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L'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire

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par Xavière Prugnard
Université d'Evry-Val-d'Essonne - Master 2 Droits de l'Homme et droit humanitaire 2015
  

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INTRODUCTION

L'entrée sur le territoire ukrainien de convois humanitaires russes sans autorisation préalable, durant l'été 2014, a relancé le débat sur le droit d'ingérence humanitaire et son éventuelle instrumentalisation. Face à un sujet si polémique il est nécessaire de revenir aux origines de ce droit afin de mieux cerner sa définition, sa valeur juridique et sa portée. Le flou conceptuel et sémantique de cette notion de droit d'ingérence humanitaire parfois appelée devoir d'ingérence humanitaire, responsabilité de protéger, droit à l'assistance humanitaire rendent ce droit ambigu et entraînent un flou juridique propice à son instrumentalisation. Nous tenons à préciser au lecteur, que lorsqu'il sera question du droit d'ingérence humanitaire, nous ferons référence tant au droit à l'assistance humanitaire et au principe de libre accès aux victimes (plus conventionnels), au droit d'ingérence humanitaire, au droit d'intervention humanitaire, qu'à la responsabilité de protéger. En effet, nous ne souhaitons pas rentrer dans les controverses sémantiques affectant ces principes quant à leur contenu même si toutefois nous distinguerons le droit d'ingérence humanitaire à la responsabilité de protéger sur le plan chronologique.

Etymologiquement, le mot « ingérence » est issu du préfixe latin in (dans) et gerere (faire), soit intervenir à l'intérieur. Le Dictionnaire de droit international public (« Dictionnaire Salmon ») définit l'ingérence comme l'« Action de s'immiscer, de s'introduire indûment, sans en être requis ou en avoir le droit, dans les affaires des autres. Acte illicite synonyme d'intervention. Le mot a ici une fonction protectrice de la souveraineté des Etats. »1. L'ingérence peut prendre plusieurs formes : politique, économique, sociale et humanitaire. L'ingérence humanitaire, qui se trouvera au coeur de notre réflexion, est constituée d'un principe de libre accès aux victimes de catastrophes naturelles et politiques pour les organismes porteurs de secours (CICR, ONG) ; d'un usage de la force afin de protéger les convois humanitaires ; d'une ingérence judiciaire internationale par moyen de poursuites internationales ; d'une intervention armée afin de protéger les victimes2. Ainsi, l'ingérence humanitaire couvre un large choix d'actions

1 Jean SALMON, Dictionnaire de droit international public, Paris, Bruylant, 2001, 1200 pages.

2 Mario BETTATI, « Du droit d'ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, 3/2007, n°20, p 381-389.

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allant des pressions diplomatiques et économiques aux cas les plus extrêmes avec une intervention militaire. L'intervention humanitaire armée consiste en « le droit pour un Etat, ou plusieurs, d'intervenir militairement sur le territoire d'un autre Etat dans un but officiellement humanitaire »3. Cette définition de Monsieur Jean-Marie Crouzatier4 fait apparaître l'idée d'un droit, dont l'Etat serait porteur.

Cette idée n'est pas nouvelle et a été développée pour la première fois par le célèbre juriste néerlandais Hugo Grotius, dans son ouvrage De jure belli ac pacis, au sein duquel il émettait l'idée d'un droit pour la société d'intervenir si « un traitement que nul n'est autorisé à faire » était infligé par un tyran à ses sujets5. Puis, c'est à l'occasion de la guerre du Biafra (1967-1970) que réapparaît cette idée. Des médecins du CICR, dont Monsieur Bernard Kouchner, vont dénoncer la guerre civile au Nigéria et rompre avec la traditionnelle neutralité du CICR. Ils vont aller jusqu'à aller prôner une ingérence directe pour venir au secours des populations affamées. L'aide humanitaire va s'en trouver bouleversée avec une médiatisation croissante des conflits et la création de l'ONG Médecins sans frontières. Le philosophe Jean-François Revel va reprendre cette idée à son compte et parler d'un « devoir d'ingérence » en réaction aux dictatures de Bokassa (République Centrafricaine) et d'Idi Amin Dada (Ouganda) en 1979, que le philosophe Bernard-Henri Levy va reformuler en « droit d'ingérence » lors de la guerre du Cambodge un an plus tard. Cependant, c'est véritablement lors d'un colloque international sur le thème « Droit et morale humanitaire » organisé en 1987 par Messieurs Bernard Kouchner et Mario Bettati, que la notion de droit d'ingérence humanitaire est proclamée. Une première résolution est alors adoptée par tous les participants du colloque constatant que « devraient être reconnus, dans un même document international par tous les États membres de la communauté internationale, à la fois le droit des victimes à l'assistance humanitaire et l'obligation des États d'y apporter leur contribution ». De là commence une quête de légitimité de ce droit au sein du droit international classique, que nous développerons tout au long de cette réflexion.

3 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ? », Aspects, n°2, 2008, pages 13 à 32.

4 Jean-Marie Crouzatier est docteur en droit et professeur de droit à l'Université de Toulouse 1.

5 Hugo GROTIUS, De jure belli ac pacis, 1625

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Toutefois, cette entreprise s'avère difficile car le droit d'ingérence humanitaire contrevient à plusieurs principes du droit international public universellement reconnus et portés par les Nations Unies. Tout d'abord, il s'oppose au principe de non-ingérence, énoncé au paragraphe 7 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies. Cela se remarque au vu de la définition du Dictionnaire Salmon, qui insiste sur le principe juridique de non-ingérence dans les affaires intérieures pour définir l'ingérence en la qualifiant d' « acte illicite ». Ce principe est indissociable du principe de souveraineté des Etats, qui est la pierre angulaire des relations internationales. En effet, le droit international est construit selon une architecture où la souveraineté est un des principes les plus fondamentaux, à l'image de ses corollaires (la non-ingérence, l'indépendance politique, la compétence nationale exclusive, l'intégrité territoriale). La souveraineté suppose que l'Etat jouisse librement du monopole de la puissance intérieure (sur son territoire et sa population) et du monopole de la puissance extérieure (diplomatie et guerre)6. En 1981, les Etats membres des Nations Unies ont renouvelé cette position en adoptant la « Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats » par le biais de l'Assemblée générale7. Cependant, l'époque où la souveraineté était absolue est révolue depuis la fin de la Guerre froide et, chaque Etat considère la souveraineté des autres Etats comme limite de sa propre souveraineté. Le Président Mitterrand formulait une limite à ce respect mutuel de souveraineté, en déclarant « l'obligation de non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non-assistance »8. On observe ainsi que l'avènement de l'ingérence humanitaire va marquer la fin de la théorie de la souveraineté absolue. Plus encore, le droit d'ingérence humanitaire va à l'encontre du devoir de réserve et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (article 1§2 de la Charte des Nations Unies). Toutefois, c'est l'intervention humanitaire armée, forme la plus extrême du droit d'ingérence humanitaire qui pose le plus de problème au regard du principe de non-recours à la force (article 2§4 de la Charte des Nations Unies). La CIJ a, à plusieurs reprises, affirmé que le droit d'ingérence violait ce dernier comme l'atteste l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua

6 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

7 Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats de l'Assemblée générale des Nations Unies, résolution votée le 9 décembre 1981 à la 91ème séance (A/RES/36/103).

8 Discours du Président François Mitterrand, inaugurant la session de Paris de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, le 30 mai 1989.

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et contre celui-ci de 1986 opposant le Nicaragua aux Etats-Unis9. Cependant, plusieurs exceptions à l'interdiction du recours à la force armée existent ; la légitime défense, l'intervention militaire consentie (à l'instar de l'opération Serval au Mali par la France) et l'intervention militaire autorisée par le Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cette étude sera focalisée sur la dernière de ces exceptions lorsqu'elle se fait pour des motifs humanitaires, l'ingérence humanitaire armée.

L'entrée de l'humanitaire dans le champ de la sécurité collective a conduit à sa militarisation et à une augmentation des risques d'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire afin de légitimer a posteriori tous les abus commis par les Etats. Face à la crainte d'un « impérialisme humanitaire », le droit d'ingérence humanitaire est depuis les années 1990, une des questions les plus controversées en droit international au regard des interventions armées menées en son nom. Toutefois, ce débat est davantage porté sur la légitimité et les modalités du recours à la force armée dans le cadre des opérations militaro-humanitaires que sur l'existence même du droit d'ingérence humanitaire. Ainsi, ce travail n'a pas pour vocation à répondre aux critiques concernant l'existence même d'un droit d'ingérence humanitaire, ni de dresser un bilan des effets positifs ou négatifs des interventions armées effectuées sous la bannière de l'ingérence humanitaire. Une approche juridique du sujet a été privilégiée et de ce fait les interventions humanitaires armées seront analysées au travers du prisme du droit international positif, et non pas au travers de considérations politiques, sociales ou économiques. Nous nous attacherons à mesurer l'évolution du cadre légal du droit d'ingérence humanitaire dans le droit international public et l'instrumentalisation qui peut en être faite à l'occasion de sa forme la plus extrême, l'instrumentalisation humanitaire armée. Cette évolution a en effet eu des répercussions sur la manière dont les Etats en faisaient usage et dans un monde où le recours à la force armée est interdit et les exceptions strictement contrôlées, certains Etats ont pu percevoir dans le droit d'ingérence humanitaire un moyen de contourner cette interdiction. En l'instrumentalisant, les Etats ont conduit à le décrédibiliser dès ses débuts.

9 CIJ, 21 juin 1986, affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Rec. 1986, p. 14 et suivantes.

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L'objet de ce travail sera donc de parvenir à savoir dans quelle mesure la fragilité du cadre légal international du droit d'ingérence humanitaire favorise-t-elle son instrumentalisation par les Etats dans le cadre des opérations militaro-humanitaires ?

Dans cette optique, il sera étudié dans un premier temps le cadre légal incertain du droit d'ingérence humanitaire propice à son instrumentalisation (Partie I). Dans un second temps, nous verrons comment les Etats, en quête de légitimité, n'hésitent pas à instrumentaliser le droit d'ingérence humanitaire à l'occasion d'interventions militaires (Partie II).

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PARTIE I - LE CADRE LEGAL INCERTAIN DU DROIT D'INGERENCE HUMANITAIRE PROPICE A SON INSTRUMENTALISATION

Depuis son élaboration, le droit d'ingérence humanitaire est sujet à de vives controverses et fait l'objet d'un grand nombre de critiques. Certains auteurs vont jusqu'à refuser de reconnaître l'existence même de ce droit. A ce titre, Monsieur Eric Pourcel10 affirme que le principe juridique d'ingérence humanitaire n'existe pas et n'est qu'une « revendication qui se heurte à des principes juridiques fondamentaux qui constituent l'architecture même du droit international public »11. Ce refus de reconnaissance met en exergue la fragilité de la base légale du droit d'ingérence humanitaire.

A titre liminaire, on peut relever à l'instar de Madame Marie-José Domestici-Met12, que le droit à la vie fonde la règle d'assistance humanitaire. On le retrouve à l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, à l'article 6 du Pacte sur les droits civils et politiques et à l'article 12 du Pacte sur les droits économiques et sociaux. Ainsi, l'assistance humanitaire est une « procédure de garantie du droit à la vie » et « en tant que prolongement naturel du droit à la vie, l'aide humanitaire est conçue, dans la pensée juridique occidentale, comme une valeur prioritaire »13.

La formalisation juridique du droit d'ingérence humanitaire est passée naturellement par le système onusien. Chronologiquement, on retrouve à la fin des années 1980 la formalisation juridique du droit d'ingérence humanitaire (Chapitre 1), qui fragilisé, sera renforcé dans sa base légale par l'avènement du principe de responsabilité de protéger en 2005 (Chapitre 2).

Dans cette partie, les notions de "droit d'ingérence humanitaire" et de "responsabilité de protéger" seront distinguées quant à leur dénomination dans l'optique de montrer leur base légale respective et l'évolution qui en découle.

10 Eric Pourcel est docteur en droit et officier réserve marine.

11 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue géopolitique [En ligne], 26 février 2015, http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html (Page consultée le 3 août 2015).

12 Marie-José Domestici-Met est Professeure à l'Université Paul Cézanne d'Aix Marseille 3 et directrice de l'Institut d'études humanitaires internationales (IEHI).

13 Marie-José DOMESTICI-MET, « Aspects juridiques récents de l'assistance humanitaire », Annuaire français de droit international, volume 35, 1989, p. 117-148.

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