Les ligues d'improvisation théàątrale dans les Hauts-de-France: histoire, organisation et codespar Matthieu HACOT Université de Lille UFR humanités Département Arts de la scène - Master 2019 |
1 Université de Lille UFR humanités Département Arts de la scène Les ligues d'improvisation théâtrale dans les Hauts-de-France :histoire, organisation et codes Matthieu Hacot Mémoire de Master 2 Sous la direction de Madame Ariane Martinez Soutenu à la session de juin 2019 2 Remerciements Je tiens à remercier Madame Ariane Martinez pour ses précieux conseils et sa disponibilité qui ont permis l'écriture de cet ouvrage. J'adresse également mes remerciements à tous les improvisateurs qui ont généreusement accepté de répondre à mes interrogations : Monsieur Jean-Baptiste Chauvin, membre de la Ligue Majeure d'Improvisation et co-fondateur de la compagnie Déclic théâtre, ainsi qu'aux improvisateurs nordistes : Monsieur Emmanuel Leroy, fondateur de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. et Monsieur Simon Fache, membres de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, Madame Florine Sachy et Monsieur Maxime Curillon, du bureau du Groupe d'Improvisation du Terril, Monsieur Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur, Monsieur Philippe Despature et Monsieur Corentin Vigou, professeurs à l'école Impro Academy. Un grand merci également à Thierry Bilisko pour les passionnantes discussions à propos de l'arbitrage, ainsi qu'à Grégory Allaeys pour son témoignage sur l'improvisation dans les Hauts-de-France . Je souhaite également saluer et remercier tous les improvisateurs croisés jusqu'à ce jour, avec qui les discussions informelles entretiennent ma réflexion et mon intérêt pour l'improvisation théâtrale. 3 Table des matières Introduction 4 Partie 1 : Du Canada à la France : Création et acclimatation des ligues d'improvisation 11 I.1 :Des Jeunes Comédiens au Théâtre expérimental de Montréal :l'époque des expérimentations.13 I.2 :La création du match d'improvisation théâtrale .19 I.3 :L'importation du match d'improvisation théâtrale en France :création et extensions des ligues
Introduction« Pourquoi les salles de théâtres sont-elles vides et les stades de football pleins à craquer ? »1 Robert Gravel2 Dans les années 70, une crise identitaire frappe le théâtre québécois : Durant la Révolution Tranquille (1960-1970), des mouvements de réformes se heurtent aux tendances traditionalistes du gouvernement en place. Une envie de changement se manifeste dans les milieux étudiants, ainsi que dans les deux écoles où le théâtre est enseigné : le Conservatoire d'art Dramatique, fondé en 1958 à Québec et L'École Nationale de Théâtre du Canada fondée en 1960 à Montréal. La rencontre entre Robert Gravel (jeune comédien sorti du Conservatoire) et le metteur en scène Jean-Pierre Ronfard aboutit à des créations expérimentales et collectives qui renouvellent le paysage théâtral. Depuis son intégration dans la troupe des Jeunes Comédiens en 1970 jusqu'à la création de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1979, l'improvisation apparaît comme une source de créations expérimentales. Lorsque Robert Gravel évoque salles de théâtre et salles de foot, il introduit une comparaison entre le simulacre et la compétition, deux des quatre catégories que le sociologue Roger Caillois classe dans sa typologie des formes de jeu. Celle-ci comprend : la compétition, le hasard, le simulacre et le vertige. Dans Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Caillois explique en quoi le jeu cimente les civilisations. Il fait la remarque suivante : «[Le jeu] repose et amuse. Il évoque une activité sans contrainte, mais aussi sans conséquence pour la vie réelle. Il s'oppose au sérieux de celle-ci et se voit ainsi qualifié de "frivole" »3. Le théâtre, qui relève du simulacre, procure du plaisir au joueur dans la satisfaction de se faire passer pour autre : « le masque dissimule le personnage social et libère la personnalité véritable. »4 Les jeux de compétition permettent aux participants de prouver leur valeur ou leur adresse dans un domaine intellectuel ou sportif. Le cadre de la compétition dans un temps et un espace dédiés s'impose alors comme nécessaire pour mettre à exécution la soif de défi qui unit les hommes sans violence. Bien que ces deux catégories (jeux de simulacre et jeux de compétition) soient distinctes, il semble intéressant de pointer qu'elles peuvent parfois se rejoindre sur certains points. La présence de simulacre dans tout jeu de compétition est difficilement contestable : tout joueur, dès lors qu'il entre dans le cadre physique et temporel d'un jeu de compétition, s'amuse à devenir autre. 1 Christophe Tournier, Manuel d'improvisation théâtrale, Genève, Éditions de l'eau vive, 2006, p. 10. 2 Robert Gravel est né le 12 Septembre 1944 à Montréal et décédé le 12 Août 1996 à Saint-Gabriel-de Brandon. 3 Roger Caillois, Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1958, p. 9. 4 Ibid., p. 65. 4 5 L'expression « entrer en jeu » peut désigner autant l'acte d'entrer dans cet espace que la préparation au jeu de l'acteur. Le cérémonial d'une rencontre sportive englobe la présentation des joueurs, l'ouverture de la compétition ou encore leur entrée dans le cadre. Le terrain est une scène, et toute scène a son public. Si celui qui s'offre à une représentation théâtrale et celui qui concourt sont tous deux acteurs, l'improvisation théâtrale - lorsqu'elle se pratique sous une forme compétitive - unit ces deux niveaux de jeu. Ce format de spectacle spécifique est aujourd'hui pratiquée par des compagnies qui se spécialisent dans les spectacles d'improvisation théâtrale appelées « ligues ». J'ai pu observer, dans la région des Hauts-De-France, nombreuses compagnies qui s'essaient à cette pratique, de façon amateur ou professionnelle. Depuis, bons nombres de formats se sont inspirés de cette première forme et constituent aujourd'hui une base de spectacles accessibles pour des amateurs, professionnels, ou des non praticiens du théâtre. C'est ce qui permet aujourd'hui une grande proposition quant à cette pratique. En effet, bons nombres de compagnies amateurs peuplent aujourd'hui la région, évoluant conjointement avec deux structures professionnalisantes. C'est grâce à cette grande offre que j'ai eu l'opportunité de prolonger et multiplier les expériences quant à une pratique artistique que j'ai découvert en 2013 à Lyon, avec une compagnie étudiante baptisée Collectif Lyonnais d'Artistes Polyvalents. Différentes structures m'ont ensuite permis de consolider ma pratique. Je suis élève, depuis septembre 2017, de l'école Impro Academy, qui essaime ses ateliers dans toute la Région. Dirigé par le comédien Philippe Despature, ce regroupement d'ateliers est une des structures qui propose de découvrir et d'en apprendre davantage sur l'improvisation théâtrale, quelque soit l'expérience de l'élève. Cette structure enseigne les bases, mais, en dehors de restitutions d'ateliers, ne propose que peu d'opportunités pour jouer des spectacles. C'est l'envie de jouer davantage qui m'a fait intégrer, en septembre 2018, le Groupe d'Improvisation du Terril, une des nombreuses ligues d'improvisation amateurs qui existent dans la région Hauts-de-France. En plus des structures qui offrent une base d'enseignement ainsi qu'une possibilité de jouer dans des spectacles, la région est également dotée d'une des plus anciennes ligues professionnelles d'improvisation qu'est la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, fondée par le comédien Emmanuel Leroy. Les différentes écoles et compagnies que je côtoie, tant par mon expérience d'acteur que de spectateur, font état d'une pratique maintenant fort répandue, sous formes de spectacles et d'ateliers, mais également d'ateliers de formations en milieu social et scolaire, ainsi qu'en entreprise. Ces services de formations, dans les Hauts-De-France, sont proposés par la Ligue 6 d'improvisation de Marcq-en-Baroeul, ainsi que par l'organisation Les pieds sur scène, gérée par Philippe Despature, et François Samier, qui est en charge des projets de formation. Philippe Despature propose également, en plus des ateliers de formations et de l'école, des spectacles joués par l'organisation professionnelle Lille Impro. Ces trois pôles d'activités sont regroupés sous l'organisation de la Scénosphère. La multiplicité des formes par lesquelles est utilisée l'improvisation théâtrale dans les Hauts-De-France fait donc état d'une pratique qui a évolué depuis le premier spectacle d'improvisation de ce ce genre qu'est le match d'improvisation théâtrale, inventé par le comédien Robert Gravel en 1977 à Montréal. C'est tout l'objet de cet ouvrage d'analyser les codes et l'histoire d'une discipline spécifique qui est devenue aujourd'hui accessible, ce qui m'amène a étudier les différents processus qui ont abouti à sa démocratisation. Cette étude étant motivée par la curiosité et l'envie de connaître davantage les enjeux et les codes d'une discipline que je pratique depuis maintenant 2013, il me faut en étudier son histoire depuis la création du match d'improvisation théâtrale. C'est ce qui m'amènera, dans un premier temps, à étudier le contexte dans lequel Robert Gravel a évolué pour définir les influences qui ont abouti à la création du match d'improvisation théâtrale. L'improvisation a joué un rôle essentiel dans de nombreuses périodes-clés du théâtre. La commedia dell'arte en constitue l'un des exemples les plus connus. Ses personnages-types reflètent la société de l'époque. Les puissants sont attaqués à travers la figure de Pantalon, marchand Vénitien avare et libidineux ; tandis que les plus modestes auront leur revanche grâce aux facéties du valet Arlequin : un personnage roublard, amoureux, qui punira les figures d'autorité. Outre le bourgeois et son valet, on y trouve également des figures qui peuplent le quotidien des italiens de cette époque, tel le médecin, perçu comme un charlatan qui écume les marchés pour vendre ses élixirs douteux aux plus démunis. Ces personnages sont typifiés par leurs masques, qui les dessine à grands traits. La commedia dell'arte a connu au XXe siècle une reviviscence dans la pédagogie du Vieux-Colombier, les spectacles de Giorgio Strehler et l'école de Jacques Lecoq. Ces influences témoignent du fait que l'improvisation, tout comme le masque, sont des sources inépuisables, à la fois pour l'apprentissage du jeu, et pour le renouvellement du théâtre au contact de la société. En créant le match d'improvisation, Robert Gravel invente une forme de jeu où le masque et la compétition se mêlent et ont autant de poids l'un que l'autre. Peu de traces, cependant, évoquent avec précision la création du match d'improvisation. Le comédien-improvisateur Jean-Baptiste 7 Chauvin la situe lors d'une soirée d'Automne 1977 rassemblant quelques personnes. Robert Gravel imagine alors un jeu théâtral s'inspirant des règles du match de hockey. La soirée se conclut sur la première charpente du match d'improvisation. Je serais ensuite amené à étudier en quoi cette charpente a évolué, pour aboutir à la création de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1979. Afin d'étudier les évènements qui ont abouti aujourd'hui à la présence de nombreuses ligues et organisations dans les Hauts-De-France, une partie historique sera consacrée à l'étude de périodes-clés qui ont façonné l'organisation des diverses structures relatives à l'improvisation théâtrale en France. En procédant ainsi, je relèverais les principaux évènements qui ont sculpté la pratique. Afin d'en déceler les les grandes évolutions, il sera nécessaire d'étudier le règlement du match d'improvisation tel qu'il fut écrit en 1977. L'objet de cette étude, complété par mes réflexions relatives à mes expériences d'improvisateur et de spectateur, sera de déterminer les transformations de ce règlement, qui détermine encore de nos jours tout le cadre cérémonial et rituel commun à toutes les ligues d'improvisation théâtrale. En mêlant les jeux de simulacre et de compétition, ce format a développé au fur et à mesure du temps des notions spécifiques avec des termes précis. C'est pourquoi à cet ouvrage est également joint un lexique explicitant les termes et les notions relatives à l'improvisation théâtrale. Je suis amené à utiliser certains de ces termes dans le corps de cet ouvrage. Ils sont identifiés par le signe « * » et font l'objet d'une définition et d'une réflexion dans le lexique. Je conclurais mon mémoire par une étude de cas approfondie des différentes structures qui sont présentes dans la région Hauts-de-France. Pour développer ma réflexion, je m'appuie à la fois sur une recherche documentaire (historique, et en ligne) et sur des enquêtes de terrain. Le choix de l'enquête de terrain est lié à la fois à la nécessité de prendre du recul sur mon expérience personnelle, et au désir de rencontrer différents protagonistes, afin d'établir le socle commun reliant les diverses pratiques d'improvisation sur le territoire. J'emprunte donc ici à l'ethnologie et à la sociologie leurs pratiques de l'observation participante, afin de trouver des réponses sur le terrain étudié au-delà des ressources académiques. Dans le domaine de l'improvisation, il est indispensable d'« éprouver pour savoir »5, pour reprendre l'expression du 5 Jean Peneff, Le Goût de l'observation. Comprendre et pratiquer l'observation participante en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2009, p. 10 sociologue Jean Peneff. Il commente en ces termes la pratique de l'observation participante : 6 « La richesse de cette méthode découle le fait que le sociologue incorpore des savoirs au moment où il se met en porte-à-faux avec lui-même, au cours d'un déchirement dont il doit se sortir indemne. »7 Bien que ma démarche ne soit pas sociologique (étude exhaustive des acteurs, élaboration chiffrée des connaissances, etc), mais bien historique et esthétique, j'ai emprunté cette technique de l'observation participante à la sociologie, de façon à la fois libre et rigoureuse, pour obtenir des informations provenant d'un cercle privatif. Ma mise en « porte-à-faux avec [moi]-même » a résidé dans ma capacité à abandonner des convictions personnelles (sur les définitions de tel ou tel terme, sur la nécessité de telle ou telle règle en improvisation...) si elle se trouvent annihilées par la réalité du terrain. Mes observations de séances, et les entretiens que j'ai réalisés, m'ont aidé en ce sens. Par ailleurs, le choix de l'enquête de terrain se justifie par la nature de l'improvisation théâtrale en elle-même : différentes expériences relatives à cette pratique se sont exportées à grande vitesse, autant dans l'espace que dans le temps : les ateliers de formations, les créations de troupes et les spectacles se sont développés. Parties d'un socle commun, ces manifestations spontanées font office de relais de ces notions, remplaçant textes écrits et manifestes. Il y a là une forme de transmission orale qui peut se penser selon les modalités qu'a énoncées Paul Zumthor pour parler de la « voix poétique » des jongleurs médiévaux, qui se déplaçaient comme les comédiens improvisateurs d'aujourd'hui : La voix poétique assume la fonction cohésive et stabilisante sans laquelle le groupe social ne pourrait survivre. Paradoxe: grâce à l'errance de ses interprètes dans l'espace - dans le temps, dans la conscience de soi - elle est présente en tout lieu, connue de chacun intégrée aux discours communs, pour eux référence permanente et sûre. Elle leur confère justement quelque extra-temporalité; à travers elle, ils demeurent et sont justifiés. 8 Dans son ouvrage, Jean Peneff détaille la place de l'observateur participant dans la sociologie. C'est dans ce chapitre que seront empruntées les techniques de cette méthode : « L'implication est ici envisagée sous l'angle de la maîtrise du rôle avant l'entrée. L'avantage de connaître le milieu que l'on va étudier favorise la rapidité : il n'y a pas une mise à distance particulière, ni à se déprendre de son rôle naturel »9. 6 Gp. 7 Ibid. 8 Paul Zumthor, La Lettre et la voix. De la «littérature médiévale», Paris, Éditions du Seuil, 1987, p. 155. 9 Jean Peneff, op. cit., p. 203. 8 9 Ma position de membre des milieux étudiés favorisera donc ma position de chercheur, étant donné que je suis déjà sur les terrains que j'ai étudiés, que j'ai déjà reçu des définitions dans un cadre informel ou par l'entremise des relations que j'ai avec ses protagonistes. ». Je suis donc allé à la rencontre de certains protagonistes qui ont oeuvré à perpétuer cette pratique sur le territoire français ainsi que dans les Hauts-de-France.. Par la transmission orale, chacun de ces individus a reçu un héritage d'improvisateur différent. Il est donc intéressant de les interroger sur l'enseignement qui leur a été transmis. C'est dans ce but que j'ai contacté Jean-Baptiste Chauvin et Emmanuel Leroy, qui ont été témoins de l'importation de l'improvisation théâtrale en France, dès le début des années 80. Ils ont également été acteurs, par leurs différentes actions et créations, de l'évolution de l'improvisation théâtrale sur le territoire national. Par ailleurs, Emmanuel Leroy étant directeur artistique de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, j'ai pu également m'interroger sur la pratique dans un contexte plus local. L'entretien a effectivement porté sur le positionnement d'une des plus anciennes ligues de France dans un milieu où les initiatives par rapport à l'improvisation théâtrale sont nombreuses. C'est également ce qui m'a amené à m'entretenir avec des protagonistes qui sont à la tête des différentes structures des Hauts-De-France aux côtés desquelles j'improvise aujourd'hui. Par les trois entités qu'elle regroupe, la Scénosphère joue un rôle majeur dans les activités d'improvisation théâtrale que l'on peut trouver dans les Hauts-de-France. Je me suis entretenu avec Philippe Despature pour découvrir les dessous et les raisons de sa naissance. Cet entretien m'a également permis d'analyser les activités variées de cette structure, et leur influence sur les activités de la Région. J'ai également interrogé Simon Fache, qui est musicien au sein de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. L'entretien a porté sur l'importance du cérémonial dans un match. Florine Sachy et Maxime Curillon font partie du bureau du Groupe d'Improvisation du Terril. Ces deux entretiens m'ont éclairé sur la question des identités des ligues amateurs, bien plus nombreuses que les ligues professionnelles. C'est pourquoi j'ai discuté également avec Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur afin de comparer les mécanismes internes de deux structures portant un héritage professionnel. Ce sont en effet les deux plus anciennes ligues d'improvisation lilloises amateurs qui ont étés crées avec la contribution de la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul. 10 J'ai abordé avec eux plusieurs questions, d'abord quant au besoin de se créer une identité pour pouvoir offrir un aspect différent de l'improvisation que ce que les autres ligues amateurs proposent. J'ai donc été amené à étudier certains formats inédits créés par ces compagnies. Ces créations peuvent autant répondre à ce besoin de se créer une identité que de concrétiser une vision de l'improvisation théâtrale qui leur est propre. Je me suis également penché sur la question de l'organisation interne de ces compagnies, qui, en tant que ligues amateurs, ont en charge de sélectionner les joueurs pour leurs différents spectacles. Dès lors que l'on parle d'amateurisme, l'exigence quant à la qualité artistique peut être difficilement acceptée comme un critère de sélection. Ces deux entretiens ont donc eu également pour objectif d'identifier les critères utilisés pour sélectionner les joueurs, ainsi que les mécanismes de formation proposés au sein de ces compagnies. Enfin, j'ai demandé son témoignage à Corentin Vigou, membre de la Ligue Royale de Strandovie. Nous avons parlé ensemble du format spécifique qu'est le catch d'improvisation, qui a la particularité d'avoir été inventé par des improvisateurs amateurs, et est aujourd'hui pratiqué par les professionnels. I : Du Canada à la France : création et acclimatation des ligues d'improvisation « La LNI est née de deux préoccupations : l'évolution de l'improvisation théâtrale en général et le désir de créer un vrai jeu théâtral. »10 Robert Gravel La ligue Nationale d'improvisation est la première compagnie à se consacrer à la pratique et à la diffusion du match d'improvisation, créé par Robert Gravel en 1977. Les ligues d'improvisation qui sont aujourd'hui implantées sur le territoire des Hauts-de-France ont hérité de cette pratique, qui a évolué depuis sa création. Je me suis penché sur l'histoire du match d'improvisation et de son créateur, afin d'établir les paramètres qui ont favorisé son expansion et comment ce jeu canadien a été adapté en France. J'évoquerai le contexte social et politique dans lequel le match d'improvisation a vu le jour,au sein d'une jeune génération de Québécois en quête d'identité et de nouvelles formes. En parallèle, je comparerai ce climat de renouveau avec celui de Mai 1968 en France, qui favorise la création de troupes de théâtre expérimentales. Bénéficiant d'une transmission orale, et passant d'un continent à l'autre, la discipline a peu à peu évolué. À sa sortie du conservatoire d'art dramatique du Canada en 1970, le jeune Gravel est influencé par les évènements qui ont façonné la Révolution Tranquille (1960-1970) au Québec. De ses premiers pas avec la troupe des Jeunes comédiens (1970-1974), à la création de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1977, son parcours est jonché d'expériences ayant cimenté son envie d'un théâtre nouveau. Durant sa vie d'enseignant, il ne cesse de défendre l'improvisation comme outil de l'acteur : Je crois profondément que la pratique de l'impro peut développer cette spontanéité constante. La disponibilité que requièrent la phase de la mise en scène et la phase des représentations relèvent de l'art de l'improvisation. Malheur au metteur en scène qui a sa mise en scène toute faite à l'avance ! Malheur au comédien qui croit que son personnage existe avant qu'il lui ait donné chair !11 L'expérience vécue avec les Jeunes Comédiens a eu une grande influence sur Robert Gravel. Il va développer l'improvisation comme outil de création. Sa volonté de faire prendre des 10 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, Impro : Réflexions et analyses, Ottawa, Éditions Leméac, p. 14, 1987. 11 Ibid., p. 14 11 12 risques à l'acteur et l'échec d'une première tentative de jeu improvisé avec les Jeunes Comédiens en 1972 le poussent, avec quelques camarades, à fonder un nouveau jeu où les acteurs seront soumis au regard et au jugement d'un public venu entendre des histoires inédites. Cette nouvelle création est signée par une structure nouvelle : Le Théâtre Expérimental de Montréal, (fondé en 1974), la troupe des Jeunes Comédiens n'ayant pas survécu à la Révolution Tranquille. La création du match d'improvisation, avec son cérémonial et ses règles, place le comédien dans un contexte permettant chaque soir un spectacle différent par son contenu, ce qui respecte le souhait d'expérimentation émanant de son créateur. Le cadre strict et codifié de ce spectacle offre un cadre solide sur lequel le comédien peut s'appuyer et effectuer ses improvisations, avec un enjeu de victoire à la clé. Les trois années qui séparent le premier match d'improvisation de l'indépendance de la Ligue Nationale d'Improvisation en 1980 ont permis de structurer une forme nouvelle, de trouver un nouveau public, de former les acteurs à un nouvel outil, et de faire évoluer l'improvisation théâtrale, selon la volonté de son créateur. Cette discipline a tôt fait d'intéresser Outre-Atlantique d'autres groupes artistiques, tels le Théâtre de l'Unité en France, qui ne manque pas de faire appel aux québecois pour équiper le Département des Yvelines d'une nouvelle identité artistique et culturelle grâce à ses « ruches » en 1981. À la suite de ce premier contact, de multiples antennes-relais sont créées au fur et à mesure des expérimentations sur le territoire Français. L'improvisation théâtrale se développe sous de multiples formes structurantes grâce aux ligues amateurs et professionnelles, aux différents championnats organisés et à la volonté de jeunes improvisateurs de s'approprier cet art en créant à leur tour des formes originales d'improvisation théâtrale. C'est d'abord au sein de la Troupe des Jeunes Comédiens que Robert Gravel a fait ses premières armes. Les problématiques d'identité artistique et les conflits avec les institutions auxquels cette troupe a été confrontée l'ont encouragé à créer un lieu où faire ses propres expérimentations avec le Théâtre expérimental de Montréal. En m'appuyant sur un dossier de Françoise Simon et Hélène Beauchamp12, je propose ici un aperçu de l'histoire de cette troupe, afin de montrer l'influence qu'elle a eue sur Robert Gravel. 12 Hélène Beauchamp, Françoise Simon, Les jeunes comédiens du Théâtre du Nouveau Monde ou l'esprit nomade, L'annuaire théâtral, numéro 22, 1997, p. 94, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/annuaire/1997-n22-annuaire3668/041332ar.pdf [consulté le 13/02/2019]. 13 I.1 : Des Jeunes Comédiens au Théâtre expérimental de Montréal : l'époque des expérimentationsRobert Gravel intègre la troupe des jeunes Comédiens à sa sortie du conservatoire en 1970, sur invitation du metteur en scène Jean-Pierre Ronfard. Créée en 1963 et composée de ressortissants de l'École Nationale de Théâtre du Canada basée à Montréal, cette compagnie a pour mission de donner une visibilité au travail accompli entre les murs de l'école dans le Canada anglophone, pour oeuvrer à un rapprochement culturel avec le Canada francophone. À cette époque, Jean-Pierre Ronfard est directeur de la section française de l'établissement. C'est avec la pièce du Mariage forcé de Molière que cette troupe se met en route. Pour gagner en efficacité, le groupe se déplace pour jouer dans des universités et des lycées, emportant avec lui tréteaux, accessoires et costumes. Il devient une troupe itinérante, qui privilégie les bancs des universités pour s'adresser aux étudiants du pays au lieu des salles de spectacle traditionnelles. Par le choix de la pièce et de la langue française, ces jeunes comédiens exportent sur le territoire anglophone une partie de la culture du Canada francophone. Après le succès de la première tournée de 1963, qui a compté 53 dates, la gestion de la troupe est confiée à des organismes relevant à la fois des tutelles du Canada anglophone et francophone afin de concrétiser cette entente et d'assurer les tournées sur l'ensemble du pays. Dès la tournée de 1964-1965, des organismes locaux - tels le conseil des Affaires Culturels du Québec ou le Manitoba Theater Center basé à Winnipeg (Anglophone à 95%) - et nationaux, tels le Conseil des Arts du Canada (qui accueille en son sein des étudiants tant anglophones que francophones) prennent en charge la tournée. Continuant à jouer des textes essentiellement français (L'amour médecin et L'impromptu de Versailles de Molière en 1964-1965, une anthologie des pièces du même auteur intitulée Leçons d'amour de Monsieur Molière, La première famille du poète Jules Supervielle en 1965-1966), les jeunes acteurs font preuve d'une riche inventivité pour contourner la barrière de la langue : ils usent du masque, de la danse et de l'acrobatie dans ses représentations. La troupe se constitue petit-à-petit une identité propre, avec l'aide de Jean-Pierre Ronfard qui « met l'accent sur la jeunesse et la spontanéité de ces tout jeunes acteurs »13 En 1964, ils sont privés de cet 13 Ibid., p. 94. homme sensible à leur spontanéité, qui quitte la direction de la Section Française de L'École Nationale de Théâtre pour parfaire ses armes de metteur en scène en Afrique et en France. Il revient à Montréal en 1969 pour prendre le poste de secrétaire général du Théâtre du Nouveau Monde, compagnie fondée en 1951. Durant cette période, les tournées s'enchaînent, les jeunes comédiens peuvent compter sur un partenariat conclu entre l'école et l'organisme des Canadian Players, qui leur organise des tournées à Toronto et à Stratford. Après une transformation interne, le Conseil National des Arts du Canada fait appel au Centre National des arts et le Théâtre du Nouveau monde pour subventionner la compagnie. Le Centre National n'est, à ce stade, qu'un projet en cours de concrétisation qui prendra ses quartiers à Ottawa en 1969. De 1963 à 1969, de nouveaux comédiens sortis de L'École Nationale de Théâtre viennent renforcer les rangs de la troupe. Hélène Beauchamp et Françoise Simon racontent que ces nouvelles recrues ont été au coeur des mouvements étudiants qui ont secoué cette décennie : En 1965-1966, les étudiants du Conservatoire d'Art Dramatique participent à la grève générale des écoles d'art et réclament un livre blanc sur l'enseignement du théâtre au Québec (Cloutier, 1977). Les neufs élèves admis dans la classe d'interprétation en 1966 quittent l'école nationale de théâtre après s'être vus refuser le droit de monter un spectacle de leur choix.14 Dans les rangs de ceux qui quittent l'école cette année-là se trouve Raymond Cloutier, qui fonde avec certains de ses camarades le Grand Cirque Ordinaire, l'une des troupes alternatives émergentes de cette période : Le Grand Cirque ordinaire a commencé par un regroupement d'acteurs révoltés, pris dans un théâtre québecois, en 1968-1969, qu'ils considéraient comme aliénant [...] Aliénant pour l'artiste en nous, le créateur, parce qu'on avait passé trois, quatre ou cinq ans dans des écoles à se préparer pour raconter des choses qui ne nous ressemblaient jamais.15 Cette perte de repères est aussi ressentie par les Jeunes Comédiens. Il devient de moins en moins aisé de véhiculer la culture d'une école à laquelle la troupe n'est plus liée depuis son rattachement au Théâtre du Nouveau Monde, tant sur le plan administratif que sur le plan artistique : 14 Ibid., p. 95-96. 15 Raymond Cloutier, Le Grand Cirque Ordinaire: réflexions sur une expérience, Études françaises, vol 15, numéro 1-2, Avril 1979, disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1979-v15-n1-2-etudfr1689/036688ar.pdf [consulté le 14/02/2019]. 14 officiellement, la mission de la compagnie reste de véhiculer les créations de l'école à travers tout le pays, et c'est le répertoire français qui reste privilégié. Hélène Beauchamp et Françoise Simon qualifient cependant de « schizophrénie artistique aiguë »16 la situation des jeunes comédiens à cette époque. Cette schizophrénie serait causée par les changements opérés par la Révolution Tranquille : la troupe continue d'engager des ressortissants de l'École Nationale du Théâtre, qui avaient eux-mêmes contesté l'enseignement qui leur avait été dispensé. L'arrivée de ces nouveaux comédiens encourage alors une volonté émancipatrice. La troupe reste néanmoins liée à des organismes anglophones et francophones qui continuent de financer conjointement les tournées pour le rapprochement culturel, tandis que que la Révolution Tranquille prône de plus en plus l'indépendance du Québec. De retour à Montréal, Jean-Pierre Ronfard tente, conformément à ses idéaux, d'utiliser le manque de repère de ces jeunes acteurs à des fins artistiques. La construction progressive d'une identité propre à cette troupe l'incite à l'envisager comme « un instrument de création. Elle ne représentera pas d'oeuvres consacrées, mais proposera au public l'expression artistique d'un groupe de jeunes comédiens utilisant tous les moyens spectaculaires à sa portée ».17 L'arrivée de Robert Gravel dans la troupe en 1970 coïncide avec ce virage artistique majeur. Subventionnée par des organismes commanditaires, elle continue à jouer des pièces Francophones de commande. En outre, la vision de Jean-Pierre Ronfard se concrétise avec des créations expérimentales et collectives, à l'instar du Grand Cirque Ordinaire. La prise de risques dont ils font preuve ne rencontre cependant pas un succès immédiat, et les créations collectives de la troupe nomade font l'objet de critiques défavorables durant les années qui suivent. Depuis 1969, les oeuvres originales divisent tantôt les Québecois, tantôt les Canadiens anglophones. En guise de compromis, ils laissent à leurs hôtes, pour la tournée 1970-1971, le choix d'une représentation soit « fermée » avec un texte d'auteur, soit « ouverte » avec une création originale. Les libertés qu'ils prennent avec les textes d'auteurs jurent avec la mission d'exportation du travail des écoles de théâtre québécoises, ce qui achève de les plonger dans une crise identitaire, artistique et culturelle selon un rapport évoqué par Hélène Beauchamp et Françoise Simon : En 1973, les difficultés s'accumulent. Un rapport négatif sur la tournée de 1972 émane du Centre National des Arts où il est fait état des insatisfactions des commanditaires et des malentendus qui ont gangrené le partage des tâches administratives entre le TNM et le CNA. Il 16 Hélène Beauchamp, Françoise Simon, op. cit., p. 97 . 17 Idem. 15 16 semblerait aussi qu'il soit de plus en plus difficile de produire des spectacles qui plaisent à tous publics : anglophones et francophones, étudiants des écoles et des universités, membres des différentes communautés canadiennes, grandes et petites. Le rapport conclut à la nécessaire réorientation des Jeunes Comédiens 18 Les tentatives de diversification de la troupe ne permettent pas de résoudre leurs crises internes. En effet, pour instaurer une nouvelle dynamique, la troupe décide en 1970-1971 d'engager des comédiens venus d'autres formations. Ce qui est mal perçu par les institutions desquelles elle dépend. À cause de la crise identitaire et de la multiplicité des envies artistiques, il devient difficile pour le Théâtre Du Nouveau Monde ainsi que pour les principaux subventionneurs de continuer à soutenir la troupe. Ces conflits rendent caducs les nouveaux projets mis en place, et provoquent le départ de bon nombre de comédiens de la compagnie. Fragilisée, elle éprouve des difficultés à exister dans le paysage théâtral de l'époque : « Par ailleurs, le mouvement du jeune théâtre voit alors naître nombre de compagnies, qui, hors de l'institution théâtrale, prennent le relais dans le domaine de la création et des tournées »19. La tournée 1970-1971, durant son passage en Ontario, permet néanmoins la rencontre de Jean-Pierre Ronfard et Robert Gravel avec la Comédienne Pol Pelletier20. Tous trois contribuent, dès lors, à renforcer l'affirmation du théâtre québecois. La disparition des Jeunes Comédiens incite Jean-Pierre Ronfard à penser au développement une structure autonome : « Il faut trouver un endroit où on pourra faire ce qu'on ne peut pas faire ailleurs !!! »21. Ainsi témoigne Robert Gravel de la ténacité de Jean-Pierre Ronfard. De ces cris naît un nouveau théâtre au coeur de Montréal, en 1974 dans l'appartement du metteur en scène. Grâce à un arrangement avec un restaurateur pour un loyer modeste, ils s'installent dans le dessus de l'établissement, à la maison de Beaujeu. Les trois comédiens pourtant ne s'intéressent pas encore à l'improvisation, n'y voyant pas un moyen pertinent, d'après un témoignage de Robert Gravel22. Au stade de leurs différentes carrières, les trois têtes pensantes du Théâtre Expérimental de Montréal ont une vision de l'improvisation basée sur la recherche du métier d'acteur. Ils avaient 18 Ibid., p. 106. 19 Idem. 20 Pol Pelletier est née le 6 Novembre 1947 à Ottawa (Ontario). 21 Robert Gravel, J'ai donné ma jeunesse au T.E.M, p. 7, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/publications/trac [consulté le 15/02/2019]. 22 Idem. 17 déjà tenté par le passé, notamment avec les Jeunes Comédiens, d'utiliser l'Improvisation comme moteur majeur dans une de leurs créations en 1972 : il s'agissait d'une pièce déambulatoire à la manière d'un jeu de monopoly grandeur nature dans laquelle les comédiens se comportaient comme des joueurs, tirant des cartes qui avaient des conséquences pour leurs personnages. Robert Gravel a reconnu en 1988 que l'idée manquait de simplicité. Il souhaite dépasser la création d'autres troupes expérimentales émergentes, telles celles de Raymond Cloutier avec le Grand Cirque Ordinaire :« Nos spectacles étaient fabriqués - on ne faisait pas d'improvisation en public - mais à partir de nos propres sauts périlleux. Dans les cirques, on n'engage pas un acrobate pour lui dire quoi faire. »23.Le Grand Cirque Ordinaire utilise donc l'improvisation comme technique d'écriture, alors que le but de Robert Gravel est de la renouveler. Avec le Théâtre Expérimental de Montréal, il met au point deux spectacles, qui, par leur sobriété et leur durée, font de l'improvisation le sujet central de la pièce : il joue durant tout l'été 1976 les 12 heures d'improvisation à deux comédiens aux côtés de Gilles Renaud24. Il renouvelle l'expérience en novembre avec les 24 heures d'improvisation à deux comédiens, avec Lorraine Pintal25 qui remplace Gilles Renaud. Les titres de ces deux oeuvres interrogent, quant à leur caractère minimaliste. Robert Gravel semble chercher jusqu'où un acteur peut aller uniquement en improvisant : le fait que la durée soit volontairement précisée dans le titre pousse à croire qu'avec ce spectacle, il souhaite réellement éprouver tant le comédien que la discipline. Il va ainsi à l'encontre de la volonté du Grand Cirque Ordinaire, qui mettait volontairement l'improvisation au profit de l'acteur en le magnifiant comme un créateur. Une captation vidéo des 24 heures d'improvisation a été réalisée par le vidéaste Yvon Leduc, qui devient un grand ami de Robert Gravel. Bien que ces captations ne soient plus disponibles, des photographies et des enregistrements audios sont disponibles sur le site du Nouveau Théâtre Expérimental de Montréal.26 Robert Gravel et ses partenaires évoluent dans un espace scénique chaotique : quelques canapés, tables et chaises sont disséminés dans la pièce, les murs sont sales et fissurés, et la majorité du public, assis à même le sol, regarde au centre de la pièce. 23 Raymond Cloutier, op. cit., p. 189. 24 Gilles Renaud est né le 25 Septembre 1944 à Montréal. Il est diplômé de l'École Nationale de Théâtre en 1967. 25 Lorraine Pintal est née à Plessisville le 24Septembre 1951. Elle est depuis 1992 la directrice artistique du Théâtre du Nouveau Monde. 26 Disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/audios/improvisation [consulté le 14/03/2019]. 18 Robert Gravel et Gilles Renaud au centre de la maison Beaujeu lors des 12 heures d'improvisation à 2 comédiens (1976), photographie par Daniel Keffer, disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/galeries/12-heures-dimprovisation. La configuration géographique attire le regard du spectateur vers l'espace composé d'un cercle blanc au sol, entouré de quatre poutres, faisant penser à un ring. Sur les différentes photos, c'est en majorité dans cet espace que les comédiens évoluent. Cette configuration a peut-être contribué à faire germer dans l'esprit de Robert Gravel l'idée d'une patinoire où les improvisations auraient lieu. Le dispositif multi-frontal du public met en danger le comédien : il est observé depuis toutes les directions, le spectateur observent pourtant un silence presque religieux : dans les captations audios, très peu de perturbations sonores émanent du public. La conversation entre les deux comédiens est interrompue ou soutenue uniquement par quelques interventions sonores du musicien et de quelques rires.27 La gestion de l'espace et du temps s'avère difficile tant pour les acteurs que pour les spectateurs. Il faut donc un cadre plus solide pour que l'improvisation ait un sens et que son impact sur le public 27 Disponible sur https://archives.nte.qc.ca/medias/audios/improvisation [consulté le 22/02/2019]. 19 soit immédiat. Le rapport au temps conditionne le comédien : sur une longue durée, il se sent encore dans une certaine soupape de sécurité, ayant du temps pour développer l'intrigue. Or, le souhait de Robert Gravel est d'explorer les autres possibilités qu'offre l'improvisation théâtrale qu'un outil d'écriture et de création de personnage. Il faut donc un format qu l'incite à produire un résultat qui soit immédiatement identifiable. |
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