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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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B. LES DIVERGENCES ENTRELESDEUXHOMMESAUSUJET DE LA PRATIQUE DE LA RELIGION CHRÉTIENNE

La Première Guerre mondiale mit brutalement fin à la période d'expansion de la Mission bâloise. La guerre s'étendit en effet rapidement aux colonies, ce qui handicapa considérablement le travail missionnaire. Puis le personnel allemand fut soit interné par les autorités françaises ou britanniques, soit mobilisé par l'Allemagne. A cela s'ajouta un appauvrissement marqué de l'Europe qui rendit la recherche de fonds plus difficile. Les années de guerre réduisirent pratiquement à néant l'activité dans les champs de mission.

Entre les deux guerres, la politique d'expansion des nations européennes dans les colonies n'avait pas beaucoup changé. La reprise du travail dans les missions fut donc difficile. Cependant, la Mission de Bâle réussit à revenir dans presque toutes ses zones de mission sauf au Cameroun français, et à réaliser un rétablissement étonnant de l'activité missionnaire.

Mais en raison de l'absence presque totale des missionnaires pendant la guerre, les communautés locales avaient pris de plus en plus conscience de leur force et de leur capacité d'autonomie. Des églises locales avaient été formées, qui incorporèrent l'apport des missionnaires à leur retour. Ainsi, les missionnaires trouvèrent à leur retour à la fois de nouvelles églises autochtones et des postes missionnaires étaient en déshérence1333(*).

Contrairement au christianisme, en effet, la conversion à l'islam, tout en lui en conservant la jouissance des privilèges matrimoniaux s'attachant à ses fonctions religieuses traditionnelles, lui conférait un titre de leader spirituel - sultan ! - gage d'emprise symbolique certaine sur ses sujets. La tentative de NJOYA pour reconquérir son hégémonie symbolique sur les chrétiens revêtit, lors du départ des missionnaires Bâlois, les traits d'une campagne de séduction. Le roi ouvrit des écoles et des commerces où il employa des convertis, donnant ainsi des gages de sa capacité, sinon à se substituer, au moins à compenser le vide créé par la défection forcée des missionnaires.

Toutefois, ce régime de faveur fut tempéré par des sanctions physiques et des tortures morales à l'encontre des GhaPkù tu (mot à mot « ceux à la tête dure », autrement dit « les têtus »), ainsi que furent désignés les chrétiens, considérés comme particulièrement récalcitrants et subversifs, du fait d'une collaboration coupable avec les Blancs. Ordonnateur officiel du discours sur son royaume, le roi-sultan découvre en effet avec stupéfaction et colère au lendemain du départ des Bâlois, le contenu des révélations faites aux missionnaires par ses sujets d'obédience chrétienne sur les coutumes du pays1334(*).

C'est cette situation qui va être la suite logique d'une série de tensions entre le RoiNJOYA et le missionnaire Bâlois GÖRING en territoire BamounBamun, et qui cristallise le duel opposant la tradition chrétienne et la tradition BamounBamun. Ainsi, le RoiNJOYA, en tant que gardien des traditions (1-), la croyance en Dieu en pays BamounBamun bien avant l'arrivée des Blancs et la création d'une religion syncrétique alliant l'animisme, l'islam et le christianisme (2-).

Figure N° 5 : Photos prises par le missionnaire GÖRING vers 1906-1912 qui oppose la première église chrétienne et l'école du Roi NJOYA à Foumban

Source : Catalogue en ligne Bibliothèque du Defap. Côte photo : CM. P. FGB-FB172 fait partie de Fonds photographique BamounBamun/ Daniel Broussous (1910/1960). Vers 1906-1912 - Clichés M. Göring. La Mission de Bâle.

Figure N° 6 : Table et chaire de l'église de Foumban (1940/1960)

Source : Catalogue en ligne Bibliothèque du Defap. Côte photo : CM. P. FGB-FB172 fait partie de Fonds photographique BamounBamun/ Daniel Broussous (1910/1960).

Les 02 (deux) premières photos traduisent l'antagonisme entre le christianisme et les coutumes traditionnelles en pays BamounBamun.On ressent la volonté de chaque camp d'imposer sa doctrine aux habitants du pays. Chaque camp dispose d'un templeet celui-ci du RoiNJOYA semble plus imposant. Cela traduit son engagement à demeurer le « maître du pays ».La 3èmephoto témoigne de la cohabitation entre la culture BamounBamun et la culture chrétienne notamment avec la présence de la croix et de la chaire d'église ainsi que des objets d'art BamounBamun présents en même lieu.

1. Le Roi Njoya, gardien des traditions

Toutes les couches sociales, femmes et hommes sont concernés puisque cette langue était destinée à remplacer la langue « shu pa mben », empruntée par les BamounBamun aux Mben, le peuple vaincu. La religion jouera un rôle de facilitation dans l'acquisition de l'écriture. NJOYA n'avait cependant pas renoncé à imposer la religion d'Allah à son peuple. Il usait tantôt de la persuasion, tantôt de la force pour vaincre les résistances. Aux jeunes hommes, il promettait de donner des filles de NJI ou des princesses autant qu'ils en voudraient s'ils obéissaient à ses ordres. Il organisait aussi de grandes réjouissances pour le peuple.

On vit même un jour Lydia MANGWELOUNE1335(*) reprise par sa vieille passion, danser l'impur « pandambo » avec d'autres femmes. Cependant, Lydia MANGWELOUNE en éprouva de la honte. Impôts, corvées, emprisonnements devaient décourager les récalcitrants. Les fidèles passaient par des heures bien sombres. Tous n'avaient pas la force de résister aux offres tentatrices du Mfon ou de supporter la persécution. Il y eut des abandons. Reniant leur foi, des hommes embrassèrent l'islam, retombèrent dans la polygamie. Des femmes se soumirent à leurs maris pour avoir la paix1336(*).

Ces deux femmes ont oeuvré à la diffusion du christianisme en pays BamounBamun et sont des pionnières dans la prise en compte des droits des femmes, des enfants et des plus vulnérables dans la société BamounBamun qui était fortement inégalitaire et régit par la loi du plus fort, notamment à travers la pratique de la peine de mort. Le christianisme a permis de chaque individu de trouver une place à part entière et a véhiculé les valeurs de pardon, de tolérance et d'acceptation de l'autre, non seulement pour les locaux, mais aussi entre Blancs et Noirs.

C'est pourquoi la tâche devenait toujours plus difficile, car NJOYA avait composé une nouvelle doctrine qui commençait par ces mots : « C'est ici le livre du roi Njoya qui a choisi quelques paroles de Dieu dans le livre des Blancs et le livre des maloums, les a mises ensemble pour inspirer la vraie crainte de Dieu... ».

Le missionnaire GÖRING a donné le nom de NJOYA à son second fils. Le nom donné à son fils montre le degré d'amitié qu'il avait avec le sultan du royaume BamounBamun... où il avait séjourné avant son arrivée à Foumban en 1906. En effet, l'attachement et le respect que NJOYA avait pour GÖRING, aussi sincères qu'ils aient été, ne le convainquirent jamais de braver les prescriptions de la tradition qui lui imposaient, en sa qualité de chef des BamounBamun,de prendre de nombreuses épouses1337(*).

La renonciation au trône de ses ancêtres que lui aurait couté l'adoption du régime matrimonial monogamique prescrit par le christianisme, trop lourde à supporter, l'en dissuada toujours. Aussi, lorsque survint la SMEP pour reprendre le champ de la mission allemande dans la partie française du territoire camerounais, le Roi NJOYA affichait déjà sa préférence pour la religion musulmane.

C'est qu'entre l'arrivée des Français et le départ des sympathiques Bâlois, était survenue la PremièreGuerre mondiale et avec elle, aux dires de l'ancien d'Église Jean-Carrière «NJI» :« Le spectacle des nations chrétiennes s'entredéchirant aux yeux des sauvages indigènes éberlués »1338(*). La conclusion qu'en aurait tirée le roi, estime «NJI», est qu'une religion dont les ouailles n'hésitaient pas à en venir aux mains n'était pas un modèle de valeur à présenter à ses sujets1339(*). D'après la doctrine religieuse de NJOYA : « La religion révélée par les Blancs et celle révélée par les Malum sont les mêmes. Qu'un homme croie en la religion des Blancs et observe toutes ses lois ou qu'il croie en la religion révélée par les Malum et observe toutes ses lois, c'est la même chose. Dieu est capable d'écouter la prière de toutes les races humaines dans leurs langues respectives sans qu'il y ait besoin de parler la langue d'autrefois, car c'est lui qui a créé tous les hommes et qui les a dotés du pouvoir d'inventer leurs langues ! Dieu écoute dans leurs langues respectives tous ceux qui ont une bouche, car c'est lui-même qui leur a fait don de ces langues ».1340(*)

Le Roi NJOYA semblait conscient de l'emprise politique de la religion chrétienne qu'il avait senti lui échapper au fil de la pénétration de la doctrine chrétienne.

Contrairement au christianisme, en effet, la conversion à l'islam, tout en lui conservant la jouissance des privilèges matrimoniaux s'attachant à ses fonctions régaliennes traditionnelles, lui conférait un titre de leader spirituel - sultan ! - gage d'emprise symbolique certaine sur ses sujets.NJOYA régna de 1894 à 1933. Il succéda à son père NSANGU en 1886 car il était encore trop jeune à la mort de son père. Sa mère NJAPDOUNKÉ assura la régence. En raison des crises internes dues à la succession, NJOYA se tourna vers les Foulbé. Avec leur aide, il battit ses rivaux et devint le souverain indiscuté des BamounBamun. En signe de gratitude à l'égard des Foulbé, NJOYA accepta l'Islam.Il accueillit les Allemands en 1902. En 1906, il permit à la Mission de Bâle de construire une église à Njissé. Il utilisa les Allemands pour renforcer sa position, éliminer ses rivaux du lignage royal et de la cour.

Il s'appuya aussi sur les Allemands pour venger l'assassinat du Roi NSANGU par les Nsoh ainsi que pour retirer le crâne de Nsangu de ce pays.Il collabora étroitement avec les Allemands, ce qui lui permit de visiter la côte en 1908 où il futreçu par le Gouverneur Théodore SEITZ à Buéa.

Lorsque les Allemands furent battus au Cameroun en 1916, NJOYA les qualifia « les hommes des ténèbres... des menteurs qui troublent les populations continuellement ». Il favorisa une annexion de la région BamounBamun par les Anglais en 1916mais cette portion du territoire devint par la suite française. Tout jeune souverain, avec les moyens de sa politique, NJOYA avait tôt éprouvé la nécessité d'une forme de communication et de pérennisation de son action. Il lui vint la création de l'écriture avant l'avènement de l'Occident dans l'espace BamounBamun. Cette écriture allait connaître son évolution et donner naissance à une langue, le « Shu-mom », tout aussi prodigieuse que l'écriture.

Au contact de l'Occident, en l'occurrence les Allemands, l'esprit curieux et inventif de NJOYA, s'intéressant à la bicoque de l'administrateur allemand à Buéa, l'amena à engager son peuple, sous sa direction, selon son plan, à réaliser un palais à l'honneur de son peuple et par des BamounBamun formés dans les écoles professionnelles créées par lui NJOYA et non des écoles d'architecture d'Europe.

NJOYA voulut tirer profit de sa rencontre avec l'Occident, non pas pour se contenter de consommer les produits des Occidentaux qu'il appréciait par ailleurs, mais pour se donner le défi d'en faire autant, voire de concurrencer positivement l'Autre1341(*), et de se protéger, lui et son peuple, de l'aliénation, de la perte de sa liberté1342(*).

La force de l'Autre venant de sa capacité à produire le sens, à mettre à disposition les produits de sa fabrication, les biens matériels et valeurs spirituelles, NJOYA crut au génie de son peuple et à son génie propre pour se donner le pouvoir d'être producteur de sens. Son approche de l'Autre, sa vision de son environnement et l'idée qu'il se faisait de la grandeur de son peuple, de sa propre liberté, tout cela l'incita à jouer le mécène des Hommes qu'il éduqua à son génie et qui devinrent à leur tour des génies bâtisseurs, forgerons, tisserands, maçons, scribes...Sous NJOYA, la case ronde BamounBamun devint la maison spacieuse rectangulaire plus commode à l'expression de la vie. Et la qualité de la vie alla de pair avec de nombreuses innovations artistiques : l'enrichissement de la musique BamounBamun de plusieurs compositions en langue « Shumom », l'introduction de « l'algaita » d'origine sahélienne.

L'émergence d'une classe de scribes, le développement de métiers divers permettant à une frange lettrée et professionnalisée de la population de vivre de ses oeuvres, encouragea l'attente par les BamounBamun d'un niveau de civilisation remarquable.

Les réformes multisectorielles révolutionneront la sphère politique, l'agriculture et l'économie, l'art de vivre, ainsi que la transformation et/ou l'urbanisation de la cité de Foumban..., ce sont autant d'aspects civilisationnels à ajouter à l'actif de NJOYA, inventeur d'un moulin à maïs, géographe, géopolitiste qui réalisa une carte de son royaume. Il excella dans le mécénat et l'encouragement par des prix d'excellence aux artisans. Il transforma la médecine et la pharmacopée par souci d'amélioration de la santé de son peuple, et ce faisant, il introduisit une profonde réforme de mentalité, une révolution dans la conception cosmique et cosmologique des BamounBamun.

En tant que gardien des traditions, le Roi NJOYA se devait de limiter l'influence du christianisme et continuer d'asseoir son autorité sur son peuple.

* 1333« Mission de Bâle - société missionnaire », article publié sur le site www.wikipédia.fr et consulté le 11 mai 2021.

* 1334 N. L. NGO NLEND, «Le christianisme dans les enjeux de pouvoir en pays BamounBamun, Ouest du Cameroun, hier et aujourd'hui », Institut protestant de théologie, Études théologiques et religieuses, 2013/1, Tome 88, pp. 73-87.

* 1335 BLOG « REGARDS PROTESTANTS », «Cameroun - Photos du passé. Foumban vers 1911 - L'histoire de Lydia Mengwelune (1886 - 1966), la danseuse du roi ». Article publié le 12 octobre 2019 sur le site www.facebook.com et consulté le 03 mai 2021.

* 1336 H. NICOD, Mangweloune. La danseuse du Roi Njoya, Paroles écrites, 2002, pp. 161-163.

* 1337 Idem.

* 1338 Jean-Carrière NJI, né le 27 mai 1927, membre de l'Église Évangélique de la région synodale du Noun (pays BamounBamun), entretien du 9 juin 2010 avec l'auteur, à Foumban.

* 1339 N. NGO NLEND, « Le christianisme dans les enjeux de pouvoir en pays bamounBamun, Ouest du Cameroun, hier et aujourd'hui », in Études Théologiques et Religieuses, 2013/1, Tome 88, pp. 73- 87.

* 1340 Cité par C. TARDITS, « Njoya (C. 1875-1933) ou les malheurs de l'intelligence chez un sultan bamounBamun », Les Africains, Tome IX, 1978, p. 286. Cité par A. P. TEMGOUA, op.cit., L'Harmattan Cameroun, 2014, p. 247.

* 1341 L'Européen...

* 1342 Colloque international Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 5-8.

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