Le rôle que joue l'apprentissage du français dans le processus d'intégration des migrants en structures associatives( Télécharger le fichier original )par Shazia Nazir Université d'Avignon - Master didactique du FLE/FLS et éducation interculturelle 2017 |
CHAPITRE I : LES PARCOURS SOCIOLINGUISTIQUES DE MIGRATIONLes personnes ayant immigré en France possèdent des motifs d'arrivée différents. Il est important de comprendre les raisons qui les ont poussés à émigrer pour mieux comprendre leur quotidien en France ainsi que les éventuelles difficultés auxquelles ils sont confrontés car ils ont une influence plus ou moins directe sur leur parcours d'apprentissage du français. En effet, si l'apprentissage du FLE/FLS pour un apprenant (hors parcours de migration) relève d'un acte motivé par des raisons d'enrichissement intellectuel, professionnel ou touristique, (Barthélémy et al., 2011 : 111), pour les migrants en France, les motivations sont différentes et déterminantes pour leur futur dans ce pays car ils « arrivent le plus généralement contraints ou forcés (raisons familiales, économiques, politiques...) » (Ibid. : 111). C'est pour cela qu'il me semble pertinent d'analyser en amont les motifs de départs de ces migrants car ils peuvent m'éclairer sur le rôle que joue l'apprentissage du français au sein de leur processus d'intégration. I-1 Les motifs de migration1.1 La difficulté de catégoriser les départs de mes enquêtés Comme je l'ai précisé dans ma partie théorique, mes enquêtés sont issus de migrations économiques et politiques et non pas touristiques. Il est par contre difficile de juger du caractère volontaire ou forcé du départ de leur pays d'origine. En effet, si pour certains il est clair qu'il s'agit d'un cas de migration forcée (H50) car motivé par la fuite d'une guerre, pour les autres (F42, H37, K43, M30, R46, R47, A34, G40), il est parfois difficile de les positionner dans la catégorie « migration volontaire ». Si je m'en tiens à ma théorie qui qualifie la migration volontaire de « départ préparé et organisé » alors oui, je peux qualifier ces départs de volontaires car : « la décision d'émigrer a été prise dans le cadre d'une situation non extrême, où elles [les familles] ont eu au moins le temps de préparer le déménagement » (Barudy, 1992 : 55). Aussi, je peux dire que ces familles avaient pour stratégie commune l'amélioration de leurs conditions de vie (Ibid. : 55). Cependant, lorsqu'il s'agit de migrants dont le départ est certes volontaire mais motivé par des raisons parfois similaires à celles de la migration forcée car « il s'agit de perturbations qui, par leur intensité ou leur durée, sont ressenties comme une catastrophe pour les membres de la famille » (Ibid. : 53), comment est-il possible de les positionner ? Ces 58 catégories préétablies m'ont fait prendre conscience de la difficulté de traiter dans le cadre de mon analyse de la diversité des parcours de migration existants. Cette difficulté réside dans l'objet même des sciences humaines et sociales qui vise de manière générale à étudier les êtres humains et leurs expériences. Il est donc juste de rappeler ici que mon analyse visera au mieux la prise en compte de la pluralité et de la complexité des parcours respectifs de mes enquêtés sans prétendre à l'exhaustivité. Après avoir évoqué ces obstacles, j'aimerais désormais aborder les parcours de migration respectifs de mes enquêtés en évoquant le cas particulier d'un apprenant (A34), dont le motif départ souligne ces difficultés de catégorisation. 1.2 Les parcours de migration en détail et l'exemple du cas A34 : une migration économique et sociale volontaire ? Comme je viens de l'évoquer, positionner une personne dans une catégorie préétablie peut semer la confusion. En effet, les catégories que j'ai pu définir dans ma théorie : migration volontaire et migration forcée, ne m'ont pas permis de positionner tous mes enquêtés de manière cohérente. J'aimerais exemplifier par le cas d'un migrant dont le motif retenu est celui d'une migration économique et sociale (A34) (cf. colonne 4 du tableau 1, ci-dessous). Désormais, je vais expliquer plus en détail, à partir du tableau ci-dessous, la perplexité dans laquelle j'ai été plongée au moment où j'ai voulu placer mes enquêtés dans des « cases ». Ces catégories ont été créés à partir des motifs d'arrivée recensées par mes enquêtés. Tableau 1 : les motifs de migration
Ces motifs ont été recueillis dès le début de l'entretien, lors de la première question énoncée : 1/ Expliquez-moi ce que vous faisiez avant d'arriver en France (études, travail, etc.) et ce que vous faites maintenant ? et proviennent également d'un recueil d'informations post-entretien. Il m'a semblé essentiel de commencer par ces éléments tout d'abord pour éviter d'entrer dans le vif du sujet épineux de l'intégration mais aussi afin de 59 mieux appréhender les parcours personnels de mes apprenants. En effet, je montrerai plus tard que ces motifs permettent d'établir des liens de compréhension avec leurs parcours d'apprenants en France et de croiser certaines variables. Ci-dessous, un complément d'informations permettant d'éclairer les motifs de migration de chaque enquêté présenté dans le tableau 1 et exposant un bref état de leur situation actuelle : - La première colonne prend en compte le motif de départ de mon enquêtée H50, il s'agit du cas isolé d'une femme libanaise de 50 ans ayant fui la guerre dans son pays natal avec ses 3 enfants il y a 2 ans. H50 a été scolarisé jusqu'en terminale. Elle était en activité dans son pays d'origine en tant que professeure de mathématiques dans le primaire. A son arrivée en France, elle a effectué une demande de statut de réfugié politique qui a été refusée mais elle a actuellement engagé un recours. Cette enquêtée est un cas de migration forcée pour les raisons expliquées plus haut. - La deuxième colonne traite du cas de G40, brésilienne de 40 ans arrivée il y a 6 ans en France par le biais d'une association franco brésilienne dans le cadre d'un projet professionnel de partage des pratiques. Elle était danseuse et animatrice dans son pays d'origine et l'est toujours ici en France. G40 s'est mariée avec un Français pendant cette période et dispose actuellement de la carte de séjour. Elle est aujourd'hui officiellement divorcée et célibataire. G40 est un cas de migration volontaire car il s'agit d'une démarche d'immigration anticipée, voulue et préparée. - La troisième colonne traite des cas de 6 migrantes entre 30 et 47 ans, arrivées du Maroc pour la majorité il y a au minimum 8 ans de cela et au maximum il y a 26 ans (F42, H37, K43, M30, R47). Elles ont toutes bénéficié du dispositif de regroupement familial10grâce au travail de leur mari respectif en France, sauf pour le cas particulier de R46, arrivée il y a 1 an par le biais d'une carte de séjour espagnole mais dont l'objectif reste néanmoins similaire à celui des autres migrantes citées précédemment : rejoindre un mari ou un autre membre de leur famille. La majorité de ces enquêtées ont arrêté leur scolarité de manière précoce : au collège (F42, H37, K43, M30, R46) ou au primaire (R47) et se sont mariées à la suite de cette rupture scolaire. Elles sont actuellement pour la majorité sans emploi, parfois sans raison explicite (F42), pour 10Le regroupement familial est la possibilité pour un étranger non européen, titulaire d'une carte de séjour en France, d'être rejoint par son époux et ses enfants : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F11166 60 d'autres du fait de la présence d'enfants en bas âge à garder (H37 et M30), de contraintes légales (R46 est sans papier) ou de contraintes physiques (R47 est en arrêt maladie). Seule K43 a récemment été employée à temps partiel en tant qu'agent de propreté. - La quatrième colonne traite du cas de A34, un homme marocain de 34 ans arrivé il y a 2 ans grâce à un visa touriste. Il a depuis décidé de prolonger son séjour en France au-delà du délai légal. Il est actuellement sans-papiers. A34 est célibataire et n'a aucune famille en France. Il a été scolarisé jusqu'au primaire au Maroc et a commencé à travailler à l'âge de 10 ans. Il était chauffeur de camion et peintre dans son pays d'origine et est aujourd'hui dans la continuité de son activité précédente de peintre en bâtiments et dans la réalisation de travaux d'entretien et de réparation. C'est précisément cette dernière colonne qui m'a interpellée. Elle a été particulièrement l'objet de doutes quant au caractère volontaire ou pas de son immigration. En effet, il est difficile de juger pour ce cas du degré d'anticipation et de préparation du voyage d'immigration. A34 venu en tant que touriste avait-il anticipé de rester en France ou pas ? Aurait-il été contraint de quitter son pays s'il n'avait pas eu à faire à la corruption et à la misère économique de sa situation là-bas ? En effet les informations recueillies après l'entretien avec A34 semblent indiquer que l'enquêté était excédé par la situation économique et sociale de son pays d'origine et me laisse donc supposer qu'il avait anticipé de rester en France mais aucune affirmation de sa part ne me permet de déclarer qu'il s'agit bien d'une migration volontaire. Les propos recueillis hors entretien (directement auprès de lui mais aussi auprès de la responsable chargée des tests d'entrée) m'ont laissée penser que son départ a été motivé par une situation qu'il estimait extrême. A34 m'a clairement énoncé que sa situation personnelle dans son pays d'origine était devenue insupportable et qu'il n'envisageait aucun avenir là-bas. Ce cas m'a amené à reconsidérer ces catégories de migration volontaire /vs/ forcée car il est difficile de placer selon des critères prédéfinis tous mes enquêtés. En effet, ce que l'on suppose comme volontaire peut ne pas toujours l'être : il m'était impossible de comprendre avant de prendre connaissance de son histoire qu'il s'agissait d'un cas de migration forcée et non volontaire. La situation de ce cas particulier me permet de réaliser toute la difficulté d'associer un cas théorique à un cas pratique et le recul nécessaire à adopter face à nos enseignements 61 théoriques. Il est également important de souligner la nécessaire adaptation à avoir en tant qu'enseignant de FLE/FLS face à son contexte d'apprentissage. Il m'est aussi possible, par ce cas, d'appuyer toute la subjectivité des constructions de catégories visant à répertorier les êtres humains dans des cases, comme je l'ai précisé dans ma théorie11, à propos de la catégorisation du français en vue de son enseignement : « les catégories suivantes f...] ne peuvent pas être considérées comme des catégories exclusivement objectives f...], mais doivent être aussi vues comme subjectivement construites » (Goi & Huver, 2012 : 25). Les parcours de migration ainsi évoqués nous ont permis de tracer les itinéraires physiques de mes enquêtés depuis leur pays d'origine à leur pays de migration (la France). Voyons désormais comment ces parcours migratoires se traduisent au niveau linguistique : quelles sont les langues en usage chez mes enquêtés, comment celles-ci interagissent entre elles, comment témoignent-elles des parcours de vie de ces personnes et des réseaux existants et quels en sont les aspects identitaires que l'on retrouve. I-2 Les langues en usage et leurs contextes d'utilisation 1.1 Une démarche préconisée par le CECRL Les motifs de migration précédemment évoqués ont poussé mes enquêtés à quitter leur pays. Que ces départs soient récents ou lointains, ils ont emporté et conservé ces langues avec eux. Ces langues sont le reflet de parcours d'apprentissage divers, en contexte scolaire ou non, et peuvent permettre aux formateurs de mieux comprendre le parcours d'apprentissage actuel de leurs apprenants. Ainsi cette partie vise à analyser les réponses liées à la deuxième et à la troisième question de mon guide d'entretien : 2/ Quelles langues parlez-vous ? Quelle(s) langue(s) parlez-vous avec votre famille, vos amis ? Dans quelles occasions ? Avez-vous des préférences, lesquelles et pourquoi ? 3/ Où avez-vous appris le français ? Pendant combien de temps ? Avec qui et quand le parlez-vous ? Avez-vous des amis français ? Ces questions pourraient s'apparenter à une brève biographie langagière (ici réalisée à l'oral) telle qu'elle est recommandée dans le CECRL car elle favorise la réflexion et la prise de conscience de l'apprenant sur ses apprentissages et lui permet de : « présenter son bagage 11Se référer à la partie : I/LANGUES(S) ET ENSEIGNEMENT, I-1 Enseigner le français : une nécessaire adaptation, 1.1 Catégoriser le français pour mieux cerner son public. 62 linguistique et culturel et réfléchir sur ce bagage, par exemple la/les langue(s) de la famille, le voisinage, etc. » (Conseil de l'Europe)12. Ce moyen de retracer brièvement les parcours sociolinguistiques de mes enquêtés est selon moi, une étape nécessaire pour améliorer l'arrivée d'un migrant dans un centre de formation. Ce dernier dispose bien souvent de ressources enfouies car il a un passé qui implique bien souvent un bagage linguistique pluriel, une scolarité plus ou moins longue, un contact plus ou moins approfondi avec le français, etc. autant de facteurs qu'il est important de prendre en compte pour faciliter l'enseignement et l'apprentissage de la nouvelle langue. Cette biographie langagière traditionnellement effectuée à l'écrit pourrait très bien se faire à l'oral pour s'adapter aux niveaux débutants comme c'était le cas de certains de mes enquêtés. Elle constituerait un outil indispensable au formateur mais aussi à l'apprenant qui se sentirait considéré car la biographie langagière lui permet de : « mentionner ce qu'il sait faire dans chaque langue, ainsi que les expériences linguistiques, culturelles et d'apprentissages vécus dans le contexte éducatif formel ou en dehors de celui-ci. Il est organisé de manière à promouvoir le plurilinguisme, c'est-à-dire le développement des compétences dans plusieurs langues » (Conseil de l'Europe)13. Le but de ces questions visait à connaître en premier lieu de manière générale les langues apprises/parlées par mes enquêtés. Le tableau 2 (ci-dessous) répertorie les langues que mes enquêtés utilisent quotidiennement ou quasi quotidiennement, on constate que le français et l'arabe marocain représentent les langues majoritairement parlées par mes enquêtés : soit 7 enquêtés sur 9, mais il y a aussi des langues parlées plus occasionnellement comme l'arabe classique/fusha14, le berbère/tamazigh15, le portugais, l'anglais et le turc. Ces profils révèlent le (bi)plurilinguisme avéré de l'ensemble de mes enquêtés si l'on s'en tient à définir le bilinguisme « comme l'utilisation régulière de deux langues dans la vie quotidienne » (Cavalli, 2003 : 267). Les dénominations sont le fait des enquêtés : 12 http://www.coe.int/fr/web/portfolio/the-language-biography 13 http://www.coe.int/fr/web/portfolio/the-language-biography 14Aussi nommée « arabe littéraire ou littéral »ou « standard ». 15Aussi nommée « langue amazighe », il s'agit ici de la 2ème langue officielle du Maroc depuis juillet 2011 (après l'arabe). 63 Tableau 2 : langues en usage
1.2 L'arabe marocain et l'arabe classique/fusha L'arabe marocain a été cité par la majorité de mes enquêtés (7 sur 9). Il constitue la langue dominante de mon corpus et reflète également la langue majoritairement parlée des publics fréquentant l'association OGA. Cette langue est considérée comme une variété dialectale de l'arabe, elle est également appelée « darija » et dispose au Maroc d'un statut de fait, car elle n'est pas considérée comme une langue officielle contrairement à l'arabe dit classique qui dispose quant à elle d'un statut de droit (Messaoudi, 2013 : 6). L'arabe marocain est l'une des langues primaires de socialisation de ces enquêtés et il est quotidiennement parlé. L'arabe classique constitue « une variété savante [...] ce n'est pas une langue parlée spontanément par tous les citoyens » (Ibid. : 6), elle n'est pas la langue parlée par le peuple bien qu'elle soit considérée comme la langue officielle. L'arabe dit classique est au Maroc : « à la fois langue officielle des institutions publiques, langue liturgique de l'Islam, langue de communication écrite et langue d'enseignement. » (Massacret & Jeansoulin, 1998 : 61).Afin de renforcer cette affirmation, une enquêtée définit l'arabe classique comme : « l'arabe des étudiants, c'est l'arabe, c'est pas comme qu'est-ce qu'on parle naturel, y'a un arabe des étudiants comme on écrit et tout, ça c'est l'arabe de tous les pays « Egyptiens » et tout » (H37). En effet, cette langue n'a été citée qu'à 3 reprises comme langue parlée par mes enquêtés mais il m'a semblé pertinent de soulever les aspects diglossiques (Ferguson, 1959) de ce rapport entre l'arabe classique considéré comme variété haute et l'arabe marocain considéré comme variété basse car j'analyserai plus tard ce rapport hiérarchique qui se retrouve aussi avec le français. 64 Désormais, j'aimerais analyser le cas du français, une langue qui n'a été citée qu'à 2 reprises par mes enquêtés comme langue effectivement parlée. Il semble intéressant de se pencher sur les raisons de ces omissions. 1.3 Le français : une langue d'usage inconsciente Le français n'a été que très rarement cité comme langue parlée par mes enquêtées. Bien qu'il apparaisse dans le tableau 2 comme langue d'usage par tous, il n'a pas toujours été une langue d'usage énoncée clairement par mes enquêtés, à l'exception de G40 et de R46. J'ai fait le choix de faire apparaitre le français dans ce tableau car j'ai estimé, d'après mes observations de cours et lors de mes entretiens divers avec eux, que le français est une langue qu'ils utilisent effectivement, même si mes enquêtés ne l'ont pas évoqué. En ce qui concerne les autres enquêtés, il a fallu insister en évoquant les contextes et les interlocuteurs : Et avec les amis ? La famille ? Les enfants ? Pas d'autres langues ? Français aussi ? D'autres langues aussi ? l'arabe, juste l'arabe ? afin qu'ils réalisent que le français est aussi une langue qu'ils parlent, même peu voire très peu et avec des difficultés mais elle reste tout de même une langue dite véhiculaire16, un moyen de communication servant de langue commune entre des usagers de langues premières de socialisation différentes :
16 « Les langues véhiculaires sont celles que [...] des individus séparés par leurs variétés adoptent momentanément pour favoriser leurs échanges » (Klinkenberg, 1999 : 72) 65 Pour d'autres, le français n'apparait même pas dans leur réponse (F42 et K43) ou comme étant la solution ultime de communication avec son entourage : R47 : ceux qui sont arabes qui parlent l'arabe je parle l'arabe, ceux qui sont berbères je parle le berbère, ceux qui savent pas je parle le français F42 : quand je parle avec les enfants de mon frère je parle en français parce qu'ils ne parlent pas arabe H50 : il faut t'obliger de parler le français ils ou elles parlent l'arabe mais je ne le comprends pas parce que l'accent est très difficile pour moi, oui et je parle la langue française Ces éléments m'ont amené à m'interroger sur les raisons de l'inconscience de l'usage d'une langue qu'ils parlent effectivement. Les raisons ont été très vite explicitées par mes enquêtés par la suite et c'est ce qui m'a permis de comprendre ce manque de conscientisation. Dans le chapitre qui suit, il sera question des effets causés par l'idéalisation d'une norme linguistique et du phénomène d'insécurité linguistique : un sentiment qui caractérise l'état dans lequel se trouvent mes enquêtés et qui constitue l'une des raisons de cette inconscience. CHAPITRE II : LES EFFETS DE L'IDEALISATION DE LA NORME LINGUISTIQUE Dans la partie précédente les différents parcours sociolinguistiques de migration de mes enquêtés ont été traités. Les motifs d'arrivée ainsi que les langues en usage et leurs contextes d'utilisation ont été analysés. Désormais, j'aimerais poursuivre mon analyse sur le rapport étroit entretenu entre les notions de langue(s) et de norme(s) en y abordant les enjeux en termes de didactique du FLE/FLS. Il m'a été difficile d'éviter un tel rapprochement car la notion de norme régit les pratiques langagières de mes enquêtés au quotidien et celles de leurs interlocuteurs car : « les rapports à la norme et à l'autorité sont assez clairement liés aux rapport sociaux » (de Robillard, 2008 : 14) mais aussi plus largement celles de nos pratiques d'enseignement car : « la conception de la norme linguistique se manifeste à tous les stades du système d'enseignement français, avec des conséquences formatives diverses » (Debono, 2010 : 89). Je pense qu'en tant qu'enseignants de FLE/FLS, il est nécessaire de prendre conscience des enjeux du poids de ces normes, que ce soit pour nous orienter vers telle ou 66 telle approche d'enseignement d'une langue ou pour nous aider à mieux comprendre nos apprenants et leurs frustrations au quotidien :
J'ai évoqué dans ma partie théorique, les différentes façons de catégoriser une même langue : le français. Aussi, j'ai pu montrer que la conception de la langue diverge selon les approches scientifiques. S'il est clair pour moi que cette langue est le terrain de variations langagières et qu'elle ne constitue pas un objet idéal qui exclut la parole du locuteur, ce n'est pas toujours évident de l'envisager ainsi. En tant qu'enseignant de FLE/FLS, je pense qu'il est important d'accueillir les variétés de langue(s) offertes par nos apprenants et de savoir se rendre flexibles face à ces pratiques langagières. Approcher la relation langue(s)/norme(s), c'est aussi approcher pour moi l'importance que nous sommes censés donner, en tant qu'enseignants, aux langues des apprenants dans les cours de FLE/FLS et de manière plus large au sein de la société. Cette réflexion me permettra d'apporter des clés de compréhension au rôle que jouent l'enseignement et l'apprentissage du français au sein du processus d'intégration de mes apprenants. Ce deuxième chapitre de mon analyse abordera dans un premier temps, les effets de l'idéalisation de la norme linguistique (II-1), puis dans un second temps, j'entrerai dans le terrain de la pratique du français de mes enquêtés en abordant leurs stratégies de contournement et/ou d'affrontement de la norme (II 2). |
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