Les facteurs de retard diagnostic de l'endométriose: une revue systématique de la littératurepar Emerson JEAN PHILIPPE Université de Tours - Master Santé Publique 2022 |
PARTIE II : MÉTHODOLOGIE15 Les recommandations PRISMA ont été suivies dans la réalisation de cette revue systématique. (Annexe 6) A- CRITÈRES D'INCLUSION ET D'EXCLUSIONLes critères de sélection ont été déterminés avant la collecte des données. D'abord pour extraire les données et les différents facteurs liés au retard diagnostic de l'endométriose, pour ensuite analyser les différentes variables et en fonction des pays. Ainsi ont été incluses toutes les études qui portent sur ces facteurs, effectuées auprès des femmes de la ménarche à la ménopause dont le diagnostic de l'endométriose a été confirmé par la coelioscopie, objectivé dans les dossiers, par relecture d'une imagerie ou rapportés par les patientes elles-mêmes. Nous avons inclus les études de cohortes prospectives et rétrospectives. Le principal critère était que l'article mette en évidence le retard diagnostic dans son ensemble et en analyse les facteurs. Ainsi, tous les articles qui ne consacrent pas une partie à l'analyse des facteurs de retard diagnostic et tous ceux qui sont identifiés comme des revues de la littérature ont été exclus. - Sélection des études La recherche bibliographique a identifié 634 articles sur l'endométriose potentiellement éligibles dans les différentes bases de données et par la recherche manuelle. 10 études ont été incluses dans l'analyse qualitative (figure 4). Les études ont été identifiées à l'aide de PUBMED (n=16), Sciencedirect (n=618) jusqu'au 28 février 2023. Au total 608 publications ont été exclues car leurs résumés ont montré qu'elles ne répondaient pas aux critères de sélection. Les manuscrits complets de 25 des 26 articles sélectionnés ont été obtenus. Deux études ont été exclues car le texte intégral n'était pas disponible. 10 articles ont été exclus car il ne s'agissait pas d'études à proprement parler mais plutôt des documents à caractère pédagogique. 4 autres ont été exclus car il s'agissait de revues de la littérature. 16
Figure 2 : Flow chart des études incluses dans l'analyse qualitative. - données sur le retard diagnostic Les données sur le retard diagnostic et les facteurs déterminants ont été extraites des 10 articles publiés de 1996 à 2022, des études réalisées en Europe, Amérique du nord, Asie et en Océanie. Il s'agissait d'études de cohorte rétrospectives (n=10) et prospectives. Le diagnostic de l'endométriose dans les 10 articles était réalisé par coelioscopie. Un total de 16027 patientes atteintes d'endométriose a été comparé avec 15421 patientes sans endométriose. Les caractéristiques des études incluses sont présentées dans le tableau 1. 17 Tableau 1 : Caractéristiques des études inclus dans l'analyse qualitative. G. A DDM E+ E- Dx. D.E Biais possible
D.E : design de l'étude, G.A : groupe d'âge, FRD : facteurs de retard diagnostic rapportés, DDM : délai diagnostic moyen, E+ : diagnostic positif pour endométriose par coelioscopie objectivée dans les dossiers ou rapportée, E- : patientes sans endométriose. Premiers symptômes Retard Patientes Première consultation Retard Médecins Diagnostic final 18 C- Discussion Notre revue systématique a été basée sur 10 études qui comprenaient un total de 31448 femmes atteintes d'endométriose, diagnostiquées par coelioscopie, adolescentes et adultes confondues. Le délai diagnostic moyen était de 10,2 ans. Un plus long délai a été constaté entre la première consultation et le diagnostic final, soit 7,45 ans contre 2, 75 ans avant la première consultation (figure 3). Figure 3 : le délai diagnostic moyen de l'endométriose
- Les Variables explorées chez les Médecins. 7,45 ans correspondent au délai du retard diagnostic qui concernent directement la profession médicale. Ainsi 4 variables ont été explorées comme facteurs potentiels de retard diagnostic de l'endométriose recueillis en entretien auprès des femmes ayant été diagnostiquées chirurgicalement dans les 10 études incluses dans notre travail. Par ailleurs, les 2 variables qui répètent le plus sont l'errance diagnostic et la normalisation des symptômes par les médecins généralistes ( Tewhaiti-Smith et al, 2022, Nouvelle Zélande ; Han et al, 2018, Chine ; Aubry et al, 2022, France ; Hadfield et al, 1996, États Unis, Royaume Unis ; Kalleberg et al,2003, Norvège ; Staal, et al, 2016 Pays-Bas ; Singh et al, 2020, Canada ; Ballard et al, 2006, Angleterre) , suivies des deux (2) autres qui sont d'abord l'utilisation de contraceptifs oraux(CO) et d'anti-inflammatoires non stéroïdiens ( Kalleberg et al, 2003, Norvège ; Staal et al, 2016 Pays-Bas ) puis la prescription des examens diagnostics non discriminatoires( Ballard et al, 2006, Angleterre). 19 La normalisation des symptômes par les médecins généralistes serait due au fait qu'ils reproduisent cette représentation de la société à l'égard des femmes, tandis que les 3 autres variables, dont l'errance diagnostic, la prescription de contraceptifs et des examens non discriminatoires, seraient dues au fait que la maladie soit peu connue par les médecins généralistes. La non-spécificité des symptômes de l'endométriose peut également être variable en fonction de la localisation de la maladie. Créer des filières de formation continue dans les hôpitaux, stimuler les médecins généralistes à se former sur l'endométriose, assurer la sensibilisation des étudiants dès la faculté de médecine sur les facteurs de retard diagnostic ainsi que l'investissement dans la recherche sur l'endométriose pourraient aider à diminuer ces sept années de souffrance physique et psychique des femmes en âge de procréer atteintes d'endométriose. - Les variables explorées chez les patientes. 2,75 ans en moyenne correspondent à la partie du retard diagnostic avant la première consultation dont la principale responsable est la femme qui elle-même souffre de la maladie. Ainsi six (6) variables ont été récoltées comme étant à la base de cette lenteur des femmes à prendre la décision de se rapprocher de la médecine afin de connaître le diagnostic pour qu'elles puissent finalement trouver un traitement adapté. 1)Normalisation (Tewhaiti-Smith et al, 2022 ; Aubry et al, 2022 ; Singh et al, 2020 ; Ballard et al, 2006) et dissimulation des douleurs menstruelles considérées comme un `'discrédit attribut''*11 (Kate Seear, 2009). 2) Embarras et peur d'être perçu comme faible (Ballard et al, 2006). 3) Dysménorrhée dès la ménarche*12 ou avant 20 ans (Han et al, 2018; Staal, et al, 2016, Ida Pino et al, 2022) 4) Intensité de la dysménorrhée. 5) Accessibilité des soins. 6) Problèmes ethniques (Tewhaiti-Smith et al, 2022). La normalisation des symptômes par les patientes est citée par 6 des dix articles inclus dans l'étude et représente la raison première de ce retard lié aux patientes, raison corrélée à une société qui considère les symptômes douloureux de la femme comme normal. Kate Seear a argumenté que cette idée préconçue, ce stigmate ou encore cette fausse croyance est 11 Goffman E, Stigma : notes on the management of spoiled identity. Harmondsworth : Penguin 12 La période des premières menstruations. tellement ancrée dans l'imaginaire collective, que certaines femmes tentent de dissimuler les symptômes considérés selon Erwing Goffman comme étant un `un discrédit attribut'. Dans l'étude de Ballard et al, 2006 les femmes se disent être dans l'embarras et craignent d'être perçues comme faible par les autres. Des actions d'éducation systématiques dans les établissements recevant du public, notamment dans les écoles et les universités, pourraient aider à mieux sensibiliser les femmes sur la maladie. L'incitation et le financement des projets d'éducation par les pouvoirs publiques pourraient renforcer des actions collectives à cette cause. Tableau 2 : répartition des variables en fonction des parties prenantes.
1-Normalisation des symptômes Errance diagnostic 2-utilisation de contraceptifs oraux et d'anti- inflammatoires non stéroïdiens. 3-Suppression intermittente des douleurs par hormones et AINS 4-Examens diagnostics non discriminatoires 1-Normalisation des symptômes -Dissimulation des douleurs Menstruelles considérées comme un `'discrédit attribut»*13 2-Intensité de la dysménorrhée 3Dysménorrhée dès la ménarche*14 Ou avant 20 ans 4-accessibilité des soins 5-Embarras et peur d'être perçue comme faible. 6-problèmes ethniques 20 13 Goffman E, Stigma : notes on the management of spoiled identity. Harmondsworth : Penguin 14 La période des premières menstruations. 21 -Les variables liées aux médecins et patientes en fonction des pays. La normalisation des symptômes par les médecins et les patientes explorée par des équipes de recherche de 8 des pays concernés par notre travail, nous permet de comprendre que cette idée préconçue à l'égard des femmes vis-à-vis des douleurs, avec ou en dehors des règles, existe et n'est pas l'affaire que d'un pays mais représente le frein commun du retard diagnostic de l'endométriose dans diverses régions du monde. Qu'en est-il de l'errance diagnostic ? Le mot errance vient du latin errantia qui signifie l'action de s'égarer15. C'est ainsi que le médecin généraliste issu de la société avec la représentation de cette dernière sur les douleurs cycliques ou non de la femme, devant une pathologie peu connue, avec des symptômes non spécifiques a tendance à penser avec des pathologies autres que l'endométriose. Par conséquent, il a tendance à prescrire des examens diagnostiques non discriminatoires dont les résultats reviennent le plus souvent négatifs, ce qui renforcera l'idée que les douleurs sont normales. Cette réalité avec les médecins généralistes est d'autant plus flagrante quand les douleurs commencent dès la ménarche ou avant 20 ans selon l'équipe italienne Pino et al. Le problème d'accessibilité des soins est aussi posé aux Etats-Unis, en Nouvelle Zélande et au Royaume-Uni en même temps que le problème ethnique. Il serait liée selon Tewhaiti-Smith et al, à la difficulté de ces femmes à supporter les coûts liés à la prise en charge, voire à des problèmes logistiques. Nous pouvons en conclure que le système de santé, qui n'est pas égalitaire dans ces pays, touche particulièrement des minorités ethniques. 15 https://www.cnrtl.fr/etymologie/errance Normalisation des symptômes - Errance diagnostic -Accessibilité des soins - problèmes ethniques Normalisation des symptômes - errance diagnostic -Intensité de la dysménorrhée -Dysménorrhée dès la ménarche*16 -Début des symptômes dès la ménarche -errance diagnostique -utilisation des contraceptifs oraux et anti-inflammatoires non stéroïdiens. -Normalisation des symptômes - Errance diagnostic -Embarras et peur d'être perçu comme faible. -Suppression intermittente des douleurs par des hormones. -accessibilité des soins Tableau 3 : Répartition des variables liées au retard de diagnostic de l'endométriose en fonction des pays. PAYS FACTEURS DE RETARD DIAGNOSTIC RAPPORTES
Chine -Dissimulation des douleurs menstruelles considérées comme un `'discrédit attribut»*17 Australie Début des symptômes avant 20 ans Italie -Normalisation des symptômes par les médecins (60%) et les patientes (35%) France Normalisation des symptômes - errance diagnostic -accessibilité des soins États-Unis, Normalisation des symptômes - errance diagnostic Norvège
-Normalisation des symptômes -errance diagnostic Canada
22 16 La période des premières menstruations. 17 Goffman E, Stigma : notes on the management of spoiled identity. Harmondsworth : Penguin 23 |
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