L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
PARAGRAPHEII : LA REMISE EN QUESTION DE LA PERCEPTION DE L'ADMINISTRATION COLONIALE ALLEMANDE PAR LE ROI NJOYAA l'instigation du Secrétaire d'État Edward GREY en février 1916 au cours d'une réunion interministérielle à laquelle assistaient des fonctionnaires du « Foreign Office », il fut décidé que la Grande-Bretagne céderait le Cameroun à la France afin de ranimer son ardeur. Par la suite, EdwardGREY demanda à Lancelot OLIPHANT d'informer le diplomate français PICOT qui se trouvait à Londres à l'époque, de la décision britannique. Ainsi, deux hommes siégeant à Londres dessinèrent arbitrairement des lignes sur la carte du Cameroun et divisèrent le territoire en Cameroun Français et Britannique sans aucune connaissance sur la population indigène concernée. Le partage plaça certains Camerounais sous l'autorité française malgré leur désir d'être dirigés par les Britanniques. Ce fut le cas du Sultan NJOYA des BamounBamun qui demanda au Roi d'Angleterre de prendre le contrôle de son royaume. Le Sultan NJOYA adressera une lettre au Souverain britannique1387(*) pour lui faire part de ses intentions et traduit à travers cet acte de l'ambigüité des relations entretenues entre son royaume et les agents coloniaux allemands(A-). A travers cet acte, nous nous posons la question de savoir si la perception du Roi NJOYA à l'égard de l'administration coloniale allemande était réellement fondée (B-) ? A. CETTE PERCEPTION DE L'ADMINISTRATION COLONIALE ALLEMANDE EST-ELLE FONDÉE ?Dans une lettre adressée au Souverain britannique et écrite au début de l'année 1916, le Sultan NJOYA déclarait : « Moi, Njoya, seizième Roi des BamounBamun envoie mes humbles salutations au grand Roi d'Angleterre qui fait fuir les hommes dangereux et met ceux qui sont gênants en prison. Je remercie le Grand Roid'Angleterre d'envoyer ses soldats forts pour libérer mon pays... Ils m'ont délivré des mains des Allemands qui sont des hommes de l'obscurantisme qui n'ont pas de biens, qui sont des menteurs, qui ennuient continuellement les populations. J'ai rassemblé toutes mes populations et elles souhaitent toutes appartenir au Roi d'Angleterre et à ses enfants et aux enfants de ses enfants. Puisse-t-il les prendre dans ses mains et comme un père prend ses enfants puisse-t-il leur montrer la sagesse et les aider à leur enseigner à être des hommes forts comme les Anglais eux-mêmes. Il souhaite suivre le Roi d'Angleterre et être son serviteur avec mon pays pour que ma terre soit rafraichie de rosée et pour que les Allemands et toutes les choses sales puissent être chassées. Tous mes sujets, tout mon peuple, nos hommes et nos femmes âgées, mes hommes et mes filles, les faibles et les forts le désirent. J'ai une très petite chose dans mes mains que je souhaite offrir humblement au Roi d'Angleterre. C'est la chaise sur laquelle moi et mes pères nous nous sommes toujours assis et qui est ma force et ma puissance. Il y a aussi les deux grandes défenses d'éléphant qui sont à chacun de ses côtés. La chaise et les défenses ne sont rien pour son AltesseRoyalele Roi d'Angleterre mais c'est tout ce que j'ai. J'accepte le drapeau anglais qui est hissé sur ma ville. J'adresse mes remerciements ; je dis trois fois ma gratitude et donne ma terre et tout ce que j'ai aux Anglais. Njoya, 16ème Roi des BamounBamun ». Les propos durs du Sultan NJOYA à l'encontre des Allemands dans sa lettre au Roi d'Angleterre apparaissaient en contradiction avec l'admiration et le respect qu'il montrait à leur égard avant l'occupation anglaise du pays BamounBamun. Cette contradiction est peut-être due au fait que les Allemands ont privilégié leurs intérêts notamment en ce qui concerne la langue allemande qui fut imposée sur toute l'étendue du territoire national en général et en pays BamounBamun en particulier(1-) et ont ainsi muselé le Roi NJOYA et la langue Shumom(2-). 1. La politique linguistique comme outil d'appui à l'impérialisme allemand au CamerounLe BamounBamun, appartient au groupe de langues semi-bantou au sein de la famille des langues négro-congolaises. Le Roi NJOYA a créé des écoles de « Shumom » en 1896 et plus tard, 48 écoles furent créées sur tout le territoire BamounBamun et aussi dans le Haut-Nkam, dans les Bamboutos et à Bana, où il existait une inspection scolaire. LesAllemands ont encouragé cette initiative mais pas les Français qui verront en celles-ci un obstacle à leur processus de colonisation car cela passait par les églises et les écoles pour asseoir leur domination. « L'école du Blanc » est donc restée vide. La politique linguistique allemande, définie depuis par la loi du 24 avril 1910, constitue une véritable déclaration de guerre lancée aux langues locales. La langue allemande est désormais le seul instrument de communication dans les écoles du territoire. Cette attitude de l'administrateur colonial allemand ZECH confirme cette position hostile aux langues locales : « Je ne peux pas admettre que l'enseignement chrétien en langue locale soit dans l'intérêt de la colonie... Avec l'étude de la langue et son élévation au rang de la langue écrite, le sentiment national des indigènes va sans doute s'éveiller, mais en aucun cas un sentiment allemand ou de sympathie pour l'Allemagne, seulement l'opinion illégitime, reposant sur une illusion et jusqu'à alors inconnues, du sens de leur propre nation, de leur communiqué... Ceci n'est pas une langue locale qui doit être le trait d'union entre les indigènes et leurs responsables allemands ni entre les peuples de langues différentes ; c'est l'Allemand1388(*). (Voir les Annexes 13 & 14 : ce sont des correspondances qui interdisent désormais les correspondances en langue anglaise, en langue duala ou toute autre langue camerounaise). Partant de là, l'installation des musulmans et des chrétiens à Foumban constitue également un véritable goulot d'étranglement de la langue BamounBamun en ce sens que les premiers, les musulmans, ont une seule langue sacrée, l'arabe qui permet d'accéder à Dieu.En acceptant donc la foi islamique,le croyant BamounBamun devait renoncer à sa propre langue, le BamounBamun pour adopter la langue des autres, l'arabe. Le second groupe, les missionnaires chrétiens bâlois sont plus zélés dans un premier temps pour la marginalisation de la langue BamounBamun. Depuis leur arrivée au Cameroun, les Bâlois ont jeté leur dévolu sur deux langues, le « duala » pour l'évangélisation des côtes camerounaises et le « Bali » pour l'évangélisation des Grasslands. Le missionnaire Ernst VOLLBEHR, détaché de la région de Bali pour fonder la station missionnaire de Foumban, « était d'avis que l'apprentissage de la langue Bali pour les enfants bamounBamun dans l'école missionnaire en création ne serait pas aussi difficile que le haut allemand pour les enfants suisses »1389(*). Même le linguiste CarlFriedrichMichaelMEINHOF, consulté par l'Églisedonne un avis défavorable sur la langue BamounBamun.1390(*)Mais, toutes ces barrières tant au niveau externe qu'interne n'ont pas entamé le génie du Roi NJOYA dont la plus belle expression demeure l'oeuvre linguistique1391(*). Par la suite, on va assister progressivement au musellement du Roi NJOYA et de la langue « Shumom ». * 1387 Jointe ci-dessous. * 1388 M. FRANCE-LANGE, « Le choix des langues enseignées au Togo : quels enjeux politiques », in Cahiers de Sciences Humaines, n° 3-4, 1991, p. 484. * 1389 M. CHIMOUN, « La contribution anglo-saxonne à la compréhension de l'écriture bamounBamun : des signes du roi Njoya au manuel didactique de Njoya Moungo », Éthiopiques, n° 79, 2ème semestre, 2007, p. 2. * 1390 Celle-ci sera sauvée par l'intervention du missionnaire Geprags qui considère la langue bamounBamun comme unmoyen idéal d'évangélisation et l'écriture du roi NJOYA comme un instrument pour l'étude de la langue, de la culture et de l'histoire du royaume. Voir M. CHIMOUN, « La contribution anglo-saxonne à la compréhension de l'écriture bamounBamun : des signes du roi Njoya au manuel didactique de Njoya Moungo », Éthiopiques, n° 79, 2ème semestre, 2007, p. 2. * 1391 Colloque international Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan, 2014, p. 305. |
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