3.1.1.1. La carence des renseignements biologiques
Le fonctionnement des écosystèmes aquatiques
reste encore faiblement connu (FAQ, 2015) et celui du lac de Maga
n'est pas en marge de ces observations. L' étude la plus connue, faite
à ce sujet est celle dont les résultats sont d'ailleurs
classés secrets au CACP de Maga. Elle date de 1998 et a
été réalisée de concert par la FAO et la SEMRY. Les
bribes de connaissances rendues publiques à ce sujet attestent que, la
création du barrage a provoqué de grands changements dans
l'éventail des ressources alimentaires présentes dans le lac
avant sa construction. Pour les producteurs, il a entrainé
l'établissement d'un phytoplancton abondant, la colonisation progressive
des yaerés par les plantes aquatiques fixées ou flottantes, mais
surtout l'établissement d'un abondant périphyton qui se
développe sur les troncs d'arbres immergés.
En ce qui concerne les invertébrés consommateurs
primaires, les changements les plus importants se sont traduits par
l'établissement d'une communauté zooplanctonique, mais surtout
par le développement explosif de certains insectes, dont les larves qui
vivent aux dépens du périphyton des troncs immergés. Il
s'agit surtout de l'Ephémeroptère Povilla adusta dont
les larves, nymphes et imagos (insectes) fournissent une nourriture très
abondante. La faune d'invertébrés proprement benthiques a subi
dans un premier temps une décroissance spectaculaire due sans doute aux
mauvaises conditions d'oxygénation. Devant ces ressources alimentaires
nouvelles, peu variées, mais extrêmement abondantes, les poissons
ont dû s'adapter. Les microphages et macrophages mangeurs de
végétaux comme Sarotherodon, Tilapia, Citharinus ont
trouvé de bonnes conditions d'alimentation. Les espèces à
très large spectre alimentaire déjà signalées
Alestes, Schilbeidae, Clupeidae, Hetorotis, vont exploiter la source
de nourriture qui leur convient le mieux. Ces espèces à large
spectre alimentaire sont les plus aptes à s'adapter à de
nouvelles conditions d'alimentation dans la retenue et sont aussi les plus
exploitées.
Connaissant les caractéristiques biologiques et
écosystémiques des ressources de la retenue, il est possible
d'estimer l'impact opéré par les prélèvements sur
leurs structures.
3.1.1.2. L'amenuisement des espèces
exploitées et l'appauvrissement de leur diversité biologique
Par structure des captures, on entend la taille des poissons,
la composition par espèces leur nombre, ainsi que le niveau trophique de
chaque espèce. Des variations dans la structure
112
des captures sont d'importants signaux d'une
non-durabilité de la pêcherie. La diminution de la taille des
espèces capturées est un indicateur de la baisse de l'abondance
relative du stock.
La retenue de Maga ne dispose pas de capacités
nationales en matière de recherche halieutique. La recherche dans ce lac
est de la responsabilité du CACP de Maga. Suivant les indications
reçues, il n'y aurait au sein de cette structure, aucun cadre
possédant des compétences en matière
d'océanographie, mais deux techniciens d'aquaculture davantage moins
spécialisés sur les questions relatives aux espèces
exploitées. Ainsi, dans cette pêcherie, les tâches
scientifiques de base du suivi de l'exploitation halieutique ne sont pas
remplies. L'administration en charge de la collecte des données sur les
captures se livre à une estimation grossière de l'effort de
pêche, sans semble-t-il, effectuer de tentatives d'extrapolation des
données collectées à l'ensemble des flottilles
utilisées.
Il n'existe aucune information sur la structure par taille ou
par âge des espèces capturées alors que cette donnée
permettrait de situer le niveau d'exploitation courant par rapport au potentiel
maximal. Seules quelques informations sur les prises accessoires des
différents métiers sont disponibles. On note en particulier que
les débarquements enregistrés n'intègrent que les
espèces cibles, et pas les prises d'autres poissons d'accompagnement. De
plus, les tonnages réels peuvent être de 5 à 10 fois
prééminentes à la quantité pesée à
bord.
Cependant, comme le soulignaient Laurec et Le Guen (1981),
aucune gestion ne peut se faire sans une connaissance aussi précise
que possible de l'état de la ressource et des possibilités
d'exploitation des différents stocks. Aussi, l'évaluation des
ressources halieutiques dans la retenue d'eau de Maga pose le problème
de la sincérité et la fiabilité de ces résultats,
tant en ce qui concerne la taille du stock, la composition des espèces
que leur localisation.
En se fiant à Heincke (1913) : « la
réduction du nombre de poissons de grande taille et l'augmentation de
ceux de petite taille dans les débarquements et la baisse correspondante
de la taille moyenne des ressources résultent directement de
l'intensification de la pêche ». Partant de là, cette
recherche a fait un rapprochement entre la composition par espèce des
débarquements annuels enregistrés à Maga par les agents de
la SEMRY II en 1986 (figure 22) et ceux réalisés, par le
CACP de Maga en 2015 (figure 23). L'examen de ces deux figures
confirme au moins deux hypothèses péjoratives.
Sarotherodon
10%
Heterotis
2%
Lates
1%
Clarias
3%
Bagrus
0%
Hydrocynus
0%
Tetraodon
0%
Gymnarchus
0%
Petites espèces
9%
Protopterus
0%
Mélange
84%
Synodontis
1%
Source : Données du
service des pêches SEMRY-II
Figure 22: Structures des débarquements
enregistrés en 1986 à Maga
Les petites espèces (3549 tonnes) sont
constituées par les Mormyrus, les alestes, les
Schilbe mystus etc. Quant aux mélanges de 29134 tonnes, au
moins 60% sont des tilapias nilotica. Certaines espèces comme le
protoptère, l'Hydrocynus ou les Bagrus (voir annexe 01)
n'apparaissent que faiblement.
Heterotis 14%
Clarias
Lates
25%
Bagrus 6%
Tilapia
48%
Source : Données du CACP
de Maga
113
Figure 23 : Structures des
débarquements enregistrés en 2015 à Maga
114
Les deux figures laissent des disparités
spécifiques notoires au niveau de leur composition biologique passant de
12 espèces à seulement 05 en espace 29 ans. Cet appauvrissement
de la structure biologique des ressources est consécutif à la
raréfaction des espèces les plus prisées. Les
espèces de petite taille, moins sollicitées sur le marché
sont laissées pour compte, négligées et n'apparaissent
plus dans les statistiques mensuelles des gestionnaires. D'autre part, il faut
ajouter qu'en plus de la raréfaction de certaines espèces ou
même de leur disparition systématique, la pêche conduit
aujourd'hui à la capture beaucoup trop importante des juvéniles.
Les débarquements sont majoritairement composés des poissons
immatures et parfois d'alevins (planche 08).
a
b
Coordonnées des prises de vues :
X=10° 49' 58» - y= 14° 57' 10» x=10°
49' 58»- y= 14° 57' 10»
Planche 8 : Structure des tilapias et Heterotis
débarqués en janvier et juin 2016.
À gauche (a) la structure des Tilapia Nilotica, une
espèce très présente dans la retenue, mais, toutes ces
dernières années capturées jeunes. Idem pour Heterotis
à droite (b) qui peut à l'âge adulte, excéder 20 kg.
Ces deux images montrent bien que les engins utilisés à ce jour
sur le lac excluent la notion de tailles minimales à respecter.
115
Malheureusement, cette pression exercée sur les
captures nobles ou alors préférées sur le marché
entraine en plus de la raréfaction de certaines espèces et la
diminution de la taille des captures, une baisse quantitative de leur abondance
générale.
|