UNIVERSITÉ PARIS I -
Panthéon-Sorbonne
1
MASTER II Recherche de Droit Patrimonial
Approfondi
Année universitaire: 2009-2010
Mémoire de Master II Recherche
LA CHOSE CONTREFAITE
Présenté par Nicolas MONTEIL
Sous la direction de Monsieur le Professeur Philippe
DELEBECQUE
2
3
SOMMAIRE
Introduction
Chapitre 1. L'extracommercialité de la chose
contrefaite et ses incidences au regard du droit des contrats
Section 1. Le principe: la nullité
Section 2. Les exceptions: la validité de
certains contrats
Chapitre 2. La patrimonialité de la chose
contrefaite et ses implications au regard du droit des biens
Section 1. La chose contrefaite : un bien
patrimonial?
Section 2. La chose contrefaite : un bien
appropriable?
Conclusion générale
BIBLIOGRAPHIE
4
PRINCIPALES ABREVIATIONS
Act. Actualité
ACTA. Anti-Counterfeiting Trade Agreement
Al. Alinéa
Art. Article
CA. Cour d'appel
C.ass. Code des assurances
Cass.ass.plén. Assemblée
plénière
Cass.1re Civ. Cour de cassation, première chambre
civile
Cass.2e Civ. Cour de cassation, deuxième chambre
civile
Cass.3e Civ. Cour de cassation, troisième chambre
civil
Cass.Com Cour de cassation, chambre
commerciale.
C.civ. Code civil
C.cons. Code de la consommation
Cf. Confère
ch. Chambre
Chap. Chapitre
chron. Chronique
coll. Collection
comp. Comparer
CPI. Code de la propriété intellectuelle
D. Recueil Dalloz
déf. définition
Defrénois. Répertoire du notariat
Defrénois
éd. édition.
Gaz. Pal. Gazette du Palais
JO. Journal officiel
Pré. Précité
Rappr. Rapprocher.
Rec. Recueil
Rev. Revue
RTD.civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD.com. Revue trimestrielle de droit
commercial
somm. sommaire
V. voir
5
Introduction
1.- Statut particulier de la chose
contrefaite et économie - En augmentation constante depuis la
fin du XX ème siècle, la contrefaçon représente
aujourd'hui environ 10% du commerce mondial. D'une ampleur économique
considérable, les marchandises contrefaisantes suscitent de nombreuses
incertitudes sur le plan juridique. Récemment considérées
comme hors du commerce par la Cour de cassation en matière de
vente1 , elles ne semblent pas pour autant échapper à
toute activité juridique. Au même titre que les marchandises
authentiques, les marchandises contrefaisantes font l'objet d'actes juridiques
dont le contexte, bien souvent international, complexifie l'analyse.
Les marchandises contrefaites se sont répandues de
manière spectaculaire au cours de ces dernières années.
Parallèlement, les moyens de lutte contre la contrefaçon se sont
intensifiés sans vraiment parvenir à endiguer le
phénomène2. La contrefaçon est aujourd'hui un
fléau mondial qui a un coût incommensurable et difficilement
estimable pour les économies3. D'un phénomène
local et artisanal, touchant d'abord les industries du luxe, le domaine de la
contrefaçon s'est étendu depuis le milieu des années
quatre-vingt-dix pour devenir un phénomène de fraude global,
n'épargnant aucun secteur de l'économie, ni aucun produit et
utilisant toutes les voies d'acheminement possibles, dont internet. La
contrefaçon représente un chiffre d'affaires de plusieurs
centaines de milliards d'euros, qui la place au deuxième rang des
fléaux criminels, juste après le trafic de drogue4.
1.
Cass. com 24 septembre 2003 n°
01-11.504 Publication :Bull. 2003 IV N° 147 p. 166. Une
marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente. Arrêt
rendu au Visa des articles 1128 et 1598 du Code civil; Solution
réitérée même Visa
Cass. com 20 mars 2007 n° 05-13074
arrêt non pub.
2. Traité international ACTA (Anti-Counterfeiting
Trade Agreement), le texte fixe les orientations de la politique de lutte
contre la contrefaçon . Les Etats tiennent une ligne
réprésive.LEMONDE.FR
le 24 mars 2010
3. La contrefaçon en chiffres, note
Mikaël ROUDAUT, Questions d'europe n°86 14 janvier 2008
«contrefaçon en Europe: le vent en poupe - Les saisies de
contrefaçons et d'articles piratés effectuées dans l'Union
européenne s'élevaient à 75 millions en 2005 et 250
millions en 2006, soit une augmentation de 330%entre 2005 et 2006 et 1 000%
entre 1998 et 2004; En France, les saisies douanières sont
passées de 200 000 articles en 1994 à 6 millions en 2006 (soit
une augmentation de 3 000%); Le chiffre d'affaires de la contrefaçon
était estimé en 2004 à 500 milliards d'euro par soit 7
à 10% du commerce mondial;
4. Séminaire européen sur la lutte contre
la contrefaçon Mercredi 26 novembre 2008
2.-
6
Définition de la contrefaçon -
La contrefaçon doit être entendue largement. Elle est
caractérisée comme la violation d'un droit de
propriété intellectuelle, c'est à dire comme la
reproduction ou l'utilisation totale ou partielle d'un brevet, d'un dessin,
d'une marque, d'un modèle ou d'un droit d'auteur sans l'autorisation de
son titulaire. Le Code pénal ajoute sous ce même vocable les
atteintes portées au sceau de l'État, aux pièces de
monnaie, aux billets de banque et, aux effets public5. De
surcroît, bien qu'une liste exhaustive des actes de contrefaçon
soit dressée à l'article L613-3 du Code de la
propriété intellectuelle, ces derniers sont
déterminés largement, de sorte qu'on ne peut pas imaginer des
actes portant atteinte aux droits qui ne soient pas compris dans la
liste6. La loi ajoute que l'importation de produits contrefaits est
assimilée à leur fabrication7. La contrefaçon
s'apprécie selon les ressemblances et non selon les différences.
Elle consiste à reprendre un ou plusieurs éléments qui,
pour un acheteur d'attention moyenne, risquent de prêter à
confusion8.
Son domaine et son importance considérables sont
autant de facteurs de nature à compliquer l'appréciation du
statut de la chose contrefaite.
3.- Le domaine diversifié de la
contrefaçon - La chose contrefaite embrasse des
réalités très diversifiées qui compliquent
l'appréciation de son statut. Il s'agit tout autant de jouets, de
produits textiles, de logiciels, d'oeuvres littéraires, musicales et
cinématographiques (piratage), de médicaments de monnaies et
billets de banque, de produits alimentaires (dentifrice, eau minérale,
pomme, thé, alcools divers...), de parfums et produits
cosmétiques, d'appareils électriques que de pièces
détachées de véhicules, de cigarettes ou de biens
technologiques de pointe (téléphone portable, scooter
station-service, ou même -très récemment- l'« iPad!
»9).
La contrefaçon de médicaments10, est
une illustration récente de la diversité de l'industrie
contrefaisante. Le médicament fait l'objet d'un intérêt
croissant de la part des criminels. Les experts considèrent que le faux
médicament présente moins de risques pour les
5. « Contrefaçon », Vocabulaire
juridique de G. Cornu, 7e éd. p. 231.
6. Par exemple: l'utilisation du produit breveté,
l'importation, la mise dans le commerce, l'utilisation et détention
à des fins commerciales , les actes qui proposent de conclure des
contrats sur des procédés contrefaisants, et
généralement chaque fois que le cocontractant du breveté,
et spécialement le licencié, ne respecte pas les limites
posées par le contrat, il est lui-même contrefacteur.
7. L.335-2 al 3 du CPI sanctionne des mêmes peines que
la contrefaçon proprement dite l'exportation et l'importation d'ouvrages
contrefaits
8. SCHMIDT-SZALEWSKI (J.), Pierre (JL.), Droit de la
propriété industrielle 4e éd., Litec., Paris :
2007
9. L'iPed chinois copie la tablette d'Apple, cinq
fois moins coûteuse que l'original,
LEFIGARO.FR, par Marc Cherki, mercredi
2 juin 2010
10. note préc., Mikaël ROUDAUT. IV des enjeux de
santé publique patents: l'industrie du faux médicament pose un
grave danger pour les consommateurs. Chaque année, de nombreux
décès rappellent cette évidence (ex:1995, Niger :
épidémie de méningite : plus de 50 000 personnes
reçoivent de faux vaccins provenant d'un don d'un Etat les croyant
sûrs. Bilan : 2 500 morts (Voir LE MOCI n° 1637, 12
février 2004 spéc. pp. 47-8.)
7
criminels que le trafic de stupéfiants, tout en
étant plus rentable. On estime ainsi qu'un kilogramme
d'héroïne rapporte 200% de profit, tandis qu'un kilo de principe
actif de « Viagra » acheté en Inde permet d'effectuer plus de
2000% de profit.
4.- La mise hors du commerce de la chose contrefaite
- La majeure partie de la doctrine considère que la chose
contrefaite est hors du commerce depuis l'arrêt rendu par la chambre
commerciale le 24 septembre 2003, au visa des articles 1598 et 1128 du Code
civil11. Certains auteurs ont toutefois souligné que la
marchandise contrefaite n'avait pas été proclamée
expressis verbis hors du commerce par la Haute juridiction, comme cela
fut le cas pendant près d'un siècle pour les clientèles
civiles12.
5.- Hétérogénéité
de la catégorie des choses hors du commerce - Le terme de
chose est très vague13. Le plus vague de la langue
française selon M. Carbonnier14. Qui plus est, la notion de
commerce juridique ne fait l'objet d'aucune
définition unanime en doctrine. En outre, la catégorie des choses
hors du commerce est elle-même difficile à saisir. Les choses qui
composent cette catégorie laissent entrevoir plus de disparités
que d'unité15 et ne sont appréhendées par le
Code civil qu'à travers leur régime16. En effet,
l'article 1128 du Code civil ne définit la chose hors du commerce
qu'à travers un effet juridique qui lui est attaché, à
savoir que cette chose ne peut pas faire l'objet d'une convention.
Une approche compréhensive de la catégorie des
choses hors commerce permet ainsi de voir en son sein une extraordinaire
diversité d'objets. On y trouve des objets proches de la personne
humaine dont la circulation porterait gravement atteinte à sa
dignité comme à sa liberté, tels que les produits et les
éléments de son corps, le nom patronymique17, les
tombeaux ou les sépultures, les souvenirs de familles et, de
manière plus générale les droits de la
personnalité. Par extension, la catégorie des choses hors du
commerce absorbe aussi tous les objets dont la circulation porterait une
atteinte grave aux principes fondamentaux d'une
11. ref précité n°1
12. RTD Civ. 2004 p.117, obs. sous Cass; com.24 sept.2003
n°01-11. 504 note REVET (T.), ex arrêt rendu Cass.3 juillet 1986
«les malades jouissant d'une liberté absolue de choix de leur
médecin, la clientèle qu'ils constituent, attachée
exclusivement et de façon toujours précaire à la personne
de ce praticien, est hors du commerce, et ne peut faire l'objet d'une
convention»
13. Locutions latines du droit français
Roland (H); Boyer (L.) Litec 4è Edition. P 420 RES/ chose:
désignation indeterminée de tout ce qui existe.
14. Cité dans MALAURIE (Ph.),- AYNES (L.),-STOFFEL-MUNCK
(Ph.), Les obligations 2e éd., Defrénois
15. RTD Civ. 2000 p.47 Typologie des choses hors du
commerce. Note LOISEAU (G.), Il y a une incertitude sur l'inventaire de
ces choses que rien a priori ne rapproche sinon leur soustraction commune aux
actes juridiques. Les choses les plus diverses peuvent ainsi être
recensées dans cet étrange archipel ; JCP n°51, 22 decembre
1999, I 191, LOISEAU (G.)
16. art. 1128Cciv; art.1302 Cciv; art. 1598 Cciv; art. 1878
C.civ; art 2260 du Cciv; art. 2397 Ccivil.
17. GHESTIN Com. 12 mars 1985, Dalloz, 1985, D.,
1985.471,.
8
société démocratique, comme les mandats
électifs ou au bien public comme la cession des offices
ministériels.
De surcroît, la catégorie des choses hors du
commerce accueille aujourd'hui des objets que l'on retire de la circulation
juridique pour les soustraire du marché en raison du danger qu'ils
représentent. L'article L.221-1 du Code de la consommation, à
travers le principe général de la sécurité des
produits et des services offerts aux consommateurs, ouvre un champ pratiquement
illimité à cette catégorie juridique18. Outre
la nécessité de soustraire du marché les produits
contrefaisants en raison de l'illicéité fondamentale qui les
frappe, l'entrée des marchandises contrefaisantes dans la
catégorie des choses hors commerce ne surprend pas au regard de cette
dernière hypothèse: les marchandises contrefaisantes, notamment
les médicaments, sont sources de risques importants19.
6.- Évolution de la catégorie des choses
hors du commerce - Historiquement la chose hors commerce a une origine
romaine20. Le droit civil ne pouvait concerner que les choses dans
le commerce. La notion avait un caractère religieux: res divini
juris (sacrae, religiosae, sanctae). Cette
catégorie de choses était soustraite au pouvoir des hommes, car
elles étaient soumises à celui des dieux (par exemple, les
temples , les sépultures, les limites de Rome et des champs). Elle ne
pouvait, de manière absolue, faire l'objet d'actes
juridiques21.
Le contenu du commerce juridique évolue avec le temps.
Dans l'Antiquité romaine, certaines personnes pouvaient faire l'objet de
conventions au même titre que les choses. Aujourd'hui la notion de
commerce juridique permet de mettre en oeuvre une véritable politique
économique en sanctionnant par une nullité absolue les
conventions relatives à certains objets. Alors que la notion de
sacré est en recul, et même en voie de quasi-disparition, au
bénéfice de réalités économiques, s'ajoutent
à la catégorie de nouvelles choses mises hors du commerce, comme
les immeubles comportant de l'amiante dans les faux plafonds parce qu'est en
cause la santé des personnes.
La marchandise contrefaite fait également partie des
nouveaux entrants dans la catégorie des choses hors du commerce.
18. Art.L221-1:Les produits et les services doivent, dans
des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions
raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la
sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre
et ne pas porter atteinte à la santé des personnes
19. RTD Com. 2004 p.304 note. GALLOUX (J-C.)
20. Le commercium du droit romain, le commerce du
Code civil de 1804, ne sont pas le commerce au sens vulgaire, mais aussi
juridique du terme. Ce dernier y est certes contenu: une chose ne peut
être hors le commerce et être dans le marché.
21. MALAURIE (P.) , AYNES (L.), Les biens 3e ed.
Les chose hors du commerce
7.-
9
Définition de l'extracommercialité
dissociée de l'illicéité - Il convient de
distinguer les choses hors du commerce et les choses hors du marché. La
distinction se déduit du sens donné au mot commercium,
qui ne désigne pas seulement les opérations commerciales stricto
sensu mais vise le commerce juridique lato sensu, c'est-à-dire
l'ensemble des actes juridiques dont une chose peut être l'objet. Il en
résulte que si une choses hors du commerce est nécessairement
hors du marché, à l'inverse, une chose hors du marché
n'est pas forcément hors du commerce si elle peut faire l'objet de
convention à titre gratuit.
La chose hors du commerce n'est que rarement une chose
illicite en soi. En réalité l'illicéité atteint
moins la chose objet de la prestation que la prestation objet de l'obligation.
C'est parce que la chose a été mise hors du commerce par le droit
objectif que la prestation qui s'y rapporte devient illicite. L'objet de
l'interdit n'est pas la chose, mais le commerce. L'extracommercialité
doit donc être entendue comme l'impossibilité pour une chose de
circuler selon les moyens contractuels, ou plus précisément,
comme signifiant essentiellement qu'un bien ne peut pas valablement circuler
d'un patrimoine privé à un autre22.
Il semblerait, selon la jurisprudence de la Cour de
cassation, que l'interdiction23 dans le marché de la
circulation des marchandises contrefaisantes ne soit pas suffisante. Selon
certains auteurs, cette position jurisprudentielle démontre la
volonté ferme de la Haute juridiction de combattre avec
efficacité ce fléau que constitue la
contrefaçon24.
8.- Degrés de commercialité -
Entre la pleine commercialité et la pleine extracommercialité, il
existe des degrés et des gradations. Une chose peut être
soustraite à certaines actes juridiques seulement. Par exemple, les
conventions sur les produits du corps humain sont prohibées lorsqu'elles
sont faites à titre onéreux; mais elles peuvent être
valables si elles ont été conclues à titre gratuit et ont
une justification thérapeutique25. Qui plus est,
l'extracommercialité ne peut concerner que des personnes
déterminées. Cette situation se rencontre par exemple, lorsqu'il
est nécessaire que les parties soient des personnes habilitées
à contracter dans un domaine déterminé.
22. Contribution à l'étude de la valeur en
droit privé des contrats. pref J.Ghestin, LGDJ, 2002. thèse
Paris I Ph.JOUARY n°357 et s.
23. Article L716-9 CPI: «Est puni de quatre ans
d'emprisonnement et de 400 000 euros d'amende le fait pour toute personne, en
vue de vendre, fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises
présentées sous une marque contrefaite.a) D'importer,
d'exporter, de réexporter ou de transborder des marchandises
présentées sous une marque contrefaisante. b) De
produire industriellement des marchandises présentées sous une
marque contrefaisante.c) De donner des instructions ou des ordres pour
la commission des actes visés aux a et b.»
24. LPA, 28 mai 2004 n° 107, PARANCE (B.)
25. note préc., RTD Civ. 2000 p.47 Typologie des
choses hors du commerce. note LOISEAU (G.),. Thèse I.MOINE, Les
choses hors commerce. Une approche de la personne humaine juridique, LGDJ
1997 préf., E. Loquin
10
D'un point de vue dogmatique, il y a extracommercialité
seulement lorsque aucun acte juridique n'est autorisé sur la chose. Mais
les différentes études démontrent que, en
réalité, les choses qui sont recouvertes par la notion
précitée se définissent essentiellement par une
impossibilité de circuler selon les moyens contractuels26 ou
même pour un auteur, la commercialité de l'article 1128 du Code
civil doit être réservée à la circulation d'un
élément patrimonial entre deux patrimoines27.
Dans tous les autres cas, la chose n'est que partiellement
hors commerce. L'immense majorité des choses se trouvent dans une
situation intermédiaire. L'examen du droit positif nous enseigne
plutôt que la spécificité de ces choses, liée par
exemple à leur dangerosité comme les médicaments et autres
produits stupéfiants, commande seulement de soumettre les conventions
s'y rapportant à des règles particulières.
9.- Une exception au principe de la liberté des
opérations juridiques sur toute espèce de choses - La
chose contrefaite entre dans la catégorie des exceptions au principe de
la liberté des opérations juridiques sur toute espèce de
choses. Valeur économique jugée centrale, le principe de libre
circulation des biens est posé par le Code civil. Celui-ci
protège le commerce juridique et la commercialité des biens en
posant le principe de la libre disposition des biens appartenant aux personnes
de droit privé28. C'est pourquoi il est nécessaire
d'appréhender les choses hors du commerce comme des exceptions,
lesquelles ne cessent de diminuer dans une époque aspirant à la
liberté des échanges29. Le cas de la sortie des
clientèles civiles de la catégorie des choses hors du commerce
illustre cette tendance. La cession de celles-ci n'est pas illicite à
condition que soit sauvegardée la liberté de choix du
client30.
26. Pour certains auteurs l'extracommercialite s'entend pour
la chose de l'impossibilité de circuler selon les moyens contracturels
laquelle n'est pas une simple qualité mais le fondement même des
véritables choses hors commerce. I.MOINE (I.) , Les choses hors
commerce, Une approche de la personne humaine juridique, LGDJ 1997
préface E. Loquin.
27. PAUL (F.), Les choses qui sont dans le commerce au
sens de l'article 1128 du Code civil, LGDJ. 2002, préf. J.
Ghestin.
28. Zenati-Castaing (F.), Revet (T.), Les biens 3e
ed. P 71; art 537 du Code civil. Les particuliers ont la libre disposition
des biens qui leur appartiennent, sous les modifications établies par
les lois.Les biens qui n'appartiennent pas à des particuliers, sont
administrés et ne peuvent etre aliénés que dans les formes
et suivant les règles qui leur sont particulière
29. Un auteur y voit la renaissance de
l'extracommercialité sous les traits d'une économie de
marché, la protection d'un travail, valeur fondamentale. PLA, 28 mai
2004 n° 107, P. (2 commentaires: E. TRICOIRE B. PARANCE)
30. La clientèle civile n'était pas dans le
commerce selon une solution plus que centenaire. Désormais la
clientèle civile fait l'objet de transactions. Civ. 1.re, 7 nov. 2000,
cession de clientèle médicale: principe de licéité.
Notamment Defrénois 2001. 431,note LIBCHABER.
11
10.- La chose contrefaite n'est pas un sanctuaire de
non-droit31 - Il est difficile d'imaginer que des
marchandises contrefaisantes ont une extracommercialité totale. D'une
part, parce que la notion d'extracommercialité est
élastique32 et laisse souvent la place à certains
actes juridiques valables. D'autre part, parce que l'aspect économique
de la chose contrefaite, l'isole au sein de la catégorie classique des
choses hors du commerce. En effet, la chose contrefaite a pour
singularité d'avoir une réalité économique, et
d'être le plus souvent identique à la chose authentique. Ces
marchandises sont peu ou prou des biens comme les autres, elles sont
physiquement appropriables, elles ont une valeur, une utilité, elles ne
se distinguent en rien de celles qu'elles contrefont.
La chose contrefaite ne nous semble pas bannie du champ du
droit, contrairement à ce que pourraient laisser entendre les
règles visées par les magistrats de la Cour de cassation dans
l'arrêt de principe précité. Loin de constituer un
sanctuaire du non-droit, les marchandises contrefaisantes semblent pouvoir
faire l'objet de certaines conventions. Certes, la chose contrefaite semble
avoir été boutée de la sphère de la
commercialité par la jurisprudence; pour autant, il n'est pas certain
que la marchandise contrefaisante échappe à toute activité
juridique. Bien que hors du commerce, la chose contrefaite peut par exemple,
faire l'objet d'une saisie contrefaçon33. Il nous semble
évident que, tout comme la limite relative à la personne humaine,
les exceptions à l'extracommercialité sont nombreuses ou du moins
existent. En effet, d'une part, un auteur a souligné l'incertitude
concernant la question de la validité des contrats portant sur une chose
contrefaisante qui ne réalisent pas de mutation
patrimoniale34. D'autre part, une partie importante de la doctrine
refuse de réduire l'extracommercialité à
l'inappropriabilité35.
31.CARBONNIER, Flexible droit, 10e éd., LGDJ.,
Paris 2004 Chap2. L'hypothèse du NON-DROIT, p.2 Le non-droit
est l'absence du droit dans un certain nombre de rapports humains où le
droit aurait eu vocation à être présent. Il ne
désigne pas le vide absolu de droit, mais une baisse plus ou moins
considérable de la pression juridique.
32. Thèse MOINE (I.) préc., Pour cet auteur,
certaines choses, les substances dangereuses, les chose appartenant au domaine
public, peuvent relever d'un régime comparable à celui des choses
hors du commerce, sans pour autant être définies comme telles.
Elles sont simplement hors du marché.
33. n°212 SCHMIDT-SZALEWSKI (J.), Pierre (JL.),
Droit de la propriété industrielle 4e éd.,
Litec., Paris : 2007, la loi organise au profit du breveté un moyen de
preuve privilégié, consistant dans la saisie-contrefaçon
L615-5 al 2 et 3 du CPI) C'est une procédure d'une grande
efficacité dont le rôle est exclusivement probatoire.La saisie est
effectuée par huissier. Il procède a la description des objets
suspects suivie de leur saisie réelle si elle a été
autorisée
34. Revue des contrats, 01 avril 2004 n°2 p.263 note
STOFFEL-MUNCK (P.)
35. Note préc. REVET (T.)
12
En l'absence de décisions sur ces questions en droit
positif, les solutions sont incertaines et discutées. Il ressort
néanmoins de ces analyses doctrinales et de la jurisprudence que la
chose contrefaite a, sans nul doute, un statut particulier. Afin de rendre
compte pleinement de cette singularité, il conviendra d'envisager la
portée de l'extracommercialité de la chose contrefaite au regard
du droit des contrats (chapitre I), avant d'envisager sa patrimonialité
et ses implications au regard du droit des biens (chapitre II).
13
Chapitre I. L'extracommercialité de la chose
contrefaite et ses incidences au regard du droit des contrats
11.- L'article 1128 du Code civil exprime une restriction
apportée par le droit à l'emprise du contrat pour certaines
choses qui sont soustraites à la circulation juridique entre les
personnes. En principe, les conventions portant sur une chose hors du commerce
sont annulées par le juge (Section 1).
Cependant la nullité des conventions ayant pour objet
des marchandises contrefaisantes n'est pas si facilement acquise. La chose
contrefaite, fait nécessairement l'objet de certains types d'actes ou
contrats a priori valables. Ces contrats échappent, ou
devraient échapper, à la nullité dans certaines situations
(Section 2).
Section 1. Le principe: la nullité
12.- La Chambre commerciale de la Cour de cassation a
considéré pour la première fois dans un arrêt rendu
le 24 septembre 2003 que la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une
vente36 au double visa des articles 159837 et 1128 du
Code civil (§1). En raison de la portée générale de
l'article 1128 du Code civil, cette solution doit être étendue
dans son principe aux autres actes juridiques ayant pour objet des marchandises
contrefaisantes (§2).
§1 La nullité du contrat de
vente
13.- La marchandise contrefaite ne peut faire l'objet
d'une vente - La chose contrefaite n'est pas susceptible d'être
vendue. Le fondement de cette affirmation a pu être discuté en
doctrine. En effet, les deux articles visés par les magistrats de la
chambre commerciale, pris isolément, sont susceptibles de justifier la
sanction de la nullité du contrat de vente qui porte sur une chose
contrefaite. Une partie minoritaire de la doctrine rejette la
36. En l'occurence, une société exerçant
l'activité de vente de prêt-à-porter avait fait
l'acquisition auprès d'une autre société d'un lot de
vêtements qui s'avérèrent contrefaits. Condamnée
à indemniser de son préjudice la victime propriétaire des
modèles contrefaits, la société acquéreur sollicita
donc l'annulation de la vente conclue avec son fournisseur contrefacteur, mais
fut déboutée, motif pris de ce qu'il n'était pas
établi que le vendeur eût commis des manoeuvres frauduleuses pour
persuader sa cliente de lui acheter des vêtements contrefaits, ou que
celle-ci eût commis une erreur sur la propriété du
modèle. Cette décision est censurée par la Haute
juridiction qui souligne, au double visa des articles 1128 et 1598 du Code
civil, que «la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une
vente ».
37. Art. 1598 code civil.. «Tout ce qui est dans le
commerce, peut être vendu lorsque les lois particulières n'en ont
pas prohibé l'aliénation.»
14
qualification de chose hors du commerce de la chose
contrefaite en raisonnant, d'une part, à partir de l'article 1598 du
Code civil et d'autre part, en s'appuyant sur l'analyse doctrinale des choses
hors du commerce.38 Ce n'est pas pour autant que la sanction de la
nullité du contrat est écartée. Celle-ci peut être
fondée sur les lois particulières envisagées à
l'article 1598 du Code civil qui prohibent l'aliénation de la chose qui
se trouve dans le commerce.
La majorité de la doctrine a considéré,
rarement avec réserve, que la Haute juridiction avait fait une
utilisation contemporaine de la catégorie des choses hors commerce, pour
y inclure les marchandises contrefaisantes. Le contrat de vente n'est pas
valable en vertu de l'extracommercialité de son objet, lequel est de
surcroît illicite39.
Ainsi, la catégorie des choses hors du commerce permet
de mettre en oeuvre une véritable politique économique en
sanctionnant par la nullité absolue les conventions relatives à
certains objets.
A. Fondement: l'illicéité de l'objet comme
inaptitude à la commercialisation
14.- Le fondement de la nullité du contrat de
vente: l'illicéité de l'objet- Le caractère
contrefaisant suffit en soi à justifier l'anéantissement du
contrat. Il n'est pas nécessaire, d'après l'arrêt, de
prouver s'être trompé ou avoir été trompé par
le vendeur sur la légalité de la chose. L'acquéreur qui
agit en nullité de la vente est fondé à obtenir en
conséquence la restitution du prix versé. La chambre commerciale
fonde la sanction de nullité sur l'illicéité de l'objet du
contrat de vente.
La Cour de cassation rend sa solution au visa de l'article
1128 du Code civil qui dispose: « il n'y a que les choses
qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet
des conventions ». D'où il convient déduire que les
marchandises contrefaites sont hors du commerce. Afin d'asseoir cette
motivation de droit commun des contrats sur un texte spécifique à
la vente, la Cour utilise 1598 du Code civil qui, non sans redondance,
précise que « tout ce qui est dans le commerce peut
être vendu » . Il en résulte que les contrefaçons
sont insusceptibles d'être vendues, ce qui entraîne la
nullité du contrat. L'illicéité qui imprègne la
marchandise contrefaite interdit sa circulation. Cette solution civiliste n'est
pas nouvelle en droit de la propriété intellectuelle. En effet,
cette discipline a toujours interdit la circulation des contrefaçons.
38. JCPE n°4, 22 janv.2004, 114 Comm. CASTETS-RENARD.
(C.)
39. notamment, note préc., Revue des contrats, 01 avril
2004 n°2 p.263 obs. Philippe STOFFEL-MUNCK
15
B. La sanction: la nullité absolue
15.- La nature de la nullité: une
nullité absolue- Les choses hors du commerce
représentent à strictement parler un interdit infranchissable,
une source certaine de sanction judiciaire. La nature de cette nullité
de la chose contrefaite semble être absolue, c'est-à-dire,
invocable par tout intéressé. La majeure partie de la doctrine
souligne que les contrats portant sur des marchandises contrefaites sont nuls
en raison d'une illicéité objective40. L'objet du
contrat apparaît comme une source d'illicéité certaine qui
fait l'objet d'une appréciation in abstracto. Autrement dit,
toute convention portant sur une telle chose, quelles qu'en soient les
circonstances, quelle que soit la cause qui a guidé le consentement des
parties ou quelle que soit la manière avec laquelle ce consentement a
été obtenue, est nulle.
L'atteinte à l'ordre public justifie pour ces auteurs
la sanction de nullité. En effet, l'objet du contrat doit être
conforme à l'ordre public41. Or la contrefaçon est un
délit pénal et la Cour de cassation juge que l'existence de
sanctions pénales prévues en cas de violation de la règle
confirme son caractère de règle d'ordre public42.
Néanmoins, une partie de la doctrine43
estime qu'il s'agit d'une nullité relative qui peut donc être
couverte par l'assentiment à l'acte du titulaire des droits
intellectuels initialement bafoués.
Ainsi, l'extracommercialité des marchandises
contrefaites, permet d'atteindre le contrat lui même
indépendamment de la bonne ou de la mauvaise foi des contractants. En
pratique, le débiteur condamné n'a pas d'action récursoire
contre son propre fournisseur, lorsqu'il est lui-même de mauvaise foi car
il connaissait le caractère contrefaisant des objets acquis.
Désormais la voie de l'annulation lui est ouverte sans que sa bonne ou
mauvaise foi soit à considérer44
16.- Une sanction dans la continuité de la
jurisprudence antérieure- La Cour de cassation avait
déjà considéré comme illicite la vente de
procédés permettant d'établir des copies non
protégées d'un logiciel original dès lors qu'une copie de
sauvegarde avait été fournie45. En outre, la solution
énoncée ici s'induit déjà nécessairement
d'un arrêt de la Chambre commerciale du 26 octobre 1999 déniant au
détenteur de telles marchandises la
40. TRICOIRE (E.), et PARANCE (B.), obs.sous Com.24 sept.2003
n°01-11. 504 , LPA 28 mai 2004 n° 107
41. n° 181 et suiv. DELEBECQUE (P.), PANSIER (F.),
Contrat et quasi-contrat 4e éd., Litec-JurisClasseur
(LexisNexis) 2007
42.V. par ex. Cass. 1re civ. 30 juill. 1994, Bull.civ. I,
n°261, p.190; RTD civ. 1995,p.101,obs. MESTRE 43. GALLOUX (J-C.),
Action en contrefaçon: questions de procédure, RTD Com.
2004 p.304
44.V. POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284 arrêt 24
septembre 2003;
45. V.not. Com. 22 mai 1991, JCP 1992.
II, n°21792, note HUET
16
faculté d'invoquer un quelconque droit de
rétention sur celles-ci, « dès lors que leur
caractère illicite interdit leur commercialisation ». Cet
arrêt est important car il lie clairement l'illicéité de la
chose et son inaptitude à la commercialisation. On savait que son
caractère illicite interdisait qu'elle fasse l'objet d'une
sûreté réelle.
C. L'efficience du droit commun des contrats
17.- L'instrumentalisation de la catégorie des
choses hors du commerce - La doctrine a souligné à
plusieurs reprises que la catégorie des chose hors du commerce
était étendue depuis longtemps par la jurisprudence
au-delà de son champ naturel. Initialement le champ des choses hors du
commerce était déterminé par la protection des aspects
essentiels à la défense de la personne humaine, de la famille et
du domaine public46. Il a été élargi par la
prise en compte de toutes sortes de choses qui ne sont pas, par nature hors du
commerce, mais dont la négociabilité est restreinte ou interdite
ponctuellement. Comme ont pu le relever Planiol et Ripert, « la notion
de choses hors du commerce absorbe tout le champ des conventions à
objets illicites »47: Or l'article 1128 du Code civil
implique que les choses hors du commerce ne peuvent être l'objet de
celles-ci.
Ainsi un auteur souligne que l'article 1128 du Code civil est
une règle de police des échanges48. En effet, cette
disposition est le moyen de faire peser dans le champ de l'objet, et au
gré de certaines choses spécifiquement envisagées, des
considérations tenant à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. La
règle de l'extracommercialité sert à mettre des choses
à l'écart des autres choses lorsqu'il est jugé
nécessaire pour des raisons d'ordre social ou moral que sa circulation
soit empêchée.
En réalité, cette entrée dans la
catégorie des choses hors du commerce semble répondre à
des objectifs politiques et économiques. La décision
adoptée par la Haute juridiction est importante, elle prouve que le
droit commun des contrats et le droit de la vente peuvent contribuer
efficacement à la lutte contre la contrefaçon
indépendamment du droit de la propriété
intellectuelle49.
46. th.pré., MOINE (I.)
47.Traité de droit civil, t. VI (1930), par Esnein ,
n°224 ,cité par M. POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284
arrêt 24 septembre 2003
48.LOISEAU (G.), La contrefaçon est hors
commerce, PLA, 12 févier 2009 n°31, p. 69
49. D 2003 p. 2683 note. CARON (C.), les marchandises
contrefaites sont hors du commerce.
17
Conclusion §1.
18.- La sanction du contrat de vente sur une
chose contrefaite est clairement établie par le juge. Il s'agit d'une
nullité absolue qui trouve son fondement dans l'illicéité
de l'objet du contrat de vente appréhendée à travers
l'extracommercialité de la chose contrefaite. En effet, l'objet du
contrat de vente d'une chose contrefaite est illicite car au-delà
même de l'atteinte qu'elle porte au droit de la propriété
intellectuelle, la contrefaçon est un délit pénal. Or, un
contrat portant sur l'instrument d'un délit pénal constitue une
atteinte à l'ordre public. Le juge trouve dans le droit commun des
contrats, une sanction efficace et redoutable pour lutter contre le commerce de
produits contrefaisants, et ce, en marge du droit de la propriété
intellectuelle.
Le droit positif est cependant plus incertain s'agissant de la
validité des autres contrats portant sur des marchandises
contrefaisantes.
18
§2. La nullité de l'ensemble des actes
juridiques
19.- Incertitude sur la sanction des autres
opérations juridiques - La Cour de cassation a rendu sa
décision en matière de vente au visa de l'article 1128 du Code
civil. Faut-il déduire du visa de cet article que la nullité est
encourue pour l'ensemble des conventions? L'étendue de solution est
incertaine étant donné que la Cour de cassation n'a pas
qualifié expressément la chose contrefaite de chose hors du
commerce et qu'il y a peu de décisions sur les autres
variétés de conventions. Toutefois, il semblerait que la
nullité soit encoure au moins par principe, pour l'ensemble des
opérations juridiques relatives à une chose contrefaite.
Cette position peut s'appuyer essentiellement sur trois
points: la lecture de la lettre de l'article 1128 du Code civil, la
consubstantialité de l'infraction et de la chose contrefaite, et la
jurisprudence de la Cour de cassation en matière de droit des
sûretés.
A. Portée générale et surexposition de
l'article 1128 du Code civil
20. - La lettre de l'article 1128 du Code civil -
La portée générale de l'article 1128 du Code
civil s'oppose à ce que la chose contrefaite fasse l'objet de la moindre
convention. La majorité de la doctrine50 étend la
solution de la Chambre commerciale en matière de vente à tout
type de contrat, en vertu du visa de l'article 1128 du Code civil. En effet,
selon Monsieur le Professeur Caron, l'article 1598 du Code civil visé en
matière de vente ne limite pas la portée de l'arrêt.
Effectivement, la mise hors du commerce juridique signifie qu'aucun acte
juridique ne peut avoir pour objet un produit contrefaisant. La solution serait
alors identique en cas de contrat de location ou de prêt qui auraient un
tel objet illicite51. En d'autres termes, au-delà de la vente
la solution doit, semble-t-il, être étendue à toute cession
à titre gratuit ou onéreux, tels que le don, la licence ou la
location, le dépôt, le prêt. Pour les auteurs
précités, les choses contrefaites seraient alors
complètement en dehors du domaine de la volonté
contractuelle52.
.
Cependant, il convient de tempérer la position qui
consisterait à exclure systématiquement la chose contrefaite de
tout acte juridique en vertu de la portée générale de
l'article 1128 du Code civil. En effet, comme le souligne Monsieur le
Professeur LOISEAU, la jurisprudence semble faire une application excessive de
cette disposition
50. RTD Civ. 2003 p. 703 note Jacques MESTRE
51. En ce sens, CARON (C.), Les marchandises contrefaites
sont hors du commerce., D 2003 p. 2683., GALLOUX (J-C.), Action en
contrefaçon: questions de procédure, RTD Com. 2004 p.304
52 .note.prec. E. TRICOIRE
19
21.- Tempérament à
l'extracommercialité de la chose contrefaite: la surexposition de
l'article 1128 du Code civil - Le contrôle de la
licéité de l'objet est imparfait en droit positif53.
Il s'appuie en effet sur une unique disposition, l'article 1128 du Code civil.
Certes, il est possible de s'appuyer sur l'article 6 du Code civil qui prescrit
de ne pas déroger par des conventions particulières aux lois qui
intéressent l'ordre public et aux bonnes moeurs. Mais cette disposition
est générale et n'intéresse pas particulièrement le
contrôle de l'objet. Pour cette raison, on a pris l'habitude de faire de
la seule disposition de l'article 1128 du Code civil une sorte de
référence pour tout ce qui se rapporte à la
licéité de l'objet. Cette représentation de
l'illicéité à travers l'extracommercialité de la
chose n'est pas étrangère à certaines surexpositions de
l'article 1128 du Code civil. Ainsi, si la vente de marchandises contrefaites
est considérée par la Cour de cassation comme étant
illicite: un tel contrat n'est cependant pas prohibé par la loi, c'est
la contrefaçon qui l'est. Il ne peut être considéré
comme étant contraire à l'ordre public que parce que son objet
est illicite. La démarche est donc ascendante, on part de l'analyse de
la commercialité de la chose, pour en déduire la
licéité de l'obligation, laquelle contamine à son tour le
contrat.
Dans cette volonté de stigmatiser l'illicite, la notion
de chose hors du commerce n'est pas toujours utilisée avec exactitude
comme le montre la jurisprudence sur le sort du droit à
sépulture. Si le droit à la sépulture est hors du
commerce, aucune disposition légale n'interdit au
bénéficiaire de ce droit de le transmettre à d'autres
membres de la famille54. Pour certains auteurs, cette formule est
topique de l'altération de la notion d'extracommercialité. En
effet, il est contradictoire de proclamer le caractère hors du commerce
du droit à la sépulture tout en reconnaissant qu'il peut
néanmoins faire l'objet d'une transmission.
B. Une chose irréductiblement liée à
l'objet d'une infraction
21.- La consubstantialité de l'infraction et de
la chose contrefaite55- L'un des principaux arguments au
soutien de l'exclusion totale de la chose contrefaisante du domaine du contrat
est le fait que la chose contrefaite est irréductiblement liée
à l'objet d'une infraction. Il est possible de dire que l'infraction et
la chose contrefaite sont consubstantielles. Une convention ne peut en aucun
cas porter sur ce qui peut être l'instrument d'un délit
pénal ou de la violation d'un droit. La contrefaçon s'entend de
la fabrication mais également de la mise dans le commerce d'une chose
couverte par un monopole d'exploitation. Il est certain que
53.V. notamment PLA, 12 févier 2009 n°31, p. 69 obs.
LOISEAU (G.).
54. Civ 1 re 2 mars 1999: Rev.jur. Personnes & Famille juin
1999,p. 26, obs. J. Casey
55. BRUN (P.), Illicéité de la vente de choses
contrefaites Revue des contrats, 01 avril 2004 n°2, P. 337
20
cette dernière ne peut entrer qu'illicitement dans les
circuits de l'échange. En effet l'extracommercialité de la
marchandise contrefaisante présente une particularité, qui est
celle d'être dictée par l'illicéité de la chose
elle-même. L'illicéité est inhérente à la
méconnaissance d'un interdit; elle atteint le bien dans son existence
même. En d'autres termes, la chose contrefaite est différente des
autres choses qui sont classiquement soustraites à la circulation
juridique puisque celles-ci le sont de manière générale
sans être elles-mêmes intrinsèquement illicites. Dans
l'hypothèse précitée, l'illicéité de la
chose contrefaite contamine n'importe quel contrat dont elle serait l'objet.
C. L'impossibilité d'une rétention
étendue à l'ensemble des sûretés
22- L'impossibilité de faire l'objet d'une
rétention- Selon l'arrêt rendu par la Cour de cassation
le 26 octobre 199956, le caractère illicite des marchandises
contrefaites qui interdit leur commercialisation, empêche l'exercice du
droit de rétention d'un commissionnaire. Autrement dit, la Haute
juridiction pose une exception au principe retenu dans l'arrêt du 7
janvier 1992 selon lequel le droit de rétention constitue un droit
réel opposable à tous. Comme le relève l'arrêt du 26
octobre 1999, la difficulté a trait à la chose objet de la
rétention et non pas à l'opposabilité du droit de
rétention. Les choses objet de la rétention doivent a priori
se trouver dans le commerce juridique. Ainsi, la Cour de cassation avait
déjà posé les limites liées à l'ordre public
ou à l'illicéité de l'objet57. Le recours
à la catégorie des choses hors commerce semblait
déjà excessif pour une partie de la doctrine58. En
effet, la solution de la Cour de cassation pouvait se fonder seulement sur les
actes de contrefaçon: la constitution d'une sûreté sur des
objets contrefaits et surtout la réalisation de cette
sûreté, constituaient en elles-mêmes des actes de
contrefaçon.
23.- Des documents administratifs hors du commerce
objets de rétention- La position de la Haute juridiction dans
l'arrêt du 26 octobre 1999 est discutable. Certes, la Cour
56. JCP 2000, I, 209, n°14, obs. Ph. DELEBECQUE; En
l'espèce, un commissionaire de transports détenait des
marchandises qu'il entendait retenir pour garantir le paiment du prix du
transport et des avances de frais de douane effectués pour le compte de
son commettant. La situation se compliquait car la société Rochas
avait mis fin au contrat de marque la liant à la société
Marckley et elle avait obtenu la saisie-contrefaçon d'objets
fabriqués sous sa marque. Parmi ceux ci figuraient ceux détenus
par le commissionnaire. La Cour de Paris a rejeté les demandes de ce
dernier en nullité de la saisie-contrefaçon et en reconnaissance
de son droit de rétention. Le pourvoi est également rejeté
par la Haute juridicition au motif que le commissionnaire ne pouvait pas
invoquer son droit de rétention sur des marchandises contrefaites
puisque leur caractère illicite interdit leur commercialisation.
57. En ce sens, D. 2000 p. 388 PIEDELIEVRE (S.).
58. En ce sens, POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284
arrêt 24 septembre 2003;
21
de cassation n'admet pas le droit de rétention sur
n'importe quel bien59, mais elle autorise cependant le
créancier d'un automobiliste à retenir la carte grise de son
débiteur, jusqu'au paiement de sa créance alors que celle-ci est
soustraite du commerce.
De surcroît, la rétention d'une carte
d'identité ou d'un passeport ne semblent pas exclus. Qu'il s'agisse de
documents personnels ou administratifs, la chose retenue est, soit de fait,
soit de par la loi, hors du commerce des actes juridiques.
En réalité le caractère cessible de la
chose retenue n'est pas une condition du droit de rétention, et la
motivation de la Cour de cassation dans l'arrêt du 26 octobre 1999 peut
être discutée. Ainsi selon certains auteurs, le caractère
commercialisable de la chose retenue importe peu60. Le droit de
rétention qui découle d'une situation de fait doit pouvoir porter
sur des choses hors du commerce mais ce n'est pas la solution que retient le
droit positif.
24.- Une solution applicable aux sûretés
réelles - La chose contrefaite peut-elle faire l'objet d'un
gage? La réponse semble a priori négative selon
plusieurs auteurs61. En effet, selon la majorité de la
doctrine, tout bien mobilier corporel, pourvu qu'il soit dans le commerce et
qu'il ne soit pas frappé d'inaliénabilité (notamment dans
le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire) peut être
donné en gage, qu'il soit un corps certain ou une chose fongible, voire
consomptible. Le gage peut porter sur toute espèce de
meuble, à la condition qu'il soit dans le commerce, faute de quoi il ne
pourrait être réalisé. Mais le gage pourrait être
constitué sur un meuble temporairement
inaliénable62.
Certes, la comparaison avec le gage n'est pas évidente
car le droit de rétention n'est pas une sûreté pour une
partie de la doctrine et n'est même pas un droit
réel63. Cependant, celui-ci joue le rôle d'une
sûreté. Or, l'impossibilité que la chose contrefaite fasse
l'objet d'un droit de rétention valable tient au caractère
illicite de la chose objet de la rétention. Par conséquent, cette
solution semble devoir être étendue à l'ensemble des
sûretés réelles.
59. D.2000 p. 365 MAROTTE (J.) Quelques précisions
quant aux biens susceptibles de rétention
60. note préc., D.2000 p. 365 MAROTTE (J.)
Quelques précisions quant aux biens susceptibles de rétention
61.MOULY (C.), CABRILLAC (S.) , PETEL (Ph.) Droit des
sûretés Litec 8e éd., .Page 501 dans l'objet du
gage:
62. AYNES (L.) , CROCQ (P.) Les sûretés, la
publicité foncière 4e éd., Defrénois page
226.(Com 30 septembre 2008, n°07-12768, RTD civ.2008, 701 obs Crocq; I
Riassetto, «Constitution d'une sûreté portant sur un bien
indisponible» RLDC juin 2009, 3461: «Mais attendu...que
l'indisponibilité d'une valeur mobilière, quand elle est
simplement temporaire, ne fait pas obstacle à son affectation en
nantissement»
63. CABRILLAC (M.), notamment.
22
Conclusion §2.
25.- Il a été vu que la lettre
de l'article 1128 du Code civil ainsi que la dimension pénale des
marchandises contrefaisantes participaient d'une application large de la
solution retenue en matière de vente par la Cour de cassation. Ainsi, il
ne semble pas possible, au regard du droit des sûretés, que la
chose contrefaite fasse l'objet d'un droit de rétention ou d'un gage.
Néanmoins, pour une partie de la doctrine, certains biens hors du
commerce comme la carte grise semblent pouvoir faire l'objet d'une
rétention en droit positif.
Il convient de rester prudent sur champ d'application de la
sanction de nullité absolue qui serait encoure pour une convention qui
porterait sur une chose contrefaite. En effet, l'entrée de la chose
contrefaite dans la catégorie des choses hors commerce soulève
des inconvénients sur le plan théorique. L'article 1128 du Code
civil fait l'objet d'une surexposition qui déforme l'esprit du texte.
Cette variété de chose hors commerce pourrait
cependant se révéler prospère64. On pourrait y
ranger les stupéfiants, dont la loi interdit également tant la
fabrication que la mise dans le commerce (C.,art.222-35 et s.) hors des
conditions rigoureusement réglementées; ou bien encore, dans un
autre ordre d'idée, une invention non encore breveté qui serait
contraire à l'ordre public. En un mot, toute chose dont l'existence
trahit en soi la transgression d'un interdit.
64. JCP éd. g. n°13, 24 Mars 2004, III 123 Etude
par CONSTANTIN (A.), GHESTIN (J.), LOISEAU (G.), SAUPHANOR-BROUILLAUD (N.),
SERINET (Y-M)
23
Section 2. Les exceptions : la validité de
certains contrats
26.- Les choses hors du commerce font
régulièrement l'objet de conventions- La question de la
validité de certains contrats peut valablement être posée.
En effet, l'évolution législative et jurisprudentielle à
propos des choses hors commerce semble avoir vidé la catégorie de
toute substance65. Par comparaison, le corps humain66,
les clientèles civiles, le domaine public, les
sépultures67, le droit moral de l'artiste, font
régulièrement l'objet de conventions et il devient parfois
difficile de les imaginer encore comme des choses hors du commerce. Qui plus
est, certaines conventions sur des choses hors commerce sont interdites alors
qu'on les admet indirectement à titre onéreux lorsqu'elles
portent sur des valeurs. Par exemple68, par le passé,
l'extracommercialité de la clientèle civile rendait leur cession
illicite mais laissait subsister la validité d'autres prestations
licites comme celles de faire ou de ne pas faire, organisées par le
contrat de présentation69.
27.- La chose contrefaite est bien souvent identique
à la chose authentique- Si, sur le plan juridique, le
caractère contrefaisant de la marchandise l'empêche de faire
l'objet d'une convention, il n'en demeure pas moins que la chose contrefaite a
une réalité matérielle et économique. La
marchandise contrefaisante peut faire l'objet d'un certain nombre de contrats
et notamment celui dont l'objet serait la destruction de la marchandise une
fois le caractère contrefaisant constaté. En
réalité, ce sont principalement les contrats ne réalisant
pas de transfert entre deux patrimoines privés qui peuvent
s'avérer valables en droit positif (§1). De surcroît,
«l'illicite universel n'existe pas»70. Les
marchandises contrefaisantes font le plus souvent l'objet de conventions dans
un contexte international. La convention dont l'objet serait une chose
contrefaite, qui ne serait pas valable en France, pourrait, dans certaines
circonstances, être reconnue licite par le juge ou l'arbitre
étranger (§2).
65. obs. préc., TRICOIRE (E.)
66. La loi consacre expressément la possibilité
de la cession des éléments et produits du corps humain, à
titre gratuit (C.santé publ., art. L. 1211-1)
67. Certains contrats sont interdits comme la vente tandis
que d'autres demeurent valables comme la donation. Précicésement,
s'agissant des tombeaux et sépultures l'interdit n'atteint en
réalité que les actes à titre onéreux dont ils
seraient l'objet. La Cour de cassation n'est pas hostile à ce qu'ils
soient l'objet d'actes juridiques à titre gratuit qu'il s'agisse d'une
donation ou d'un leg, pour la donation: (Cass. 1re civ., 23 oct. 1968: Bull.
Civ.I, n°245; JCP G 1969, II, 15715, note R. Lindon; Defrénois
1969, art. 29275, p.325, obs. R. Savatier)
68. En outre, les autorisations administratives à
caractère personnel des exploitants de taxis dont l'économie est
illicite sous la forme d'une cession, est licite sous les traits d'une
présentation.
69. La jurisprudence admettait un tel contrat car ce n'est
pas la clientèle elle même qui faisait le contrat, mais le droit
de présentation pour lequel est retenu une valeur patrimoniale.
70. Préface thèse de COURT DE FONTMICHEL (A.)
L'arbitre, le juge et les pratiques illicites du commerce
international, LGDJ, thèse Paris II.
24
§1 Les contrats ne réalisant pas de mutation
patrimoniale
28.- Une approche restrictive de
l'extracommercialité de la chose contrefaite-Monsieur le
Professeur STOFFEL-MUNCK71 considère que
l'extracommercialié signifie essentiellement qu'un bien ne peut pas
valablement circuler d'un patrimoine privé à un autre. Il est
possible de se demander si la nullité serait encourue pour les contrats
ne réalisant pas de mutation patrimoniale comme par exemple le
dépôt, l'entreprise, ou l'assurance de chose. Selon cette
approche, les choses contrefaites appartenant à la catégorie des
choses hors du commerce, ne sont pas complètement soustraites à
la volonté contractuelle; elles peuvent laisser place à une
certaine activité juridique. Ainsi, seront succinctement
envisagés le contrat d'assurance dommage, le contrat de
dépôt, le transport, le stockage et la destruction des
marchandises contrefaisantes.
A. Un risque techniquement assurable dans le contrat
d'assurance dommage
29.- Un risque techniquement assurable dans le
contrat d'assurance dommage- Il est légitime de se demander si
la nullité serait encourue par le contrat d'assurance portant sur une
chose contrefaite. La réponse est a priori incertaine. L'article 1128 du
Code civil s'oppose à ce que les choses hors commerce fassent l'objet de
«conventions ». Pour autant, s'agissant de l'assurance dommage,
l'objet est le risque. Aujourd'hui, la vie d'une personne peut être
assurée, de même que toute autre chose, quel que soit l'usage que
l'on peut faire de cette dernière72.
Pour autant si le contrat d'assurance n'était pas nul
sur le terrain de 1128, les articles 6 ou 1133 du Code civil pourraient venir
le sanctionner d'une nullité absolue pour contrariété
à l'ordre public ou pour cause illicite, sous réserve de la bonne
foi de l'assuré. En effet si le risque lui-même n'est jamais
contraire à l'ordre public, il en va différemment de sa
couverture, réalisée par le biais de l'obligation de couverture
dont est tenu l'assureur. Celle-ci peut avoir un objet illicite quand
l'intérêt général s'oppose à la prise en
charge du risque. Tel est le cas notamment des activités de
contrebandes73.
30.- Autrement dit, même si le risque peut être
techniquement assurable, sa couverture par l'assurance peut être
prohibée pour des raisons d'ordre public. Il s'agirait alors d'une
71. note préc., STOFFEL-MUNCK (P.), citant les
thèses préc., de MM. PAUL (F.) .,JOUARY (P.)
72. V. notamment l'arrêt validant l'assurance de
l'immeuble qui sert de maison de tolérance CA Amiens, 1er juillet 1901
Gaz.Pal. 1901.2644;Cass. Req., 4 mai 1903, Gaz. Pal. 1903. 2394). Ex pris dans
l'ouvrage de BIGOT (J.), et alii, Droit des assurances, t.3, Le contrat
d'assurance, LGDJ, 2002.
73. Cass.req.,28 mars 1928, D. 1928.287 NIBOYET;
Cass. Com., 17 oct.1972, RGAT,
1973.355.
25
inassurabilité juridique de la marchandise
contrefaisante et non d'une inassurabilité technique. La Cour de
cassation n'a jamais eu l'occasion de se prononcer sur la question. Toutefois,
il semble que la nullité du contrat d'assurance pour
contrariété à l'ordre public ne soit pas difficile
à constater par le juge dès lors que le caractère
contrefaisant des marchandises a été démontré.
Ainsi, même si l'assurance d'une chose contrefaisante ne semble pas
impossible, l'hypothèse où l'assurabilité des marchandises
contrefaites serait reconnue apparaît comme étant improbable.
31.- L'impossibilité d'appliquer les
règles du contrat de dépôt sur une chose contrefaite-
S'agissant du contrat de dépôt relatif à une chose
contrefaite, la jurisprudence et la majorité de la doctrine semblent
s'opposer à une telle possibilité. Le contrat de
dépôt ne peut porter que sur une chose qui se trouve dans le
commerce. Cette interdiction justifie que les règles du contrat ne
s'appliquent pas à une sécrétion contenant le germe de la
vie et destinée à la procréation d'un être
humain74. Il semble donc que le contrat de dépôt de
marchandises contrefaisantes ne soit pas admis devant le juge.
B. L'interdiction légale de transporter une chose
contrefaite
32.- L'interdiction du transport de la marchandise
contrefaite: une limite à la libre circulation des marchandises-
En principe, l'envoi peut être composé de toute
marchandise, c'est-à-dire de tout bien meuble corporel pouvant faire
l'objet d'un contrat commercial. Néanmoins, le législateur
apporte certaines limites. D'une part, la loi interdit d'importer ou
d'exporter, de réexporter ou de transborder des marchandises
présentées sous une marque contrefaisante, sous peine d'une
sanction pénale de quatre ans d'emprisonnement et de 400 000 euros
d'amende (cf. article L716-9 du Code de la propriété
intellectuelle). D'autre part, certaines choses ne peuvent faire l'objet d'un
contrat de transport parce qu'elles sont placées hors du commerce par le
législateur comme par exemple l'absinthe75. La chose
contrefaite ne pourrait pas a priori faire l'objet d'un contrat de
transport qui ne soit pas déclaré nul par le juge.
Toutefois, une fois que les produits contrefaisants ont
été reconnus faux, les conventions qui organisent le transport
des marchandises contrefaisantes vers un centre de recyclage ou de destruction
sont, semble-t-il, valables.
74. TGI Créteil, 1er août 1984 JCP 1984. II.
20371, note S. Corone; v. cep. Cass. 2e civ. 17 juillet. 1991. Bull. civ. II,
n°233, RTD civ. 1992. 412, obs. P.-Y. Gautier, pour le dépot de
cadavre
75. Loi du 16 mars 1915 JO 17 Mars 1915, relative à
l'interdiction de la fabrication, de la vente en gros et au détail,
ainsi que la circulation de l'absinthe et des liqueurs similaires.
33.-
26
Validité de l'enlèvement de marchandises
contrefaisantes?- Monsieur le Professeur BRUN76 estime que
l'extracommercialite de la marchandise contrefaisante ne s'oppose pas à
ce que la chose contrefaite fasse l'objet d'un enlèvement. Celui-ci se
définit comme l'opération matérielle par laquelle le
destinataire retire les marchandises transportées dont la livraison a
été acceptée77. Ainsi, imaginons que le
caractère contrefaisant des marchandises ait été
constaté. Celles-ci pourraient être confisquées et
expédiées en vue de leur destruction soit à un
établissement spécialisé, soit à l'auteur du droit
violé. Dans cette hypothèse la convention qui aurait pour objet
l'enlèvement de marchandises contrefaites serait valable.
C. Les contrats de stockage et de destruction d'une
chose contrefaite
34.- Validité des conventions organisant le
stockage et la destruction de marchandises contrefaisantes- Des
marchandises contrefaisantes sont découvertes massivement chaque
année. Le stockage et la destruction des produits contrefaisants sont
devenus de grands sujets de préoccupation dans bon nombre de pays. Face
à l'ampleur du phénomène, des structures commerciales
privées visant notamment au recyclage des produits contrefaisants ont vu
le jour. Au niveau européen, la SNB-REACT 78, dont
l'infrastructure de recyclage est située au Pays-Bas, est notamment
spécialisée dans le stockage, le transport et la destruction des
marchandises contrefaites79. Cette société fournit
toute l'aide nécessaire pour saisir, détenir et détruire
les marchandises contrefaisantes. Ainsi, cette société
privée gère des entrepôts et des conteneurs vers lesquels
les produits contrefaisants sont expédiés dès qu'ils ont
été identifiés comme des faux. Les installations de
l'organisation sont placées sous la surveillance des douanes et la
destruction des produits est organisée et prise en charge
financièrement par la société privée. Ainsi, les
marchandises contrefaisantes peuvent donner lieu à une convention. En
échange d'une contrepartie financière des sociétés
membres titulaires des droits de propriété intellectuelle, la
SNB-REACT, s'oblige à stocker et détruire les produits
contrefaisants. L'acheminement, parfois long, des marchandises
déclarées contrefaisantes fait également l'objet d'un
contrat de transport valable.
76. BRUN (P.), Illicéité de la vente de choses
contrefaites Revue des contrats, 01 avril 2004 n°2, P. 337.
77. Def. Vocabulaire juridique Cornu, (G.) 7eme éd.
p.352
78. SNB-REACT est un groupement à but non lucratif qui
rassemble quelque 160 sociétés détenant des marques de
renommée mondiale. Cette organisation privée est financée
par les sociétés qui en sont membres.
79. Le stokage et la destruction de produits
contrefaisants, par M. BROHM Ronald, Amsterdam (Pays-Bas) ; Organisation
Mondiale de la propriété intellectuelle ; COMITÉ
CONSULTATIF SUR l'APPLICATION DES DROITS Cinquième session
Genève, 2 - 4 novembre 2009
27
Conclusion §1.
35.- En prenant comme point de départ
la définition de l'extracommercialité établie par les
différentes études de MM. PAUL et JOUARY, il est possible de
s'interroger sur la validité des conventions qui ne réalisent pas
de mutation patrimoniale. Parmi celles-ci apparaissent des conventions
techniquement valables. Une convention peut concerner une chose illicite et
être, dans certaines situations, admise si la convention ne vise aucun
marché et ne porte pas atteinte aux titulaires des droits de
propriété intellectuelle. Bien que le risque soit techniquement
assurable dans l'assurance dommage, sa couverture par l'assureur serait
certainement prohibée pour des raisons d'ordre public. En outre, la
chose contrefaite ne semble pas non plus pouvoir faire l'objet d'un contrat de
dépôt en raison de sa nature illicite.
Ce n'est que dans certaines situations que des conventions
d'enlèvement, de transport, et de stockage et destruction, de la chose
contrefaite sont valables. La validité de ces conventions permet de
distinguer la chose contrefaite parmi les autres choses hors du commerce.
28
§2 Les actes juridiques valables en droit
international
36.- «L'illicite universel n'existe
pas»80- L'illicite est une notion variable d'un
Etat à l'autre, il n'existe pas d'illicite universel. Les marchandises
contrefaisantes ont -pour une écrasante majorité- une origine
internationale. Ces marchandises se voient appliquer les règles
juridiques des pays sur lesquels elles se trouvent. Si le droit français
assimile les marchandises contrefaisantes aux choses hors du commerce, il est
intéressant de s'interroger sur le sort des actes juridiques dont la
chose contrefaite ferait l'objet dans un contexte international.
Les contrefacteurs cherchent à exploiter les vides
juridiques et le laxisme des administrations partout où ils existent.
Par exemple, pour le transport, il est désormais bien connu que les
contrefacteurs recourent à l'acheminement indirect qui s'explique par le
souci de tromper la vigilance des autorités douanières. La
rupture de charge consiste à dissimuler l'origine du produit, en le
faisant passer par plusieurs territoires différents, avant de l'envoyer
vers sa destination finale. Les exemples permettant d'illustrer cette tactique
sont nombreux Par exemple, le 9 juillet 2002, une expédition de 2,6
tonnes de fausses montres, en provenance de Hong Kong et à destination
de l'Espagne, a été saisie à Roissy.
37.- L'extracommercialité en droit
comparé81- L'intérêt pour la notion
d'extracommercialité se trouve aussi partagé par d'autres
systèmes juridiques et par le droit international. Car la même
question juridique se présente dans quasiment tout système de
droit: toute chose peut-elle être objet de conventions légitimes?
Les droits d'origine romano-germanique s'étant directement
inspirés du Code civil reprennent la notion, en son contexte
même82. D'autres droits l'utilisent avec davantage de recul
par rapport au Code français. En revanche, les droits anglo-saxons ne
connaissent pas la notion de chose hors commerce elle-même. Ils ont
recours à une approche beaucoup plus pragmatique. Bien que le droit
anglais ne semble pas connaître la notion précitée,
certains contrats peuvent être illicites en raison de
l'illicéité de leur objet. Etant donné que le délit
est un acte illicite lui-même, a fortiori, le contrat est illicite s'il
oblige à un délit. En outre, le contrat ne doit pas être
contraire à l'ordre public.
80. n°69 préface,COURT DE FONTMICHEL (A.),
L'arbitre, le juge et les pratiques illicites du commerce
international, LGDJ, thèse Paris II.
81. thèse préc., MOINE (I.), n°91, p.69
82. Droits directement inspirés du Code
Natpoléon
A. 29
L'illicéité de la vente d'une chose
contrefaite en droit international
38.- Principe de l'illicéité de la
vente de marchandises contrefaites en droit international83-
Imaginons que la marchandise contrefaite soit légalement
commercialisée dans un pays tiers. En droit français, la vente
d'une marchandise contrefaite est dépourvue d'objet et de
surcroît, est illicite. Pour qu'un contrat soit valide, certaines
conditions relatives à son objet et à sa cause doivent être
réunies. Ces deux instruments de contrôle sont à la
disposition du juge pour s'assurer de la conformité du contrat à
l'ordre public et aux bonnes moeurs. La validité de ce contrat se
vérifie par rapport au droit applicable au contrat; la validité
du contrat sera du domaine de la lex contractus .
La technique de la prise en considération d'une
règle impérative par le juge d'un État tiers permettrait
d'interférer avec les conditions de validité d'un tel
contrat84. En effet, même si le droit applicable au contrat ne
prohibe pas la vente de marchandises contrefaites, ce droit applicable peut
considérer comme nul un contrat qui contreviendrait aux règles
impératives de l'État d'exportation. La nullité devrait
ainsi être encoure pour l'ensemble des conventions.
B. Décisions reconnaissant la validité de
la vente de choses illicites
49.- Exceptions : la validité de certains
contrats de vente de marchandises illicites importées ou
exportées- Il arrive parfois que des contrats de vente
internationaux aient un caractère illicite et soient reconnus valables
par le juge. Par exemple, le juge étatique avait considéré
au début du XX ème siècle que « l'exportation
d'une marchandise en pays étranger où sa vente est
prohibée ne constitue pas un acte de contrebande au regard de
la loi française si la circulation est permise en France
». La contrebande à l'étranger peut d'ailleurs faire
l'objet d'un pacte licite85.
En outre, pour ce qui est d'un contrat de vente de
marchandises importées ou exportées illicitement, certaines
sentences arbitrales ont fait preuve d'un grand libéralisme. Par
exemple, si la marchandise n'était pas prohibée sur le territoire
de l'État dont le droit était applicable au contrat, l'objet du
contrat ne pouvait être illicite, même si l'entrée sur le
territoire de l'État de la destination de marchandise était
prohibée. En 1966, ces arbitres ont adopté une attitude
relativement libérale vis-à-vis de la
contrebande86.
83 Thèse prec., COURT DE FONTMICHEL (A.), n°656 et
suivant p 301.
84 Pour une illustration, thèse précitée
n°391 et suiv p 209.
85. CA Aix-en Provence, 2 févr. 1926, JDI, 1926, p.918
«la contrebande à l'étranger peut faire l'objet d'un
pacte licite ». Solution validée par la Cour de cassation.
C.Cass.(Req.), 28 mars 1928, JDI, 1929, p.333
86 Thèse préc., n°150 et suiv.p. 104
30
C. La détention licite d'une chose
contrefaite
42.- La licéité de la détention
en France de produits revêtus d'une marque contrefaite-
Rappelons que pour que le délit de contrefaçon par importation
soit réalisé, il convient que la marque soit
protégée sur le territoire français87.
L'élément constitutif de la contrefaçon par importation de
l'art. L.716-988 suppose que les marchandises aient
été importées en vue d'une mise dans le commerce ou d'une
utilisation sur le territoire français89. Lorsque des
marchandises arguées de contrefaçon proviennent et sont à
destination d'un pays tiers à l'EEE (transit externe), elles n'ont
été ni importée ni détenues en vue d'une mise dans
le commerce ou d'une utilisation sur le territoire français; elles
n'entrent donc pas dans les prévisions de l'art. L.716-9 du Code la
propriété intellectuelle.
Une décision intéressante a été
rendu en matière de détention d'une chose contrefaite. En
principe le seul fait de détenir des marchandises contrefaites constitue
un délit assimilé à la contrefaçon. Peu importe
qu'il y ait eu ou non transfert de propriété. Or une solution de
la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 juillet 2007 affaire
Nutri Rich90 a retenu que «... procédait
d'un motif légitime, la détention en France de
produits revêtus d'une marque contrefaite en vue de leur
exportation vers un pays tiers où il n'est pas contesté
qu'ils sont licitement commercialisés.»
Autrement dit, la Cour de cassation juge que dans certaines
circonstances, la détention de marchandises contrefaisantes peut
être licite en France alors que la législation l'interdit et que
la chose contrefaite est hors du commerce. Les marchandises contrefaites
échappent dans cette situation à la répression. Pour
certains auteurs91, cette solution est difficile à justifier
que l'on se tourne vers le droit communautaire ou vers le droit interne.
87. Crim. 26 mars 2008, n°05-17.035.
88. L716-9 CPI: Est puni de quatre ans d'emprisonnement
et de 400 000 euros d'amende le fait pour toute personne, en vue de vendre,
fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises
présentées sous une marque contrefaite : a) D'importer,
d'exporter, de réexporter ou de transborder des marchandises
présentées sous une marque contrefaisante ; b) De produire
industriellement des marchandises présentées sous une marque
contrefaisante ; c) De donner des instructions ou des ordres pour la commission
des actes visés aux a et b. Lorsque les délits prévus au
présent article ont été commis en bande organisée
ou lorsque les faits portent sur des marchandises dangereuses pour la
santé, la sécurité de l'homme ou l'animal, les peines sont
portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500 000 euros
d'amende.
89. Paris, 30 janv. 2009, «Pfizer»: PIBD 2009, III,
p. 926
90. Com. 10 juil. 2007 arrêt Nutri Rich,
Bull.civ. IV, n°189; D. 2007; AJ 2112, obs. Daleau; RTD com. 2005. 714,
obs. Azéma ; DURRANDE (S.) Recueil Dalloz 2009 p. 691 Droit des marques
juin 2007-septembre 2008 91.note préc., AZEMA.
31
Conclusion §2.
43.- La libre circulation des marchandises
domine les échanges internationaux sous certaines limites parmi
lesquelles figure nécessairement le commerce des marchandises
contrefaites. Bien que l'illicite soit variable d'un État à
l'autre, le principe est que la commercialisation des produits contrefaisants
est illégale en droit international. Cependant des vides juridiques
existent, et les contrefacteurs essaient de les exploiter au mieux. Les
sentences arbitrales et les décisions des juges étatiques peuvent
parfois surprendre et valident indirectement des actes juridiques ayant pour
objets des marchandises illicites ou contrefaites.
32
Conclusion chapitre I
44.- A l'instar, des autres choses qui
composent la catégorie des choses hors du commerce, la chose contrefaite
peut à titre d'exception, faire l'objet d'une convention en droit
interne comme en droit international. Le contrôle de la
licéité de l'objet du contrat est, semble-t-il trop souvent
appréhendé à travers la question de
l'extracommercialité. Une chose peut être hors du commerce tout en
étant parfaitement licite. Mais tel n'est pas le cas de la chose
contrefaite dont le commerce justifie l'application de sanctions pénales
à ses différents intervenants. Partant de cette
illicéité intrinsèque à laquelle ne sont pas
forcément soumises les autres choses hors du commerce, la
quasi-intégralité des conventions sur une chose contrefaisante
sont annulées par le juge.
A cet égard, de nombreux auteurs ont souligné
que les instruments disponibles en droit positif permettaient
déjà d'annuler la convention sur une chose contrefaite sans que
soit besoin de faire appel à l'extracommercialité.
Néanmoins, la mise en oeuvre de l'effet de l'article 1128 du Code civil
par le juge a pu être appréhendée comme la traduction d'une
ferme volonté de lutter contre la contrefaçon.
Souvent parfaitement identique à la chose authentique,
la marchandise contrefaisante n'échappe pas à tout contrat en
raison, principalement, de sa réalité matérielle et
économique. Contrairement aux autres choses hors du commerce, la chose
contrefaite doit être acheminée, stockée, détruite
ou recyclée. Dans certaines situations, elle peut être
détenue valablement et parfois même être vendue. La chose
contrefaite a donc semble-t-il un statut particulier au regard du droit des
contrats.
33
Chapitre 2. La patrimonialité de la chose
contrefaite et ses implications au regard du droit des biens
45.- Embarras du droit positif autour du concept de
patrimonialité.- Le concept de patrimonialité recouvre
des réalités diverses en droit positif et n'est pas exempt de
conventions de langage. Il n'existe pas de textes définissant la notion
de patrimonialité. On s'est interrogé sur le sens du mot en 1994
lorsque plusieurs auteurs ont tenu à souligner que le législateur
n'avait pas employé, à l'article 16-1 du Code civil, l'expression
de droit patrimonial dans son acceptation technique (droit réel ou droit
de créance inclut dans le patrimoine) mais dans son sens vulgaire de
droit monnayé92. C'est précisément dans ce
dernier sens qu'il convient d'envisager dans un premier temps la
patrimonialité de la chose contrefaite. Le Vocabulaire
juridique de G. Cornu, définit d'ailleurs la notion
précitée comme le caractère de ce qui est dans le
patrimoine, comme ayant une valeur pécuniaire.
46-. La chose contrefaite, contrairement aux autres choses
hors du commerce a une référence: la chose authentique. La chose
contrefaite qui a au moins, peu ou prou la même réalité
matérielle qu'une chose authentique lui emprunte-t-elle une partie de
son régime? La chose contrefaite n'a peut être aucune valeur sur
un marché licite mais elle nous semble physiquement appropriable.
Afin de rendre compte de la patrimonialité de la chose
contrefaite il convient de considérer deux aspects. D'une part,
l'évaluation pécuniaire de la chose contrefaite, ce qui revient
à se demander s'il est possible de donner une valeur à des
marchandises contrefaisantes (Section 1). D'autre part,
l'appropriabilité de ces marchandises. Car si la chose contrefaite est
hors du commerce, cela ne signifie pas qu'elle est hors patrimoine. En effet,
certaines choses peuvent être appropriées et n'avoir aucune valeur
marchande en raison de l'anéantissement de la faculté de disposer
de leur propriétaire (Section 2).
Section 1. La chose contrefaite : un bien
patrimonial?
47-. Le caractère illicite de la chose contrefaite
empêche la fixation d'un prix qui soit valablement reconnu par le droit
positif. D 'un point de vue monétaire la chose contrefaite n'a aucune
valeur. (§1) Mais sur le plan indemnitaire la chose contrefaite donne
nécessairement lieu à une évaluation qui s'avère
délicate (§2) .
92. Ce que le législateur a voulu condamner est la
vénalité du corps humain.
34
§1 Les limites juridiques de la valeur
économique de la chose contrefaite
A. L'absence de valeur juridiquement chiffrable d'une chose
contrefaite
48.- Le principe de l'absence de valeur juridiquement
chiffrable des choses hors du commerce93- L'analyse
économique est tentée de reconnaître une valeur à
toute chose à condition que celle-ci soit à la fois utile et
rare. Mais cette analyse ne vaut pas sur le plan juridique. Sur celui-ci, il
est des choses qui ne sont pas susceptibles d'évaluation
pécuniaire. Ce qui signifie avant tout que certaines d'entre elles ne
sauraient se voir attribuer un prix. L'affirmation de
l'extrapatrimonialité et l'extracommercialité posent les limites
de la sphère marchande et assignent une place bien définie au
marché dans l'ordre social. Par principe, les choses contrefaites ne
peuvent se voir attribuer une valeur marchande car elles ne sont pas
susceptibles d'être échangées.
49.- L'extracommercialité comme outil de refus
de la patrimonialisation de la chose contrefaite?- La Cour de
cassation, tout comme le législateur, a recours à la notion
d'extracommercialité afin de marquer nettement son refus de voir
monnayer certains biens94. Par comparaison, les produits du corps
humain ne sont envisagés au titre de choses hors commerce que pour mieux
insister sur l'interdit d'en disposer à des fins mercantiles. C'est pour
cette raison que la loi permet qu'ils fassent l'objet de certains actes
à titre gratuit.
Toutefois, ce propos est à tempérer car on a vu
avec la jurisprudence antérieure en matière de clientèle
civile95 que le droit peut reconnaître de la valeur à
une chose tout en la plaçant hors du commerce juridique au sens de
l'article 1128 du Code civil. De cette extra-commerciliaté, dont
était frappée la clientèle civile, on ne devait pas pour
autant déduire son extra-patrimonialité. En effet, ces
clientèles civiles étaient susceptibles de faire l'objet d'une
évaluation pécuniaire pour les partages de
communauté96 ou en cas de succession97. Le
régime juridique façonné par la jurisprudence aboutissait
donc à regarder la clientèle civile comme une valeur
économique constituant l'objet d'un droit patrimonial, tout en refusant
qu'elle
93. JOUARY (P.), Contribution à l'étude de la
valeur en droit privé des contrats, thèse Paris I, dir.
Ghestin (J.) n°365 et svt.
94. ex des sépultures, éviter qu'elles fassent
l'objet d'un traffit Cass. Req.16 juillet. 1928: DP 1929, 1, p 157, note G.
Monsarrat
95. Cass. Civ. 1re, 3 juillet 1996, Bull. Civ., I, n°287
p.200, D.S. 1997, Somm. p.170 obs .
R. Libchaber. es malades jouissant
d'une liberté absolue de choix de leur médecin, la
clientèle qu'ils constituent, attachée exclusivement et de
façon toujours précaire à la personne de ce praticien, est
hors du commerce et ne peut faire l'objet d'une convention
96. Cass. Civ. 1re, 29 avril 1954, JCP. 1954, II, 8249 note
P. Bellet
97. Cass. Civ. 1re, 19 novembre 1968, Rép.
Defrénois 1969, p. 585 note J. Mazeaud
35
puisse faire l'objet d'une cession à titre
onéreux. L'existence d'une valeur était donc conçue en
dehors de l'échange. Les choses dans le commerce sont, à ce
moment-là de leur existence, forcément patrimoniales, au sens
où elles sont susceptibles d'évaluation pécuniaire.
Néanmoins, une chose peut, de fait, avoir une telle valeur tout en
étant placée, par le législateur ou par les juges, hors du
commerce juridique.
Une quelconque valeur attribuée à la chose
contrefaite porte nécessairement atteinte aux titulaires de droits de
propriété intellectuelle. L'extracommercialite de la chose
contrefaite participe donc de la volonté du juge d'éviter
l'attribution d'une valeur aux marchandises contrefaisantes.
B. Réalité économique de la chose
contrefaite
50-. La valeur illégale mais réelle de
la chose contrefaite- L'extracommercialité et
l'extra-patrimonialité fixent les limites de la sphère marchande
d'une chose. Si la première proscrit dans son sens strict qu'une chose
fasse l'objet de convention y compris à titre gratuit, la seconde
interdit qu'une chose fasse l'objet d'une quelconque valeur98. Or la
chose contrefaite a certainement une valeur en dehors de la sphère
marchande qui est le seul espace légal de l'échange. Par exemple,
certaines personnes peu scrupuleuses achètent le produit contrefait en
connaissance de son caractère faux. Elles achètent sciemment une
contrefaçon car elles savent qu'elles ne pourront jamais s'offrir la
chose authentique. En achetant consciemment une chose contrefaite, ce type
d'acheteur accorde une valeur à de fausses marchandises et se constitue
demandeur d'un marché pourtant totalement prohibé. Ce
marché étant illicite, la chose contrefaite n'a en ce sens aucune
valeur au regard du droit mais en a au contraire dans certaines pratiques
sociales répandues. La chose contrefaite est sous cet angle quelque
chose d'utile et rare en ce qu'elle répond à un besoin dont elle
permet la satisfaction. Les marchandises contrefaisantes ont donc au minimum
une réalité économique et créent de surcroît
des préjudices commerciaux considérables. Si elle n'a pas de
valeur sur le marché licite, elle a un coût.
51.- L'absence de valeur pécunniaire licite-
Sous cet angle la chose contrefaite se rapproche du bien
extra-patrimonial comme par exemple les droits de la personnalité, qui
ne pouvent jamais faire l'objet d'une évaluation pécuniaire. En
refusant la patrimonialisation de certaines choses, le droit dénie
simplement la possibilité qu'il leur soit attaché un prix.
98. Thèse préc., JOUARY (P.)
36
Cependant, le prix doit être distingué de
l'indemnisation que recevra éventuellement le propriétaire des
choses authentiques. Selon M. JOUARY, l'extra-patrimonialité ne se borne
pas à suggérer qu'une chose ne puisse être mesurée
à l'aune de l'étalon monétaire mais pose une limite
à la sphère marchande99. Il précise qu'il est
impossible de déduire du caractère extrapatrimonial d'une chose
qu'elle ne peut pas être l'objet de convention ou plus
généralement d'un acte juridique.
C. Une restitution en valeur inenvisageable
53.- La question des restitutions - Comme il
a été vu, le contrat de vente qui porte sur une marchandise
contrefaisante est sanctionné par une nullité absolue. Cette
nullité implique un anéantissement rétroactif de l'acte.
La jurisprudence limite de plus en plus cette rétroactivité en
fonction des intérêts lésés. Cependant dans
l'hypothèse de l'anéantissement d'un contrat de vente, une
restitution en valeur est inenvisageable100. En effet, comme il a
été rappelé, les choses hors commerce n'ont pas de valeur
juridiquement chiffrable.
Qui plus est, les décisions rendues en matière
de nullité du contrat de vente semblent avoir précisément
comme ambition de dénier une quelconque valeur marchande à la
chose contrefaite101. La doctrine a souligné que ces
décisions devraient produire une effet prophylactique s'agissant des
contrefacteurs, exposés désormais au risque de devoir restituer
le prix de vente perçu, les marchandises étant quant à
elles, confisquées.
54.- Refus récent de la prise en compte des
marchandises contrefaisantes dans le calcul des dommages et
intérêts- Cette question a trait plus
précisément au droit de le propriété
intellectuelle. Un auteur102 a souligné que l' article L335-7
du Code de la propriété intellectuelle103
prévoyait, dans sa rédaction antérieure à loi du 29
octobre 2007, une prise en considération de la remise des marchandises
contrefaisantes à la victime dans le calcul des
99. En ce sens, E. GAUDEMET, Théorie
générale des obligations, Sirey 1965, p.94. L'auteur
définit plus largement une chose hors du mmerce «comme une chose
qui ne peut faire l'objet d'actes juridiques accomplis par des particuliers.
«
100. note MESTRE (J.) RTD Civ. 2003 p. 703
101. Arrêts préc.,
Cass. Com 24 septembre 2003 n°
01-11.504 Publication :Bull. 2003 IV N° 147 p. 166. Une
marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente. Visa des
articles 1128 et 1598 C.civ.; Solution réitérée même
Visa
Cass. com 20 mars 2007 n° 05-13074
non pub.
102. note préc. M. POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004
p.284 arrêt 24 septembre 2003.
103. Ancien art L335-7 abrogé par la loi du 29
oct.2007 «Lorsqu'il est fait application de l'article
précédent, le matériel, les objets contrefaisants et les
recettes ayant donné lieu à confiscation seront remis à la
victime ou à ses ayants droit pour les indemniser de leur
préjudice ; le surplus de leur indemnité ou l'entière
indemnité s'il n'y a eu aucune confiscation de matériel, d'objets
contrefaisants ou de recettes, sera réglé par les voies
ordinaires»
37
dommages et intérêts. Ainsi l'article disposait
que «...les objets contrefaisants et les recettes ayant donné
lieu à confiscation seront remis à la victime ou à ses
ayants droit pour les indemniser de leur préjudice». Autrement
dit la valeur des objets contrefaisants confisqués venait en diminution
des indemnités auxquelles avait droit la personne dont le droit de
propriété intellectuelle avait été violé.
Dans cette perspective, la loi reconnaissait en réalité une
certaine valeur aux choses contrefaisantes et donc une dimension
patrimoniale.
En réalité cette règle était
discutable, car ces objets contrefaisants ne présentaient pour la
victime aucune valeur, le seul intérêt de leur remise étant
de lui permettre de les détruire afin d'éviter qu'ils ne
retournent dans le circuit commercial. C'est probablement ce qui a
poussé à une abrogation de l'article dont la disposition
pertinente dispose désormais à l'article L335-6 que « la
juridiction peut ordonner la destruction, aux frais du condamné, ou la
remise à la partie lésée des objets et choses
retirés des circuits commerciaux ou confisqués, sans
préjudice de tous dommages et intérêts ».
En effet, la confiscation et le sort des objets contrefaits
relèvent de la peine privée, voire d'une mesure conservatoire.
Ainsi, en principe, la remise de la chose contrefaite n'a aucune incidence sur
le calcul des dommages-intérêts en droit positif. Le
législateur s'est donc prononcé récemment en faveur d'une
absence de reconnaissance d'une quelconque valeur patrimoniale de la chose
contrefaite.
Conclusion §1.
55.- La chose contrefaite ne peut faire
l'objet d'une évaluation pécuniaire en raison de son interdiction
dans la sphère marchande. Elle est en principe inévaluable.
Étant donné qu'elle ne peut faire l'objet d'un échange sur
un marché licite, le droit ne peut lui reconnaître aucune valeur.
Certes, une approche économique tendrait vers la reconnaissance d' une
valeur à la chose contrefaite. Celle-ci fait l'objet d'une demande
à moindre prix sur un marché illégal, mais l'analyse
juridique (extracommercialité et extra-patrimonialité) s'y
oppose.
Le législateur, à travers la loi du 29 octobre
2007 a supprimé une anomalie législative qui consistait en une
prise en compte de la valeur des marchandises contrefaisantes remises à
la victime dans le calcul de ses dommages et intérêts.
En réalité, si sur le plan pécuniaire la
chose contrefaite ne peut se voir attribuer aucune valeur, sur un tout autre
plan une évaluation chiffrée est indispensable. La chose
contrefaite fait l'objet d'une évaluation indemnitaire
délicate.
38
§2 L'évaluation indemnitaire de la chose
contrefaite
56.- Une évaluation indirecte de la chose
contrefaite- Il est souvent fait état dans la presse de
marchandises contrefaites saisies. Les douanes, se prononcent alors sur une
estimation de leur valeur104. Or cette évaluation ne
procède que par référence à la valeur de la chose
authentique dans la sphère marchande. Cette évaluation ne peut
être qu'une estimation approximative, car nul ne sait le plus souvent
à quel prix les marchandises contrefaisantes auraient été
écoulées sur le marché. La chose contrefaite n'est
évaluée que dans le cadre du préjudice économique
qu'elle cause au titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Ce préjudice est délicat à estimer. Les dommages et
intérêts alloués à la victime sont aléatoires
et il est difficile de percevoir ce qui justifie des différences de
montant.
A. L'évaluation approximative du préjudice
économique des titulaires de droit
55.- Difficultés à estimer le
préjudice des titulaires de droit105- Le
préjudice réellement subi par la victime de contrefaçon
est difficile à estimer. La totalité des pertes subies par le
titulaire des droits, n'est peut être pas totalement imputable au
contrefacteur. Pour évaluer ce préjudice, il est fait appel aux
principes généraux du droit à réparation (cf. le
principe indemnitaire: tout le préjudice, rien que le préjudice).
Les dommages et intérêts ont pour mesure le préjudice sans
que la situation financière de l'auteur de la contrefaçon n'entre
en considération. Traditionnellement le montant des dommages et
intérêts est fonction de la perte subie et du gain
manqué.
Le gain manqué correspond aux produits que le titulaire
de la marque n'a pas vendu en raison de l'existence de la contrefaçon.
Il est difficile à chiffrer. L'existence de la contrefaçon peut
avoir détourné les acheteurs du produit original soit parce que
certains consommateurs n'ont pas acheté le produit original trop
vulgarisé selon eux par la présence de contrefaçons
multiples, soit parce que des consommateurs peu regardants ont
préféré acheté un même bien contrefait
à moindre coût106.
Les pertes subies correspondent en premier lieu aux
marchés perdus du fait de la contrefaçon. Par exemple,
l'existence de la contrefaçon peut avoir détourné des
annonceurs, ou d'éventuels licenciés, fait échouer une
opération de cession, ou empêché une
104. V. notamment Bilan 2007 de l'action de la douane La
Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 16, 17 Avril 2008, act.
209
105. DURRANDE (S.) Recueil Dalloz 2009 p. 691 Droit des marques
juin 2007-septembre 2008
106. Si l'on prend l'exemple de la contrefaçon d'une
grande marque de luxe : tous ceux qui ont acheté un costume Cerruti
contrefait à 270 € n'auraient certainement pas acquis l'original
à 1 200 € (TGI Paris, 11 janv 2008, PIBD 2008. III. 230).
39
diversification projetée par le titulaire de la marque.
Il se peut aussi que le contrefacteur en raison de ses capacités de
production, qui sont parfois supérieures à celles du titulaire de
la marque, se soit implanté sur des marchés que ce dernier aurait
pu conquérir. Par exemple, en pratiquant des prix inférieurs, il
est devenu fournisseur de l'Administration.
B. L'impossible réparation de la perte d'une chose
contrefaite
56.- L'indemnisation de la perte d'une chose
contrefaite - L'évaluation de la perte de la chose ne
correspond pas à une fonction marchande mais à une fonction
indemnitaire. En l'absence de solution sur la question, il est possible de
raisonner par analogie avec la jurisprudence n'admettant pas l'indemnisation de
la perte d'avantages obtenus de manière illicite107. On sait
que, par exemple, une victime ne peut obtenir la réparation de la perte
de ses rémunérations que si celles-ci sont licites108.
Le rapprochement des décisions laisse penser que le juge ne peut pas
accorder la force de son imperium à une demande dont l'objet
est d'obtenir la jouissance d'un avantage illicite. La perte des marchandises
contrefaites ne pourrait, dans cette perspective, donner lieu à
réparation.
C. L'engagement de la responsabilité du gardien
d'une chose contrefaite
57.- Responsabilité du gardien d'une chose
contrefaite - Le gardien d'une chose contrefaite peut-il engager sa
responsabilité? La Cour de cassation ne s'est jamais prononcée
sur la responsabilité du gardien d'une chose strictement hors du
commerce. Cependant imaginons qu'un dommage soit causé par ladite chose
et qu'il faille lui trouver un gardien. Il conviendrait de dissocier deux
hypothèses; celle en présence d'une garde de fait de celle en son
absence où il faudrait se retourner contre le propriétaire,
gardien présumé.
Si au moment du dommage une personne en maîtrisait le
comportement, il semble alors que son gardien verrait sa responsabilité
engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses
inanimées. Car la garde est un pouvoir de fait sur une chose,
indépendant de l'aptitude de celle-ci à faire l'objet d'un
pouvoir de droit tel qu'une appropriation109. Selon la
jurisprudence, seules sont soustraites à l'article 1384 al 1 les res
nullius110. Si l'on se réfère
107.opinion de Monsieur le professeur STOFFEL-MUNCK note
préc.
108. Cass.civ.2e, 24 janvier 2002, Bull. Civ II, n°5 ; D.
2002 p. 2559 note D. Mazeaud)
109. Les obligations, MALAURIE (P.), AYNES (L.) 2e
ed. p. 85 la responsabilité du fait des choses; ;DELEBECQUE (P.),
PANSIER (F.), Contrat et quasi-contrat 4e éd.,
Litec-JurisClasseur (LexisNexis) 2007 le fait d'une chose, n°254 et
suiv..
110. Mazeaud (H.) , RTD civ., 1959. 325, sous Cass. Civ. 2,
18 decembre 1958 «une res nullius ne peut pas avoir de gardien, en
raison même de sa nature, nul n'ayant sur elle un pouvoir de
commandement»
40
aux solutions adoptées par la Cour de cassation en
matière de res derelictae, ou encore en matière de
produits dangereux111 le gardien d'une chose contrefaite
pourrait engager sa responsabilité112.
Si au moment du dommage, personne n'avait une maîtrise
du comportement de la chose contrefaite, il sera a priori
nécessaire de se retourner contre le propriétaire, gardien
présumé. Une partie de la doctrine considère que cette
solution serait inefficace en raison de l'incompatibilité entre
l'appropriation et l'extracommercialité113. Cependant, selon
notamment
M. le professeur REVET, une approche moderne du droit de
propriété permet d'envisager la propriété de la
chose hors commerce et donc d'une chose contrefaite. Dans cette
hypothèse où il est reconnu que la chose contrefaite peut faire
l'objet d'un droit de propriété sans pouvoir circuler, il serait
possible de se retourner contre le propriétaire gardien
présumé. Comme le remarque M. le professeur STOFFEL-MUNCK, cette
situation ne suppose pas que les avantages normalement liés à
cette propriété puissent être réclamés en
justice. Certes, la solution qui serait adoptée dans une telle situation
demeure très incertaine. Toutefois, l'extracommercialité ne met
pas la chose contrefaite à l'abri de causer un dommage en raison de sa
réalité matérielle.
Conclusion §2.
58.- La chose contrefaite soulève des
difficultés d'évaluation sur le plan indemnitaire lorsqu'on se
place dans la perspective d'une indemnisation des victimes des
contrefaçons. S'agissant de sa perte, son illicéité
s'oppose semble t-il à une indemnisation.
En l'absence de décisions jurisprudentielles, il y a
tout lieu de penser que, au regard du droit positif, le gardien d'une chose
contrefaite engagerait sa responsabilité aussi bien en présence
d'une garde de fait que d'une garde présumée. Si personne n'en
maîtrise le comportement au moment du dommage, le propriétaire
gardien présumé engage sa responsabilité. En effet selon
une partie de la doctrine, la chose contrefaite est physiquement
appropriable.
111. note préc., LOISEAU (G.) Typologie des choses
hors du commerce, lesquels peuvent être plus ou moins hors commerce
comme certains textiles au composé chimique nocif pour la santé.
Lorsque l'éviction est générale c'est à dire quand
sont interdits entre toutes personnes non seulement les actes onéreux
comme la vente mais aussi ceux à titre gratuit, la chose peut être
considérée comme étant effectivement hors du commerce. Par
exemple décret du 24 septembre 1990 interdit la fabrication, la vente
ainsi que la distribution à titre gratuit de textiles et vêtements
traités à l'oxyde de triaziridinylphosphine ou au
polybromobiphényle et prescrit la destruction de ceux qui seraient
déjà dans le marché. Leur extracommercialité est
alors bien totale et ne laisse place à aucune possibilité de
circulation, même restreinte à des circuits
spécialisés.
112. notamment Civ 2. 18 juin 1997 Villedieu c/ commune des
Cisternes la Forêt, Groupama et autres. Revue générale du
droit des assurances, 01 avril 1998 n° 1998-2, P. 327 , note REMY (P.)
La victime qui s'approprie une chose abandonnée et exerce sur elle
les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle, en devient le gardien
(pour un détonateur trouvé dans une carrière).
113. notamment thèse préc., MOINE (I)
41
Section 2. La chose contrefaite: un bien
appropriable?
59.- Une chose appropriée - La
réponse à la question de savoir si une chose contrefaite est ou
n'est pas appropriable est essentiellement doctrinale. Elle dépend de la
portée de la règle tirée de l'article 1128 du Code civil.
Selon une acceptation commune, la chose est une entité naturelle ou
artificielle susceptible ou non d'appropriation. Le bien est vu comme une chose
appropriée ou du moins juridiquement prise dans une relation
d'exclusivité. Si donc tous les biens sont des choses, à
l'inverse, toutes les choses ne sont pas des biens, car ils ne sont pas tous
appropriables. La chose contrefaite est semble t-il une chose
appropriée.
60.- Portée de l'article 1128 du Code civil
- La doctrine se divise sur la portée de la règle
tirée de l'article 1128 du Code civil. En résumé, on
distingue trois courants.
Pour certains cette règle ne viserait que la seule
chose insusceptible d'appropriation, ce qui conduit à mettre sur le
même plan l'extracommercialite de la chose et
l'extrapatrimonialité prises dans leur sens le plus juridique . Pour
d'autres au contraire, la portée de l'article 1128 du Code civil serait
générale et il concernerait toutes les choses qu'elles soient ou
non appropriées. Enfin, selon un dernier courant, l'article 1128 du Code
civil n'a de sens que si la chose hors du commerce se trouve appropriée,
faute de quoi, il serait redondant de prohiber qu'elle change de
maître114. En effet, dire qu'une chose inappropriable est hors
du commerce n'apporte rien. C'est cette dernière opinion qui nous semble
le mieux rendre compte du droit positif. Il convient d'exposer ces
différents courants.
61.- Cette division révèle deux
modalités très différentes de concevoir la mise hors du
commerce. La mise hors du commerce peut être appréhendée
soit comme un état de la chose attachée à sa nature
(conception naturaliste), soit comme un interdit légal qui affecte le
pouvoir de disposer (conception positiviste). Dans le premier cas,
l'extracommercialité apparaît comme un réflexe de
l'inappropiabilité de la chose contrefaite (§1) alors que dans le
second cas, elle se présente plutôt comme une anomalie affectant
son appropriabilité (§2).
114. Selon Monsieur le Professuer REVET le
commerce juridique est un critère de distinction des biens et non pas un
critère de distinction des choses non appropriées
42
§1 Une chose inappropriable
A. Réduction de l'extracommercialité à
l'inappropriabilité
62.- Une incompatibilité entre appropriation et
extracommercialité115- Une partie de la doctrine
semble réduire l'extracommercialité à
l'inappropriabilité, ce qui exclurait automatiquement la
propriété d'une chose contrefaite. Selon cette conception,
l'extracommercialité est le reflet du caractère inappropriable de
la chose. L'appropriation de la chose contrefaite est donc impossible en raison
de sa nature même. Cette analyse est fondée sur une approche
objective.
63.- Les choses inappropriables sont hors du commerce-
La mise hors du commerce d'une chose peut se déduire de son
caractère inappropriable. Dans cet esprit, il a été dit
que la clientèle est inappropriable, donc elle est hors du commerce. De
même, les choses communes sont généralement
considérées comme étant hors du commerce juridique parce
qu'elles échappent à l'appropriation.
Parmi les auteurs qui préconisent d'aligner la
conception d'une chose hors du commerce sur celle de la chose insusceptible
d'appropriation, une grande partie se réfère au corps humain pour
défendre l'idée que celui-ci ne peut constituer un objet
contractuel puisqu'il est associé par nature à la personne.
L'extracommercialité du corps permet de s'assurer son
inaliénabilité, ce qui garantit qu'aucun droit réel sur le
corps ne peut résulter d'un contrat. Il existe donc un lien très
fort entre la propriété et l'extracommercialité.
B. Lien intrinsèque entre
l'inappropriabilité et l'extracommercialité
64.- L'extracommercialité, un
dérivé de l'inappropriabilité116- Dans
les hypothèses où l'extracommercialité de la chose se
présente comme un dérivé de son inappropriabilité,
cette extracommercialité est le résultat d'une
impossibilité. Il n'est pas interdit de contracter sur une chose
commune, il est impossible. Faute pour la chose d'être l'objet d'un droit
privatif, celle-ci ne peut circuler juridiquement entre les personnes et
être l'assiette d'un contrat qui en organiserait la transmission. Selon
cette approche, il n'est pas alors contestable
115. thése préc.,MOINE (I.)
116. LOISEAU (G.), Typologie des choses hors du commerce,
RTD Civ. 2000 p.47.
43
de considérer que ce qui est insusceptible
d'appropriation (choses communes, corps humain) est hors du commerce. Cette
extracommercialité revêt un caractère nécessaire;
elle constitue fondamentalement un état de la chose qui, en raison de sa
nature inappropriable, se trouve nécessairement soustraite à
l'emprise des volontés individuelles.
C. Une appropriation contraire à la fonction
sociale du contrat
65.- Une appropriabilité contraire à la
fonction sociale du contrat - Un auteur117 s'appuie sur la
fonction sociale de la propriété et du contrat pour exclure
l'idée d'appropriabilité des marchandises contrefaisantes. En
effet la contrat n'a de sens que dans l'optique de la réalisation de la
propriété. Si on ne reconnaît pas la validité du
contrat ayant pour objet une chose contrefaite (extracommercialité), la
propriété de la chose ne peut être reconnue. Si la chose
n'est pas utile et rare, il ne sert à rien de reconnaître sa
propriété . Par conséquent, il ne peut y avoir de contrat
hors du domaine de la propriété. Si la chose contrefaite ne peut
faire l'objet d'un contrat, alors son appropriation est impossible.
64.- L'absence de propriété licite? -
A l'appui de l'inappropriabilité de la chose contrefaite, il
peut être rappelé que la possession, l'exploitation ou
l'utilisation d'un bien contrefait sont constitutives d'une infraction
pénale. En outre, l'absence de propriété licite sur la
chose provient de ce que sa simple détention est source d'une atteinte
à l'ordre public.
Il en résulte selon cette approche que la
qualification de choses hors du commerce est particulièrement bien
adaptée pour la chose contrefaite. Dans cette perspective, la
propriété de la chose contrefaite ne peut être
qu'illicite.
Conclusion §1.
65.- Une partie de la doctrine exclut
l'appropriabilité des choses hors du commerce et donc a fortiori
de la chose contrefaite. La situation des biens est
déterminée à partir d'eux mêmes. Il peut être
également soutenu, en vertu de cette approche, que les utilités
qui pourraient être tirées de la propriété d'une
chose contrefaite auraient un caractère illicite.
Cette approche qui n'est qu'une façon
d'appréhender la règle tirée de l'article1128 du Code
civil ne nous semble pas la mieux adaptée. Au contraire, il semble
simpliste de réduire l'extracommercialité à
l'inappropriabilité.
117. TRICOIRE (E.), et PARANCE (B.), obs.sous Com.24 sept.2003
n°01-11. 504 , LPA 28 mai 2004 n° 107.
44
§2 Une chose appropriable
66.- La chose contrefaite est une chose
appropriée - Selon une autre conception doctrinale, la
propriété de la chose contrefaite n'est qu'altérée
par l'extracommercialité. Deux arguments plaident en faveur d'une
reconnaissance de la propriété de la chose contrefaite. D'une
part, dans l'approche subjectiviste, la commercialité participe de la
condition de propriétaire. Être propriétaire c'est avoir
établi une relation d'exclusivité avec une chose, d'où
résulte notamment la faculté d'engager cette chose dans les actes
juridiques. La commercialité n'est pas une qualité des choses
mais elle désigne l'étendue du pouvoir de disposition du
propriétaire. Elle n'interdit que le pouvoir de disposition du
propriétaire. D'autre part, l'article 1128 du Code civil est mis en
oeuvre par la jurisprudence comme une règle de police délimitant
les pouvoirs du propriétaire.
A. Une chose physiquement appropriable
67.- L'appropriabilité de la
corporalité d'une chose contrefaite118 - Les
marchandises contrefaisantes sont a priori des biens comme les autres,
physiquement appropriables. Le caractère illicite des choses produites
par contrefaçon en interdit le commerce mais non la
propriété. La propriété qu'en a le contrefacteur ne
saurait lui conférer le droit d'en disposer, puisqu'il les a
réalisées alors qu'il n'était pas titulaire du droit
d'exploiter une idée appartenant à autrui. Le droit de
propriété qu'il a sur les choses corporelles n'est pas
contestable, car ce droit puise sa source dans la propriété des
matières premières et dans l'acte de fabrication
68.- L'absence de droit d'exploiter- Le
contrefacteur n'a pas le droit d'exploiter la chose puisqu'il viole un droit de
propriété intellectuelle. Il est donc dépourvu du droit de
reproduire la propriété incorporelle. En effet, le contrefacteur
est privé de droits sur le principe de sa chose, il est dans
l'impossibilité de l'engager dans un acte quelconque. Il ne peut
exploiter la chose dont l'idée appartient à quelqu'un d'autre.
Comme il n'a pas de droit sur l'idée, il ne peut donc pas en
disposer.
118. n °31 p70 Les biens ZENATI-CASTAING. 3e
éd. puf.
45
B. Le simple anéantissement de la faculté
de disposer
69.- L'extracommercialité comme restriction du
droit de propriété119 - Dans un
système subjectiviste, où seule la relation d'exclusivité
fait la propriété, un propriétaire qui est privé du
pouvoir de disposer de son bien n'en reste pas moins propriétaire. En
effet, la faculté de disposer de la chose n'est qu'un attribut du droit
de propriété. Sous cet angle, la commercialité ne
désigne que l'étendue du pouvoir de disposition du
propriétaire. Cela signifie que l'extracommercialité n'est que la
neutralisation légale du pouvoir de disposer de tel type de bien.
De surcroît, une chose hors commerce n'est pas pour
autant une res nullius ou une chose commune. Une chose hors commerce
reste une chose appropriée. Le droit de jouissance reste intact,
même si le droit de disposer est anéanti.
70.- Le droit de propriété dans le
Common Law: le caractère secondaire du droit de disposer de la chose
(Property need not necessarily be susceptible of transfer in common law system)
- En droit de la common law, le fait que le bien soit susceptible
d'être transféré ne définit pas la qualité de
propriétaire. Cet élément de droit comparé va dans
le sens d'une possible appropriation de la chose contrefaite.
L'extracommercialité ne limite que l'emprise des volontés
individuelles sur la chose mais non la relation d'exclusivité entre une
personne et une chose. Même si la chose ne peut être vendue ou
-plus largement- transférée, les pays de common law reconnaissent
la propriété de la chose.
C. L'extracommercialité : technique du droit
objectif contenant les droits du propriétaire
71.- L'extracommercialité, règle de
police de l'objet contenant les droits du propriétaire- La loi
et la jurisprudence, à travers l'article 1128 du Code civil interdisent
ponctuellement de disposer de certains biens. L'extracommercialité
apparaît alors, de ce point de vue, comme une condition inhabituelle de
la chose puisqu'elle porte atteinte à un bien qui parce
qu'approprié serait normalement disponible. De façon
exceptionnelle, malgré son appropriation, ce bien n'est pas disponible
pour une raison déterminée. Ce n'est que par détermination
de la loi que ces choses sont mises hors de commerce. Leur commerce n'est
pas
119. note préc., RTD Civ 2004 REVET; Les biens
ZENATI-CASTAING. 3e éd. puf. Page 67, le commerce juridique est une
criètre de distinction des biens et non pas un critère de
distinction des choses non appropriées
46
souhaitable. La loi n'entrave que la circulation juridique.
Dans cette perspective, l'extracommercialité constitue une technique
permettant au droit objectif de contenir les droits des propriétaires
sur leurs biens quand cela se révèle nécessaire pour
préserver l'ordre social. Tel est le cas de la chose contrefaite ou de
l'investiture donnée par un parti à un candidat à une
élection politique120 ou encore, le cas des produits
périmés121. Ce dernier exemple rend bien compte de la
mobilité de la qualification de chose hors de commerce tout en
confirmant qu'une telle qualité ne tient pas à la nature de la
chose. En effet, la marchandise, avant de se périmer, constituait
assurément un bien dans le commerce et ce n'est que pour des raisons de
politique sanitaire et la sécurité des consommateurs
(l'intérêt général - l'ordre public) qu'elle a
été mise hors de commerce.
Conclusion §2.
72.- Si l'on considère le droit de
propriété comme un pouvoir exclusif sur une chose, alors dans
cette perspective la chose contrefaite peut faire l'objet d'un droit de
propriété. Le propriétaire n'aura que la
propriété de la corporalité de la chose, mais n'aura pas
le pouvoir d'engager le bien dans un rapport juridique. La chose contrefaite
sera donc indisponible puisque son maître ne peut l'engager dans un acte
juridique. La règle de police de l'objet tirée de l'article 1128
du Code civil confirme cette approche. L'article vise avant tout des choses
appropriées pour lesquelles le droit, à titre exceptionnel,
restreint certains pouvoirs liés à leur propriété,
en empêchant d'en disposer.
120. Civ 1ere 3 nov. 2004, n°02-10880 ,Bulletin 2004 I
N° 237 p. 199 « la cour d'appel après avoir souverainement
établi que la cause de l'engagement souscrit était en
réalité l'investiture du candidat par l'association et l'exercice
des fonctions électives sous son étiquette, a retenu à bon
droit qu'une telle cause était illicite comme portant sur un objet hors
commerce»
121. Com 16 mai 2006 N° de pourvoi: 04-19785
(publié au bull) Le chainage de la Cour de cassation renvoie à
l'arrêt rendu sur la chose contrefait: Chambre commerciale, 2003-09-24,
Bulletin 2003, IV, n° 147, p. 166 (cassation)
47
Conclusion chapitre II.
73.- La patrimonialité de la chose
contrefaite entendue dans son sens le moins juridique, c'est-à-dire au
sens de la pécuniarité, est inexistante sauf rares exceptions.
Dépourvue de marché licite, la chose contrefaite ne peut avoir
une quelconque valeur marchande. En revanche, elle peut faire l'objet d'une
évaluation délicate dans un cadre indemnitaire.
L' absence de valeur ne signifie pas pour autant que la chose
contrefaite est hors patrimoine. La chose contrefaite n'est pas exclue de la
sphère de la patrimonialité prise dans son sens le plus juridique
(caractère de ce qui est dans le patrimoine). Elle peut faire l'objet
d'un droit de propriété valable mais ce droit est contenu par
l'interdit qui est fait à son propriétaire d'en disposer. Cette
interdiction se fait au moyen de l'extracommercialité qui limite la
circulation juridique du bien. En d'autres termes, la chose contrefaite est
dans le patrimoine du propriétaire mais n'est pas disponible. Elle a
donc un statut particulier qui lui permet d'échapper au
prérogatives des créanciers. En ce sens
l'extracommercialité ne se distingue pas de l'indisponibilité.
Cette propriété de la chose contrefaisante a des implications,
notamment en matière de responsabilité du propriétaire
gardien présumé de la chose.
L'utilité technique et normative de l'article 1128 du
Code civil en tant qu'instrument de police contractuelle confirme cette
approche.
48
Conclusion générale
74.- La chose contrefaite n'est pas, en
raison de sa mise hors du commerce, bannie du champ du droit. Cette
extracommercialité, faute d'avoir été consacrée
expressis verbis par la Cour de cassation, est reconnue par la majeure
partie de la doctrine.
En partant de cette absence de commercialité, il a
toutefois été constaté qu'une certaine activité
juridique autour de la chose contrefaite était possible. La chose
contrefaite fait nécessairement l'objet d'actes juridiques valables
aussi bien en droit interne qu'en droit international.
Cette chose n'a pas de valeur à défaut d'un
marché licite, mais elle peut être appropriée. A cet
égard, la chose contrefaite fait partie du patrimoine du
propriétaire mais est rendue indisponible par son
extracommercialité. Il s'agit d'une propriété
particulière, les avantages normalement liés à cette
propriété ne peuvent être réclamés en
justice.
Cette analyse prend valablement appui sur la règle
tirée de l'article 1128 du Code civil. En effet, si l'on prend
l'extracommercialité du Code civil comme une règle de police qui
prive le propriétaire du droit de conclure tout espèce d'acte
juridique cela a deux conséquences. D'une part, la
propriété de la chose contrefaite est admise sans que pour autant
une quelconque valeur lui soit reconnue. D'autre part, la règle ne
valant qu'à titre de principe, il est possible d'y voir un certain
nombre d'exceptions comme pour la majorité des autres choses hors du
commerce.
49
BIBLIOGRAPHIE
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- Bilan 2007 de l'action de la douane La Semaine
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- Dossier de presse, Séminaire européen sur la
luttre contre la contrefaçon. Mercredi 26 novembre 2008 (sur
http://www.budget.gouv.fr)
- Le stokage et la destruction de produits
contrefaisants, par M. BROHM Ronald, Amsterdam (Pays-Bas) ; Organisation
Mondiale de la propriété intellectuelle ; COMITÉ
CONSULTATIF SUR l'APPLICATION DES DROITS Cinquième session
Genève, 2 - 4 novembre 2009
- L'iPed chinois copie la tablette d'Appel, cinq fois moins
couteuse que l'original,
LEFIGARO.FR, par Marc Cherki, mercredi
2 juin 2010
-
LEMONDE.FR Une version de travail du
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- ROUDAUT (M.), La contrefaçon en
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«contrefaçon en Europe: le vent en poupe»
- Propos d'accueil par Guy CANIVET, premier président de
la Cour de cassation, les contrats portant sur les choses hors commerce,
l'exemple des organes humains, Cycle droit, économique
et justice 25 septembre 2006
- Rapport d'information présenté par la
délégation de l'assemblée nationale pour l'union
européenne ,sur la lutte de l.Union européenne contre la
contrefaçon, 8 juillet 2005
53
TABLES DES MATIERES
SOMMAIRE 3
PRINCIPALES ABREVIATIONS 4
INTRODUCTION 5
CHAPITRE 1. L'extracommercialité de la chose
contrefaite et ses incidences au regard
du droit des contrats 13
Section 1. Le principe : la nullité 13
§1. La nullité du contrat de vente
13
A. Fondement: l'illicéité de l'objet comme
inaptitude à la
commercialisation 14
B. Sanction: nullité absolue 15
C. Efficience du droit commun des contrats en matière de
lutte contre la
contrefaçon 16
Conclusion §1 17
§2. La nullité de l'ensemble des actes
juridiques 18
A. Portée générale et surexposition de
l'article 1128 du Code civil 18
B. Une chose irréductiblement liée à
l'objet d'une infraction 19
C. L'impossibilité d'une rétention
étendue à l'ensenble des sûretés
20
Conlusion §2 22
Section 2. Les exceptions : la validité de
certains contrats 23
§1. Les contrats ne réalisant pas de mutation
patrimoniale 24
A. Un risque techniquement assurable dans le contrat
d'assurance
dommage 24
B. L'interdiction légale de transporter une chose
contrefaite 25
C. Les contrats de stockage et de destruction de marchandises
contrefaites 26
Conclusion §1 27
§2. Les actes juridiques valables en droit
international 28
A. L'illicéité de la vente d'une chose contrefaite
en droit
international 29
B. Décisions reconnaissant la validité de la vente
de choses illicites 29
C. La détention licite d'une chose contrefaite
30
Conclusion §2 31
Conclusion du chapitre I 32
54
CHAPITRE 2. La patrimonialité de la chose
contrefaite et ses implications au regard
du droit des biens 33
Section 1. La chose contrefaite: un bien patrimonial?
33
§1 Limites juridiques de l'évaluation
économique de la chose contrefaite 34
A. L'absence de valeur juridiquement chiffable de la chose
contrefaite 34
B. Réalité économique de la chose
contrefaite 35
C. Une restitution en valeur inenvisageable
36
Conclusion §1 37
§2 L'évaluation indemnitaire de la chose
contrefaite 38
A. L'évaluation approximative du préjudice
économique de titulaires de
droit 38
B. L'impossible réparation de la perte d'une chose
contrefaite 39
C. L'engagement de la responsabilité du gardien d'une
chose contrefaite 39
Conclusion §2 40
Section 2. La chose contrefaite: un bien appropriable?
41
§1 Une chose inappropriable 42
A. Réduction de l'extracommercialité à
l'inappropriabilité 42
B. Lien intrinsèque entre l'inappropriabilité et
l'extracommercialité 42
C. Une appropriation contraire à la fonction sociale du
contrat 43
Conclusion §1 43
§2 Une chose appropriée 44
A. Une chose physiquement appropriable 44
B. Le simple anéantissement de la faculté de
disposer 45
C. L'extracommercialité: technique du droit objectif
contenant les
droits du propriétaire 45
Conclusion §2 46
Conclusion du Chapitre II 47
CONCLUSION GENERALE 48
BIBLIOGRAPHIE 49
TABLES DES MATIERES 53
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