Les ligues d'improvisation théà¢trale dans les Hauts-de-France: histoire, organisation et codespar Matthieu HACOT Université de Lille UFR humanités Département Arts de la scène - Master 2019 |
ConclusionCe mémoire avait pour ambition d'observer et d'étudier le phénomène de la démocratisation de l'improvisation théâtrale en tant que discipline artistique, et l'apparition de nouvelles formes ou de nouveaux formats d'improvisation, en particulier le match. Il m'a fallu, pour respecter la longue tradition de la transmission orale spécifique à cette discipline, partir à la rencontre de certaines personnalités qui étaient de mes connaissances et qui évoluaient dans un domaine similaire au mien. Comme la documentation sur l'improvisation est assez lacunaire, les témoignages de ces personnes et mes expériences personnelles ont étés mes principales sources de recherche. Le territoire des Hauts-De-France s'est imposé naturellement comme objet d'une étude de cas, car les différentes expériences en improvisation que j'y ai connues ainsi que les contacts que j'y ai noués constituaient un point de départ concret et accessible. Les difficultés que j'ai rencontrées ont résidé dans le fait d'accepter de remettre en cause mes propres certitudes (acquises dans la pratique), lorsque je les confrontais à des faits historiques ou à des témoignages. Après avoir retracé l'histoire de l'implantation du match d'improvisation théâtrale en France, j'ai choisi d'examiner de près différentes structures dans la Région des Hauts-De-France. En étudiant l'origine du match d'improvisation théâtrale, je me suis intéressé au contexte social et politique qui englobait la période de sa création, car son créateur, Robert Gravel, avait été au centre de ses émeutes lorsqu'il étudiait le théâtre au conservatoire d'art dramatique du Canada dans les années 70. La Révolution Tranquille touchait autant les étudiants en art (qui refusaient les méthodes d'enseignement et les oeuvres étudiées) que les Québecois qui réclamaient leur indépendance face au Canada. Le renouveau du théâtre au Québec ainsi que la recherche d'une nouvelle identité se sont traduits par l'émergence des troupes expérimentales, qui utilisaient l'improvisation comme outil principal de création et d'écriture. Robert Gravel, ayant vécu l'échec de la troupe expérimentale des Jeunes Comédiens, avait crée un spectacle qui réinterrogeait la place de l'acteur et de l'improvisation. Avec le match d'improvisation, l'improvisation a quitté son statut de source de création pour devenir l'objet principal du spectacle. Le caractère sportif, qui impliquait alors une mise en scène pour accueillir et les joueurs et la mise en place d'un règlement, a favorisé la mise en place d'un cadre commun pour tous qui allait favoriser son exportation. J'ai pu recueillir les propos de certains improvisateurs français qui ont étés témoins de l'installation du match d'improvisation en France. Ces recherches m'ont amené à étudier les travaux d'Alain Knapp et de Jean-Baptiste Chauvin. Le nom d'Alain Knapp est apparu lorsque j'ai demandé à Emmanuel Leroy, fondateur de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, de me parler de sa rencontre avec le match d'improvisation théâtrale. Par les différents ateliers qu'il donnait, Alain Knapp a été amener à côtoyer les premiers improvisateurs au Québec qui suivaient ses stages à Paris et en France. Ses expériences sur l'improvisation, au même titre que celles de Robert Gravel, s'inscrivent toutes deux dans des contextes de remise en cause des institutions : la Révolution Tranquille au Québec et les évènements de mai 1968 en France. Ces travaux de recherche sur l'improvisation théâtrale ont nourri les différentes expérimentations inscrites dans la remise en cause des institutions et du paysage socio-culturel. Il n'y avait donc pas d'ambition exclusivement artistique, ce qui a poussé certains improvisateurs à inscrire la pratique dans d'autres domaines, tels les domaines sociaux et scolaires. En effet, les premières expérimentations du match d'improvisation théâtrale en France ont favorisé l'émergence de structures culturelles à Trappes. C'est dans cette même ville que la compagnie Déclic théâtre et les ateliers mis en place dans les collèges ont permis une expansion de la discipline en-dehors du domaine artistique. Ce passé a son importance. Il explique l'identité complexe de l'improvisation théâtrale (à la jonction entre discipline artistique, temps récréatif et outil d'aide à l'insertion sociale et scolaire) ainsi que le grand nombre de structures mises en place pour la pratiquer. La grande accessibilité et la multiplication des ateliers d'improvisation théâtrale ont favorisé la création de structures à vocations multiples : les Québecois, lors d'une tournée d'ateliers en 1981, auxquels ont assisté des jeunes comédiens qui étaient à l'époque en cours de professionnalisation, ont accompagné l'ascension des ligues professionnelles, dont ces mêmes comédiens sont aujourd'hui à l'origine. Dans les années 90, l'engouement pour la discipline a suscité le développement d'ateliers et de ligues amateurs. La grande accessibilité et l'efficacité du cadre sportif qui rend les enjeux d'un match d'improvisation théâtral, grâce aux votes et du format de compétition, explique l'intérêt qu'a cette pratique auprès de personnes qui ne sont pas issues d'une pratique artistique. Ce développement aboutit à la création de nouveaux formats basés sur le match d'improvisation théâtrale, avec le catch d'improvisation232. Marko Mayerl, son créateur, a en effet 232 p. 48. 134 135 été confronté aux refus des ligues professionnelles de lui apprendre la pratique du match d'improvisation. Ce sont Jean-Baptiste Chauvin et Alain Degois, qui ne faisaient pas partie d'une ligue professionnelle, qui ont aidé Marko Mayerl et ses partenaires à se former, et à créer Ligue Ouverte et Libre d'Improvisation Théâtrale Amateur. L'invention du catch a répondu a permis de dépasser deux problèmes, d'une part, celui de la dépendance face aux professionnels, peu enclins à partager une discipline qui leur permettait d'explorer une nouvelle facette du théâtre et qui leur assurait un nouveau moyen de remplir les salles ; d'autre part, celui de l'obstacle financier, au moment où Robert Gravel et son ami Yvon Leduc ont commencé à réclamer des droits d'auteurs. Ce nouveau format, qui était le premier à exister après le match d'improvisation théâtrale, a ouvert la voie à la création de format multiples, les amateurs s'affranchissant ainsi du modèle que les professionnels se réservaient. L'histoire de l'improvisation théâtrale est marquée par plusieurs conflits. Tout d'abord, les amateurs et les professionnels se disputent la légitimité de pratiquer cette discipline de plus en plus distincte de la pratique artistique. De plus, un conflit financier et territorial est aussi perceptible : les ligues professionnelles proposent désormais des services d'aide à l'insertion sociale, qui sont également applicables à la vie en entreprise et aux team buildings par des ateliers de prise de parole en public, ou encore de confiance en soi. Le Label LIFPRO a mis en place un système de partage du territoire national pour que chaque ligue professionnelle puisse proposer ses services aux entreprises locales. Plusieurs organismes ont également été créés, à l'instar du trophée d'improvisation Culture et Diversité, pour utiliser les outils de l'improvisation théâtrale en milieu scolaire. À ces exceptions près, l'évolution de l'improvisation théâtrale est marquée par des initiatives individuelles : Robert Gravel a eu l'idée du match d'improvisation ; de la rencontre entre Papy et le professeur d'éducation physique Jean Jourdan sont nés les ateliers d'improvisation dans les collèges de Trappes ; Marko Mayerl est à l'initiative du catch d'improvisation. Les initiatives individuelles sous-entendent également que ce sont les relations humaines qui provoquent changements et évolutions, et sont également soumises à des conflits. Certains conflits entre professionnels ont également donné naissance à des ligues qui sont nées en dehors du label LIFPRO. Apprendre l'histoire de la discipline en France m'a fait prendre du recul sur les structures qui existent dans la région Hauts-De-France, et qui sont soumises à des problématiques similaires. La 136 démocratisation de cette discipline, en effet, se traduit par son utilisation dans les structures artistiques professionnelles, non professionnelles, sociales et scolaires. Mes recherches, qui avaient pour ambition première d'étudier les origines des structures dans laquelle je pratique l'improvisation théâtrale ou proposant des spectacles dans la région Hauts-De-France, m'ont amené à identifier ces structures comme les héritières des questionnements et des évolutions qui ont amené l'improvisation théâtrale à se démocratiser et à évoluer dans différents domaines. Elle est aujourd'hui présente en tant qu'activité artistique professionnelle, autrement dit avec une exigence quant à la qualité des spectacles par la présence de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. Certaines inimitiés et conflits ont donné naissance à la fédération professionnelle Lille Impro, regroupée avec L'école Impro Academy et l'organisme de formation Les pieds sur scène sous l'égide de La Scénosphère. J'ai privilégié l'étude de deux ligues amateurs que sont le Groupe d'Improvisation du Terril et la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur en raison de leur longévité et de leur histoire. Elles sont représentatives de la relation qui a eu lieu autrefois entre les amateurs et les professionnels. La démocratisation de la discipline a ensuite creusé une distance entre ces deux types de ligues, dont la vision de l'improvisation théâtrale était différente. Elles continuent, néanmoins, par leur origine professionnelle, à chercher une exigence dans leur spectacle, tout en restant dans le format amateur. Les membres de ces troupes amateurs cherchent à offrir des spectacles de qualité autres que le match. C'est en effet aux amateurs que l'on doit la majorité des nouveaux formats qui sont apparus depuis le match d'improvisation théâtrale, et qui, grâce à un statut d'artiste bénévole, peuvent avoir une plus grande liberté dans la recherche et l'expérimentation. Ce phénomène explique la multiplication des ligues d'improvisation sur le territoire. Suite à ma formation chez Impro Academy, j'ai à mon tour transmis les outils de l'improvisation dans le cadre d'ateliers scolaires ou de préparation à des concours, et compris combien elle facilitait la confiance en soi et la prise de parole en public. Je continue aujourd'hui à multiplier mes expériences dans les différentes domaines dans laquelle l'improvisation théâtrale est utilisée. Mon activité récente de formateur m'a fait comprendre certaines limites de la démocratisation de la pratique de l'improvisation : la recherche artistique y importe moins que les compétences acquises grâce à l'improvisation. Elle devient un moyen et un instrument au service du développement personnel. Un intervenant-improvisateur doit être capable d'appréhender des problématiques qui ne sont plus artistiques ou du domaine du loisir, mais du 137 domaine social. Par essence, un improvisateur a du courage de se jeter sur une scène sans avoir préparée sa prestation, c'est pourquoi la principale valeur qui est enseignée dans les ateliers est la bienveillance. Avec l'usage, il me semble que c'est devenu moins une valeur qu'un automatisme, et les improvisateurs s'encouragent et se congratulent généreusement au début de chaque spectacle, et sont félicités pour leur effort et leur audace. Ce rituel fait désormais partie intégrante du spectacle, comme si la bonne humeur devait être présente à tout prix. Ce conditionnement auquel se livrent les improvisateurs et le public à chaque spectacle d'improvisation, peut être une explication de la mauvaise réputation dont souffre l'improvisation théâtrale de nos jours, et qui remet en cause sa légitimité en pratique artistique. L'indulgence dont les improvisateurs bénéficient en effet peut les pousser au cabotinage, aux dépens parfois de certaines choses qui pourraient être dites sur scène et qui ne sont pas du ressort comique. Par ailleurs, ce même conditionnement tend parfois à faire passer sous silence des dérives, qui tiennent cependant autant de la responsabilité du spectateur que de celle de l'improvisateur. Le spectacle d'improvisation obéissant à une création instantanée, il est fréquent de voir des improvisateurs obéir à l'urgence de fournir un personnage ou une histoire en utilisant des outils grossiers, tel des accents ou des attitudes corporelles exagérément stéréotypées. L'improvisateur se met alors dans une position de sécurité, où le spectateur et ses partenaires reconnaissent de manière aisée le personnage. L'utilisation de ces outils peut aussi mener à des propos ou des attitudes déplacées. Chaque spectacle d'improvisation théâtrale étant un terrain d'expérimentation, et par conséquent de libre expression, la bonne tenue d'un spectacle tient de la responsabilité individuelle. En tant que juge, le spectateur a également une responsabilité lorsqu'il est sollicité pour donner un thème aux improvisateurs. Les deux entités sont donc liées et participent de concert à l'élaboration et à ce qui est dit dans un spectacle d'improvisation. Il y a donc une responsabilité partagée pour que chacun oeuvre à la bonne construction d'un spectacle et que les conditions soient favorables pour que la discipline reste à la fois exigeante et accessible à tous. Au fil de mes recherches, j'ai tenté de rencontrer des improvisateurs aux profils variés : amateurs, professionnels, formateurs. J'ai pris conscience, à l'issue de tous les entretiens effectués, que tous étaient des hommes, à l'exception de Florine Sachy. Il m'est apparu, lorsque je me suis interrogé sur la parité dans le paysage actuel en France, que la discipline reste en grande majorité masculine, y compris dans le domaine professionnel où je pourrais néanmoins citer Cécile Giroud, appartenant à la Ligue d'Improvisation Lyonnaise ainsi qu'à la Ligue Majeure d'Improvisation. J'ai mis ce constat en relation avec les critiques de la comédienne Pol Pelletier lorsqu'elle était au Théâtre Expérimental de Montréal. Elle avait en effet fortement désapprouvé le match d'improvisation, 138 transposition théâtrale des codes et des rituels du hockey, qui excluait selon elle les femmes par rapport à la démonstration de virilité qu'il implique. Tout au long de cet ouvrage, il a été vu que les formats qui se jouent actuellement dans le cadre d'un spectacle d'improvisation théâtrale sont hérités du match d'improvisation, qui mêle théâtre et sport. La règle de la parité dans ce format, bien qu'elle oeuvre vers une égalité sur le plan quantitatif, laisse place à une interrogation sur les rapports de mixité et d'égalité dans ces deux domaines. Elle laisse en effet en suspens la question des fonctions significatives, qui peuvent être apparentées à celles de coach ou de capitaine pour le match d'improvisation, qui impliquent une hiérarchisation dans une équipe sportive, mais qui véhiculent également une figure de virilité. Ces interrogations sur ces fonctions dirigeantes peuvent également se retrouver dans le domaine théâtral, à travers les professions relatives à la mise en scène, l'enseignement ou la direction de centres dramatiques nationaux. Le sujet a été évoqué par la maîtresse de conférence Raphaëlle Doyon dans une étude réalisée en Janvier 2019 intitulée Les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique. L'étude est construite selon cinq domaines d'observation établis par l'actrice Reine Prat : « -les enseignements artistiques, les formations aux métiers de la culture, l'insertion professionnelle, / -les relations de travail au sein des entreprises, / -l'exercice des responsabilités et la prise de décision, / -l'accès aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique, / -les représentations artistiques»233. 233 Raphaëlle Doyon, Les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, p. 78, disponible sur http://hf-idf.org/wp-content/uploads/2019/02/Doyon_HF_trajectoires_femmes_theatre.pdf [consulté le 10/06/2019] 139 |
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