L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Camerounpar Winnie Patricia Etonde Njayou Université de Douala - Doctorat 2023 |
B. LA VALORISATION DE LA PERSONNALITÉDU ROI NJOYA PAR L'ADMINISTRATION COLONIALE ALLEMANDELe Prince NSANGU, père de NJOYA et grand-père de NJIMOLUH SEIDOU NJOYA, restaura la légitimité en devenant le 15ème roi de la dynastie car il réussit à chasser du pouvoir le « Mfon » NGOUWOUO qui était en réalité le chef des gardes du palais et n'était donc pas de la lignée royale. Par sa mère NJAPDUNKÉ, NJOYA descendait encore de NCHARE YEN. Cette épouse du RoiNSANGU était en effet l'arrière-petite-fille du Roi NGOULOURE. NJOYA, encore très jeune, succéda à son père qui mourut dans la guerre contre les Bansoh, peu avant 1889. Pendant sa minorité, sa mère « Na » NJAPDOUNKE assure la régence, avec l'aide du grand serviteur GBENTKOMNDOMBOUO. NJOYA dut acquérir une formation traditionnelle analogue à celle de ses frères dans cette maison dite « Ntapit » appelée la « Maison des lionceaux » où les fils du souverain entraient à partir du moment où ils étaient circoncis. Là, leurs aînés leur servaient de précepteurs et leur enseignaient les coutumes du pays et l'art d'y vivre.C'est ce qu'ils firent devant le roi avant de commencer une course guerrière « Kuma » que font les BamounBamun, les armes à la main. Le RoiNSANGU, très satisfait, leur offrit des cadeaux en récompense de leur bravoure. Ces princes furent ensuite envoyés selon la coutume chez «NJI»KAM-MACHU pour apprendre à fabriquer des balafons.NJOYA y eut encore l'occasion de se faire remarquer : il fabriqua son instrument de musique, apprit à jouer et devint l'instructeur de ses frères. Une dernière anecdote rapportée cette fois dans l'histoire fait état d'un partage de noix de cola effectué sur ordre de NSANGU en ces termes : « Tu as si bien fait le partage des noix de cola, que désormais c'est toi qui rempliras cette fonction auprès de tes frères »1375(*). C'est peu après, dans la société secrète appelée « Nguri », réservée aux princes et rivale de la société secrète appelée « Mbansié », ouverte aux seuls serviteurs du roi, que l'on inculquait aux fils de monarque cet « esprit de corps » qui s'exprimait dans leur solidarité face à celle qui liait les serviteurs constituant la noblesse de cour. D'après le traditionnaliste « Nji» MFONDA, un jour, le Roi NSANGU dit à ses sept fils, dont NJOYA, qu'il allait les envoyer à la guerre. Sans plus de précision, il les fit emmener chez « Nji» MFOUAMBE où ils furent circoncis. Comme ces enfants partirent armés comme des guerriers, ils devaient rentrer triomphalement au palais. Sur le chemin du retour, NJOYA dit à ses frères : « Si à notre arrivée, le roi nous demande des trophées, nous enlèverons nos vêtements pour lui montrer le résultat de la circoncision ». NJOYA n'était pas encore pubère quand il devint le 16ème Roi des BamounBamun. Son père laissait un pays ébranlé par une défaite militaire où périrent 1500 hommes sur le champ de bataille dans un combat contre les Bansoh. A partir vraisemblablement de 1896, NJOYA dut entreprendre des réformes qui allaient transformer le royaume et susciter l'intérêt et l'admiration des voyageurs africains ou européens qui visitèrent la région (1-). La personnalité du RoiNJOYA sera donc un atout de taille pour la consolidation des relations entre le pouvoir traditionnel local et l'administration coloniale allemande(2-). 1. Njoya, un monarque novateurLesBamounBamun connaissaient évidemment le travail du fer, mais les forgerons de Foumban transformaient les vielles pièces d'outillage qu'on leur remettait. Ils fabriquaient ainsi les houes et les armes dont se servait la population. NJOYA voulut que les BamounBamun sachent aussi fondre : « Il fait installer à proximité du palais un haut fourneau chauffé au charbon de bois où l'on traite des sables ferrugineux de la région. Les forgerons de la ville qui fournissent au palais l'armement dont il a besoin peuvent ainsi s'approvisionner sur place...le haut fourneau fonctionne lorsqu'Ankermann y parvient en 1908 »1376(*).On pratiquait aussi la technique de la fonte à la cire perdue, mais elle servait à fabriquer des objets rares destinés au palais : ce fut NJOYA qui créa les grands ateliers où il réunit de nombreux artisans et encouragea la production. D'après le Sultan Seidou «NJI»MOLUH NJOYA, il a eu d'autres audaces : « Quand son père vit les boîtes de conserve que lui offrirent des amis allemands, il tenta d'utiliser la même technique pour conserver les produits locaux.Il ordonna à ses serviteurs de fabriquer des bottes par le procédé de la fonte à la cire perdue. Ceux-ci lui apportèrent les récipients, mais comme évidemment NJOYA n'avait pas pensé à demander de conseils précis à ses amis européens, il mit les aliments cuits et assaisonnés sans aucune autre précaution dans les boîtes.Il ignorait tout de la stérilisation et lorsque les conserves furent recouvertes quelques mois plus tard, les aliments étaient gâtés ; ce fut bien un échec, mais cette expérience mérite d'être citée.Il n'hésita pas à faire fabriquer un canon avec lequel il réussit à détruire quelques bananiers à une centaine de mètres de distance. Il chargera le chef de l'équipe des techniciens, MONLIPERNJIMONJAP, de faire un moulin à maïs. Cette machine, qui n'avait rien à envier à ce que présentaient à l'époque les Européens, se trouve aujourd'hui au musée royal de Foumban ». NJOYA demanda au mêmeMONLIPER«NJI»MONJAP de fabriquer une imprimerie. Voici ce que TARDITS écrit à ce sujet : « Le monarque avant de se lancer dans cette entreprise, aurait sollicité vers 1913, les Allemands. Aucune réponse ne venant, il demanda à un artisan de réfléchir à son projet. Ce dernier réussit à fabriquer à la cire perdue dont les BamounBamun connaissaient le procédé, les quelques quatre-vingts caractères que comporte à l'époque l'alphabet. Il met ensuite au point une presse ; elle est constituée d'un plateau sur lequel on dispose les caractères, séparés par des baguettes de bois pour marquer les interlignes ; le plateau monté sur charnière, peut se rabattre sur le papier qui reçoit l'impression. En 1920, l'imprimerie est prête mais NJOYA, harcelé par l'administration française, fait dans sa fureur, fondre les caractères ». Ce fut encore sous ce règne que les BamounBamun apprirent des Haoussa à travailler le cuir, qu'ils adoptèrent la technique du tissage à pédale et commencèrent à teindre les tissus. En définitive, le Roi NJOYA a mis en place des oeuvres utiles pour son peuple et qui ont grandement contribué à la célébration de sa personnalité par l'administration coloniale allemande. * 1375 Sultan I. NJOYA, « Histoire et coutumes des Bamun, Mémoires de l'IFAN, série : Population N° 5, 1952, p. 65. * 1376 C. TARDITS, L'histoire singulière de l'art BamounBamun, 1972, p. 278. Voir A. LOUMPET- GALITZINE, « Objets en exil ; Les temporalités parallèles du trône du roi BamounBamun Njoya (Ouest Cameroun) », Université de Yaoundé I - Actes du colloque international - Temporalités de l'exil - Groupe de recherche - Poexil.Article publié sur le site https://academia.edu et consulté le 19 janvier 2021. |
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