Année académique 2014-2015
L'INSTRUMENTALISATION
DU DROIT D'INGERENCE
HUMANITAIRE
Mémoire de fin d'études
réalisé dans le cadre du Master 2 Droits de l'Homme et droit
humanitaire
Mémoire réalisé sous la direction de F.
Coulée
Professeure de droit public, Docteure en droit, Directrice du
Master 2 Droits de l'Homme droit humanitaire de l'Université d'Evry,
Directrice du Centre de recherche Léon Duguit (CRLD) de
l'Université d'Evry.
Xavière Prugnard
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier chaleureusement chacune des
différentes personnes qui ont contribué à
l'élaboration de ce travail.
En premier lieu, mes remerciements vont au Professeure
Frédérique Coulée qui, en tant que directrice de
mémoire, a été d'une aide précieuse tout au long de
l'année par ses conseils avisés et sa disponibilité
à bien des égards, et qui m'a donné l'envie de me
passionner et plus encore de m'investir pour le droit international
humanitaire.
Puis, je voudrais remercier Madame Claire Brice-Delajoux, qui
a accepté d'évaluer mon travail et me fait l'honneur de
participer à la soutenance de ce mémoire.
J'ai également une pensée reconnaissante envers
les Professeurs, qui au cours de mon cursus universitaire, ont suscité
ma vocation envers les droits de l'Homme, le droit international humanitaire et
le droit international pénal.
Enfin, je voudrais témoigner toute ma gratitude
à mes parents, pour leur relecture attentive et leurs encouragements de
tous les instants.
SOMMAIRE
(Une table des matières détaillée
figure à la fin de l'ouvrage.)
INTRODUCTION 1
PARTIE I - LE CADRE LEGAL INCERTAIN DU DROIT
D'INGERENCE
HUMANITAIRE PROPRICE A SON INSTRUMENTALISATION
6
Chapitre 1 - La base légale du droit d'ingérence
humanitaire 7
Section 1 - L'apport de l'Assemblée générale
des Nations Unies 7
Section 2 - L'apport du Conseil de sécurité des
Nations Unies 11
Chapitre 2 - La base légale de la responsabilité de
protéger 20
Section 1 - L'apport doctrinal de la Commission internationale de
l'intervention et
de la souveraineté des Etats 20
Section 2 - L'apport de l'Organisation des Nations Unies 24
PARTIE II - L'INSTRUMENTALISATION DU DROIT
D'INGERENCE
HUMANITAIRE PAR LES ETATS EN QUETE DE LEGITIMITE
30
Chapitre 1 - Une instrumentalisation du droit d'ingérence
humanitaire par les Etats 31
Section 1 - Une instrumentalisation politique et militaire 32
Section 2 - Exemple d'interventions humanitaires armées
instrumentalisées 40
Chapitre 2 - Les critères de légitimité de
l'intervention militaro-humanitaire 45
Section 1 - Les critères élaborés par la
Commission internationale de l'intervention
et de la souveraineté des Etats 46
Section 2 - L'intervention américaine en Irak 51
CONCLUSION 56
BIBLIOGRAPHIE 57
ANNEXES 66
TABLES DES MATIERES 84
LISTE DES ABREVIATIONS
AGNU Assemblée générale
des Nations Unies
A/RES Résolution de l'Assemblée
générale
Art. Article
CICR Comité international de la
Croix-Rouge
CIISE Commission internationale de
l'intervention et de la souveraineté
des Etats
CIJ Cour internationale de Justice
CPI Cour pénale internationale
CSNU Conseil de sécurité des
Nations Unies
DIH Droit international humanitaire
FORPRONU Force de protection des Nations
Unies
MSF Médecins Sans Frontières
NOHI Nouvel ordre humanitaire
international
OMP Opération de maintien de la
paix
ONG Organisation non-gouvernementale
ONU Organisation des Nations Unies
ONUSOM Opération des Nations Unies en
Somalie
OTAN Organisation du Traité de
l'Atlantique Nord
R2P Responsabilité de
protéger
Rés. Résolution
RGDIP Revue Générale de Droit
International Public
1
INTRODUCTION
L'entrée sur le territoire ukrainien de convois
humanitaires russes sans autorisation préalable, durant
l'été 2014, a relancé le débat sur le droit
d'ingérence humanitaire et son éventuelle instrumentalisation.
Face à un sujet si polémique il est nécessaire de revenir
aux origines de ce droit afin de mieux cerner sa définition, sa valeur
juridique et sa portée. Le flou conceptuel et sémantique de cette
notion de droit d'ingérence humanitaire parfois appelée devoir
d'ingérence humanitaire, responsabilité de protéger, droit
à l'assistance humanitaire rendent ce droit ambigu et entraînent
un flou juridique propice à son instrumentalisation. Nous tenons
à préciser au lecteur, que lorsqu'il sera question du droit
d'ingérence humanitaire, nous ferons référence tant au
droit à l'assistance humanitaire et au principe de libre accès
aux victimes (plus conventionnels), au droit d'ingérence humanitaire, au
droit d'intervention humanitaire, qu'à la responsabilité de
protéger. En effet, nous ne souhaitons pas rentrer dans les controverses
sémantiques affectant ces principes quant à leur contenu
même si toutefois nous distinguerons le droit d'ingérence
humanitaire à la responsabilité de protéger sur le plan
chronologique.
Etymologiquement, le mot « ingérence » est
issu du préfixe latin in (dans) et gerere (faire),
soit intervenir à l'intérieur. Le Dictionnaire de droit
international public (« Dictionnaire Salmon ») définit
l'ingérence comme l'« Action de s'immiscer, de s'introduire
indûment, sans en être requis ou en avoir le droit, dans les
affaires des autres. Acte illicite synonyme d'intervention. Le mot a ici une
fonction protectrice de la souveraineté des Etats. »1.
L'ingérence peut prendre plusieurs formes : politique,
économique, sociale et humanitaire. L'ingérence humanitaire, qui
se trouvera au coeur de notre réflexion, est constituée d'un
principe de libre accès aux victimes de catastrophes naturelles et
politiques pour les organismes porteurs de secours (CICR, ONG) ; d'un usage de
la force afin de protéger les convois humanitaires ; d'une
ingérence judiciaire internationale par moyen de poursuites
internationales ; d'une intervention armée afin de protéger les
victimes2. Ainsi, l'ingérence humanitaire couvre un large
choix d'actions
1 Jean SALMON, Dictionnaire de droit international
public, Paris, Bruylant, 2001, 1200 pages.
2 Mario BETTATI, « Du droit d'ingérence
à la responsabilité de protéger »,
Outre-Terre, 3/2007, n°20, p 381-389.
2
allant des pressions diplomatiques et économiques aux
cas les plus extrêmes avec une intervention militaire. L'intervention
humanitaire armée consiste en « le droit pour un Etat, ou
plusieurs, d'intervenir militairement sur le territoire d'un autre Etat dans un
but officiellement humanitaire »3. Cette définition de
Monsieur Jean-Marie Crouzatier4 fait apparaître l'idée
d'un droit, dont l'Etat serait porteur.
Cette idée n'est pas nouvelle et a été
développée pour la première fois par le
célèbre juriste néerlandais Hugo Grotius, dans son ouvrage
De jure belli ac pacis, au sein duquel il émettait
l'idée d'un droit pour la société d'intervenir si «
un traitement que nul n'est autorisé à faire » était
infligé par un tyran à ses sujets5. Puis,
c'est à l'occasion de la guerre du Biafra (1967-1970) que
réapparaît cette idée. Des médecins du CICR, dont
Monsieur Bernard Kouchner, vont dénoncer la guerre civile au
Nigéria et rompre avec la traditionnelle neutralité du CICR. Ils
vont aller jusqu'à aller prôner une ingérence directe pour
venir au secours des populations affamées. L'aide humanitaire va s'en
trouver bouleversée avec une médiatisation croissante des
conflits et la création de l'ONG Médecins sans frontières.
Le philosophe Jean-François Revel va reprendre cette idée
à son compte et parler d'un « devoir d'ingérence » en
réaction aux dictatures de Bokassa (République Centrafricaine) et
d'Idi Amin Dada (Ouganda) en 1979, que le philosophe Bernard-Henri Levy va
reformuler en « droit d'ingérence » lors de la guerre du
Cambodge un an plus tard. Cependant, c'est véritablement lors d'un
colloque international sur le thème « Droit et morale humanitaire
» organisé en 1987 par Messieurs Bernard Kouchner et Mario Bettati,
que la notion de droit d'ingérence humanitaire est proclamée. Une
première résolution est alors adoptée par tous les
participants du colloque constatant que « devraient être reconnus,
dans un même document international par tous les États membres de
la communauté internationale, à la fois le droit des victimes
à l'assistance humanitaire et l'obligation des États d'y apporter
leur contribution ». De là commence une quête de
légitimité de ce droit au sein du droit international classique,
que nous développerons tout au long de cette réflexion.
3 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la
responsabilité de protéger : avancée de la
solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ?
», Aspects, n°2, 2008, pages 13 à 32.
4 Jean-Marie Crouzatier est docteur en droit et
professeur de droit à l'Université de Toulouse 1.
5 Hugo GROTIUS, De jure belli ac pacis,
1625
3
Toutefois, cette entreprise s'avère difficile car le
droit d'ingérence humanitaire contrevient à plusieurs principes
du droit international public universellement reconnus et portés par les
Nations Unies. Tout d'abord, il s'oppose au principe de non-ingérence,
énoncé au paragraphe 7 de l'article 2 de la Charte des Nations
Unies. Cela se remarque au vu de la définition du Dictionnaire
Salmon, qui insiste sur le principe juridique de non-ingérence dans
les affaires intérieures pour définir l'ingérence en la
qualifiant d' « acte illicite ». Ce principe est indissociable du
principe de souveraineté des Etats, qui est la pierre angulaire des
relations internationales. En effet, le droit international est construit selon
une architecture où la souveraineté est un des principes les plus
fondamentaux, à l'image de ses corollaires (la non-ingérence,
l'indépendance politique, la compétence nationale exclusive,
l'intégrité territoriale). La souveraineté suppose que
l'Etat jouisse librement du monopole de la puissance intérieure (sur son
territoire et sa population) et du monopole de la puissance extérieure
(diplomatie et guerre)6. En 1981, les Etats membres des Nations
Unies ont renouvelé cette position en adoptant la «
Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention et de
l'ingérence dans les affaires intérieures des Etats » par le
biais de l'Assemblée générale7. Cependant,
l'époque où la souveraineté était absolue est
révolue depuis la fin de la Guerre froide et, chaque Etat
considère la souveraineté des autres Etats comme limite de sa
propre souveraineté. Le Président Mitterrand formulait une limite
à ce respect mutuel de souveraineté, en déclarant «
l'obligation de non-ingérence s'arrête à l'endroit
précis où naît le risque de non-assistance
»8. On observe ainsi que l'avènement de
l'ingérence humanitaire va marquer la fin de la théorie de la
souveraineté absolue. Plus encore, le droit d'ingérence
humanitaire va à l'encontre du devoir de réserve et du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes (article 1§2 de la Charte des
Nations Unies). Toutefois, c'est l'intervention humanitaire armée, forme
la plus extrême du droit d'ingérence humanitaire qui pose le plus
de problème au regard du principe de non-recours à la force
(article 2§4 de la Charte des Nations Unies). La CIJ a, à plusieurs
reprises, affirmé que le droit d'ingérence violait ce dernier
comme l'atteste l'affaire des activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua
6 Eric POURCEL, « Le principe juridique
d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue
géopolitique [En ligne], 26 février 2015,
http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html
(Page consultée le 3 août 2015).
7 Déclaration sur l'inadmissibilité
de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures
des Etats de l'Assemblée générale des Nations Unies,
résolution votée le 9 décembre 1981 à la
91ème séance (A/RES/36/103).
8 Discours du Président François
Mitterrand, inaugurant la session de Paris de la Conférence sur la
sécurité et la coopération en Europe, le 30 mai 1989.
4
et contre celui-ci de 1986 opposant le Nicaragua aux
Etats-Unis9. Cependant, plusieurs exceptions à l'interdiction
du recours à la force armée existent ; la légitime
défense, l'intervention militaire consentie (à l'instar de
l'opération Serval au Mali par la France) et l'intervention militaire
autorisée par le Conseil de sécurité dans le cadre du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cette étude sera
focalisée sur la dernière de ces exceptions lorsqu'elle se fait
pour des motifs humanitaires, l'ingérence humanitaire armée.
L'entrée de l'humanitaire dans le champ de la
sécurité collective a conduit à sa militarisation et
à une augmentation des risques d'instrumentalisation du droit
d'ingérence humanitaire afin de légitimer a posteriori
tous les abus commis par les Etats. Face à la crainte d'un «
impérialisme humanitaire », le droit d'ingérence humanitaire
est depuis les années 1990, une des questions les plus
controversées en droit international au regard des interventions
armées menées en son nom. Toutefois, ce débat est
davantage porté sur la légitimité et les modalités
du recours à la force armée dans le cadre des opérations
militaro-humanitaires que sur l'existence même du droit
d'ingérence humanitaire. Ainsi, ce travail n'a pas pour vocation
à répondre aux critiques concernant l'existence même d'un
droit d'ingérence humanitaire, ni de dresser un bilan des effets
positifs ou négatifs des interventions armées effectuées
sous la bannière de l'ingérence humanitaire. Une approche
juridique du sujet a été privilégiée et de ce fait
les interventions humanitaires armées seront analysées au travers
du prisme du droit international positif, et non pas au travers de
considérations politiques, sociales ou économiques. Nous nous
attacherons à mesurer l'évolution du cadre légal du droit
d'ingérence humanitaire dans le droit international public et
l'instrumentalisation qui peut en être faite à l'occasion de sa
forme la plus extrême, l'instrumentalisation humanitaire armée.
Cette évolution a en effet eu des répercussions sur la
manière dont les Etats en faisaient usage et dans un monde où le
recours à la force armée est interdit et les exceptions
strictement contrôlées, certains Etats ont pu percevoir dans le
droit d'ingérence humanitaire un moyen de contourner cette interdiction.
En l'instrumentalisant, les Etats ont conduit à le
décrédibiliser dès ses débuts.
9 CIJ, 21 juin 1986, affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, Rec. 1986, p. 14 et suivantes.
5
L'objet de ce travail sera donc de parvenir à savoir
dans quelle mesure la fragilité du cadre légal international du
droit d'ingérence humanitaire favorise-t-elle son instrumentalisation
par les Etats dans le cadre des opérations militaro-humanitaires ?
Dans cette optique, il sera étudié dans un
premier temps le cadre légal incertain du droit d'ingérence
humanitaire propice à son instrumentalisation (Partie I). Dans un second
temps, nous verrons comment les Etats, en quête de
légitimité, n'hésitent pas à instrumentaliser le
droit d'ingérence humanitaire à l'occasion d'interventions
militaires (Partie II).
6
PARTIE I - LE CADRE LEGAL INCERTAIN DU DROIT
D'INGERENCE HUMANITAIRE PROPICE A SON INSTRUMENTALISATION
Depuis son élaboration, le droit d'ingérence
humanitaire est sujet à de vives controverses et fait l'objet d'un grand
nombre de critiques. Certains auteurs vont jusqu'à refuser de
reconnaître l'existence même de ce droit. A ce titre, Monsieur Eric
Pourcel10 affirme que le principe juridique d'ingérence
humanitaire n'existe pas et n'est qu'une « revendication qui se heurte
à des principes juridiques fondamentaux qui constituent l'architecture
même du droit international public »11. Ce refus de
reconnaissance met en exergue la fragilité de la base légale du
droit d'ingérence humanitaire.
A titre liminaire, on peut relever à l'instar de Madame
Marie-José Domestici-Met12, que le droit à la vie
fonde la règle d'assistance humanitaire. On le retrouve à
l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme,
à l'article 6 du Pacte sur les droits civils et politiques et à
l'article 12 du Pacte sur les droits économiques et sociaux. Ainsi,
l'assistance humanitaire est une « procédure de garantie du droit
à la vie » et « en tant que prolongement naturel du droit
à la vie, l'aide humanitaire est conçue, dans la pensée
juridique occidentale, comme une valeur prioritaire »13.
La formalisation juridique du droit d'ingérence
humanitaire est passée naturellement par le système onusien.
Chronologiquement, on retrouve à la fin des années 1980 la
formalisation juridique du droit d'ingérence humanitaire (Chapitre 1),
qui fragilisé, sera renforcé dans sa base légale par
l'avènement du principe de responsabilité de protéger en
2005 (Chapitre 2).
Dans cette partie, les notions de "droit d'ingérence
humanitaire" et de "responsabilité de protéger" seront
distinguées quant à leur dénomination dans l'optique de
montrer leur base légale respective et l'évolution qui en
découle.
10 Eric Pourcel est docteur en droit et officier
réserve marine.
11 Eric POURCEL, « Le principe juridique
d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue
géopolitique [En ligne], 26 février 2015,
http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html
(Page consultée le 3 août 2015).
12 Marie-José Domestici-Met est Professeure
à l'Université Paul Cézanne d'Aix Marseille 3 et
directrice de l'Institut d'études humanitaires internationales
(IEHI).
13 Marie-José DOMESTICI-MET, « Aspects
juridiques récents de l'assistance humanitaire », Annuaire
français de droit international, volume 35, 1989, p. 117-148.
7
Chapitre 1 - La base légale du droit
d'ingérence humanitaire
La formalisation juridique du droit d'ingérence
humanitaire s'est effectuée au sein de l'enceinte onusienne, grâce
à une impulsion de la diplomatie française. Entre 1988 et 1991,
l'Assemblée générale (Section 1) puis le Conseil de
sécurité des Nations Unies (Section 2) ont oeuvré à
l'élaboration de la base légale du concept d'ingérence
humanitaire en adoptant trois résolutions visant à secourir des
populations.
Section 1 - L'apport de l'Assemblée
générale des Nations Unies
C'est par le vote des résolutions 43/131 du 8
décembre 1988 (§ 1) et 45/100 du 10 décembre 1990 (§ 2)
que l'Assemblée générale des Nations Unies a reconnu pour
la première fois un droit d'assistance humanitaire. Après avoir
étudié le contenu des résolutions
séparément, il convient d'en étudier la valeur juridique
(§ 3).
§ 1 - La résolution 43/131 du 8
décembre 1988
La résolution 43/131 sur l'assistance humanitaire aux
victimes des catastrophes naturelles et situation d'urgence du même ordre
a été adoptée le 8 décembre 1988 par
l'Assemblée générale des Nations Unies14.
Coparrainé par 32 Etats, ce texte est avant tout un projet
français, porté par Monsieur Bernard Kouchner. A travers cette
dernière, l'AGNU consacre pour la première fois un droit
d'assistance humanitaire tout en « réaffirmant la
souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité
nationale des Etats et reconnaissant que c'est à chaque Etat qu'il
incombe au premier chef de prendre soin des victimes de catastrophes naturelles
et situations d'urgence du même ordre se produisant sur son territoire
»15.
Ainsi, comme le remarque Monsieur Mario Bettati16,
le caractère inédit de cette résolution réside dans
l'affirmation du principe de libre accès aux victimes, qui touchent tant
l'Etat concerné que les Etats voisins du fait d'une exigence
d'accessibilité à leur
14 Voir Annexe n°1.
15 Résolution 43/131 de l'Assemblée
générale des Nations Unies relative à l'assistance
humanitaire des victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence du
même ordre, adoptée le 8 décembre 1998, A/RES/131.
16 Mario Bettati est un juriste qui a beaucoup
travaillé sur le droit d'ingérence humanitaire. Il est
également Professeur à l'Université de Paris II.
8
encontre (dispositif §§ 4 et 6)17. Tous
doivent faciliter la mise en oeuvre des opérations d'assistance par les
organisations internationales et non gouvernementales, car l'absence de telles
opérations « représente une menace à la vie humaine
et une atteinte à la dignité humaine » (préambule
§ 5). Toutefois, l'Etat concerné reste prioritaire dans
l'initiative de l'action humanitaire.
De plus, la résolution 43/141 consacre le rôle
des organisations non gouvernementales (ONG) dispensant une assistance
humanitaire et leur impose de respecter les principes d'humanité, de
neutralité et d'impartialité. Cette reconnaissance par les
Nations Unies leur permet de bénéficier également du libre
accès nécessaire à leur action. En soulignant le
caractère prioritaire de l'action de l'Etat concerné, les
rédacteurs de la résolution entendent placer l'action des ONG en
seconde place.
Monsieur Mario Bettati - ayant participé aux
négociations au sein de la délégation française
à New York pour l'adoption de la résolution 43/131 - rapporte que
le délégué soviétique avait qualifié cette
résolution de « révolutionnaire »18. Le
Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali a rendu hommage
à cette même résolution en 1993 lors de son discours
à la conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'Homme,
estimant que depuis que « l'Assemblée générale a
adopté la résolution 43/131 relative à l'assistance
humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence du
même ordre, la notion de droit d'assistance humanitaire est devenue, en
quelque sorte, l'une des dimensions opérationnelles de la garantie des
droits de l'Homme »19.
La résolution, bien que novatrice, a trouvé une
application le lendemain même de son adoption suite au tremblement de
terre survenu en Arménie faisant jusqu'à 30 000 victimes. L'URSS,
pour la première fois, ouvrait ses frontières afin de permettre
à l'assistance humanitaire (sans visa) de venir secourir les populations
arméniennes.
17 Mario BETTATI, « Le droit d'ingérence :
sens et portée », Le Débat 1991/5
(n°67), p. 4 à 14.
18 Mario BETTATI, « L'ONU et l'action
humanitaire », Politiques étrangères n°3,
1993, 58ème année, p. 641-658.
19 Discours de l'ancien Secrétaire
général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali à la
conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'Homme
(G/SM/5012/HR/3835).
9
§ 2 - La résolution 45/100 du 10
décembre 1990
La deuxième étape de la reconnaissance onusienne
du droit d'ingérence humanitaire est marquée par l'adoption de la
résolution 45/100 du 10 décembre 199020 de l'AGNU
établissant des « corridors humanitaires »21. Cette
dernière peut être perçue comme étant la
transposition d'une règle de droit maritime international, contenue dans
l'article 17 de la Convention de Montego Bay22, qui consacre le
droit de passage inoffensif en faveur des navires de tous les autres Etats. A
l'origine de cette résolution, on trouve un rapport du Secrétaire
général de l'ONU, rédigé en octobre 1990 sur la
base de la résolution 43/13123. Ainsi la résolution
45/100 a été rédigée dans la lignée de celle
43/131 et c'est ce que l'AGNU compte montrer lorsqu'elle se
réfère directement à sa résolution 43/131 dans le
premier paragraphe du préambule.
Toutefois, afin de rassurer les Etats réticents
à une telle ingérence humanitaire, les couloirs humanitaires
doivent être limités à plusieurs égards :
limités dans le temps en ce qu'ils sont un simple droit de transit le
temps d'apporter une aide ; limités dans l'espace aux seuls trajets
d'accès déterminés au préalable ; limités
à un objet tel que l'apport de soin, de nourriture ; limités dans
l'exercice à l'instar des règles de l'article 19 de la Convention
de Montego Bay ; et limités par une déontologie exigeant la
neutralité et l'impartialité des acteurs de l'assistance
humanitaire24.
On peut citer comme exemples de couloirs humanitaires, les
« routes bleues » créées par l'ONU dans le nord de
l'Irak afin de venir au secours des populations Kurdes en 1991. Le but
étant de sécuriser le retour des réfugiés kurdes
chez eux.
20 Voir Annexe n°2.
21 Résolution 45/100 de l'Assemblée
générale des Nations Unies sur les couloirs humanitaires
d'urgence, adoptée le 14 décembre 1990, A/RES/45/100.
22 Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer, signée le 10 décembre 1982, article 17.
23 Document officiel de l'Assemblée
générale, 45ème session, A/45/587.
24 Mario BETTATI, « Droit d'ingérence
humanitaire », Encyclopædia Universalis [en ligne],
https://www-universalis--edu-com.bibliopam-evry.univ-evry.fr/encyclopedie/droit-d-ingerence/
(Page consultée le 12 août 2015.
10
§ 3 - La valeur juridique des résolutions de
l'Assemblée générale
L'Assemblée générale peut
délibérer, proclamer ou déclarer mais ses
résolutions n'ont pas de valeur contraignante pour les Etats
puisqu'elles n'ont que la valeur de recommandation. La procédure de
non-objection a été utilisée pour l'adoption des
résolutions 43/131 et 45/100. Cette procédure consiste en
l'obtention d'un consensus, n'appelant aucun vote et ne permettant pas la
formation d'une opposition formelle qui serait politiquement inopportune pour
un Etat25. L'apport juridique est à relativiser en raison de
la procédure utilisée. L'apport est plus à
considérer sous l'angle de la formation d'une « pratique onusienne
» servant de socle légal pour le développement du concept de
droit d'ingérence humanitaire par la doctrine et par les Etats.
On peut remarquer que la terminologie utilisée pour les
résolutions 43/131 et 45/100 est sensiblement la même et que la
résolution 45/100 commence par une référence à la
résolution 43/131. Cela renforce l'impression de filiation entre les
deux, d'approfondissement du droit d'ingérence humanitaire. Par
ailleurs, comme le souligne le Professeur René Jean Dupuy, l'AGNU est
composée largement des pays en développement et « ces
résolutions marquent leur adhésion au principe d'un devoir
d'assistance humanitaire pesant sur la communauté des nations et des
hommes »26. On peut tout de même noter que de nombreuses
réserves ont été formulées par des pays en voie de
développement, percevant en ce principe d'assistance humanitaire une
nouvelle forme d'impérialisme, basée cette fois-ci sur le droit
et la morale.
Au regard des différentes résolutions de l'AGNU,
on peut constater une certaine frilosité quant à la
création d'un cadre légal solide permettant au droit
d'ingérence humanitaire de se développer. En effet, seul un droit
d'assistance humanitaire est proclamé par cette dernière. Des
références aux droits de l'Homme et à la
Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 étaient
initialement prévues27. Force est de constater que c'est la
pratique qui a consacré le droit d'ingérence humanitaire,
à travers les différentes résolutions du Conseil de
sécurité.
25 Philippe BRETTON, « Ingérence
humanitaire et souveraineté », Pouvoirs, n°67,
novembre 1993, p. 5970.
26 René-Jean DUPUY, «
L'ingérence internationale, jusqu'où ? Le droit d'assistance
humanitaire », Etudes, Paris, 1992, tome 376 n°1 (3761), p.
15 à 23.
27 Déclaration Universelle des droits de
l'Homme du 10 décembre 1948, Les grands textes du droit
international public, 2ème édition, Dalloz, 2000,
p. 65-70.
Section 2 - L'apport du Conseil de
sécurité des Nations Unies
Le Conseil de sécurité des Nations Unies
présente une particularité du fait qu'il n'est pas
compétent en matière de droits de l'Homme. L'article 24 de la
Charte des Nations Unies en fait l'organe responsable de la paix et de la
sécurité internationales28, un organe de
prévention et de gestion des crises militaires. Néanmoins,
l'article 34 de la Charte29 ouvre certaines perspectives au CSNU en
ce qu'il lui permet d' « enquêter sur tout différend ou toute
situation qui pourrait entraîner un désaccord entre nations ou
engendrer un différend, afin de déterminer si la prolongation de
ce différend ou de cette situation semble devoir menacer le maintien de
la paix et de la sécurité internationales ». Il va ainsi
estimer dans la pratique que des situations de violations massives et
persistantes des droits de l'Homme menacent la paix et la
sécurité internationales.
Cet apport se fait sur la base d'une relecture par le CSNU du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies intitulé « Action en
cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression
». Il résulte d'une interprétation toujours plus extensive
de la notion de « paix et sécurité internationales ».
Mais l'ingérence humanitaire ne fonde pas les décisions du CSNU :
il agit d'abord en vertu du Chapitre VII, puis constate une situation de
violation massive des droits de l'Homme menaçant la paix et la
sécurité internationales. A ce titre, la résolution 688 du
5 avril 1991 marque un tournant (§ 1). Cet apport passe également
par l'intégration de l'action humanitaire aux stratégies
politiques et militaires par le CSNU et s'illustre à travers les
opérations de maintien de la paix et les interventions militaires
internationales (§ 2).
11
28 Voir Annexe n°4.
29 Voir Annexe n°4.
12
§ 1 - La résolution 688 du 5 avril
1991
Afin de saisir pleinement la portée de la
résolution 688 du Conseil de sécurité30, il
faut s'attacher à examiner son contenu (A) ainsi que sa valeur juridique
(B).
A. Le contenu de la résolution
La résolution 688 du CSNU relative aux
réfugiés kurdes (quatre cent mille en Turquie et un million en
Iran), adoptée le 5 avril 1991, est une application directe de la
résolution 45/100 de l'AGNU, en ce qu'elle « insiste pour que
l'Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires
internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les
parties de l'Irak » (dispositif § 3)31. Pour la
première fois, le Conseil de sécurité fonde son
intervention sur l'existence d'une crise humanitaire qui constitue une menace
à la paix et la sécurité internationales dans le contexte
de la répression de la population kurde irakienne par Saddam Hussein.
Toutefois, on peut remarquer qu'aucune référence au Chapitre VII
de la Charte n'est faite, cela s'explique car c'est une collaboration qui a eu
lieu entre les Nations Unies et l'Irak.
Ainsi, le CSNU a permis la mise en place de « relais
humanitaires » au bénéfice des populations kurdes en Irak et
de « routes bleues » permettant le retour des réfugiés
kurdes. Il affirme alors, que constitue une menace contre la paix et la
sécurité internationales, « un flux massif de
réfugiés vers des frontières internationales et à
travers celles-ci et des violations de frontière »
(Préambule § 3). Par conséquent, cette situation fut
considérée comme internationalisée. La mise en place de
cette assistance humanitaire s'est accompagnée du déploiement sur
le sol irakien de quelques centaines de « Gardes bleus » en vertu de
l'accord conclu entre l'ONU et l'Irak du 23 mai 199132. Ces derniers
ne sont pas à confondre avec les Casques bleus constituant les forces de
maintien de la paix, ils étaient chargés de surveiller les relais
humanitaires et avaient également une vocation surtout
symbolique33.
30 Voir Annexe n°3.
31 Résolution 688 du Conseil de
Sécurité, adoptée le 5 avril 1991 à la
2982ème séance par 10 voix contre 3 (Cuba,
Yémen, Zimbabwe) avec 2 abstentions (Chine, Inde), S/RES/688 (1991).
32 Mario Bettati, « L'ONU et l'action
humanitaire », Politiques étrangères n°3,
1993, 58ème année, p. 641658.
33 Les « Gardes bleus » ont un statut
juridique différent des « Casques bleus », qui trouve sa
source dans le Memorandum of understanding (MOU).
13
Toutefois, on peut remarquer qu'il est nulle fois fait
référence au concept de droit d'ingérence humanitaire dans
cette résolution et que le Conseil de sécurité fait
référence dès le préambule au principe de
non-intervention dans les affaires intérieures d'un Etat de l'article
2§7 de la Charte des Nations Unies. Cela pourrait nous conduire à
amoindrir la portée de cette résolution, pourtant inédite
mais il faut prendre en compte que depuis, toutes les résolutions de
l'ONU emploient l'expression d' « assistance humanitaire ».
B. La valeur juridique de la
résolution
Le CSNU peut, à la différence de l'AGNU, prendre
des décisions obligatoires qui auront force contraignante pour les
Etats. Ils se verront ainsi opposer une obligation conventionnelle d'accepter
et d'appliquer ses résolutions, conformément à l'article
25 de la Charte.34. Le CSNU peut également prendre des
décisions exécutoires à l'instar de la résolution
688 organisant l'assistance humanitaire internationale. Depuis les
années 1990, une centaine d'Etats adoptent au sein du CSNU des
résolutions exhortant de respecter les droits de l'Homme et de cesser
leur violation, et proclamant le droit d'ingérence humanitaire. On peut
ainsi constater que ce droit s'est enraciné dans le paysage juridique
international.
La résolution 688 a permis la mise en oeuvre, du moins
implicite, de l'opération « Provide Comfort » en Irak qui
s'est déroulée au cours de l'année 1991. Un
mémorandum d'accord, négocié en même temps, est
signé le 18 avril 1991. Il permet une action humanitaire en Irak
à deux niveaux afin de faciliter le rapatriement des
réfugiés kurdes : les relais humanitaires (étapes le long
des couloirs humanitaires) et les centres humanitaires (installations en aval
des couloirs humanitaires). On peut considérer que cette
résolution mettant en place une assistance humanitaire marque
l'émergence du droit d'ingérence humanitaire à deux
égards. Premièrement, elle autorise de façon
inédite des forces armées nationales à intervenir
militairement de manière unilatérale dans le but de faire
respecter les droits de l'Homme. Deuxièmement, elle est la
première sur plus de 300 résolutions où le CSNU va
affirmer que « la violation massive des droits de l'Homme par un
gouvernement constitue une menace ou une atteinte à la paix » selon
la formule type onusienne.
34 Voir Annexe n°4.
14
§ 2 - Les opérations de maintien de la
paix
C'est en étudiant les opérations de maintien de
la paix que l'on peut s'apercevoir que le droit d'ingérence humanitaire
a moins été créé par une production normative, que
par une pratique de l'ONU et des Etats. Ainsi, seules quelques
opérations de maintien de la paix (OMP) emblématiques seront
étudiées afin de démontrer que malgré l'absence de
base légale formelle dans la Charte des Nations Unies le droit
d'ingérence humanitaire a connu depuis les années 1990 de
multiples applications concrètes sur le terrain.
Avant d'analyser différentes opérations de
maintien de la paix dans le cadre du droit d'ingérence humanitaire (B),
il est nécessaire de définir ce que ce sont de telles
opérations (A).
A. La définition d'une opération de maintien
de la paix
Conformément à l'article 24 de la Charte des
Nations Unies., le CSNU se voit conférer par les Etats Membres « la
responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales »35. C'est dans le cadre
de cette mission qu'il peut décider de mettre en place une OMP, mais
cette possibilité du Conseil de sécurité n'est pas
expressément prévue par la Charte. Selon la « Doctrine
Capstone »36, la base juridique d'une OMP peut se trouver dans
les chapitres VI, VII et VIII de la Charte relatifs respectivement au
règlement pacifique des différends, à l'action en cas de
menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression et, aux
accords régionaux. Pour autant, le CSNU reste libre de se
référer ou pas à un chapitre de la Charte de San Francisco
pour justifier son action.
Une OMP onusienne est une opération de paix,
autorisée par le Conseil de sécurité mais conduite sous la
direction du Secrétaire général des Nations Unies et plus
précisément du Département des opérations de
maintien de la paix. Cette opération de terrain vise à
prévenir, gérer et/ou résoudre des conflits armés
ou diminuer les risques de leur recrudescence37. Chaque
opération de la paix diffère selon le mandat qui lui est
35 Article 24§1 de la Charte des Nations
Unies.
36 Document officiel des Nations Unies
intitulé « Opérations de maintien de la paix des Nations
Unies, principes et orientation », Département des
opérations de maintien la paix & de l'appui aux missions, janvier
2008.
37 Document officiel des Nations Unies
intitulé « Opérations de maintien de la paix des Nations
Unies, principes et orientation », Ibid.
15
octroyé par le Conseil de sécurité. Les
mandats indiquent les différentes tâches confiées aux
opérations et leur durée ; ils résultent de la nature
même du conflit, de la situation et des besoins qui en découlent.
La plus ancienne - et toujours en vigueur - OMP est celle formée en mai
1948 par des observateurs militaires de l'Organisme des Nations Unies
chargé de la surveillance de la trêve (ONUST),
déployés dans le but de surveiller les cessez-le-feu dans la
région du Moyen-Orient (en Israël et dans les Territoires
palestiniens occupés). A contrario certaines ne peuvent durer que
quelques mois.
A l'origine les OMP avaient des mandats assez similaires bien
qu'adaptés aux situations spécifiques où elles agissaient.
Cependant, on peut remarquer que depuis les années 1990, ces
dernières connaissent une double mutation, quant à leur objet et
quant à leurs moyens38. Initialement prévues pour les
conflits interétatiques, les OMP ont vu leur mandat s'élargir aux
conflits internes incluant ainsi les guerres civiles, religieuses, ethniques ou
tribales. Ceci est à mettre en lien avec la lecture toujours plus
extensive, que le Conseil de sécurité fait, des « menaces
contre la paix » incluant à la même époque les
violations massives et graves des droits de l'Homme. En outre, les moyens des
OMP ont été renforcés puisqu'il est parfois permis aux
Casques bleus de recourir à la force dans le cadre du chapitre VII de la
Charte des Nations Unies à des conditions très précises
(en cas de légitime défense)39.
B. Les opérations de maintien de la paix dans
le cadre du droit d'ingérence humanitaire
On peut ainsi dénombrer trois générations
d'opérations de maintien de la paix. La première
génération couvre la période de 1948 à 1993 et vise
à éviter les conflits entre les grandes puissances. Les deux
autres générations débutent à partir de 1993. L'une
(deuxième génération) est axée sur des missions de
consolidation de paix où les opérations agissent plus souvent
dans le cadre de conflits internes et sont puissamment armées et
volumineuses en termes de Casques bleus. L'autre (troisième
génération) est constituée par des opérations dites
« mixtes », à la fois civiles et militaires, souvent
ambitieuses qui visent à mettre en place des engagements à long
terme.
38 Mario BETTATI, « L'usage de la force par l'ONU
», Pouvoirs 2004/2 (n°109), p. 111-123.
39 Résolution 814 du Conseil de
Sécurité, adoptée le 6 juin 1993 à la
3188ème séance, S/RES/814 (1993).
16
Le droit d'ingérence humanitaire a influencé la
mise en oeuvre de ces opérations dites de "troisième
génération". Plus complexes de par leur mandat (regroupant des
missions de quatre types : politique, militaire et sécuritaire,
humanitaire et civile), ces opérations sont également plus
longues. Ces opérations se différencient avec l'apparition de
trois nouveautés : l'élargissement du mandat humanitaire de l'ONU
; l'apparition d'une dimension coercitive autre que la légitime
défense ; la délégation par l'ONU de l'usage de la force
à des contingents nationaux au sein d'une coalition ad
hoc40. L'étude de telle opération met en exergue
l'ambiguïté et la complexité des interventions dites «
militaro-humanitaires ».
Trois opérations de maintien de la paix historiques
seront successivement étudiées à la lumière du
droit d'ingérence humanitaire : les opérations ONUSOM (A) et
FORPRONU (B) sous commandement de l'ONU et l'opération Turquoise (C)
habilitée par l'ONU.
1. L'opération ONUSOM
En 1991, dans un contexte de guerre civile en Somalie,
près de la moitié de la population somalienne souffre de famine
ou de maladies liées à la malnutrition. S'octroyant un mandat
humanitaire, le CSNU va pour la première fois à l'occasion d'un
conflit interne en Somalie, mandater une opération pluridimensionnelle
intégrant une équipe spécialisée en droits de
l'Homme, que certains qualifient d'opération militaro-humanitaire et,
fonder son action sur le chapitre VII de la Charte. Le but de cette mission
était d'assurer la sécurité de l'acheminement des secours
et de réintroduire un standard en matière de droits de
l'Homme.
En 1992, le Conseil de sécurité va constater
qu'une menace contre la paix et la sécurité internationales est
constituée par la violation massive et grave des droits de l'Homme en
Somalie41, et va déployer une Opération des Nations
Unies en Somalie (ONUSOM I) de première
génération42. Face à l'insécurité
grandissante, il est décidé
40 Document sur le Maintien de la paix, site web de
Médecins Sans Frontières,
http://www.msf.fr/sites/www.msf.fr/files/maintien_de_la_paix.pdf.
41 Résolution 733 du Conseil de
Sécurité, adoptée à l'unanimité le 23
janvier 1992 à la 3039ème séance, S/RES/733
(1992).
42 Résolution 751 du Conseil de
Sécurité, adoptée à l'unanimité le 24 avril
1992 à la 3069ème séance, S/RES/751 (1992)
17
d'envoyer des Casques bleus car la présence des Gardes
bleus n'est plus suffisante43. Puis, l'ONU va autoriser le
déploiement d'une force multinationale coalisée sous commandement
unifié afin d'instaurer des « conditions de sécurité
pour les opérations de secours humanitaires »44. Enfin,
une nouvelle force de casques bleus est envoyée (ONUSOM II), qui peut de
manière inédite avoir recours à la force
conformément au Chapitre VII de la Charte45. De nombreux pays
d'Afrique, d'Asie, d'Europe et d'Amérique y ont participé. On
assiste là à une graduation des moyens face aux échecs
successifs pour imposer la paix en Somalie.
Cette résolution présente deux innovations
majeures : le Conseil de sécurité va fonder pour la
première fois son action sur le Chapitre VII de la Charte pour fournir
une assistance humanitaire et la menace était constituée par un
conflit interne en Somalie. Ainsi, il s'agit de la première
opération d' « imposition » de la paix.
2. L'opération FORPRONU
Cette fois-ci, c'est en Europe qu'une opération de
maintien de la paix est organisée. C'est dans un contexte
d'éclatement de la Yougoslavie, que la Force de protection des Nations
Unies (FORPRONU) a été envoyée initialement en Croatie.
Progressivement son mandat a été étendu à la
Bosnie-Herzégovine en juin 1992 puis à la Macédoine en
décembre 1992.
Par la résolution 743 du 21 février 1992, une
opération de la FORPRONU a été mandatée en vertu du
Chapitre VI dans le but de protéger militairement la fourniture de
l'aide humanitaire, puis plus tard dans le but d'assurer la protection des
convois des détenus libérés46. La FORPRONU va
jusqu'à organiser la neutralisation de l'aéroport de Sarajevo et
la mise en place « entre l'aéroport et la ville, de couloirs de
sécurité, sous contrôle de la FORPRONU, pour assurer
l'acheminement de l'aide et les déplacements du personnel requis
»47. On constate également une graduation des moyens
à la lecture
43 Mario Bettati, « L'ONU et l'action
humanitaire », Politiques étrangères n°3,
1993, 58ème année, p. 641658.
44 Résolution 794 du Conseil de
Sécurité, adoptée à l'unanimité le 3
décembre 1992 à la 3145ème séance,
S/RES/794 (1992).
45 Résolution 814 du Conseil de
Sécurité, adoptée le 6 juin 1993 à la
3188ème séance, S/RES/814 (1993).
46 Mario Bettati, « L'ONU et l'action
humanitaire », Politiques étrangères n°3,
1993, 58ème année, p. 641658.
47 Résolution 764 du Conseil de
Sécurité, adoptée à l'unanimité le 13
juillet 1992 à la 3093ème séance, S/RES/764
(1992).
18
de la résolution 819 du 16 avril 1993 où la
mission à la possibilité d'employer « toutes les mesures
nécessaires », y compris la force. Autorisée à se
défendre en cas d'attaque des « zones de sécurité
», la FORPRONU peut également recourir à la force
aérienne et coordonner son action avec l'OTAN pour ce faire.
3. L'opération Turquoise
Cette opération militaire résulte d'un tragique
contexte : le génocide des Tutsis par les Hutus qui s'est
déroulé du 7 avril à la fin du mois de juin 1994 au
Rwanda. L'ONU a fait état de la mort de 800 000 Tutsis et Hutus
modérés durant cette courte période48. Une
opération militaire onusienne était déjà sur place
depuis quatre ans, la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda
(MINUAR). Elle a évacué le pays dès les premiers massacres
du fait de la mort de plusieurs Casques bleus alors qu'ils protégeaient
le Premier ministre.
Cependant, face à l'absence de réactivité
de la communauté internationale et aux difficultés que
rencontraient la MINUAR (manque de ressources et d'effectifs), la diplomatie
française propose une résolution au Conseil de
Sécurité des Nations Unies, adoptée le 22 juin 1994. Cette
dernière autorise l'intervention d'une force armée humanitaire et
neutre de 2 500 hommes, avec un commandement français sous
l'égide de l'ONU. La France obtint ainsi l'aval de l'ONU pour mener
l'opération Turquoise qui avait pour mission de « mettre fin aux
massacres partout où cela sera possible, éventuellement en
utilisant la force »49.
Ainsi, ces trois opérations reflètent le poids
grandissant du droit d'ingérence humanitaire dans les relations
internationales. Face à de telles opérations
militaro-humanitaires, on ne peut réduire le droit d'ingérence
humanitaire à une simple revendication à l'instar de Monsieur
Eric Pourcel.
48 Document officiel de l'ONU, Rapport de la
Commission indépendante d'enquête sur les actions de
l'Organisation des Nations Unies lord du génocide de 1994 au Rwanda, 15
décembre 1999, S/1999/1257 (1999).
49 Résolution 929 du Conseil de
Sécurité, adoptée le 22 juin 1994 à la
3392ème séance, S/RES/929 (1994).
19
A la lecture de ce premier chapitre, force est de constater
que le droit d'ingérence humanitaire souffre de la fragilité de
sa base légale et des ambiguïtés qui sont propres à
sa terminologie. Plusieurs résolutions, tant de l'Assemblée
générale que du Conseil de sécurité des Nations
Unies, viennent valider l'existence d'un droit d'intervention humanitaire mais
ce dernier pâtit de ne pas être explicitement mentionné dans
la Charte de San Francisco ou dans une autre convention regroupant la
communauté internationale. Ainsi, il subit de vives critiques de la part
de ses détracteurs et ne cesse de faire débat. Par la lettre du 5
mai 2000 adressée au Président de l'AGNU, le Représentant
permanent du Nigéria auprès de l'ONU, en tant que
Président du Groupe des 77, réaffirme l'opposition de ce groupe
au droit d'ingérence humanitaire. Déjà formulée au
cours du Sommet du Sud d'avril 2000 à la Havane, le groupe des 77
explique cette opposition par le fait qu'un tel droit serait incompatible avec
les principes de la Charte des Nations Unies (à comprendre le principe
de non-ingérence de l'article 2§7). Il le fait en ces termes :
« le soi-disant droit d'intervention humanitaire qui n'a aucun fondement
juridique dans la Charte des Nations Unies et dans les principes
généraux du droit international public [...]. L'assistance
humanitaire doit être entreprise dans le strict respect de la
souveraineté, de l'intégrité territoriale et de
l'indépendance politique des Etats concernés [...] et avec leur
approbation50 ».
En dépit de ces éléments, c'est la
pratique des Nations Unies et des Etats eux-mêmes qui a consacré
l'existence d'un droit d'ingérence humanitaire et qui l'a rendu
opérationnel. Selon Monsieur Mario Bettati, l'attitude du Conseil de
sécurité consacre le droit d'ingérence en ce qu'il «
a légalisé l'intervention militaire en refusant de la condamner.
Comme en droit, ce qui n'est pas interdit est permis ».51
S'extirpant du débat lié au droit d'ingérence humanitaire
discrédité, les Nations Unies vont alors proposer une
reformulation du principe, à travers l'avènement de la «
responsabilité de protéger ».
50 Déclaration du Sommet du Sud, du groupe des
77, réuni à La Havane, le 14 avril 2000.
51 Mario BETTATI, «Ne tirez pas sur le droit
d'ingérence ! », Politique internationale, n.87, Printemps
2000, p. 447 et 452 à 453.
20
Chapitre 2 - La base légale de la
responsabilité de protéger
La responsabilité de protéger, qu'on appelle
également R2P (Responsability to Protect) dans le jargon onusien, est un
nouveau concept qui va venir se substituer au droit d'ingérence
humanitaire en 2005.
Le Secrétaire général des Nations Unies,
Monsieur Kofi Annan, s'est interrogé sur les « perspectives de la
sécurité humaine et de l'intervention au siècle prochain
» à l'occasion de la 54ème session de
l'Assemblée générale. Compte-tenu des échecs
majeurs de la communauté internationale (en particulier du Conseil de
sécurité) à agir face aux évènements de 1994
au Rwanda et ceux en 1999 du Kossovo, le Secrétaire
général a exhorté la communauté internationale
à parvenir à un consensus sur la question de l'intervention
humanitaire afin de « trouver un terrain d'entente dans l'adhésion
aux principes de la Charte et dans la défense active de notre condition
commune d'êtres humains »52.
La Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des Etats a souhaité relever ce défi dans son
rapport (section 1), lequel a permis aux Nations Unies d'élaborer un
nouveau concept, la responsabilité de protéger (section 2).
Section 1 - L'apport doctrinal de la Commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des
Etats
Afin de mieux saisir l'apport doctrinal de la Commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, il est
important d'examiner, dans un premier temps, la nature de cette commission
(§ 1), puis dans un second temps, le rapport qu'elle a rendu.
§ 1 - La Commission internationale de l'intervention
et de la souveraineté des Etats
La particularité de cette Commission relève
d'une part du mandat qu'il lui a été confié (A) et d'autre
part de sa composition plurielle (B).
52 Discours du Secrétaire
général des Nations Unies, Monsieur Kofi ANNAN,
54ème session de l'Assemblée générale
des Nations Unies, septembre 1999.
A. 21
Le mandat de la Commission
Le Secrétaire général des Nations Unies,
Monsieur Kofi Annan, invita l'Assemblée générale à
se pencher sur la question incontournable du droit d'ingérence
humanitaire à l'occasion de son Rapport du Millénaire de 2000. Il
le fit en ces termes : « Si l'intervention humanitaire constitue
effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté,
comment devons-nous réagir face à des situations comme celles
dont nous avons été témoins au Rwanda ou à
Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques
des droits de l'Homme qui vont à l'encontre de tous les principes sur
lesquels est fondée notre condition d'êtres humains ?
»53.
En guise de réponse, le gouvernement du Canada et un
groupe de grandes fondations annoncèrent la création de la
Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des
Etats (CIISE) devant l'Assemblée générale des Nations
Unies en septembre 2000. Essayant ainsi de savoir « à quel moment
la communauté internationale doit-elle intervenir à des fins
humanitaires ? », la CIISE façonna le concept de «
responsabilité de protéger ».
Dans cette optique, la CIISE « a été
invitée à aborder l'ensemble des questions juridiques, morales,
opérationnelles et politiques qui se posent dans ce domaine, à
recueillir un éventail aussi vaste que possible d'avis dans le monde
entier, et à déposer un rapport qui aiderait le Secrétaire
général et tous les autres intervenants à trouver un
nouveau terrain d'entente »54. Son travail a duré une
année entière, au cours de laquelle de multiples réunions
partout dans le monde ont été organisées.
B. La composition de la Commission
Cette commission se composait de douze commissaires de
nationalités différentes : les coprésidents Gareth Evans
(Australie) et Mohamed Sahnoun (Algérie), ainsi que Gisèle
Côté-Harper (Canada), Lee Hamilton (USA), Michael Ignatieff
(Canada), Vladimir Lukin (Fédération de Russie), Klaus Naumann
(Allemagne), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Fidel Ramos (Philippines),
Cornelio Sommaruga (Suisse), Eduardo Stein (Guatemala) et Ramesh Thakur (Inde).
On peut noter qu'il n'y avait aucun
53 Rapport du millénaire du Secrétaire
général [A/54/2000], Nations Unies, 2000.
54 CIISE (2001), La Responsabilité de
Protéger, Rapport de la Commission internationale de l'intervention et
de la souveraineté des États, Ottawa : International Development
Research Centre
22
représentant de l'école française,
pourtant porteuse aux premières heures du droit d'ingérence
humanitaire.
La composition de cette Commission était censée
« refléter équitablement les perspectives des pays
développés et des pays en développement et faire en sorte
[qu'ils soient] représentatifs d'un large éventail d'origines
géographiques, de points de vue et d'expériences ». Il est
facile d'imaginer qu'un tel consensus entre les membres de la Commission, en
dépit de leurs différences, était plus que prometteur dans
l'élaboration d'un consensus global avec la communauté
internationale. Par ailleurs, afficher un tel « panel » de
commissaires permettait de contrer d'emblée un argument
privilégié des détracteurs du droit d'ingérence
humanitaire : le fait qu'il y aurait « deux poids, deux mesures » au
sein de ce droit avec d'un côté les pays riches du Nord,
participant à des interventions néo-impérialistes sous
l'égide de l'OTAN, et de l'autre les pays en voie de
développement du Sud, subissant des violations flagrantes de leur
souveraineté.
§ 2 - Le rapport de la Commission
« Des Etats ont-ils jamais le droit de prendre des
mesures coercitives - et particulièrement militaires - contre un autre
Etat pour protéger des populations menacées dans ce dernier, et
si oui, dans quelles circonstances ? »55. C'est par cette
question que commence le rapport de la CIISE où l'expression «
responsabilité de protéger » est pour la première
fois évoquée.
Selon la Commission, la responsabilité de
protéger s'articule autour de deux principes fondamentaux. En vertu du
principe de souveraineté, il incombe à l'Etat en premier lieu la
responsabilité de protéger les personnes vivant sur son
territoire. Si l'Etat se montre incapable d'assumer une telle
responsabilité du fait d'un manque de capacité ou de
volonté, c'est à la communauté internationale que revient
la charge d'assumer la responsabilité de protéger en dépit
du principe de non-intervention et par conséquent d'intervenir et
d'agir.
La CIISE discerne quatre fondements sur lesquels repose la
responsabilité internationale de protéger : les obligations
inhérentes à la notion de souveraineté ; l'article 24 de
la Charte de San Francisco conférant au Conseil de
sécurité la responsabilité du
55CIISE (2001), La Responsabilité de
Protéger, Ibid.
23
maintien de la paix et de la sécurité
internationales ; les impératifs juridiques contenus dans les
différents instruments nationaux et internationaux relatifs aux droits
de l'Homme, à la protection des populations et au droit international
humanitaire ; la pratique croissante des Etats, des organisations
régionales ainsi que du Conseil de sécurité.
Cette responsabilité de protéger contient trois
obligations particulières que sont : la responsabilité de
prévenir, la responsabilité de réagir et la
responsabilité de reconstruire. Selon la Commission, la première
de ces responsabilités reste la dimension la plus importante de la
responsabilité de protéger.
Il est fondamental de comprendre la nouvelle démarche
proposée par la CIISE, qui est de dépasser la contradiction
apparente entre la souveraineté et le droit d'ingérence
humanitaire. Comme l'a rappelé Monsieur Alain Dejammet56 lors
du colloque « L'ingérence », le professeur Bettati a reconnu
lui-même « qu'en utilisant délibérément le mot
« ingérence », plutôt que les mots « intervention
» ou « interférence » qui se trouvent dans la Charte, il
choisissait le parti de la provocation »57. La Commission a
souhaité, quant à elle, « nier les contradictions entre la
souveraineté et la préoccupation humanitaire »58.
La souveraineté consisterait alors en la responsabilité de
protéger sa population et dans ce raisonnement, aucun des deux principes
n'est lésé. Face à l'incapacité de l'Etat à
assumer sa souveraineté et ainsi sa responsabilité de
protéger, la communauté internationale, attachée à
la souveraineté, se devrait de prendre en charge la
responsabilité de protéger. C'est ce que Monsieur Mario Bettati
écrivait déjà en 1991 lorsqu'il affirmait que «
l'action humanitaire ne réclame pas une réduction de la
souveraineté. Elle réclame seulement qu'elle s'exerce de
façon plus humaine. »59.
Ainsi, la CIISE a permis, en répondant au défi
lancé par Monsieur Kofi Annan, de faire avancer le débat relatif
à la responsabilité de protéger et de dessiner les
contours d'un consensus international sur ce domaine. Ce rapport -
cosigné par Messieurs Gareth Evans et Mohamed Sahnoun, le 30 septembre
2001, et approuvé à l'unanimité par l'ensemble des membres
de la Commission - constitue un apport doctrinal sans précédent
quant au droit d'ingérence humanitaire, maintenant rebaptisé
« responsabilité de
56 Alain Dejammet est le Président du Conseil
scientifique de la Fondation Res Publica.
57 Allocution de Monsieur Alain Dejammet, colloque
sur « L'ingérence » organisée par la fondation Res
Publica, Maison de la Chimie, Paris, 19 janvier 2015.
58 Allocution de Monsieur Alain Dejammet,
ibid.
59 Mario BETTATI, « Le droit d'ingérence :
sens et portée », Le Débat 1991/5
(n°67), p. 4 à 14.
24
protéger ». Combiné aux efforts
diplomatiques du Canada, ils ont joué un rôle majeur dans
l'adoption à l'unanimité de la doctrine lors du Sommet des
Nations Unies de 2005.
Section 2 - L'apport de l'Organisation des Nations
Unies
Le Secrétaire général des Nations Unies,
Monsieur Kofi Annan mandata un « Groupe de personnalités de haut
niveau sur les menaces, les défis et le changement » afin qu'ils
proposent de nouvelles idées quant aux types de politiques et
d'institutions que l'ONU pourrait mettre en oeuvre pour le siècle
à venir. Dans leur rapport de décembre 2004, intitulé
« Un monde plus sûr, notre affaire à tous », ces
derniers recommandèrent aux gouvernements d'adopter le principe de
« la responsabilité de protéger »60.
C'est ce qu'il va se passer à l'occasion du Sommet
Mondial des Nations Unies de 2005 (§ 1) où les Etats vont adopter
un Document final proclamant la responsabilité de protéger. La
résolution 1973 du 17 mars 2011 relative à l'intervention en
Libye marquera, quant à elle, la mise en oeuvre opérationnelle de
la responsabilité de protéger (§ 2).
§ 1 - Le Sommet mondial des Nations Unies de
2005
Le Sommet mondial de 2005 s'est déroulé du 14 au
16 septembre 2005 et a rassemblé plus de 170 chefs d'Etat et de
gouvernement, ce qui en fait un des plus vastes sommets organisés par
les Nations Unies. Le document de travail de base était le rapport du
Secrétaire général, Monsieur Kofi Annan, intitulé
« Dans une liberté plus grande »61. Il s'agissait
de grandes orientations et de réformes à proposer à la
communauté internationale afin qu'elles emportent son adhésion
politique, dont la responsabilité de protéger.
A l'issue du Sommet mondial de 2005, est finalement
adopté un Document final62, marquant l'officialisation de la
responsabilité de protéger aux yeux de la communauté
internationale en ce qu'il contient un engagement à promouvoir cette
60 59ème session de
l'Assemblée générale des Nations Unies, point 55 de
l'ordre du jour, « Un monde plus sûr : notre affaire à tous
», rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les
menaces, les défis et le changement, remis le 2 décembre 2004,
A/59/565.
61 « Dans une liberté plus grande - Vers le
développement, la sécurité et les droits de l'homme pour
tous » Rapport du Secrétaire général de l'ONU, remis
le 24 mars 2005 à l'Assemblée générale,
A/59/2005.
62 Document final du Sommet mondial des Nations
Unies, résolution 60/1 de l'Assemblée générale des
Nations Unies, adoptée le 16 septembre 2005 à la 8ème
séance plénière, A/RES/60/1 (2005).
25
responsabilité. L'Assemblée
générale adopta le 16 septembre 2005 ce Document final dans sa
résolution 60/163.
La partie « Responsabilité de protéger les
populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage
ethnique et les crimes contre l'humanité » figure aux paragraphes
138, 139 et 140 du Document final64. Comme l'indique son titre, la
responsabilité de protéger est circonscrite aux cas de
génocide, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre
l'humanité. Ces crimes, à l'exception du nettoyage ethnique,
fondent également la compétence matérielle de la Cour
internationale pénale en ce qu'ils sont les « crimes les plus
graves qui touchent l'ensemble de la communauté
internationale65 ». Toutefois des actes de purification
ethnique peuvent constituer l'un des trois autres crimes.
Conformément au rapport de la Commission internationale
de l'intervention et de la souveraineté des Etats, le Document final du
Sommet mentionne au paragraphe 138 la responsabilité de protéger,
qui incombe prioritairement à l'Etat souverain (A). Le paragraphe 139
vise les cas de défaillance où cette responsabilité
revient alors à la communauté internationale (B). Ainsi, cela
implique une répartition des responsabilités et une collaboration
entre les Etats concernés et la communauté internationale. Ces
dispositions définissent le cadre officiel au sein du duquel les Nations
Unies, ses Etats membres et les accords régionaux peuvent mettre en
oeuvre la responsabilité de protéger. Le principe de
non-intervention s'efface lorsque les populations civiles sont les victimes de
crimes internationaux ou de catastrophes humanitaires.
A. Le paragraphe 138 du Document final
Le paragraphe 138 formule ainsi une obligation pour chaque
Etat de protéger sa population des crimes précités. La
responsabilité de protéger fonctionne selon un principe de
subsidiarité mettant l'Etat concerné au premier plan, son action
restant prioritaire. Toujours en accord avec le rapport de la CIISE, la
dimension préventive de cette responsabilité est fondamentale
puisque il est mentionné que « cette responsabilité consiste
notamment dans la prévention de ces crimes, y compris l'incitation
à les
63 Document final du Sommet mondial des Nations Unies,
ibid.
64 Voir Annexe n°5.
65 Article 5 du Statut de Rome de la Cour
pénale internationale, signé le 17 juillet 1998, A/CONF/183/9.
26
commettre »66. La communauté
internationale doit « encourager et aider les Etats à s'acquitter
de cette responsabilité et aider l'Organisation des Nations Unies
à mettre en place un dispositif d'alerte rapide »67. La
communauté internationale s'engage alors à fournir une assistance
internationale et un renforcement des capacités. Ce dispositif d'alerte
rapide permet au Secrétaire général des Nations Unies de
faire appel aux conseillers spéciaux pour la prévention du
génocide et pour la responsabilité de protéger
(appartenant tous deux au bureau du conseiller spécial pour la
prévention du génocide), qui forts de leurs partenariats avec
divers acteurs (organisations régionales, société civile)
peuvent collecter directement des informations sur la réalité du
terrain et agir plus rapidement.
B. Le paragraphe 139 du Document final
Le paragraphe 139 traite quant à lui de la
responsabilité de protéger qui pèse sur la
communauté internationale. Une fois qu'il est avéré que
l'Etat concerné ne veut ou ne peut assurer cette responsabilité,
la communauté internationale se doit « de mettre en oeuvre les
moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques
appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte,
afin d'aider à protéger les populations »68. Il
s'agit ici d'une responsabilité supplétive, la communauté
internationale n'intervient que si l'action (prioritaire) de l'Etat
concerné fait défaut. A cela suit une référence
directe du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies fondant sans
ambiguïté la compétence du Conseil de sécurité
à organiser une action collective. L'Assemblée
générale joue elle aussi un rôle dans cette
responsabilité de protéger ; il lui revient la tâche de
« poursuivre l'examen de la responsabilité de protéger les
populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et
des crimes contre l'humanité et des conséquences qu'elle emporte
»69. L'engagement des Etats membres regroupera une aide aux
Etats concernés à se doter des moyens permettant la mise en
oeuvre de cette responsabilité de protéger et une assistance
préventive afin d'éviter une crise.
66 § 138 du Document final du Sommet mondial des Nations
Unies, résolution adoptée par l'Assemblée
générale le 16 septembre 2005, A/RES/60/1.
67 § 138 du Document final du Sommet mondial des Nations
Unies, ibid.
68 § 139 du Document final du Sommet mondial des Nations
Unies, résolution adoptée par l'Assemblée
générale le 16 septembre 2005, A/RES/60/1.
69 § 139 du Document final du Sommet mondial des Nations
Unies, ibid..
27
Pour la majeure partie de la doctrine (Messieurs Bernard
Koucher, Mario Bettatti ou Jean-Marie Crouzatier par exemple), le Document
final résultant du Sommet mondial des Nations Unies de 2005 est
dépourvu de caractère novateur. Il reprend en effet les grandes
lignes du droit d'ingérence humanitaire et les approfondit pour rendre
la responsabilité de protéger plus opérationnelle. La
valeur ajoutée serait d'ordre terminologique puisqu'en utilisant
l'expression « responsabilité de protéger » au lieu de
« droit d'ingérence humanitaire », on supprime le débat
propre à l'ingérence. Plus encore, ce document marque
l'engagement de la communauté internationale à supporter la
responsabilité de protéger et consacre l'existence officielle de
ce principe juridique par la même occasion. Toutefois, ce document ne
modifie en aucun cas la Charte des Nations Unies et n'a valeur que de
recommandation pour les Etats.
§ 2 - La résolution 1973 du 17 mars 2011
relative à l'intervention en Libye
Le Conseil de sécurité fait
référence à la responsabilité de protéger
pour la première fois dans la résolution 1674 sur la protection
des civils en période de conflit armé70.
Adoptée à l'unanimité en 2006, la résolution
réaffirme les paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial
de 2005 relatifs à la responsabilité de protéger les
populations du génocide, des crimes de guerre, de la purification
ethnique et des crimes contre l'humanité et rappelle l'obligation des
Etat de mettre fin à l'impunité et traduire en justice les
auteurs de ces crimes.
Toutefois c'est véritablement avec l'adoption de la
résolution 1973 sur la situation en Jamahiriya arabe libyenne que le
Conseil de sécurité rend pour la première fois effective
la responsabilité de protéger71. C'est dans le
contexte du printemps arabe et de guerre civile en Libye qu'a été
votée cette résolution. On venait tout juste d'assister à
la chute des dirigeants tunisien et égyptien (Ben Ali en janvier 2011 et
Hosni Moubarak en février 2011) qu'éclatait, en février
2011, une révolte populaire en Libye. Sévèrement
réprimées par les armes de la part du pouvoir en place de
Mouammar Kadhafi, ces manifestations se sont transformées en guerre
civile. Le Conseil de sécurité adopte alors
70 Résolution 1674 du Conseil de
sécurité, adoptée à l'unanimité le 28 avril
2006 à la 5430ème séance, S/RES/1674 (2006).
71 Résolution 1973 du Conseil de
sécurité, adoptée à l'unanimité le 17 mars
2011 à la 6498ème séance, S/RES/1973 (2011).
28
une première résolution72 en
février 2011 où il est fait explicitement référence
à la responsabilité de protéger. Se basant sur le constat
d'une violation flagrante et systématique des droits de l'Homme, le
Conseil de sécurité impose toute une série de sanctions
internationales à l'encontre du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Il
appelle entre autres au respect des droits de l'Homme, saisit la Cour
pénale internationale et exige l'arrêt des violences à
l'encontre des civils.
Le 17 mars 2011 est adoptée une seconde
résolution par le Conseil de sécurité en vue de stopper la
guerre civile en Libye, la résolution 1973. Par cette résolution,
le Conseil de sécurité se déclare « résolu
à assurer la protection des populations et zones civiles ». Tout en
« réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté
[...] de la Jamahiriya arabe libyenne », le Conseil de
sécurité « exige un cessez-le-feu immédiat »,
« autorise les Etats membres [...] à prendre toutes les mesures
nationales [...] pour protéger les populations et zones civiles
menacées d'attaque [...] tout en excluant le déploiement d'une
force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et
sur n'importe quelle partie du territoire libyen »73. De plus
par cette résolution le Conseil de sécurité va organiser
une zone d'exclusion aérienne en Libye, un embargo sur les armes, une
interdiction des vols en provenance de la Libye ou appartenant à des
libyens, un gel des avoirs pour des personnalités libyennes
expressément désignées, et, la formation d'un groupe
d'experts. La résolution 1973 est ambigüe car elle n'autorise pas
expressément une intervention militaire mais autorise
expressément que « les Etats Membres [...] agissent à titre
national ou dans le cadre d'organismes ou d'arrangements régionaux [...]
à prendre toutes mesures nécessaires [...] pour protéger
les populations »74. Pour la majeure partie de la doctrine,
cette résolution marque l'autorisation par le Conseil de
sécurité du recours à la force contre les troupes
gouvernementales libyennes dans le but de protéger les populations.
Par la suite l'OTAN va intervenir militairement, et ce sous
l'égide de l'ONU, afin de mettre en oeuvre la résolution 1973.
Cette opération militaro-humanitaire est essentiellement
franco-britannique avec un soutien logistique des Etats-Unis et de l'OTAN.
L'organisation transatlantique va envoyer des avions frapper les forces de
Mouammar Kadhafi et cela se terminera par la mort du dirigeant libyen.
72 Résolution 1970 du Conseil de
sécurité, adoptée à l'unanimité le 26
février 2011 à la 6491ème séance,
S/RES/1970 (2011).
73 Résolution 1973 du Conseil de
sécurité, op. cit., p. 27.
74 Résolution 1973 du Conseil de
sécurité, op. cit., p. 27.
29
Monsieur Nils Andersson (analyste politique suisse), rapporte
que Hubert Védrine dit de cette résolution 1973, qu'elle est
« une concrétisation de cette notion de responsabilité de
protéger, que nous avions élaborée avec Kofi Annan, quand
il a fallu sortir du piège linguistique, conceptuel et politique du
droit d'ingérence »75.
En 2006, Madame Laurence Boisson de Chazournes et Monsieur
Luigi Condorelli publiaient un article au titre plus qu'évocateur :
« De la responsabilité de protéger, ou d'une nouvelle parure
pour une notion déjà bien établie »76.
Qualifiant la responsabilité de protéger de « brillante
invention diplomatique», elle serait plus facile « à `gober'
que l'ancienne formule très médiatisée du « droit (ou
devoir) d'ingérence » [qui] apparaissait comme contredisant de
front le dogme de la souveraineté et l'un de ses principaux corollaires,
le principe de non-intervention »77. Ainsi après avoir
démontré l'existence d'une base légale certes fragile du
droit d'ingérence humanitaire, on peut s'apercevoir que depuis une
décennie une version "consolidée" est apparue avec
l'avènement de la responsabilité de protéger. Reste
à savoir si l'instrumentalisation du droit d'ingérence
humanitaire a suivi cette "tendance", se limitant face à l'affirmation
de la responsabilité de protéger.
75 Intervention de Nils ANDERSSON lors de la
conférence-débat CETIM, CUAE, Le Courrier, 30 mai 2012.
76 Laurence BOISSON DE CHAZOURNES et Luigi
CONDORELLI, "De la « responsabilité de protéger », ou
d'une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie",
RGDIP, 2006, n°1, p. 11-18.
77 Laurence BOISSON DE CHAZOURNES et Luigi CONDORELLI,
Ibid.
30
PARTIE II - L'INSTRUMENTALISATION DU DROIT D'INGERENCE
HUMANITAIRE PAR LES ETATS EN QUETE DE LEGITIMITE
Outre les questions concernant l'existence du droit
d'ingérence humanitaire, la question de la légitimité de
l'intervention humanitaire provoque également des controverses.
Cependant, il serait erroné de croire que ce sont deux questions
indépendantes l'une de l'autre. La fragilité du cadre
légal du droit d'ingérence humanitaire profite aux Etats qui
l'invoquent pour légitimer certaines interventions militaires
illégales. Ainsi, ces derniers prétextent un motif humanitaire
à leurs interventions armées, en recherchant ainsi une
légitimité auprès de la communauté
internationale.
Face à un « humanitaire d'Etat », on a
constaté que pesait le risque que l'humanitaire se politise et se
militarise pour devenir un instrument aux mains des Etats et de leur politique
extérieure. On abordera ainsi dans un premier temps,
l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire par les Etats
(Chapitre 1). Toutefois, on a pu apercevoir une limitation de cette
instrumentalisation par les Etats du fait du renforcement de la base
légale du droit d'ingérence humanitaire, à travers la
consécration par les Nations Unies du principe de «
responsabilité de protéger ». Cela est notamment dû
aux critères de légitimité développés par la
Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des
Etats, qui seront étudiés dans un second temps (Chapitre 2).
Nous tenons à préciser que l'objet de cette
partie est de démontrer l'instrumentalisation. Ainsi, nous ne prendrons
pas partie sur le bien-fondé de l'instrumentalisation du droit
d'ingérence humanitaire ni sur le bien-fondé des interventions
armées humanitaires. Il ne s'agira pas non plus de faire un bilan sur
les résultats positifs et négatifs des différentes
interventions humanitaires traitées et leurs dérives. Nous nous
garderons de rentrer dans le débat qui cherche à savoir si ces
dernières aggravent ou améliorent la situation des populations en
détresse, si le chaos actuel qui règne en Libye aurait pu
être évité, si l'opération Turquoise au Rwanda a
permis d'arrêter le génocide, etc.
31
Chapitre 1 - Une instrumentalisation du droit
d'ingérence humanitaire par les Etats
Selon les opposants au droit d'ingérence humanitaire,
ce dernier est un droit à « géométrie variable »
où les intérêts politiques sont plus déterminants
que les besoins humanitaires. Le professeur Antoine Rougier78
affirmait déjà en 1910 qu' « il se commet tous les jours
dans quelque coin du monde mille barbaries qu'aucun Etat ne songe à
faire cesser parce qu'aucun Etat n'a d'intérêt à les faire
cesser79 ». Au vu du seul coût financier qu'engendre une
intervention, il apparaît évident que les Etats ont besoin de
motivations pour agir, et malheureusement la motivation humanitaire n'est pas
toujours la première. En effet, à la lecture de l'Histoire les
puissances occidentales ont souvent prétexté une ingérence
humanitaire pour couvrir des fins interventionnistes impérialistes ou
hégémoniques, ou pour les intérêts
économiques de firmes multinationales. Une fois leurs
intérêts en jeu, on peut facilement s'apercevoir de la «
proactivité » des Etats.
L'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire
résulte de plusieurs facteurs, notamment du fait que l'action
humanitaire est de plus en plus considérée par les Etats et par
les Nations Unies comme une composante de la sécurité collective.
Cela conduit à favoriser son caractère armé. En se
nationalisant, l'action humanitaire devient alors un moyen politique et
stratégique, et c'est cette apparition d'un humanitaire d'Etat qui
conduit une instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire. On
peut alors voir se dessiner une double instrumentalisation de ce droit,
politique et militaire (Section 1), qu'il est facile de vérifier avec
l'étude d'interventions humanitaires armées (Section 2) voire
encore l'absence d'interventions humanitaires armées comme c'est le cas
en Syrie (Section 3).
78 Antoine Rougier (1877-1927) fut le doyen de la
Faculté de droit de l'Université de Lausanne. Il est était
également docteur en droit et professeur à l'Université de
Caen et d'Aix-Marseille.
79 Antoine ROUGIER, « La théorie de
l'intervention d'humanité », RGDIP, 1910, p. 468-526.
32
Section 1 - Une instrumentalisation politique et
militaire
L'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire
de la part des Etats peut résulter d'une part, d'une instrumentalisation
politique avec ce qu'on appelle un « droit d'ingérence politique
» (§ 1), et d'autre part, d'une instrumentalisation militaire avec
l'apparition, dans les années 1990, des interventions dites
militaro-humanitaires (§ 2). Il reste difficile de distinguer
l'instrumentalisation politique de celle militaire, car comme le dit Monsieur
Rony Brauman, ancien président de Médecins sans
frontières, « la guerre est l'acte politique par excellence
»80. Enfin, il sera traité des dangers de la
politisation et de la militarisation de l'humanitaire par les Etats pour les
ONG (§ 3).
§ 1 - Une instrumentalisation politique
On envisagera en premier lieu l'instrumentalisation politique
du droit d'ingérence humanitaire de manière globale (A), pour
ensuite l'illustrer avec l'intervention humanitaire armée en Lybie
(B).
A. L'instrumentalisation politique du droit
d'ingérence humanitaire
Comme le note Madame Nathalie
Herlemont-Zoritchak81, on peut s'apercevoir à la
lumière des discours politiques82, que l'action humanitaire
n'est pas considérée comme une fin en soi mais comme une
composante du dispositif de gestion des crises et de la sécurité
internationale83. Ainsi la théorie d'une citoyenneté
mondiale s'est développée en se basant sur des principes
juridiques internationaux universels où les droits de l'Homme figurent
en première place. Cette théorie est appelée third way
policy en Grande-Bretagne et « diplomatie morale » en France et
« suggère que l'aide humanitaire et les stratégies
politiques aient des objectifs communs »84.
80 Rony BRAUMAN, « Lettre n° 20 - Les
pièges de l'engagement humanitaire. Droit d'ingérence ou devoir
d'ingérence ? », La lettre, Politique Autrement, Juin
2000.
81 Madame NATHALIE HERLEMONT-ZORITCHAK est docteur
en sciences politiques et responsable du service analyse et positionnement
à la direction générale de Handicap International.
82 Voir à ce sujet la Déclaration du
Président Jacques Chirac sur le Kossovo du 24 mars 1999 ; la
Déclaration du gouvernement français sur la situation du Kossovo,
Assemblée nationale, 26 mars 1999.
83 Nathalie HERLEMONT-ZORITCHAK, « «
Droit d'ingérence » et droit humanitaire : les faux amis »,
Humanitaire, n°23, décembre 2009.
84 Marie-Christine DELPAL, Politique
extérieure et diplomatie morale : le droit d'ingérence
humanitaire en question, Paris : Fondation pour les études de
défense nationale, 1993, 127 p.
33
On peut citer à titre d'exemple le discours du
Président de la République française, François
Mitterrand, prononcé la veille de la Conférence de Cancún.
Dans son discours de Mexico du 20 octobre 1981, le Président
déclarait « Il existe dans notre droit pénal un délit
grave, celui de non-assistance à personne en danger. En droit
international, la non-assistance aux peuples en danger n'est pas encore un
délit. Mais c'est une faute morale et politique qui a déjà
coûté trop de morts et trop de douleurs à trop de peuples
abandonnés pour que nous acceptions à notre tour de la commettre.
»85. Ce que le Président entend être une faute
morale et politique, les pays en développement opposés au droit
d'ingérence humanitaire le perçoivent comme étant source
d'une nouvelle forme d'impérialisme. Ainsi comme le relève le
Doyen Antoine Rougier, « toutes les fois qu'une puissance interviendrait
dans la sphère de compétence d'une puissance, elle ne fera jamais
qu'opposer sa conception du juste et du bien social à la conception de
cette dernière, en la sanctionnant au besoin par la force
»86. Les termes « politique », « bien » et
« morale » sont enclins à la subjectivité et à
l'ambiguïté, ils favorisent ainsi une possible instrumentalisation
du droit d'ingérence humanitaire.
Dans un article intitulé « Ethique et politique de
l'intervention humanitaire armée », Monsieur Jean-Baptiste
Jeangène Vilmer87 s'interroge sur le poids de la politique
dans l'éthique de l'intervention humanitaire88. Il faut
être réaliste et reconnaître qu'un Etat intervenant ne peut
prétendre être totalement désintéressé, sinon
comment expliquer la réaction « deux poids, deux mesures » de
la communauté internationale entre la Tchétchénie et le
Kossovo89 ? Il affirme qu'un Etat n'est jamais
désintéressé du fait que « la Realpolitik
est avant tout une Interessenpolitik ». Monsieur Rony
Brauman, qualifiait l'ingérence humanitaire de « pur slogan
d'opportunité politique »90. Ce qui pose
85 Discours de M. François MITTERRAND,
Président de la République, devant le monument de la
Révolution à Mexico, mardi 20 octobre 1981 (Discours dit de
Cancun).
http://discours.vie-publique.fr/notices/817144500.html
86 Antoine ROUGIER, « La théorie de
l'intervention d'humanité », op.cit p. 31.
87 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer est
chargé de mission « Affaires transversales et
sécurité » au Centre d'Analyse, de Prévision et de
Stratégie (CAPS) du Ministère des Affaires
étrangères. Il enseigne également en tant que Maître
de conférences à Sciences Po Paris.
88 Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, «
Éthique et politique de l'intervention humanitaire armée »,
Critique internationale, 2/2008 (n° 39), 2008, p. 161-182.
89 Article du journal le Monde diplomatique,
Dominique Vidal, « Kossovo, Tchétchénie : deux poids, deux
mesures », Le Monde diplomatique, 5 novembre 1999.
90 Rony BRAUMAN, « Lettre n° 20 - Les
pièges de l'engagement humanitaire. Droit d'ingérence ou devoir
d'ingérence ? », op. cit., p. 32.
34
problème, comme le relève Monsieur Will D.
Verwey91, c'est que les considérations politiques priment
toujours sur celles humanitaires au vu des interventions
passées92.
Prenons l'exemple de la Guerre froide, période au cours
de laquelle le bloc Ouest (mené par les Etats-Unis) et le bloc Est
(mené par l'URSS) s'affrontaient indirectement. Monsieur Schwatzen
Berreget93 qualifiait le droit d'ingérence humanitaire,
à cette période, de droit d'ingérence
hégémonique « c'est-à-dire de droit d'intervention
pour protéger les intérêts de chaque superpuissance dans
son propre bloc94 ». A cette époque, les Etats
percevaient « dans l'action humanitaire au mieux une arme de propagande
dans le conflit idéologique [...] au pire un élément
propre à déstabiliser la conduite de politiques
étrangères réalistes95 ».
Dans un article intitulé « Le principe de la
responsabilité de protéger : avancée de la
solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ?
», Jean-Marie Crouzatier expose les deux dangers de l'instrumentalisation
politique que seraient le relativisme et le subjectivisme96. Le
relativisme, du fait que les Etats en viendraient à ne plus
considérer de manière identique tous les pays du point de vue du
principe de l'égalité souveraine des Etats. Ainsi
l'ingérence humanitaire mettrait en exergue l'illusion que
représente le principe de l'égalité des
souverainetés. En l'état actuel des choses, il paraît
impossible qu'une intervention humanitaire armée soit mandatée
pour agir sur le territoire de l'un des membres permanents du Conseil de
sécurité (la Chine avec le Tibet par exemple). Le subjectivisme,
du fait que l'Etat intervenant va fonder sa décision selon sa propre
morale et ses preuves, et que cela va conditionner le choix de qui est la
victime, qui est le bourreau, qui mérite d'être secouru (les
Kurdes mais pas les Tchétchènes) etc. Jean-Marie Crouzatier
poursuit en disant que la subjectivité peut être, à travers
le Conseil de sécurité, « multilatéralisée et
centralisée entre les mains de certains Etats qui peuvent décider
quelle sera la guerre juste ».
91 Monsieur Will Verwey est un professeur de droit
international public d'origine néerlandaise.
92 Will D. VERWEY, « Humanitarian Intervention
under International Law », Netherland International Law Review,
32 (3), 1985, p. 405.
93 Monsieur Schwatzen Berreget est un juriste
d'origine britannique.
94 Edward MCWHINNEY, « Le droit
d'ingérence humanitaire et la Charte de l'O.N.U. », Revue
québécoise de droit international, 1991-1992, p. 233-234.
95 Pierre GARRIGUE, Universalis, « Action
humanitaire internationale », Encyclopædia Universalis [en
ligne],
https://www-universalis--edu-com.bibliopam-evry.univ-evry.fr/encyclopedie/action-humanitaire-internationale/
(page consultée le 12 août 2015).
96 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la
responsabilité de protéger : avancée de la
solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ?
», Aspects, n°2, 2008, pages 13 à 32.
B. L'intervention humanitaire armée en Libye
35
L'intervention en Libye est un exemple récent
d'instrumentalisation politique au sens premier du terme. L'intervention
militaire commença seulement deux jours après l'adoption de la
résolution 1973, ce qui paraît être un délai
relativement court pour mener des négociations en vue de résoudre
le conflit. Il faut rappeler que cette résolution a été
adoptée à l'unanimité, c'est-à-dire qu'aucun Etat
ne s'y était opposé. En revanche, cinq membres se sont abstenus :
le Brésil, la Chine, l'Inde, la Russie et l'Allemagne (pourtant
l'allié traditionnel de la France). De plus, au cours de l'intervention
militaire on a pu voir un changement d'objectif s'opérer. A l'objectif
humanitaire est venu s'imposer un objectif politique, qui était de faire
tomber le dirigeant Mouammar Kadhafi en visant tous les hauts responsables
libyens et les infrastructures socio-économiques et, soutenir
l'opposition armée. Selon les américains, les anglais et les
français, les violences ne pourraient cesser tant que le dictateur
Kadhafi serait au pouvoir. On peut constater qu'une lecture extensive de la
résolution 1973 a été effectuée par ces derniers.
L'aide est désormais conditionnée à la mise en place de
régimes démocratiques97 alors que
l'indépendance politique est un principe fondamental, corollaire de la
non-ingérence dans les affaires intérieures. Ainsi l'affaire
libyenne permet de mettre en lumière un exemple d'instrumentalisation
politique du droit d'ingérence humanitaire, à travers son
pendant, l'indépendance politique.
97 Sylvie BRUNEL, « Les Nations Unies et
l'humanitaire : un bilan mitigé », Politique
étrangère, 2/2005, p. 313 à 325.
36
§ 2 - Une instrumentalisation militaire
Tout d'abord, l'instrumentalisation militaire du droit
d'ingérence humanitaire sera analysée (A) pour ensuite
l'illustrer avec l'intervention humanitaire armée au Kossovo, qui a
soulevé beaucoup de questions lors de son déroulement (B).
A. L'instrumentalisation militaire du droit
d'ingérence humanitaire
Au fil des siècles, la guerre est devenue proscrite
dans les relations internationales et cette interdiction du recours à la
force armée est codifiée à l'article 2§4 de la Charte
des Nations Unies. Aujourd'hui, il n'existe aucune possibilité d'avoir
recours à la force armée en dehors des situations prévues
par la Charte, comme l'a déjà affirmé la Cour
internationale de Justice dans l'affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (1986)98. Ces
exceptions onusiennes sont la légitime défense de l'article 51 de
la Charte et l'intervention militaire consentie, et celle autorisée par
le Conseil de sécurité en cas de menace contre la paix, de
rupture de la paix et d'acte d'agression de l'article 42 de la
Charte99. Pour commencer il faut donc différencier deux types
de situations, lorsque l'intervention militaire est autorisée par le
Conseil de sécurité des Nations Unies (Somalie en 1992, Rwanda en
1994, Libye en 2011) et lorsqu'elle ne l'est pas (Kosovo en 1999, Irak en
2003).
Monsieur Jean-Baptiste Jeangène Vilmer définit
l'intervention humanitaire armée comme une « intervention militaire
en territoire étranger d'un État ou d'un groupe d'États
dans le but de prévenir ou de faire cesser des violations graves et
massives des droits fondamentaux touchant des individus qui ne sont pas des
nationaux de l'État (ou des États) intervenant(s), et ce sans
l'autorisation de l'État cible dans lequel ont lieu ces violations
100» . Avec l'apparition des opérations
militaro-humanitaires des Nations Unies dans les années 1990, on a
commencé à parler d'une éventuelle instrumentalisation
militaire du droit d'ingérence humanitaire. En effet, on a pu observer
que d'une ingérence humanitaire, on est très vite arrivé
à une ingérence militaire, avec des objectifs humanitaires.
98 Affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua, C.I.J. Recueil, 196, p. 14.
99 Voir Annexe n°4.
100 Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, « Éthique et
politique de l'intervention humanitaire armée », op. cit.,
p. 33.
37
Ainsi, l'intervention humanitaire armée serait d'abord
au service de l'Etat et de sa politique de puissance, plutôt que au
service des populations. La campagne américaine au Pakistan à la
suite des attentats du 11 septembre 2001 est révélatrice à
ce titre. Les Etats-Unis, prévoyant leur campagne de bombardement
aérien, ont arrêté tous les convois humanitaires en
provenance du Pakistan et ont mis fin aux actions de certaines ONG et agences
de l'ONU sur le terrain. On perd très vite de vue l'objectif humanitaire
au profit de celui militaire.
B. L'intervention humanitaire armée au
Kossovo
A la suite des évènements du Kossovo de 1999,
une opération militaire aérienne fut conduite par l'OTAN entre le
24 mars 1999 et le 10 juin 1999. Cette dernière est intervenue sans
l'autorisation, normalement requise, du Conseil de sécurité. Pour
beaucoup de juristes, cette opération violait les principes juridiques
du droit international. Ce à quoi, Madame Madeleine K. Albright
(Secrétaire d'Etat américaine) rétorquait que
c'était une intervention certes « illégale mais
légitime101 ». Toutefois, nous n'allons pas aborder dans
cette partie la légitimité d'une intervention humanitaire
armée menée sans l'aval du Conseil de sécurité,
mais de l'instrumentalisation militaire.
Vaclav Havel qualifiait l'intervention militaire de l'OTAN au
Kossovo de « bombardements humanitaires »102 et Rony
Brauman de « guerre humanitaire »103, de quoi nous
interroger sur cette opération. Nous avons le recul nécessaire
pour constater que les pertes civiles et destructions d'infrastructures
étaient bien plus importantes que les pertes et les destructions
militaires, et par définition que les objectifs militaires ont
supplanté ceux humanitaires. En effet, plus de 8 000 musulmans ont
été tués par les forces serbes de Srebrenica. Les Casques
bleus sur place n'ont rien fait pour arrêter ce « massacre de
Srebrenica ». Selon les Bosniaques, l'ONU préférait
protéger son personnel plutôt que venir au secours des
populations104.
101 Conférence de presse de la Secrétaire d'Etat
Madeleine K. Albright, à Singapour, le 26 juillet 1999.
102 Rony BRAUMAN, « Lettre n° 20 - Les pièges
de l'engagement humanitaire. Droit d'ingérence ou devoir
d'ingérence ? », op. cit., p. 32.
103 Ibid.
104 Sylvie BRUNEL, « Les Nations Unies et l'humanitaire : un
bilan mitigé », op. cit., p. 35.
38
Plus encore, Monsieur Loïc Hennekine105,
à l'occasion du colloque « L'ingérence » de la
fondation Res Publica a fait état que qu'il n'avait pas «
trouvé dans les comptes rendus de ces conseils restreints une seule
remarque concernant la situation humanitaire [du Kossovo]. Le seul
problème était d'arriver à détruire une partie de
la force de combat de la Serbie et, en dépit de la pression
américaine et britannique terrible, d'essayer d'éviter d'aller
plus loin avec le bombardements d'objectifs civils106 ».
§ 3 - La politisation et la militarisation de
l'humanitaire, un danger pour les ONG ?
Il sera successivement étudié la politisation
(A) puis la militarisation (B) de l'humanitaire, afin de percevoir les dangers
pour la société civile.
A. La politisation de l'humanitaire
A d'autres égards, l'humanitaire d'Etat est dangereux
du fait que cette politisation de l'humanitaire influence l'action des ONG. Le
monde « humanitaire » s'en trouve chamboulé avec
l'émergence de deux tendances distinctes. D'une part, certaines ONG
(avec en tête de file le Comité international de la
Croix-Rouge)107, se veulent être des organisations
impartiales, neutres et indépendantes, et interviennent partout, quelque
soit le régime politique en place et les conditions qu'on leurs impose.
D'autre part, suite à la polémique quant à l'action du
CICR durant la Seconde Guerre Mondiale et son silence affiché face aux
chambres à gaz, une nouvelle tendance humanitaire a vu le jour, à
l'instar de Médecins Sans Frontières. Selon ces derniers, l'aide
humanitaire dispensée doit aspirer à une amélioration des
droits de l'Homme, de la situation économique et politique, à
instaurer une démocratie etc. On assiste donc à une politisation
de l'aide humanitaire.
105 Loïc Hennekine est membre du Conseil scientifique de
la Fondation Res Publica et ancien secrétaire général du
ministre des Affaires étrangères.
106 Allocution de Monsieur Loïc Hennekine, colloque sur
« L'ingérence » organisée par la fondation Res Publica,
Maison de la Chimie, Paris, 19 janvier 2015.
107 Nous tenons à préciser que le CICR n'est pas
une ONG mais une entité sui generis, de nature hybride, en
étant une association de droit suisse mais poursuivant un mandat
prescrit par la communauté internationale.
39
B. La militarisation de l'humanitaire
S'exprimant devant le Conseil de sécurité, Jakob
Kellenberg, ancien Président du Comité International de la
Croix-Rouge, déclarait « A chacun son rôle : l'utilisation de
la force relève du domaine militaire et les activités de secours
relèvent des agences humanitaires »108.
Selon Rony Brauman, les forces de maintien de la paix en sont
venues à considérer « que les ONG sont un des bras
exécutifs de leur action ; elles veulent confier des missions, se
coordonner avec elles »109. On a observé que pendant
l'intervention américaine en Afghanistan, des centres
d'opérations humanitaires étaient installés, dans lesquels
les troupes effectuaient la distribution de nourriture. Puis, cette
distribution était prise en charge par quelques ONG sur le terrain
autorisées par le commandement militaire américaine. Très
vite dans cette confusion des genres « militaire » et «
humanitaire », les agents humanitaires furent considérés
comme partiaux et devinrent la cible de violences. Monsieur Jean-Marie
Crouzatier relate, que lors de la guerre du Kossovo, la branche canadienne de
l'ONG CARE recrutait des individus, pour le gouvernement canadien, «
chargés de collecter des renseignements sur le terrain, sous couvert
d'humanitaire ; il s'agissait bien-sûr d'anciens militaires devant
remplir une mission d'espionnage 110».
Cette tendance de faire converger l'humanitaire et le
militaire se retrouve également au sein des Nations Unies et de son
département des opérations de maintien de la paix, où le
chef de mission d'une opération dirige d'une même main les
militaires d'un côté et les agences spécialisées de
l'autre.
Cette convergence entre le militaire et l'humanitaire favorise
la politisation et la militarisation des ONG et n'est pas sans
conséquences du point de vue des acteurs humanitaires sur le terrain. La
distinction traditionnelle entre ces deux types d'acteurs s'est floutée,
notamment pour les forces rebelles sur le terrain et on observe depuis, une
recrudescence des attaques à l'encontre du personnel humanitaire.
108 Discours de Jakob KELLENBERG, lors de la 4130e
séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 19
avril 2000.
109 Rony Brauman, « Emotion et action humanitaire
», Etudes, 2009/1, tome 410, 2009, p. 9 à 19.
110 Jean-Marie CROUZATIER, « Le principe de la
responsabilité de protéger : avancée de la
solidarité internationale ou ultime avatar de l'impérialisme ?
», op. cit., p. 34.
40
Section 2 - Exemple d'interventions humanitaires
armées instrumentalisées
Dans l'optique de mettre en exergue l'instrumentalisation de
certaines interventions humanitaires, et ce, sans rentrer dans le débat
qui les accompagne, nous avons choisi de nous référer aux
questions parlementaires de l'Assemblée nationale française quant
à sa politique étrangère. Le contenu et les auteurs des
questions sélectionnées ne reflètent en aucun cas nos
propres opinions. De manière chronologique, nous analyserons
successivement les interventions en Lybie (§ 1), en Côte d'Ivoire
(§ 2) et en Centrafrique (§ 3).
§ 1 - L'intervention en Lybie de 2011
Le contexte de la crise libyenne a déjà
été développé
précédemment111. Lors de l'intervention humanitaire
armée, on a pu s'apercevoir que les forces armées de l'OTAN ont
largement soutenu militairement les opposants au dictateur Mouammar Kadhafi. La
question est de savoir si la protection des populations était
prioritaire dans les objectifs de l'OTAN.
Monsieur Jacques Bompard (député du Vaucluse et
maire d'Orange) interroge le ministre des Affaires étrangères et
du développement international sur la situation catastrophique en Libye.
Il déclare alors : « Alors que les réserves
énergétiques immenses de la Libye sont assurément l'une
des raisons majeures de l'intervention de l'OTAN dans ce pays (France en
tête), intervention hypocritement présentée par les
gouvernements de la coalition comme une ingérence
humanitaire112 ». Sous ces accusations, le ministre des
affaires étrangères, Monsieur Laurent Fabius, répond que
la France est intervenue en 2011 dans le but de « protéger les
civils libyens, en vertu de la résolution 1973 du Conseil de
sécurité des Nations Unies, alors que Mouammar Kadhafi avait
annoncé sa volonté de réprimer le mouvement
révolutionnaire dans le sang et que le pays avait déjà
sombré dans
111 Voir p. 27.
112 Question parlementaire (14ème
législature) de M. Jacques Bompard, adressée au ministre des
Affaires étrangères, question publiée au JO le 03/06/2014
et réponse publiée au JO le 15/07/2014.
41
la violence.113 ». Il élude ainsi les
accusations d'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire dans
cette intervention humanitaire armée.
§ 2 - L'intervention en Côte d'Ivoire de
2011
La résolution 1975 du Conseil de sécurité
a été adoptée dans un contexte de crise
postélectorale en Côte d' Ivoire en 2011114. Cette
résolution, à l'initiative de la France et du Nigéria,
fait référence à la responsabilité de
protéger. Elle « exhorte toutes les parties et tous acteurs
ivoiriens à respecter la volonté du peuple et l'élection
d'Alassane Dramane Ouattara à la présidence de la Côte
d'Ivoire », autorise l'Opération des Nations Unies en Côte
d'Ivoire (ONUCI) à utiliser « tous les moyens nécessaires
pour [...] protéger les civils menacés d'actes de violence
physique imminente [...] y compris pour empêcher l'utilisation d'armes
lourdes contre la population civile » et reconnaît la
compétence de la Cour pénale internationale pour juger les
auteurs d'éventuels crimes contre l'humanité115. Les
partisans de l'ancien Président Laurent Gbagbo et le Président
russe Dmitri Medvedev ont mis en cause l'impartialité des forces de
l'ONUCI du fait du soutien apporté aux Forces républicaines de
Côte d'Ivoire (FRCI) pour l'arrestation de l'ancien président.
L'ONU et la France particulièrement ont été
accusées d'avoir instrumentalisé politiquement le droit
d'ingérence humanitaire, au profit de l'actuel Président ivoirien
Alassane Ouattara.
Dans une première question parlementaire, Monsieur
Jean-Claude Pérez (député de l'Aude) évoque le
risque que fait peser Monsieur Gbagbo sur les intérêts
français « comme en témoigne la prise de contrôle des
banques SGBCI et BiCiCi, filiale de la Société
générale et de la BNP-Paribas par l'ex-président de la
Côte-d'Ivoire » et son annonce concernant « la nationalisation
des filières de cacao dans lesquelles les entreprises françaises
ont de nombreux intérêts »116.
Monsieur Jean-Jacques Candelier (député du Nord)
qualifie l'arrestation controversée du Président Laurent Gbagbo
« d'enlèvement ». Il affirme que : « Celui-ci
113 Question parlementaire (14ème
législature) de M. Jacques Bompard, adressée au ministre des
affaires étrangères, question publiée au JO le 03/06/2014
et réponse publiée au JO le 15/07/2014.
114 Résolution 1975 du Conseil de
sécurité, adoptée à l'unanimité le 30 mars
2011 à la 6508ème séance, S/RES/1975 (2011).
115 Ibid.
116 Question parlementaire (13ème
législature) de M. Jean-Claude Perez, adressée au ministre des
Affaires étrangères et européennes, question
publiée au JO le 19/04/2011 et réponse publiée au JO le
21/06/2011.
42
a été livré, le 11 avril 2011, par la
force militaire française Licorne à Alassane Ouattara,
président imposé par la force sur la base de résultats
frauduleux, proclamé illégalement par les puissances
étrangères. Rappelant les pires heures de sa politique coloniale,
l'intervention militaire de la France a largement outrepassé le mandat
de l'ONU.117 ».
§ 3 - L'intervention en Centrafrique de
2013
La France a lancé une opération militaire du nom
de Sangaris conduite par l'armée française en
République centrafricaine le 5 décembre 2013. Cette intervention
avait pour objectif d'aider la population en danger, d'éviter un
génocide et la contagion de l'instabilité dans la région.
Or, la Centrafrique est un pays riche en ressources naturelles (pétrole,
diamants, or, bois, sucre, tabac) où la France conserve toujours
beaucoup d'intérêts notamment une partie de grands groupes
français.
C'est à ce titre, que Monsieur Elie Aboud
(député de l'Hérault) a questionné le ministre de
la Défense, Monsieur Jean-Yves Le Drian, sur l'engagement des forces
armées françaises en Centrafrique, souhaitant «
connaître les raisons pour lesquelles notre pays est quasiment le seul
pays occidental engagé dans cette mission118 ». Ce
à quoi le ministre répond, en éludant la question des
raisons de l'engagement français, par le fait que « La France n'est
pas la seule nation engagée dans cette mission et, indépendamment
des 6 000 militaires de la MISCA déployés aux côtés
de ses troupes, de nombreux pays contribuent aux opérations en cours,
par un soutien logistique et financier. 119»
A la lumière des questions parlementaires au sujet de
la politique extérieure française, nous pouvons constater que les
critiques d'instrumentalisation sont récurrentes. Or,
l'instrumentalisation ne peut être que présumée car il
paraît peu probable que l'intervenant en fasse l'aveu. Toutefois, une
telle instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire peut
également s'observer par l'absence d'intervention.
117 Question parlementaire (13ème
législature) de M. Jean-Jacques Candelier, adressée au ministre
des Affaires étrangères et européennes, question
publiée au JO le 07/06/2011 et réponse publiée au JO le
11/10/2011.
118 Question parlementaire (14ème
législature) de M. Elie Aboud, adressée au ministre de la
Défense, question publiée au JO le 17/12/2013 et réponse
publiée au JO le 01/04/2014.
119 Ibid.
43
Section 3 - L'absence d'intervention humanitaire
armée, une autre marque de l'instrumentalisation du droit
d'ingérence humanitaire : le cas de la Syrie
Monsieur Éric Pourcel, dans un article intitulé
« Le principe juridique d'ingérence humanitaire... n'existe pas
» déclare que « L'ingérence humanitaire ou son refus
peuvent aussi être le prétexte à des menées
géopolitiques non déclarées mais bien réelles.
»120. Le cas de la Syrie est particulièrement
révélateur de cette autre forme de l'instrumentalisation du droit
d'ingérence humanitaire, qui aboutit à la « passivité
de la communauté internationale121 ». La Syrie est en
proie à une guerre civile complexe depuis 2011 opposant le
Président Bachar el-Assad et son régime aux rebelles, Kurdes et
djihadistes. Une crise humanitaire s'est rapidement installée, faisant
déjà plus de 250 000 morts, 5 millions de réfugiés
et 10 millions de déplacés122. Après avoir eu
des preuves que le Président Bachar el-Assad utilisait des armes
chimiques à l'encontre de sa propre population, la France a
souhaité mobiliser la communauté internationale. Mais le Conseil
de sécurité fut bloqué du fait du véto le 28
août 2013 de deux de ses membres permanents, la Chine et la Russie. En
effet, un projet de résolution britannique avait été
déposé devant le Conseil de sécurité afin
d'autoriser « toutes les mesures nécessaires en vertu du Chapitre
VII de la Charte de l'ONU pour protéger les civils contre les armes
chimiques »123, en d'autres termes afin d'autoriser une
intervention humanitaire armée.
Dans la crise syrienne, on peut présumer que les
intérêts des différentes parties divergent comme l'expose
Monsieur Éric Pourcel (toujours dans le même
article)124. D'une part, la Russie possède une base navale
stratégique à Tortous (Syrie) lui permettant un accès
à la Mer Méditerranée sans passer par la Turquie. Elle a
tout intérêt à ce que le dirigeant Bachar el-Assad reste au
pouvoir car la Syrie fait partie des rares régimes de cette zone
à soutenir la Russie en dépit de la guerre en
Tchétchénie dans laquelle elle est
120 Eric POURCEL, « Le principe juridique
d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue
géopolitique [En ligne], 26 février 2015,
http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html
(Page consultée le 3 août 2015).
121 Mario BETTATI, « Du droit d'ingérence à
la responsabilité de protéger », Outre-Terre,
3/2007, n°20, p 381-389.
122 Article du journal Le Monde, Stéphane FOUCART et
Christophe AYAD « La Syrie, le crève-coeur de Ban Ki-moon »,
Le Monde, 26 août 2015.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/06/23/l-onu-denonce-les-sieges-et-les-bombardements-de-plusieurs-villes-de-syrie_4659904_3218.html
123 Article du journal Le Monde.fr avec l'AFP, « Impasse
à l'ONU sur une intervention en Syrie », Le Monde, 28
août 2013.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/28/syrie-londres-presentera-un-projet-de-resolution-aujourd-hui-a-l-onu_3467568_3218.html#7R4Q18vSsjerSwcs.99
124 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence
humanitaire... n'existe pas », op. cit. p. 43.
44
engagée (où sunnisme wahhabite est en cause). En
outre, la Syrie est un des clients de la Russie en matière d'armes.
D'autre part, on peut penser que la Chine craint elle-même le droit
d'ingérence humanitaire du fait de la situation particulière au
Tibet. Enfin, les Etats-Unis pourraient être partisans d'une intervention
humanitaire armée en Syrie, car elle conduirait à la chute du
dirigeant syrien et permettrait « l'application d'une logique
stratégique précise de reconfiguration d'ensemble du
Moyen-Orient, le fameux « Grand Moyen-Orient » »125
appelé aussi la « Doctrine Bush ».
Le cas syrien renvoie le concept de «
responsabilité de protéger » à un pur discours
rhétorique. L'ancien Secrétaire général des Nations
unies, Monsieur Kofi Annan, déclarait dans un entretien accordé
au journal « Le Monde » que « la manière dont la
"responsabilité de protéger" a été utilisée
sur la Libye a créé un problème pour ce concept. Les
Russes et les Chinois considèrent qu'ils ont été
dupés : ils avaient adopté une résolution à l'ONU,
qui a été transformée en processus de changement de
régime. Ce qui, du point de vue de ces pays, n'était pas
l'intention initiale. Dès que l'on discute de la Syrie, c'est
"l'éléphant dans la pièce"126.
Le droit de véto apparaît là comme un
outil de blocage au Conseil de sécurité, et notamment pour le
droit d'ingérence humanitaire. Cependant, il ne faut pas s'y
méprendre, c'est également un outil au service de la paix et de
la sécurité internationales qui a pu éviter, pendant la
Guerre froide par exemple, une escalade des violences. Tout l'enjeu de cette
instrumentalisation est de bénéficier d'une légitimation
auprès de la communauté internationale. C'est dans le but de
limiter toute instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire que
la CIISE, s'inspirant de critères déjà
développés par la doctrine, a défini des critères
de légitimité de l'intervention humanitaire armée.
125 Eric POURCEL, « Le principe juridique d'ingérence
humanitaire... n'existe pas », op. cit. p. 43.
126 Article du journal Le Monde, Natalie NOUGAYREDE «
Kofi Annan : Sur la Syrie, à l'évidence, nous n'avons pas
réussi », Le Monde, 7 juillet 2012.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/07/07/kofi-annan-sur-la-syrie-a-l-evidence-nous-n-avons-pas-
reussi 1730658 3218.html#LbXAk6B6mSsVxze9.99
45
Chapitre 2 - Les critères de
légitimité de l'intervention militaro-humanitaire
Dans le but de justifier leurs interventions militaires, les
Etats instrumentalisent le droit d'ingérence humanitaire. Ainsi, sous
couvert d'humanitaire, certains mènent des interventions dites «
impérialistes » ou même « hégémoniques
». Dans certains cas, des Etats poursuivent réellement des
intérêts humanitaires, mais qui sont placés derrière
les intérêts politiques, militaires ou même
économiques. Face à ce constat de l'impossible exigence du
désintéressement absolu de l'Etat, il a fallu admettre que le
désintéressement ne peut être que relatif. Ainsi,
l'intérêt humanitaire (ou le désintérêt
à agir) cohabite avec d'autres intérêts du pays à
intervenir. Pour être convenable et acceptée par tous, cette
théorie du désintéressement relatif ne peut valoir que si
on opère une hiérarchisation des intérêts et que
celui humanitaire soit toujours en tête de liste. C'est
précisément à ce travail que la CIISE s'est livrée
: trouver des critères de légitimité qui feront que
l'intervention humanitaire armée sera acceptée par la
communauté internationale.
Le débat quant à l'instrumentalisation du droit
d'ingérence humanitaire s'est rouvert à la suite de la campagne
américaine de 2003 en Irak. C'est pourquoi il nous paraît
important d'étudier le cas irakien de manière isolée.
Ainsi, nous nous concentrerons sur les critères de
légitimité développés par la Commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats dans
son rapport (section 1), pour pouvoir par la suite analyser l'intervention
américaine à la lumière de ces critères (section
2).
46
Section 1 - Les critères élaborés
par la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté
des Etats
Présupposant que le désintéressement
absolu de l'Etat intervenant était impossible, la Commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats s'est
lancée dans une quête de légitimation des interventions
humanitaires armées et cela pour éviter les futurs abus. Ainsi,
la Commission a élaboré plusieurs critères de
légitimité de l'intervention humanitaire armée. Ces
conditions ont pour vocation à être rigoureuses et difficiles
à réunir afin que l'intervention militaire soit toujours
envisagée de manière exceptionnelle.
Dans la deuxième et dernière partie du rapport
de la CIISE, les principes pour l'intervention militaire sont
développés. La Commission distingue six critères à
satisfaire pour que l'intervention soit légitime : l'autorité
appropriée (§ 1), la juste cause (§ 2), la bonne intention
(§ 3), le dernier recours (§ 4), la proportionnalité des
moyens (§ 5) et les perspectives raisonnables (§ 6). Tous seront
étudiés successivement à la lumière du rapport de
la CIISE sur la « Responsabilité de protéger » de
2001.
§ 1 - L'autorité
appropriée
La Commission désigne le Conseil de
sécurité des Nations Unies comme autorité
compétente à délivrer une autorisation pour une
éventuelle intervention humanitaire armée. Pourtant, le principe
de non-intervention est explicitement mentionné dans la Charte des
Nations Unies aux paragraphes 4 et 7 de l'article 2. Le paragraphe 7 interdit
explicitement aux Nations Unies d' « intervenir dans des affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat
127». Toutefois l'article 24 de la Charte128 donne
compétence au Conseil de sécurité à veiller au
maintien de la paix et de la sécurité internationales. C'est
ainsi que selon l'article 42 de la Charte129, le Conseil de
sécurité peut avoir recours à la force armée et
donc donner son autorisation pour une éventuelle intervention
humanitaire armée.
127 Article 2§7 de la Charte des Nations Unies.
128 Voir Annexe n°4.
129 Voir Annexe n°4.
47
En l'état actuel du droit international et des
relations internationales, l'Organisation des Nations Unies paraît
incontestablement être l'autorité compétente pour
légitimer une intervention. Les décisions de son « bras
armé », le Conseil de sécurité, sont revêtus
d'un caractère représentatif au vu des différents Etats
qui le composent. Nous ne pouvons rentrer dans le débat d'une
éventuelle réforme du Conseil de sécurité quant
à ses membres permanents et leur droit de véto, cela nous
éloignerait trop du sujet initialement traité.
En d'autres termes, en exigeant que la décision
d'intervention humanitaire armée soit légitimée par le
Conseil de sécurité (par la communauté internationale
lato sensu), cela revient à nier l'existence d'un droit
d'intervention au seul profit des Etats130.
§ 2 - La juste cause
Le critère de « la juste cause » paraît
par essence subjectif et ambigu. Tout le monde n'a pas la même conception
de ce qui est juste voire bien ou mal. La CIISE s'est donc concentrée
sur un nombre très limité de « juste cause », toujours
dans l'optique de rendre cette intervention la plus exceptionnelle possible.
Elle distingue deux catégories.
« ? des pertes considérables en vies humaines,
effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention
génocidaire, qui résultent soit de l'action
délibérée de l'État, soit de sa négligence
ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance
dont il est responsable; ou
? un « nettoyage ethnique » à grande
échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit
perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur
ou le viol. 131»
Dans son rapport, la CIISE précise que les crimes
retenus sont le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et
les crimes contre l'humanité à l'instar (plus tard) de ceux
retenus dans le Document final des Nations Unies de 2005, à l'exception
des situations de catastrophes naturelles ou écologiques passées
sous silence dans le Document final.
130 Eric POURCEL, « Le principe juridique
d'ingérence humanitaire... n'existe pas », La revue
géopolitique [En ligne], 26 février 2015,
http://www.diploweb.com/Le-principe-juridique-d-ingerence.html
(Page consultée le 3 août 2015).
131 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger,
Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des États, Ottawa : International Development
Research Centre
48
Reste la question de la preuve de ces crimes. Il est facile,
pour les Etats, d'avancer que de tels crimes sont en train de se commettre et
qu'il faut agir rapidement bien qu'aucune preuve n'ait été
fournie. Sans preuve, ce critère peut être facilement
instrumentalisé. C'est pourquoi la CIIISE souhaiterait une « source
non gouvernementale, impartiale et universellement respectée
132» présente sur le terrain pour transmettre des
informations quant à la gravité de la situation et sur le
comportement de l'Etat pour gérer cette situation. Le Comité
International de la Croix-Rouge, bien qu'idéal pour cette tâche, a
refusé en vertu des principes qui l'animent depuis ses débuts :
la neutralité et l'indépendance. Il a été
décidé de s'appuyer sur tous les rapports fournis par les
différents organismes des Nations Unies et particulièrement le
Haut-Commissariat aux droits de l'Homme et celui aux réfugiés.
Les rapports d'autres organisations internationales voire régionales
seront également étudiés, ainsi que ceux de certaines
grandes ONG, plus proches du terrain.
§ 3 -La bonne intention
Considérant, comme il a été dit en propos
liminaires, que la théorie du désintéressement relatif ne
peut valoir que si on opère une hiérarchisation des motifs, le
motif humanitaire doit invariablement rester premier. Malheureusement, dans les
faits il est plus compliqué de vérifier si ce que l'Etat avance
est vrai. Selon la CIISE, «le but primordial de l'intervention doit
être de faire cesser ou d'éviter des souffrances humaines
133». Tout repose donc sur la bonne foi de l'Etat. Pour
éviter qu'un Etat agisse pour son propre intérêt, il est
requis que l'intervention soit collective ou multilatérale, que la
population en bénéficiant y soit favorable tout comme les pays
voisins.
Toutefois, les objectifs de l'intervention peuvent changer en
cours de route. La CIISE envisage ainsi qu'une modification des
frontières, un renversement de régime, une occupation de
territoire ou la promotion d'une revendication d'autodétermination ne
sont pas, à proprement parler, des objectifs légitimes. Mais ils
peuvent le devenir, si au cours de l'opération militaro-humanitaire, ils
se révèlent indispensables.
132 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger,
Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la
souveraineté des États, Ottawa : International Development
Research Centre
133 Ibid.
49
§ 4 - Le dernier recours
Le critère du derniers recours fait
référence à tous les autres moyens d'ingérence
humanitaire qu'il est possible de déployer avant d'en venir au plus
extrême de tous, l'intervention militaire. Avant de recourir à la
force armée, il faut que des mesures coercitives interventionnistes
aient été tentées comme des mesures politiques,
économiques ou judiciaires.
En tout premier lieu, des actions diplomatiques doivent
être initiées afin d'essayer de régler de manière
pacifique la crise humanitaire. Cette dimension préventive est
primordiale pour la CIISE. Par le jeu des négociations, des solutions
temporaires ou pérennes doivent être trouvées comme des
cessez-le-feu, des modifications constitutionnelles etc. Ce n'est qu'en cas
d'échec de cette responsabilité de prévenir qu'on pourra
passer à la responsabilité de réagir.
§ 5 - La proportionnalité des
moyens
L'intervention humanitaire armée se doit de respecter
le droit international humanitaire et les principes fondamentaux qui le
composent. On pense en effet à la soumission aux principes de
nécessité, d'humanité, de proportionnalité et de
précaution.
Comme indique la Commission, le principe de
nécessité touche tant l'ampleur, la durée et
l'intensité de l'intervention humanitaire armée. Tout doit
être limité à ce qui est « strictement
nécessaire ». Cela vaut également pour les destructions de
biens civils, le régime politique, les armes employées etc.
Il apparaît en effet impensable que des Etats justifiant
le respect du droit international humanitaire entre autres pour intervenir
militairement, se rendent coupable de violations massives des droits de l'Homme
et du droit international humanitaire. Bien au contraire, les intervenants se
devraient de respecter les principes du droit international humanitaire encore
plus rigoureusement.
§ 6 - Les perspectives raisonnables
Le critère des « perspectives raisonnables »
est sans aucun doute le critère le plus politique et le plus
délicat à mettre en oeuvre. Selon la CIISE, « Une action
militaire ne peut être justifiée que si elle a des chances
raisonnables de réussir c'est-à-dire de faire cesser ou
d'éviter les atrocités ou souffrances ayant motivé
l'intervention.134 ». Il s'agit de savoir si une inaction de la
communauté internationale est préférable à une
intervention militaro-humanitaire. Il s'agit en d'autres termes de faire un
pari sur l'avenir, ce qui est pour le moins compliqué sans parler de la
subjectivité du sujet. Il faut envisager le contexte global dans lequel
l'intervention va se dérouler, et pas seulement national. Le but
étant d'éviter une potentielle aggravation de la crise
humanitaire ou toute escalade de violences dans la région limitrophe.
Enfin, la CIISE fait remarquer que ce critère des
« chances de succès » a sûrement pour conséquence
d'empêcher toute intervention humanitaire armée sur le territoire
d'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, afin
d'éloigner tout risque de propagation mondiale du conflit.
Après avoir précisé chaque critère
élaboré par la Commission internationale de l'intervention et de
la souveraineté des Etats, il paraît pertinent d'examiner le cas
irakien à l'aune de ces critères.
50
134 CIISE (2001), La Responsabilité de Protéger,
op. cit., p. 48.
51
Section 2 - L'intervention américaine en
Irak
La question de savoir si l'intervention américaine en
Irak lancée en mars 2003 est une intervention humanitaire peut
paraître surprenante d'un point de vue francophone. Or, aux Etats-Unis
cette question a nourri un vif débat. Pour des personnalités
comme Messieurs Kouchner, Glucksman ou Tesòn, l'intervention
américaine était bel et bien une intervention humanitaire. Avant
d'examiner à proprement parler l'intervention américaine en Irak
(§ 2), il convient de rappeler le contexte dans lequel cette
dernière s'est déroulée (§ 1).
§ 1 - Le contexte de l'intervention
américaine en Irak
L'intervention américaine en Irak a commencé le
20 mars 2003 à la suite des attentats du 11 septembre 2001.
Appelée également « guerre d'Irak » ou « seconde
guerre du Golfe », cette intervention résulte d'une coalition
conduite par les Etats-Unis. Elle fait suite à une première
intervention en Afghanistan, dans le but d'arrêter Ben Laden qui avait
revendiqué sa responsabilité dans les attentats des tours
jumelles. Les Etats-Unis, entrant « en guerre contre le terrorisme »,
présumaient des liens entre le Président irakien Saddam Hussein
et le réseau terroriste Al-Qaïda. La coalition militaire en Irak
était composée d'une cinquantaine de pays. Cette campagne
militaire a été très importante, faisant appel à
plus de 150 000 soldats au sol (surtout des américains et des
britanniques) et à une force aérienne conséquente. Les
forces américaines n'ont commencé à se retirer du pays
qu'en décembre 2011, soit plus de huit ans après le
commencement.
§ 2 - L'examen du cas irakien
Monsieur Ken Roth, le directeur exécutif de Human
Rights Watch, a mené un examen de l'intervention
américaine135 que nous allons développer tout au long
de ce paragraphe. Il l'effectue à la lumière des critères
de l'intervention humanitaire armée développés par la
CIISE que sont le niveau des tueries (A), le dernier recours (B), l'objectif
humanitaire (C), le respect du droit humanitaire (D), l'effet positif (E) et
l'approbation du Conseil de sécurité (F). Sa réponse est
sans appel, l'intervention
135 Ken ROTH, « War in Iraq: Not a Humanitarian
Intervention », Human Rights Watch World Report, 2004.
52
américaine en Irak, sous couvert d'un motif humanitaire
prétexté que trop tardivement, n'est pas une intervention
humanitaire.
A. Le niveau des tueries
Comme nous l'avons vu précédemment, une
intervention humanitaire armée ne peut s'engager que lorsque certains
crimes, les plus graves en droit international, sont constatés. En
l'occurrence, il s'agit du crime de génocide, des crimes de guerre, des
crimes contre l'humanité et du nettoyage ethnique.
Il est indéniable que l'ancien Président Saddam
Hussein était un tyran ayant commis des horreurs par le passé. Au
pouvoir depuis 23 ans, le dirigeant s'était livré à un
réel massacre des kurdes irakiens et une répression des
islamistes chiites du Sud. Monsieur Ken Roth rapporte que « le
gouvernement irakien a tué ou « fait disparaitre » environ 250
000 Irakiens136 », toutefois l'ampleur des massacres avait
nettement diminué à la veille de l'invasion américaine. A
l'époque, personne ne pouvait avancer des preuves qui justifieraient
qu'un futur massacre allait être commis.
L'étendue des massacres qui se sont
déroulés au cours du règne de Saddam Hussein ne justifie
pourtant en rien l'intervention américaine, car elle n'était pas
concomitante à ces derniers. Le caractère exceptionnel d'une
intervention humanitaire armée doit s'accompagner de critères
stricts comme le caractère imminent des massacres. L'absence de «
cause juste » à l'intervention permettrait directement d'affirmer
qu'elle n'est pas une intervention humanitaire armée. Afin de renforcer
ce propos, il convient d'examiner les autres critères.
B. Le dernier recours
Avant l'intervention militaire, une ingérence
judiciaire aurait pu être envisagée comme c'est le cas de nos
jours avec le Président kenyan Uhuru Kenyatta. Certes, la CPI n'aurait
pu être compétente que pour les crimes commis après
l'entrée en vigueur de son statut, soit le 1er juillet 2002.
Puisqu'aucune rétroactivité n'aurait pu être
envisagée, la CPI ne semble pas être une solution adéquate.
En revanche, la création d'une juridiction
136 Ken ROTH, « War in Iraq : Not a Humanitarian
Intervention », op. cit., p. 51.
53
pénale internationalisée aurait pu tout à
fait être créée par le Conseil de sécurité,
comme ce fut le cas avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda
ou le Tribunal spécial pour la Sierra-Leone.
Toutefois, on peut remarquer que le Conseil de
sécurité s'est intéressé de près à
l'Irak dès 1992 avec sa résolution 688 précédemment
étudiée et qu'aucune initiative de création de juridiction
n'a vu le jour.
C. L'objectif humanitaire
Arguant en premier lieu la présence d'armes de
destruction massive, chimiques, biologiques et nucléaires, les
Etats-Unis ont tenté de justifier l'intervention en Irak tant bien que
mal. Ils ont fait valoir d'un côté des justifications
sécuritaires, et de l'autre, des justifications humanitaire et
démocratique du fait de la dictature que constituait le régime de
Saddam Hussein. La CIISE requiert que la motivation humanitaire ne soit certes
pas la seule, mais qu'elle soit en tout temps première. Or, on peut
observer que les justifications humanitaires ne sont apparues qu'une fois la
campagne militaire lancée, face à l'absence évidente
d'armes de destruction massive.
Ainsi, l'intervention américaine en Irak illustre
parfaitement l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire. Il
s'agissait moins de venir au secours des populations dans un objectif
humanitaire, que d'intervenir en vue d'imposer une démocratie et de
s'assurer de l'absence d'armes de destruction massive.
D. Le respect du droit humanitaire
La campagne irakienne a totalement desservi le droit
international humanitaire. Les forces de la coalition se sont rendues coupables
de violation des droits de l'Homme. Le scandale d'Abou Ghraib est un terrible
exemple. Il s'agit d'une prison irakienne dans laquelle des soldats
américains ont commis des crimes tels que des tortures, des viols et des
exécutions. Par ailleurs, le Patriot Act voté par le
Congrès états-uniens peu de temps après les attentats du
11 septembre 2001, avait introduit les statuts de « combattant ennemi
» et de « combattant illégal ». Cela va totalement
à l'encontre du droit international humanitaire et de sa protection des
prisonniers de guerre. En effet, cela
54
permet au gouvernement américain de détenir
toute personne soupçonnée de terrorisme, pour une durée
illimitée et ce, sans inculpation (pas de droit à un
procès équitable).
Par ailleurs, avec le recul, on peut s'apercevoir qu'il y a eu
d'importantes pertes civiles parmi la population irakienne du fait des forces
aériennes. Des munitions à fragmentation étaient
également utilisées à proximité de zones
peuplées de civils comme le précise Monsieur Ken Roth. Cela va
à l'encontre des principes classiques du droit international humanitaire
que sont les principes de distinction et de précaution.
E. L'effet positif
Cet effet positif se calcule avant de lancer l'intervention
humanitaire armée, afin de savoir si une amélioration des
conditions de vie de la population peut être obtenue. Monsieur Ken Roth a
procédé à cet examen dans le « Rapport mondial 2004
» d'Human Rights Watch, il n'a ainsi que très peu de recul. Il
rapporte cependant que « les gouvernements américain et britannique
espéraient clairement que le gouvernement irakien tomberait rapidement
et que la nation irakienne emprunterait rapidement le chemin de la
démocratie »137.
Au vu de la situation actuelle en Irak, et de la
décennie passée, on peut se rendre compte à quel point ce
critère peut-être politique, malléable et peu significatif.
Il est toujours difficile de faire des prévisions hypothétiques,
car une situation donnée peut toujours empirer.
F. L'approbation du Conseil de
sécurité
L'approbation du Conseil de sécurité permet
à l'intervention d'être considérée comme
légitime aux yeux de la communauté internationale et de contrer
bon nombre de critiques. De plus, un soutien international permet à une
intervention d'avoir plus de ressources financières et humaines. Pour
reprendre les termes de Monsieur Ken Roth, elle « clôt le
débat sur la légalité138 ».
137 Ken ROTH, « War in Iraq : Not a Humanitarian
Intervention », op. cit., p. 51.
138 Ibid.
55
L'intervention américaine s'est déroulée
sans avoir été au préalable autorisée par le
Conseil de sécurité des Nations Unies. Face au spectre du
véto français et russe, aucun projet de résolution allant
dans le sens d'une autorisation n'a été déposé par
les américains. Les Etats-Unis ont argué que la résolution
1441, votée le 8 novembre 2002, constituait une base suffisante à
leur intervention. Cela paraît à plusieurs égards douteux,
notamment à la vue des propos du Conseil de sécurité qui
déclarait « rester saisi de l'affaire. »
On peut en conclure que l'intervention américaine en
Irak de 2003 est illégale par le simple fait qu'elle n'avait pas
reçu l'approbation du Conseil de sécurité. Aucun des cinq
autres critères de légitimité de l'intervention
humanitaire armée n'était rempli. Cette intervention ne peut se
prévaloir du « label » d'intervention humanitaire auquel elle
fait tant mauvaise presse. L'argument humanitaire n'est apparu qu'une fois
après avoir constaté sur le terrain que la présence
d'armes de destruction massive en Irak n'était qu'un mensonge d'Etat de
la part des Etats-Unis. Qui plus est, le lien présumé entre le
Président Saddam Hussein et le terrorisme international n'a jamais
été prouvé. Juridiquement, cette intervention relevait
d'une guerre d'agression conformément à la résolution 3314
de l'Assemblée générale du 14 décembre 1974. Il ne
s'agissait pas d'une guerre préemptive comme le soutenait
l'administration du Président américain Georges W. Bush, mais
d'une guerre préventine.
56
CONCLUSION
Au vu de la situation actuelle en Irak et de l'ampleur de la
crise humanitaire qui s'y est installée, la polémique propre au
droit d'ingérence humanitaire et à l'instrumentalisation qui peut
en être faite prend tout son sens.
Comme chaque grand principe juridique de droit international
(le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes par exemple), le
droit d'ingérence humanitaire, devenu la responsabilité de
protéger, est une avancée normative considérable qui
rencontre des problèmes dans sa mise en oeuvre. Il faut
légiférer plus encore ce droit et ses conditions d'application.
Ainsi, le renforcement de son cadre juridique, comme ce fut le cas avec
l'émergence de la « Responsabilité de protéger »
permettra de limiter son instrumentalisation. Il faut continuer de
préciser et d'affiner les critères de légitimité de
l'intervention humanitaire armée afin d'empêcher tout abus.
D'autres réformes sont également à envisager au vu de la
crise syrienne et du blocage du Conseil de sécurité.
La première résolution 43-131 de
l'Assemblée générale des Nations Unies a marqué
l'émergence d'un « nouvel ordre humanitaire international
»139, que Monsieur Mario Bettati a développé dans
son ouvrage Le droit d'ingérence. Mutation de l'ordre
international. Selon lui, cela consiste « à aménager un
nouvel espace juridique où se trouveraient indissolublement liés
la légitimation de l'intervention humanitaire et le principe fondamental
de l'indépendance et de la non-soumission de l'Etat à
l'égard extérieur »140. Il est nécessaire
de faire disparaître la contradiction apparente entre le droit
d'ingérence humanitaire et la souveraineté, et faire place
à ce que le Professeur Bettati appelle une « souveraineté
plus humaine ».
Toutefois, à l'image de la phrase du philosophe
Emmanuel Kant « Le mensonge rend vaine la source du droit141
», l'instrumentalisation doit en premier lieu être limitée
par ses auteurs, les Etats eux-mêmes. Un effort de « moralisation
» des relations internationales doit accompagner, si ce n'est soutenir, le
développement de la responsabilité de protéger.
139 Annexe n°1.
140 Mario BETTATI, Le droit d'ingérence. Mutation de
l'ordre international, Odile Jacob, 1996, p. 9.
141 Emmanuel KANT, Opuscules relatifs à la
morale, Auguste Durand, 1855, p. 253.
57
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développement, la sécurité et les droits de l'homme pour
tous » Rapport du Secrétaire général de l'ONU, remis
le 24 mars 2005 à l'Assemblée générale,
A/59/2005.
Assemblée générale des Nations
Unies
Déclaration sur l'inadmissibilité de
l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieures
des Etats de l'Assemblée générale des Nations Unies,
résolution votée le 9 décembre 1981 à la
91ème séance (A/RES/36/103).
Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur
les menaces, les défis et le changement, Un monde plus sûr,
notre affaire à tous, décembre 2004, Assemblée
générale, LIXe session, A/59/565.
Document final du Sommet mondial des Nations Unies,
résolution 60/1 de l'Assemblée générale des Nations
Unies, adoptée le 16 septembre 2005 à la 8ème
séance plénière, A/RES/60/1 (2005).
Document officiel de l'Assemblée
générale, 45ème session, A/45/587.
Résolution 43/131 de l'Assemblée
générale des Nations Unies relative à l'assistance
humanitaire des victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence du
même ordre, adoptée le 8 décembre 1998, A/RES/131.
Résolution 45/100 de l'Assemblée
générale des Nations Unies sur les couloirs humanitaires
d'urgence, adoptée le 14 décembre 1990, A/RES/45/100.
Conseil de sécurité des Nations Unies
Résolution 688 du Conseil de Sécurité,
adoptée le 5 avril 1991 à la 2982ème séance par 10
voix contre 3 (Cuba, Yémen, Zimbabwe) avec 2 abstentions (Chine, Inde),
S/RES/688 (1991).
Résolution 733 du Conseil de Sécurité,
adoptée à l'unanimité le 23 janvier 1992 à la
3039ème séance, S/RES/733 (1992).
Résolution 751 du Conseil de Sécurité,
adoptée à l'unanimité le 24 avril 1992 à la
3069ème séance, S/RES/751 (1992).
63
Résolution 764 du Conseil de Sécurité,
adoptée à l'unanimité le 13 juillet 1992 à la
3093ème séance, S/RES/764 (1992).
Résolution 794 du Conseil de Sécurité,
adoptée à l'unanimité le 3 décembre 1992 à
la 3145ème séance, S/RES/794 (1992).
Résolution 814 du Conseil de Sécurité,
adoptée le 6 juin 1993 à la 3188ème séance,
S/RES/814 (1993).
Résolution 929 du Conseil de Sécurité,
adoptée le 22 juin 1994 à la 3392ème séance,
S/RES/929 (1994).
Résolution 1674 du Conseil de sécurité,
adoptée à l'unanimité le 28 avril 2006 à la
5430ème séance, S/RES/1674 (2006).
Résolution 1970 du Conseil de sécurité,
adoptée à l'unanimité le 26 février 2011 à
la 6491ème séance, S/RES/1970 (2011).
Résolution 1973 du Conseil de sécurité,
adoptée à l'unanimité le 17 mars 2011 à la
6498ème séance, S/RES/1973 (2011).
Résolution 1975 du Conseil de sécurité,
adoptée à l'unanimité le 30 mars 2011 à la
6508ème séance, S/RES/1975 (2011).
Publications de la CIJ :
CIJ, 21 juin 1986, affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Rec. 1986, p. 14 et
suivantes.
Publications de l'Assemblée nationale
:
Question parlementaire (14ème législature) de M.
Jacques Bompard, adressée au ministre des Affaires
étrangères, question publiée au JO le 03/06/2014 et
réponse publiée au JO le 15/07/2014.
Question parlementaire (13ème législature) de M.
Jean-Claude Perez, adressée au ministre des Affaires
étrangères et européennes, question publiée au JO
le 19/04/2011 et réponse publiée au JO le 21/06/2011.
64
Question parlementaire (13ème législature) de M.
Jean-Jacques Candelier, adressée au ministre des Affaires
étrangères et européennes, question publiée au JO
le 07/06/2011 et réponse publiée au JO le 11/10/2011.
Question parlementaire (14ème législature) de M.
Elie Aboud, adressée au ministre de la Défense, question
publiée au JO le 17/12/2013 et réponse publiée au JO le
01/04/2014.
JOURNAUX
Caroline FLEURIOT, « Droit d'ingérence, où en
est-on ? », Le Monde diplomatique, 2008,
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/09/FLEURIOT/16264
Stéphane FOUCART et Christophe AYAD « La Syrie, le
crève-coeur de Ban Ki-moon », Le Monde, 26 août
2015.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/06/23/l-onu-denonce-les-sieges-et-les-bombardements-de-plusieurs-villes-de-
syrie 4659904 3218.html
Natalie NOUGAYREDE « Kofi Annan : Sur la Syrie, à
l'évidence, nous n'avons pas réussi », Le Monde, 7 juillet
2012.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/07/07/kofi-annan-sur-la-syrie-a-l-evidence-nous-n-avons-pas-reussi
1730658 3218.html#LbXAk6B6mSsVxze9.99
Dominique VIDAL, « Kossovo, Tchétchénie : deux
poids, deux mesures », Le Monde diplomatique, 5 novembre 1999,
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/1999-11-05-caucase
Le Monde.fr avec l'AFP, « Impasse à l'ONU sur une
intervention en Syrie », Le Monde, 28 août 2013.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/28/syrie-londres-presentera-un-projet-de-resolution-aujourd-hui-a-l-
onu 3467568 3218.html#7R4Q18vSsjerSwcs.99
SITES INTERNET
Actualité et Droit international :
http://www.ridi.org/adi/
Assemblée générale des Nations Unies :
http://www.un.org/fr/ga/
Conseil de sécurité des Nations Unies :
http://www.un.org/fr/sc/
Cour international de Justice :
http://www.icj-cij.org/homepage/index.php?&lang=fr
65
Comité international de la Croix-Rouge :
https://www.icrc.org/fr/page-accueil
Haut-Commissariat aux droits de l'Homme des Nations Unies :
http://www.ohchr.org/FR/Pages/WelcomePage.aspx
Human Rights Watch :
https://www.hrw.org/fr
Organisation des Nations Unies :
http://www.un.org/fr/index.html
Organisation du Traité de l'Atlantique Nord :
http://www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html#top
Cour pénale internationale :
http://www.icc-cpi.int/FR_Menus/icc/Pages/default.aspx
ANNEXES
66
Annexe n°1 : Résolution 43/131 de
l'Assemblée générale des Nations Unies (1988)
67
68
Annexe n°2 : Résolution 45/100 de
l'Assemblée générale des Nations Unies (1990)
69
Annexe n°3 : Résolution 688 du Conseil de
sécurité des Nations Unies (1991)
70
Annexe n°4 : Charte des Nations Unies (articles 1, 2,
24, 25 et 34) et Chapitre VII (articles 39 à 51)
CHAPITRE I : BUTS ET PRINCIPES
Article 1
Les buts des Nations Unies sont les suivants :
1. Maintenir la paix et la sécurité
internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives
efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la
paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix,
et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux
principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le
règlement de différends ou de situations, de caractère
international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;
2. Développer entre les nations des relations amicales
fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits
des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre
toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde;
3. Réaliser la coopération internationale en
résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique,
social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant
le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour
tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion;
4. Etre un centre où s'harmonisent les efforts des
nations vers ces fins communes.
Article 2
L'Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la
poursuite des buts énoncés à l'Article 1, doivent agir
conformément aux principes suivants :
1. L'Organisation est fondée sur le principe de
l'égalité souveraine de tous ses Membres.
2. Les Membres de l'Organisation, afin d'assurer à
tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur
qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu'ils
ont assumées aux termes de la présente Charte.
3.
71
Les Membres de l'Organisation règlent leurs
différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle
manière que la paix et la sécurité internationales ainsi
que la justice ne soient pas mises en danger.
4. Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs
relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi
de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
5. Les Membres de l'Organisation donnent à celle-ci
pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux
dispositions de la présente Charte et s'abstiennent de prêter
assistance à un Etat contre lequel l'Organisation entreprend une action
préventive ou coercitive.
6. L'Organisation fait en sorte que les Etats qui ne sont pas
Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes
dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la
sécurité internationales.
7. Aucune disposition de la présente Charte n'autorise
les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent
essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les
Membres à soumettre des affaires de ce genre à une
procédure de règlement aux termes de la présente Charte;
toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des
mesures de coercition prévues au Chapitre VII.
CHAPITRE V : CONSEIL DE SÉCURITÉ
FONCTIONS ET POUVOIRS
Article 24
1. Afin d'assurer l'action rapide et efficace de
l'Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de
sécurité la responsabilité principale du maintien de la
paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu'en
s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil
de sécurité agit en leur nom.
2. Dans l'accomplissement de ces devoirs, le Conseil de
sécurité agit conformément aux buts et principes des
Nations Unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de
72
sécurité pour lui permettre d'accomplir lesdits
devoirs sont définis aux Chapitres VI, VII, VIII et XII.
3. Le Conseil de sécurité soumet pour examen des
rapports annuels et, le cas échéant, des rapports spéciaux
à l'Assemblée générale.
Article 25
Les Membres de l'Organisation conviennent d'accepter et
d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité
conformément à la présente Charte.
CHAPITRE VI : REGLEMENT PACIFIQUE DES DIFFERENDS
Article 34
Le Conseil de sécurité peut enquêter sur
tout différend ou toute situation qui pourrait entraîner un
désaccord entre nations ou engendrer un différend, afin de
déterminer si la prolongation de ce différend ou de cette
situation semble devoir menacer le maintien de la paix et de la
sécurité internationales.
CHAPITRE VII : ACTION EN CAS DE MENACE CONTRE LA PAIX,
DE RUPTURE DE LA PAIX ET D'ACTE D'AGRESSION
Article 39
Le Conseil de sécurité constate l'existence
d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression
et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises
conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la
paix et la sécurité internationales.
Article 40
Afin d'empêcher la situation de s'aggraver, le Conseil
de sécurité, avant de faire les recommandations ou de
décider des mesures à prendre conformément à
l'Article 39, peut inviter les parties intéressées à se
conformer aux mesures provisoires qu'il juge nécessaires ou
souhaitables. Ces mesures provisoires ne préjugent en rien les droits,
les
73
prétentions ou la position des parties
intéressées. En cas de non-exécution de ces mesures
provisoires, le Conseil de sécurité tient dûment compte de
cette défaillance.
Article 41
Le Conseil de sécurité peut décider
quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent
être prises pour donner effet à ses décisions, et peut
inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci
peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations
économiques et des communications ferroviaires, maritimes,
aériennes, postales, télégraphiques,
radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la
rupture des relations diplomatiques.
Article 42
Si le Conseil de sécurité estime que les mesures
prévues à l'Article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se
sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de
forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge
nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la
sécurité internationales. Cette action peut comprendre des
démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations
exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres
de Membres des Nations Unies.
Article 43
1. Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer au
maintien de la paix et de la sécurité internationales, s'engagent
à mettre à la disposition du Conseil de sécurité,
sur son invitation et conformément à un accord spécial ou
à des accords spéciaux, les forces armées, l'assistance et
les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au
maintien de la paix et de la sécurité internationales.
2. L'accord ou les accords susvisés fixeront les
effectifs et la nature de ces forces, leur degré de préparation
et leur emplacement général, ainsi que la nature des
facilités et de l'assistance à fournir.
3. L'accord ou les accords seront négociés
aussitôt que possible, sur l'initiative du Conseil de
sécurité. Ils seront conclus entre le Conseil de
sécurité et des Membres de l'Organisation, ou entre le Conseil de
sécurité et des groupes de Membres de
74
l'Organisation, et devront être ratifiés par les
Etats signataires selon leurs règles constitutionnelles respectives.
Article 44
Lorsque le Conseil de sécurité a
décidé de recourir à la force, il doit, avant d'inviter un
Membre non représenté au Conseil à fournir des forces
armées en exécution des obligations contractées en vertu
de l'Article 43, convier ledit Membre, si celui-ci le désire, à
participer aux décisions du Conseil de sécurité touchant
l'emploi de contingents des forces armées de ce Membre.
Article 45
Afin de permettre à l'Organisation de prendre d'urgence
des mesures d'ordre militaire, des Membres des Nations Unies maintiendront des
contingents nationaux de forces aériennes immédiatement
utilisables en vue de l'exécution combinée d'une action
coercitive internationale. Dans les limites prévues par l'accord
spécial ou les accords spéciaux mentionnés à
l'Article 43, le Conseil de sécurité, avec l'aide du
Comité d'état-major, fixe l'importance et le degré de
préparation de ces contingents et établit des plans
prévoyant leur action combinée.
Article 46
Les plans pour l'emploi de la force armée sont
établis par le Conseil de sécurité avec l'aide du
Comité d'état-major.
Article 47
1. Il est établi un Comité d'état-major
chargé de conseiller et d'assister le Conseil de sécurité
pour tout ce qui concerne les moyens d'ordre militaire nécessaires au
Conseil pour maintenir la paix et la sécurité internationales,
l'emploi et le commandement des forces mises à sa disposition, la
réglementation des armements et le désarmement
éventuel.
2. Le Comité d'état-major se compose des chefs
d'état-major des membres permanents du Conseil de sécurité
ou de leurs représentants. Il convie tout Membre des Nations Unies qui
n'est pas représenté au Comité d'une façon
permanente à s'associer à lui, lorsque la participation de ce
Membre à ses travaux lui est nécessaire pour la bonne
exécution de sa tâche.
75
3. Le Comité d'état-major est responsable, sous
l'autorité du Conseil de sécurité, de la direction
stratégique de toutes forces armées mises à la disposition
du Conseil. Les questions relatives au commandement de ces forces seront
réglées ultérieurement. 4. Des sous-comités
régionaux du Comité d'état-major peuvent être
établis par lui avec l'autorisation du Conseil de sécurité
et après consultation des organismes régionaux
appropriés.
Article 48
1. Les mesures nécessaires à l'exécution
des décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de
la paix et de la sécurité internationales sont prises par tous
les Membres des Nations Unies ou certains d'entre eux, selon
l'appréciation du Conseil.
2. Ces décisions sont exécutées par les
Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans
les organismes internationaux appropriés dont ils font partie.
Article 49
Les Membres des Nations Unies s'associent pour se prêter
mutuellement assistance dans l'exécution des mesures
arrêtées par le Conseil de sécurité.
Article 50
Si un Etat est l'objet de mesures préventives ou
coercitives prises par le Conseil de sécurité, tout autre Etat,
qu'il soit ou non Membre des Nations Unies, s'il se trouve en présence
de difficultés économiques particulières dues à
l'exécution desdites mesures, a le droit de consulter le Conseil de
sécurité au sujet de la solution de ces difficultés.
Article 51
Aucune disposition de la présente Charte ne porte
atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou
collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une
agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de
sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir
la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par
des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont
immédiatement portées à la connaissance du Conseil de
sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le
Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de
la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales.
76
Annexe n°5 : Document final du Sommet mondial des
Nations Unies, résolution adoptée par l'Assemblée
générale le 16 septembre 2005, A/RES/60/1, paragraphe 138
à 140
Devoir de protéger des populations contre le
génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes
contre l'humanité :
§138. C'est à chaque État qu'il incombe de
protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du
nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité. Ce devoir comporte
la prévention de ces crimes, notamment l'incitation à les
commettre, par les moyens nécessaires et appropriés. Nous
acceptons cette responsabilité et agirons de manière à
nous y conformer. La communauté internationale devrait, si
nécessaire, encourager et aider les États à s'acquitter de
cette responsabilité et aider l'Organisation des Nations Unies à
mettre en place un dispositif d'alerte rapide.
§139. Il incombe également à la
communauté internationale, dans le cadre de l'Organisation des Nations
Unies, de mettre en oeuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres
moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et
VIII de la Charte, afin d'aider à protéger les populations du
génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes
contre l'humanité. Dans ce contexte, nous sommes prêts à
mener en temps voulu une action collective résolue, par l'entremise du
Conseil de sécurité, conformément à la Charte,
notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas
échéant, avec les organisations régionales
compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent
inadéquats et que les autorités nationales n'assurent
manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide,
les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre
l'humanité. Nous soulignons que l'Assemblée
générale doit poursuivre l'examen du devoir de protéger
les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique
et des crimes contre l'humanité et des conséquences qu'il
implique, en ayant à l'esprit les principes de la Charte des Nations
Unies et du droit international. Nous entendons aussi nous engager, selon qu'il
conviendra, à aider les États à se doter des moyens de
protéger leurs populations du génocide, des crimes de guerre, du
nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité et à apporter
une assistance aux pays dans lesquels existent des tensions avant qu'une crise
ou qu'un conflit n'éclate.
140. Nous appuyons pleinement la mission du
Conseiller spécial du Secrétaire général pour la
prévention du génocide.
Annexe n°6 : Résolution 1973 du Conseil de
sécurité des Nations Unies (2011)
77
Nations lini: S /RESl1973 (2011)'
|
Conseil de sécurité
|
Distr. générale 17 mars 2011
|
Résolution 1973 (2011)
Adoptëe par k Conseil de sécnritë
à 58 6i98r séance, le 17 mars 2011
Le Conseil de
sécurité,
Rappelant sa résolution 1970 (2011 ) du
26 février 2011,
Déplorant que les autorités
libyennes ne respectera pas la résolution 1970 (2011),
Se déclarant vivement'
préoccupé par la détérioration de la
situation, l'escalade de la violence et les lourdes pertes civiles,
Rappehant la responsabilité qui
incombe aux autorités libyennes de protéger la population
libyenne et rëarmant qu'il incombe au premier chef aux parties A
tout conflit armé de prendre toutes les mesures voulues pour assurer la
protection des civ ils,
Condamnant la violation flagrante et
systématique des droits de l'homme, y
compris les détentions arbitraires,
disparitions forcées, tortures et exécutions
sommaires,
Condamnant également les actes de
violence et d'intimidation que les autorités libyennes commettent contre
les journalistes, les professionnels des médias et le personnel
associé et engageant vivement' celles-ci a respecter les
obligations mises s leur charge par le droit international humanitaire, comme
indiqué dans la résolution 1738 (2006),
Considërani que les attaques
généralisées et systématiques
actuellement
commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la
population civile peuvent constituer des crimes contre
l'humanité,
Rappelant le paragraphe 26 de la
résolution 1970 (2011) dans lequel il s'est déclaré
prêt envisager de prendre d'autres mesures pertinentes, si
nécessaire, pour faciliter et appuyer le retour des organismes
d'aide humanitaire et rendre accessible enJamahiriya arabe libyenne une aide
humanitaire et une aide connexe,
78
S/RES11973 13U t 1 }
Se déclarant résolu â
assurer la protection des populations et zones civiles, et a
assurer l'acheminement sans obstacle ni contretemps de
l'aide humanitaire et la sécurité du personnel
humanitaire,
Rappelant que la Ligue des États
arabes, l'Union africaine et le Secrétaire général de
l'Organisation de la Conférence islamique ont condamné les
violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire
qui ont été et continuent d'eue commises en Jamahiriya arabe
libyenne,
Prenant note du communiqué final de
l'Organisation de la Conférence islamique en date du S mars 2011 et du
communiqué du Conseil de paix et de sécurité de l'Union
africaine en date du ID mars 2011 portant création d'un comité ad
hoc de haut niveau sur la Libye,
Prenant note égaiement de la
décision du Conseil de la Ligue des Etats arabes, en date du 12 mars
2011, de demander l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne contre
l'armée de l'air libyenne et de créer des zones
protégées dans les secteurs exposés aux bombardements A
titre de précaution pour assurer la protection du peuple libyen et des
étrangers résidant en Jamahiriya arabe libyenne,
Prenant note en outre de l'appel â un
cessez-le-feu immédiat lancé par le Secrétaire
général le IF. mars 2011,
Rappelant sa décision de saisir le
Procureur de la Cour pénale internationale de la situation en
Jamahiriya arabe libyenne depuis le 15 février 2011 et soulignant
que les auteurs d'attaques, y compris aériennes et navales,
dirigées contre la population civile, ou leurs complices doivent
répondre de leurs actes,
Se déclarant h nouveau prëoc-cive'
par le sort tragique des réfugiés et des travailleurs
étrangers forcés de fuir la violence en Jamahiriya arabe
libyenne, se félicitant que les États voisins, en
particulier la Tunisie et l'Égypte, aient répondu aux besoins de
ces réfugiés et travailleurs étrangers, et demandant
a la communauté internationale d'appuyer ces efforts,
Déplorant que les autorités
libyennes continuent d'employer des mercenaires,
Considérant que l'interdiction de tous
vols dans l'espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne est importante
pour assurer la protection des civils et la sécurité des
opérations d'assistance humanitaire et décisive pour faire cesser
les hostilités en Jamahiriya arabe libyenne,
Inquiet égaiement pour la
sécurité des étrangers en Jamahiriya arabe libyenne et
pour leurs droits,
Se félicitant que le Secrétaire
général ait nommé M. Abdel-Elah Mohamed Al-
Khatib Envoyé spécial en Libye et
soutenant ses efforts pour apporter une solution durable et pacifique a la
crise en Jamahiriya arabe libyenne,
Réaffirmant son ferme attachement A la
souveraineté, d l'indépendance, l'intégrité
territoriale et à l'unité nationale de la Jamahiriya arabe
libyenne,
Constatant que la situation en Jamahiriya
arabe libyenne reste une menace pour la paix et la sécurité
internationales,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte
des Nations Unies,
79
SIR}f f1973 (2011)
1. Exige un cessez-le-feu immédiat et la
cessation totale des violences et de toutes les attaques et exactions contre la
population civile;
2. Sotrfigne qu'il faut redoubler d'efforts pour
apporter une solution à la crise, qui satisfasse les revendications
légitimes du peuple libyen, et noie que ]e Secrétaire
général a demandé a son Envoyé spécial de se
rendre en Jamahiriya arabe libyenne et que le Conseil de paix et de
sécurité de l'Union africaine a décidé d'envoyer
son Comité ad hoc de haut niveau sur la Libye sur place pour faciliter
un dialogue qui débouche sur les réformes politiques
nécessaires A un règlement pacifique et durable;
3. Exige des autorités libyennes qu'elles
respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international,
y compris le droit international humanitaire, du droit des droits de l'homme et
du droit des réfugiés, et prennent toutes les mesures pour
protéger les civils et satisfaire leurs besoins
élémentaires, et pour garantir l'acheminement sans obstacle ni
contretemps de l'aide humanitaire;
Protection des civils
4. Autorise les Etats Membres qui ont adressé
au Secrétaire général une notification a cet effet et
agissent â titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords
régionaux et en coopération avec le Secrétaire
général, à prendre toutes mesures nécessaires,
nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2IJ11), pour
protéger les populations et zones civiles menacées d'attaque en
Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le
déploiement d'une force d'occupation étrangère sous
quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen,
et prie les Etats Membres concernés d'informer
immédiatement le Secrétaire général des mesures
qu'ils auront prises en vertu des pouvoirs qu'ils tirent du présent
paragraphe et qui seront immédiatement portées A l'attention du
Conseil de sécurité;
5. Afesare l'importance du rôle que joue la
Ligue des États arabes dans le maintien de la paix et de la
sécurité régionales et, gardant A l'esprit le Chapitre
VIII. de la Charte des Nations Unies, prie les États Membres qui
appartiennent â la Ligue de coopérer avec les autres Etats Membres
a l'application du paragraphe 4;
Zone d'exclusion aérienne
b. Décide d'interdire tous vols dans l'espace
aérien de la Jamahiriya arabe
libyenne afin d'aider à protéger les civils;
7. Décide également que l'interdiction
imposée au paragraphe 6 ne s'appliquera pas aux vols dont le seul
objectif est d'ordre humanitaire, comme l'acheminement d'une assistance,
notamment de fournitures médicales, de denrées alimentaires, de
travailleurs humanitaires et d'aide connexe, ou la facilitation de cet
acheminement, ou encore l'évacuation d'étrangers de la Jamahiriya
arabe libyenne, qu'elle ne s'appliquera pas non plus aux vols autorises par les
paragraphes 4 ci-dessus ou 8 ci-dessous ni h d'autres vols que les Etats
agissant en vertu de l'autorisation accordée au paragraphe 8
estiment nécessaires dans l'intérèt du peuple libyen et
que ces vols seront assurés en coordination avec tout
mécanisme établi en application du paragraphe 8;
8. Autorise les États Membres qui ont
adressé aux Secrétaires généraux de l'Organisation
des Nations Unies et de la Ligue des Etats arabes une notification â
80
SALES/1973 gel])
cet effet, agissant a titre national ou dans le cadre
d'organismes ou d'accords régionaux, h prendre au besoin toutes mesures
nécessaires pour faire respecter l'interdiction de vol imposée au
paragraphe 6 ci-dessus et demande aux États concernés,
en coopération avec la Ligue des Etats arabes, de procéder en
étroite coordination avec le Secrétaire général
s'agissant des mesures qu'ils prennent pour appliquer cette interdiction,
notamment en cream un mécanisme approprié de mise en oeuvre des
dispositions des paragraphes 6 et 7 ci-dessus;
9. Appelle tous les Etats Membres agissant h
titre national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux
â fournir une assistance, notamment pour toute autorisation de survol
nécessaire, en vue de l'application des paragraphes 4, 6, 7 et S
ci-dessus;
10. Prie les Etats Membres concernés
de coordonner étroitement leur action entre eux et avec le
Secrétaire général s'agissant des mesures qu'ils prennent
pour meure en oeuvre les paragraphes 4, 6, 7 et 8 ci-dessus, notamment les
mesures pratiques de suivi et d'approbation de vols humanitaires ou
d'évacuation autorisés;
11. Décide que les Etats Membres
concernés devront informer immédiatement le Secrétaire
général et le Secrétaire général de la Ligue
des Etats arabes des mesures prises en vertu des pouvoirs qu'ils
tirent du paragraphe 8 ci-dessus et notamment soumettre un concept
d'opérations;
12_ Prie le Secrétaire
général de l'informer immédiatement de toute mesure prise
par les États Membres concernés en vertu des pouvoirs qu'ils
tirent du paragraphe S ci-dessus et de lui faire rapport dans les sept jours et
puis tous ]es mois sur la mise en oeuvre de la présente
résolution, notamment pour ce qui est de toute violation de
l'interdiction de vol imposée au paragraphe 6 ci-dessus;
Application de l'embargo sur les ormes
13. Décide que le paragraphe 11 de la
résolution 1970 (2011) sera remplacé par le paragraphe
suivant
Demande h tous les Etats Membres, en
particulier aux États de la région, agissant â titre
national ou dans le cadre d'organismes ou d'accords régionaux, afin de
garantir la stricte application de l'embargo sur les armes établi par
les paragraphes 9 et 10 de la résolution 1970 (2011), de faire
inspecter sur leur territoire, y compris dams leurs ports maritimes et
aéroports et en haute mer, les navires et aéronefs en provenance
ou a destination de la Jamahiriya arabe libyenne, si l'État
concerné dispose d'informations autorisant raisonnablement a penser
qu'il y a a bord des articles dont la fourniture, la vente, le transfert ou
l'exportation sont interdits par les paragraphes 9 ou 10 de la
résolution 1970 (2011), telle que modifiée par la présente
résolution, y compris des mercenaires armés, prie tous
les Etats de pavillon ou d'immatriculation de ces navires et
aéronefs de coopérer a toutes inspections et aworise les
États Membres a prendre toutes mesures dictées par la situation
existante pour procéder 3 ces Inspections 'ç
14. Prie les États Membres qui
prennent des mesures en haute mer par application du paragraphe 13 ci-dessus de
coordonner étroitement leur action entre eux et avec le
Secrétaire général et prie également les
Etats concernés d'informer immédiatement le Secrétaire
général et le Comité créé
conformément au paragraphe
81
82
83
84
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 1
PARTIE I - LE CADRE LEGAL INCERTAIN DU DROIT
D'INGERENCE
HUMANITAIRE PROPRICE A SON INSTRUMENTALISATION
6
Chapitre 1 - La base légale du droit
d'ingérence humanitaire 7
Section 1 - L'apport de l'Assemblée
générale des Nations Unies 7
§ 1 - La résolution 43/131 du 8 décembre 1988
7
§ 2 - La résolution 45/100 du 10 décembre 1990
9
§ 3 - La valeur juridique des résolutions de
l'Assemblée générale 10
Section 2 - L'apport du Conseil de sécurité
des Nations Unies 11
§ 1 - La résolution 688 du 5 avril 1991 12
A. Le contenu de la résolution. 12
B. La valeur juridique de la résolution. 13
§ 2 - Les opérations de maintien de la paix 14
A. La définition d'une opération de maintien de la
paix. 14
B. Les opérations de maintien de la paix dans le cadre du
droit d'ingérence
humanitaire. 15
1. L'opération ONUSOM. 16
2. L'opération FORPRONU. 17
3. L'opération Turquoise. 18
85
Chapitre 2 - La base légale de la
responsabilité de protéger 20
Section 1 - L'apport doctrinal de la Commission
internationale de
l'intervention et de la souveraineté des Etats
20
§ 1 - La Commission internationale de l'intervention et de
la souveraineté des
Etats 20
A. Le mandat de la Commission. 21
B. La composition de la Commission. 21
§ 2 - Le rapport de la Commission 22
Section 2 - L'apport de l'Organisation des Nations Unies
24
§ 1 - Le Sommet mondial des Nations Unies de 2005 24
A. Le paragraphe 138 du Document final. 25
B. Le paragraphe 139 du Document final. 26
§ 2 - La résolution 1973 du 17 mars 2011 relative
à l'intervention en Libye 27
PARTIE II - L'INSTRUMENTALISATION DU DROIT
D'INGERENCE
HUMANITAIRE PAR LES ETATS EN QUETE DE LEGITIMITE
30
Chapitre 1 - Une instrumentalisation du droit
d'ingérence humanitaire par les
Etats 31
Section 1 - Une instrumentalisation politique et
militaire 32
§ 1 - Une instrumentalisation politique 32
A. L'instrumentalisation politique du droit d'ingérence
humanitaire 32
B. L'intervention humanitaire armée en Libye. 35
§ 2 - Une instrumentalisation militaire 36
A. L'instrumentalisation militaire du droit d'ingérence
humanitaire 36
B. L'intervention humanitaire armée au Kossovo. 37
§ 3 - La politisation et la militarisation de l'humanitaire,
un danger pour les
ONG ? 38
A.
86
La politisation de l'humanitaire 38
B. La militarisation de l'humanitaire. 39
Section 2 - Exemple d'interventions humanitaires
armées instrumentalisées 40
§ 1 - L'intervention en Lybie de 2011 40
§ 2 - L'intervention en Côte d'Ivoire de 2011 41
§ 3 - L'intervention en Centrafrique de 2013 42
Section 3 - L'absence d'intervention humanitaire
armée, une autre marque de
l'instrumentalisation du droit d'ingérence
humanitaire : le cas de la Syrie 43
Chapitre 2 - Les critères de
légitimité de l'intervention militaro-humanitaire 45
Section 1 - Les critères élaborés
par la Commission internationale de
l'intervention et de la souveraineté des Etats
46
§ 1 - L'autorité appropriée 46
§ 2 - La juste cause 47
§ 3 - La bonne intention 48
§ 4 - Le dernier recours 49
§ 5 - La proportionnalité des moyens 49
§ 6 - Les perspectives raisonnables 50
Section 2 - L'intervention américaine en Irak
51
§ 1 - Le contexte de l'intervention américaine en
Irak 51
§ 2 - L'examen du cas irakien 51
A. Le niveau des tueries 52
B. Le dernier recours. 52
C. L'objectif humanitaire 53
D. Le respect du droit humanitaire. 53
E. L'effet positif 54
F. L'approbation du Conseil de sécurité. 54
87
CONCLUSION 56
BIBLIOGRAPHIE 57
ANNEXES 66
TABLES DES MATIERES 84