3.3.2.2. Les conflits multiformes occasionnés par la
pêche
Les conflits générés par la pêche
artisanale lacustre à Maga sont nombreux et variés. Mais ils
prennent tous racine dans cette sorte de sous-emploi qui affecte les actifs de
ce secteur. On peut cependant les classer en trois types, suivant leur objet
:
? Les conflits de types 1 : pêcheurs -
pêcheurs
Les zones de pêche ainsi que le vol des captures ou de
filets sont la cause directe de la plupart des conflits qui divisent les
pêcheurs sur la retenue. La probabilité d'avoir accès
à une zone de pêche sur le lac est de 0,3. Dans cette chasse
effrénée du gain quotidien, les pêcheurs les moins chanceux
perdent l'équilibre. Ils arrivent parfois en retard (10%) quand les
premiers ont déjà fixé leurs filets (67%) ou
délimité leur zone de pêche (19%). Au moins 78 % des
pêcheurs interrogés sur cette question ont répondu avoir
déjà été victimes de pareilles déconvenues.
Pour ne pas rentrer bredouille, certains pêcheurs véreux
assiègent la zone de frayère (200 m de la digue) où la
pêche est interdite, d'autres par contre volent les poissons
141
capturés par les engins d'autres pêcheurs absents
ou alors déplacent la position des filets antérieurs pour se
frayer une pêcherie si petite soit-elle. En 2014, 17 cas ont
été déclarés auprès du Lawane de Maga, 11
à Pouss et 13 à Kaï-kaï. Ils concernent à 73 %
les zones de pêche. D'autres conflits opposent les pêcheurs
migrants et les pêcheurs autochtones.
En effet, les populations riveraines (Muzgum, Massa), qui
étaient traditionnellement pêcheuses, accusent une disparition de
leur vocation halieutique, due à la communauté des venants qui,
selon eux, ne respectent aucunement les normes réglementaires en rapport
aux techniques de pêche et au maillage de filets. D'où,
l'altération latente des relations entre autochtones et
allogènes.
? Les conflits de types 2 : pêcheurs -
gestionnaires
Les conflits qui opposent les gestionnaires aux pêcheurs
tirent leurs sources de la pêche illicite et des abus des gestionnaires
vis-à-vis des pêcheurs. Les infractions concernent principalement
l'usage d'engins prohibés et la violation du repos biologique. Le
problème est exacerbé par les pêcheurs qui
pénètrent dans les zones de frayères
délimitées pour protéger les alevins, les espèces
menacées ou pour assurer leur croissance. Ces infractions sont
très fréquentes et la plupart du temps ne font pas l'objet de
poursuites, du fait de la rareté des moyens d'intervention. Face
à des pêcheurs quasiment analphabètes (70%), le message des
gestionnaires a du mal à passer.
Il arrive cependant que des contrevenants soient
arraisonnés, mais les pressions ou la complicité de certaines
hautes personnalités, gestionnaires ou cogestionnaires ne permettent pas
toujours de faire appliquer la loi. En 2014, 10 procès-verbaux ont
été établis à Maga. En fin d'exercice 2015,
seulement 52 permis de pêche ont été établis sur
plus de 6500 pêcheurs enregistrables. Plus de 751 engins ont
été saisis et parfois brulés, 650 pirogues ont
été barricadées au CACP de Maga (photo 24) et 22
pêcheurs ont reçu de procès-verbaux. Mais, la suite de ces
procès verbaux n'a pas été rendue publique.
142
Coordonnées de prise de vue :
x=10.837321-y=14.939440
Photo 24 : Pirogues saisies et
barricadées au CACP de Maga en mai 2015.
Par ailleurs, une analyse géopolitique du lac de Maga
permet de réaliser qu'il est une énorme pièce de
l'échiquier politique contemporain où il faut savoir situer le
dernier élément du puzzle afin de tirer le maximum de
bénéfice possible. Pêcheurs, mareyeurs, État, SEMRY,
autorités traditionnelles, les communes et ONG sont autant d'acteurs
géopolitiques lacustres qui s'affrontent à Maga.
- Le pêcheur voudrait à tout
prix maximiser ses prises sur des surfaces illimitées,
- Les mareyeurs veulent fidéliser les
pêcheurs qui leur livrent leurs captures,
- Les autorités traditionnelles tirent
leurs plats quotidiens des collectes effectuées auprès des
pêcheurs,
- Les communes de Maga et Kaï-kaï
prélèvent des taxes (1000Fcfa/pirogues) toutes les deux semaines
sur les pirogues en activité par pêcheurs,
- Une autre catégorie de taxes
très complexe est celle collectée aux militaires selon que besoin
se pose. Elle est de 1000FCFA/m sur chaque pirogue.
- La SEMRY doit son existence à la
vitalité du lac,
- L'État procède mensuellement
à des prélèvements d'impôts sur le revenu des
pêcheurs et veut en même temps y instaurer une pêche durable
et accroitre la production.
143
Certains d'entre ces acteurs abusent de ces taxes
auprès des pêcheurs et les conflits n'en finissent de naître
au point d'en générer qui puissent mettre deux gestionnaires
à couteaux tirés.
? Les conflits de type 3 : gestionnaires -
gestionnaires
Une autre forme de conflits encore amphigouriques est celle
qui oppose les gestionnaires entre eux. Ces conflits concernent surtout le
personnel du MINEPIA aux responsables de la cogestion. Un problème de
subordination se pose à ce niveau malgré le fait que la cogestion
soit sous tutelle des DAEPIA. La cogestion est accusée de laxisme et
parfois de complicité avec les pêcheurs alors même que
ceux-ci sont pointés du doigt pour leur austérité
belliqueuse à l'égard des pêcheurs. Il devient difficile de
séparer le bon grain de l'ivraie au sein de ces acteurs aux idées
très souvent asymétriques. Le moins qu'on puisse dire est que, le
comité de vigilance de la cogestion, essentiellement composé de
pêcheurs professionnels plus ou moins formés est une raison
suffisante pour que l'hypothèse d'une cogestion plus coupable soit
plausible.
L'exploitation artisanale des ressources halieutiques est un
facteur conflictogène dans la retenue d'eau de Maga. Elle a
dégradé les ressources halieutiques, altéré les
relations entre acteurs. Ces crises biologiques et écosystémiques
sont complétées par des problèmes économiques et
sociaux, dont la surcapacité de production, identifiée comme un
facteur clé des limites de la gestion actuelle des pêches.
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