Les ligues d'improvisation théà¢trale dans les Hauts-de-France: histoire, organisation et codespar Matthieu HACOT Université de Lille UFR humanités Département Arts de la scène - Master 2019 |
III.3) Les organisations internes des compagniesLa ligue d'improvisation de Marcq-en-Baroeul est née, à l'image de la majorité des ligues professionnelles sur notre territoire, du rassemblement d'un noyau d'individus qui ont évolué chacun dans un milieu professionnel avant de se réunir. C'est pourquoi la plupart des comédiens qui en sont aujourd'hui membres ont d'abord rencontré Emmanuel Leroy dans un cadre personnel. Je citerais à titre d'exemple Simon Fache, qui est entré dans la ligue en exerçant sa profession de musicien : il connaissait un des pianistes membre de la ligue, qui lui a demandé un jour de venir pour effectuer un remplacement. C'est ce qui a provoqué sa rencontre avec le directeur artistique.202 Au même titre, Philippe Despature l'a rencontré dans le cadre professionnel : Un jour, Emmanuel Leroy a accepté que j'entre dans la
Ligue parce que j'avais bossé avec une Emmanuel plusieurs fois, puis il m'a dit un jour que je pouvais entrer dans la ligue. Là, ça se passe très bien. Emmanuel avait besoin de bien connaître les gens.203 202 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019 203 Entretien avec Philipppe Despature, 25 Mars 2019. 112 Au même titre, les comédiens qui ont étés approchés venant de la compagnie La Décade étaient déjà issus du milieu professionnel. Mon hypothèse est que, en rapport avec la séparation entre amateurs et professionnels - qui engendre une grande différence par rapport à la formation et à la pratique - Emmanuel Leroy tenait à garder l'identité des premières ligues professionnelles françaises. La pratique ayant évolué, les professionnels ont comme devoir de la réinventer, de la requestionner en tant que pratique artistique. Ils perpétuent en cela l'héritage de Robert Gravel. Emmanuel Leroy insiste sur son exigence de travailler avec des comédiens ayant déjà une expérience de la scène. Il m'a détaillé les activités internes de la compagnie de la manière suivante : On a trois axes de travail : le premier axe, c'est d'inventer des concepts de spectacles théâtraux improvisés[...]Le deuxième axe de travail, c'est d'inventer des spectacles improvisés avec des disciplines différentes du théâtre, ou en mélangeant des disciplines. [...] Le troisième axe de travail, c'est quand on met l'improvisation au service d'autre chose. C'est-à-dire que ce soit au service des entreprises, des associations, des collectivités, des mairies, des hôpitaux, des prisons, etc.204 La recherche de « concepts » de spectacles improvisés est confiée aux improvisateurs de la ligue qui ont une carte blanche pour créer ces formats et montrer leurs propositions. J'ai pu m'entretenir, pour évoquer un exemple, avec Simon Fache pour la création d'un spectacle intitulé C'est arrivé près de chez nous. : La charpente de ce spectacle est née de la volonté de trois individus : Simon Fache, Pierre Lamotte et Jacky Matte, qui ont utilisé le cadre du spectacle d'improvisation en modifiant l'ambiance générale. On y retrouve en effet la mécanique de la participation du public - qui amène les thèmes grâce à des coupures de journaux - , un accompagnement musical avec Simon Fache pour rythmer les improvisations et leur donner une ambiance sonore, ainsi que des comédiens jouant des clients de bistrot au premier degré d'incarnation, puis en jouant d'autres personnages pendant leurs improvisations. L'ambiance de ce spectacle, en raison du décors et de la source des thèmes - qui sont des faits divers - est légère et conviviale. Le seul en scène de l'improvisateur Jérémy Zylberberg est un exemple où l'ambiance est différente. Ce spectacle ayant été joué uniquement dans le cadre du festival, il n'a pas été repris. Simon Fache l'a néanmoins évoqué : l'improvisateur incarnait différents personnages qui, au fur et à mesure de l'avancée de l'intrigue, étaient liés soit par une histoire commune soit par un secret. C'était un spectacle Long form, ce qui implique que le rythme est plus complexe à maîtriser que dans une improvisation courte. C'était l'histoire de quatre 204 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019. 113 membres d'une même famille, dont les secrets qu'ils ne souhaitaient pas dévoiler étaient au fur et à mesure révélés. La long form modifie la participation du public, qui a malgré tout eu une influence sur le déroulé du spectacle, en proposant au comédien les caractéristiques de chaque personnage. Ces deux exemples illustrent le fait que le cadre et la mécanique d'un spectacle d'improvisation peuvent être utilisés pour monter des spectacles aux propos différents. Le deuxième axe de recherche de la ligue nordiste consiste à tester cette mécanique sur d'autres disciplines que le théâtre. Il a donc été créé un spectacle intitulé Piano Battle, à l'initiative de Simon Fache : « C'est un spectacle qui ne peut exister que parce qu'on a un certain nombre d'années d'histoire au sein de la ligue avec Jacques205, l'autre pianiste ».206 Cette phase de recherche s'inscrit également dans les phases de création qui ont été pensées par et pour des personnes, car le format fait appel à une discipline spécifique, et ne peut donc être joué par des personnes étrangères à la pratique du piano. Le spectacle était conçu à l'origine pour le Lille Piano Festival avec l'Orchestre de Lille. Simon Fache jouait ce spectacle avec Auxane Cartigny, un jeune pianiste. À l'origine, le cadre dans lequel les musiciens évoluaient et les thèmes donnés étaient inspirés d'images ou de personnages provenant du jeu vidéo Dofus. Il s'agit d'un jeu vidéo type multi-joueurs en ligne. Simon a l'idée de croiser le concept avec les formats de battle d'improvisation qui sont déjà joués au sein de la ligue, qu'il s'agisse du match ou du catch. Auxane Catigny ayant quitté la Région, il a été est remplacé par Jacques Shab. En discutant avec Simon Fache, j'ai avancé l'hypothèse que, si ce spectacle ne pouvait exister que grâce à un certain passé qu'ont vécu les deux pianistes au sein de la ligue de Marcq-en-Baroeul, c'était parce que les deux pianistes avaient besoin de bien connaître le partenaire et son style de jeu, afin qu'ils puissent réussir à s'entendre pendant les improvisations. Il m'a répondu que cette connaissance n'était pas forcément nécessaire, pour peu que les deux pianistes aient eu l'occasion de se mettre d'accord207. Si ce genre d'initiative naît au sein de la ligue, c'est parce que les deux pianistes partagent les mêmes codes d'improvisation et ont un entraînement derrière eux à ce genre de pratiques. Simon Fache m'a détaillé le déroulé de ce spectacle, et il contient en effet bon nombres de similarités avec le match d'improvisation théâtrale : les improvisations musicales sont soit de nature comparée ou mixte, autrement dit à quatre mains. Chaque pianiste a également le même thème en « comparée », ou parfois une variation. Simon Fache illustre cette idée par un exemple : « Il y a des catégories séparées : chacun deux ou trois minutes, soit sur le même thème, 205 Jacques Shab est pianiste à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. 206 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019. 207 Idem. 114 soit parfois sur des thèmes proches ou opposés. Par exemple : le thème sera « La valse des vampires » pour Jacques Shab et « Le tango des vampires » pour moi.208. Le thème peut également être exécuté de différentes façons, chaque pianiste se voyant imposer un style musical à respecter. J'en ai conclu que c'était un spectacle durant lequel il fallait suivre le partenaire et écouter la proposition qu'il est en train de faire. Simon Fache a remarqué que ces mots pouvaient être appliqués à la description d'un spectacle d'improvisation théâtrale. On retrouve en effet un cadre similaire au match : les fonctions de maître de cérémonie et d'arbitre sont assumées par le chef d'orchestre, qui est chargé de gérer le temps du spectacle et des improvisations, ainsi que de donner les thèmes et les catégories. Les deux pianistes doivent également effectuer le travail d'écoute et de création similaire à un improvisateur lors d'un match d'improvisation : il donne tantôt une proposition à destination de l'adversaire pour que les deux pianistes improvisent ensemble, ou chacun improvise l'un après l'autre sur le même thème. Les styles musicaux peuvent quant à eux être comparés aux différentes catégories imposées aux comédiens pendant un match d'improvisation. Cependant, les catégories du match sont des contraintes formelles que chacun peut suivre, ou les catégories de style vont permettre à un improvisateur d'utiliser sa culture générale pour improviser. L'intérêt de croiser l'improvisation théâtrale avec d'autres disciplines peut donc permettre à ceux qui pratiquent la discipline en question de l'explorer davantage ou sous des angles différents. Cependant, c'est le cadre qu'a offert le match d'improvisation théâtrale qui permet, grâce à l'urgence et les contraintes qui en découlent, d'effectuer une recherche plus approfondie quant à cette discipline. Emmanuel Leroy a essayé également de croiser l'improvisation théâtrale avec les disciplines du cirque dans un spectacle intitulé battle de cirque. Il m'a confié, pendant notre entretien, une difficulté à trouver des acheteurs pour le promouvoir. Rien de plus n'a été dit au sujet de ce spectacle, il me paraît cependant intéressant d'émettre une hypothèse concernant cette difficulté qui expliquerait quelle est la limite de l'improvisation théâtrale. Une analogie courante existe entre l'artiste de cirque et l'improvisateur. Beaucoup d'improvisateurs utilisent le champ lexical du cirque, ou la métaphore du cirque, pour évoquer le risque pris par l'improvisateur. Simon Fache m'a dit, par exemple : En ce moment, je suis musicien de cirque. Et le spectateur qui vient voir de l'improvisation est le même qui vient voir un numéro de cirque : tu prends un funambule : que le fil soit à 8 mètres de haut ou à 20 cm du sol, techniquement, c'est pareil. Sauf qu'à 20 cm du sol, ce n'est pas 208 Idem. 115 impressionnant. Ou il faut que le numéro soit fou. Tu mets le fil à 8 mètres, il ne fait que marcher, et là ça fonctionne.209 Il me paraît également intéressant d'évoquer à nouveau le Grand Cirque Ordinaire, qui évoluait comme troupe de théâtre expérimental en même temps que les Jeunes Comédiens à Montréal. Les comédiens se présentaient comme des acrobates par rapport à l'aspect impressionnant de ce qui était présenté au public, mais Raymond Cloutier, un des membres de la troupe, insistait sur le fait qu'ils n'improvisaient pas en public. Lorsqu'il est musicien de cirque, la fonction de Simon Fache est similaire à celle du musicien de match : il a pour tâche de mettre le public dans une énergie positive ou conforme à la nature du numéro, et rythme également les temps entre chaque improvisation. À mon avis, la raison des difficultés rencontrées à croiser l'improvisation théâtrale et le cirque est donc due au fait que les deux cadres sont trop similaires pour pouvoir interroger et explorer les deux disciplines, ou proposer un spectacle d'un genre nouveau. Le cadre du cirque obéit en effet un rituel et un cérémonial très solides, qui se suffit à lui-même, et qui convoque la prouesse et le dépassement de soi sans recourir au dispositif de la compétition. Il résulte donc des différents axes de travail de cette ligue par rapport au cadre de l'improvisation théâtrale. Alors que j'avais évoqué précédemment les nouveaux formats crées par les amateurs pour pratiquer l'improvisation théâtrale en autonomie, les professionnels ont vu pendant ce temps émerger des formes plus libres, mais dont le cadre reste comparable dans la forme. Cependant, les cadres inventés par des amateurs se heurtent, pour certains professionnels, à la problématique de se contenter uniquement de la forme au détriment du fond. Dans un article, Jean-Baptiste Chauvin a réagi face à ce phénomène : L'argument premier, c'est d'inviter le spectateur à venir voir des improvisateurs se mettre au défi de créer des histoires en direct. Mais quelles histoires vont-ils voir, à quels personnages peuvent-ils s'accrocher pour se motiver à venir ? A de rares exceptions près, aucune. Alors on se raccroche aux comédiens, ou à la forme. [...] Mais le plus souvent, nous avons une promesse de forme, mais pas de promesse de fond.210 La forme offre au comédien d'accomplir une performance, mais c'est le manque de contenu que Jean-Baptiste Chauvin déplore lors de certains spectacles. Ces spectacles utilisant le même matériau, ils peuvent donner une identité tronquée de l'improvisation théâtrale entre les 209 Idem. 210 Jean-Baptiste Chauvin, Impro:à fond la forme !, disponible sur https://www.improforma.fr/single-post/2019/01/21/Impro-%C3%A0-fond-la-forme [consulté le 06/05/2019]. 116 improvisateurs amateurs qui se donnent à un loisir - qui sont actuellement en majorité - les improvisateurs perfectionnistes et les professionnels. Un public non initié pourrait alors se retrouver déçu. Simon Fache m'a raconté un témoignage à ce sujet : Une fois, quelqu'un m'a dit qu'il a été voir un match dans un café. Ce n'était pas Marcq-en-Baroeul . Il me dit que c'était sympa, mais sans plus. Je lui conseille alors d'aller voir Eric Leblanc211 improviser en alexandrins sur un match[...]Après c'est l'impro telle qu'elle est aujourd'hui, et on ne peut absolument pas empêcher les gens de faire ce qu'ils veulent, au contraire c'est tant mieux. [....] il y a des gens qui font la différence mais qui n'aiment pas les matchs professionnels parce que c'est trop intellectuel. Mais au moins, ils ont vu les deux. 212 Il y a donc une distinction faite entre deux façons de pratiquer l'improvisation théâtrale, ce qui m'amène à nuancer les propos de Philippe Despature : « Il n'y a pas beaucoup de disciplines où finalement, même si le terme n'est pas défini, on dit juste qu'on fait de l'impro, on fait un peu comme on veut. Eh ben ça marche. Après c'est à chacun de voir jusqu'où il pousse son exigence ». Cette différence quant aux exigences et motivations des différents improvisateurs hiérarchise les différents niveaux de formation qui sont offerts par les structures des Hauts-De-France. Parmi les pôles de formation à destination des amateur dans la région Hauts-de-France se trouvent les ateliers dispensés par la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, et les ateliers mis en place au sein d'Impro Academy. J'ai pu recueillir ces informations grâce à des entrevues avec Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, et Philippe Despature, directeur de la Scénosphère qui s'occupe de la gestion d'Impro Academy. Il a fallu séparer les ateliers dispensés au sein de la compagnie Trompe-l'oeil pour distinguer les joueurs des élèves, mais également organiser les différents ateliers en fonction des demandes. Actuellement les ateliers d'Impro Academy sont divisés en plusieurs niveaux : le niveau jeunes, le niveau débutant, le niveau loisirs et le niveau compétence. Ce dernier niveau est lui-même divisé en trois groupes. Pendant une certaine période, ces trois groupes étaient organisés en fonction des niveaux de jeu de chacun et étaient appelés groupes un, deux et trois. Ils sont désormais rebaptisés groupes « auteurs », « comédiens » et « metteurs en scène ». Philippe Despature m'a expliqué les raisons de ce remaniement. Elles sont révélatrices de la difficulté à évaluer le niveau d'une pratique artistique répandue : 211 Eric Leblanc est joueur à la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. 212 Entretien avec Simon Fache, 25 Février 2019. 117 On s'est rendu compte que les niveaux 1,2,3, ça ne marchait pas ; ça donne une certaine impression aux « niveau 3 », ça frustre les « niveau 1 »... du coup on s'est dit que finalement, ce serait mieux de penser en terme de besoins. Tu as des gens qui sont de très bons auteurs, mais très mauvais comédiens : ils ont plein d'idées sur le côté, mais ils ne savent pas les exprimer, les jouer....213 Progressivement, en passant du niveau débutant au niveau loisirs, les élèves abordent les notions de bases de l'improvisation théâtrale, qui sont à mon sens l'écoute et la construction du personnage. Lors des restitutions d'atelier appelées academyades, les élèves abordent les catégories que j'ai appelées « catégories d'échauffement » dans le lexique. Philippe Despature insiste cependant sur la notion de subjectivité dans l'improvisation théâtrale. Cette subjectivité intervient donc dans la construction des ateliers que les professeurs donnent. Lorsque je suis entré chez Impro Academy, j'avais deux ans d'expérience en improvisation. Je suis donc entré dans le parcours Loisirs. Durant cette première année, la notion de « besoins » dont parle Philippe Despature a été prise en compte par Corentin Vigou, qui était mon professeur durant l'année 2017-2018. Je pourrais également parler d'exigences et d'envies. Á mon sens, le « parcours loisirs » convient à des gens ayant une expérience théâtrale d'ateliers. Il les prépare cependant aux spectacles de fins d'années, qui n'ont pas cours dans les ateliers débutants. Le parcours compétences, avec les trois aspects qui sont travaillés que j'ai évoqué, préparer les élèves à des improvisations plus construites en termes de narration et de scénario, ce qui nous pousse à travailler autant le fond des histoires improvisées que la forme. En fonction des envies de chacun en parcours loisirs, Corentin Vigou a néanmoins travaillé avec nous des catégories de style*. Elles posent un cadre plus solide, mais également des contraintes plus formelles. C'est l'identification des capacités, des besoins et des exigences des élèves qui ont amené Corentin Vigou à nous faire travailler ces catégories, les ateliers étant accessibles à tous. Selon Philippe Despature : Ce qui est intéressant dans l'impro et notamment chez Impro Academy, c'est que le niveau d'exigence des élèves augmente : avant, une soirée cabaret allait à tout le monde. Mais plus il y a du monde, plus les gens changent, ils ont envie d'avancer, d'aller plus loin, et la recherche et l'exigence augmentent214 213 Entretien avec Philipppe Despature, 25 Mars 2019. 214 Idem. 118 C'est ce qui rend le travail pédagogique important pour un professeur officiant chez Impro Academy : la constitution du groupe est la première problématique à laquelle tentent de répondre les premières séances. Lorsque j'étais en groupe loisirs, deux critères ont été déterminants à mon sens : le premier critère était que la plupart des élèves se connaissaient, car ils étaient issus d'ateliers antérieurs. Le deuxième critère, que j'ai déjà évoqué, est que les élèves avaient déjà une expérience d'ateliers en improvisation théâtrale, et souhaitent donc s'aventurer dans des catégories qui permettent la construction d'histoire. C'est ainsi qu'avec mon groupe, j'ai été amené à suivre des enseignements sur les catégories de style « Soap Opera » ou « Contée ». J'évoquerais ici une nuance qui me parait fondamentale lorsqu'on apprend l'improvisation théâtrale, entre les « codes » et les « clichés ». Selon la culture de chacun, la catégorie de style n'est pas abordée de la même manière. D'un point de vue pédagogique, les élèves doivent s'accorder sur les codes récurrents de telle ou telle catégorie. Il faut également qu'ils soient clairement identifiables pour le public. Á la différence des clichés, les codes peuvent être assimilés à des ressorts narratifs qui permettent à l'improvisateur de construire une improvisation grâce à des motifs récurrents, et qui lui servent d'outils pour construire un personnage, définir un lieu et une situation. Ces trois éléments sont également définis durant le caucus. Le professeur d'improvisation qui fait travailler ses élèves sur une catégorie de style a un regard similaire à celui de l'arbitre de match lorsqu'il énonce ces catégories : si elles sont obscures pour des improvisateurs, il a la responsabilité de faire savoir ce qu'il entend par ces catégories, quels enjeux doivent apparaître, quels types de personnages sont mis en scène, ou quelle ambiance l'improvisation instaure. Au fur et à mesure des académyades auxquelles j'ai participé avec le groupe loisirs, le professeur nous a laissé davantage de libertés, et par conséquent des responsabilités : il y a eu trois spectacles sur l'année. Le premier spectacle était jalonné avec des catégories d'échauffement, qui nous incitaient davantage à la performance qu'à la construction narrative. Le deuxième spectacle mélangeait les catégories d'échauffement et les catégories de style. Durant le troisième spectacle, nous avions à notre disposition une liste de toutes les catégories qui avaient étés étudiées au long de l'année. Il était de notre responsabilité d'improvisateurs de les utiliser pour construire notre improvisation ou faire des improvisations en catégorie libre. Le dernier spectacle s'est déroulé en Juin 2018, et n'était guère satisfaisant. Á mon sens, nous avions trop utilisé les catégories que nous maîtrisions, et nous en avions oublié la construction d'une histoire. Le caucus avait été très peu utilisé, parce que nous connaissions les codes de ces catégories, et nous nous étions moins préoccupés de faire progresser une intrigue que de reproduire 119 des actions que nous savions déjà faire. Ces travers interviennent lorsque l'improvisateur oublie les trois notions qui composent les différents axes de travail du groupe Compétence. Le travail d'improvisateur regroupe en effet les fonctions exercées simultanément d'auteur et d'acteur. Gil Galliot, un de fondateurs de la Ligue d'Improvisation Française, en a témoigné dans sa préface de l'ouvrage Impro, Improvisation et théâtre de Keith Johnstone :« Par essence, l'improvisateur est un acteur-auteur puisqu'il produit, en même temps que sa prestation scénique, un texte nécessaire à l'incarnation d'un personnage ainsi qu'au développement d'une situation pour aboutir - enfin si possible - à la construction d'une histoire.»215 .Le groupe des élèves en Compétence et donc divisé en trois catégories qui font travailler aux élèves ces deux notions, puis un troisième groupe dans lequel ils apprennent à utiliser les deux outils avec l'enseignement de Philippe Despature: « Donc c'est pour ça qu'on a fait compétence 1 plutôt auteurs, compétence 2 plutôt comédiens, et compétence 3 plutôt des gens qui ont réussi à matcher un peu tout ça et qui veulent chercher autre chose. »216 Philippe Despature, comme Corentin Vigou et la majorité des intervenants d'Impro Academy, ont pris le temps durant les premières séances d'identifier les capacités et les besoins des élèves pour construire leur programme en conséquence. J'ai émis l'hypothèse que, jusqu'à présent, les catégories d'échauffement et les catégories de style avaient étés travaillées dans les autres ateliers. Les catégories d'échauffement mettent davantage en avant les outils d'un comédien par l'utilisation gestuelle, et les catégories de style font travailler la dimension auteur, afin de construire des situations plus précises et plus identifiables qui peuvent évoluer. Les élèves du parcours Compétence Metteurs en Scène apprennent à utiliser les outils acquis, mais désormais sans l'aide des catégories. Lors des académyades de cette année, aucune catégorie ne nous était imposée par le maître de cérémonie, et aucune liste n'était à notre disposition. Il reste cependant à notre liberté d'utiliser une catégorie qui nous semble adaptée au thème donné pour nous aider à construire notre charpente ou de donner de façon formelle une dynamique à notre improvisation. Mais la catégorie devient à ce moment pour l'improvisateur un outil de construction et non une contrainte. Nous sommes donc encouragés à faire davantage de catégories libres, en utilisant les outils de l'improvisation qui nous ont étés enseignés.Divers codes nous permettent également d'évoluer et de construire nos personnages. En plus de la bascule, Philippe Despature nous a fait travailler la caricature et les changements de status217, qui définissent l'influence ou le 215 Keith Johnstone, Impro, improvisation et théâtre, Paris, Ipanéma, 2013, p. 9. 216 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019 217 Terme anglais qui définit la position d'une personne par rapport à une autre personne ou un autre groupe. 120 pouvoir qu'un personnage a sur un autre.. Ce sont principalement deux outils qui permettent de travailler un personnage, qui est donc davantage du ressort du travail de comédien que de celui de l'auteur. Le travail de caricature consiste à exagérer volontairement le ton, l'émotion, ou la posture physique d'un personnage afin de le rendre identifiable. C'est, à mon sens, la base du travail d'improvisateur : si le personnage ressent une émotion facilement identifiable, il est plus aisé de construire une situation qui aurait provoqué cette émotion. Le travail de caricature a consisté également à varier le niveau d'exagération afin de pouvoir évoluer et d'être davantage disponible pour réagir à des accidents qui surviennent durant une intrigue. Le basculement des status a été théorisé par le Britannique Keith Johnstone, qui a inventé le theatersports dans les années 70. Il pourrait être aisé de traduire cette notion par une relation de dominant à dominé, mais Keith Johnstone étant professeur, il a préféré utiliser ce terme, qui était moins violent du point de vue pédagogique. Le status haut et le status bas aident les personnages à définir leurs identités et la relation qui les unit. Nous avons appris pendant cette année à basculer les status de nos personnages durant une improvisation en cours. Cela a pour conséquence de faire évoluer la relation entre ces personnages, ce qui peut provoquer une péripétie dans la narration et donc faire évoluer l'intrigue. Avec ces exemples d'outils qui nous sont transmis, Philippe Despature nous incite à travailler nos personnages et à les faire évoluer sur scène. C'est là qu'est l'intêret des académyades, nous permettant d'expérimenter ces outils et de vérifier si nous sommes désormais à même de nous en servir. Le statut d'école d'Impro Academy permet cette dimension d'expérience dans le sens où le public sait que c'est une restitution d'atelier. Il s'instaure donc une dimension de travail en cours qui nous incite à tenter des expériences sans craindre un échec. Le travail d'école exercé par Impro Academy diffère de celui des troupes amateurs, car il n'est pas destiné à produire et à mettre au point des spectacles. Il existe cependant au sein de la structure une troupe nommée Team Impro Academy, qui accueille les élèves ayant quatre années au moins d'expérience en improvisation théâtrale et qui sont issus de ces ateliers. Aux dires de Philippe Despature, elle représente une vitrine d'Impro Academy. La forme d'une troupe lui permet d'occuper une place dans le paysage de l'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France.218, en rencontrant d'autres troupes ou en faisant d'autres spectacles sous forme de catch ou de cabarets. 218 Idem. 121 Une certaine expérience de la part des improvisateurs qui en sont membres est exigée, et on entre donc dans cette troupe à l'issue d'un casting. Le casting se présente sous la forme d'une académyade sans catégorie. Cependant, les participants sont observés par un jury composé de trois membres et ont chacun un passage seul en scène imposé durant trois minutes. J'ai interrogé Philippe Despature quant à la composition du jury, qui est similaire depuis quelques années. Lorsque que j'ai passé le casting, il était composé de Rémy Vertain, qui a commencé en prenant des cours au sein des ateliers d'Impro Academy . Il est depuis professeur au sein d'un de ces ateliers et intervenant pour des prestations en milieu social, scolaire et dans les entreprises. Les deux autres membres du jury étaient Michael Wiame et François Marzynski, tous deux comédiens et metteurs en scène mais non improvisateurs. Ces deux connaissances de longue date de Philippe Despature apportent une nuance intéressante par rapport au travail d'improvisateur, en tant que comédiens. Ainsi, Philippe me disait que François Marzynski a un point de vue mitigé sur a pratique de l'improvisation théâtrale, en tant que comédien professionnel : il est davantage sensible à la position d'artiste qui monte sur scène parce qu'il a des choses à dire219. Ce point de vue met également en lumière la problématique de l'absence de fond que l'on peut retrouver dans certains spectacles d'improvisation. On peut rapprocher le système de formation des improvisateurs chez Impro Academy à celui qui est dispensé au sein de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur . Cette dernière dispose de trois niveaux d'ateliers : le groupe débutants s'adresse à ceux qui font leurs premières expériences en improvisation théâtrale, le groupe « espoirs » s'adresse à ceux qui veulent compléter leurs expérience, et le groupe « perf » s'attelle à des ateliers davantage ciblés, en vue de se préparer à des rencontres de plus grande importance, comme des matchs. Tout comme chez Impro Academy, les improvisateurs du groupe « débutants » apprennent les rudiments, et n'ont donc pas de restitution d'atelier. Le groupe « espoir », à la fin de chaque année, se produit dans un concept intitulé « La librairie de l'impro », qui se déroule au coeur de la Librairie Les quatre chemins, à Lille. Contrairement aux académyades, qui ont lieu dans un endroit neutre, où aucun cadre n'est posé à part une scène, le fait de jouer dans une librairie offre un public et un cadre. J'ai pu recueillir les propos d'Arthur Pinta à ce sujet : ça permet de leur faire faire un peu de scène dans un cadre à la fois compliqué - parce qu'on est pas dans une vraie salle de spectacle - mais par contre dans un endroit très chaleureux. Et en essayant de créer des concepts où ils vont pouvoir aller sur des choses nouvelles : on leur fait travailler des catégories autour du livre en variant un peu.220 219 Idem. 220 Entretien avec Arthur Pinta, 27 Février 2019. 122 Pour un premier spectacle, ce format a donc l'avantage de plonger le spectateur dans une ambiance particulière, ce qui constitue une base du cadre qui vient soutenir les improvisateurs pour lesquels c'est la première expérience de spectacle . Pour que la mécanique du spectacle d'improvisation soit respectée, et pour compenser la difficulté de construire le cadre en raison du lieu, Ils sont accompagnés par le maître de cérémonie. Il a la charge de présenter le concept du spectacle au public, de gérer les temps de chaque improvisation et de gérer également les catégories pour chaque improvisation. Les premières du spectacle sont, dans la majorité des cas, exécutées en catégorie libre. L'avantage de la catégorie libre est de permettre à l'improvisateur d'explorer et d'exploiter essentiellement son imaginaire pour s'en servir comme base pour l'improvisation, mais cette absence de repère peut aussi être un piège. Cependant, lorsqu'il doit répondre aux exigences d'une catégorie, un improvisateur débutant doit faire face à une situation d'urgence avec la contrainte de fournir une improvisation répondant aux codes de cette catégorie, ce qui peut être angoissant. Pour supprimer cette urgence, l'improvisation tend à supprimer la peur de l'échec, et donc la notion d'objectif. Il peut donc être intéressant pédagogiquement d'utiliser les catégories libres lorsqu'on débute pour apprendre à placer et construire ses idées, sans avoir à répondre à une commande ou à répondre à une idée que le spectateur se serait mis en tête en anticipant ce que l'improvisateur pourrait faire. Les improvisations de catégorie libre permettent ainsi à ceux qui débutent d'expérimenter les codes en improvisation appris dans les ateliers. Certains codes sont universels, telles la bascule* permettant d'effectuer un changement de lieu ou de temps pendant l'improvisation ou le caucus*, permettant de préparer la situation de départ de l'improvisation. Ces codes partagés par tous peuvent être appris dès lors que l'improvisateur en herbe développe une certaine curiosité, ou se documente. Avec l'évolution de l'improvisation théâtrale, de plus en plus de bouquins ont en effet été édités à ce sujet et permettent un accès plus libre à ces connaissances. Une fois une base commune établie en termes d'exercices et d'échauffement, il me semble possible pour un amateur maîtrisant ces codes de pouvoir enseigner des catégories de style, adaptant un genre pour lequel il éprouve de l'intérêt aux codes de construction d'une improvisation. J'ai appris cela en m'entraînant avec les improvisateurs du Groupe d'Improvisation du Terril. Maxime Curillon et Florine Sachy estiment en effet que « tout le monde est capable d'animer un training, pour peu qu'on apprenne des 123 codes sur un sujet, qu'on s'exerce »221. Lorsque dans la troupe se trouvaient des comédiens professionnels, ils étaient rémunérés. Depuis, c'est à chacun qui le souhaite de proposer un entraînement sur une catégorie de style selon ses goûts ou sa culture générale. Les catégories de style se basant en majorité sur un genre cinématographique, littéraire, ou même musical, il appartient néanmoins à celui qui souhaite explorer sa catégorie de prédilection d'en connaître les codes, ou d'être capable de les identifier ou de les transmettre. Maxime Curillon et Florine Sachy m'ont présenté les raisons pour lesquelles ils avaient opté pour telle ou telle catégories de style : Vincent222, par exemple, fera un training sur Tolkien le jour où il se sentira de le faire, ou quand il se sentira la légitimité de le faire. Et la légitimité il l'a. Parce qu'il est calé sur Tolkien, et c'est super intéressant. La Science-Fiction, avec Louis223, ça vient de deux choses : c'est d'abord un sujet qu'on aime, qu'on connaît bien, même si on s'est beaucoup documentés pour le préparer. Et on voulait aussi apporter autre chose, parce qu'on voyait souvent des gens faire des robots, ou des vaisseaux spatiaux.224 Alors que la catégorie « à la manière de Tolkien » correspond à la volonté de Vincent Lelong de partager un univers qu'il connaît et dont il maîtrise les codes, la catégorie « Science-Fiction », et la manière dont elle est travaillée par Louis Lalleau, correspond davantage à une volonté de renouveler une catégorie de style dont les codes sont communs et connus. Les formateurs du Groupe d'Improvisation du Terril déplorent le nombre de clichés qui arrivent souvent dans cette catégorie. Les soucoupes Volantes et les vaisseaux spatiaux sont en effet des clichés dans le sens où, ils sont utilisés pour que le public identifie la catégorie et l'univers dans lequel l'improvisation a lieu, mais ne peuvent pas faire avancer l'intrigue. Louis Lalleau, pour préparer cette série d'entraînements, a fait un travail de recherche sur le genre de la science-fiction, qui regroupe bon nombres d'oeuvres cinématographiques et littéraires. Peuvent être cités en exemple, le monde post-apocalyptique, les body snatchers, ou les dystopies. Chacun de ces genres, nous l'avons découvert, permet non seulement de varier les jeux et les enjeux d'une improvisation à la manière d'une science-fiction, mais a pu également être travaillé par différents exercices d'improvisation théâtrale. Je prendrais en exemple le sous-genre du body snatcher : Louis Lalleau nous l'a défini comme un sous-genre de la science-fiction dans lequel une population se fait progressivement envahir et remplacer par des identités inconnues. Un accident vient perturber les habitudes des protagonistes et fait comprendre que quelque chose d'étrange est en train de passer. Les habitudes permettent aux improvisateurs de mettre en place une situation de départ 221 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019. 222 Vincent Lelong, membre du Groupe d'Improvisation du Terril. 223 Louis Lalleau, membre du Groupe d'Improvisation du Terril. 224 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019. 124 identifiable afin que chacun s'y retrouve, pendant laquelle chaque comédien aura le loisir de construire son personnage en fonction de son caractère et de la situation. Travailler la première partie de ce sous-genre nous amène à travailler une étape importante dans la construction de l'improvisation qu'est le cadre de départ, dans lequel nous identifions la situation, les traits de caractère des personnages ainsi que leurs relations. Dans une narration arrive ensuite la péripétie, qui est l'accident qui va inciter les héros à accepter l'aventure. Dans le sous-genre des body snatchers, nous pouvons nous amuser à briser le cadre de départ bien construit. L'accident doit apparaître de façon nette afin que tous les improvisateurs le comprennent. Cet aspect nous fait travailler la proposition et l'écoute. Il faut en effet qu'un des improvisateurs prenne la décision de briser le cadre par un accident inhabituel : il peut s'agir d'un changement brusque de son comportement, ou de faire remarquer qu'un élément visuel ou de décors a été modifié. Si un changement de décors a été opéré, il est de la responsabilité de chacun de se souvenir que ce décor a été installé auparavant et d'accepter la proposition. Cela nous fait travailler les notions d'acceptation et d'obstruction : si un improvisateur a opéré un changement, ses partenaires doivent l'accepter et jouer en fonction de ce changement pour la suite de l'improvisation. On qualifie d'obstruction une attitude contraire à celle de l'acceptation : soit le joueur empêche une idée de se développer, soit il ne prend pas en compte la proposition du partenaire. Lorsque l'accident est repéré, chaque improvisateur va mettre en scène son personnage en train de subir le changement de comportement ou de situation. Afin qu'il soit clair pour le public, la notion d'écoute consiste à trouve le moment où l'improvisateur pourra le faire sans le faire en même temps que ses collègues, pour éviter une scène confuse. La construction dramaturgique veut que le héros se rende compte de cette situation, et qu'il soit seul contre tous pour lutter. Afin de renforcer la menace et l'inquiétante étrangeté, ceux qui ont subi le changement de situation deviennent un choeur et forment une seule et même entité. Ce choeur, en improvisation, implique d'accepter la lenteur et le silence, ce qui va à l'encontre d'une urgence et d'un rythme rapide que l'on serait tenté d'installer pour faire face à la peur du vide sur scène et dans l'histoire. Il marque de façon très efficace l'inquiétante étrangeté, car les improvisateurs qui le forment seront forcés d'avoir un débit lent et fortement prononcé pour que tous aient l'occasion de prononcer des paroles de façon plus ou moins simultanée. L'effet est donc justifié. Il a été vu, à travers cette étude de cas, que la liste des catégories de style pouvait être sans cesse enrichie selon la personnalité et les goûts des improvisateurs. Alors que les improvisations et les 125 catégories peuvent évoluer selon les connaissances de chacun, les personnes composant le staff - quel que soit le format du spectacle - ont une formule commune à appliquer. Les formations au staff sont moins présentes, car elles répondent à une demande plus faible. La multiplication des concepts se focalise sur l'improvisateur et l'ambiance générale d'un spectacle, on en oublie par conséquent le staff dont les fonctions sont similaires dans toute représentation. Certains professionnels, tels Thierry Bilisko ou Jean-Baptiste Chauvin proposent néanmoins des formations ponctuelles au staff et à l'arbitrage. C'est également par le billet de la vie associative que l'on peut s'essayer à ces fonctions :dans la majorité des troupes amateurs, les improvisateurs souhaitent être au centre de la scène. Il y a donc un besoin plus conséquent pour les fonctions de staff que de joueur. J'évoquerais les différentes formations et expérimentations sur les rôles du staff qui sont possibles dans le territoire des Hauts-de-France, tout en évoquant mes expériences personnelles lorsque j'ai eu l'occasion d'assumer certaines de ces fonctions. III .4) Le staff : mettre en valeur les partenaires. J'ai pu faire l'expérience d'être maître de cérémonie sur une académyade, en Mars 2019. Étant le relais entre le public et les improvisateurs, j'avais en charge de les présenter et de mettre le spectateur en condition pour les accueillir. J'avais donc à ma charge de poser le cadre qui allait orienter l'énergie et l'ambiance du spectacle. C'est ici que se joue la difficulté du maître de cérémonie et des membres du staff en général, qui doivent « chauffer la salle » pour mettre le spectateur de bonne humeur tout en étant capables de s'effacer immédiatement lorsque les improvisations commencent. Jusqu'ici, toutes les académyades auxquelles j'avais participé avant d'arriver dans le parcours Compétences d'Impro Academy avaient comme maître de cérémonie notre professeur. Puisqu'il s'agissait de restitutions d'ateliers, il insistait pour nous faire travailler les codes que nous avions appris ainsi que les catégories. Au parcours compétences, nous étions encouragés à faire davantage d'expérimentations à partir de techniques d'improvisateurs assimilées. Je n'avais, en tant que maître de cérémonie, pas de catégorie à imposer à mes camarades improvisateurs. Je portais en revanche la responsabilité du temps des improvisations et du rythme du spectacle. 126 Dans cette position, j'avais une réelle possibilité d'observer les improvisations. Je prenais la décision de mettre fin à l'improvisation en cours lorsque je jugeais qu'elle en était arrivée à sa conclusion. Il faut néanmoins avoir une capacité de gestion du temps des improvisations et du temps global du spectacle pour que celui-ci soit équilibré ; mettre fin à une improvisation parce qu'on l'estime terminée ne suffit pas : à la fin du spectacle Philippe Despature est venu me voir en me disant qu'il y avait une part d'impolitesse lorsqu'on était arbitre ou maître de cérémonie. Il faut user de cette « impolitesse » pour donner à des improvisations un temps varié, et alterner les durées pour éviter de faire tomber le rythme du spectacle dans une routine. Le plus difficile a été pour moi de sélectionner des thèmes parmi les propositions du public. Cela implique d'être capable de déterminer ce qui pourrait donner un bon thème pour une improvisation, en un temps bref pour éviter de laisser retomber le rythme entre chaque improvisation. Le maître de cérémonie doit être efficace lorsqu'il pose des questions pour déterminer le thème. J'ai donc alterné les questions ouvertes, où je demandais purement et simplement si le spectateur avait un thème en tête. Pour varier les genres et éviter d'inciter le spectateur à être original, j'interrogeais parfois directement son imagination. Je demandais à la personne si elle avait en tête un titre de film ou de livre qu'elle aurait aimé écrire ou réaliser. Je ne saurais définir ce qui est un bon thème en improvisation, mais il doit, à mon sens, être assez large pour laisser l'imagination de l'improvisateur faire son chemin, et donner des pistes identifiables pour définir un lieu ou une situation. Parfois, lorsque des thèmes n'étaient pas satisfaisants, je demandais leur proposition à deux personnes du public afin d'en faire un seul thème. Je pouvais ainsi fournir aux improvisateurs un thème qui pouvait leur donner des pistes solides, dès lors que ce thème contenait des renseignements quant à une piste ou situation de départ. Il est arrivé néanmoins que cela ne suffise pas. Et, lorsque j'essaie de demander de façon habile au spectateur de préciser et que cela prend trop de temps, cela nuit au rythme du spectacle, ainsi qu'aux énergies des autres spectateurs et des autres improvisateurs qui sont en attente. Il m'est arrivé une fois de déroger à la règle que Philippe Despature avait implicitement mis en place pour nos académyades ; faire des improvisations sans catégorie. Je n'ai pas imposé de catégorie à mes camarades, mais je leur ai donné une contrainte formelle. Bien que cela ne les ait pas réellement aidé à traiter le thème, mon but était de faire en sorte que la contrainte provoque l'admiration du spectateur, en regardant comment l'acteur parvenait à respecter cette contrainte. Une catégorie les aurait aidés à construire une improvisation, mais, devant réagir de façon vive, je n'avais pas eu le temps de penser à quelle catégorie j'allais leur proposer. J'ai donc privilégié l'aspect de la performance au détriment de la narration pour cette improvisation. 127 J'ai également été maître de cérémonie durant un spectacle intitule Impro à la carte pour le Groupe d'Improvisation du Terril. Cette fonction, sous ce format, est désignée par le terme de « serveur » car les codes font référence à un menu de restaurant : les différentes catégories sont renommées pour évoquer des cocktails, et les spectateurs ont à leur disposition une carte de bar qui liste toutes les catégories disponibles. Par exemple, le « Bloody Mary » correspond à la catégorie « film d'horreur », le « black velvet » exige que toute l'improvisation se déroule dans l'obscurité, ou encore l'« hydromel » correspond à la catégorie « conte ». J'ai interrogé les membres du Groupe d'Improvisation du Terril au sujet de cette forme, car je n'étais habitué jusqu'à présent qu'à des formats où les thèmes choisis sur l'instant. Cette forme modifie de façon significative tout le rythme du spectacle, car les thèmes sont choisis avant qu'il ne commence. Deux serveurs sont chargés d'aller à la rencontre des spectateurs une quarantaine de minutes avant que le spectacle ne commence, pour recueillir les choix des thèmes et des catégories. Les thèmes sont choisis par les spectateurs, mais ils doivent choisir la catégorie qui leur correspondra dans la carte. Durant cette période, les serveurs sont chargés de fournir des explications quant à la signification des catégories, et de faire en sorte que les choix soient équilibrés, afin d'éviter d'utiliser une catégorie plus qu'une autre, et qu'un maximum d'entre elles soient utilisées. Á la fin de cette sélection, les deux serveurs bénéficient d'un temps de concertation où ils décident qui a recueilli le meilleur thème pour telle ou telle catégorie. C'est cette raison qui justifie, d'après les informations qui m'ont été données, le format du spectacle. La gestion du rythme pour le maître de cérémonie est très différente de celle d'un cabaret dans le sens plus classique du terme, puisque les serveurs n'ont pas à réagir sur le vif en plein spectacle. Leur fonction reste, une fois que le spectacle a commencé, de faire le pont entre les spectateurs et les improvisateurs. La personne qui a la charge d'arrêter les improvisations est appelée « patron » ou « patronne », et, lorsqu'elle estime que l'improvisation a trouvé une conclusion satisfaisante, actionne une clochette pour mettre fin à l'histoire. La difficulté de ce format, lorsqu'on est maître de cérémonie, est dans le rôle du serveur : lorsque nous recueillons les thèmes et les catégories parmi le public, nous jouons des personnages de serveur classiques, soit avec un comportement particulier si la soirée un thème. J'ai été serveur en Janvier 2018 alors que le spectacle se jouait au Biplan, une salle de spectacle à Lille qui a fermé ses portes en Mars 2019. Á l'occasion de cette dernière représentation, nous avions décidé de placer le spectacle sous le signe des années 90, qui a été la période d'ouverture du Biplan. Ce qui nous a amené à jouer des personnages tout en étant maîtres de cérémonie, en adaptant notre tenue vestimentaire et notre langage de façon conforme aux usages de cette décennie. Entre chaque improvisation, il y avait danger de développer nos personnages de façon excessive. Et 128 comme nous étions deux, il fallait également équilibrer les interventions de chaque serveur. Nous avions néanmoins le loisir de préparer un minimum ces interventions durant les improvisations en cours, étant donné que nous n'avions pas la charge d'imposer une catégorie ou de gérer le temps de l'improvisation. Nous en profitions également pour nous mettre d'accord sur le prochain thème et la prochaine catégorie qui serait donnée. Á travers ces deux expériences, ma conviction est renforcée quant au travail méticuleux du maître de cérémonie qui doit prendre des décisions et les assumer quant au choix du thème, et être capable de s'effacer aux profits des improvisateurs dès que l'improvisation a commencé. Le maître de cérémonie est un des premiers protagonistes qui apparaît aux yeux du public, et il contribue, comme les autres membres du staff, à consolider le cadre dans lequel évoluent les improvisateurs. Dans un match d'improvisation, la solidité du cadre par le maître de cérémonie se traduit par le maintien et le respect du décorum et du rituel : il présente les joueurs un par un au public, dans le but de les valoriser, et continue de faire le relais avec le public. Dans le match, il doit donc noter le thème de l'improvisation pour qu'il soit visible du public, et doit expliquer les fautes qui ont étés sifflées pendant une improvisation. Il est donc nécessaire, pour remplir cette fonction, d'être pédagogue dans le cadre d'un spectacle de restitution d'atelier, ou de bénéficier d'une expérience, soit en tant que spectateur, soit en tant qu'improvisateur, pour comprendre les tenants et aboutissants de la fonction de maître de cérémonie. Avoir joué plusieurs spectacles peut en effet aider, selon moi, à cibler les obstacles auxquels les joueurs sont confrontés lorsqu'ils jouent pour développer sa propre méthode qui permet de poser le cadre. Une expérience de spectateur peut également donner des pistes quant à la façon de procéder : en tant que spectateur, je me suis fait une idée de l'effet que me provoquait le fait d'être pris à parti par un maître de cérémonie pendant un spectacle, ou si j'ai apprécié ou non la façon dont il s'est adressé à moi. J'ai été particulièrement attentif sur ce point lorsque j'étais maître de cérémonie pour la première fois, dans le cadre de l'académyade où, contrairement au match, le maître de cérémonie se déplace parmi les gens du public, et s'adresse directement à l'un d'entre eux. Cette façon de procéder demande une certaine prudence quant au respect de la personne : en agissant de cette façon, je déplace l'individu de l'entité du public, et cette personne est observée pendant un court instant par les autres spectateurs. Il y a une notion d'écoute qui s'installe pendant ce moment, où je le mets également en état de représentation. Il s'agit d'éviter de le mettre mal à l'aise en le mettant en état d'observé pendant trop longtemps. 129 Je n'ai pas eu l'occasion d'être maître de cérémonie pendant un match d'improvisation, mais les matchs du trophée Culture et Diversité m'ont offert d'être assistant-arbitre et coach à deux reprises. La fonction de coach a été détaillée davantage dans le lexique, car il est parfois un sixième joueur pour les équipes, et n'intervient donc pas dans le cadre. Les matchs qui se jouent dans le cadre de ce trophée sont joués par des collégiens, le cadre et le rituel sont par conséquent plus allégés : les improvisations sont moins longues, et l'arbitre siffle moins de fautes. Le trophée Culture et Diversité est né au sein de la fondation Culture et Diversité, crée en 2006 par Marc Andreit de La Charrière . Cette organisation travaille sur l'accès à la Culture et aux arts pour des personnes issues de milieux modestes. En 2009, il a reçu la visite de l'humoriste Jamel Debouze, qui avait découvert l'improvisation dans les ateliers scolaires de Trappes dans les années 90. Le résultat de cette rencontre est la mise en place des ateliers d'improvisation dans bon nombre de collège du pays, pour aboutir à la fin de l'année scolaire à un tournoi. Dans les Hauts-de-France, les ateliers et des matchs oeuvrant dans le cadre de ce trophée sont pris en charge par Impro Academy. Pour les matchs, des membres de l'école sont régulièrement appelés pour faire partie du staff, c'est ce cadre qui peut permettre à ceux qui le souhaitent de s'exercer aux différentes fonctions du staff, soit en coach soit en assistant-arbitre. Les fonctions d'arbitre et de maître de cérémonie étant présentes pour construire réellement un cadre solide, elles sont confiées à des improvisateurs plus expérimentés. Certaines ligues amateurs ont l'opportunité, à leur demande, de bénéficier de formations quant au staff ou à l'improvisation théâtrale de façon plus générale, dispensées par des professionnels. Il arrive également que des matchs amateurs soient arbitrés par ces mêmes professionnels. Thierry Bilisko, qui joue avec la ligue Paris Impro et la Ligue Majeure d'Improvisation, avait arbitré le match entre le Groupe d'Improvisation du Terril et la Licoeur de Bordeaux, le 09 Mars 2019. La troupe ayant bénéficié de l'appui d'improvisateurs professionnels pour sa création, la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur est en contact étroit avec certains arbitres professionnels, qui ont au moins vingt ans de métier. J'ai pu me rendre compte, en discutant avec Arthur Pinta, que la troupe nourrissait des exigences plus élevées quant à ceux qui forment le staff par rapport aux joueurs sélectionnés. Je prendrais l'exemple du coach, qui, en tant que sixième joueur et regard extérieur durant un match, doit avoir une solide expérience du match. Arthur Pinta m'a détaillé le processus de sélection : la candidature de coach est soumise au comité Artistique, qui écoute l'avis des joueurs. Un coach qui souhaite se former aura le loisir de le faire durant un math avec un format allégé, ou de décorum et le rituel sont moins contraignants. Ce sont ensuite les joueurs qui font un 130 débriefing avec les membres du Comité Artistique à propos de la prestation de celui qui veut être coach.225 Le Comité Artistique, avant que le Groupe d'improvisation du Terril ne modifie sa structure, était en charge de définir les équipes et les membres du staff pour les prestations. Lorsque j'évoquais un entraînement sur la Science-Fiction au sein de cette troupe, le fait qu'ils aient choisi de procéder autrement est directement lié à leur vision de l'improvisation théâtrale, partant du postulat qu'une expérience de la scène n'est pas forcément nécessaire pour pratiquer l'improvisation théâtrale ou animer un entraînement. Je reprendrais pour illustrer mes propos une phrase d'Arthur Pinta « J'ai peut-être une vision tronquée, mais je me dis que si on est pro, on se dit qu'on est payés pour faire une prestation, les gens on les voit pas avant ou après, mais on fait notre prestation. Pour moi, quand tu fais ça en amateur, c'est que tu recherches tout le côté humain qu'il y a autour »226 Le côté humain dans une association amateur peut poser problème pour un spectacle d'improvisation : les membres du staff étant dans l'ombre par rapport aux joueurs, les associations amateurs sont souvent confrontées au manque de volontaires pour remplir ces fonctions. J'ai néanmoins souhaité terminer par une analyse des différentes manières possibles de s'essayer à ces fonctions dans la région Hauts-de-France pour tenter d'approfondir mon expérience en improvisation théâtrale. Philippe Despature soulignait que c'est en faisant qu'on apprend... c'est l'école de « Je me casse les dents » »227. C'est, à mon sens, ce que le Groupe d'Improvisation du Terril a mis en place par rapport à son fonctionnement, non seulement à propos des entraînements, mais également à propos de la constitution des équipes pour les spectacles : la troupe ne souhaitant pas dispenser de véritables cours, Maxime Curillon et Florine Sachy, lorsqu'ils composent ces deux équipes, se basent sur plusieurs critères, dont la présence des improvisateurs aux entraînements, et la place que chacun tente à prendre au sein d'un groupe, ce qu'ils ont observé durant la journée de recrutements. Le critère de la présence aux entraînements est de moins en moins pris en compte, mais il avait été mis en place pendant un certain temps pour éviter que des improvisateurs qui avaient une faible expérience en entraînement se retrouvent sur scène. Au fur et à mesure que chacun évolue durant les entraînements, ceux qui sont chargés de sélectionner les équipes essaient de mettre en place un équilibre avec ce qu'ils ont perçu de la prestation de chacun. Maxime Curillon et Florine Sachy ont matérialisé les différentes prestations selon trois catégories : 225 Entretien avec Arthur Pinta, 25 février 2019. 226 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019. 227 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019. 131 -Des gens qui se tiennent sur scène, dans le sens où ils sont capables de gérer quoi qu'il se passe. Ils vont s'en sortir. Des gens qui vont réussir à se gérer seuls, mais qui n'arriveront pas forcément à gérer les autres. Ils vont penser à se sauver eux, mais pas forcément les copains. -Ceux qui sont des piliers pour eux et pour les autres. -Ceux qu'il faut se sécuriser, qui demandent l'attention des autres.228 Ils s'essaient, pour chaque spectacle, de former une équipe réunissant ces trois critères. Les fonctions du cadre sont, la plupart du temps, assurés en binôme, particulièrement pour « Impro à la carte ». Les autres fonctions, telles que maître de cérémonie ou coach, sont la plupart du temps assurées par les improvisateurs les plus anciens au sein de la troupe. Le Groupe d'Improvisation du Terril a donc privilégié une certaine autogestion quant à la formation de ses improvisateurs. Ils donnent des cours qui sont des techniques d'improvisation communes à tout improvisateur, mais c'est ensuite libre à chacun de s'essayer et de se renseigner sur les différentes pratiques. Depuis la prise d'autonomie par les amateurs, le nombre de ligues a augmenté, comme sur tout le territoire. Au-delà des troupes professionnelles comme la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, les troupes amateurs de première génération tomme le Groupe d'Improvisation du Terril et la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, des ligues à structure plus modeste ont vu le jour. La plupart d'entre elles sont nées à l'initiative d'improvisateurs qui ont fait leurs armes dans les premières ligues amateurs, et qui ont souhaité se réapproprier la discipline. C'est ainsi que des anciens élèves d'Impro Academy ont créé la ligue des Imprononçables à Arras, et des anciens de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur ont fondé les Impro locos ou les Georges Clownettes. Ces initiatives indépendantes ont modifié la façon de transmettre, d'apprendre, et de jouer. Elles ont pu contribuer à susciter davantage de visibilité et de curiosité pour une discipline issue du théâtre. Jean-Baptiste Chauvin, pour ces raisons, a déclaré se sentir poche des amateurs. Il était l'un des premiers improvisateurs formés par des professionnels, et il a vécu la prise d'autonomie de ces mêmes amateurs, et les conflits qui en sont découles chez les professionnels : « Oui, les amateurs peuvent être un danger mais ce sont aussi eux qui créent l'engouement »229. L'engouement, pour ceux qui sont curieux, peut à mon sens offrir une riche variété de spectacles, qui vont questionner plusieurs aspects de l'improvisation théâtrale. Ayant en majorité pratiqué le théâtre à textes avant de mettre essayé à l'improvisation théâtrale, j'ai partagé un questionnement qui existe depuis plusieurs années désormais, qui est la question de la part artistique dans l'improvisation théâtrale. Je me suis 228 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019. 229 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019. demandé si il était possible de fournir des improvisations qui vont au-delà d'un divertissement. Jean-Baptiste Chauvin a posé la question suivante : « Comment le joueur pourrait-il avoir la possibilité de créer des improvisations dramatiques dans cet univers ludique et peu enclin aux émotions tristes ? »230 . Au-delà du cadre qui peut donner une énergie et une ambiance identifiables qui vont orienter les émotions suscitées par les improvisations, il est néanmoins étrange de remarquer que l'improvisation tendrait soit à faire rire, soit à rendre triste le public. J'ai toujours soutenu que, selon moi, la réaction du public n'appartenait pas à l'improvisateur, dès lors qu'il est en train d'expérimenter face au spectateur. Par ailleurs, identifier un sentiment que l'on voudrait transmettre au public impliquerait une notion d'objectif où l'improvisateur souhaiterait transmettre une parole précise. Vouloir s'interroger sur ce que l'on veut dire, en tant qu'improvisateur, est pour moi la meilleure façon d'user de clichés ou de cabotinage, voire un de surjouer pour être certain que l'émotion du personnage soit comprise par le public. Si l'improvisateur se met en tête de vouloir transmettre une émotion au public, il se met dès le début de son improvisation un objectif qui aura, à mon avis, pour conséquence de l'aveugler par rapport aux autres possibilités et propositions de ses partenaires. Un autre aspect qui me semble problématique, lorsqu'on utilise le terme « d'improvisation dramatique », est que l'on a tendance à évoquer une émotion extrême. Cela sous-entendrait que l'improvisation théâtrale n'aurait qu'à offrir des émotions fortes pour être identifiables, sans réelle nuance et de variation dans le jeu ou dans les propos. Selon Jean-Baptiste Chauvin, le travail de l'improvisateur n'est guère de provoquer des émotions chez le spectateur : en tant qu'auteurs, nous parlons du monde dans lequel nous vivons, et nous pouvons faire de grandes choses de ce pouvoir pour être bien plus que des rigolos de service. Pas forcément en revêtant nos impros de messages fondamentaux ou de diatribes militantes, mais juste en cherchant à parsemer nos histoires de petits points d'interrogations qui permettront au spectateur de prolonger son expérience théâtrale en sortant. 231 132 230 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit ; p.143. 231 Jean-Baptiste Chauvin, Impro : à fond la forme !, op. cit., disponible sur https://www.improforma.fr/single-post/2019/01/21/Impro-%C3%A0-fond-la-forme [consulté le 14/05/2019]. 133 |
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