between the River Bimbia on the North side, the River Qua-Qua on the South-Side and up to 4° 10/ North lat. have in a meeting held to-day in the German Factory on King Aqua's Beach, voluntary concluded as follows : We give this day our right of Sovereignity, the Legislation and Management of this our Country entirely up to Mr. Édouard Schmidt acting for the firm C. Woermann and Mr. Johannes VoB acting for Mess. Jantzen &Thormählen, both in Hamburg, and for many years trading in this River. We have conveyed our rights of Sovereignity, the Legislation and Management of this Country to the firms mentioned above under the following reservations: 1. Under reservation of the rights of third persons, 2. Reserving that all friendship and commercial treaties made before with other foreign governments shall have full power, 3. That the land cultivated by us nom and the places the towns are built on shall be the property of the present owners and their successors, 4. That the coumie shall be paid annually as it has been paid to the Kings and Chiefs before, 5. That during the first time of establishing an administration here, our country fashions will be respected. Cameroons the twelvth day of July one thousand eight hundred and eight four. Zeugen: gez. Ed. Woermann gez. Ed/ Schmidt. Gez. Joh. VoB. Gez. O. Busch. Gez. King Akwa + gez. King Bell+ his mark - David Meetom + - John Angua + dto. - EndeneAcqua + - Coffee Angua + - - Black Acqua + - JimJoss + - - MangaAcqua + - Malt Joss + - - Joe Gamer Acqua + - David Joss + - - ScottJost + - JaccoEsgr + - - Big Jim Acqua + - London Bell + - - LortonAcqua + - Barrow Peter + - - Jug Acqua + - Clame Joss + - - WilliamAcqua + - LookingglassBell + - - NedAcqua + DOUALA. DÉVELOPPEMENT DES QUARTIERS AFRICAINS.
DOUALA. DÉVELOPPEMENT DES QUARTIERS EUROPÉENS.
DOUALA. ZONE EUROPÉENNE - ZONE AFRICAINE.
DOUALA. PROJET D'URBANISME ALLEMAND.
CROQUIS DU PLAN D'URBANISME ALLEMAND. PROJET DÉFINITIF.
CONVENTION D'UNIDROIT SUR LES BIENS CULTURELS VOLÉS OU ILLICITEMENT EXPORTÉS. REPRODUCTION DU « TANGUE » DE KUM'A MBAPE BELL ET EXPOSÉE À LA FONDATION AFRICAVENIR À DOUALA.
COMMUNIQUÉ NR. 4948/09 DU 26 AOÛT 1909 SIGNÉ PAR LE CHEF DE DISTRICT IMPÉRIAL RÖHM, INDIQUANT QUE DÉSORMAIS, L'ADMINISTRATION COLONIALE N'ACCEPTERAIT PLUS DE LETTRES OU TEXTES EN DUALA, EN LANGUES CAMEROUNAISES OU EN ANGLAIS : SEULEMENT LA LANGUE DU COLONISATEUR ALLEMAND SERA ACCEPTÉE. DÉBUT DU DÉCLIN DE L'ARTICULATION DE NOTRE PENSÉE ENRACINÉE DANS NOTRE CULTURE.SOURCE : ARCHIVES DE LA CHEFFERIE BONÉKO, WOURI.
LETTRE ÉCRITE PAR LE CHEF DE CIRCONSCRIPTION ROYALE RÖHM, INTERDISANT DÉSORMAIS QU'UNE LETTRE LUI SOIT ADRESSÉE EN UNE AUTRE LANGUE QUE L'ALLEMAND.SOURCE : ARCHIVES DE LA CHEFFERIE BONÉKO, WOURI.
CALENDRIER AGRICOLE DE FOUMBAN EN 1911.
LETTRE DANS LAQUELLE LE ROI BELL (MANGA NDUMBE), REND HOMMAGE EN DUALA À L'ALLEMAND SCHEVE POUR SON ENGAGEMENT EN FAVEUR DES NOIRS.SOURCE : ARCHIVES DE LA FONDATION AFRICAVENIR INTERNATIONAL, DOUALA-BONABÉRI.
LETTRE DE DUALA MANGA BELL ET BRUNO MULOBI, RENDANT HOMMAGE EN DUALA, À BERLIN, À L'ALLEMAND SCHEVE, EN 1902.
* 1460 M. BUCHNER, Aurora Colonialis, p. 64. In J. GOMSU, Colonisation et Organisation Sociale. Les Chefs Traditionnels du Sud-Cameroun Pendant la Période Coloniale Allemande (1884-1916). Thèse de Doctorat De 3ème Cycle, Université de Metz, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Saarbrücken, 1982, pp. 76-78. * 1461 M. BUCHNER, Aurora Colonialis, p. 70. Cité par J. GOMSU, op.cit, pp. 81-82. * 1462 H. P. JAECK, « Die deutsche Annexion ». In Stoecker (éd.), Kamerun unter deutscher Kolonialherrschaft I, p. 47. Cité par J. GOMSU, op. cit., pp. 81-82. * 1463 J. GOMSU, Colonisation et Organisation Sociale. Les Chefs Traditionnels du Sud-Cameroun Pendant la Période Coloniale Allemande (1884-1916) ». Thèse de Doctorat De 3ème Cycle, Université de Metz, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Saarbrücken,1982, p. 79. * 1464 ANC, FA 1/ 93, (extrait) de Reichstagsverhandlungen, 1905 / 1906, p. 142. * 1465 J. GOMSU, Colonisation Et Organisation Sociale. Les Chefs Traditionnels Du Sud-Cameroun Pendant La Période Coloniale Allemande (1884-1916). Thèse De Doctorat De 3ème Cycle, Université De Metz, Faculté Des Lettres Et Sciences Humaines, Saarbrücken, 1982, p. 80. * 1466 Idem. |
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