Section 2 - L'apport du Conseil de
sécurité des Nations Unies
Le Conseil de sécurité des Nations Unies
présente une particularité du fait qu'il n'est pas
compétent en matière de droits de l'Homme. L'article 24 de la
Charte des Nations Unies en fait l'organe responsable de la paix et de la
sécurité internationales28, un organe de
prévention et de gestion des crises militaires. Néanmoins,
l'article 34 de la Charte29 ouvre certaines perspectives au CSNU en
ce qu'il lui permet d' « enquêter sur tout différend ou toute
situation qui pourrait entraîner un désaccord entre nations ou
engendrer un différend, afin de déterminer si la prolongation de
ce différend ou de cette situation semble devoir menacer le maintien de
la paix et de la sécurité internationales ». Il va ainsi
estimer dans la pratique que des situations de violations massives et
persistantes des droits de l'Homme menacent la paix et la
sécurité internationales.
Cet apport se fait sur la base d'une relecture par le CSNU du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies intitulé « Action en
cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression
». Il résulte d'une interprétation toujours plus extensive
de la notion de « paix et sécurité internationales ».
Mais l'ingérence humanitaire ne fonde pas les décisions du CSNU :
il agit d'abord en vertu du Chapitre VII, puis constate une situation de
violation massive des droits de l'Homme menaçant la paix et la
sécurité internationales. A ce titre, la résolution 688 du
5 avril 1991 marque un tournant (§ 1). Cet apport passe également
par l'intégration de l'action humanitaire aux stratégies
politiques et militaires par le CSNU et s'illustre à travers les
opérations de maintien de la paix et les interventions militaires
internationales (§ 2).
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28 Voir Annexe n°4.
29 Voir Annexe n°4.
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§ 1 - La résolution 688 du 5 avril
1991
Afin de saisir pleinement la portée de la
résolution 688 du Conseil de sécurité30, il
faut s'attacher à examiner son contenu (A) ainsi que sa valeur juridique
(B).
A. Le contenu de la résolution
La résolution 688 du CSNU relative aux
réfugiés kurdes (quatre cent mille en Turquie et un million en
Iran), adoptée le 5 avril 1991, est une application directe de la
résolution 45/100 de l'AGNU, en ce qu'elle « insiste pour que
l'Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires
internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les
parties de l'Irak » (dispositif § 3)31. Pour la
première fois, le Conseil de sécurité fonde son
intervention sur l'existence d'une crise humanitaire qui constitue une menace
à la paix et la sécurité internationales dans le contexte
de la répression de la population kurde irakienne par Saddam Hussein.
Toutefois, on peut remarquer qu'aucune référence au Chapitre VII
de la Charte n'est faite, cela s'explique car c'est une collaboration qui a eu
lieu entre les Nations Unies et l'Irak.
Ainsi, le CSNU a permis la mise en place de « relais
humanitaires » au bénéfice des populations kurdes en Irak et
de « routes bleues » permettant le retour des réfugiés
kurdes. Il affirme alors, que constitue une menace contre la paix et la
sécurité internationales, « un flux massif de
réfugiés vers des frontières internationales et à
travers celles-ci et des violations de frontière »
(Préambule § 3). Par conséquent, cette situation fut
considérée comme internationalisée. La mise en place de
cette assistance humanitaire s'est accompagnée du déploiement sur
le sol irakien de quelques centaines de « Gardes bleus » en vertu de
l'accord conclu entre l'ONU et l'Irak du 23 mai 199132. Ces derniers
ne sont pas à confondre avec les Casques bleus constituant les forces de
maintien de la paix, ils étaient chargés de surveiller les relais
humanitaires et avaient également une vocation surtout
symbolique33.
30 Voir Annexe n°3.
31 Résolution 688 du Conseil de
Sécurité, adoptée le 5 avril 1991 à la
2982ème séance par 10 voix contre 3 (Cuba,
Yémen, Zimbabwe) avec 2 abstentions (Chine, Inde), S/RES/688 (1991).
32 Mario Bettati, « L'ONU et l'action
humanitaire », Politiques étrangères n°3,
1993, 58ème année, p. 641658.
33 Les « Gardes bleus » ont un statut
juridique différent des « Casques bleus », qui trouve sa
source dans le Memorandum of understanding (MOU).
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Toutefois, on peut remarquer qu'il est nulle fois fait
référence au concept de droit d'ingérence humanitaire dans
cette résolution et que le Conseil de sécurité fait
référence dès le préambule au principe de
non-intervention dans les affaires intérieures d'un Etat de l'article
2§7 de la Charte des Nations Unies. Cela pourrait nous conduire à
amoindrir la portée de cette résolution, pourtant inédite
mais il faut prendre en compte que depuis, toutes les résolutions de
l'ONU emploient l'expression d' « assistance humanitaire ».
B. La valeur juridique de la
résolution
Le CSNU peut, à la différence de l'AGNU, prendre
des décisions obligatoires qui auront force contraignante pour les
Etats. Ils se verront ainsi opposer une obligation conventionnelle d'accepter
et d'appliquer ses résolutions, conformément à l'article
25 de la Charte.34. Le CSNU peut également prendre des
décisions exécutoires à l'instar de la résolution
688 organisant l'assistance humanitaire internationale. Depuis les
années 1990, une centaine d'Etats adoptent au sein du CSNU des
résolutions exhortant de respecter les droits de l'Homme et de cesser
leur violation, et proclamant le droit d'ingérence humanitaire. On peut
ainsi constater que ce droit s'est enraciné dans le paysage juridique
international.
La résolution 688 a permis la mise en oeuvre, du moins
implicite, de l'opération « Provide Comfort » en Irak qui
s'est déroulée au cours de l'année 1991. Un
mémorandum d'accord, négocié en même temps, est
signé le 18 avril 1991. Il permet une action humanitaire en Irak
à deux niveaux afin de faciliter le rapatriement des
réfugiés kurdes : les relais humanitaires (étapes le long
des couloirs humanitaires) et les centres humanitaires (installations en aval
des couloirs humanitaires). On peut considérer que cette
résolution mettant en place une assistance humanitaire marque
l'émergence du droit d'ingérence humanitaire à deux
égards. Premièrement, elle autorise de façon
inédite des forces armées nationales à intervenir
militairement de manière unilatérale dans le but de faire
respecter les droits de l'Homme. Deuxièmement, elle est la
première sur plus de 300 résolutions où le CSNU va
affirmer que « la violation massive des droits de l'Homme par un
gouvernement constitue une menace ou une atteinte à la paix » selon
la formule type onusienne.
34 Voir Annexe n°4.
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§ 2 - Les opérations de maintien de la
paix
C'est en étudiant les opérations de maintien de
la paix que l'on peut s'apercevoir que le droit d'ingérence humanitaire
a moins été créé par une production normative, que
par une pratique de l'ONU et des Etats. Ainsi, seules quelques
opérations de maintien de la paix (OMP) emblématiques seront
étudiées afin de démontrer que malgré l'absence de
base légale formelle dans la Charte des Nations Unies le droit
d'ingérence humanitaire a connu depuis les années 1990 de
multiples applications concrètes sur le terrain.
Avant d'analyser différentes opérations de
maintien de la paix dans le cadre du droit d'ingérence humanitaire (B),
il est nécessaire de définir ce que ce sont de telles
opérations (A).
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