Deuxième
partie : Présentation du dispositif de recherche
1. Un appui sur
l'expérience professionnelle
Psychologue scolaire depuis une douzaine d'années, j'ai
souvent été sollicitée pour intervenir auprès
d'enfants et de leur famille qui, souvent dès la Petite Section de
maternelle, présentent un comportement très instable.
Malgré les efforts et les interventions diverses, ces enfants gardent un
comportement difficile tout au long de leur scolarité primaire. Les
trois cas suivants illustrent bien la complexité de ces
situations :
1.1. Cas n°1 : M
M. est un petit garçon pour lequel une aide du RASED
(Réseau d'Aides Spécialisées aux Elèves en
Difficultés) a été sollicitée dès la Petite
Section. Le petit garçon avait un comportement agité,
n'obéissait pas aux consignes de l'enseignante, et pouvait mordre ses
camarades. Une aide G, dispensée par le rééducateur du
Réseau, avait été mise en place. Le
rééducateur avait pu constater le grand désarroi de la
mère de l'enfant, qui ne comprenait pas le comportement de son fils, et
vivait mal les regards des autres parents, accusateurs à son
égard. Notons que le comportement à la maison était plus
facile, d'après la mère. Un léger mieux avait
été noté suite au travail réalisé avec le
rééducateur, l'enfant appréciant l'espace qui lui
était réservé une fois par semaine, dans un cadre riche et
ludique, lui permettant d'établir une relation bienveillante avec un
adulte disponible. Les années scolaires suivantes ont été
compliquées. Le suivi du rééducateur a perduré une
année, puis l'enfant s'est révélé plutôt
motivé par l'apprentissage de la lecture, au cours duquel il s'est
inscrit dans la réussite. Au CE2, devant les difficultés de
comportement, l'enseignant de la classe appelle à nouveau à
l'aide le Réseau. Il indique que M. parvient à se concentrer sur
le travail scolaire mais que, en revanche, il fait régulièrement
preuve de violence envers ses camarades : grossièretés,
insultes, coups. Le maître souligne qu'il supporte très
difficilement la contradiction et la frustration, et qu'il estime
fréquemment être une victime. Un bilan psychologique est
réalisé, et un suivi mis en place au sein de l'école
durant quelques séances afin que l'enfant apprenne à verbaliser
ses émotions et à mieux les gérer (cf. annexe 6). Le bilan
met en évidence les bonnes compétences cognitives du jeune
garçon, mais on note de très grandes disparités dans les
performances, dans certaines échelles, mais aussi à
l'intérieur d'une même échelle, pour des exercices faisant
appel à des compétences identiques, irrégularité
signant généralement des problèmes d'attention. Les
épreuves projectives montrent que les relations familiales
intériorisées sont plutôt positives, avec un attachement
sincère à la petite soeur (M. a une petite soeur
scolarisée dans l'école, qui ne pose aucun problème
d'adaptation scolaire). Le questionnaire de Conners est renseigné par
l'enseignant et les parents. Si les index d'hyperactivité n'atteignent
pas les critères significatifs, en revanche, les résultats
confirment les problèmes de conduites importants en milieu scolaire.
L'auto-questionnaire de Barkley est proposé à l'enfant, et les
réponses du jeune garçon témoignent des problèmes
d'attention qui l'affectent, déplorant de ne pas pouvoir se concentrer,
de parler trop sans pouvoir attendre son tour, et d'avoir des problèmes
pour écouter quand on lui parle. Au CM1, l'enseignante demande à
nouveau de l'aide. Un compte rendu du bilan et du travail réalisé
l'année précédente à l'attention d'un
pédopsychiatre est donné aux parents, afin de mettre en place un
suivi en ville. Des bilans orthophonique et orthoptique sont demandés
pour vérifier que l'enfant ne souffre d'aucune gêne dans ses
apprentissages (l'enseignante constate qu'à certains moments
« l'enfant accroche énormément en lecture »).
L'éventualité d'un traitement (Ritaline) pour pallier les
difficultés attentionnelles et comportementales est
évoquée lors d'un entretien avec les parents, mais ils ne sont
pas prêts à se résoudre à une telle
éventualité. L'année suivante se passe très
difficilement, puis l'enfant passe en 6ème dans le
collège public le plus proche, d'où il est rapidement
évincé pour intégrer un petit collège
privé.
Ce premier cas permet d'illustrer le caractère
chronique des problèmes d'adaptation scolaire. Dans cette situation, le
contexte familial apparaît plutôt favorable, confirmé par
l'absence de difficultés de la petite soeur, et la rigueur des suivis
mis en place par les parents. Les difficultés d'attention et les
problèmes relationnels sont au premier plan, et l'enfant ne semble pas
souffrir de problèmes d'apprentissage associés.
1.2. Cas n°2 : N
Le cas suivant est un petit garçon de 6 ans
scolarisé en GS (cf. annexe 7). Il vient d'arriver dans son école
à la suite d'un changement de garde : il a été
retiré à sa mère, qui ne le voit plus qu'une fois tous les
quinze jours et est gardé par son père. L'enfant suit
difficilement le fil des activités proposées, il est très
agité en classe, et peut faire preuve de violence envers ses camarades.
L'année précédente, le petit garçon avait
également un comportement très instable à l'école.
Ces difficultés comportementales ont été à
l'origine de problèmes relationnels entre les enseignants et la
mère de l'enfant, ce qui a contribué au retrait du petit
garçon du foyer maternel. N. termine sa GS de cette façon, puis
passe au CP, où il apprend à lire assez facilement. Durant les
activités structurées, il ne présente pas de
difficulté scolaire à proprement parler. Ses compétences
cognitives sont dans la moyenne, mais le petit garçon n'aime pas lire.
Son comportement difficile, son agitation, et ses difficultés
relationnelles, sont restées identiques quel que soit le milieu familial
d'accueil. Le questionnaire de Conners renseigné par la mère
atteint des scores de significativité relatifs à
l'hyperactivité très importants.
Ce deuxième cas illustre la remise en cause du milieu
familial fréquente dans de telles situations. La mère de N. est
une personne très investie dans son rôle maternel. Mais elle est
aussi une personne très vive qui reconnaît avoir posé
elle-même de nombreux problèmes de comportement dans son enfance.
Elle a été scolarisée en pension très jeune, ses
parents ne parvenant pas à gérer son humeur difficile. Comme
évoqué plus haut, le trouble, qui a une base constitutionnelle,
est souvent partagé par l'un des deux parents (ou les deux), ce qui est
un facteur aggravant la situation de l'enfant. Les difficultés
comportementales rencontrées par son fils à l'école l'ont
remise en cause personnellement, occasionnant des discussions avec les
enseignants que son caractère vif ont rendu trop houleuses. Après
enquête sociale, le juge s'est finalement prononcé en faveur du
retrait du petit garçon du foyer maternel, mais le comportement de N. ne
s'est pas amélioré pour autant. Il n'est pas certain, par contre,
que l'accueil réservé à son égard par son
père et sa belle-mère, aux dires de l'enfant (peut ne pas manger
à la même table que le reste de la famille, s'ennuie, reste
très souvent dans sa chambre tout seul, passe plus de temps avec sa
grand-mère paternelle qu'avec son propre père, etc.) soit aussi
chaleureux et investi que celui apporté par sa mère... De telles
situations sont fréquentes en cas d'enfant hyperactif, en raison des
interprétations négatives des professionnels du soin, de la
santé, et de l'éducation, qui voient dans les dysfonctionnements
familiaux l'origine des troubles présentés par l'enfant.
1.3. Cas n°3 : S
Le troisième cas est celui de S. signalé par son
enseignante en Moyenne Section. Le petit garçon est très
agité. Un suivi par le rééducateur (maître G) est
mis en place. Celui-ci rencontre la famille, et il émet un avis
réservé concernant le père du petit garçon, qu'il
ne « sent pas » à l'entretien (réflexe de
remise en cause du fonctionnement familial, justifié probablement par le
caractère du père, très probablement hyperactif
lui-même si l'on considère l'histoire familiale). Une
première tentative de bilan est tentée en fin de Moyenne Section,
mais l'agitation et les problèmes de concentration de l'enfant ne lui
permettent pas d'investir de façon satisfaisante la situation de test.
L'année suivante, il est à nouveau fait appel au Réseau et
le bilan peut être mené à son terme, mettant en
évidence des compétences dans la zone moyen faible. Devant
l'inadaptation scolaire du petit garçon, une consultation
pédopsychiatrique est conseillée à la famille. Les parents
décident alors de changer l'enfant d'école et de l'inscrire dans
un établissement privé. Mais au CE2, le jeune garçon
revient à nouveau dans son école de rattachement. Les
problèmes de comportement sont massifs, et surtout, l'enfant
présente des difficultés de lecture très importantes. Un
nouveau bilan est réalisé. Le niveau en mathématiques est
satisfaisant, mais celui en lecture est très insuffisant. Des
problèmes de repérage dans l'espace sont également
perceptibles, et des bilans orthophonique et orthoptique sont
conseillés, ainsi qu'une consultation au Centre
Médico-Psychologique. Les questionnaires de Conners, renseignés
par la famille et l'enseignante, obtiennent des résultats très
significatifs concernant l'hyperactivité et les troubles des
apprentissages. Un suivi orthophonique est mis en place, et un diagnostic de
dyslexie est posé. Le jeune garçon progresse lors de ce suivi et
le CM1 se passe sans difficulté excessive. Au CM2, le comportement de
l'enfant est tel qu'une observation en classe de la psychologue est
demandée par l'enseignante, afin de mieux expliquer aux parents le
comportement de leur enfant. Une équipe éducative en
présence de l'Inspecteur de l'école, du médecin et du
psychologue scolaires est organisée, afin d'évoquer les
problèmes comportementaux et les soins mis en place. A l'issue de cette
réunion, un rendez-vous est pris avec un pédopsychiatre et un
traitement est prescrit (Ritaline). S. termine son CM2 à l'école,
puis va en 6ème. Croisée dans un supermarché un
an après, la mère m'expliquera que l'enfant a quitté son
établissement et intégré un collège public dans
lequel il a été accueilli en tant que pensionnaire. Le traitement
a été arrêté car l'enfant ne le supportait pas bien.
Ce troisième cas a été choisi pour
illustrer la comorbidité fréquente du TDA/H avec d'autres
troubles des apprentissages (dyslexie, dysphasie, dyspraxie...). Il montre
également le nomadisme scolaire dont ces enfants sont souvent
victimes : les parents supposent que l'école rejette leur enfant et
souhaitent essayer un autre établissement, dans l'espoir qu'il ne soit
plus «stigmatisé ».
Ces trois cas regroupent les différentes
caractéristiques de la scolarité des enfants hyperactifs :
des troubles précoces, chroniques, importants dans ces trois situations
particulièrement aigües. On note également une
fréquence élevée de parents eux-mêmes victimes du
trouble, et des risques accrus de problèmes de communication avec les
personnels des écoles, les instances sociales et médicales,
allant jusqu'au retrait de l'enfant de la famille dans certaines situations
compliquées. On retrouve la présence de troubles associés,
et une scolarité souvent chaotique. Les souffrances de ces enfants et de
leur entourage, parents, enseignants et camarades de classe, sont, en
filigrane, omniprésentes.
2. Une recherche
préliminaire en classe relais
Accueillie pendant six mois en classe relais dans le cadre du
master dans le but d'étudier les processus de décrochage scolaire
précoce, il m'a été possible d'approcher une dizaine
d'élèves orientés dans cette structure. L'hypothèse
orientant cette recherche était que ces élèves avaient
été repérés et suivis par le RASED durant leurs
classes primaires, et qu'ils souffraient de troubles des apprentissages anciens
et sévères. La part d'entre eux victimes de TDA/H me paraissait
importante à déterminer.
2.1. Méthodologie
La recherche, de type mixte (Bonneville, Lagacé, &
Grosjean, 2006, Savoie Zajc & Karsenti, 2004) se composait d'un volet
quantitatif. Le dispositif mis en place afin de vérifier notre
hypothèse d'une plus grande proportion d'enfants hyperactifs, avec ou
sans troubles des apprentissages associés, dans la population des
élèves accueillis en Classe Relais consistait à proposer
aux élèves, à leur entrée dans la Classe Relais,
des épreuves étalonnées de lecture et d'orthographe (ROC,
Cogni-Sciences, 2009), et l'auto-questionnaire (cf. annexe 5) basé sur
les travaux de Dupaul (cité par Barkley, op.cit.) visant
à dépister le TDA/H. Les épreuves étaient
proposées en deux séances, lors d'entretiens destinés
à établir un contact, ainsi qu'à obtenir des informations
sur la scolarité antérieure des élèves, et
notamment les suivis éventuels (orthophonie, RASED, psychologues,
psychiatres, CMP...) dont ils auraient pu bénéficier. Ces
résultats ont été interprétés en fonction de
l'étalonnage du ROC. Concernant l'auto-questionnaire, un groupe
témoin, constitué de cinq autres classes du même
collège, a été invité à remplir le
questionnaire, complétant de cette façon le dispositif
expérimental.
Pour des raisons déontologiques, et afin de ne pas
interférer avec le fonctionnement de la classe relais (en ayant besoin
de demander une autorisation particulière aux parents par exemple), le
choix a été fait de ne pas utiliser d'outil réservé
aux psychologues. Ce choix s'est révélé judicieux, car
l'équipe a décidé, pour les années suivantes, de
reconduire l'évaluation en lecture et en orthographe, et de faire
également passer un test étalonné en mathématique,
ce que nous n'avons pas fait afin de ne pas trop alourdir le dispositif.
Le deuxième volet de la recherche était d'ordre
qualitatif. Suivant une démarche inductive rendue possible par
l'immersion autorisée par la longueur du stage (une demi-journée
par semaine pendant six mois), ce deuxième aspect de la recherche
était essentiellement basé sur l'observation, afin de recueillir
des informations sur l'organisation de l'enseignement choisie pour s'adapter
aux difficultés particulières des jeunes. De nombreux entretiens
informels avec les différents membres de l'équipe
pédagogique (l'enseignant coordonnateur et deux assistantes
d'éducation) ont complété le dispositif de recueil des
données.
2.2. Recueil et traitement des données
Les épreuves d'orthographe et de lecture ont permis de
comparer les résultats obtenus par les jeunes en classe relais avec la
moyenne de ceux obtenus par les jeunes du même âge. Cette
comparaison a été rendue possible du fait de l'étalonnage
du ROC du CM2 à la 5ème. Pour comparer les
résultats des plus grands, une extrapolation statistique a
été réalisée (cf. annexe 8).
Les résultats des élèves de la Classe
Relais à l'auto-questionnaire en lien avec le TDA/H ont
été comparés avec ceux obtenus par les autres
élèves du collège (élèves de 5 classes, 2
classes de chaque niveau, sauf en 5ème où une seule
classe est représentée, pour des raisons indépendantes de
notre volonté). Les notes obtenues à chacune des 15 questions ont
été sommées pour obtenir une moyenne, qui a
été utilisée ensuite pour la comparaison (cf. annexe
9).
Le recueil des données concernant les suivis RASED
et/ou orthophonique a permis de déterminer que la plupart des
élèves avaient bénéficié d'aide par un (ou
plusieurs) enseignants spécialisés durant leur scolarité
primaire. Le calcul des prises en charge RASED du groupe témoin est une
estimation obtenue en croisant des informations de plusieurs sources
différentes : le rapport RASED présenté au
sénat en 2013 qui évalue à 500 000
élèves pris en charge par les RASED en 2010/2011, et qui
précise qu'environ 25 % des prises en charge concernent des CP, classes
où elles sont majoritaires, et les plus significatives de
difficultés scolaires. En 2011/2012, le nombre d'élèves
scolarisés au CP étant d'environ 700 000 (DEPP, 2011), on
peut estimer le pourcentage d'enfants de CP pris en charge à 18 %
(125 000 prises en charge pour 700 000 élèves). En
croisant avec les observations et compte rendus d'activité des
personnels RASED du département, nous avons retenu le chiffre
approximatif de 20 %. Les résultats du volet quantitatif de la recherche
sont consignés dans la figure 4.
2.3. Analyse des résultats
Les histogrammes de la figure 4 confirment clairement les
difficultés scolaires et comportementales des élèves
accueillis en classe relais : si les résultats en lecture ne sont
pas trop décrochés de la moyenne (deux des élèves
de la classe relais sont de très bons lecteurs et font écran par
rapport aux scores des autres jeunes), les difficultés orthographiques
sont importantes pour presque tous les élèves.
Les difficultés de concentration et
l'hyperactivité apparaissent nettement au travers des réponses
à l'auto-questionnaire, et confirment les observations du terrain :
des élèves très réactifs, impulsifs, ayant du mal
à tenir assis et à écouter un cours en silence. Les
problèmes d'attention sont donc au premier plan.
Figure 4: Comparaison entre
élèves de la classe relais et les populations
d'étalonnage.
Une matrice de corrélations entre les questions a
permis de déterminer, par ailleurs, un lien élevé entre
une des questions et le résultat final : « Ne pas
interrompre les autres et ne pas les gêner dans leurs
activités » est noté comme le comportement le plus
compliqué pour les élèves les plus hyperactifs. Ce
résultat, confronté aux données qualitatives, semble
indiquer que ces jeunes ont conscience qu'ils dérangent les autres, et
laisse présager les difficultés relationnelles et les
réactions négatives qu'ils rencontrent au quotidien.
Certains jeunes, au contraire, qui présentent une
histoire scolaire compliquée, ont répondu la note maximale (10,
signifiant qu'il était très facile pour eux de ne pas
déranger les autres). Pour ces élèves dont les
résultats à l'auto-questionnaire sont aberrants compte tenu des
annotations des enseignants ou de leur histoire scolaire (par exemple, 8
à « N'interrompt pas les autres et ne les gêne pas dans
ses activités » alors que l'enfant a du changer
d'établissement pour des problèmes de comportement, ou 10
à « a ses affaires pour travailler » alors qu'il est
mentionné dans les bulletins que l'élève les oublie
constamment, etc. ), les limites de l'auto-questionnaire sont atteintes. Compte
tenu de ces éléments, les résultats à
l'auto-questionnaire minorent très certainement le TDA/H, au moins pour
certains élèves de la Classe Relais.
Un autre point surprenant mérite d'être
souligné : la classe dans laquelle le plus d'enfants hyperactifs
sont regroupés parmi les élèves des classes ordinaires
est une classe européenne, très agréable car
particulièrement vivante et réactive. L'association relativement
fréquente entre hyperactivité et précocité (Revol
et al., op. cit.) est peut être, également, un facteur
explicatif de cette concentration surprenante d'hyperactifs dans la classe
européenne. Cette information oriente sur l'hypothèse d'un TDA/H
qui jouerait un rôle de catalyseur, optimisant la
réactivité des élèves performants, et aggravant
celle des élèves en difficulté. L'hypersensibilité
notée plus haut est probablement à l'origine du fort rejet de
l'école par les élèves hyperactifs en difficulté
scolaire, les contrariétés accumulées du fait de la
médiocrité de leurs résultats étant ressenties
comme insupportables.
La part du milieu familial dans le parcours des jeunes vers la
Classe Relais a été abordée de façon qualitative.
Les facteurs familiaux jouent certainement un rôle majeur dans l'histoire
de ces élèves. Pour la plupart, on note des signes de
fragilité familiale : parents divorcés, malades, père
décédé, immigration, adoption... Le problème des
habiletés parentales est également sous-jacent, au travers
notamment de la dureté des punitions dont ces jeunes peuvent être
victimes face à leurs exactions.
L'absence de dépistage des troubles est nette : aucun
élève n'a connaissance du TDA/H, aucun membre de l'équipe
pédagogique de la Classe Relais non plus. Par contre, la plupart de ces
enfants ont bénéficié de consultations et de suivis
pédopsychiatriques ou psychologiques, et aucun diagnostic ni
questionnement au sujet d'un éventuel TDA/H n'est apparu au cours des
entretiens avec les élèves, ni dans les dossiers les concernant.
Cet absence de dépistage laisse parents, enfants, et enseignants
démunis, sans explication pertinente ni corpus théorique et
pratique d'attitudes et adaptations possibles face aux problématiques de
ces jeunes.
2.4. Conclusions
Les résultats de cette étude permettent de
constater que l'hyperactivité suffit rarement, à elle seule,
à provoquer le décrochage scolaire précoce : seule
une élève accueillie dans le dispositif présente une
hyperactivité sans difficulté scolaire. Ils montrent que la
plupart des élèves accueillis dans le dispositif sont
hyperactifs, et présentent des troubles des apprentissages
associés. Leur impatience et leur sensibilité aggravent ces
difficultés qui deviennent insupportables, augmentent leur
réactivité, et finissent par les mettre en opposition avec ce
milieu scolaire dans lequel ils sont en échec. L'observation de leurs
comportements durant le stage permet également de conclure à la
présence d'un trouble oppositionnel (cf. annexe 10) pour la plupart
d'entre eux. C'est le cas notamment de la jeune fille hyperactive citée
plus haut. Les élèves présentant un tel profil constituent
la population la plus à risque de décrochage scolaire
précoce.
Ces résultats sont en complète cohérence
avec le rapport INSERM de 2005 sur le trouble des conduites :
« Un trouble déficit de
l'attention/hyperactivité ou un trouble oppositionnel avec provocation
est souvent associé de façon comorbide au trouble des
conduites... Le trouble des conduites peut également être
associé à d'autres types de troubles mentaux : trouble
anxieux, trouble de l'humeur, trouble lié à la consommation
abusive de substances psycho-actives ou encore trouble des
apprentissages ».
(INSERM, op. cit. p.1).
Seul un élève de la classe, a priori, est
touché par un problème de toxicomanie. Par contre, la plupart
d'entre eux sont victimes d'une surconsommation de jeux vidéos
(jusqu'à 50 heures par semaine pour un des jeunes.
Les données qualitatives mettent en évidence
comment l'enseignement dispensé en classe relais est empiriquement
adapté à ces élèves en double ou triple
difficultés : une adaptation à leur niveau scolaire afin
d'éviter les déconvenues, un encadrement plus personnalisé
(consignes strictes et claires, règles de vie
régulièrement réaffirmées, explications et
mobilisation des adultes aussitôt que nécessaire...), une
concentration des temps scolaires les plus « statiques » le
matin, des activités physiques, actives et variées
l'après-midi (sport, sorties, jeux de société, ateliers
cuisine, bricolage, projets divers...), et un rythme soutenu qui correspond
à leur impatience constitutionnelle. L'appel à leurs
capacités attentionnelles est adapté à leurs
compétences dans ce domaine : limité.
Notons enfin que la plupart de ces élèves ont
été suivis par le RASED durant leur scolarité primaire.
Ces suivis n'ont pas résolu les problèmes, comme le prouvent
leurs parcours. Néanmoins, ils leur ont permis de se maintenir dans les
classes ordinaires, et, bon an mal an, de continuer à progresser.
L'absence d'enseignants spécialisés au collège ne permet
pas cette adaptation. Cette absence explique en grande partie les
décrochages précoces, et justifie la création des Classe
Relais, coordonnées par...des enseignants spécialisés du
premier degré. Cette observation met en valeur les mérites des
personnels RASED, mais aussi celui des enseignants du premier degré, qui
gèrent ces élèves au quotidien. Un des dossiers des
élèves met en évidence, à ce sujet, l'arrêt
maladie d'une de ses enseignantes, faute de pouvoir continuer à
gérer sa classe. Ces efforts méconnus ont un coût
supporté par les enseignants en termes de stress et d'épuisement
professionnel, que les psychologues scolaires sont bien placés pour
repérer.
3. Nouvelle problématique
de recherche
La revue de littérature nous a permis d'approfondir le
concept d'attention, de mettre en évidence son lien avec les
apprentissages, ainsi que les rapports étroits entre cette
faculté, la motivation, et la réussite scolaire. Nous avons aussi
exploré les problèmes attentionnels, et complété
nos connaissances concernant le trouble du déficit de
l'attention/hyperactivité, ainsi que ses répercussions sur la
scolarité des enfants concernés. En s'appuyant sur notre
expérience de terrain, nous avons exposé plusieurs cas d'enfants
hyperactifs à l'école primaire puis, lors d'une recherche
menée sur un lieu de stage choisi ad hoc, montré à quelles
extrémités certains de ces élèves se trouvaient
réduits au collège. Notre problématique de recherche
s'oriente à présent sur la scolarisation des enfants souffrant de
TDA/H à l'école primaire. Ces élèves, qui ne
parviennent pas à s'adapter au collège, ont pour la plupart suivi
une scolarité ordinaire au sein de leurs classes respectives. Quelles
modalités leurs enseignants ont-ils mis en place pour favoriser leur
adaptation ? Comment sont-ils parvenus à canaliser leur
attention ? Quelles pratiques pédagogiques sont les plus
efficaces ? Comment les enseignants des classes primaires, qui
gèrent ces enfants toute une année scolaire (voire plusieurs),
parviennent à faire classe à tous leurs élèves avec
de tels enfants ? Quelles sont les répercussions sur la classe des
comportements de ces enfants qualifiés par les enseignants du
collège d'ingérables ? Ces questions vont guider notre
nouvelle problématique de recherche qui s'oriente vers une étude
des pratiques enseignantes.
Ce travail s'organise en suivant les principes de la recherche
qualitative. Le recueil de données a été
réalisé selon différentes modalités, mais toujours
dans le respect de la complexité de la tâche des enseignants, et
dans la double optique de ne pas les gêner dans leur travail ni
occasionner de charge supplémentaire -(Bru, 2002). Les enseignantes qui
ont bien voulu participer à cette étude sont volontaires,
informées de son caractère exploratoire, dans une double
dynamique déductive et inductive : les observations et
données de terrain sont interrogées et passées au crible
d'outils et de connaissances issues de la recherche théorique,
permettant une élaboration progressive d'hypothèses
validées ou non par leur expérience. C'est ainsi que nous partons
de leurs pratiques et problématiques professionnelles, mais que
celles-ci peuvent évoluer au fur et à mesure du
déroulement de la recherche, et cette évolution aboutir à
de nouvelles pistes de réflexion. La recherche entre ainsi dans le cadre
défini par Dolbec et Clément (op. cit. p. 181) et
revêt « ... la nature cyclique et tridimensionnelle (recherche,
action et formation) de la recherche action qui s'apparente à un
processus de résolution de problèmes."
3.1. Terrain et population cible
Suite à notre stage en classe relais, nous avons pu
confirmer notre hypothèse concernant les risques accrus de
décrochage des enfants atteints de TDA/H. Il s'agit maintenant
d'étudier leur scolarité antérieure, en école
primaire. Les trois classes ont été choisies en fonction de leur
proximité et de la facilité que cela comportait pour se
rencontrer, des relations privilégiées entretenues avec les
enseignantes et de leur intérêt pour la problématique
étudiée, mais aussi du niveau considéré, puisqu'il
nous paraissait intéressant d'appréhender la gestion de la classe
en maternelle, au cours élémentaire, et au cours moyen. Dans
chaque classe était scolarisé au moins un enfant
présumé hyperactif, hypothèse validée par le
questionnaire de Conners renseigné par les enseignantes et par un bilan
psychologique pour deux d'entre eux, ainsi que par l'observation du
comportement de ces enfants en classe.
Le temps consacré à chaque classe a
été variable, en fonction de la nature du travail
réalisé avec chaque enseignante, de ses demandes et de ses
disponibilités, ou de la vie de la classe (sorties scolaires par
exemple). Les enseignantes ont participé volontiers, appréciant
de pouvoir parler en confiance de leurs pratiques pédagogiques,
sensibles à l'intérêt qui était accordé
à celles-ci, ouvertes à l'échange et dans l'enthousiasme
de pouvoir découvrir de nouveaux cadres d'analyse de leurs pratiques.
3.2. Mode de recueil et de traitement des données
L'entretien avec les enseignants a été le mode
privilégié adopté pour recueillir les données. Ces
entretiens ont eu lieu dans leurs classes, sur un mode non directif,
privilégiant le plaisir de l'échange et orienté sur leurs
préoccupations spontanées. Les thèmes abordés ont
été précisés et répertoriés par la
suite, en utilisant les notes consignées au fur et à mesure dans
un journal de bord.
Un questionnaire concernant les pratiques de chaque enseignant
en lien avec l'autodétermination (Massy et al, annexe 11),
réalisé en 2014 par notre groupe de travail dans le cadre de l'UE
9, a été proposé. Ce questionnaire est composé de
questions fermées, dont les réponses sont consignées sur
une échelle de Likert (jamais, parfois, souvent, toujours). Les
questions concernent les quatre composantes de
l'autodétermination : l'autonomie (7 questions),
l'autorégulation (10 questions), l'autoréalisation (5 questions),
et la responsabilisation (14 questions). L'annexe 12 détaille davantage
les informations recueillies par chaque question. Les réponses à
ces questionnaires ont été analysées en elles-mêmes,
compte tenu des informations recueillies sur les pratiques de chaque
enseignante. Elles ont aussi été interprétées en
référence aux résultats obtenus dans le cadre de l'UE9
(passation auprès de huit enseignants d'école
élémentaire ayant donné lieu à une analyse
approfondie). Les différences entre chaque enseignante ont
également pu donner quelques informations supplémentaires
à l'occasion de l'analyse des résultats.
Des enregistrements vidéo ont été
réalisés dans chaque classe, au début du travail, afin de
faciliter l'observation des pratiques enseignantes et des attitudes des
élèves et de déterminer les critères pertinents.
Ces enregistrements se sont révélés difficiles à
mettre en oeuvre. La nécessité de ne pas déranger,
notamment, en privilégiant une installation rapide et discrète et
en évitant tout déplacement dans la classe, a pu occasionner des
déconvenues (appareils mal mis en route, problèmes de
cadrage...). Le projet initial avait l'ambition d'enregistrer l'enseignante et
tous les élèves. Il s'est révélé
irréalisable compte tenu des difficultés techniques. Finalement,
nous avons privilégié un enregistrement de l'enseignante et d'un
groupe d'élève, choisi selon la qualité de
l'enregistrement réalisé. Si le comportement des enfants
hyperactifs ciblés a été observé dans tous les
cas, dans un des enregistrements, malencontreusement, l'enfant ne figure pas
dans le groupe filmé.
Pour les trois classes, nous avons fait le choix d'enregistrer
des séances de travail en groupe classe, donc des séquences
d'enseignement magistrales, de façon à avoir des situations
d'observation homogènes, et à cadrer notre champ d'étude
de façon réaliste.
Les enregistrements ont été soumis à
l'autorisation des parents. Un engagement a été pris
auprès des parents et des enseignantes de ne pas les diffuser.
L'élaboration de la grille d'analyse a
été progressive, mettant peu à peu en évidence la
richesse des informations recueillies. Pour chaque type d'activité
observée (lecture d'album, étude de son, lecture collective,
comptines et jeux de doigts, etc.), l'observation portait sur le comportement
de l'enseignante, et le comportement des élèves. Deux
critères principaux ont été définis : V (pour
manifestation verbale), et M (manifestation motrice). Le signe plus ou moins a
été affecté : + = manifestations dans le cadre de
l'activité proposée. - = manifestations hors du cadre, paroles ou
mouvements gênants, bruyants, etc. de la part des élèves
comme de celle de l'enseignante (en général manifestations pour
maintenir l'ordre ou reprendre un élève,
dérangement tel que téléphone ou autre). Les
interactions ont été particulièrement
étudiées, entre l'enseignant et le groupe, l'enseignant et un
élève en particulier. Les critères Coll. pour collectif
lorsque l'enseignant s'adresse au groupe, et Indiv., pour individuel lorsqu'il
s'adresse à un élève, ont été
différenciés. Par ailleurs, il nous a paru important de
repérer les interventions de l'enseignant qui donnaient la parole et
interpellaient les enfants. Le signe choisi a été le signe >.
C'est ainsi que le signe V+> veut dire que l'enseignante pose une question,
au groupe classe si le signe est dans la ligne « Maître
Coll.», à un élève en particulier si le signe est
dans la ligne « Maître Indiv.».
Chacune des trois vidéos a été
analysée par tranches de 30 secondes sur une période de 20
minutes. Le démarrage a été fixé à peu
près au début de l'activité pour chacune d'elle.
Chaque classe comportait au moins un enfant hyperactif, dont
les situations ont été approfondies. Deux des enfants ont
bénéficié d'un bilan dans le cadre de mon activité
de psychologue scolaire, pour l'un deux ans auparavant, et pour l'autre en
cours d'année. Un bilan cognitif, comprenant trois à quatre
séances individuelles avec les enfants, et un entretien avec les
parents, a permis de mieux cerner les points forts et les points faibles des
élèves, et d'avoir un aperçu de la problématique
psychologique de ces enfants. Pour le troisième, arrivé
l'année précédente dans l'école, aucun bilan n'a
été réalisé. Il ne semble pas que cet enfant ait
bénéficié d'un suivi par les membres du RASED dans son
école antérieure, mais il a été
présenté dès l'inscription par ses parents comme un enfant
agité demandant beaucoup d'attention de la part de ses enseignants, ce
qui a été confirmé par la suite. Le questionnaire de
Conners pour les enseignants évoqué plus haut (cf. annexe 4) a
été renseigné par leurs maîtresses pour chacun des
enfants.
Nous présenterons dans un premier temps la situation de
départ, puis le journal de bord du travail mené avec chaque
enseignante (augmenté de schémas réalisés avant,
pendant, ou après les entretiens), ainsi que les conclusions provisoires
du travail.
Dans un second temps, les informations recueillies lors des
différentes étapes de l'action seront indexées pour
déterminer les thèmes récurrents. Celles en lien avec les
objectifs de la recherche et les questions qui y sont afférentes seront
conservées, puis organisées afin de dégager une vue
d'ensemble des phénomènes observés, et de proposer un
modèle général relatif à l'attention de tous les
élèves, la scolarisation des élèves hyperactifs,
ses conséquences sur la gestion de classe, et les stratégies
éducatives les plus à même de faciliter l'apprentissage de
ces élèves tout en maintenant un climat de classe favorable pour
tous.
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