Genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi. Contribution à l'analyse sociologique d'une économie de la débrouille.( Télécharger le fichier original )par Modeste DIKASA Engondo Université de Lubumbashi - Docteur en sociologie 2006 |
UNIVERSITE DE LUBUMBASHI Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives Département de Sociologie B.P.1825 LUBUMBASHI Genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi. Contribution à l'analyse sociologique d'une économie de la débrouille. Par DIKASA Engondo Modeste Diplômé d'Etudes Approfondies en Sociologie Chef de Travaux Thèse présentée et soutenue en vue äe l'obtention du Grade de Docteur en Sociologie Promoteur : Raphael Bushabu Piema Kuete Professeur Ordinaire DEDICACE A Mon père Engondo Osongo Emile ; A ma mère Asele Mbutshu Marie ; A mon épouse Ngombe Kamwanya Marie-Josée ; A mes enfants et mes petits-fils ; A mes frères et soeurs ; A tous les pleure-misères de la ville de Lubumbashi, vous qui ne demandez pas de bien vivre à tout jamais mais à vivre quand même; Aux ménages pauvres de la République Démocratique du Congo, en général et de Lubumbashi en particulier; A tous ceux qui m'ont poussé à grimper l'arbre pour savourer les fruits, au lieu de rester en bas et attendre la chute de ces fruits. II REMERCIEMENTS Au terme de ces années de recherches, mes premiers remerciements s'adressent au Professeur Raphaël BUSHABU Piema Kuete, mon promoteur de thèse qui m'a apporté un précieux soutien, en se montrant toujours disponible et exigeant pour l'achèvement de ce travail. Mes remerciements aussi aux Professeurs TSHIMPAKA Yanga et KAYIBA Bukasa pour avoir accepté d'assurer mon encadrement scientifique tout au long de mes recherches. Leurs conseils, remarques et enrichissements de la thématique ont beaucoup contribué à l'élaboration de cette thèse. Au fait, de Raphaël BUSHABU Piema Kuete, TSHIMPAKA Yanga et KAYIBA Bukasa, j'ai beaucoup appris. Ils m'ont inculqué le sens de la communication, d'orientation, d'analyse dans ce domaine de pauvreté et du genre qui suscite l'intérêt de beaucoup de chercheurs. Mes remerciements s'adressent également à toutes les autorités académiques et décanales de l'Université de Lubumbashi, particulièrement le Recteur et Professeur KISHIBA Fitula Gilbert, les membres du comité de gestion pour l'encadrement de doctorants et le développement de la recherche à l'Université de Lubumbashi. Je n'oublierai pas de remercier les membres des Comités de Gestion de l'Institut Supérieur de Statistique de Lubumbashi et de l'Institut Universitaire Maria Malkia pour toutes les facilités qu'ils m'ont accordées tout au long de mes recherches. Je pense enfin à mes amis Crispin BAKATUSEKA, Jean-Pierre TSHIBANGU et Léopold MUKALENGE. Je remercie Crispin et Jean Pierre pour avoir accepté de temps en temps de lire le manuscrit de cette thèse et de m'aider à identifier quelques coquilles malencontreuses et Léopold pour m'avoir aidé dans le traitement statistique des données d'enquête. Je remercie tous mes collègues enseignants de l'Institut Supérieur de Statistique de Lubumbashi, les étudiants de troisième graduat et III de deuxième licence Statistique qui m'ont prêté main forte lors de l'enquête de terrain, sans oublier les ménages de Lubumbashi qui ont accepté de répondre à mes questions d'enquête. Je serais ingrat si, à cette occasion, je ne disais pas merci à toute la communauté du Plus Grand Nom, il s'agit de la communauté Baha'ie de la République Démocratique du Congo ; je dis également merci à tous les Atetela de Lubumbashi pour leur encouragement et leur soutien, plus particulièrement au Professeur Ordinaire Jacques ANYENYOLA Welo qui m'a encouragé à grimper sur cet arbre de connaissances scientifiques. Je n'aurais jamais achevé ce travail sans l'assistance du Tout-Puissant, votre créateur et le mien. Qu'il soit loué à cette occasion, qu'il reste notre guide. Que Sa main généreuse nous couve et nous garantisse ses grâces. A vous tous, mes sincères remerciements. Modeste DIKASA Engondo IV SIGLES ET ABREVIATIONS AGR : Activités Génératrices de Revenus ANR : Agence Nationale des Renseignements BCC : Banque Centrale du Congo BCDC : Banque Commerciale du Congo BIAC : Banque Internationale Africaine au Congo BOA: Bank of Africa BM: Banque Mondiale Chemaf: Chemical of Africa DEA : Diplôme d'Etudes Approfondies DGM : Direction Générale de Migrations DPI : Direction Provinciale des Impôts ESU : Enseignement Supérieur et Universitaire GAD : Gender and Development Gécamines: Générale des Carrières et de Mines GED: Genre et Développement IDH : Indicateur du Développement Humain IFD : Intégration des femmes au développement LLC : Low Level Corruption OCA : Office des Cités Africaines OCC : Office Congolais de Contrôle OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement ONG : Organisation Non Gouvernementale ONL : Office National de Logement ONU : Organisation des Nations-Unies PAS : Programmes d'Ajustement Structurel PIB : Produits Intérieurs Bruts PNUD : Programmes de Nations-Unies pour le Développement RDC : République Démocratique du Congo V SNCC : Société Nationale de Chemin de Fer du Congo SNEL: Société Nationale d'Electricité SPSS: Statistical Package for the Social Sciences TFM: Tenke Fungurume Mining TMB: Trust Merchand Bank UMHK : Union Minière du Haut-Katanga UNICEF : Fonds de Nations-Unies pour l'Enfance UNIFEM : Fonds de Nations-Unies pour la Femme WID: Women's Integration in Development 1 INTRODUCTION GENERALE1. Présentation du sujet et objet de la recherche La République Démocratique du Congo, comme de nombreux pays africains, vit une profonde crise marquée par la dégradation des conditions de vie des populations avec comme corollaire le recul du pouvoir d'achat, la diminution des revenus, l'accroissement du coût de la vie, l'augmentation du taux de chômage, l'aggravation de la pauvreté, l'effondrement du système scolaire, etc. Face à une telle situation, le travail-source de bonheur matériel, social et spirituel, devient une préoccupation de toutes les composantes de la société. Si la division du travail est depuis plus d'un siècle un concept central en organisation des entreprises, elle n'a pas encore requis l'attention qu'elle mérite au sein des ménages pour mieux comprendre les comportements de ceux-ci dans leurs dimensions culturelles, sociales et surtout économiques en cas de précarité matérielle. Bien souvent, ce sont les femmes qui sont les principales victimes de situations désastreuses. Elles sont victimes de la misère, et de toutes sortes de discrimination alors qu'elles restent la cheville ouvrière du pays. Elles assurent habituellement la survie des ménages par leur production et leur petit commerce. Ainsi, partant de l'exemple concret de la ville de Lubumbashi et nous servant du genre comme outil de travail, nous voulons réfléchir sur l'amélioration de la situation et du statut de la femme en étudiant les mécanismes de survie des ménages dans une économie de la débrouille. C'est pourquoi cette thèse s'intitule : Genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi. Contribution à l'analyse sociologique d'une économie de la débrouille. L'objet de cette recherche est d'appréhender d'une part, l'état de la pauvreté aussi bien des hommes que des femmes, et d'autre part, l'influence de la relation homme-femme sur la survie des ménages dans la (1) MULUMBATI Ngasha, Manuel de sociologie générale, Lubumbashi, Ed. Africa, 1980, p.20 2 ville de Lubumbashi. Ainsi, dans le cadre de cette thèse, l'influence des relations homme-femme est appréhendée par rapport au sexe du chef de ménage ainsi que par la façon dont les ménages mobilisent l'ensemble des ressources dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté. Il s'agit donc de voir, s'il existe, des écarts significatifs entre les ménages dirigés par des femmes et ceux dirigés par des hommes dans le contrôle et la mobilisation de leurs forces économiques et sociales pour une bonne lutte contre la pauvreté et pour la survie des ménages. 2. Choix et intérêt du sujet La première des choses que doit faire quiconque veut s'engager dans toute recherche scientifique c'est de motiver le choix et l'intérêt du sujet. Le choix du sujet, ses délimitations ainsi que l'intérêt qu'il présente pour le chercheur conditionnent le déroulement de l'étude et sa réussite finale.(1) Rien n'a été donc fait au hasard dans cette étude. Il revient néanmoins de préciser que le choix et l'intérêt portés à cette question sociale s'inscrivent dans la perspective de la sociologie du développement et de l'approche genre. Dans le chéminement de notre réflexion nous avons été motivés par un triple souci: personnel, social et scientifique, qu'au départ il convient de légitimer. 2.1. Intérêt personnel Sur le plan personnel, par cette étude nous cherchons à apporter aussi notre contribution à l'approche genre et développement. En effet, même si les femmes sont les plus nombreuses en République Démocratique du Congo en général et à Lubumbashi en particulier, la majorité d'entre elles demeurent très pauvres et travaillent dans des conditions 3 nettement inférieures à celles des hommes. Cette vulnérabilité du genre qui frise la discrimination et l'exclusion de la femme dans les processus de développement s'est accrue, d'autant que les femmes ont une quadruple charge d'encadrement quotidien des enfants, d'entretien de la maison, des activités de subsistance et du confort voire de l'entretien du mari. On les retrouve seules au front de cette lutte caractérisée surtout par leur isolement et par l'absence du soutien du conjoint lui aussi noyé dans la débrouillardise. Afin de compléter les revenus familiaux, là où ils existent, la femme est appelée à travailler durement pour refuser de mourir, elle et les siens. Au moment où la femme commence à se déterminer et à se débarrasser d'anciennes considérations autour de sa personne, il nous paraît vraiment impérieux de nous pencher sur le rôle et la place à elle réservés pour le développement de notre société. D'autres éléments confortent autant le choix de ce sujet : la femme est appelée à revendiquer ses droits et à gravir aussi les hiérarchies professionnelles, son apport au travail productif étant devenu visible à tous les niveaux de la vie (pays, ville, foyer). Combattre ainsi les positions anachroniques sur les droits de la femme, restituer à cette dernière ses droits en tant qu'être humain appelé à s'épanouir, voilà autant d'éléments qui justifient l'intérêt personnel de l'approche genre et de ce sujet. 2.2. Intérêt social A travers cette étude, nous voudrions aider la femme à comprendre que la quête d'égalité entre l'homme et la femme doit intégrer la reconnaissance selon laquelle l'égalité va de pair avec et ne menace pas ni moins encore ne contredit la reconnaissance de la différence et de la complémentarité qui existent entre l'homme et la femme. Car sans cette reconnaissance, la lutte pour l'égalité ne serait pas non seulement authentique mais se caractériserait par une approche antagoniste mettant en exergue les oppositions entre les hommes et les femmes. De la sorte, la femme se dresserait davantage contre l'homme et vice-versa, et toute quête d'identité se baserait sur la négation de l'autre. L'approche genre conduit cependant à la 4 reconnaissance réciproque de l'identité et du rôle de l'un à l'égard de l'autre dans la recherche des voies et moyens pour la survie des ménages et le bien-être de tous. La vision consiste à réduire, ou même à nier totalement les différences artificielles entre les hommes et les femmes afin d'éviter la domination d'un sexe sur l'autre ; leurs différences sont à considérer comme de simples conséquences de conditionnements historiques et culturels. La différence physique, bien que réelle, est relativisée, tandis que la dimension purement culturelle est mise en exergue et considérée comme primordiale. Cette ambiguité sémantique qui existe actuellement à propos des différences (biologique/culturelle) a des conséquences sur la stabilité de la société, des ménages et sur la qualité des relations entre les hommes et les femmes. L'adoption de l'approche genre dans cette thèse montre qu'il y a une différence dans les besoins spécifiques des hommes et des femmes et permet aussi d'évaluer les incidences, à la faveur des femmes comme des hommes dans la lutte contre la pauvreté. 2.3. Intérêt scientifique Sur le plan scientifique, les rapports nationaux sur le développement humain durable soulèvent aujourd'hui une question d'actualité qui est celle du genre et de la lutte contre la pauvreté. Les préoccupations affichées par les organisations internationales et nationales sur les discriminations et les inégalités de sexe pèsent sur la croissance du pays. Il faut donc aider les femmes à contribuer au développement. Car bien qu'étant les plus pauvres, surtout les plus vulnérables et les plus défavorisées, les femmes utilisent davantage leurs ressources économiques pour le bien-être de la famille et de leur ménage : dépenses alimentaires, d'éducation ou de santé, alors que les hommes sont souvent accusés de gaspiller leurs revenus en consommation non productive. 5 L'accès aux droits humains fondamentaux passe aussi par l'accès de chaque membre de la famille humaine au travail. La présente thèse sur la pauvreté, genre et stratégies de survie des ménages à Lubumbashi tente de mettre en lumière les différentes théories relatives à l'intégration de l'approche genre dans le processus du développement afin de faire ressortir leurs portées et leurs limites. S'écartant des nombreuses études consacrées aux activités des femmes tout comme des très jeunes personnes, que l'on considère parfois comme des formes d'esclavage ou d'exploitation, cette thèse propose un autre type de lecture des activités de toutes ces personnes considérées comme vulnérables dans un contexte social de pauvreté et de fragilité. Elle cherche à bien cerner les processus qui conduisent les femmes, les hommes et même les adolescents, bref tous les membres d'un ménage à se débrouiller pour survivre dans un environnement précaire. 3. Délimitation du sujet Toute recherche scientifique doit être délimitée en rapport avec le temps, l'espace et le domaine de recherche. Dans le temps, cette étude porte sur la période allant de 2006 à 2011, soit une période de cinq ans. Nous aurions voulu aller jusqu'à 2012, mais faute des données statistiques consolidées de la population au niveau de l'administration urbaine jusqu'en mars 2013, nous nous sommes contenté de la période où les données étaient déjà publiées. Le choix de l'année 2006 se justifie par le fait que le régime démocratique a toujours été considéré par beaucoup de gens comme celui qui s'occupe plus de l'amélioration des conditions de vie de sa population. En République Démocratique du Congo, l'année 2006 correspond à l'année de l'organisation des premières élections démocratiques dans le pays. 2011 est aussi l'année qui a amené la République Démocratique du Congo à l'organisation des ses deuxièmes élections démocratiques. Nous n'avons pas considéré ces limites (2006 et 2011) en tenant compte seulement du côté politique mais surtout du fait que nous pensons que cette vocation à l'amélioration des conditions de vie que prône la démocratie peut amener 6 l'administration à fournir des données statistiques fiables capables de soutenir une bonne interpretation des données. Dans l'espace, la ville de Lubumbashi constitue notre cadre de référence. Du point de vue du domaine d'étude, cette thèse s'inscrit dans le cadre de la sociologie du développement. Il s'agit de voir comment la femme congolaise en général et la lushoise en particulier, confrontée à une situation de précarité due à la crise multiforme, se démène comme tout être humain pour assurer sa survie et lutter contre la pauvreté. 4. Etat de la question Dans toute recherche scientifique, l'état de la question est l'une des étapes la plus importante dans la mesure où il permet au chercheur de faire l'inventaire des travaux antérieurs et de dégager une certaine originalité par rapport à toutes ces productions scientifiques qui se rapprochent du sujet traité. Pour mieux saisir les contours de notre étude, nous nous sommes servi de quelques ouvrages, articles, thèses et mémoires de Diplôme d'Etudes Approfondies (DEA) qui traitent des aspects en rapport avec notre sujet, notamment les thèmes touchant au genre, à la pauvreté et à la survie des ménages. Après inventaire de tous ces travaux, notre revue de la littérature est subdivisée en trois parties: la première concerne le concept genre tandis que la deuxième porte sur celui du concept pauvreté et enfin dans la troisième partie nous parlons de stratégies de survie. 4. A. Le genre. A propos du genre nous avons retenu les travaux très captivants de Buawa Kadanyi, Kayiba Bukasa, Mulang N'daal, Odile Goerg, Albertine Tshibilondi Ngoyi, Bisiliat Jeanne et Christine Verschuur, Luc 7 Sindjoun, Catherine Coquery-Vidrovitch, Régine Bonnardel, Mwilambwe Mwende, Angèle Osako Onowamba et Donatien Dibwe dia Mwembu. Buawa Kadanyi(1) dans sa thèse sur: Genre et égalité à l'éducation dans le territoire de Luiza. Contribution à la théorie de management scolaire, montre que les
femmes sont l'objet d'une Kayiba Bukasa(2), dans sa thèse sur : Femme et travail : analyse critique de la problématique de la parité dans les entreprises publiques à Lubumbashi, montre que le travail assurant une certaine indépendance à l'homme a affranchi les femmes travaillant dans les entreprises publiques. Cependant elle déplore leur nombre qui reste encore insignifiant à cause du fait qu'elles n'ont pas pu avoir les mêmes opportunités que les hommes. La scolarisation inégale entre garçons et filles, la pauvreté,
8 le mariage précoce et la prostitution figurent parmi les éléments qui justifient, d'après l'auteur, la faible représentation de la femme dans les entreprises publiques. Elle reconnait cependant que beaucoup d'efforts ont été faits pour améliorer les rapports entre l'homme et la femme sur le plan de travail surtout dans les entreprises publiques, mais ils sont encore insignifiants. Elle plaide pour un changement de mentalité. Elle soutient que l'on doit cesser de considérer la femme comme étant faible, comme une rivale de l'homme car elle ne vient pas remplacer l'homme sur le lieu de travail, mais plutôt comme celle qui vient prester au même titre que l'homme en mettant en valeur ses capacités tant physiques qu'intellectuelles. Donc la société congolaise doit apprendre à accepter le travail de la femme comme une réalité effective et faire tomber tous les stéréotypes qui le mystifient. Si dans la vision traditionnelle, la femme devait seulement rester à la cuisine, entretenir la maison et s'occuper des enfants et de son époux, avec la modernisation par contre elle évolue aux cotés de l'homme et est même appelée à intervenir financièrement à la survie du foyer. A travers une analyse dialectique elle a montré enfin que le passage du mode de production lignager au mode de production capitaliste du travail a affranchi la femme de son état d'infériorité à elle imposé par la culture traditionnelle. Le travail donne aussi à la femme autant qu'à l'homme les mêmes avantages et les mêmes satisfactions. Pour sa part Fernand Mulang N'daal, dans sa thèse de doctorat en Histoire intitulée Femme et économie quotidienne Histoire de la construction de la féminité à partir des marchés informels lushois(1), montre que la femme crée et occupe désormais une place dans l'économie quotidienne. Son rôle économique prépondérant entraine sur le plan social la (1) MULANG N'daal F, Femme et économie quotidienne Histoire de la construction de la féminité à partir des marchés informels lushois, Thèse de doctorat en Histoire, UNILU, 2010 (1) GOERG, O., Perspectives historiques sur le genre en Afrique, Paris, L'Harmattan, 2007 9 recomposition des rôles, du pouvoir et des fonctions. Son étude montre en outre comment le déclin de l'économie formelle a poussé les femmes à travailler pour la subsistance du groupe domestique et à devenir dans beaucoup de cas des chefs de familles. Il soutient que lorsque les individus sont dans une situation de survie, ils sont contraints coûte que coûte à la débrouille. Donc pour lui, le recours à l'économie quotidienne est dû à l'impossibilité pour beaucoup de Lushois d'assurer leur propre subsistance et celle de leur famille qui les oblige à mener de front des activités dans les marchés informels à travers leurs épouses. Pour notre part, nous partageons le même point de vue avec Fernand Mulang N'daal sur le fait que la situation économique précaire qui s'est manifestée de manière frappante depuis 1990 est à la base d'une nouvelle économie quotidienne ou de la débrouille dans la dynamique urbaine lushoise. Cependant, en nous référant à l'approche genre, nous voulons montrer que ces mécanismes de survie ne sont pas seulement l'apanage des femmes, mais aussi des hommes. Tous développent des mécanismes qui leur permettent de s'adapter aux contraintes politiques et économiques. Odile Goerg(1), dans son ouvrage « Perspectives historiques sur le genre en Afrique », montre le rôle très actif des femmes, c'est-à-dire leur rôle comme agents de bouleversement social dans la société joola. Ce rôle est même réaffirmé dans le cadre du mouvement indépendantiste. Sous des parures conservatoires et une volonté affichée de préserver leur position, les femmes entraînent, paradoxalement et - peut-être - à leur corps défendant, de profondes modifications des rapports de genre. Par leur mobilisation collective face à des enjeux destructeurs du lien social, leur capacité d'initiative et leurs stratégies économiques (métiers urbains de la domesticité et des services), les femmes assument des dynamiques de 10 changement même si elles ont encore peu d'accès aux métiers liés à la scolarisation et s'inventent d'autres voies. Pour appuyer ses arguments, Odile Goerg note encore qu'en réponse à leur marginalisation économique ou politique au Sénégal et à leur position déstabilisée par l'activisme féminin, les hommes confinent les femmes à leur rôle traditionnel en faisant appel à leur devoir de mère et en niant les forces de changement à l'oeuvre. Il n'est donc pas étonnant que les femmes se positionnent différemment dans le mouvement indépendantiste. En maintenant la figure de la mère, venant au secours des enfants en danger, les femmes se mettent en avant dans les initiatives de paix et dans les efforts pour la survie là où les hommes se sont avoués incapables. Ainsi depuis l'époque de la lutte anticolonialiste en Afrique, le fil rouge de la mobilisation féminine est la protestation contre les conditions socioéconomiques du pays. Chaque fois que ces situations socioéconomiques les empêchent de remplir complètement leur rôle de mère et d'épouse, elles se mobilisent pour trouver des solutions appropriées et survivre. Par la diversité des cas et des thématiques, l'approche genre d'Odile Goerg nous permet par le biais de la discipline historique de prendre conscience des mutations mais aussi des permanences qui marquent les rapports de genre. Cependant, nous pensons, comme Jean Fonkoué, qu'il y a lieu de se méfier un peu de l'emploi d'une certaine terminologie relative à la culture traditionnelle dite primitive : «des formules devenues classiques - ` peuples primitifs' ` sans histoire', ` sociétés segmentaires', etc. comportaient en elles-mêmes de lourdes équivoques. Des sociétés contemporaines devenaient ` primitives' au même titre que les sociétés mésopotamiennes aujourd'hui complétement disparues. De telles formules permettaient ensuite une lecture aisément mécaniste, évolutionniste et raciste des sociétés africaines. Il est dans la logique de l'évolutionnisme d'inventer les `étapes élémentaires` pour 11 dissimuler ses prises de position politique et idéologique en faveur de l'esclavage et du colonialisme. »(1) Albertine Tshibilondi Ngoyi(2), à travers son ouvrage sur « Enjeux de l'éducation de la femme en Afrique. Cas des femmes congolaises du Kasaï », part d'un souci de rechercher des solutions susceptibles d'aider au développement participatif des femmes kasaïennes dans la perspective genre. Pour ce faire, elle a porté son attention sur l'impact qu'ont pu exercer les modes de formation traditionnelle et moderne sur la mentalité des femmes et des possibilités nouvelles de leur épanouissement, donc leur apport au développement de la province. Au terme de ses recherches, Albertine Tshibilondi trouve que les Kasaïennes, comme toutes les autres femmes africaines, ont en mains le destin du continent. Néanmoins, sur le chemin de leur épanouissement se dressent de nombreuses difficultés, notamment les conditions socioculturelles, les conditions juridiques et la discrimination dont elles sont victimes dans le domaine de la formation. Sur ce, elle pense que la libération, la reconnaissance et le respect des droits fondamentaux des femmes, en général et des Kasaiennes en particulier, en tant que personnes humaines suppose une révolution mentale, scolaire et juridique qui les valorise. Ainsi Albertine Tshibilondi propose que les institutions étatiques et les Organisations Non Gouvernementales contribuent, en donnant un coup de main pour l'enseignement des filles et en stimulant les parents, souvent sans revenus, à envoyer leurs filles à l'école au lieu de préférer souvent à investir dans les études des garçons et obliger les filles à des mariages précoces. Elle préconise concrètement, pour une réelle autonomisation de la femme de favoriser l'éducation des filles par une discrimination positive en faveur des filles et des femmes qui leur permettrait de se former et d'avoir accès aux
12 autres ressources. Tshibilondi propose également un encadrement des filles et des femmes par la création des foyers et des projets socioéconomiques afin d'améliorer leurs conditions de réussite, de les protéger du mariage précoce et de la prostitution en facilitant l'accès au travail, en accroissant leurs droits et leurs revenus. Albertine Tshibilondi tout comme Buawa Kadanyi se sont plus apesantis sur l'éducation de la femme et de la jeune fille comme facteur d'autonomisation de celles-ci par l'amélioration de leurs conditions soci-économiques, conditions intellectuelles, spirituelles et éthiques. On peut certes voir se réaliser certaines performances dans ce domaine. Créer des écoles et facilter l'accès aux filles ne suffisent pas pour que la condition de la femme dans la vie sociale soit profondement changée. Peut-être les revenus génerés par l'instruction et l'éducation de la femme engagée dans le mode de production capitaliste font voir cette amélioration, mais il n'est pas sûr que l'opération améliore sensiblement la situation de la femme dans une société marquée par la prépondérance masculine, à Lubumbashi, à Luiza ou dans le Kasai qui a servi de champ d'investigation de leurs recherches. Rien ne permet d'affirmer que l'apprentissage d'un métier, d'une science fait absolument retrouver à la femme le droit à la parole dans la société où elle vit. Ce genre de prise de position risque de modeler la femme selon un système dans lequel on lui fait oublier, comme le soulignait Jean Marc Ela, les injustices qui pesent sur elle. « Certains insistent unilatéralement sur le rôle primordial de la femme dans l'éducation, la santé ou l'alimentation de l'enfant comme s'il ne s'agissait pas là des problèmes du couple. On ne voit pas comment ces problèmes ne pourraient concerner que la femme quand on sait que les ressources monétaires de la famille sont habituellement gérées par l'homme, selon son bon vouloir. Combien des femmes finissent par vite oublier les nouvelles connaissances acquises parce que le mari refuse tout changement ? »(1) (1) ELA, J.M., L'Afrique des villages, Paris, Karthala, 1982, p.137 (1) BISILLIAT, J. et VERACHUUR, C., Le genre : un outil nécessaire, Paris, L'Harmattan, 2000, p.58 13 Pour notre part, l'approche genre a été suivie dans le travail d'Albertine dans la mesure où il touche au rôle productif des femmes dans les activités de développement. Mais nous déplorons cependant le fait qu'elle s'est beaucoup plus appesantie sur la socialisation de la femme africaine par l'éducation. Nous pensons montrer comment la précarité des conditions de vie pousse les hommes tout comme les femmes à une économie de la débrouille pour la survie de leurs ménages. Ces nouvelles conditions dans les ménages peuvent servir de catalyseur du changement social, tel que l'autonomie de la femme. Car les relations de travail tout comme celles basées sur le sexe changent et desserrent ainsi les préjugés négatifs à l'endroit de la femme. Dans leur ouvrage intitulé : Le genre : un outil nécessaire(1) Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur ont voulu créer un espace de connaissance autour de thématiques genre et développement, et apporter aux femmes francophones et bien évidemment aux hommes des outils de réflexion, cela dans un esprit d'ouverture envers leurs devanciers anglais, américains et latino-américains. Elles ont repris des concepts féministes ou en ont forgé des nouveaux pour les adapter aux situations spécifiques créées par les politiques et les projets de développement. Elles se présentent comme des repères intellectuels pour toutes celles et tous ceux qui cherchent, avec bonne volonté, à comprendre la formidable complexité du développement afin que leur action soit plus efficace, plus complète, et non plus source de distorsions socioéconomiques préjudiciables à tous, ou pire, source de détresses matérielles et psychologiques. Ce livre de Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur a l'avantage d'être un outil conceptuel sur la question du genre et développement. Nous pensons, à travers notre étude, être beaucoup plus pragmatique en traitant l'approche du genre dans le paradigme de lutte contre la pauvreté en analysant les stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi. 14 Abordant encore quelques études de cas, nous citons l'ouvrage de Luc Sindjoun intitulé : La biographie sociale du sexe, genre, société et politique au Cameroun(1). Dans cet ouvrage, Luc Sindjoun présente le genre comme une configuration qui implique la nécessité analytique d'historiciser les rapports hommes-femmes dans leur dimension concrète et imaginaire. Ainsi, il relève que la domination masculine est une domination qui renvoie toujours à des significations et des réalités diverses au fil de temps. Il conclut que le genre est un système d'interdépendances sociales qui entraîne d'une part la prise en considération des normes et des significations sociales dans l'action et la perception des individus et d'autre part, l'analyse des pratiques féminines dans un contexte de domination masculine. Pour notre part, nous pensons que la femme congolaise en général et lushoise en particulier, soumise à l'accélération vertigineuse de la mondialisation de l'histoire humaine et de l'évolution des idées et de leur diffusion instantanée à travers le monde, est encore contrariée par une vision traditionnelle rétrograde d'écartèlement, d'exclusion qui paralyse ses efforts. Elle charrie encore aujourd'hui une conscience erronée d'incapacité, d'irresponsabilité par rapport à l'homme. D'où notre préoccupation de voir comment elle doit concilier, avec plus ou moins de bonheur, sa spécificité constitutionnelle ou biologique de mère, créatrice de vie, d'épouse et ce que doit être désormais son rôle dans ce nouveau paradigme du rôle social qui se dessine depuis un certain temps à Lubumbashi, pour la survie des ménages. Presque dans le même sens, nous notons l'ouvrage de Catherine Coquery-Vidrovitch intitulé : Les Africaines, histoire des femmes d'Afrique noire du 19e au 20e siècle(2) . Dans cet ouvrage, l'auteur fait ressortir deux tendances dans la conception de la femme : celle d'une femme surchargée par le travail essentiellement basé sur la subsistance de la famille et celle d'une femme placée dans une économie monétaire dont les hommes
(1) BONNARDEL, R.,« Femme et changement économique et social dans les pays en voie de développement », in CDVLPT, N°15, Paris, 1983, pp. 525-541. 15 sont bénéficiaires. Et, elle note que les femmes qui sont exclusivement absorbées par leur fonction de reproduction et de production pour la subsistance étaient économiquement et socialement en état de régression. Nous sommes alors tenté de dire que cette étude fait une bonne peinture de la condition de la femme lushoise. Car en effet sauf exception, le rôle de la femme dans les programmes de développement n'a pas encore été suffisamment envisagé. Pourtant l'évolution s'est fait sentir là où la femme a pris rapidement conscience de ses conditions de travail et surtout l'habitude de se suffire à elle-même. C'est-à-dire que le changement des mentalités des femmes est particulièrement important là où elles exercent elles-mêmes plus de responsabilités. En abordant la question du « Genre et stratégies de survie des ménages à Lubumbashi », nous tenons à faire reconnaître et à dénoncer le fait que la femme lushoise ait vécu depuis longtemps par et pour les autres seulement. Elle doit donc maintenant se voir donner, au même titre que son partenaire homme, les mêmes chances au départ de survie et de réussite personnelle, en explorant ses capacités encore en friche par la réduction des écarts qui la séparent encore de l'homme. Dans cette même perspective Régine Bonnardel(1) dans son article « Femme et changement économique et social dans les pays en voie de développement » souligne que les femmes des sociétés primitives sont, par-dessus tout, épouses et mères dont la vie est centrée sur la maison et la famille. Lors du mariage, la femme passe de l'autorité du père à celle du mari. Elle conclut que les femmes sont perçues comme des participantes passives dans un univers social et culturel que structurent les hommes. Elles sont chosifiées par le fait de leur valeur sexuelle et reproductrice ; placées au rang de commodités et, comme telles, entièrement subordonnées aux hommes. Pour nous, nous comptons montrer à travers cette thèse que les femmes ne doivent plus être tenues pour longtemps à l'écart de la 16 production sociale, ou ravalées indéfiniment au rang de simples et passives consommatrices de la nouvelle civilisation mondiale. Elles doivent plutôt avoir désormais le contrôle des forces économiques, sociales et politiques qui gouvernent leurs activités et leur vie. Car pour une bonne lutte contre la pauvreté et pour la survie des ménages, les occupations féminines et masculines doivent être étroitement imbriquées. Claude Mwilambwe Mwende, dans son article sur « Femme et changement social à Lubumbashi »(1), présente les associations féminines en général et l'association des « Maman Kipendano » comme laboratoires du changement social. C'est-à-dire des espaces au sein desquels les femmes développent des stratégies appropriées en vue de se promouvoir au rang de partenaires des hommes dans l'évangélisation et dans la lutte pour la survie. Osako Onowamba, dans « Femme et économie de la débrouille à Lubumbashi, incidence linguistique »(2) met en exergue la place combien déterminante de la femme dans les stratégies de survie. Encore, dans « Kazi et les femmes lushoises»(3), elle montre que les femmes lushoises ont compris que le « kazi » ne peut plus être considéré comme l'apanage des hommes, mais comme « toute activité impliquant des efforts humains déployés soit par les hommes soit par les femmes pour satisfaire à un besoin ». C'est cette conception qui anime maintenant plusieurs Lushoises à déserter le secteur formel pour s'adonner plus à l'informel. Les femmes lushoises marquent significativement leur présence dans les activités informelles. Les Lushoises considèrent actuellement le « kazi » comme un indéniable facteur de leur autonomie financière et de leur libération tant du joug économique de l'homme que des multiples préjugés entretenus en leur défaveur et pour leur humiliation.
17 Dibwe dia Mwembu Donatien, dans son ouvrage intitulé : Bana Shaba abandonnés par leur père : structures de l'autorité et histoire sociale de la famille ouvrière au Katanga 1910-1997(1), analyse l'histoire de la famille ouvrière à l'époque de l'Union Minière du Haut-Katanga et ensuite de la Gécamines. La famille plus que l'individu - une famille ouvrière centrée sur le père - était au coeur de l'identité des Bana-Shaba (les enfants du cuivre). Le statut de salarié marquait la dépendance de l'homme au travail industriel, tout comme celui de dépendance de la famille à la condition salariale de son chef. La crise des années 1990 est venue mettre brutalement fin à l'autorité du travail industriel de la Gécamines et à celle du chef de la famille, donc du salarié. Cet ébranlement de la structure familiale à la suite de la crise connue par la Gécamines a, d'après lui, donné lieu à l'émergence des familles « matrifocales », c'est-à-dire des familles au sein desquelles la survie des ménages dépend dans une large mesure des femmes et de la mise en contribution des enfants. Cette étude de Dibwe dia Mwembu aborde le problème de la survie et de l'autorité familiale. Nous allons nous en démarquer en abordant l'aspect de la pauvreté dans la perspective genre. Nous voulons analyser comment la population de Lubumbashi se débrouille pour la survie de leur ménage. Et dans cette perspective genre nous analysons les contributions aussi bien des hommes que des femmes dans la survie des ménages. 4. B. La notion de pauvreté En ce qui concerne cette notion, nous avons été intéressé par les travaux d'Esse Amouzou, de Fréderic Sandron et de Bénédicte Gastineau. Esse Amouzou(2), dans son ouvrage dont le titre est: Pourquoi la pauvreté s'aggrave-t-elle en Afrique noire ? analyse les causes de la
18 pauvreté en Afrique noire. Pour lui, la crise socio-économique qui frappe les populations urbaines africaines découle de la combinaison des circonstances multiples et variées : dette intérieure et extérieure, désarticulation de l'économie, mauvaise exploitation du potentiel humain, gestion tendancieuse des ressources publiques, lacunes dans la planification et l'aménagement du territoire, etc. Face à cette situation de crise, les gouvernements africains ont envisagé les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) comme une voie de solution à la conjoncture, comme une solution-miracle pour la résolution des difficultés auxquelles étaient confrontés les pays d'Afrique noire et comme outils indispensables à la croissance économique. Mais à l'analyse de la situation sur terrain, il s'avère que les programmes d'ajustement structurel sont allés de pair avec les problèmes qu'ils devaient combattre et ont même ajouté aux anciennes difficultés de nouvelles comme le recul des conditions de vie, l'envolée du chômage, la réduction du pouvoir d'achat, la flambée des coûts des services médicaux, etc. Ainsi aux termes d'interprétations des données des enquêtes menées auprès des populations urbaines d'Afrique de 1980 à 2000, Esse Amouzou est arrivé à conclure que les Programmes d'ajustement structurel (PAS), loin de stimuler l'emploi, n'ont fait qu'arrêter les recrutements des jeunes diplômés, réduire le volume salarial au moyen des retraites précoces, des licenciements à tour de bras et de la privatisation des entreprises publiques. C'est-à-dire qu'au lieu d'encourager la mobilisation des investissements en faveur de domaines sociaux, les PAS ont obligé les gouvernements africains à réduire considérablement les budgets alloués à ces secteurs qu'ils ont accusés d'être moins rentables. Conséquence : le recul des conditions d'existence des masses citadines africaines. Pour lui, les causes qui sous-tendent ce recul des conditions d'existence sont à trouver dans le décalage entre les PAS et les spécificités socioéconomiques des populations ; dans la mesure où l'avènement des PAS a désarticulé le mode de vie de nombreux africains en introduisant de façon (1) SANDRON, F. et GASTINEAU, B., Fécondité et pauvreté en Kroumire (Tunisie), Paris, L'Harmattan, 2002. 19 arbitraire des mutations dans les habitudes économiques, les contraignant à redistribuer leurs revenus sur les multiples besoins du ménage. Alors que la vision africaine du développement est centrée sur l'homme ; « la personne vaut plus que l'argent », les PAS n'ont jamais gardé dans leur préoccupation le volet social. D'où, d'après Esse Amouzou, il faut recentrer les PAS autour des objectifs de développement à long terme qui considèrent l'homme à la fois comme la source, l'objet et la finalité du développement. En d'autres termes, l'homme se trouve en amont et en aval de la dynamique des mutations quantitatives et qualitatives des conditions d'existence. Cette analyse critique de la situation de pauvreté des pays d'Afrique noire mérite aussi bien l'attention des politiques que des scientifiques africains. Mais tout en considérant la situation de bas revenus et tous ses corollaires. Nous voulons, pour notre part, étudier comment ces Africains noirs, particulièrement ceux de Lubumbashi se démènent pour la survie de leurs ménages. Fréderic Sandron et Bénédicte Gastineau(1), dans leur ouvrage intitulé, Fécondité et pauvreté en Kroumire (Tunisie) apportent une contribution à la connaissance de la relation entre la fécondité et la pauvreté à partir des données collectées à l'échelle du ménage, partant d'un parti pris clairement affiché d'appréhender le ménage comme une unité décisionnelle dans les domaines économiques et démographiques. Ils ont voulu savoir si la richesse et la modernité déterminent des comportements de fécondité particuliers ou si la pauvreté au coté de la modernité aussi détermine des comportements opposés. Après l'analyse de cette question, ils tiennent la pauvreté comme déterminant majeur de la fécondité et la considère comme une composante de stratégies familiales dans le contexte de pauvreté. Donc, parmi les nouvelles stratégies de prévention contre les chocs de tous ordres, (1) ADUAYI Diop R., Survivre à la pauvreté et à l'exclusion. Le travail des adolescentes dans les marchés de Dakar, Paris, Karthala, 2010. 20 le travail féminin en est une et essentielle. Que ce soit pour participer au revenu familial ou pour soutenir ses parents âgés, la femme acquiert un statut nouveau dans la sphère de la production et n'est plus cantonnée à celle de la reproduction. Sa capacité à occuper un emploi et sa loyauté induisent des changements de mentalité et de configuration dans l'organisation du travail familial qui rejaillissent sur les comportements de fécondité. Dans la région de Kroumire, en Tunisie, la scolarisation des jeunes enfants, la réduction de la préférence pour les enfants de sexe masculin, le travail des filles et la baisse de la fécondité sont interprétés comme des conséquences de la lutte contre la pauvreté que comme la volonté d'accéder à des valeurs véhiculées par la modernisation. 4. C. La notion de survie des ménages Au sujet de cette notion, nous avons retenu les travaux de Rosalie Aduayi Diop, de César Nkuku Khonde, de Pierre Petit et de Raphaël Bushabu Piema Kuete. Rosalie Aduayi Diop(1) dans son ouvrage intitulé : Survivre à la pauvreté et à l'exclusion. Le travail des adolescentes dans les marchés de Dakar, fait remarquer qu'à l'instar du travail des enfants et des femmes, celui des adolescentes constitue un phénomène complexe et difficile à saisir puisqu'il prend des formes multiples et variées. Il suscite des controverses et des condamnations excessives, au point qu'on se demande de fois s'il faut le tolérer, l'interdire ou l'éliminer ? Elle pense que la réponse catégorique à ces questions par oui ou par non réduirait ce phénomène social complexe dans un espace géographique, socioculturel et conjoncturel spécifique et à une vision incomplète et simpliste. Elle invite plutôt le scientifique à une analyse fine. Après une enquête qui lui a permis d'entrer en contact avec la réalité du phénomène et de rencontrer les adolescentes, elle est arrivée à (1) NKUKU Khonde C. et REMON, M., Stratégies de survie à Lubumbashi (R-D Congo), Paris, L'Harmattan, 2006 21 relativiser les jugements et récuser certains a priori, en reconnaissant les pièges d'une sociologie spontanée. Pour elle, l'étude des conditions de travail montre également qu'il est impossible aujourd'hui d'étudier les réactions des adolescentes à partir de théories objectives. Car cet exercice demande aussi une prise de distance par rapport aux idées préconçues et amène à une lecture plus globale du travail des enfants et des adolescentes. C'est ainsi que certains scientifiques ont relayé certaines ONG qui se sont basées sur des images négatives, choquantes et parfois intolérables des adolescentes pour parler de l'exploitation des enfants et arriver à la stigmatisation des familles. Elle pense que cette démarche vise une représentation négative de l'Afrique comme « une Afrique perdue », entretenue par un courant « afro pessimiste » qui ne projette que des images d'apocalypse, de corruption, de tristesse, de consternation, d'humiliation, de misère et de guerre en occultant l'autre Afrique et ses dynamiques, les capacités d'innovation, les formes de créativités, les stratégies des femmes et des enfants. Pour elle donc, les femmes, les enfants et même les adolescentes considérées à tort comme maillons faibles de la société s'investissent massivement dans les activités informelles dans les villes africaines pour lutter contre la pauvreté et pour améliorer leurs conditions de vie et oeuvrer contre le processus d'exclusion. C'est pourquoi elle recommande également de faire une différence entre l'exploitation et le travail. Pour leur part, César Nkuku Khonde et Remon Marc, dans: Stratégies de survie à Lubumbashi (R-D Congo)(1) montrent que bien que le salaire reste la source principale du revenu ménager, l'emploi n'offre plus les mêmes avantages. Le salaire, souvent irrégulier, ne suffit plus pour couvrir les dépenses ordinaires d'un ménage moyen. Il laisse de plus en plus la place au petit commerce, aux activités libérales et à l'agriculture. La débrouille est devenue la source secondaire à laquelle recourent la plupart des ménages pour augmenter leur revenu ménager, surtout qu'en milieu urbain la solidarité 22 africaine hors famille tend à disparaître pour faire place à l'individualisme urbain. Plus que par le passé, la femme prend une part active dans la constitution du revenu ménager. En plus des travaux domestiques, elle s'est engagée dans la débrouille en faisant du petit commerce, de petits travaux, de l'agriculture et bien d'autres activités. Ces activités lui permettent de financer l'alimentation du ménage, la santé et la scolarisation des enfants et l'achat de quelques biens domestiques. A travers une analyse scientifique bien fouillée les auteurs qui rendent compte des résultats d'une enquête socioéconomique faite sur la population de la ville de Lubumbashi en Août 2002, trouvent que cette population est majoritairement jeune, pendant que le marché de l'emploi disparaît progressivement, le niveau de vie s'amenuise davantage et les charges sociales de la population adulte deviennent de plus en plus importantes. D'où le développement par la population des différentes stratégies pour survivre à la crise socioéconomique qui secoue la ville de Lubumbashi. En rapport à l'étude de César Nkuku et Remon Marc, nous savons que la profession exercée est un indicateur du niveau de vie d'un ménage, du moins un indicateur de ses ressources pour vivre ou survivre. Mais dans cette thèse, il ne s'agit pas seulement de la profession réelle mais de toute occupation génératrice des revenus pour l'individu. Car la notion de profession nous obligerait à limiter celle-ci aux personnes ayant l'âge permis pour exercer un travail dans la société. En outre, en abordant la question de survie des ménages dans l'approche genre nous voulons montrer que la lutte contre la pauvreté ne peut être gagnée que lorsque les différences entre les sexes seront reconnues et considérées comme complémentaires et que l'élément culturel du genre sera compris dans son contexte spécifique. Concrètement, cela signifie qu'il faut affronter les pratiques discriminatoires qui excluent la femme des processus du développement. 23 Louvrage publié sous la direction de Pierre Petit, intitulé : Ménages de Lubumbashi entre précarité et recomposition(1), montre que le visage qu'affiche aujourd'hui la ville de Lubumbashi est différent de celui d'hier. De nouvelles habitudes, bonnes ou mauvaises, ont bousculé et archivé d'anciennes, mauvaises ou bonnes ; des habitations ont remplacé des espaces verts qui faisaient jadis la fierté de Lubumbashi. Concernant le monde du travail, l'ouvrage relève la diminution significative de la proportion de travailleurs salariés depuis le début de la crise en novembre 1973, l'accroissement du nombre des chômeurs, l'expansion de l'économie informelle. Il soutient, après l'observation et l'enquête menée auprès de 84 ménages en 2000 avec une équipe de chercheurs à Lubumbashi, que l'informel est ici la soupape de sécurité du formel. Car le travailleur salarié, lui-même ou son épouse ou encore un autre membre de sa famille doit exercer des activités commerciales informelles pour la survie du ménage. Il montre, en outre, que longtemps protégée de la crise grâce à sa rente minière et à ses puissantes entreprises de modèle paternaliste, Lubumbashi a vécu son grand déclin depuis les années 1990, suite à l'effondrement de l'industrie minière et aux contrecoups d'une transition politique avortée. Les Lushois durent alors composer avec les voies de l'économie seconde. Les salariés se métamorphosèrent en petits trafiquants, en néo agriculteurs voire en « choqueurs » vendant leurs services pour assurer le seul repas familial quotidien. Nous pouvons ajouter que l'escroquerie, le détournement des biens des entreprises, la surfacturation etc sont autant des pratiques auxquelles recourent des salariés comme activités informelles sur le lieu de travail pour relier les deux bouts du mois. La préoccupation de Pierre Petit sur les conditions de vie des ménages rencontre certes notre souci, mais nous pensons pour notre part (1) PETIT, P. (Dir), Ménages de Lubumbashi entre précarité et recomposition, Paris, L'Harmattan, 2003 (1) BUSHABU Piema Kuete R., Famille et urbanité à Lubumbashi, Thèse de doctorat en Sociologie, Lubumbashi, FSSPA, UNILU, 1994. 24 analyser cela dans l'approche genre afin de valoriser les efforts de tous : hommes, femmes, enfants et tout autre intervenant dans le cadre du ménage quant à la recherche des voies et moyens pour survivre dans une situation de pauvreté, comme celle que connaît depuis un temps la ville de Lubumbashi. Dans sa thèse de doctorat en Sociologie sur Famille et urbanité à Lubumbashi, Raphaël Bushabu Piema Kuete(1) montre à travers une étude fouillée sur 300 familles tirées de l'agglomération urbaine de Lubumbashi que la stagnation de l'activité économico-industrielle, l'augmentation des taux de chômage, la détérioration de l'état de santé et l'insuffisance de transports intra-urbains à Lubumbashi constituaient quelques unes des preuves manifestes de la crise économique au Zaïre (actuellement République Démocratique du Congo) en général et à Lubumbashi en particulier et ont été aussi vécus comme des épreuves personnelles et comme enjeux collectifs de l'existence familiale en milieu urbain lushois. Cette situation a eu comme conséquences, l'exode rural des jeunes et des familles entières, la dislocation familiale et clanique, l'abandon des traditions et des moeurs anciennes, le relâchement de l'autorité du chef de famille, l'inadaptation des parents et des enfants aux nouveaux modèles et styles de vie. Ainsi devant ce manque d'encadrement familial et une carence dans la surveillance et le contrôle social primaire exercé jadis par le clan et la tribu, suite à l'insuffisance des moyens financiers, matériels et culturels que lui offre la société nationale (Zaîroise), la famille abandonnée à elle-même utilise, par l'entremise de ses membres, toutes les voies, même illicites, pour satisfaire ses besoins et réaliser ses projets d'avenir. Il soutient, en outre, que l'existence familiale à Lubumbashi se trouvait théoriquement confrontée aux problèmes situationnels liés à une urbanité inégalement et/ou incomplètement vécue. Ainsi va-t-il retenir comme hypothèse de recherche ce qui suit : « L'urbanisation étant inégalement 25 répartie, les différences dans les modes de comportements socio-familiaux face aux problèmes éco-urbains sont partiellement liées, d'une part, aux particularités urbanistiques de chaque quartier de résidence et, d'autre part, aux spécificités matérielles, formelles et mentales de chaque famille »(1). En cas de marginalité familiale, celle-ci ne serait qu'une singularité conséquente de la marginalité urbaine répartie différentiellement dans le temps et dans l'espace ; laquelle marginalité ne constituant elle-même qu'un cas particulier de la marginalité d'un système social global, au niveau national, international ou mondial. Enfin, Il a démontré que la famille étant non seulement une cellule-mère de la société, mais également une écostructure en situation dialectique dans toute totalité sociale, tout problème social ou toute crise sociomatérielle, socioformelle et sociomentale provoque des réactions comportementales typiques du groupe familial pour sa survie. C'est donc dans ce cadre qu'il a essayé de saisir les stratégies et les comportements de la famille dans la lutte pour la survie quotidienne en s'appuyant sur le concept urbanité de subsistance, qui d'après Bresse G. signifierait une économie de subsistance. Gabriel Kalaba Mutabusha(2), dans « Le travail hier et aujourd'hui. Transformation du corps social urbain » montre que bien que la ville de Lubumbashi est née du travail industriel: aujourd'hui, elle a pris une autre destinée. Elle est devenue une ville cosmopolite à la fonction principale politico-administrative, celle d'être ville parlementaire et chef-lieu de la province du Katanga. Sa population n'est plus uniquement constituée des travailleurs industriels, et le travail lui-même n'est plus ce qu'il était auparavant. Hier, 85% de sa population active étaient constitués de salariés. Aujourd'hui, cette population est tombée à 42% et tout le monde cherche la
L'approche genre développée par Buawa Kandanyi, Kayiba Bukasa, Mulang Ndaal, Odile Goerg, Tshibilondi ou Luc Sindjou tend à 26 survie dans les activités informelles. Le travail formel ne suffit plus à réaliser le bien-être matériel et social des gens. Et un homme sans travail n'est plus qu'un paria. Nous pensons que l'auteur, au nom de cette obligation sociale et éthique qui pousse les gens à chercher leur valeur par l'exercice d'un travail rénuméré, devait aussi analyser d'autres aspects qui amènent les gens à la misère et à la perte de valeur sociale, c'est, par exemple, des sanctions punitives infligées à certains chefs de ménages consistant à la privation totale ou partielle de salaire les dépouillant ainsi de moyens pour subvenir tant soit peu aux besoins de leurs ménages. Dans le même cadre aussi analyser la pratique injuste au vu et au su de tout le monde, consistant pour certains à occuper, on ne sait pas au nom de quelle loi, deux ou trois voire quatre emplois sans en avoir réellement l'exclusivité de la compétence, pendant que d'autres compatriotes en cherchent ne fût-ce qu'un seul pour la survie, mais n'en trouvent pas et deviennent, donc sans le vouloir et sans être incompétents, de traînes-misères. Pour notre part, l'analyse basée sur l'approche genre bien que reconnaissant qu'il y a une différence dans les besoins spécifiques de l'homme et de la femme, - et que la femme représente un groupe discriminé et défavorisé par rapport aux hommes, exprime surtout la volonté de concrétiser l'égalité entre l'homme et la femme. L'intégration de cette approche permet d'évaluer les incidences de l'activité de la femme, de l'enfant et de l'homme dans un processus de lutte pour la survie du ménage. Il s'agit d'une stratégie visant à incorporer les préoccupations et les expériences tant des femmes que des hommes. Cette revue de la littérature nous permet à ce point d'envisager une synthèse théorique. 27 montrer le rôle productif de la femme dans les activités de développement. Mais tout en restant dans cette perspective, nous voulons montrer comment la précarité des conditions de vie, tout comme la situation de bas revenus et ses corollaires qu'analysent Esse Amouzou, Fréderic Sandron, Bénédicte Gastineau, etc., pousse aussi bien les hommes que les femmes et les enfants de Lubumbashi à une économie de la débrouille pour la survie de leur ménage. En plus, nous voulons aussi montrer comment ces nouvelles conditions de vie des ménages ont servi de catalyseur au changement social, tel que l'autonomisation de la femme. La femme lushoise a, grace à l'autonomisation, abandonné l'image de la femme-meuble de la maison, « lido ya ndako » en lingala, c'est-à-dire « le rideau de la maison » pour retrouver son rôle productif traditionnel, celui de `'femme des champs et des rivières`'. Par ailleurs, bien que César Nkuku, Pierre Petit et Bushabu reconnaissent la profession comme indicateur du niveau de vie des ménages, nous allons exploiter toutes les activités génératrices de revenus comme stratégie de survie. Car la profession nous obligerait à tenir compte de l'âge légal, et dans certains cas, l'autorisation d'exercer un travail rémunéré (emploi). 5. Problématique Dans les pays africains en général et en République Démocratique du Congo en particulier, les ressources humaines sont abondantes et peuvent ainsi constituer un facteur de croissance si des politiques économiques appropriées permettent de mobiliser, dans des activités productives, toute la main-d'oeuvre potentielle. Cette dernière, on le sait, est constituée en majorité des femmes qui, malgré leur nombre, sont moins nombreuses que les hommes à investir effectivement le marché du travail. Cependant que la communauté internationale a, depuis longtemps, pris conscience de cette inégalité. Elle a, à plusieurs reprises, souligné l'importance de l'activité féminine dans le développement (Conférence 28 Internationale sur la Population et le Développement de 1994 au Caire(1), Conférence mondiale sur les femmes(2) : lutte pour l'égalité, le développement et la paix tenue à Beijin du 4 au 15 septembre 1995) En République Démocratique du Congo, la prise de conscience de l'importance de la participation des femmes à l'activité économique se traduit au niveau national par de nombreux débats et travaux sur l'élaboration de la politique nationale du genre et par l'intégration de cette politique dans les stratégies nationales de lutte contre la pauvreté. Pourtant, en dépit du rôle reconnu important de la femme dans le développement économique, la femme africaine en général et congolaise en particulier occupe toujours une position défavorable sur le marché du travail, au point que sa situation de précarité économique soulève un sérieux problème de survie de ménages. La République Démocratique du Congo, à croire l'étude de Pierre Petit, traverse une profonde crise multidimensionnelle depuis le début des années 1970. Celle-ci s'est amplifiée au début des années 1990, période de transition politique. La Générale des Carrières et des Mines, poumon et thermomètre de l'économie congolaise, est pratiquement en faillite. L'état de
29 santé économique du pays en général et de la ville de Lubumbashi en particulier est défectueux. La population des salariés a beaucoup diminué et la proportion de sans-emplois a considérablement augmenté. Les véritables salariés n'existent quasiment plus. Les revenus ne sont plus assurés et les dépenses ne sont plus planifiées. Le chef de ménage n'est plus l'unique ravitailleur du ménage. Tout le monde compte sur la participation de tous et sur la capacité créatrice de chaque membre du ménage. Les Lushois achètent et vendent souvent selon ce qu'ils possèdent à un moment précis. Donc la vie à Lubumbashi devient de plus en plus difficile. Dénonçant ce qu'il appelle « le cancer de la Macromafia » qui se manifeste dans le coeur de la République Démocratique du Congo, Aimé Mukena montre comment aujourd'hui la population congolaise se compose de trois catégories de population : la population Serve, la population Cadre et la population Low Level Corruption. Pour lui, La population Serve est la plus importante en terme numérique, car elle s'élève à plus de 70% de la population congolaise. Elle est constituée des misérables, des nécessiteux, et autres pauvres, doublés par quelques débrouillards qui luttent contre la pauvreté. La population Cadre, quant à elle, se compose d'une minorité de fonctionnaires de l'Etat et qui croient encore fermément en l'avenir de leur Nation. L'auteur place Joseph Kabila comme chef de file de cette population. Il est suivi de près par une minorité sectorielle composée des Députés et Sénateurs, des Ministres, de Chefs d'entreprises et une certaine frange des responsables des services publics de l'Etat, bref des catégories des survivants qui n'attendent pas la venue du messie mais se constituent eux-mêmes en messies. La troisième catégorie, à l'opposé des deux populations déjà décrites ; la Low Level Corruption (LLC), est la population la moins nombreuse. Cette véritable minorité qu'il qualifie d'une sorte de société secrète où quelques esprits tordus parmi ceux qui assurent la direction ou le contrôle des affaires d'Etat et quelques cerveaux qui n'observent pas l'hygiène de la morale décident de se fondre dans une même classe économico-politique qui n'appelle ni conflit ni affrontement. La LLC est composée 30 essentiellement d'un peu de tout : quelques intelligences de l'Armée, de la police, de la sûreté de l'Etat, de l'Immigration, de la Réprésentation nationale, du Gouvernement central et des Institutions provinciales. Cette catégorie de la population, souligne Aimé Mukena, poursuit un double objectif : accéder à l'enrichissement facile via l'action politique pour les hommes politiques et, pour les Mafiosi, obtenir la protection de l'Etat via l'argent sale afin d'opérer à toute aise. Cependant Aimé Mukena note encore l'apparition des nouveaux pauvres dont on ne parle pas encore assez : « on parle aussi beaucoup de ce qui a fondamentalement changé dans notre espace social local. Les médias présentent un tableau optimiste et souvent fanatisé d'une société en plein essor définitivement débarassée de dictatures d'Etat, des guerres d'agression et des forces négatives, du centralisme politique et économique, etc. Mais ce que l'on ne présente pas souvent, c'est le déclin inexorable du statut des hauts fonctionnaires de l'Etat. On a peur de dire à haute voix que leur situation est en train de se dégrader dangereusement et que le requiem pour ces nouveaux pauvres est déjà entonné. On ne s'est guère étendu sur l'accélération des rythmes de la précarité et de la pauvreté qui ôte aux hauts fonctionnaires de l'Etat toute possibilité de vivre dignement du fruit de leur statut d'agents hautement qualifiés. Aujourd'hui, la déqualification du statut du professeur d'université, du médecin, du magistrat favorise l'émergence d'une nouvelle couche de la population congolaise qui a basculé définitivement dans la pauvreté. Avec un revenu mensuel de 600$US, le professeur d'université se contente misérablement de 20$US par jour. De la sorte, son passage du statut du haut fonctionnaire à la précarité et à la pauvreté altère dans son essence sa propre relation à la vie et à la dignité humaine. Cela explique, peut-être, pourquoi aujourd'hui
un nombre 31 comme débrouillards qui vendent leurs services aux clients en dehors de toute norme déontologique. »(1) Face à cette situation, les femmes Lushoises- au moins certaines d'entre elles- semblent plus aptes à saisir des niches économiques pour la survie du ménage. Aujourd'hui, elles jouent un rôle décisif pour la survie de leurs ménages grâce aux revenus souvent acquis suite à toute une gamme d'activités informelles. Ainsi peut-il advenir un certain renversement des rapports de genre à l'intérieur des ménages. Au vu de tout ce qui précède, nous voulons dans cette thèse, étudier l'émergence de ce nouveau modèle de rôle social de la femme Lushoise à travers l'approche genre, et dans un contexte de crise économique qui la condamne, elle et son ménage, à vivre dans la pauvreté. Alors, les questions ci-après exigent des réponses: ? Comment les ménages de Lubumbashi se démènent-ils pour survivre dans cette situation de pauvreté presque généralisée? ? Quel est l'apport de la femme, des enfants et des autres acteurs au sein du ménage dans ce mécanisme de survie? ? Que faire et que proposer ? 6. Hypothèses et thèse de l'étude Au regard de cette problématique, nous avons tenté d'apporter quelques réponses provisoires qui, du reste, sous-tendent notre thèse dans cette dissertation. En rapport à la question de savoir comment les ménages de Lubumbashi se démènent pour survivre, nous disons que la crise économique multidimensionnelle et la pauvreté auxquelles les populations de la ville de Lubumbashi sont confrontées durant plus de deux décennies maintenant, ont (1) MUKENA, A., J'accuse! Motion incidentielle adressée à l'Assemblée plénière contre les cancers politiques qui gangrènent la RDC, Louvain-la-Neuve, Lajino, 2010, p.346347 En outre, les interactions entre les ménages, les marchés et les institutions expliqueraient la structure de rythme d'accroissement de taux 32 induit des stratégies nouvelles tendant à faire non seulement face à l'effritement du tissu social mais également aux difficultés croissantes à un niveau plus individuel. Ainsi, pour faire face aux multiples facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi tenteraient de renforcer les stratégies individuelles par une assise collective qui consisterait à mobiliser l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté. Dans cette recherche des moyens de survie que d'aucuns récuseraient un bouleversement du rôle social de l'homme et de la femme à travers la pluriactivité, la mise au travail de quasiment toute la famille, une forte croissance de l'emploi informel, l'extension des cultures vivrières pour atteindre l'autosatisfaction des besoins alimentaires constitueraient les différentes stratégies de survie pour les ménages de Lubumbashi. Quant à l'apport de la femme dans la recherche des moyens de survie, nous pensons, contrairement à la théorie du capital humain, que l'accroissement de la participation de la femme à l'activité économique, surtout dans les ménages pauvres serait lié au processus de lutte pour la survie quotidienne qui entraîne une mobilisation de toute la main-d'oeuvre disponible, même celle des femmes faiblement qualifiées ou celles des ménages nantis. C'est cela la théorie des stratégies de survie, à laquelle nous adhérons dans cette thèse. Donc, à Lubumbashi comme dans d'autres villes de la République Démocratique du Congo où sévit la pauvreté, l'option pour la débrouille, résulterait des mécanismes de survie. Les stratégies économiques de survie consisteraient donc en un réaménagement des fonctions à l'intérieur des ménages, en accentuant la participation économique de tous ou de la plupart des membres : le père, la mère, les enfants, voire même les mineurs, et les corésidents et permettraient dans la grande majorité des cas de compenser les salaires et dépenses mensuelles incompressibles des ménages. 33 d'activité féminine. Lorsqu'une femme décide de travailler en dehors du foyer, c'est en raison à la fois de l'évolution de ses propres revenus et de l'évolution des revenus de son ménage. Lorsque les signaux donnés par le marché, les institutions formelles et la progression des revenus assemblent leurs effets pour appuyer la participation de la femme, la parité entre les hommes et les femmes peut s'améliorer et, de fait, s'améliorer très rapidement. Cette amélioration dépendrait aussi de l'évolution des institutions informelles, notamment les normes sociales qui décident ce qui est considéré « approprié » pour les hommes et les femmes. L'approche genre à laquelle souscrit cette thèse s'inscrit donc dans le cadre des programmes d'amélioration de la condition de la femme. Cette condition va du respect accru de la part des hommes à la reconnaissance en tant que membre apportant une contribution importante à la société. Donc, on ne peut aujourd'hui parler des stratégies de survie des ménages en sous-estimant le rôle fondamental du genre dans l'amélioration de la condition de la femme. Sur ce, une action permemente et collective de la femme à l'égard du marché et des institutions tant formelles qu'informelles permettrait de changer les normes qui renforcent les inégalités entre les sexes et une bonne amélioration des conditions de vie des hommes et des femmes. 7. Méthodologie de la recherche 7.1. Méthode de recherche La méthode de recherche revêt une importance capitale dans le processus de production des connaissances. Car comme l'écrit Buawa, « il n'y a pas de connaissances scientifiques qui ne se construisent sans assises méthodologiques. Le savoir est fondé sur la méthode, il fait corps avec elle dans la mesure où elle détermine et construit les énoncés relatifs à toutes les questions que soulève une discipline. La méthode ne constitue pas seulement 34 l'arrière fond des analyses sociologiques. Elle est aussi elle-même un domaine d'études pour les sociologues »(1). La méthode est définie par Roger Pinto et Madeleine Grawitz comme étant la démarche rationnelle de l'entreprise pour arriver à la vérité. C'est un ensemble d'opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à atteindre les vérités qu'elle poursuit, les démontrer et les vérifier(2). Maurice Duverger, quant à lui, soutient que la méthode est toute démarche scientifique qui est un mode de raisonnement théorique et qui aide le chercheur à étudier un sujet donné.(3) KAMBAJI wa Kambaji la considère comme une démarche d'esprit, un mode de raisonnement et de combinaison d'un ensemble cohérent d'opérations, de principes et de stratégies qu'un chercheur doit adopter (...) et appliquer tout au long de sa recherche pour une intelligence approximative de la réalité sociale(4). En effet, bien que la sociologie dispose des méthodes spécifiques sur lesquelles un bon nombre de chercheurs réfléchissent constamment, mais comme le note Bushabu Piema Kuete « la méthode n'est pas susceptible d'être étudiée séparément des recherches où elle est employée, ou du moins, ce n'est là qu'une étude morte incapable de féconder l'esprit qui s'y livre. On devrait donc considérer que si le choix de la méthode contient une part d'arbitraire, ce choix est principalement dicté par les questions que le chercheur se pose et que la recherche soulève.(5) La notion de méthode tout comme celle de théorie, reste relative car toute méthode est méthode de problèmes précis, de même toute théorie est théorie de phénomène précis. De la sorte, tout praticien doit être à lui-même son propre théoricien, ce qui revient à dire qu'il doit être un artisan
35 intellectuel »(1). Ainsi considérant notre objet d'études nous avons opté pour la méthode dialectique, plus précisément de la méthode dialectique marxiste. Avant de justifier le choix de cette méthode et de dire en quoi elle consiste dans le cadre de cette étude, il convient d'abord de préciser la théorie sur le marxisme. Le marxisme est, d'après le Dictionnaire Universel, une théorie selon laquelle la réalité fondamentale est matière et que toute autre réalité y est d'une façon ou d'une autre réductible(2). La matière est, d'après le marxisme, toujours en mouvement et obéit aux lois entendues comme des liaisons entre les phénomènes établies par la nature interne des phénomènes se trouvant en corrélation. Ce mouvement de la matière obéit, selon le marxisme, à quatre lois : la loi de la connexion universelle ou la loi de l'action réciproque, la loi de la conversion des changements quantitatifs en changements qualitatifs, la loi de l'unité et de la lutte des contraires, la loi de la négation de la négation. Le matérialisme est donc inséparable du caractère dialectique de la matière dont la propriété essentielle est le mouvement. Et que la matière n'est matière qu'en se transformant, en s'aliénant, qu'elle contienne des contradictions et qu'elle est unie à une pratique qu'elle permet d'organiser et de transformer. Confirmant ce caractère dialectique du marxisme, Bernard Chavance, dans son ouvrage sur Marx et le capitalisme. La dialectique d'un système note que l'oeuvre de Marx recèle plusieurs schémas de l'évolution historique qui, malgré leurs différences, voire leurs divergences, ont en commun la thématique évolutionniste et celle d'une dialectique du progrès(3). Lui-même Marx dans la préface du Capital écrit que le but de son ouvrage est
36 « de dévoiler la loi d'évolution économique de la société moderne », et précise que sa perspective consiste « à appréhender le développement de la formation économico-sociale comme un processus historique naturel ».(1) Pour le marxisme, la succession des formes et des modes de production dans l'histoire, à travers les contradictions structurelles (forces productives/rapports de production) et sociales, constitue un mouvement complexe mais progressif. C'est ainsi qu'en analysant l'émergence d'un nouveau modèle de rôle social de la femme lushoise dans un contexte de crise économique qui la condamne à vivre dans la pauvreté avec son ménage, nous recourons à la méthode dialectique marxiste. Car d'après le marxisme, la vie en société, son développement et les idées que les hommes créent, sont déterminés par les conditions matérielles qui affectent le mode de production. Pour Bernard Chavance, « la production est le point de départ de la théorie économique de K. Marx. Forces productives, rapports de production, mode de production : tels sont les grands concepts explicatifs du système économique et de sa dynamique. Dans son introduction à la critique de l'économie politique (1857), il note que la production, la distribution, l'échange et la consommation constituent divers moments d'une totalité, `' des différences au sein d'une unité» entre lesquelles s'exerce une action réciproque. Toutefois, la production est le moment déterminant : les rapports de répartition sont conditionnés par les relations établies dans la production ; la consommation suppose la production, l'échange étant le mouvement intermédiaire entre ces deux moments »(2). Chavance souligne aussi que « Dans la vision marxiste, la production doit être considérée dans le temps, comme un processus répété : c'est la reproduction. Dans ce mécanisme de production et de reproduction une double dimension est en jeu: la dimension matérielle, qui concerne les produits en tant que choses, et la dimension sociale, celle des rapports
37 sociaux entre individus ou classes »(1). C'est ainsi que l'analyse de la pauvreté, genre et stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi nous permet de voir comment les hommes et les femmes dans leurs processus d'appropriation de la nature et de production des moyens de subsistance arrivent à satisfaire leurs besoins et à lutter pour la survie de leurs ménages. Et aussi comment s'établissent les rapports sociaux entre Hommes-Femmes. Car comme le souligne Bernard Chavance, « les moyens de travail ne permettent pas seulement de mesurer le degré de développement de la force de travail humaine, ils sont l'indicateur des rapports sociaux dans lesquels le travail a lieu »(2). La méthode dialectique marxiste considère le développement comme un processus qui passe des changements quantitatifs insignifiants et latents à des changements apparents et radicaux, à des changements qualitatifs. Elle considère dans cette perspective, le processus de développement comme un mouvement progressif, ascendant, comme le passage de l'état qualitatif ancien à un nouvel état qualitatif, comme un développement qui va du simple au complexe, de l'inférieur au supérieur. Etant entendu que le développement des phénomènes de la nature impliquent des conditions internes qui ont tous un côté négatif et un côté positif, un passé et un avenir, tous ont des éléments qui disparaissent ou qui se développent, la méthode dialectique marxiste considère que le processus de développement de l'inférieur au supérieur ne s'effectue pas sur le plan d'une évolution harmonieuse des phénomènes, mais sur celui de la mise à jour des contradictions inhérentes aux objets, aux phénomènes qui agissent sur base de ces contradictions(3). Dans la même perspective, Bernard Chavance soutient que la dialectique possède diverses dimensions et significations, elle peut être
38 schématiquement interprétée comme une logique de la contradiction, fondée sur la notion d'unité des contraires et sur l'idée que le développement résulte du mouvement des contradictions(1). C'est ainsi que nous pensons analyser le genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages à travers les quatre lois de la dialectique marxiste, à savoir : la loi de la conversion des changements quantitatifs en changements qualitatifs, la loi de l'unité et de la lutte des contraires, la loi de la connexion universelle ou la loi de l'action réciproque et, la loi de la négation de la négation. 7.1.A. Le principe de la conversion des changements quantitatifs en changements qualitatifs. Le principe de la conversion des changements quantitatifs en changements qualitatifs porte sur le mécanisme interne de la formation des qualités nouvelles. La qualité est une propriété interne, c'est- à- dire liée à l'objet même, c'est l'ensemble de tous ses traits essentiels grâce auxquels l'objet acquiert une stabilité relative et se distingue des autres objets. La qualité des choses se manifeste à travers leurs propriétés. Dans le mouvement, la matière connaît des formes de conversion d'une qualité à une autre en fonction de la nature des phénomènes en voie de modification et des conditions dans lesquelles ils se modifient. D'après PINTO R. et GRAWITZ M, les changements qualitatifs ne se produisent qu'à travers les changements quantitatifs par addition ou par soustraction(2). Ceci démontre la pertinence de cette loi dans le cadre de la présente étude. Car les conditions de vie d'une communauté sont un processus cumulatif de plusieurs transformations qualitatives s'opérant à des divers aspects de la réalité sociale. Les rapports sociaux de production changent avec l'évolution des moyens matériels de production.
39 Au sujet du changement quantitatif en changement qualitatif, l'idée est que la réalité sociale peut naturellement se présenter comme étant bonne ou mauvaise. Dans un monde où les coutumes et l'argent condamnent la femme à l'exclusion et à la résignation, penser au genre dans la lutte contre la pauvreté est un défi à la tradition et pourquoi pas à l'ordre divin. Dès lors que le système financier n'a plus aucun sens : l'argent ne profite qu'à ceux qui en ont déjà beaucoup. Ceux qui en ont vraiment besoin et qui veulent travailler pour en avoir se heurtent toujours à des refus, sous prétexte qu'ils n'ont pas de travail, alors qu'on ne leur donne pas les moyens d'exercer leurs compétences! Ceux qui ont besoin des prêts à la banque se voient refuser sous prétexte qu'ils sont de gagnent-petits, et même lorsqu'on améliore leur situation salariale, on les rejette parce qu'ils sont avancés en âge. La solution humaine consiste à donner à ces personnes démunies les conditions qui leur permettent de s'accomplir en tant qu'êtres humains. On n'est pas obligé de travailler pour quelqu'un d'autre pour acquérir la dignité. Nul d'entre nous ne connaît vraiment son potentiel, ses limites, parce que la société nous impose une foule de restrictions de toutes natures. Comme ceux qui sont exclus du système bancaire traditionnel tout simplement parce qu'ils sont pauvres et celles qui sont exclues du débat et de la lutte contre la pauvreté parce qu'elles sont femmes et pauvres. C'est donc cela que nous pensons être la conversion des changements quantitatifs en changements qualitatifs. La conversion des changements quantitatifs en changements qualitatifs que les phénomènes de la nature connaissent ou subissent est commandée par la lutte et l'unité des contraires. 7.1. B. La loi de la lutte et de l'unité des contraires, En ce qui concerne la loi de la lutte et de l'unité des contraires, le marxisme considère que les contraires sont les phénomènes ou certains de leurs aspects qui s'excluent. Il considère ensuite que les phénomènes étant en mouvement perpétuel, des aspects différents ne cessent de se manifester en leur sein ; certains de ces aspects vieillissent, meurent, d'autres, de nouveaux 40 naissent et se développent. Il y a donc toujours dans les phénomènes des contradictions. Albert Brimo soutient que pour Marx, « l'homme est essentiellement un être des besoins (matérialisme historique), besoins élémentaires (...), ces exigences matérielles sont l'élément essentiel de la praxis humaine, c'est par elle que l'homme développe sa conscience et c'est sur elles que se construit toute société. Ainsi, toute transformation est opérée par la lutte organisée de la classe opprimée, aliènée des moyens de production, du pouvoir politique et de la culture, contre la classe dominante ».(1) Entre les contraires, il existe d'après le marxisme, une relation telle qu'ils ne peuvent exister en dehors d'elle. Il y a ainsi unité des contraires qui consiste dans le fait que les phénomènes sont liés entre eux indissolublement et constituent ensemble un processus contradictoire unique. Donc les contraires n'existent que parce qu'ils sont contraires. Le marxisme soutient que ce n'est pas l'unité des contraires qui joue un rôle important dans le mouvement et l'évolution de la matière, mais plutôt la lutte qui est permanente dans la mesure où les aspects ou composantes de la matière s'excluent mutuellement. C'est dans la lutte que réside le sens des rapports réciproques des contraires; c'est cette lutte qui est la force motrice du changement. En effet, la réalité sociale se conçoit en termes d'éléments opposés qui sont en lutte : c'est la lutte des contraires. Concrètement il apparaît des contradictions dans l'approche genre et lutte contre la pauvreté. En effet, la République Démocratique du Congo est un pays pauvre très endetté. Comment concevoir que celui qui est pauvre lutte contre la pauvreté et s'engage à entreprendre quelques activités pour la survie de son ménage, dans une conjoncture d'austérité budgétaire. Comment concevoir aussi que la femme qui a été depuis longtemps éduquée de façon à se contenter d'une position de subordonnée au sein de la société, et par rapport à l'homme, puisse se débarrasser de ses coutumes sociales et s'engage dans la lutte (1) BRIMO, A., Les methodes des sciences sociales, Paris, Montchrestien, 1972, p.72 (1) BASILE, J., Des nouveaux scripteurs d'hommes, un enseignement pour débloquer notre société, Bruxelles, Ed. La Renaissance, 1977, p.26 41 contre la pauvreté tout en revendiquant son autonomie. C'est là quelques arguments qui justifient ce principe de contradiction. 7.1. C. La loi de la connexion universelle ou la loi de l'action réciproque. Les oppositions énoncées dans les lois précédentes agissent les unes sur leurs opposées et vice versa : c'est là la loi de l'action réciproque. Par ailleurs, les éléments de la totalité finissent par leur unité plutôt que par la destruction de l'un par l'autre. Cette loi de la connexion universelle enrichit, selon Basile, l'option selon laquelle ceux qui s'opposent coopèrent et ce qui divergent procèdes d'une plus belle harmonie. Dans la connexion universelle, aucun phénomène ne peut être étudié isolément dans la société. Mais plutôt comme immergé dans une véritable totalité organique et vivante (...) la dialectique est la voie prise par l'humanité en marche pour saisir les totalités mouvantes qui portent, de près ou de loin, son empreinte.(1) L'égalité entre les sexes, de par sa définition, suppose la participation conjointe des hommes et des femmes à la recherche de la justice et aux avantages qui découlent de l'égalité. Nous pouvons même dire que l'égalité entre les sexes est, en somme, un changement de mode de vie caractérisé par une lutte visant à obtenir pour les femmes les mêmes traitements, possibilités et privilèges que ceux accordés aux hommes. C'est dans ce cadre que nous soutenons que le genre et l'autonomisation de la femme ne tiennent pas à réduire ou à nier totalement les différences entre les hommes et les femmes, mais à reconnaître les différences entre les sexes tout en considérant comme complémentaires leurs efforts dans la lutte pour la survie des ménages dans une conjoncture de précarité. Le non-respect de l'égalité des droits sociaux des hommes et des femmes n'a toujours pas connu la même ampleur dans toutes les sociétés humaines en général et en République Démocratique du Congo en particulier, depuis des temps immémoriaux (esclavage, colonisation et l'impérialisme 42 capitaliste actuel). Il a évolué à travers le temps et l'espace. Il y a peu, l'approche genre et lutte contre la pauvreté n'était pas une préoccupation majeure qu'elle ne l'est aujourd'hui. Elle attire désormais l'attention non seulement des dirigeants, mais aussi celle des mécanismes et instruments de protection et de propagation du capitalisme international, ainsi que celle de nombreux chercheurs. Encouragés et initiés par ceux-là mêmes qui passent pour leurs défenseurs, les inégalités, l'autonomie de la femme ou encore la pauvreté doivent être analysées non seulement comme un principe historique mais aussi comme répondant au principe de contradiction que nous venons d'expliquer. 7.1. D. La loi de la négation de la négation Quant à la loi de la négation de la négation, son essence réside dans le fait que, dans le processus du développement, chaque degré supérieur nie, élimine le degré précédent, et en même temps il l'élève à un niveau et conserve tout le contenu positif acquis au cours de son évolution. La loi de la négation de la négation implique le point de départ d'une intégration par incorporation d'une nouvelle. Elle constitue le lien organique entre ce qui disparaît et ce qui naît en un processus d'auto-négation. La dialectique suppose donc la conservation et la négation, c'est-à-dire la conservation de ce qu'il y a de positif et la négation de ce qu'il y a de négatif dans le phénomène. La loi de la négation de la négation favorise ou explique le progrès dans le monde dans la mesure où la négation marque non pas le rejet mais le dépassement du degré précédent de l'évolution. En abordant l'objet de notre étude sous le contexte d'exclusion, de la domination et de manque de reconnaissance sociale de la production de la femme, nous voulons en respectant cette loi de la négation de la négation mettre en évidence des aspects négatifs du statut de la femme qui nécessite d'être envisagé sous une forme nouvelle. 43 Enfin, nous pensons que l'introduction aujourd'hui de technologies nouvelles, de formes d'organisations du travail nouvelles et plus adaptées à la nouvelle économie mondiale, la nécessité de connaissances professionnelles approfondies entraînent une transformation de plus en plus irréversible dans la vie des Lushois et stimule une analyse scientifique objective qui justifie sans doute le recours à une analyse marxiste du prolétariat africain. 7.2. Techniques de recherche Par technique, nous entendons l'ensemble des procédés de recherche se situant au niveau de la collecte de l'information. Autrement dit ce sont les moyens utilisés afin de concrétiser une méthode quelconque. Pour Brimo, la technique est un procédé pour collecter les faits qui apparaissent les mieux adaptés à l'objet de la recherche(1). En ce qui concerne cette étude, nous avons fait usage des techniques ci-après : l'observation indirecte ou documentaire et l'interview. 7.2. A. L'observation indirecte ou documentaire Celle-ci nous a permis d'épulcher certaines informations qui ont servi à élaborer théoriquement et pratiquement cette thèse. Nous avons lu différents écrits qui nous ont aidé à récolter les données ayant servi a l'élaboration des théories tant sur le genre, sur la pauvreté que sur les stratégies de survie de ménage. Pratiquement, nous nous sommes servi, dans le cadre de l'observation documentaire, des ouvrages, archives, rapports et articles pour rédiger la majeure partie de ce mémoire. 7.2. B. L'interview L'interview est, selon Albert Brimo, une technique qui a pour but d'organiser un rapport de communication verbale entre deux personnes, à (1) BRIMO, A., op. cit., p. 207 44 savoir l'enquêteur et l'enquêté, afin de permettre à l'enquêteur de recueillir certaines informations de l'enquête concernant un objet précis.(1) Spécialement dans le cadre de ce travail nous nous sommes servi de l'interview directe et de l'interview structurée. L'interview directe nous a permis de savoir directement, par le jeu des questions et réponses, ce que les sujets enquêtés pensent, ressentent, désirent, savent, font ou sont. Pendant que l'interview structurée est celle à travers laquelle l'enquêté a répondu à une série de questions dont le nombre, l'ordre et l'énoncé ont été fixés à l'avance dans le protocole d'interview. 8. Présentation synthétique de la thèse Notre étude sur le Genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi, outre l'introduction générale et la conclusion générale, se subdivise en cinq chapitres. Dans le premier chapitre, intitulé Cadres conceptuel et théorique, nous tâchons de restituer aux concepts de base de notre étude leur signification afin de comprendre ce qu'ils recouvrent selon les écoles, les auteurs, ainsi que suivant le contexte de la présente recherche avant de revisiter les théories sur le genre et sur les stratégies de survie. Dans le deuxième chapitre, nous présentons notre cadre d'étude. Il s'agira ici de donner le cadre historique, géographique, culturel et socioéconomique de la ville de Lubumbashi. Le troisième chapitre porte sur le Genre et situation des ménages dans la ville de Lubumbashi. Il est, donc question dans ce chapitre de décrire la situation de pauvreté, d'exclusion et de fragilisation sociale de la femme lushoise avant de dégager les nouveaux mécanismes (stratégies) de survie de ménages dans une économie de la débrouille. Le quatrième est essentiellement basé sur le cadre méthodologique et la présentation des résultats des enquêtes socio-économiques de notre étude. Cet avant-dernier (1) BRIMO, A., op. cit, p. 207 45 chapitre porte essentiellement sur l'organisation de l'opération d'enquêtes de terrain, de l'échantillonnage et du mode de collecte des données, du déroulement de l'enquête, des tests statistiques utilisés. Il porte aussi sur la présentation et l'analyse des résultats d'enquête afin de voir les inadéquations entre le budget et les revenus de ménage et de comprendre le recours aux revenus extraordinaires par des activités de la débrouille comme stratégies de survie. Enfin, le cinquième et dernier chapitre est consacré à une discussion générale sur le genre et les stratégies de survie des ménages. Ce chapitre nous permet d'analyser les motivations, la représentation et les obstacles du travail de la femme afin de comprendre ses efforts pour son autonomisation et pour la survie des ménages à Lubumbashi. Il nous permet aussi de comprendre ce nouveau modèle de rôle social qui se dessine maintenant dans un processus de lutte contre la pauvreté afin de confirmer ou de nuancer certaines positions théoriques visant à occulter ou à valoriser le dynamisme et les capacités d'innovation de la femme. 46 CHAPITRE I : CADRES CONCEPTUEL ET THEORIQUE 1.1. Introduction Citant Georges Gurvitch, Bushabu Piema Kuete dans sa thèse sur la famille et urbanité à Lubumbashi note que l'adéquation du langage scientifique au réel n'est pas une question qui se situe en dehors de l'histoire, mais qui épouse une évolution dialectique variant selon le milieu de culture(1). C'est que les concepts, les mots, que nous scientifiques utilisons, doivent être non seulement saisis dans leur évolution, mais aussi peuvent avoir plusieurs significations suivant les milieux et suivant les cultures. C'est ainsi qu'ils doivent être soigneusement interprétés en tant qu'outils et produits sociaux. Pour sa part, Gaspàr Fajth, Chef de l'Unité d'analyse économique et de Politique Sociale à l'UNICEF dit que la façon de définir un concept détermine comment nous allons l'aborder ; le concept détermine l'action, la façon dont un canon va projeter la balle en direction de sa cible. La conceptualisation est essentielle à l'élaboration des politiques. Les concepts, en effet, définissent la façon dont les données sont compilées et/ou analysées, et posent les principes directeurs de l'action et du débat sur la politique sociale, mais aussi de la promotion, du contrôle et du suivi des politiques(2). Voilà pourquoi nous pensons qu'avant d'aborder cette étude, il est nécessaire de commencer par restituer aux concepts principaux de notre sujet leurs significations premières. Toutefois, comme pour beaucoup d'autres concepts sociologiques qui sont encore loin de gagner l'unanimité des chercheurs en sciences sociales, nous n'avons pas ici la prétention de croire que les définitions que nous donnons rencontrent déjà la préoccupation de tous. Néanmoins, elles nous chemineront vers l'atteinte de nos objectifs de recherche tant sur le plan conceptuel que sur le plan théorique.
47 1.2. Cadre conceptuel 1.2.1. Les concepts opératoires 1.2.1.1. Le concept de genre D'après le rapport de la Banque Mondiale sur les politiques de développement Genre et développement économique, le concept genre fait référence à des manières d'être particulières, à des comportements imposés par la société ainsi qu'à des attentes spécifiques associées à chaque sexe. Les hommes et les femmes sont différents sur le plan biologique. Les femmes peuvent donner naissance à des enfants et les nourrir au sein, ce que les hommes ne peuvent pas faire. Pris donc dans ce sens, le concept Genre prend une dimension sociale qui établit dans une large mesure l'harmonisation, la complémentarité, la chance, l'intégration, la participation et la valorisation d'un individu dans la société. La notion du genre se réfère à l'interprétation socioculturelle de l'identité masculine et féminine. Elle recherche l'équilibre et l'harmonie des rapports sociaux entre l'homme et la femme dans la société. Donc il ne s'agit pas des différences biologiques, mais des différences établies par la société : les professions exercées par les hommes et les femmes, la répartition des tâches ménagères, les rôles assumés par les hommes et les femmes, les comportements qu'on attend d'eux. Ceci dénote qu'il existe entre les hommes et les femmes des différences de deux natures : biologique et sociale. Le sexe se réfère aux différences biologiques qui sont universelles tandis que le genre fait référence aux différences sociales qui sont acquises et qui varient dans le temps et dans l'espace. Les femmes sont certes seules à mettre au monde les enfants, mais la biologie ne détermine pas qui élèvera les enfants. De ce fait, la femme qui donne naissance aux enfants, est une donnée biologique, mais que ce soit alors elle qui reste à la maison pour soigner un enfant malade, garder la (1) OAKLEY, A., Sex, Gender and Society, London, Gower Publishing, 1972, Cité par Rosalie Aduayi Diop, Survivre à la pauvreté et l'exclusion, Paris, Karthala, 2010, p.95 48 maison, préparer la nourriture, faire la lessive, etc., est un comportement imposé par la société. Abordant dans ce sens aussi, Ann Oakley, dans son ouvrage : «Sex, Gender and Society» propose une distinction entre le biologique (le sexe) et le culturel (le genre) et souligne que le genre vise à appréhender le statut des femmes dans la société et cherche les moyens de lutte les plus opérants permettant de réduire les inégalités économiques ou politiques dont elles sont victimes du fait de leur sexe ou des préjugés sociaux(1). Or on sait que les inégalités se trouvent à tous les niveaux : santé, éducation, nutrition, accès à l'emploi, aux ressources économiques et financières, aux prises de décision. Donc le recours à cet outil d'analyse qu'est le Genre dans cette thèse est sous-tendu par le fait que nous voulons étudier la transformation des rôles de la femme dans ses efforts de lutte pour la survie des ménages à Lubumbashi. Surtout lorsque l'on reconnait que les activités de la femme contribuent dans une large mesure au bon fonctionnement de la communauté, mais sont pour la plupart invisibles et ne sont guère valorisées, voire complètement méconnues, à savoir: le rôle des femmes dans l'éducation des enfants, les soins prodigués aux enfants et aux vieux, l'approvisionnement en eau, en énergie et en nourriture, leur participation à la vie sociale et culturelle. Toutes ces immenses contributions ne sont pas seulement prises en compte dans le calcul du produit national brut mais aussi sont considérées comme des réservoirs inépuisables, acquis une fois pour toutes. Le concept de genre est une notion sociale. Pour Luc Sindjoun, le genre est une configuration dynamique qui implique la nécessité analytique d'historiciser les rapports hommes/femmes dans leur dimension concrète et imaginaire. C'est un système d'interdépendances sociales qui entrainent, d'une part, la prise en considération des normes et significations sociales dans 49 l'action et la perception des individus et d'autre part, l'analyse des pratiques féminines dans un contexte de domination masculine.(1) Pour leur part Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur définissent le genre (gender) comme le sexe, féminin et ou masculin socialement construit en même temps qu'un processus de construction hiérarchique interdépendante et complémentaire entre les hommes et les femmes. Le genre renvoie donc de ce point de vue aux catégories sociales (féminin ou masculin) et non aux catégories sexuelles (hommes et femmes). Il implique un savoir sur la différence sexuelle et reflète un pouvoir qui est aussi une manière d'ordonner le monde, inséparable de l'organisation sociale de la différence sexuelle(2). De son côté, Marguerite Lena considère que la différence sexuelle ouvre la voie dans l'histoire de l'humanité à la dialectique de l'homme et de la femme, irréductible à celle du maître et de l'esclave en soulignant la relation de l'homme et de la femme sur la seule dialectique de domination(3). Pour soutenir son point de vue, elle argumente de cette façon : il est significatif qu'actuellement un certain nombre de nos problèmes de société et de nos débats majeurs qui concernent la famille, les institutions et autres, se tiennent sur des seuils dont la femme est traditionnellement la gardienne. A titre d'exemple, notons que les femmes font face à des charges de ménages souvent excessives et pourtant, à l'heure actuelle, il faut les considérer comme des productrices à part entière et non comme des aides occasionnelles et des petites mains. Les hommes se sont déchargés sur les femmes de toutes les tâches relatives aux enfants et de soins à apporter à la sphère domestique, ils ont investi les domaines publics et économiques pour fonder un pouvoir qu'ils imposent aux femmes. Elle note à titre d'exemple de cette domination masculine, celle de pater familias qui, dans la Rome antique, était le maître de
50 maisonnée et qui jouissait de droit de vie ou de mort sur l'ensemble des êtres vivant sous son toit. De même que celui de l'emprise des grandes religions qui bien que n'ayant attribué à Dieu le sexe masculin se trouve dirigées et fondées par des prophètes qui sont tous des hommes, elle cite : Bouddha, Christ, Mohamad, Confucius et autres. En rapport à cette démarche Isabelle Jacquet considère que pour aider efficacement une population, il faut comprendre comment elle s'organise, comment les hommes et les femmes se répartissent les tâches et les rôles, ce qui est important pour eux, ce qu'ils désirent, ce qu'ils sont prêts à changer et tenir compte des effets que l'action entreprise aura sur eux. Pour obtenir cette information, on doit réaliser ce que l'on appelle une approche selon le genre.(1) 1.2.1.2. Le concept de la pauvreté La pauvreté se définit selon Larousse comme l'état d'une personne ou d'une chose pauvre. Alors que le pauvre désigne celui qui a peu de ressources, peu de biens, donc dépourvu de biens et de ressources. En effet, comme le souligne Gaspar Fajth, la pauvreté - qui s'entend très souvent comme le manque grave de ressources - est un concept chargé de connotations négatives. C'est une question que bien des gouvernements, notamment les régimes autoritaires indétrônables, tendent à éluder le plus possible et n'ont guère envie d'évoquer et pourtant elle est un miroir, elle nous renvoie l'image des sociétés telles qu'elles sont et non pas telles qu'elles se prétendent être grâce à des discours idéologiques et politiques(2). Il cite pour référence les anciens régimes communistes d'Europe orientale qui bien qu'ayant un revenu national modeste, considéraient la pauvreté comme un sujet tabou et disaient officiellement qu'ils l'avaient
(1) GOUGUET J.J., Réflexions méthodologiques sur la connaissance de la pauvreté, Thèse d'Etat- Université de Bordeaux 1, 1978. p.118 51 éradiqué au moyen d'une stratégie combinant plein emploi et services sociaux accessibles à tous. L'analyse de la pauvreté est un bon moyen pour apprécier l'ampleur de la crise que traverse l'économie mondiale. Les approches de la pauvreté couvrent tout un éventail de concepts, des droits de l'homme au droit à la charité et à l'assistance sociale. Dans ces conditions, certaines de ces approches sont accusées de faire plus de mal que de bien en ouvrant la porte à des conceptions détournées du bien-être, ou en renforçant l'exclusion sociale parce que ciblée sur un trop étroit segment de la société et par conséquent les programmes d'aide deviennent comme des filets de sécurité réservés aux individus se trouvant dans l'incapacité de s'en sortir par leurs propres moyens. C'est ainsi que dans le cadre de cette étude notre intérêt est porté non seulement à la définition ou à la mesure de la pauvreté mais à évaluer aussi les projets et les politiques de lutte contre la pauvreté. La difficulté essentielle que l'on rencontre dans la définition de la pauvreté provient du fait qu'elle présente deux caractéristiques fondamentales difficiles à formaliser : sa relativité dans l'espace et dans le temps ; son double niveau de responsabilité (individuel ou social). Ce qui poussera à parler de l'approche culturelle de la pauvreté afin de mieux aborder le phénomène et poser tout l'enjeu de l'efficacité des politiques de sa lutte. Jean Jacques Gouguet, soutient que toutes les approches définitionnelles commencent très souvent par une présentation des critères utilisés pour définir et mesurer la pauvreté. Le plus souvent la tentative consiste à effectuer des estimations monétaires de besoins jugés comme essentiels : les seuils de pauvreté(1). Devant les insuffisances d'une telle définition en termes de flux, des estimations en termes de stock de capital humain ont été proposées. Nous montrons le réductionnisme de ces analyses 52 traditionnelles pour appréhender la pauvreté dans toute sa complexité, et nous présentons la nécessité d'une approche culturelle qui pose tout l'enjeu de la gouvernance face à la pauvreté. Tout homme quel qu'il soit et où qu'il se trouve a besoin de manger et de boire pour vivre. C'est de cette notion élémentaire de minimum physiologique que sont partis les premiers chercheurs pour définir la pauvreté. On retenait ainsi comme critère de pauvreté le revenu monétaire correspondant ou non à la satisfaction des besoins vitaux indispensables à la survie (essentiellement la nourriture). Cette conception de la pauvreté absolue étant néanmoins trop étroite, le concept de minimum physiologique au sens strict s'est peu à peu élargi pour inclure d'autres éléments que la seule nourriture : logement, habillement.... Ce qui posait de nouveaux problèmes, pour savoir jusqu'où aller dans le niveau de satisfaction de nouveaux besoins. En effet, le minimum physiologique avait eu la faveur des premiers auteurs au début du 20ième siècle (comme Booth et Rowntree cités par Gouguet(1)) car on pouvait ainsi définir scientifiquement la pauvreté sur les bases de la science nutritionnelle. Or, la pauvreté contemporaine ne pouvant plus se limiter aux besoins vitaux, elle doit se définir par rapport aux normes couramment admises dans une société donnée à un moment donné. C'est ainsi que les chercheurs ont tenté de définir la notion de minimum social par opposition à la notion de minimum physiologique : quantité minimale de biens et services considérée comme normale par la société et dont devrait disposer n'importe lequel de ses membres. La difficulté est toujours de déterminer ensuite le revenu correspondant nécessaire pour couvrir ces besoins, ce que montre la très grande diversité des montants proposés traduisant une ambiguïté : - dans la conception des besoins minima qui varient selon les instances qui calculent ces seuils, - et dans le fait de savoir si les individus disposant d'un tel montant d'argent peuvent effectivement satisfaire les besoins précédents. (1) GOUGUET, J.J., op. cit, p 118 (1) GOUGUET, J.J., L'éradication de la pauvreté : de la nécessité d'une alternative, Paris, CRIDEAU-CRN, 1999, p.119 53 On peut s'interroger ainsi sur le seuil des 1$ ou 2$ par jour utilisé par la Banque Mondiale ou le PNUD. Si cela donne une image de la répartition géographique de la pauvreté la plus extrême et de son ampleur globale, un tel seuil n'est guère opérationnel. Les seuils fixes de pauvreté présentent l'énorme inconvénient de ne pas refléter le caractère essentiel de relativité de la pauvreté. Voilà pourquoi des propositions ont été faites pour définir la pauvreté selon une base relative et non plus absolue. On prend par exemple (Union Européenne) un pourcentage (40% ou 50%) du revenu moyen disponible dans un Etat comme critère du montant dont devrait disposer tout individu pour s'intégrer normalement dans la société(1). On voit donc ici commencer à se dessiner tous les débats qui auront lieu sur les inégalités de revenus. Le problème est de déterminer la dose d'inégalité qu'une société est prête à tolérer en son sein : quel écart est considéré comme acceptable entre les pauvres (ceux au bas de l'échelle des revenus) et les autres groupes sociaux, ou, à l'inverse, quel écart maximum entre les plus pauvres et les plus riches est tolérable pour correspondre à une certaine idée de la justice sociale ? Il faut bien reconnaître à l'heure actuelle que l'ampleur des inégalités de richesse à l'intérieur des pays du Sud ou entre le Nord et le Sud est indécente (PNUD. 1998). Ce dernier rapport note par exemple que les trois personnes les plus riches du monde ont une fortune supérieure au PIB total des 48 pays en développement les plus pauvres de la planète ! Là encore, des indicateurs plus ou moins sophistiqués et composites sont utilisés pour dresser un état des lieux de la pauvreté planétaire et pour faire comprendre que ces inégalités sont structurelles. Néanmoins, pour comprendre l'origine même de la pauvreté et agir efficacement, d'autres indicateurs sont nécessaires. En effet, étudier la pauvreté selon la seule référence monétaire 54 revient à se priver de l'explication de l'origine de ces flux qui est déterminante dans l'élaboration d'une politique de lutte efficace. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les études sur l'égalité des chances des individus dans le processus de lutte contre la pauvreté. Il s'agit donc de déterminer le stock de capital humain (éducation, santé, qualification...) dont tout individu a besoin pour s'intégrer dans la société. Comme le souligne encore une fois J.J.Gouguet, pour respecter la justice sociale, il suffirait ensuite d'améliorer la dotation en capital humain des plus démunis. C'est le sens profond du deuxième principe de la justice de J.Rawls : une société est juste si elle permet l'amélioration des aspirations de ceux qui sont au bas de l'échelle sociale. Lutter contre la pauvreté revient ainsi à promouvoir une politique d'égalité des chances, ce qui implique la connaissance de la relation entre capital humain et pauvreté : être ou de devenir pauvre dépend du fait de posséder ou non certaines caractéristiques sociodémographiques : sexe, âge, localisation géographique, éducation.... La corrélation établie entre ces caractéristiques et la pauvreté donne une mesure du risque de pauvreté et permet d'établir des profils de pauvres(1). Ce genre de calcul peut être intéressant comme première approche mais la première critique qui peut être adressée à ce critère concerne le fait que les variables retenues (santé, éducation..) avaient une dimension individuelle. Cela présente l'avantage de personnaliser la pauvreté, de descendre au niveau microéconomique mais, à l'inverse, cela a l'inconvénient de masquer l'aspect macroéconomique de la pauvreté. Si le risque de pauvreté évite de considérer le pauvre comme véritablement responsable de sa situation, on en reste quand même aux causes individuelles de pauvreté, les facteurs extérieurs à l'individu sont négligés. Il est donc nécessaire de remonter aux causes macroéconomiques de la pauvreté : un individu peut être au chômage et cela va entraîner pour lui un risque de pauvreté mais le vrai problème est de savoir pourquoi il est au (1) GOUGUET, J .J. op. cit. , p.120 55 chômage, et de même qu'il existe un chômage involontaire, il y a aussi une pauvreté involontaire. Une telle analyse macroéconomique se fera à travers l'étude des poches de pauvreté. Le concept poches de pauvreté que développe Jean-Jacques Gouguet est né du constat que le risque de pauvreté varie dans l'espace : les individus qui naissent et vivent dans certaines zones ont un risque élevé de devenir pauvres. D'une certaine façon, leur pauvreté devient involontaire. A partir de cette constatation, on a pu définir les poches de pauvreté : ce sont les zones où le niveau de vie est particulièrement bas, où les possibilités d'emploi sont limitées, l'éducation précaire, les logements insalubres...C'est un véritable risque de pauvreté au niveau régional ou local. Néanmoins, ce n'est pas la localisation géographique en soi de la pauvreté qui est importante. Il s'agit en fait d'analyser la relation entre certaines caractéristiques concentrées géographiquement (emploi, santé, éducation, logement...) et les caractéristiques personnelles correspondantes. Bien sûr qu'il faut dépasser ce seul constat de la concentration géographique des pauvres en analysant la structure économique de ces zones ainsi repérées. En caractérisant les principales insuffisances en services de base (santé, éducation, logement, emploi...), le concept de poche de pauvreté acquiert une certaine opérationnalité. Néanmoins, une question importante se pose : l'efficacité du concept dépendra de la capacité à analyser la relation qui existe entre chaque élément de la structure économique de la zone et la pauvreté des individus qui y résident. Il faut connaître les relations particulières emploi - pauvreté, éducation - pauvreté...c'est-à-dire connaître les différents risques de pauvreté et leur cumul. Dans cette perspective, il se pose généralement le problème de la hiérarchisation des objectifs à l'intérieur d'une poche de pauvreté, c'est-à-dire de savoir quel facteur faut-il mieux privilégier : 56
Une telle analyse pose en fait la nécessité d'une approche globale, intégrée et dynamique de la pauvreté qui remet en cause les politiques sociales traditionnelles pensées sectoriellement. On évitera donc de procéder par une conception réductrice qui repose sur l'ignorance des populations étudiées en tant qu'acteurs, au profit d'une approche qui considère uniquement les pauvres comme objet d'étude. C'est dans la culture de pauvreté qu'il s'agit de pénétrer si l'on veut avoir quelque espoir de modifier les tendances actuelles de l'exclusion, notamment de la femme. Comment sortir la femme lushoise, frappée des préjugés idéologiques et culturels, de la misère, de la pauvreté. Nous allons constater que la culture de pauvreté remet ainsi en cause la plupart des politiques sociales contemporaines. Dans le débat autour de la culture de pauvreté, on note que le risque de pauvreté ne faisait que constater froidement une certaine probabilité de devenir pauvre à un moment donné. Or, on peut penser a priori que ce risque est d'autant plus fort que l'on naît dans un milieu pauvre et qu'il y a transmission de la pauvreté de génération en génération. C'est ce qu'on a appelé la culture de pauvreté. Ce concept a soulevé de nombreuses polémiques puisque l'on suppose que le pauvre hérite de sa pauvreté et la transmet à ses propres enfants. Où qu'il existerait actuellement des zones, des quartiers essentiellement pour les pauvres. Il y aurait un cercle vicieux dont on ne pourrait sortir, ce qui a heurté nombre de chercheurs et praticiens en sciences sociales. Nous disons pour notre part que la prise en compte de la pauvreté selon ses poches comme présentée par Jean-Jacques Gouguet est une négation d'une réalité sociale, combien de gens sont devenus riches à Lubumbashi parce que leurs parents étaient riches ? Combien d'enfants des pauvres et issus des milieux très pauvres et ayant étudié dans les conditions 57 les plus difficiles sont devenus riches ? Peut-on alors croire que tous les grands directeurs de sociétés, tous les grands commerçants de Lubumbashi ou d'ailleurs sont nécessairement les enfants des riches ? Non, croire à une telle théorie c'est vouloir plaquer des clichés à une société, c'est penser que la société n'évolue pas, elle est stagnante, donc sans histoire. Et il est même possible de se demander devant l'ampleur et l'accentuation du phénomène de pauvreté en République Démocratique du Congo en général et dans la ville de Lubumbashi en particulier si l'on peut parler des poches de pauvreté ou plutôt des ilots de richesses au milieu d'un océan de pauvreté. A Lubumbashi faute d'une politique bien planifiée d'urbanisation, chacun construit en fonction de disponibilité des terrains et des ressources dont il dispose. Dans quel quartier on ne voit pas des immeubles superbement construit à côté des taudis et autres formes d'habitat qui traduisent la pauvreté de leurs occupants. Se basant sur le niveau de satisfaction des besoins fondamentaux, d'accès aux services de base et de vulnérabilité, les ménages de Lubumbashi supposés être riches ne représentent qu'une goutte dans un grand bassin d'eau, surtout lorsqu'on tient compte de ceux qui effectivement cherchent à satisfaire leurs besoins de base dans des supermarchés, les marchés officiels et les marchés pirates. Ceux qui sont nés dans des quartiers jadis planifiés ou urbanisés, supposés à en croire la théorie de poche de pauvreté, ne se trouveraient pas nombreux dans les quartiers dits pauvres comme Kasungami, Congo Kigoma, etc. C'est certainement Oscar Lewis qui doit être considéré comme l'inventeur du concept : « réaction et adaptation des pauvres à leur situation marginale »(1). S. Latouche dirait plus simplement que la culture est une réponse que les groupes humains apportent au problème de leur existence sociale(2). Mais le point intéressant chez Lewis est la tentative de généralisation qu'il a essayé de faire en comparant les pauvres de pays différents pour aboutir à la conclusion qu'ils se comportaient de la même
58 façon, que l'on soit dans un bidonville de Mexico ou un ghetto de New York. La culture de pauvreté transcenderait les frontières pour caractériser la nature profonde d'un système économique qui ne prévoit rien pour les perdants dans la compétition. De façon générale cette théorie a été fortement contestée sur la base de deux éléments: son degré d'intériorisation par les individus ; le fait de savoir si l'on acquiert cette culture par héritage ou par basculement. Pour le degré d'intériorisation, Il s'agit de savoir avec quelle intensité certaines normes de conduite persisteraient si certaines opportunités économiques se présentaient. L'approche de l'exclusion par la culture de pauvreté revient à essayer de découvrir :
Dans le premier cas, on suppose que le degré d'intériorisation de la culture de pauvreté n'est pas trop élevé et qu'il existe des possibilités réelles d'insertion sociale. Dans le second cas, on suppose que les valeurs des plus pauvres ne sont pas modifiables à court terme. Il serait donc plus facile d'adapter des opportunités économiques à cette culture, ce qui n'est pas véritablement envisageable dans une société productiviste où chaque facteur de production doit être rentable. Pour l'héritage ou basculement, il n'est pas simple de répondre à une telle question : pourquoi des individus sortent-ils de la pauvreté alors que d'autres n'y arrivent pas ? Voilà pourquoi la culture de pauvreté a soulevé de vives controverses dans la mesure où la thèse de la transmission intergénérationnelle de la pauvreté condamnait le pauvre à être exclu à tout jamais de la société. A l'inverse, les études en Europe sur les « nouveaux pauvres » soutenaient la thèse du basculement : des individus bien intégrés dans la société basculaient dans la pauvreté à la suite d'un événement 59 personnel malheureux (perte d'emploi, divorce, mauvais placement des fonds...), et vice versa. Il est difficile de trancher entre les deux thèses mais nous mentionnons cependant les conclusions du rapport Wresinski qui rappelait que la pauvreté ne frappait pas au hasard. Il apparaît clairement que, quand on remonte dans la lignée familiale des plus pauvres, on arrive à trouver des éléments de fragilisation sociale qui permettent de douter de la thèse du basculement. Cela ne veut pas dire que cette explication est dénuée de tout sens mais que, en règle générale, les éléments constitutifs de l'histoire des individus sont déterminants pour comprendre leur trajectoire sociale(1). I'auteur souligne également que « les politiques d'appui au secteur informel, dans les pays en voie de développement, rencontrent les difficultés liées au non-respect des valeurs culturelles spécifiques, c'est-à-dire qu'il est toujours hasardeux de vouloir faire le bonheur des gens malgré eux, par rapport à des normes qui leur sont extérieures et étrangères. N'est-ce pas là que s'inscrit l'ambition de bon nombre d'organisations internationales de relire le phénomène de la pauvreté au travers du concept de gouvernance pour montrer l'inefficacité des politiques menées et la nécessité de les repenser en tenant compte des multiples acteurs concernés (institutions, ONG, ...et les pauvres eux - mêmes !). Cela impliquerait en particulier l'invention de nouvelles formes de négociation collective pour éviter d'imposer des modèles inadaptés au contexte local »(2). 1.2.1.3. Le concept genre dans la lutte contre la pauvreté Afin de mieux cerner l'incidence du concept de genre sur l'efficacité de la lutte contre la pauvreté, il nous semble utile, dans un premier temps, de rappeler brièvement les évolutions des concepts concernant la
60 pauvreté et la manière dont l'on considère la femme dans la lutte contre la pauvreté. Pendant de très nombreuses années, à l'instar des institutions de Bretton Woods, l'approche de la pauvreté est surtout restée monétaire et se basait essentiellement sur le critère du revenu : était pauvre celui qui avait un revenu inférieur à un dollar américain par jour. Si cette approximation peut avoir une certaine utilité, notamment pour des comparaisons internationales, elle s'avérait toutefois trop réductrice pour capter les multiples dimensions de la réalité des vies des êtres humains concernés. Avec le Rapport Mondial sur le Développement Humain du PNUD en 1990, le concept de développement humain a eu très rapidement des répercussions sur l'approche de la pauvreté. Celle-ci se caractérise non plus uniquement par le faible niveau de revenu ou de consommation, mais également par un faible niveau d'instruction, par une santé précaire et un vieillissement précoce. L'édition de 1997 de ce rapport introduit en outre le concept de "pauvreté humaine", tout en soulignant que l'indicateur élaboré à cette occasion(1) ne saisit pas la totalité des aspects de ce concept. La pauvreté y est alors désormais considérée comme "la négation des opportunités et des possibilités de choix les plus essentielles au développement humain - longévité, santé, créativité, mais aussi conditions de vie décentes, dignité, respect de soi-même et des autres, accès à tout ce qui donne sa valeur à la vie" (PNUD, 1998). L'économiste Armatya Sen est l'un des penseurs qui a le plus fortement influencé cette évolution du concept. Selon lui, la pauvreté est avant tout une privation des capacités élémentaires même si "cette définition ne vise en aucune manière à nier l'évidence : un revenu faible constitue bien une des causes essentielles de la pauvreté, pour la raison, au moins, que l'absence de ressources est la principale source de privation des capacités d'un individu"(2).
(1) NARAYAN, D, « Silence et impuissance : le lot des pauvres », in Finances et Développement, FMI, Washington, vol. 37, n° 4, 2000 61 Ce théoricien de la pauvreté a également développé le concept de capital social qu'il envisage comme un phénomène inhérent aux interactions sociales, c'est-à-dire à la structure des relations entre les personnes, qu'il s'agisse de relations intragroupes, intergroupes ou environnementales. Le capital social d'un agent (de l'individu à l'Etat) apparaît ainsi comme une ressource sociale dont la faiblesse est l'une des caractéristiques de la pauvreté. Il est issu des interactions culturelles et/ou structurelles, avec d'autres agents capables de générer des externalités durables qui changent leur situation économique. On retrouve ici le principe des économies d'échelle, qui induit des diminutions des coûts individuels et donc un gain d'efficience. L'autre évolution remarquable du concept de pauvreté a été le passage vers une vision plus dynamique du phénomène. Un tel élargissement peut être illustré à travers l'exemple de la pauvreté monétaire. Les ménages ou les individus considérés comme "pauvres" ne se situent désormais plus simplement à un niveau stable, en dessous du seuil de la pauvreté, et la lutte contre la pauvreté ne peut plus se réduire à l'idée de rehausser ce niveau au-dessus de ce seuil. Des analyses plus fines ont en effet démontré que le revenu est sujet à des fluctuations importantes et que la pauvreté se traduit aussi par une incapacité de maintenir un niveau de bien-être spécifié. C'est en effet l'absence de stabilité qui caractérise ces situations de pauvreté et qui rend les individus ou les ménages très vulnérables. Cette complexité du concept de pauvreté a récemment été confirmée par une large enquête menée par la Banque Mondiale et destinée à montrer la pauvreté telle que la ressentent les plus démunis. Les statistiques obtenues expriment ainsi des facettes multiples de la pauvreté ayant surtout trait à des formes d'impuissance et de mal-être. Un des aspects évoqués par les femmes concerne par exemple les relations conflictuelles et inégales avec l'autre sexe(1). 62 De 1975 à 1985, la "Décennie de la Femme" a eu le mérite de focaliser l'attention de l'ensemble des pays sur la condition féminine. En témoigne la forte augmentation du nombre d'analyses, d'études et de publications sur les femmes du tiers monde, concernant notamment la division sexuelle du travail et l'impact des projets de développement sur les femmes. Les résultats de ces études et leurs répercussions ont alors sorti les femmes des "mystifications sociales" du développement en leur reconnaissant un rôle productif. Cette période a ainsi vu naître l'approche Intégration des Femmes dans le Développement (IFD) qui tentait d'intégrer les femmes dans le processus de développement existant, afin de le rendre plus efficient et efficace. A travers des projets pour femme, ou des projets intégrant des volets "femmes", cette approche visait à accroître la productivité et le revenu des femmes. On essayait donc de surmonter la pauvreté en agissant sur la faiblesse des ressources et des compétences, sans pour autant s'adresser aux causes de cette faiblesse. Cette approche a été remise en question progressivement, principalement pour deux raisons : en premier lieu, parce que les tentatives de considérer les femmes d'une manière isolée se sont avérées finalement peu opérationnelles, en deuxième lieu, parce que ce type d'approche n'a pas pu surmonter le fait que le modèle de développement ne reconnaissait pas aux femmes de place égale avec les hommes. L'approche "genre" qui succède à l'approche IFD vers les années 1990, tente de pallier cette dernière lacune. Elle met ainsi l'accent sur les relations inégales de pouvoir comme facteur majeur conditionnant la situation des femmes. Le terme "genre" fait ici désormais référence à la construction sociale des rôles féminins ou masculins qui ne sont donc pas seulement définis par le caractère biologique du sexe mais comme le résultat des conditions de production et de reproduction propres à chaque société et en constante évolution. "Les genres ont une base culturelle ; ils sont définis par la société qui en détermine les activités, les statuts, les caractéristiques 63 psychologiques, culturelles et démographiques, dont le point de départ est la différence sexuelle, mais qui ne peuvent pas se résumer ou se justifier par cette seule différence sexuelle"(1). De plus en plus fréquemment, les chercheurs intègrent cet aspect genre dans l'analyse de la pauvreté(2). Le cadre d'analyse se complexifie et construit une vision plus large des causes. A titre d'exemple, on peut citer la distinction entre intérêts pratiques et intérêts stratégiques des femmes(3). Alors que les intérêts pratiques concernent surtout la satisfaction des besoins fondamentaux et l'accès à une source de revenu stable, les intérêts stratégiques remettent en question la position de la femme dans la société. En effet, des analyses selon le genre montrent que des aspects tels que le contrôle masculin de la force de travail des femmes ou encore leur accès limité au pouvoir politique et à des ressources à forte valeur sociale et économique sont à l'origine de leur accès limité à une source de revenu. Ces résultats ont de toute évidence des répercussions sur les politiques de lutte contre la pauvreté. D'un point de vue opérationnel, il s'agit d'identifier en même temps les besoins pratiques et les intérêts stratégiques des femmes afin qu'elles puissent sortir durablement de leur condition de pauvreté. Les enjeux stratégiques se retrouvent ainsi dans le concept d'autonomisation de la femme que certains auteurs comme Jacquet(4) désignent par l'empowerment. L'autonomisation correspond à l'acquisition d'un droit à la parole et à la reconnaissance sociale. Ce concept fait ainsi référence à la nature des structures décisionnelles dans des contextes particuliers : qui prend les décisions ? Par quels processus sont-elles prises ? Comment ce processus peut-il être modifié ? Le terme autonomisation ou
64 empowerment décrit donc un processus vers l'égalité entre les hommes et les femmes. Les acteurs de la mondialisation, notamment la Banque Mondiale et les organismes liés à l'ONU, font de plus en plus référence au concept de genre. Ils insistent sur la contribution nécessaire des programmes de développement à l'autonomisation des femmes, comme le prouve le dernier rapport de l'UNIFEM(1). Plus précisément, l'intégration des rapports de genre dans des programmes ou projets de développement signifie que ces derniers visent une modification des rapports de genre en faveur des femmes ; en d'autres termes, ils ont l'objectif de contribuer à l'autonomisation de celles-ci, par l'amélioration du bien-être. Donc l'accès plus large aux ressources économiques et financières permet aux femmes d'augmenter le bien être de leur foyer et par cela d'améliorer leur statut au sein du ménage et de la communauté. Ceci leur donne une plus grande confiance en elles, une part plus grande dans les dépenses de consommation, on suppose que l'autonomisation des femmes et la réduction de la pauvreté se renforcent mutuellement et de façon inévitable. Ce n'est pas un hasard si l'évolution des approches par rapport aux femmes dans le contexte du développement s'est produite parallèlement à l'évolution du concept de la pauvreté. Sen a en effet fortement insisté sur l'importance de la fonction d'agent ("agency") des femmes, en ces termes : "Elles ne sont plus les destinataires passives d'une réforme affectant leur statut, mais les actrices du changement, les initiatrices dynamiques de transformations sociales, visant à modifier l'existence des hommes aussi bien que la leur"(2). Dubois applique son cadre d'analyse de la pauvreté à dimensions multiples pour vérifier si les politiques de lutte contre la pauvreté
65 prennent en compte les "inégalités sexuées"(1). Quant aux diverses formes d'impuissance qui caractérisent la pauvreté, il est évident qu'elles ne concernent pas uniquement les conditions de vie des femmes pauvres. Or, en plus des discriminations ou des conditions défavorables qui touchent également les hommes (dues à l'ethnie, l'âge, la classe, la caste, etc.), les femmes subissent des relations inégales avec les hommes. Comme le souligne si bien Dweme-Le-Mpina Mintara, les problèmes de la société moderne ont atteint un degré de complexité telle que la femme d'hier est obligée de sortir de sa cellule familiale, pour assumer pleinement ses responsabilités, son destin. Malheureusement sa disponibilité naturelle n'est plus suffisante, il lui faut être compétente, compétitive, dans ses nombreux rôles pour faire face aux situations devenues de plus en plus complexes à gérer. Le renforcement des capacités de la femme doit se faire dans tous les domaines. Pour faire face à tous ces défis, le renforcement des capacités de la femme devient alors une exigence à laquelle nous devons faire face, si l'on veut une société plus équilibrée et plus juste. La femme est une force, une force qui s'ignore, une force qui peut changer l'humanité(2). Le concept d'autonomisation, associé à cette étude, ne prétend pas pour autant que les femmes forment un groupe homogène face aux rapports de genre. Les différences restent énormes entre la condition de femmes de différentes classes à l'intérieur d'une seule société, aussi bien qu'entre femmes de différentes cultures. Il s'agit plutôt d'analyser dans chaque contexte culturel ce que l'autonomisation peut signifier pour un groupe donné. Ceci est crucial dans le domaine de la lutte contre la pauvreté : l'augmentation durable des revenus contrôlés par les femmes peut représenter un indicateur d'autonomisation (parmi d'autres), si elle est la manifestation visible d'une
66 série de changements plus fondamentaux et structurels. Ces derniers se trouvent aux niveaux de l'accès et du contrôle des ressources ainsi que du partage des responsabilités et ils se situent au coeur des rapports de genre. 1.2.1.4. Le concept de stratégie Selon Rosalie Aduayi Diop, le concept de stratégie a été d'abord emprunté à l'art militaire puis au monde des affaires. Le concept de stratégie a été récemment repris en sciences sociales pour rendre compte d'un ensemble de comportements mis en oeuvre par les acteurs sociaux afin d'atteindre des résultats(1). Pour Crozier et Friedberg, la stratégie est le fondement inféré et porte des régularités de comportements observées empiriquement. Autrement dit, elle est la résultante du comportement des acteurs et se laisse voir à travers leurs pratiques. Ceux-ci poursuivent des objectifs qui prennent en compte la « zone d'incertitude » et sont fonction du contexte dans lequel ils évoluent(2). Pour ces auteurs, la principale vertu de ce concept est introduite dans le cadre de la sociologie des organisations et du travail où l'individu, en tant qu'acteur, joue un rôle important. Dans ce cadre, la stratégie permet à chaque individu ou acteur de mobiliser des ressources et des moyens disponibles pour renforcer sa situation et contrôler les zones d'incertitude que lui confère le pouvoir. Ainsi, que ce soit dans la famille ou dans le champ politique, les acteurs sont dans la logique du jeu où chacun utilise des stratégies gagnantes (conscientes ou inconscientes) pour mettre plus de chance de son côté. En étudiant la relation du pouvoir dans l'organisation, Dreyfus et Rabinow(3) définissent la stratégie comme le choix des moyens employés
67 pour parvenir à une fin ; il s'agit de la rationalité mise en oeuvre pour atteindre un objectif. Cependant, selon Crozier et Friedberg, la stratégie permet aux acteurs de faire fonctionner ou de maintenir un dispositif de pouvoir. D'où le concept de stratégie de pouvoir utilisé très souvent dans les écrits de Michel Crozier. En lien avec son concept d'habitus, Bourdieu considère la stratégie comme le produit du sens pratique comme sens du jeu, un jeu social particulier, historiquement défini, qui s'acquiert dès l'enfance en participant aux activités sociales(1). Ainsi, les valeurs sociales sont incorporées dans le corps de l'individu par le biais de la socialisation. Dans ce cas, les stratégies sont conformes aux intérêts et objectifs de leurs auteurs et s'acquièrent par l'expérience. La stratégie, ou plutôt les stratégies renvoient au comportement visant à atteindre un but, un stade, collectivement ou individuellement. Elles peuvent être offensives ou défensives. Offensives quand elles entrent dans un processus de lutte contre les contraintes techniques et socioéconomiques ; défensives en ce sens que les réponses élaborées sont destinées à se protéger contre les risques propres aux modes de vie. Cependant, cette distinction entre les stratégies est schématique et complexe, car les démarcations sont difficiles à établir. Si l'on se réfère aux différentes conceptions de la stratégie, il est évident que les ménages de Lubumbashi sont engagés dans une logique de la débrouille et adoptent en fait un ensemble de stratégies conscientes et inconscientes pour survivre. Toutefois, ces stratégies peuvent aussi se situer hors des organisations sociales conventionnelles normatives en tant que manifestations de contrôle, de zones de pouvoir ou de zones d'incertitude pertinente. (1) BOURDIEU, P., Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p.79 68 1.2.1.5. Le concept de stratégies de survie La notion de stratégie de survie trouve son origine dans la littérature latino-américaine et s'applique à des populations très défavorisées. Selon Schoemaker(1), le développement de ce concept constitue une réponse à une inquiétude pour interpréter et saisir un phénomène visible et caractéristique de tous les pays non développés, celui de l'existence de vastes couches marginales, exclues des progrès économiques de leurs pays, qui doivent chercher des moyens d'assurer leur subsistance ou atténuer leur condition de pauvreté, voire d'extrême pauvreté. La stratégie familiale de survie économique consiste en un réaménagement des fonctions à l'intérieur des unités familiales, en accentuant la participation économique de tous ou de la plupart des membres : la mère, les enfants ainés, les mineurs, les co-résidents, et même les proches. En d'autres termes, elle consiste à optimiser le nombre de personnes qui contribuent aux activités rentables de l'unité domestique et se manifeste principalement par la multiplication des fonctions productrices dans la famille. Les stratégies de survie seraient les différentes actions conduisant à minimiser le risque d'un appauvrissement plus critique ou à trouver une plus grande probabilité d'assurer la subsistance du groupe familial. Développant la théorie de la production marchande simple, Bernard Chavance montre que lorsque le salariat et l'entreprise sont absents, la motivation essentielle des producteurs (hommes et femmes) consiste à se procurer, une grande partie par l'échange de leur force, des moyens de subsistance pour eux-mêmes et leurs familles(2). Cette vision économiciste de la notion de stratégie de survie va être renforcée par une argumentation démographique développée par Mathias
69 et par Torrado(1) . Ces auteurs parlent de stratégies de survie familiale ou stratégie familiale de vie qui englobe les aspects de reproduction matérielle et biologique des groupes et renvoie au processus de création. Dans le même cadre Marcoux(2) utilise le concept de stratégies en y introduisant une dimension sociodémographique privilégiant une approche sous l`angle du ménage, qui devient l'unité centrale d'analyse. Une relation étroite est établie entre la structure des ménages et les comportements démographiques adoptés par ceux-ci afin d'assurer leur subsistance. Dans la plupart d'études sur les stratégies de survie, la dimension économique ou démographique a davantage retenu l'attention de Marcoux. Mais Il semble cependant nécessaire d'élargir ce concept en y introduisant de nouvelles dimensions, sociologiques entre autres. Car la stratégie de survie des populations pauvres et marginalisées dépend non seulement de facteurs démographiques et économiques, mais surtout d'un ensemble de facteurs sociaux qui interagissent. Ainsi Ndione Emmanuel Seynia montre que, devant les difficultés à gérer le budget familial déficitaire, les familles dakaroises déploient des stratégies éco sociales de survie à partir des terroirs qui renvoient à des réseaux familiaux et sociaux incluant à la fois toute la famille, les voisins et les associations(3). A la lumière du développement de ce concept et des observations de terrain, il est dès lors évident qu'il existe plusieurs stratégies-sociologique, économique, politique, démographique, religieuse, sociale - qui interagissent et sont mises en oeuvre par les ménages dans la ville de Lubumbashi, tant par les acteurs individuels que par les groupes sociaux.
70 La stratégie de survie fait allusion enfin à la notion de vie et de mort. Devant l'impérieuse nécessité de sauver sa vie l'homme en général et le Lushois en particulier adopte des comportements visant à lui garantir la vie ou mieux à refuser de mourir par manque des moyens. C'est dans ce cadre que l'on constate que chaque fois que l'on est confronté au manque des moyens de subsistance, au manque d'argent donc, il y a dislocation de beaucoup des familles congolaises à cause de repas devenu rare et insuffisant, au morcellement de parcelles ou le partage de la maison principale entre les locataires et le bailleur, le recours à des activités autrefois jugées indignes pour certaines personnes : de crieurs et vendeurs ambulants, les acheteurs des moitiés de billets de banque ou des batteries de véhicule hors d'usage, le commerce de détail microscopique (Huile, sucre, riz, viande ou poisson dans des unités de mesure hors du commun), les ramasseurs de toutes les pièces usagées en fer ou en cuivre, la vente d'eau en sachet, les ramasseurs et vendeurs des bouteilles en plastique, la mendicité, etc. Et il convient de souligner, la mendicité à Lubumbashi a changé de physionomie : les mendiants ne sont plus seulement des personnes physiquement handicapées, mais aussi un homme ou une femme chiquement habillés, parcourant la ville en demandant aux inconnus son ticket de bus ; ou encore ces pasteurs évangélistes ambulants qui envahissent les bus au dessein de récolter quelque chose auprès des passagers. A eux s'ajoutent les femmes « Meza Moto » (celles qui avalent du feu) qui agissent souvent en groupes bien organisés, subtilisent les articles de traite dans les magasins et les revendent à vil prix. Les stratégies de survie sont nombreuses et peuvent seules constituer le sujet d'une autre thèse. 1.2.1.6. Le concept de ménage Selon Marc Pilon, Mouhamadou Seidou Mama et Christine Tichit dans leur article intitulé « Les femmes chefs de ménage : Aperçu général et études de cas » le ménage est généralement défini comme une unité collective ou un groupe formé d'individus apparentés ou non vivant sous 71 le même toit, et qui ont en commun leurs ressources et dépenses(1). En analysant cette définition, nous remarquons que l'unité d'habitation est la caractéristique la plus souvent citée dans les définitions, avant le lien de parenté, les conditions de ressources et dépenses communes ainsi que le partage de repas. Ce qui nous fait craindre un problème d'interprétation surtout en Afrique où l'unité résidentielle est toujours identifiée à l'unité familiale. De son côté Sala Diakanda définit le ménage comme un ensemble constitué par un petit groupe de personnes apparentées ou non, qui reconnaissent l'autorité d'une seule et même personne, vivent dans un même logement, prennent souvent leur repas en commun et subviennent en commun aux dépenses courantes.(2) D'après Kuepie Mathias, le ménage peut se définir comme un ensemble d'individus vivant sous le même toit et prenant, le plus souvent, leur repas ensemble. Mais, si les membres d'un même ménage ont en commun le lieu de résidence et les repas, ils sont hétérogènes du point de vue d'une multitude de critères (âge, sexe, statut, etc.) et occupent des fonctions différentes au sein de la maisonnée(3). Dans cette étude, tenant compte de l'inquiétude que nous venons d'exprimer après la définition de Marc Pilon et autres, sur la possibilité d'identifier le ménage à l'unité familiale, nous optons pour la définition de Pierre Petit. Pour Pierre Petit, le ménage est "une unité socioéconomique des personnes qui partagent les mêmes repas et qui vivent régulièrement
72 ensemble, le plus souvent sous le même toit, en partageant leurs ressources". Il ne s'agit donc pas du foyer au sens biologique, puisque le ménage s'étend bien souvent à d'autres personnes que celles de la famille nucléaire, qui en constitue généralement le noyau central(1). Cependant, la littérature économique relative aux questions de pauvreté révèle un recours systématique au concept de chef de ménage. Surtout lorsqu'on met en rapport les caractéristiques du chef de ménage avec le niveau de vie de ménage, il nous semble important de préciser notre position dans cette étude. En fait, le concept de chef de ménage comporte deux hypothèses implicites qu'il conviendrait de caractériser avant de donner notre position. La première, stipule une relation hiérarchique entre les membres du ménage désignant le chef comme membre le plus important. Cette première pour nous manque de fondement quant à l'établissement de cette hiérarchie. La seconde hypothèse indique que le chef est celui qui est régulièrement présent à la maison, qui a l'autorité prépondérante dans la décision à prendre concernant le ménage, et qui fournit un soutien économique consistant et central. Cette dernière hypothèse souffre aussi comme la première de l'absence de justification formelle, et est surtout fonction de la perception des arrangements intra ménages. Elle risque dans notre contexte de créer de conflits internes surtout avec le système patriarcal de gouvernance et d'allocation des ressources. Car cette dernière hypothèse désignerait comme chef le membre du ménage bénéficiant du revenu d'activité le plus élevé au sein de ce dernier. Pour notre thèse, nous référant à l'article 444 du code de la famille(2) en vigueur en République Démocratique du Congo et à la culture
(1) KOKO Siaka Koné., « pauvreté, genre et stratégies de survie des ménages en Côte d'ivoire », Document de travail n°73, p.6 73 africaine en précisant comme l'écrit Koko Siaka Koné : « dans les sociétés africaines, lorsque le ménage compte un homme adulte, ce dernier, quel que soit son statut socioprofessionnel, sera désigné comme chef. »(1) Donc les chefs de ménage, dans notre étude, seront généralement les hommes, mais aussi des femmes dans le cas des veuves, des divorcées et de femmes seules ou célibataires). 1.2.1.7. Le concept d'économie de la débrouille Très souvent associé à une économie populaire ou informelle, le concept de la débrouille ou de l'économie de la débrouille prend racine dans un contexte de crise économique comme un mécanisme de survie des acteurs. Elle est présentée à la fois comme une forme d'organisation et comme un ensemble des pratiques spécifiques qui caractérisent le tissu social productif dans la lutte contre la pauvreté par la création des richesses/moyens qui permettent de satisfaire des besoins fondamentaux non couverts par les systèmes officiels. L'économie de la débrouille est aussi une culture de l'action sociale concrète où les personnes sont actrices de leur vie. Etant elles-mêmes appelées à agir dans un environnement qui leur est imposé et qui les contraint à l'extinction ou l'exclusion. Générallement se débrouiller veut dire se démener, se battre, lutter. Joseph Houyoux définit l'économie de la débrouille comme un univers informel qui vient à la rescousse de l'économie formelle pour combler le manque à gagner. Ceci allait de la prolifération des petits marchés, boutiques et kiosques jusqu'à la prostitution, en passant par les vols opérés 74 dans les milieux de travail, la multiplication de débits de boissons, la divagation des femmes commerçantes ambulantes, etc.(1) Certains auteurs vont même à vouloir lui refuser ce qualificatif d'informel. Pour Leclercq, par exemple, parler de l'économie informelle ne signifie pas que l'informel n'a pas de forme, est atypique ou composite. Mais le caractère informel de cette économie dite de la dernière chance ou de la débrouille vient du fait qu'elle tient du bricolage, de l'expédient, témoigne d'une grande ingénieuse débrouille et n'assumant souvent qu'une survie précaire.(2) Mais il soutient cependant, comme beaucoup d'autres personnes, que cette économie dite de la débrouille ou populaire informelle forme finalement un système plus solide qu'il n'apparaît à première vue comme une machinerie économique et sociale, étonnamment forte, souple et très résistante à la contraction sévère de l'économie moderne comme aux agressions de l'inflation et même de l'hyperinflation.(3) Shanyungu bien que la qualifiant d'une économie des pauvres à cause du fait que ses activités marchandes ne procurent à leurs opérateurs qu'un très faible revenu individuel, tente de dégager son origine : de l'inefficacité de l'intervention de l'Etat, du chômage urbain, de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs, de la défaillance de l'économie capitaliste périphérique. Dans son article intitulé « La lutte pour la survie : le cas des Zaïrois » Shanyungu note que l'économie ne roule pas comme il faut ; que le plan de relance agricole 1981-1984 est compromis ; que l'insuffisance de la rémunération réduit le fonctionnaire à une vie infrahumaine, etc.(4) Ce qui naturellement implique la recherche d'autres ressources pour survivre, lesquelles s'inscrivent dans l'économie de la débrouille.
75 Fixant notre étude dans le cadre de cette économie de la débrouille, nous voulons à travers cette Thèse étudier les stratégies que le Congolais de Lubumbashi ou plus précisément les ménages utilisent maintenant pour arriver à nouer les deux bouts du mois et ou à survivre. 1.2.2. Les concepts connexes Avant de quitter cette section consacrée au cadre conceptuel, nous nous permettons de noter quelque chose en rapport avec les forces, les rapports et les modes de production. Le fondement de l'histoire humaine réside dans la production des conditions d'existence matérielle des hommes en société. La production matérielle se présente sous un double aspect : un processus entre les hommes et la nature, et les relations sociales à l'intérieur desquelles ce processus se déroule. Pour produire, les hommes établissent entre eux des liens et des rapports bien déterminés : leur contact avec la nature s'effectue uniquement dans le cadre de ces liens et de ces rapports sociaux. C'est ainsi que l'analyse de la pauvreté tout comme du genre dans cette thèse, nous oblige à préciser les concepts ci haut-cités. 1.2.2.1. Les forces productives Les forces productives représentent les conditions matérielles de l'appropriation de la nature par les hommes dans le but de satisfaire des besoins socialement déterminés, tandis que les rapports de production en sont les conditions sociales. Pour Marx, les forces de production sont des facteurs qui conditionnent directement la productivité du travail. Ils relèvent en particulier le degré moyen d'habilité des travailleurs, le niveau de développement de la science et de ses possibilités d'application technologique, la « combinaison sociale du processus de production » ou organisation de la production, l'« ampleur et la capacité opérative des moyens de production », enfin des données naturelles. Parmi ces facteurs, l'étendue et l'efficacité des moyens de production résument en quelque sorte tous les 76 autres : « les moyens de travail ne permettent pas seulement de mesurer le degré de développement de la force de travail humain, ils sont l'indicateur des rapports sociaux dans lesquels le travail a lieu ».(1) 1.2.2.2. Les rapports de production Les rapports de production sont les relations qui s'établissent entre les hommes dans le processus de production. Elles reposent sur l'appropriation des moyens de production, qui conditionne l'appropriation des produits, c'est-à-dire les rapports de répartition. Les rapports de production entretiennent avec les forces productives et leur degré de développement des relations dialectiques, autrement dit d'unité conflictuelle(2). 1.2.2.3. Le mode de production Le mode de production représente l'ensemble des conditions matérielles et sociales de la production, considéré à un certain stade de développement historique. Il inclut donc les forces productives et les rapports de production, et constitue la base ou la structure économique de la société.(3) Pour Benoit Verhaegen, « le concept de mode de production appliqué à l'économie urbaine de Kisangani est d'un usage délicat car il doit rendre compte d'une très grande variété de forme de production, depuis la grande entreprise capitaliste dépendante de multinationales jusqu'à la petite production artisanale africaine utilisant une main-d'oeuvre non salariée et sans capital immobilisé, en passant par une game d'agencements productifs hybrides empruntant certains traits au mode de production capitaliste, d'autres aux modes de production lignagers ou à d'autres modes de production pré-capitalistes ».(4)
77 Un mode de production, poursuit l'auteur susmentionné, « est un modèle général et abstrait qui permet de saisir et de comprendre la réalité de l'organisation économique et sa reproduction comme un tout organisé c'est-à-dire comme une structure composée de divers éléments interdépendants. Son pouvoir explicatif est lié à son caractère formel. Il ne décrit pas la réalité, mais permet de la comprendre en dévoilant la logique interne de sa cohésion et de sa dynamique. A chaque mode de production correspondent, dans une relation à la fois de compatibilité et de causalités structurales diverses formes déterminées de rapports, politiques, idéologiques. L'utilisation du concept mode de production suppose que trois éléments soient réunis dans la réalité : 1) l'existence d'un surplus de production, résultat d'une activité économique organisée socialement, c'est-à-dire d'une division du travail ; 2) la répartition inégale de ce surplus, c'est-à-dire l'exploitation d'une partie du travail est non payée ; 3) la formation de classes sociales qui tendent les-unes à reproduire les relations d'exploitation parce qu'elles en profitent, les autres à les détruire parce qu'elles en sont les victimes. La lutte entre elles est souvent tellement inégale que l'ordre établi par la classe exploiteuse parait immuable ; celle-ci dispose en effet d'avantages considérables : elle a pu organiser les rapports économiques et sociaux, construire l'appareil de l'Etat et forger une idéologie à son service dès les premières phases de la mise en place du nouveau système de production et avant même que n'apparaissent clairement les rapports d'exploitation. Les nouveaux maîtres sont d'autant plus difficiles à chasser qu'ils ont été parés des vertus révolutionnaires des libérateurs. »(1) A Lubumbashi comme dans beaucoup des villes africaines et congolaises le mode de production capitaliste s'actualise dans une variante qualifiée de dépendance ou de périphérique. Pour Coquery Vidrovitch, « il s'agit d'un modèle qui ne peut être réduit à un exercice statique consistant à analyser l'articulation structurelle entre éléments extraits soit du mode de production pré-capitaliste (lignager, domestique), soit du mode de production (1) VERHAEGEN, B., Op. Cit, p.12-13 (1) COQUERY-VIDROVITCH, C., « Réflexion d'historien », in Revue canadienne des Etudes Africaines, Vol 19, N°1, 1985, P.15 78 capitaliste. Se sont en effet mis en place des relations de production ( ou de non production) qui, bien que se référant à des éléments hérités des deux modes ci-dessus cités, correspondent à des mécanismes différents, utilisés à d'autres fins, dans une autre logique »(1) Benoit Verhaegen donne l'exemple du `'clientélisme», pratique de redistribution des profits réalisés par la bourgeoisie périphérique, qui est héritée du mode de production lignager pré-colonial, sans qu'on puisse en déduire la survivance du mode lui-même. Il conclut `'mode de production périphérique dans la mesure où sa dépendance du mode capitaliste est évidente (l'existence de celui-ci conditionnant la possibilité de celui-là). Mode de production parce qu'il s'agit d'un ensemble cohérent, impliquant notamment une articulation structurelle (et non dualiste) entre secteurs dits `'moderne» et `'informel», et relevant l'extraordinaire capacité d' `'accomodation» des sociétés considéréés... ». Le mode de production périphérique est donc au centre d'une double articulation ; l'une de soumission à l'égard du capitalisme occidental auquel il offre, entre autres avantages, une main-d'oeuvre dont le coût tend vers zéro ; l'autre de domination et d'expolitation à l'égard des forces productives encore largement conditionnées par l'héritage des modes de prodction pré-capitalistes. Grâce à cette double articulation de dépendance et de domination, le capitalisme périphérique retransmet aux maillons les plus faibles, c'est-à-dire aux paysans, aux travailleurs urbains dépendants, aux petites entreprises artisanales et industrielles, en accentuant la pression subie de la part du capitalisme central. Les avantages retirés de cette articulation du point de vue du capitalisme sont de trois ordres : 1) les salaires peuvent s'établir largement en-dessous du minimum vital, puisqu'ils ne représentent qu'un appoint dans l'ensemble des ressources familiales ; 2) le prix des services et des biens fournis par les travailleurs indépendants, par les paysans et par les petites entreprises sont, malgré leur très faible productivité, beaucoup plus bas que ceux du secteur capitaliste, ce qui favorise la compression des salaires ; 3) 79 l'emploi dans le secteur de la production non capitaliste est caractérisé par la pléthore et par la flexibilité ; l'entreprise capitaliste peut y puiser à l'infini pour satisfaire ses besoins en travail mais elle peut aussi y refouler sans rencontrer de résistance, les travailleurs excédentaires ou épuisés ; l'offre de travail est parfaitement élastique. Un accroissement de la demande ne risque pas de déclencher une hausse des salaires. Une réduction, même drastique, n'engendre pas de contestations sociales.(1) A ce sujet, nous devons reconnaitre, comme le signale Jean Fonkoué que : « les travailleurs salariés africains qui relèvent, dans leur existence de salariés, du processus de déploiement du mode de production capitaliste dans ce que Lénine appelle sa « périphérie coloniale », ne sont pas des simples pauvres au sens de ` have not', sans propriété, comme l'étaient les esclaves et les serfs des régimes précédents. Au contraire ce nouveau type de production manque désormais de profession et de salaires. Bien entendu, l'établissement du nouveau système de production n'élimine pas, comme par la magie, les couches ruinées auparvant par diverses formes de servitude et de misère plus ou moins naturelles - leur signification fonctionnelle est qu'elles viennent périodiquement grossir le nouveau prolétariat salarié. Encore une fois, l'important n'est pas la simple possibilité pour les employeurs d'acheter par-ci par là une main-d'oeuvre bon marché, mais le fait que cette force de travail apparait généralement comme marchandise, et que s'instaure un rapport social de production dominant. C'est également à partir du même processus que se constitue le phénomène du chômage. »(2) Dans ce mode de production capitaliste, les travailleurs congolais en général et lushois en particulier ont depuis longtemps travaillé sous le fouet des propriétaires capitalistes. Ils ont construit des routes, casser des pièrres pour tracer le chemin de fer, « manger des cuivres », construit des immeubles
80 publics mais leur recompense a été et demeure encore la misère, l'ignorance, la dégradation de leurs conditions sociales et économiques. Les muscles, le sang et les larmes des lushois et du congolais en général ont servi à l'affranchissement et l'établissement du capitalisme, donc de la Macromafia dont a parlée Aimé Mukena : « En tout cas, le développement de notre pays n'est pas encore très bien perceptible. On peut tout dire, depuis plusieurs décennies, le pays fonctionne essentiellement grâce à des pratiques d'arrangement entre les institutions nationales et les bailleurs de Fonds. Là aussi, les choses sont assez claires : tout va pour le mieux dans les meilleurs des mondes des grands ; les riches s'enrichissent, les pauvres plongent dans une contre-société en consommant des leçons de bonne gouvernance données naturellement par les bailleurs. Et la machine à fabriquer les inégalités continue à inventer de nouveaux mécanismes de relations riches/pauvres »(1). Et à moi d'ajouter, mais aussi Hommes/Femmes. » Mais là où le bat blesse, c'est le fait que le monde occidental se rend à peine compte que ce triomphe international des inégalités finit par créer des amalgames entre l'ordre et le désordre, l'envers et l'endroit, entre l'argent sale et l'argent facile, entre l'argent facile et la bourse et entre la bourse et la concurrence et au-delà de la concurrence, il n'y a qu'une imagerie : la corruption. Et entre la corruption et la Mafia, la distance est minime. Telle est probablement la raison pour laquelle les apprentis sorciers de notre pays ont appris sur le tas le fonctionnement de la Mafia et se ruent sur l'argent facile et l'argent parasite ! Hier, affaire de Maîtres situés dans l'hémisphère nord, le blanchiment d'argent sale devient aujourd'hui la panacée de quelques Kléptomanes arrogants de notre pays. Hier occultées et gênantes, les fortunes volées s'étalent aujourd'hui, les modes de vie ostentatoires des voleurs d'Etat remplissent les magazines, les médias aliénés pour la bonne cause publient les patrimoines et les signes extérieurs de richesses des voleurs publics non inquiétés. »(2) N'est ce pas là ce que dans la
81 sagesse congolaise Tetela on dit : « mbudi kalova hawohaneka ekoho » c'est-à-dire « on n'étale pas la peau de la chèvre volée», pour condamner les mêmes anti-valeurs ? Comme le travailleur africain sous l'emprise du capitalisme, dans le processus de production, la femme n'est pas épargnée. A peine sortie de la domination des parents et autres apparentés, elle se retrouve sous la domination du mari, donc de son époux avec la bénédiction de la coutume et de la religion, voire de la loi fabriquée de toute pièce par les hommes. A l'école ou encore dans les milieux professionnels, elle subit un autre calvaire, une autre domination. Elle est toujours vue en fonction de son sexe, harcelée sexuellement pour les côtes ou pour l'emploi. Elle est souvent même dans des séances de travail appellée à servir à boire ou à manger pour ses collègues, même les moins gradés qu'elle. Donc la situation de l'inégalité et de la discrimination homme/femme ne doit pas etre dissociée du processus de constitution et du développement du système capitaliste, qui part de l'esclavage à l'impérialisme actuel en passant par la colonisation. Un processus du reste inachevé et occulté avec un mauvais côté, la singularité concrète des conditions historiques de ruine économique et sociale, dans lesquelles sont plongées non seulement les femmes lushoises mais toute la société congolaise et, pourquoi pas, africaine actuellement. Confirmant cette hypothèse, Jean Marc Ela note : « il faut dire que le passé colonial a aggravé cette situation. L'introduction de nouvelles formes de production agricole, la pénétration des mécanismes de l'économie de marché, les modèles d'éducation, constituent autant des facteurs qui ont favorisé des structures marquées par l'individualisme occidental. L'oppression exercée par le monde extérieur sur les villages force les paysans à détourner leur hostilité et à la décharger sur les voisins immédiats.(1) (1) ELA, J. M., Op Cit, p.203 82 1.3. Cadre théorique D'après Le dictionnaire Robert : de Français, la théorie est un ensemble d'idées, de concepts abstraits dans un domaine. Citant Neuman (1997) Deogratias Bugandwa définit « la théorie sociale comme un système d'abstractions ou d'idées interconnectées qui condensent et organisent le savoir du monde social »(1). Relevant la différence entre la théorie et la méthode, Madeleine Grawitz précise que toute théorie implique des problèmes liés au contenu spécifique qu'elle ordonne et possède un caractère substantif. La théorie définit plutôt le « quoi ? », alors que, sans doute liés au contenu, mais d'une autre façon, les problèmes de méthode donnent une réponse à la question « comment ? »(2). Souvent rattachée à la théorie ou à la méthode, l'approche fait référence, d'après Le Robert, à la manière d'aborder un sujet ; un point de vue. L'approche au sens figuré, concerne une démarche intellectuelle. Elle n'implique pas les étapes systématisées, visibles, de la technique, ni la rigueur intellectuelle de la notion de méthode. Elle est surtout une attitude, comportant souplesse, prudence, et caractérisée par un état à la fois de grande vigilance et de grand respect pour l'événement ou l'objet(3). La perspective étant alors la manière de considérer quelque chose. La construction d'un cadre théorique, dans cette section, évoque le changement social comme modèle explicatif de la question du genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi. Mais il convient d'emblée de préciser qu'en situant cette question dans la perspective du changement social, notre démarche s'inscrit à contre-courant des observateurs qui ont une vision statique voire négative et afro pessimiste du développement en Afrique. L'objet de notre recherche doctorale est de comprendre les dynamiques en cours à Lubumbashi dans le
(1) LECLERC, B., Les conceptions de l'être humain, théories et problématiques, Québec, Du Nouveau Pédagogique, 1993, p.350 83 cadre de mécanismes de lutte pour la survie et contre la pauvreté, qui témoigne bien de l'évolution des sociétés congolaises en particulier et africaines en général. Le changement social y sera envisagé dans sa double signification. Il s'agit d'abord de manifester la relation entre les inégalités sociales, notamment le genre, la pauvreté et ensuite la mise en profit du travail de la femme, des enfants et des corésidents comme stratégies de survie des ménages. Le travail de la femme, des enfants et des corésidents dans la ville de Lubumbashi et dans l'économie de la débrouille dénote une affirmation de la volonté de survie dans un contexte de crise économique et de précarité monétaire. Il demande donc à être analysé comme composante du changement social traduisant la dynamique et les innovations dans les pratiques et les logiques de survie sociale des acteurs. Point n'est besoin de nier que la réalité sociale des initiatives ou des stratégies individuelles ou collectives, des ménages de la ville de Lubumbashi, en vue d'une réduction de la pauvreté et partant de l'amélioration de leurs conditions de vie, participe au processus de changement social de la société congolaise en général et lushoise en particulier. C'est dans ce cadre que nous voulons tenter d'aller dans le sens de Bruno Leclerc qui recommande qu'une représentation théorique valide doit dépasser le niveau des perceptions subjectives pour accéder à celui de l'organisation des connaissances factuelles et des concepts abstraits dans un ensemble cohérent. Il s'agit d'un travail de longue haleine, auquel on doit demeurer attentif aux limites des différentes perspectives, chacune d'elles représentant la manière de découper la réalité humaine à partir de certains postulats théoriques et de certaines options méthodologiques.(1) Ainsi notre analyse au niveau théorique sera essentiellement basée sur la théorie du Genre de Joan Scott, de Sally Alexander, Jeanne Bisililliat et Christine (1) SCOTT, J., Genre: une catégorie utile d'analyse historique in Genre, un outil nécessaire, introduction à une problématique, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 41 84 Verschuur, Esther Boserup et M. Bozon et comme modèle a priori l'approche sur les stratégies de survie de Juan Schoemaker. 1.3.1. La théorie sur le genre Joan Scott dans « Genre: une catégorie utile d'analyse historique » publié dans le premier cahier Genre et développement, intitulé « Genre, un outil nécessaire, introduction à une problématique » écrivait que ceux qui se proposent de codifier les sens des mots luttent pour une cause perdue, car les mots comme les idées et les choses, sont faits pour signifier, ont une histoire. Ni les professeurs d'Oxford ni l'Académie française n'ont été entièrement capables d'endiguer le flot, de capter et fixer des sens dégagés du jeu de l'invention et de l'imagination humaine.(1) Notre objectif, dans cette section est loin de s'attarder sur la signification du concept genre mais de chercher à découvrir l'étendue des rôles sexuels et du symbolisme sexuel dans différentes sociétés et périodes, de trouver quel a été leur sens et comment ils ont fonctionné pour maintenir l'ordre social et pour le changer. L'usage du genre dans beaucoup de littératures scientifiques d'aujourd'hui implique un éventail aussi bien de positions théoriques que de références descriptives des rapports entre les sexes. Mais dans leur majorité, les tentatives de théorisation du genre ne sont pas sorties des cadres traditionnels des sciences sociales : elles utilisent des formulations éprouvées qui proposent des explications causales universelles. Ces théories eurent, dans le meilleur des cas, un caractère limité parce qu'elles ont tendance à inclure des généralisations réductrices ou trop simplistes ; celles-ci minèrent non seulement la complexité du sens que propose l'histoire, comme discipline, de la causalité sociale, mais aussi l'engagement féministe dans l'élaboration des analyses qui mènent au changement. La problématique genre dans la lutte contre la pauvreté est très souvent abordée dans le cadre théorique de : femmes et développement ou (1) BOSERUP, E., citée par LOCOH, (T.) et N'GUESSAN, K., Genre, population et développement en Afrique de l'ouest, Abidjan, ENSEA, FNUAP, 1999, p. 3 85 celui du genre et développement. Nous optons, dans cette étude, pour le genre et développement. Le concept de genre est le dernier aboutissement des recherches consacrées à l'intégration des femmes dans le développement. Ces recherches ont permis donc la transformation et l'enrichissement de la théorie et nous oblige de résumer l'évolution de l'approche genre. La plupart d'analyses concernant les femmes et le développement qui ont été proposées dans les années 1950 et 1960 se sont surtout intéressées au rôle domestique et reproductif des femmes et ont présenté les femmes comme une catégorie vulnérable, pauvre et passive. En ce sens elles devaient être assistées et protégées par la communauté et les organisations sociales. A l'inverse, Esther Boserup a montré, au cours des années 1970, que les préoccupations du développement économique faisaient peu place aux problèmes spécifiques des femmes et à leur participation à l'activité économique. S'appuyant sur une étude sur l'Afrique subsaharienne, qu'elle qualifie de région d'agriculture féminine, elle a souligné que les programmes de développement tendaient à aggraver la situation des femmes du Tiers-monde en alourdissant leur charge de travail sans augmenter leurs bénéfices. En effet, en faisant ressortir les mécanismes d'occultation, d'assignation et d'exploitation de la force de travail féminine, Ester Boserup a souligné qu'à travers la spécialisation « sexuée » des activités agricoles, les hommes privilégient les cultures de rente, tandis que le secteur vivrier d'autosubsistance est dans une large mesure dévolu aux femmes(1). L'approche Women's Integration in Development ou Intégration des femmes au développement (WID ou IFD) qui a prévalu durant la décennie 1975-1985 est fondée sur ce constat. Elle a donné lieu à plusieurs conférences, séminaires, colloques sur les femmes, qui ont été organisés par - L'approche « efficacité » (efficiency approach), populaire vers la fin des années 70, qui considérait l'appui aux activités productives des 86 l'ONU à Mexico (1975), Copenhague (1980), Nairobi (1985), Le Caire (1994) et à des évaluations menées dix ans plus tard à l'occasion de la conférence de Beijing (1995). Selon cette approche, le développement ou la modernité devrait permettre un partage équitable entre les hommes et les femmes. Aussi, pour améliorer le statut des femmes, on pensait qu'il suffisait de les faire participer davantage aux processus de « modernisation » en les « intégrant » aux activités rémunératrices et notamment le salariat. L'approche dite d'intégration des femmes au développement part de l'idée que le développement vise en premier lieu l'activité économique. Elle se concentre spécialement sur la sphère de la production. Elle favorise aussi l'accroissement de la productivité des femmes et l'augmentation de leurs revenus ainsi que leur accès à des ressources économiques productives en vue de permettre leur participation efficace au développement. Elle préconise des reformes administratives et législatives. Elle ne conteste donc pas le développement capitaliste, mais réclame une reconnaissance juste de la contribution des femmes. La politique de l'Intégration des Femmes au Développement s'est distinguée par trois approches successives : - L'approche « de la quête d'égalité » (equity approach) qui vise à impliquer les femmes dans les activités de développement de manière à ce qu'elles puissent en profiter autant que les hommes. Cette approche, largement inspirée par Esther Boserup, néglige toutefois les rapports de force entre les hommes et les femmes ; - L'approche « anti-pauvreté » (anti-poverty approach) axée sur les besoins des femmes dans leur activité productive partait de l'hypothèse suivante : pour conjurer la pauvreté, la productivité des femmes devait augmenter. Mais les contraintes dues aux différents rôles et statuts des femmes n'étaient pas prises en compte ; (1) BOZON, M., «Pékin: utilités et limites d'une conférence mondiale», in Chronique du CEPED, n° 19, 1995, pp.4-6 87 femmes comme un des instruments du processus global de développement. Inspirée par des féministes Latino-Américaines, l'approche « acquisition de pouvoir » ou l'empowerment approach est venue renouveler la problématique des années 70-80. Cette approche soutient qu'on ne peut espérer améliorer la situation des femmes et promouvoir l'égalité entre les sexes que si l'on remet en cause les rapports de pouvoir historiquement et socialement valorisés entre hommes et femmes. A ce sujet, M. Bozon précise bien les objectifs : « l'objectif d'un empowerment des femmes, terme difficile à traduire, qui peut exprimer à la fois le renforcement du pouvoir politique, l'autonomisation économique, la capacité à exercer pleinement des droits juridiquement reconnus et la maîtrise de la destinée, n'est pas une simple exigence de justice mais un moyen et une garantie de l'efficacité dans la lutte contre la pauvreté et pour le développement »(1). Ces différents espaces de débats sur la question des femmes ont beaucoup contribué à la sensibilisation de l'opinion publique internationale et à la construction d'une problématique spécifique sur les rapports sociaux de sexes ou du genre et développement. L'approche Gender and Development (GAD) est apparue au début des années 1980 comme une alternative à la précédente, en réaction aux limites des théories du sexisme et des programmes de développement en Afrique. Genre et Développement (GED) se veut une approche globale qui intègre non seulement les dimensions biologiques, mais met surtout l'accent sur les inégalités existantes. Elle a un double objectif dont le premier, scientifique, vise à apporter un nouvel instrument de connaissance pour mettre en relief les déterminants qui, dans chaque société, conditionnent le statut, les représentations et les comportements des individus en tant qu'ils (1) MAMA Amina, Etudes par les femmes et études sur les femmes en Afrique durant les années 1990, Dakar, Codesria, 1997, p.9 88 sont des hommes et des femmes (Locoh 1999). En ce sens, elle se veut transversale à l'ensemble des politiques, programmes et projets de développement tout en maintenant les interventions ciblées sur les femmes pour pallier les inégalités récurrentes entre les sexes. Ensuite, elle poursuit un objectif éthique et identifie les nombreuses inégalités entre hommes et femmes, en étant plus attentive à toute forme d'iniquité, d'exploitation ou de domination d'une catégorie sociale par une autre. Depuis lors, l'approche genre constitue « un corpus de connaissances et d'innovations méthodologiques précieuses aux sciences sociales africaines en général » (1). Cette approche est née du besoin de combler une lacune des sciences sociales dans les analyses des rapports de production des femmes. Elle est devenue ainsi un outil d'analyse prospective dans le cadre de la planification des projets de développement en donnant aux activités économiques des femmes des possibilités de se réaliser pleinement et d'accroitre la production en Afrique. Sur le plan pratique, les recommandations émises au niveau international visaient une meilleure prise en charge des intérêts des femmes. Ainsi traduites en République Démocratique du Congo, elles ont contribué par exemple à une innovation majeure dans les politiques, avec la création et l'organisation du ministère du genre et famille, l'émergence de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) et associations de promotion féminine. Ces organisations et associations deviennent les structures de base du mécanisme national chargé de la promotion des femmes. Ainsi en milieu rural comme en milieu urbain, on observe une certaine prise de conscience de l'importance de l'apport économique féminin au sein de la famille et plus globalement de la société. Grâce à l'approche genre, et surtout à la prise de conscience qu'elle suppose, nous voulons voir comment les congolais en général et les lushois en particulier ont acquis la capacité de se déterminer et augmenter leur efficacité à minimiser les obstacles à leur participation aux différents sphères de la vie économique, (1) SCOTT, J., « Genre une catégorie utile d'analyse historique », in Cahiers genre et développement n°1 - 2000, Paris, L'Harmattan, 2000, p.44 89 notamment pour la survie de leur ménage. Surtout lorsqu'on sait que le travail de production et le travail domestique des femmes n'ont pas été vraiment pris en compte et valorisés lorsqu'il s'agit de la survie de ménage. Leur participation au développement et à la lutte contre la pauvreté n'est donc pas reconnue ; leurs activités sont reléguées dans le secteur de l'économie informelle. Nonobstant cette présentation, les approches utilisées par la plupart d'historiens se divisent en deux catégories distinctes. La première est essentiellement descriptive ; c'est-à-dire qu'elle se réfère à l'existence des phénomènes ou des réalités sans interpréter, expliquer ou attribuer une causalité. Le deuxième usage est d'ordre causal ; il élabore des théories sur la nature des phénomènes et des réalités, en cherchant à comprendre comment et pourquoi ceux-ci prennent les formes qu'ils ont. Il s'avère donc facile de simplifier la compréhension de toutes les théories sur le genre. Dans son usage récent le plus simple, « Genre » est synonyme de « femmes ». De livres et articles de toutes sortes qui avaient comme sujet l'histoire des femmes ont, pendant les dernières années, substituées dans leurs titres le terme de « genre » à celui de « femmes ». Dans certains cas, même si cet usage se réfère vaguement à certains concepts, il vise en fait à faire reconnaître ce champ de recherches. Dans ces circonstances, l'usage du terme de « genre » vise à indiquer l'érudition et le sérieux d'un travail, car le « genre » a une connotation plus objective et neutre que « femmes »(1). Le « genre » semble s'intégrer dans la terminologie scientifique des Sciences Sociales et donc, se dissocier de la politique prétendue tapageuse du féminisme. Dans cet usage, le terme de « genre » n'implique pas nécessairement une prise de position sur l'inégalité ou le pouvoir, pas plus qu'il ne désigne la partie lésée et jusqu'à présent invisible. Alors que le terme 90 « histoire des femmes » révèle sa position politique en affirmant que les femmes sont des sujets historiques valables, le « genre » inclut les femmes, sans les nommer, et paraît ainsi ne pas constituer de menace critique. Cet usage de « genre » est un aspect de ce qu'on pourrait appeler la recherche d'une légitimité institutionnelle par les études féministes. Sans vouloir nous écarter du sujet, nous rappelons cependant les préoccupations du féminisme. D'après Françoise d'Eaubonne, le féminisme est à la fois la protestation de la catégorie humaine la plus anciennement écrasée et exploitée, puisque la femme était esclave avant que l'esclave fût, et l'humanité tout entière en crise, ou la mue de l'espèce. ..Le féminisme est donc, véritablement le monde qui va changer de base, car, il ne reste plus le choix : si le monde refuse cette mutation qui dépassera toute révolution comme la révolution a dépassé l'esprit de la réforme, il est condamné à mort. Et une mort à la plus brève échéance. Non seulement par la destruction de l'environnement, mais par la surpopulation dont le processus passe directement par la gestion de nos corps confiée au système mâle(1). On remarque dans cette définition deux éléments importants : d'une part, un certain refus de la maternité qui soutend l'esclavagisme et l'exploitation de la femme par l'homme et, d'autre part, la crainte de la destruction des ressources pour nourrir l'humanité. Ce qui n'étonne pas tellement car il s'agit de la définition qui vient d'une militante. Mais pour Jacques Leclerq, le féminisme est un mouvement confus, où l'on constate des tendances extrémistes ou modérées très dissemblables et dont le point de ralliement s'établit seulement autour d'une idée unique, à savoir la déchéance féminine et le droit de la femme à l'égalité avec l'homme.(2) Dans l'analyse de la littérature consacrée au féminisme tout comme sur le genre, la tendance à dénoncer l'inégalité entre les sexes et
91 penser à l'égalité constitue le point commun, mais si dans le féminisme on note le souci de révolte, le genre prône pour une construction du développement de l'humanité base sur la collaboration de deux sexes, de l'égalité de chance, d'abandon de discrimination et des préjugés. Le « Genre » en tant que substitut pour « femmes » est également utilisé pour suggérer que l'information au sujet des femmes est nécessairement information sur les hommes, que l'un implique l'étude de l'autre. Cet usage insiste sur le fait que le monde des femmes fait partie du monde des hommes, qu'il est créé dans et par ce monde. Cet usage rejette la validité interprétative de l'idée des sphères séparées et soutient qu'étudier les femmes de manière isolée perpétue le mythe qu'une sphère, l'expérience d'un sexe, n'a que très peu ou rien à faire avec l'autre sexe. De plus, le genre est également utilisé pour désigner des rapports sociaux entre les sexes. Son usage rejette explicitement des explications biologiques, comme celles qui trouvent un dénominateur commun, pour diverses formes de subordination, dans le fait que les femmes ont des enfants et que les hommes ont une force musculaire supérieure. Le genre devient plutôt une manière d'indiquer des « constructions sociales » - la création entièrement sociale des idées sur les rôles propres aux hommes et aux femmes. C'est une manière de se référer aux origines exclusivement sociales des identités subjectives des hommes et des femmes. Le genre est selon cette définition une catégorie sociale imposée sur un corps sexué. Avec la prolifération des études des sexes et de la sexualité, le genre est devenu un mot particulièrement utile, car il offre un moyen de distinguer la pratique sexuelle des rôles sexuels assignés aux femmes et aux hommes. Bien que les chercheurs reconnaissent le rapport entre le sexe et ce que les sociologues de la famille ont appelé les « rôles sexuels », ces chercheurs ne posent pas entre les deux un lien simple ou direct. L'usage de « genre » met l'accent sur tout un système de relations qui peut inclure le sexe, mais il n'est pas directement déterminé par le sexe ni ne détermine 92 directement la sexualité. C'est dans ce sens que nous reconnaissons avec Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur que le « Genre » s'inscrit dans une analyse des rapports sociaux et reconnait que les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes au sein des différentes instances de la société sont responsable d'une distribution inégale des ressources, des responsabilités et du pouvoir entre femme et homme.(1) Dans l'analyse des théories sur le genre, on se retrouve moins embarrassé par la fixation exclusive sur des questions relatives au sujet et par la tendance à réifier, comme la dimension principale du genre, l'antagonisme subjectivement produit entre hommes et femmes. Qui plus est si la manière dont le sujet est construit reste ouverte, la théorie tend à universaliser les catégories et le rapport entre féminin et masculin. En fait le problème de l'antagonisme sexuel, qui tend à confondre le genre à une lutte de classe plutôt que celui de la redéfinition des rapports sociaux est souvent envisagé sur deux aspects essentiels : - premièrement, le genre projette une certaine dimension éternelle, même quand elle est bien historicisée, comme chez Sally Alexander, qui soutient que l'antagonisme entre les sexes est un aspect inévitable de l'acquisition de l'identité sexuelle...Si l'antagonisme est toujours latent, il est possible que l'histoire ne puisse pas offrir une solution, mais seulement la reformulation et réorganisation permanente de la symbolisation de la différence, de la division sexuelle du travail.(2) Quoi qu'il en soit, la formulation de Sally Alexander contribue à fixer l'opposition binaire masculin-féminin comme le seul rapport possible et comme un aspect permanent de la condition humaine. Elle perpétue, plutôt qu'elle ne met en cause ce à quoi Denise Riley se réfère comme à l'insupportable allure d'éternité de la polarité sexuelle. Celle-ci indique que le caractère historiquement construit de l'opposition (entre le masculin et le
93 féminin) produit comme un de ses effets cet air justement invariable et monotone d'opposition hommes/femmes(1). C'est précisément cette opposition, dans tout son ennui et toute sa monotonie, qui est mise en avant par le travail de Carol Gilligan. Il a expliqué les différents modes de développement moral des garçons et des filles, en termes de différences d'expériences, de réalité vécue. Il n'est pas surprenant que des historiens des femmes aient repris ses idées et les aient utilisées pour expliquer les « voix différentes » que leur travail leur avait permis d'entendre.(2) Le problème que pose cet aspect de la théorie du genre est le glissement qui s'opère souvent dans l'attribution de la causalité : l'argumentation commence par une affirmation du type l'expérience des femmes les amène à faire des choix moraux qui dépendent des contextes et des relations pour arriver à dire que les femmes pensent et choisissent ce chemin parce qu'elles sont femmes. Cette façon de voir les choses s'inscrit en opposition flagrante avec la conception plus complexe et historicisée du genre. Car en insistant toujours sur des différences fixées l'on renforcerait le type de pensée que nous combattons dans ce travail. Deuxièmement, le genre rejette l'idée du caractère fixé et permanent de l'opposition binaire, d'une historisation et d'une déconstruction authentiques des termes de la différence sexuelle. Car nous devons devenir plus attentifs aux distinctions entre notre vocabulaire d'analyse et le matériel que nous voulons analyser. Nous devons trouver des moyens de soumettre sans cesse nos catégories à la critique, nos analyses à l'autocritique. Ce qui signifie qu'analyser dans son contexte la manière dont opère toute opposition binaire, renversant et déplaçant sa construction hiérarchique au lieu de l'accepter comme réelle, comme allant de soi ou comme étant dans la nature des choses. L'histoire de la pensée émancipatrice de la femme est une histoire du refus de la construction hiérarchique entre masculin et féminin, ce
(1) SCOTT, J., «Le Genre de l'histoire» in Cahiers du GRIF, Paris, Printemps 1988, pp 125153. 94 qui fut compris comme une tentative de renverser ou de déplacer ses fonctions. D'après Joan Scott, « Les préoccupations théoriques du genre comme catégorie d'analyse n'ont émergé qu'à la fin du 20e siècle. Elles sont absentes de la majeure partie des théories sociales formulées depuis le 17e jusqu'au début du 20e siècle. En fait, certaines de ces théories ont bâti leur logique sur des analogies avec l'opposition masculin/féminin, d'autres ont reconnu une question féminine, d'autres encore se sont préoccupées de la formation de l'identité sexuelle subjective, mais sans avoir pensé à envisager le genre comme système de rapports sociaux. Le genre doit faire partie d'une tentative entreprise par les féministes contemporaines pour revendiquer un certain terrain de définition, pour insister sur l'inaptitude des théories existantes à expliquer les inégalités persistantes entre les femmes et les hommes. Donc au lieu de chercher des origines uniques, pour expliquer comment le changement a lieu dans le cadre des rapports sociaux, nous devons par contre concevoir des processus tellement liés entre eux qu'ils ne sauraient être séparés. Que nous choisissions des problèmes concrets à étudier, et ces problèmes constituent des débuts, ou des prises sur des processus complexes. Ce sont les processus qu'il faut sans cesse avoir en tête. Il faut nous demander plus souvent comment les choses se sont passées pour découvrir pourquoi elles se sont passées ; selon la formulation de Michelle Rosaldo, nous devons rechercher non pas une causalité générale et universelle, mais une explication significative : je vois maintenant que la place de la femme dans la vie sociale humaine n'est pas directement le produit de ce qu'elle fait, mais du sens qu'acquièrent ses activités à travers l'interaction sociale concrète.(1) Pour faire surgir le sens, nous avons besoin de traiter le sujet individuel aussi bien que l'organisation sociale et d'articuler la nature de leur interrelation, car tous deux ont une importance cruciale pour comprendre comment fonctionne le genre, comment survient le changement. C'est dans ce 95 cadre que s'inscrit l'analyse du genre dans la lutte contre la pauvreté de la femme lushoise à travers une économie de la débrouille. La théorisation du genre dans cet aspect de l'autonomisation de la femme soulève les problèmes des rapports de pouvoir. Ce serait même mieux de dire que le genre est un champ au sein duquel ou par le moyen duquel le pouvoir est articulé. Le genre n'est pas le seul champ, mais semble avoir constitué un moyen persistant et récurrent de rendre efficace la signification du pouvoir. Le sociologue français Pierre Bourdieu a écrit sur la manière dont la division du monde, fondée sur des références à des différences biologiques, celles qui se référent à la division sexuelle du travail, de la procréation et de la reproduction opère comme la plus fondée des illusions collectives. Etabli comme un ensemble objectif de références, le concept de genre structure la perception et l'organisation concrète et symbolique de toute la vie sociale(1) . Dans la mesure où ces références établissent les distributions de pouvoir, contrôlent ou confèrent un accès différentiel aux ressources matérielles et symboliques, le genre devient impliqué dans la conception et la construction du pouvoir lui-même. L'anthropologue français Maurice Godeber l'a formulé en ces termes : ce n'est pas la sexualité qui fantasme dans la société mais plutôt la société qui fantasme dans la sexualité, le corps. Les différences entre les corps qui naissent de leur sexe, sont constamment sollicitées de témoigner des rapports sociaux et de réalités qui n'ont rien à voir avec la sexualité, non seulement témoigner pour - c'est-à-dire légitimer.(2) La fonction de légitimation du genre fonctionne de plusieurs manières, et dans toutes les sociétés. Bourdieu, par exemple, a montré comment, dans certaines cultures, l'exploitation agricole était organisée selon des concepts de temps et de saison qui reposaient sur des définitions de l'opposition entre masculin et féminin. Nathalie Davis a, pour sa part, montré
(1) ZEMON Nathalie Davis., «Women on top», in Society in early modern France, Standford, Calif, 1975, p124-151, cité dans Cahiers Genre et développement, N°1, 2000, P. 59 96 comment des concepts du masculin et du féminin étaient liés à des perceptions et des critiques des règles de l'ordre social dans la première période de la France moderne(1). Nous essayons de ne pas baser notre analyse sur les interprétations fondées sur l'idée que les langages conceptuels emploient la différenciation pour établir le sens ou sur le fait de croire que la différenciation sexuelle est une façon principale de signifier la différenciation, mais surtout d'envisager le genre comme un moyen de décoder le sens et de comprendre les rapports complexes entre diverses formes d'interaction humaine dans la lutte contre la pauvreté et dans leurs mécanismes de survie. 1.3.2. Modèle a priori L'économie urbaine informelle a fait l'objet de plusieurs recherches et de plusieurs réflexions. Elle n'a cependant recueilli l'unanimité sur la définition et ses caractéristiques, de chercheurs en sciences sociales, d'intervenants sociaux, de décideurs étatiques et d'institutions internationales. Diverses approches sont apparues. La notion même a évolué depuis 1970, liant l'informel à la marginalité et à la survie. La théorie de la marginalité a vu le jour dans les années 1950 dans le contexte latino-américain. Cette théorie considère les acteurs qui agissent hors des cadres normatifs comme des marginaux ou des délinquants. Ils ne peuvent pas être considérés comme des acteurs à part entière, mais comme des sujets dépendants. Dans ce sens, la notion de marginalité renvoie à une certaine idéologie, car elle met ensemble des groupes ou des catégories de personnes au départ engagées dans une diversité d'activités. Ainsi l'exclusion des mécanismes de production moderne, l'absence d'espaces géographiques fixes et la prolifération des activités refuges constituent-elles les caractéristiques dominantes de cette théorie. La notion de marginalité renvoie aussi à la faiblesse ou à l'irrégularité des revenus. 97 Epistémologiquement, les théoriciens de la marginalité ont développé un modèle de culture populaire qui serait une forme archaïque de culture moderne, marquée par les conditions structurelles de domination de certaines classes sociales.(1) Dès lors qu'ils sont marginaux, ils n'ont ni pouvoir ni quelconque rôle d'acteur à jouer dans la culture moderne. Sur le plan méthodologique, la plupart des acteurs du secteur informel sont respectivement considérés comme des victimes et comme les symboles de l'échec d'un système. A Lubumbashi par exemple, les femmes vivent dans des conditions de vulnérabilité et de précarité économique qui les basculent dans la pauvreté. Il suffit que les prix des produits de première nécessité bougent vers la hausse pour assister à la panique générale, l'augmentation du prix occupant désormais la une de toutes les conversations. Les femmes doivent pourtant vivre, sinon mettre en place des stratégies de survie : elles se débrouillent. En effet, Lautier constate que distinguer deux périodes du secteur informel a pris forme dans une première période de 1975 à 1985. Cette période coincide avec la crise économique des années 1970 ayant comme conséquence logique l'éclosion du secteur informel en tant que lieu de conception et de développement des stratégies de survie. Ce qui a engendré également, à certains niveaux, la formation de petites entreprises. La deuxième période qui a débuté en 1986 s'est radicalisée dans la catastrophe sociale de l'ajustement structurel; l'informel devint alors la solution à tous les problèmes sociaux(2). Ce constat fut largement soutenu par Dansereau et Touré(3). Le secteur informel apparait en ce moment, comme la stratégie de vie et de survie des populations dans le Tiers- monde : « C'est
98 dans ce secteur qu'une grande partie de la population active gagne sa vie en produisant des biens et services peu coûteux. Ces biens et services contribuent dans une large mesure à la satisfaction des besoins essentiels de la population urbaine. Ce secteur allège le problème du chômage dans les villes, il absorbe les migrants, les jeunes qui ont quitté l'école, les non- employés ou les personnes qui veulent tenter leur chance. On pourrait même parler d'un secteur de la dernière chance : un secteur ressort» (1). Plusieurs autres chercheurs, notamment Mangulis et al. (1981), Valdès et Acuna (1981), Schoemaker(2) ont développé cette thèse dans leurs recherches sur les colonies populaires (bidonvilles urbains) de Reynosa, au Mexique). Ainsi selon Valdès et Acuna : « Quand une partie ou des couches entières de la société voient s'aggraver ou se détériorer leur niveau de vie, au point de sentir leur reproduction matérielle et biologique sérieusement menacée,... il est raisonnable de parler de stratégies de survie comme phénomène social, tant que ces couches développent un ensemble des comportements visant à résister aux forces ou processus de détérioration».(3) La notion de « secteur informel » renvoie à une multitude de réalités et de contextes difficiles à cerner, cela explique la diversité des termes utilisés, qui font tous l'objet de critiques : secteur informel, non officiel, production marchande, secteur non structuré, économie de survie, économie populaire, activités spontanées, etc. Malgré cela la notion de secteur informel est très utilisée dans la littérature et dans le discours administratif. A ce propos, Coquery-Vidrovitch écrit que « rien n'est plus fuyant que cette notion d'informel ». Ce concept flou et insaisissable relève de vieilles conceptions
(1) COQUERY-VIDROVITCH, C. et NEDELEC, S., Tiers- Monde : l'informel en question ?, Paris, L'Harmattan, 1991, p. 179 99 dualistes (rural/urbain ; traditionnel/moderne, informel/formel) qui font fi de la complexité de la réalité sociale(1). Les activités qu'englobe le secteur informel sont nombreuses et variées. Dans la majorité des études, le secteur informel ne sort pas de la dualité qui le caractérise. La notion a le mérite de prendre en compte les pratiques économiques urbaines des « personnes vivant dans la pauvreté » lesquelles prennent de plus en plus de place dans le monde du développement. Influencé par la théorie de la marginalité, ce secteur est intimement lié à la pauvreté, puisque les individus qui en font partie sont exclus des processus de la modernité. Mais il reste confiné au dualisme théorique des démarches classiques sur l'économie urbaine des pays en développement. Dans la majorité d'analyses, cette culture populaire et les pratiques économiques sous-jacentes sont considérées comme des pratiques ou des cultures déviantes, « une culture de la pauvreté qui s'exprime dans les pratiques irrationnelles par rapport à la vraie culture ». Certains observateurs prennent en considération certaines fonctions manifestes du secteur informel, à savoir qu'il peut être lu comme une stratégie de survie accompagnée d'un mouvement social populaire important qui occasionne le développement des mécanismes innovateurs de régulation de crises socio-économiques. C'est pour résoudre ces problèmes d'ordre à la fois méthodologique, épistémologique et parfois politique que plusieurs analystes délaissent l'expression d'économie informelle pour retenir une notion plus holistique, heuristique et plus structurante d'économie populaire. La notion d'économie populaire traduit la particularité d'appréhender les pratiques des acteurs dans leurs diversités culturelle et historique. Dans cette perspective, en totale contradiction avec une vision négative du secteur informel, la notion d'économie populaire souligne les 100 formes d'organisation et les pratiques spécifiques qui caractérisent le tissu social productif des pays africains, dénotant à la fois la lutte contre la pauvreté et générerant des richesses. Pour Engelhard les économies populaires urbaines constituent des modes de vie et de survie de la majeure partie de la population. Elles permettent de satisfaire des besoins fondamentaux non couverts par les systèmes officiels : se nourrir, se loger, se vêtir, se former, se soigner, se déplacer ou se distraire. L'informel concerne les activités féminines (alimentaires, distribution des produits divers, préparation des boissons locales, restauration) et des services personnels et matériels, de transport, de transformation et de fabrication(1). Divers facteurs permettent de considérer l'économie populaire comme une approche découlant d'une culture populaire qui constitue un ensemble de réponses données par une communauté humaine pour s'adapter à son environnement naturel et social. En premier lieu, cette notion illustre l'encastrement du social dans l'économie. En effet, le secteur informel englobe aujourd'hui une grande partie de la population pauvre. De plus, comme l'a fait remarquer Engelhard au Sénégal, il n'a pas une limite spatiale ou économique bien définie. Il existe autant dans les centres urbains qu'en milieu rural. Cela confirme le caractère structurant et spatial du phénomène. Vu sous cet angle, le terme qui conviendrait le mieux pour qualifier les pratiques économiques dans ces pays est l'expression « économie informelle » ou « économie populaire » du moment qu'il répond à une normalité sociale. A Lubumbashi comme partout ailleurs en Afrique, l'économie tient compte du primat du fait social. « Ce n'est pas le commerce qui existe d'abord, mais les liens communautaires »(2) . La société, pour reprendre les propos de Levi-Strauss, est un système de relations symboliques avant d'être
101 un système d'échanges onéreux. Par conséquent, selon Hugon : l'irrationalité économique expliquerait l'absence de priorité donnée à l'acte économique par rapport aux activités ludiques ou symboliques, à la valorisation des hommes et aux relations interpersonnelles où l'entente réciproque est fondée sur les liens de parenté, d'origine ou de religion(1). Le monde populaire développe pratiquement une perception particulière de chacune des dimensions de la vie : famille, travail, politique, religion, éducation. Par conséquent, l'expression économie populaire cadre davantage avec la réalité des pratiques socioculturelles et socioéconomiques des populations. Elle constitue, dans cette perspective, une culture de la praxis, concrète, à sa perception ontologique qui impose certaines contraintes aux populations concernées. L'économie populaire débouche ainsi sur les réseaux sociaux de solidarité, de relations de sociabilité, bref, sur le capital social. Il s'agit donc de réseaux sociaux qu'il faut développer et entretenir. Beaucoup de recherches l'ont confirmé, les femmes africaines s'investissent dans des dynamiques de capital social qu'elles développent et entretiennent dans leur activité commerciale. Cela est également visible dans les réseaux socioreligieux en lien avec la production commerciale. Maints auteurs, Bugnicourt(2) et Ndione(3) reconnaissent l'importance d'utilisation des réseaux sociaux dans le secteur informel. Polanyi(4) démontre que dans ce contexte, l'économie est ré-encastrée dans le tissu social et culturel, d'où la nécessité de comprendre et de considérer les comportements populaires des ménages qui peuvent être interprétés comme des pratiques d'acteurs dépendants. La notion d'économie populaire a encore le mérite de considérer les individus qui organisent et pratiquent des activités économiques spécifiques comme des
102 acteurs autonomes à qui l'on doit reconnaître une identité. Cette vision pose un problème épistémologique de taille aux économistes. En deuxième lieu, le caractère multidimensionnel du concept d'économie populaire ou économie de la débrouille a attiré notre attention pour un certain nombre de raisons. On en reconnaît un cadre d'analyse propre qui sort de la conception néo-classique et qui nécessite un recadrage méthodique quant à la participation populaire dans la construction du savoir. La démarche méthodologique de l'économie populaire, à Lubumbashi comme partout en Afrique ou dans l'ensemble des pays en développement, doit s'inscrire dans un espace où s'exprime, par une pratique des actions économiques, la demande de survie et d'autre part une demande d'intégration porteuse d'une identité assimilée à la pratique d'une culture(1). Par conséquent, on doit tenir compte de l'importance de la main-d'oeuvre composée en grande partie de jeunes, d'adolescents, de femmes ou de groupes exclus, et de l'importance et de la diversité des activités (polyactivités). Ces principaux acteurs, en dépit de leur invisibilité, dirigent le secteur informel et jouent un rôle socioéconomique important. Ils contrôlent la grande partie des activités qui relèvent du secteur traditionnel : micro-commerce ; tissage, cordonnerie, transport, des services qu'il faut valoriser, sortir de l'ombre et médiatiser dans le sens où ils participent à la construction des connaissances, et surtout aussi du tissu économique. En tant qu'acteurs sociaux, ils développent des capacités d'organisation, d'initiatives économiques, de créativité sociale dans le cadre concret de leur vie quotidienne afin d'échapper à l'exclusion et à la pauvreté. Fondée sur la valorisation du travail populaire, développant des relations de sociabilité et de réciprocité, l'économie populaire joue un rôle essentiel dans la vie des populations, particulièrement des femmes et des adolescentes. Sociologiquement, le recours aux stratégies de survie ne peut être compris que placé dans le contexte des familles étendues africaines et (1) LARRAECHEA, I. et NYSSENS, M., « L'économie populaire : un défi épistémologique pour les économistes », in Collection, la connaissance des pauvres, Louvain-la neuve, GIREP, 1996, p 496 103 aussi dans la dynamique des réseaux sociaux et de solidarité. Selon Fall (1991), le recours aux stratégies des acteurs joue un rôle central dans la constitution des réseaux sociaux. En effet, comme plusieurs études l'ont démontré, « lorsqu'il existe une base de subsistance incertaine, peu abondante ou irrégulière, la solidarité sociale est mobilisée comme une ressource pour la survie. Tous les membres se débrouillent pour contribuer au revenu familial. Toutes les personnes valides et même invalides participent à la gestion de l'économie familiale à travers une variété d'activités légales ou illégales susceptibles de générer des revenus additionnels» (1). Il s'agit ici d'appréhender l'offre du travail de chaque individu non pas comme une décision isolée prise en fonction de ses propres caractéristiques mais comme dépendante de la stratégie d'un groupe plus large : le ménage. Selon la théorie classique de l'économie de la famille (Becker(2) ; Zerbo(3)), chaque ménage maximise son utilité en allouant le temps total disponible de chacun de ses membres entre le travail marchand (qui permet de disposer d'un revenu) et la production des biens domestiques. Cette allocation tient compte de l'hétérogénéité des rôles et fonctions des différents membres du ménage. En effet, pour que la théorie de la spécialisation des rôles soit économiquement optimale, le principal membre actif du ménage doit disposer d'un travail stable (avec un faible risque de perte d'emploi) et doit pouvoir générer des revenus suffisants (au besoin à travers l'accroissement du nombre d'heures oeuvrées). Or, dans le cas de Lubumbashi, comme dans la plupart des villes de la République Démocratique du Congo, les conditions d'activité sont précaires et la rémunération du travail assez faible. Lorsque de telles contraintes pèsent sur les ressources nécessaires à la survie du ménage, la spécialisation ne constitue plus une stratégie optimale. La mobilisation des autres membres du ménage, en
104 particulier des femmes et des enfants, s'avère incontournable. Comme l'a souligné Oppenheimer Kincade(1), la spécialisation dans un contexte de marché de travail peu favorable est une stratégie hautement risquée pour les ménages, qui ont intérêt à mobiliser toute la force de travail dont ils disposent, en particulier celle des femmes. La présente thèse met l'accent sur trois dimensions du genre considérées comme fondamentales pour l'optimisation du rôle économique et social des hommes et des femmes de Lubumbashi, à savoir: la constitution du capital (capital humain - éducation et santé - et capital physique), l'utilisation de ce capital pour saisir des opportunités économiques et dégager des revenus, et le recours à ce capital pour prendre des mesures, c'est-à-dire engendrer une dynamique d'actions qui ont un impact sur le bien-être des individus et des ménages. Ce sont là des aspects de l'égalité où un déficit de choix se traduit par un déficit de bien-être. Ces trois dimensions sont importantes en elles-mêmes ; elles sont aussi étroitement liées dans l'écosystème social. Trois différences sont particulièrement importantes pour l'analyse de l'égalité des genres. Premièrement, il est difficile de mesurer le bien-être des femmes séparément de celui des hommes qui vivent dans le même ménage, et ce problème est encore aggravé par le manque de données sur les résultats activités économiques au sein du ménage. Deuxièmement, les préférences, les besoins et les contraintes peuvent être systématiquement différents selon qu'il s'agit des hommes ou des femmes, pour des raisons biologiques mais aussi par suite de comportements sociaux « acquis ». Troisièmement, le genre est un attribut qui transcende les classes et les tranches de revenus. Il faut donc décider s'il convient d'évaluer l'égalité des genres en termes d'égalité des résultats des activités économiques ou en termes d'égalité des opportunités. Les études économiques et philosophiques (1) OPPENHEIMER Kincade V., « Women's Employment and the Gain to Marriage: The Specialization and Trading Model », in Annual Review of Sociology, n° 23, 1997, pp431-453. 105 sont loin d'être unanimes sur ce point ; et la nôtre a tenté de les concilier sociologiquement. L'examen des questions d'égalité entre les hommes et les femmes en termes d'égalité des opportunités fait valoir que ce mode d'analyse permet d'établir une distinction entre les inégalités dues à des circonstances échappant au contrôle des personnes et les inégalités qui résultent de préférences et de choix. Notre étude a analysé les différences observées dans les préférences sociales des hommes et des femmes, leur aversion du risque et leur attitude face à la compétition. Il s'ensuit que si les hommes et les femmes affichent, dans l'ensemble, des attitudes, des préférences et des choix différents, toutes les différences observées au niveau des résultats ne peuvent pas être attribuées à des différences au niveau des dispositions psychologiques et idéologiques. Ceux qui militent en faveur de l'égalité des résultats avancent que les différences au niveau des préférences et des attitudes sont essentiellement « acquises » et non innées : elles sont la résultante de cultures et d'environnements qui mènent les hommes et les femmes à intérioriser les normes et les attentes de la société. Lorsque des différences persistent dans les rapports de force et entre le statut des hommes et celui des femmes, ces différences peuvent marquer les aspirations, les comportements et les préférences et, de ce fait, perpétuer les inégalités. Il est donc difficile de définir l'égalité des opportunités sans également considérer la manière dont la situation se présente concrètement au plan des résultats. Ce n'est qu'en cherchant à assurer l'égalité des résultats que l'on peut rompre le cercle vicieux entrainé par des aspirations limitées et des opportunités insuffisantes. Abstraction faite des arguments précédents, il est difficile en pratique de mesurer les opportunités indépendamment des résultats. En fait, l'égalité des opportunités et l'égalité des résultats sont étroitement liées aussi bien sur le plan théorique que sur celui de l'évaluation aléatoire. Pour cette raison, la présente thèse adopte une démarche pragmatique, qui privilégie à la 106 fois les résultats et les opportunités en termes de capital humain, de capacité de décision et d'accès aux activités économiques. Nous sommes parti du principe que, si les êtres humains peuvent ne pas être d'accord sur ce qui est équitable ou juste, ils peuvent néanmoins s'entendre sur la nécessité d'éliminer des « systèmes outrageusement injustes ». En d'autres termes, s'il peut être difficile de déterminer si l'égalité entre les genres s'entend des résultats ou des opportunités, il est facile de convenir qu'il importe d'éliminer les causes flagrantes des inégalités entre les hommes et les femmes. L'égalité entre les hommes et les femmes est également un facteur du développement. Elle est un atout pour l'économie ; elle peut accroître l'efficacité économique et améliorer les conditions de vie des hommes et des femmes de trois manières différentes. Premièrement, l'élimination des obstacles qui empêchent les femmes d'avoir le même accès que les hommes à l'éducation, aux opportunités économiques et aux facteurs de production peut générer des gains de productivité généralisés. Deuxièmement, l'amélioration de la condition féminine, en termes absolus et relatifs, favorise de nombreux autres résultats du développement, notamment pour/par les enfants. Troisièmement, l'uniformisation des règles du jeu -- en donnant aux femmes et aux hommes les mêmes chances de participer à la vie sociale et politique, de prendre des décisions et d'influencer l'action publique -- devrait déboucher, à terme, sur des institutions et des actions publiques plus représentatives et plus inclusives et, partant, sur une meilleure trajectoire de développement. Pour qu'une économie puisse fonctionner à la mesure de son potentiel, il faut que les compétences et les aptitudes des femmes soient consacrées à des activités qui les utilisent au mieux. Mais, en pratique, ce n'est pas toujours le cas pour de nombreuses femmes d'Afrique en général et de Lubumbashi en particulier. Lorsque la main-d'oeuvre féminine est sous-employée ou mal utilisée - en raison de la discrimination à l'encontre des femmes sur les marchés et dans le cadre des institutions érigées par la société qui les empêche d'achever leurs études, de pouvoir exercer certaines 107 professions et d'obtenir les mêmes rémunérations que les hommes, lorsqu'elles ont un accès très limité aux crédits et aux facteurs de production et les sols ne sont pas exploités de manière efficace. Cela a pour effet de réduire les rendements. Lorsqu'à Lubumbashi, la majorité des femmes est très pauvre et travaille dans des conditions nettement inférieures à celles des hommes, de même, quand cette majorité se retrouve seule au front pour compléter les revenus familiaux, à travailler durement pour refuser de mourir, elle et les siens, le déséquilibre social se fait sentir atrocement. L'amélioration du niveau d'éducation et de l'état de santé des femmes a également des répercussions positives sur leurs enfants. Il existe aussi une relation positive entre la scolarisation des mères (et des pères) et le niveau d'instruction de leurs enfants. L'élimination des obstacles à l'emploi des femmes dans certaines professions ou dans certains secteurs aurait des effets positifs similaires, en réduisant l'écart de productivité entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins. La capacité de décision et d'action s'entend comme la capacité d'une personne à effectuer des choix -- et de les assumer par des actions pour obtenir les résultats souhaités. Quels que soient le pays ou la culture, il existe des différences dans la capacité qu'ont les hommes et les femmes d'effectuer ces choix, généralement au détriment des femmes. Ces différences liées au genre ont un impact sur le bien-être des femmes mais aussi sur toute une série de situations concernant leurs familles et la société en général. La capacité de décision et d'action des femmes influe sur la mesure dans laquelle celles-ci peuvent accroître leur capital humain et saisir des opportunités économiques. La capacité d'action collective des femmes a le pouvoir de transformer une société. Elle peut influencer les institutions, les marchés et les normes sociales qui limitent le pouvoir d'action et les opportunités des individus. Donner aux femmes les moyens d'agir sur la scène politique, dans le ménage et dans la société peut se traduire par une modification des choix 108 publics et amener les institutions à mieux représenter une plus grande diversité d'intervenants. Dans de nombreux pays riches, l'augmentation du taux d'activités des femmes et leur présence en plus grand nombre à des postes de responsabilité politique ont contribué, conjointement, à refondre la manière dont la société conçoit l'allocation du temps entre le travail et la vie de famille en général et à l'adoption d'une législation du travail plus favorable à la famille. En revanche, lorsque les femmes et les hommes n'ont pas les mêmes opportunités de participer à la vie sociale et à la vie politique et d'influencer les lois, les actions politiques et la prise des décisions, les institutions et les politiques sont plus susceptibles de favoriser systématiquement les intérêts de ceux qui ont le plus d'influence. Il est moins probable que les obstacles institutionnels et les défaillances du marché qui favorisent les disparités entre les hommes et les femmes soient examinés et corrigés. Cette thèse a ainsi examiné les aspects économiques de l'égalité entre les hommes et les femmes dans le contexte du développement et de l'amélioration des conditions de vie des ménages. Elle se fonde sur la théorie économique pour comprendre les facteurs des différences entre les hommes et les femmes dans la survie des ménages dans le contexte de lutte contre la pauvreté. C'est dans ce cadre que certains domaines fondamentaux du bien-être, notamment l'accès aux opportunités économiques et aux ressources productives, et l'aptitude à effectuer des choix rationnels et à prendre des mesures ont été examinés. Elle a examiné également, dans cette optique économique, les interventions stratégiques et les actions qui peuvent être menées dans le cadre de la société de manière plus générale pour réduire les disparités entre les hommes et les femmes et améliorer les résultats au plan du développement. Nous avons adopté une approche empirique, et privilégié une analyse rigoureuse basée sur des éléments concrets, faisant ressortir les relations de cause à effet dans la mesure du possible. À cette fin, nous nous 109 sommes appuyés sur un nombre important et croissant d'études quantitatives consacrées au genre, que nous avons complétées par de nouvelles analyses portant, en particulier, sur la débrouille. En fait, quels que soient leur âge, leur niveau de revenu et leur lieu de résidence, les femmes et les hommes considèrent que l'éducation, la possession d'actifs, l'accès à des opportunités économiques et la possibilité de gagner un revenu sont les facteurs essentiels qui peuvent permettre d'améliorer leur condition et celle de leurs familles. La conclusion de notre étude montre aussi que les problèmes de longue date perdurent même lorsque l'environnement a évolué, tandis que de nouveaux problèmes apparaissent. De nombreux groupes sont déjà en butte à des obstacles généralisés -- pour eux, le changement n'est qu'un espoir pour les générations à venir et non leur réalité au quotidien. Les résultats obtenus en ce domaine peuvent être expliqués par la manière dont les ménages réagissent au fonctionnement et à la structure des marchés et des institutions, tant formels qu'informels. Les ménages décident sur la façon de se débrouiller pour la survie. Comment et à quel moment souhaitent- ils que les enfants se débrouillent ? Combien d'argent consacrent-ils à l'éducation et à la santé de leurs filles et de leurs fils ? De quelle manière répartissent-ils les tâches (à l'intérieur ainsi qu'à l'extérieur du ménage) ? Les ménages procèdent à ces choix en fonction de leurs préférences, des incitations offertes et des obstacles opposés aux différents membres, selon le statut de chacun de ces derniers et de leur pouvoir de négociation respectif. Les préférences sont influencées par les rôles dévolus aux hommes et aux femmes, par les normes sociales et par les réseaux sociaux (autant de facteurs relevant du concept d'institutions informelles). Les incitations sont essentiellement influencées par les marchés (y compris les marchés du travail et du crédit, le marché foncier et le marché des biens) qui déterminent la rentabilité des décisions et des investissements des ménages. Les obstacles résultent des interactions des institutions formelles 110 (c'est-à-dire tous les éléments associés au fonctionnement de l'État) et des marchés, mais ils reflètent aussi les effets des institutions informelles. La mesure par laquelle les différents membres d'un ménage peuvent se faire entendre ou négocier est déterminée par toute une gamme de facteurs, notamment la propriété et le contrôle des ressources, la possibilité de quitter le ménage (options de sortie) et les normes sociales. La prise des décisions par les ménages, les marchés, les institutions formelles et les institutions informelles conjuguent ainsi leurs effets et s'influencent mutuellement pour déterminer les résultats au plan de la parité hommes-femmes. Cette situation peut être schématisée comme ci-après : Marchés Crise dans les prix des biens et services Institutions informelles - Rôles dévolus aux hommes et aux femmes, les normes sociales - Les convictions partagées et imposées par la société Institutions formelles - Chutes de l'exploitation Réduction des marchés des crédits (IMF) Perte d'emplois dans les industries Diminution des ressources des IMF - Baisse des coûts directs, indirects et des opportunités Ménages Réduction une dynamique est engendrée: ? Changement de comportements - des hommes - des femmes - des enfants - autres corésidents ? Recours au capital humain et physique pour saisir les opportunités économiques ? Développement du secteur informel I Participation de la femme dans les activités économiques I Travail précoce des enfants I Contribution des membres extérieurs au noyau familial activités des I Pluri- hommes Débrouille re homme- femme l'égalité ent Survie ménagère croissance de Schéma explicatif de la débrouille ménagère 111 Dans ce cadre modélisé, il est manifeste que les avantages que présente le développement économique (c'est-à-dire l'amélioration des niveaux de revenus et des institutions chargées de la prestation des services) pour la parité hommes-femmes sont la résultante du fonctionnement des ménages, des marchés et des institutions et de leurs interactions. La figure ci-dessus illustre ces impacts au moyen de la flèche de la « croissance » qui fait tourner le train d'engrenages en direction d'une plus grande égalité entre les hommes et les femmes. L'impact de cette amélioration de la parité hommes-femmes sur la croissance est alors saisi par la flèche de « l'égalité entre les hommes et les femmes » qui fait tourner l'engrenage pour engendrer une nouvelle dynamique de l'action en faveur de l'amélioration de leur condition de vie. Ceci est observable aux différents niveaux : Marchés : ensemble de modalités permettant aux acheteurs et aux vendeurs de céder tous types de biens et services conformément à une série de règles. Les marchés permettent d'évaluer la valeur de tout article devant faire l'objet d'un échange et d'en fixer le prix. Ils peuvent être influencés et définis par les institutions formelles et informelles. Institutions formelles : ensemble des éléments ayant trait au fonctionnement de l'Etat, notamment les lois, les cadres règlementaires et les mécanismes établis pour la fourniture des services publics (tels que services judiciaires, services de police, services d'infrastructures de base, de santé et d'éducation). Institutions sociales informelles : mécanismes, règles et procédures qui façonnent les interactions sociales mais ne relèvent pas du fonctionnement de l'Etat. Dans cette thèse, l'attention porte sur les rôles dévolus aux hommes et aux femmes, les croyances, les normes sociales et les réseaux sociaux des hommes et des femmes. Les rôles dévolus par la société aux hommes et aux femmes guident les comportements normatifs de chaque sexe dans certains contextes sociaux. Les rôles prennent une importance croissante car ils sont assimilés dans le cadre du processus d'éducation et d'apprentissage de la société, explicités par les produits 112 culturels et concrétisés dans la vie quotidienne. La quête permanente de comportements correspondant aux rôles définis par la société façonne les convictions largement partagées sur les attributs respectifs des hommes et des femmes et le sens de leur identité. Les normes sociales s'entendent comme types de comportements façonnés par des convictions partagées par la société et imposés sous peine de sanctions sociales informelles. Ces normes peuvent avoir un impact sur le pouvoir de négociation au sein d'un ménage de nombreuses manières : elles définissent ce qu'il est possible de négocier; elles peuvent être un facteur déterminant du pouvoir de négociation ou être un obstacle à celui-là ; elles peuvent influencer la manière dont les négociations sont poursuivies ; elles peuvent, elles-mêmes, faire l'objet de négociations et évoluer. Les réseaux sociaux procèdent du système de relations et de liens sociaux qui amènent les individus à coopérer pour leur profit mutuel, la manière de gagner la vie et ont un impact sur les opportunités d'une personne, les informations auxquelles elle a accès, les normes sociales et les perceptions. La notion de stratégie de survie constitue une approche intéressante, permettant de rendre compte des processus de positionnement social, d'appropriation symbolique et de production des biens et services à l'oeuvre dans une vaste population hétérogène, de plus en plus pauvre et en voie de marginalisation. Ces stratégies ne se réduisent pas à l'intentionnalité, à la conscience et à la volonté des femmes : elles sont le produit d'une rencontre entre les acteurs et un contexte économique, social et culturel. En ce sens, elles reflètent les imprécisions, les tensions dynamiques et les conditions de processus d'intégration sociale des femmes dans une société en pleine mutation. Elles constituent ainsi un lieu d'observation privilégié de la structure sociale, des personnes, des sociabilités et des réseaux dans un contexte de mouvance sociale et d'effritement des liens traditionnels. 113 1.4. Conclusion partielle A travers l'examen des différents concepts et des différentes théories au cours de ce premier chapitre, nous avons remarqué que les recherches sur la question du genre tout comme celle de pauvreté et des stratégies de survie des ménages ont une caractéristique commune : il s'agit de la réalité qui n'est appréhendée que par cumul ou synthèse explicite et implicite de principes hétérogènes. Aussi, dans le référentiel historique, l'approche dominante des concepts de genre, de pauvreté et des stratégies de survie des ménages est caractérisé par une dimension privative qui confère à la définition de ces concepts un caractère inachevé. Par conséquent, nous avons donné à ces concepts une dimension sociologique qui permet de considérer la pauvreté comme un ensemble d'inégalités matérielles, économiques, financières, sociales et politiques - lesquelles inégalités sont liées à des mécanismes culturels, à des rapports de sexe ou de genre qui renvoient à plusieurs indicateurs dont les plus importants sont le pouvoir, les responsabilités, les rôles et les statuts. Ils sont construits culturellement, historiquement et socialement suivant les critères propres à chaque société. En effet, les rapports de genre qui régissent les relations entre les hommes et les femmes sont soumis aux normes et aux valeurs de la société dans laquelle ils s'imbriquent. D'où la nécessité d'une étude de cas, comme celle-ci, pour la bonne compréhension du phénomène. Quant à la théorie sur l'économie de la débrouille, nous avons retenu que bien que celle-ci soit stigmatisée comme illégale et marginale, fondée sur une économie d'autosubsistance des ménages, elle suscite, cependant, l'intérêt des scientifiques tout comme des exclus de la société, dans son apport économique de survie. Pour notre part, le travail des femmes, des enfants et corésidents dans le cadre de survie des ménages n'a pas seulement des cotés négatifs, comme le prétendent beaucoup d'autres observateurs qui ne jurent que pour son éradication. A travers la carrière de petit commerce ou autres il faut savoir observer d'autres points positifs : la volonté de survivre, les aspirations et la débrouillardise, d'une économie de 114 subsistance au départ, qui peuvent progressivement s'orienter, si les conditions s'y prêtent, vers une activité commerciale plus stable. Afin de bien cerner les conditions de vie de la population de Lubumbashi et de comprendre le recours à certaines stratégies de survie des ménages, nous allons d'abord présenter la ville de Lubumbashi. 115 CHAPITRE II : PRESENTATION DE LA VILLE DE LUBUMBASHI 2.1. Introduction Le présent chapitre a pour objet la présentation du cadre géographique et l'organisation administrative de la ville de Lubumbashi. Il consiste en outre à présenter sommairement le cadre tant humain que socioculturel, économique et alimentaire, ainsi que les problèmes urbains et socioculturels de la ville de Lubumbashi. Il convient de souligner que beaucoup de travaux scientifiques ont été effectués sur la ville de Lubumbashi, mais nous avons retenu comme sources les travaux de Maloba Kale Katyetye, Leblanc, M. et Malaisse, F. , Malaisse, F. , Duvignaud, P , Houyoux ,J. et Lecoanet, Y., ainsi que les documents administratifs consultés à la mairie de Lubumbashi : Bulletin Officiel du Congo Belge du 15 janvier 1955, Rapport annuel des Affaires intérieures, Naissance de la ville de Lubumbashi 2.2. Historique et localisation La ville de Lubumbashi est située dans la partie australe de la République Démocratique du Congo dans la province du Katanga. Elle est aussi désignée comme la capitale cuprifère à cause de sa grande production du cuivre. La ville de Lubumbashi, jadis Elisabethville, doit son origine et son développement à la découverte d'importants gisements de cuivre en 1892 par le géologue Jules Cornet et leur mise en valeur par l'Union Minière du Haut- Katanga (U.M.H.K) appelée aujourd'hui la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines), créée en 1906. Cette grande société minière décida de préparer l'exploitation de la mine de l'Etoile pour deux raisons : - d'abord, parce que cette dernière (la mine de l'Etoile) contenait des minerais sulfurés dont la métallurgie était bien connue ; - ensuite et surtout, parce qu'un accord 116 entre le Roi Leopold II et Cecil Rhodes prévoyait de faire passer la fameuse voie ferrée « Le cap- Le Caire » par le Katanga(1). C'est à partir de 1907 que le Comité Spécial du Katanga (CSK), qui agissait au nom de l'Etat indépendant du Congo, se rendra compte du progrès de l'industrie cuprifère de l'U.M.H.K et de la nécessité de l'existence d'un centre administratif et commercial à proximité des mines et décidera du transfert du siège du Comité Spécial du Katanga de Lukonzolua (Lac Moero) aux environs de la mine de l'Etoile (Kalukuluku) à Lubumbashi. Pour l'établissement du centre administratif et commercial à côté des activités minières menées par l'Union Minières du Haut Katanga (U.M.H.K) qui venait d'ailleurs d'installer sa fonderie près des chutes de la rivière Lubumbashi, le Major Emile Wangermée, représentant du Comité Spécial du Katanga, qui connaissait très bien le pays, se verra confier la mission de créer la nouvelle ville. Il choisit l'endroit près de la mine de l'Etoile et près de l'Union Minière du Haut Katanga. Il est considéré comme le fondateur de la ville(2). En 1909, la ville est créée sur papier avec un quadrilatère de vingt kilomètres carrés de forêts. Il faudra alors défricher, raser des termitières avec les moyens de bord. C'est un plateau caractérisé par une savane infinie, dominé par des miteux à la terre ocre et à la maigre végétation : savane verte en saison de pluie et rouge en saison sèche(3). La ville de Lubumbashi est donc fondée en 1910 par les Belges sous le nom d'Elisabethville (du nom de la reine Elisabeth de Bavière, épouse
117 du Roi Albert 1er des Belges). Elle eut son statut de ville en 1941 par l'ordonnance N° 298/Aimo du 25 juin 1941(1). A l'occasion de la politique et de la philosophie de recours à l'authenticité prônée par le Président Mobutu Sese Seko, la ville jadis Elisabethville prit le nom de Lubumbashi depuis le 3 octobre 1966. Lubumbashi tire son origine du nom de la rivière au bord de laquelle elle avait été créée(3). 2.3. Caractéristiques physiques et géographiques Située au sud de la province du Katanga, la ville de Lubumbashi se trouve à 1224 mètres d'altitude moyenne, et s'étend sur une superficie de 747 kilomètres carrés. Elle est constituée d'une surface d'aplanissement de façon générale, accidentée par quelques collines de faible dénivellement et d'orientation nord-ouest, sud-est. L'altitude s'abaisse doucement de 1300 mètres au nord-est jusque vers 1170 mètres dans les talwegs de la Lubumbashi et la Kafubu(4). Elle est sur un plateau légèrement vallonnée et limitée entre 11° 30' de latitude Nord et 11° 42' de latitude Sud, longitude entre 27° 10' Est et 27° 30' de longitude Ouest(1). Du nord au nord-ouest vers le Sud-Est, la ville de Lubumbashi est traversée par deux grandes rivières : Kafubu et Lubumbashi. Son bassin hydrographique comprend les cours d'eau principaux suivants : Katuba, Kimilolo, Kiswishi, Naviundu, Kampemba, Karavia, Luano et Rwashi. La ville de Lubumbashi et ses zones périurbaines jouissent d'un climat de type CW6, selon la classification de Koppen, il est tropical à deux (1) Bulletin Officiel du Congo Belge du 15 janvier 1955, p.221
(1) HOUYOUX, J. et LECOANET, Y., Lubumbashi, démographie, Budgets ménagers et étude du site, Kinshasa, Bureau d'Etudes et d'aménagements urbains (BEAU), 1975 118 saisons alternantes avec un caractère tempéré et continental(1). Elle est sous un climat sec avec deux saisons qui sont : - la saison de pluie allant de fin octobre à mi-avril, avec une pluviométrie de 1228 mm d'eau ; - la saison sèche allant de fin avril à mi-octobre. Il faut cependant noter qu'il y a une forte chaleur pendant les mois d'août, de septembre et d'octobre, alors qu'il fait froid au mois de juin et de juillet. Températures : moyenne 20°C - les plus basses : 14,8°C en moyenne, mais pouvant descendre jusqu'à 10° C au mois de juillet ; - les plus hautes 22,5° C en moyenne pouvant monter à 32° C en octobre(2). Les sols de la ville de Lubumbashi appartiennent dans leur grande majorité aux groupes des sols ferralitiques dénaturés, rouges, ocres rouges et jaunes suivant la position topographique et le drainage interne(3) .Ils peuvent être associés à des lithosols sur cuirasses ferrugineux ou se développer sur des sédiments meubles sableux. Dans ces sols, une grande partie de la réserve minérale est concentrée dans la couverture végétale et dans les couches superficielles du sol. Cette réserve est rapidement épuisée par les cultures annuelles après défrichement.(4) La ville de Lubumbashi est classée dans le domaine Zambezien où l'unité de végétation la plus répandue est la forêt claire zambézienne de type Miombo, dominée par les espèces du brachystegia. Ces forêts sont mêlées de savane à acacias et d'une végétation des milieux aquatiques, sur un plateau incliné du Nord vers le Sud-Est avec plusieurs
(1) DUVIGNAUD, P., La flore et la végétation du Katanga et des sols métallifères, Belgique, Bull. soc.Roy.Bot, 1952, p.128 119 vallons où sont implantés des fermes agropastorales et un sol alluvionnaire et sablo-argileux(1). Les limites de la ville de Lubumbashi sont : - Au nord par le domaine de l'aéroport et les cités de la commune Annexe qui forme la ceinture de la ville, - Au sud par le confluent Masimba, Kafubu jusqu'à la limite de l'ancienne route Munama en passant par le confluent de la rivière Kafubu avec la rivière Lubumbashi canalisée. - A l'est à partir de la limite nord-est du domaine de l'aéroport, une ligne droite jusqu'au confluent de la rivière Kafubu en passant par la vallée de celle-ci. - A l'ouest par les cités et fermes qui forment la ceinture de la ville vers Kipushi. 2.4. Population de la ville de Lubumbashi Ville minière, Lubumbashi est une création coloniale et sa population constitue une société particulière, le produit des brassages des populations d'origines différentes par l'industrialisation. La ville de Lubumbashi est une conséquence du développement industriel. Ce développement est à la base de la concentration qui mène dans l'agglomération. C'est le besoin de la main-d'oeuvre de l'Union Minière du Haut-Katanga qui favorisait une majorité d'immigrants qui peuplèrent la ville. L'étude de l'évolution de la population de la ville de Lubumbashi semble être trop délicate à cause du manque des données statistiques ainsi que par leur fiabilité lorsqu'elles existent. Une nouvelle difficulté consiste dans le fait que jusqu'en 1954 on a séparé la population blanche distincte de la population indigène à Elisabethville. En 1912 la population blanche comptait 120 environ un million de personnes, alors que le texte reste muet sur l'effectif de la population indigène. En 1923, date à partir de laquelle, on a obtenu le premier chiffre complet de la population, la ville comptait 16.180 habitants répartis en 13.990 indigènes et 2.190 blancs. Il convient cependant de souligner que jusque 1930 la population indigène d'Elisabethville était en grande partie masculine et pauvre. Coppens écrit cela en ces termes : Une crise sociale profonde s'est produite...La race de civilisation inférieure fléchit, elle s'affaisse, elle se dissocie et ce phénomène se traduit notamment par une diminution progressive de la population noire. On ne peut plus nier que la population du Congo diminue. Cette diminution est même assez sensible pour qu'elle apparaisse à vue d'oeil, sans statistiques(1). Comme pour confirmer la misère de la population noire de l'époque Pierre Rijckmans, l'ancien gouverneur général, dans son discours de juillet 1946 dépeignait de façon alarmante la situation de détresse matérielle de la population : « les milieux coutumiers et extra-coutumiers africains sont terriblement pauvres. La masse est mal logée, mal vêtue, mal nourrie, illettrée, vouée aux maladies et à la mort précoce ». Il préconisait une nouvelle approche des problèmes économiques et sociaux tendant à rehausser le niveau de vie. ...Parmi les solutions on note la stabilisation du milieu familial dans les centres extra-coutumiers, le recrutement d'une main-d'oeuvre mariée, l'aménagement des coutumes, les allocations familiales, l'éducation de la femme indigène et le renforcement du réseau routier(2). La référence aux préoccupations de Coppens et Rijckmans dans cette étude vise à montrer que les questions liées au genre ou à la
121 pauvreté ne datent pas d'aujourd'hui, elles ont toujours hanté les esprits des gens et ont toujours suscité des politiques nouvelles. En 1984, le total de la population atteint 550.540 habitants. En 1996, la population autochtone atteint 905.360 habitants. Mais au dernier recensement général effectué en 2001 dans la ville de Lubumbashi, l'effectif global de la population est passé à 1.180.337 habitants réparti comme suit : - population d'origine congolaise 1.169.829 habitants, soit 99,11% et - population d'origine étrangère 10.558 habitants, soit 0,89%. Les statistiques de l'administration urbaine pour la période sous étude, c'est-à-dire de 2006 à 2011 se présentent comme suit : Tableau N° 1 : Population congolaise de la ville de Lubumbashi de 20062011
Source : Rapports administratifs de la mairie de Lubumbashi de 2006 à 2011 122 Tableau N° 2 : Population congolaise par commune de la ville de Lubumbashi de 2006-2011
Source : Rapports administratifs de la mairie de Lubumbashi de 2006 à 2011 2.5. Organisation politico-administrative et sociale L'étendue administrative de la ville de Lubumbashi est d'un peu plus de 747 kilomètres carrés, la superficie des eaux non comprise. Sur le plan administratif, la ville de Lubumbashi est subdivisée en sept communes dont une urbano-rurale. Par ordre d'ancienneté de leur création, il y a la commune de Lubumbashi créée en 1911, celle de Kamalondo en 1912, Kenya en 1920, Katuba en 1952, Ruashi en 1953, la commune urbano-rurale appelée la commune Annexe forme la ceinture de la ville et fut créée par l'arrêté numéro 11/160 du 17 octobre 1957 du vice-gouverneur général du Katanga, et la commune de Kampemba en 1972 constitue la septième commune de la ville. La commune annexe entoure de tous les côtés l'espace urbain et se trouve peu à peu grignotée aujourd'hui par l'espace urbain. Il est à noter cependant, que les communes urbaines et la Commune annexe se différencient par la qualité de l'habitat, les activités, les modes de vie par rapport au centre-ville. 123 La commune de Lubumbashi est la commune mère de l'agglomération et correspond à l'ancienne ville européenne et est habituellement appelée « ville » par opposition aux autres communes ou « cités » qui sont des quartiers d'habitat populaire. Elle est construite dans le prolongement du quadrilatère de Wangermée et fait des autres communes ou cités des espaces satellites. Elle est le coeur de la ville de Lubumbashi. Elle abrite des directions des institutions politico-administratives et mêmes les grandes entreprises. C'est ainsi que l'on trouve dans la commune de Lubumbashi, le centre-ville : Le Gouvernorat, l'Assemblée Provinciale, la Mairie, la Poste, la Direction Provinciale de l'Agence Nationale des Renseignements (ANR), la Direction Provinciale des Migrations, la Direction Provinciale de Douanes et Accises, la Direction Provinciale des Impôts (DPI), la Direction Provinciale de l'OCC, le quartier commercial et aussi comme nous l'avons souligné le siège de la plupart des sociétés, des industries et des services de la place, en particulier la Générale des Carrières et de Mines (Gécamines), la Société de Chemin de Fer du Congo (SNCC), la Direction Provinciale de la Banque Centrale du Congo, la Banque Commerciale du Congo (BCC), etc. La commune de Lubumbashi est aussi la plus vaste en superficie suivie de celle de Kampemba. Elle comprend des quartiers de résidence aisée qui ont gardé leurs aspects de la ville coloniale bien qu'aujourd'hui la majeure partie de leur population est d'origine congolaise et africaine. Au sud du Centre-ville se trouvent les communes de Kamalondo et Kenya qui sont de vieilles cités correspondant à l'ancien Centre Extra-Coutumier (CEC) rappelant des quartiers africains de l'époque coloniale. Ces deux cités sont densément peuplées et occupées. Si Kamalondo est particulièrement à sa limite d'accueil, Kenya s'accroît encore légèrement vers les espaces marécageux et insalubres, jadis considérés comme de dépotoirs, tels les quartiers : maman na batoto, brodo. Les habitants de ces deux communes (Kenya et Kamalondo) sont essentiellement des ouvriers, des commerçants, des libéraux travaillant dans le secteur informel ou de la 124 débrouille. Ils préfèrent d'ailleurs être appelés pour la plupart des « débrouillards ». La commune de Kampemba occupe tout l'Est et le sud-est de la ville de Lubumbashi et est hétérogène dans ses fonctions et dans ses paysages. On y trouve deux quartiers industriels Nord et sud où sont installées des usines, telles que les Brasseries Simba, Chemaf, Forest, Manoa, VAP, EXACO, Bralima. Situées respectivement à l'extrême Sud-Ouest et à l'extrême Nord-est de la ville, les communes de Katuba et de Ruashi ont beaucoup de caractères en commun. Chacune d'elles comprend des cités planifiées et équipées en eau et très peu en électricité, des cités d'auto construction et semi-rurales. Les extensions de ces deux communes, notamment Katuba Kisanga pour Katuba et Luwowoshi pour la Ruashi, sont rattachées administrativement à la commune Annexe, bien qu'elles forment corps avec l'espace urbain des deux communes précitées. La population de ces deux communes a un mode de vie semi rural caractéristique des quartiers populaires de la plupart des villes négro-africaines. Ainsi, à la Ruashi, l'agriculture est pratiquée aux environs immédiats de la cité, parfois dans la parcelle même, tandis que beaucoup d'habitants de Katuba ont leurs champs dans la partie méridionale de la zone périurbaine. La partie rurale de la ville de Lubumbashi constitue enfin la septième commune ou annexe qui entoure de tous côtés l'espace urbain et se trouve peu à peu grignotée par ce dernier. Comme nous l'avons souligné pour Katuba Kisanga et Luwowoshi. Outre ces deux quartiers, la commune Annexe comprend quelques localités plus ou moins rurales comme Kasungami, Kalebuka, Kabulameshi, Karavia, Naviundu, Luano, Kibembe et Kasapa. Le pouvoir urbain est représenté par la Mairie de Lubumbashi qui abrite la majeure partie des services administratifs. La ville de Lubumbashi est limitée au Nord et au sud comme à l'Est et à l'Ouest par le territoire de Kipushi dans le District du Haut- Katanga de la manière suivante : 125 - Au Nord : par la localité Kawama, à 15 km, sur la route Likasi ; - Au sud : par la mission catholique salésienne à Kafubu, à 20 km du centre-ville, et, - A l'Ouest : par le lac Kipopo, à 25 Km de la ville. Au niveau de la structure de base, Raphael Bushabu écrit : « Au niveau fondamental de la structure sociale de l'agglomération lushoise, la vie familiale se déroule dans un logement qui se différencie suivant les trois types de quartiers qui la définissent : les résidentiels, les planifiés et les périurbains. D'une manière générale, l'habitat familial est de forme rectangulaire. Le logement familial est généralement bas et les murs peuvent être édifiés soit en durs, en parpaings ou en briques, soit en pisé ou en dobes. Le sol peut être couvert d'un carrelage, de ciment ou simplement en terre battue. L'équipement ménager se résume très souvent à quelques habits, des ustensiles de cuisines en argiles ou en aluminium, une radio, une table avec quelques chaises et tambourets, lits, matelas, ou simplement une natte ou une couverture que l'on dépose à même le sol, lequel est à peine couvert. L'électricité étant rare, l'éclairage est assurée à l'aide d'une mêche dans l'huile de palme « Katori tori », d'une lampe à pétrole ou d'une bougie».(1) Poursuivant la description de la structure de base l'auteur note encore : « L'équipement de la plupart des habitations familiales est rudimentaire et se résume généralement en un lit pour les parents, une petite table et quelques chaises. La plupart des membres de la famille dorment et mangent à même le sol. En saison de pluies, certaines de ces habitations familiales sont souvent inondées et parfois s'écroulent. (... ) L'hygiène y est réduite à sa plus simple expression. L'équipement sanitaire de ces quartiers spontanés est totalement précaire au point que les habitants sont souvent contraints d'utiliser les équipements de quartiers avoisinants déjà surchargés. Il existe très peu de raccordements au réseau de distribution d'eau, peu ou (1) BUSHABU Piema Kuete R., op. cit, p.137-138 126 pas de dispensaires ni maternités fiables. Les écoles sont souvent rares. C'est partiellement aux bornes fontaines publiques ou privées, aux puits ou dans les rivières que la plupart des quartiers non planifiés et certains habitants de quartiers planifiés vont puiser de l'eau »(1) . Avec les difficultés que connait la Régie de distribution d'eau, les bornes fontaines sont devenues rares et obligent la population à forer les quelques rares conduites d'eau pour trouver les points d'approvisionnement d'eau appelés le « KISHIMPO ». (Kishima pompi ou puits alimenté par une conduite d'eau). Les douches et WC sont dans des conditions très déplorables et traduisent les inégalités des conditions sociales. En dépit des efforts du gouvernement provincial qui s'investit dans le cadre du social à améliorer certaines infrastructures, les marchés de fortune servent encore de lieux de négoces pour les habitants de ces quartiers d'auto construction, bien que de fois on déplore les conditions dans lesquelles les marchandises sont exposées et vendues. En saison de pluies, certains de ces quartiers deviennent inaccessibles à cause de la boue, des eaux stagnantes. La répartition spatiale et sociale de la population active de la ville de Lubumbashi permet de dégager sa stratification en catégories socioprofessionnelles par quartier et suivant les activités dominantes des ménages. Les quartiers résidentiels (Lubumbashi, Golf et Bel-air), d'après les études de César Nkuku (2002), Raphaël Bushabu Mpiema Kuete (1994), Pierre Petit (2000) sont habités par des cadres supérieurs et moyens qui exercent une fonction de direction dans les entreprises publiques ou privées. Mais on y rencontre aussi les agents de l'Etat à partir du grade de chef de bureau et les enseignants à partir du grade d'assistant. Actuellement à cause du caractère composite de leurs populations on y trouve aussi des employés, des ouvriers, des domestiques, des indépendants. Le contenu socio professionnel de la population de ces quartiers s'identifie à ce que Bushabu Piema Kuete appelle la « petite bourgeoisie compradore »(2) de Lubumbashi.
127 Les quartiers populaires, planifiés ou aménagés de Ruashi, Kamalondo, Katuba et Kenya ont une structure socioprofessionnelle très diversifiée. On y trouve des travailleurs qualifiés et des employés qui, en fait, sont les salariés manuels dont les métiers exigent une certaine technicité (industrie et transport) et les salariés subalternes du secteur tertiaire. On y trouve également les ouvriers peu ou pas qualifiés, des entreprises industrielles et des ateliers artisanaux ; les indépendants du commerce et de l'artisanat, les propriétaires de leurs établissements (magasin ou atelier) y compris les trafiquants qui facilitent les échanges commerciaux entre Lubumbashi et son hinterland. Donc le contenu socio- professionnel de la population de ces quartiers s'identifie à la strate moyenne lushoise. Les quartiers périurbains ou périphériques de Lubumbashi (commune Annexe et tous les quartiers d'autoconstruction des autres communes précitées) regorgent les agriculteurs, les charbonniers, les micro-commerçants, les micro-artisans, les chômeurs et autres. Le contenu socio-professionnel de la population s'identifie au « lumpen prolétariat lushois ». Enfin, il convient de noter qu'à côté de la grande masse virtuelle des salariés, on remarque une prépondérance relative du commerce et de l'artisanat, aux mains des indépendants dans les cités planifiées de Kenya et de Katuba, et sous forme de petites activités dans tous les quartiers semi-urbains de Lubumbashi. Ce circuit informel de subsistance concerne plus de la moitié de la population active féminine dans les quartiers populaires, et encore presqu'un tiers dans le centre-ville. L'analyse sociologique du contenu socioprofessionnel des quartiers de la ville de Lubumbashi dégage la diversité socio-stratifiée de l'espace urbain en strate compradore, en strate moyenne et en lumpen prolétariat, en même temps que les conséquences sociales de la conjoncture économique désastreuse que connait depuis un temps la République Démocratique du Congo en général et la ville de Lubumbashi en particulier. 128 2.6. Cadre économique et alimentaire Après une période de prospérité issue de la colonisation, jusqu'au début des années 1970, l'économie congolaise en général et lushoise en particulier a connu, durant plus de 3 décennies, une situation de crise aiguë caractérisée notamment par une croissance négative, une instabilité monétaire, un endettement excessif et des conflits armés de tout bord. Cette situation a entraîné une forte dégradation du pouvoir d'achat de la population. La pauvreté s'est accrue et la société reste marquée par de grandes disparités et un nivellement vers le bas pour toutes les catégories sociales. L'accès aux services sociaux de base (eau, électricité, soins de santé primaires, scolarisation des enfants, etc.) est difficile pour la plupart des ménages. La précarité de la situation sociale est exacerbée par la destruction et le manque d'entretien des infrastructures socio-économiques (voies de communication en particulier) et l'existence d'un nombre élevé de personnes sinistrées victimes, dans leur large majorité, des conflits armés. L'Indice de Développement Humain pour l'année 2006 de la RDC est de 0.361, ce qui classe le pays au 177e rang sur 179 (PNUD, publication 2009). La proportion de la population congolaise vivant avec moins d'un dollar par américain jour est de 71.32%. A l'origine une ville minière, Lubumbashi changea de rôle pour devenir une ville industrielle. L'essor d'autres fonctions s'explique par le sort économique et le rôle que devait jouer la ville en tant que métropole de la province du Katanga et la capitale économique du pays. Confirmant le rôle économique et social de la Gécamines, la République Démocratique du Congo, à travers le document de la stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté note : « la Gécamines était la première entreprise minière du Pays ; elle a fourni en 1980 environ 66% des 129 recettes budgétaires de l'Etat. Elle jouait un rôle social et économique important pour beaucoup de PME se trouvant dans sa périphérie. Pendant plus de 30 ans, cette entreprise a été le moteur de l'économie. Elle était citée parmi les plus grands employeurs de la RDC. En 1990, elle comptait 35000 agents dont 91,8% étaient des agents d'exécution. Elle assurait l'existence de plus de 258000 personnes. Actuellement, la production de la Gecamines en cuivre est passée de 465000 tonnes avec un prix de 2855 dollars américains la tonne (en 1990) à 19000 tonnes avec un prix de 1800 dollars américains la tonne (en 2002) entrainant des conséquences graves sur l'économie et sur le social ».(1) Confimant l'importance économique de la Gécamines Aimé Mukena souligne cependant, « dans l'imaginaire des gens de ma génération, la Gécamines telle qu'elle se présente aujourd'hui à la face du monde, est cadavre industriel spéctaculaire. Première société d'Etat qui a fait des prodiges dans la production des biens et des capitaux de la République, premier secteur clé de l'économie nationale, son état de santé actuel frise un drame. Cime glorieuse de l'humanité congolaise de l'époque à laquelle le jeune Mobutu prêtait attention la plus inquiete, la plus vigilante et la plus héroïque face à l'impérialisme occidental post-colonial, dans l'imaginaire de ma génération, dis-je, la Gécamines ressemble aujourd'hui à une honte nationale, une disgrâce publique, presque un déshonneur collectif. Empire industriel, financier, immobilier, géant minier qui forçait la fierté nationale, au Katanga, en tout cas, personne n'accepte sa mort tragique comme un accident quelconque. Au contraire, tout le monde déplore le sort de la Gécamine comme un complot ourdi non seulement contre un empire financier mais également contre le capital humain le plus vigoureux et le mieux séléctionné d'Afrique noire qui a fondu dans une épidémie de panique et de peur. »(2)
130 Le secteur industriel de la ville de Lubumbashi au sens plus large est très diversifié. Il comprend en premier lieu et à cause de son importance, l'industrie minière et métallurgique, en deuxième lieu les industries diverses servant celle-ci et en troisième lieu les industries fabriquant des produits de consommation. En raison de la libéralisation du secteur minier en République Démocratique du Congo, Il existe maintenant plusieurs entreprises dans ce secteur à Lubumbashi. Il y a la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines), Ruashi Mining, Tenke Fungurume Mining (TFM), Chemical of Africa (Chemaf), AMCK, Anvil Mining, Cota Mining, Kisenge manganèse, Somika, MCK, STL, Fondaf, EGMF, KMP (Katanga Metal Proccessing), Etalon Mining etc. Dans le secteur agricole et alimentaire on note les entreprises ci-après : DAIPN Kilobelobe,
Minoka, Manoah Le secteur commercial occupe aussi dans la ville de Lubumbashi une part importante dans l'économie lushoise. Les multiples activités de négoce, plus répandues dans la ville de Lubumbashi à travers tous les quartiers entrainent et expliquent la puissance du secteur bancaire et financier principalement dans la commune de Lubumbashi « centre-ville » où on trouve les sièges de banques notamment, la Banque Centrale, la Banque Commerciale, la Rawbank, la Banque Internationale Africaine au Congo (BIAC), la Trust Merchand Bank (TMB), Bank of Africa (BOA), ainsi que plusieurs institutions et Sociétés de Microfinance (Procredit banque, Tujenge, Finca,). Le secteur de transport est représenté, d'une part, par les compagnies : Congo Airlines, Korongo Airlines, Compagnie Africaine d'Aviation (CAA), Demura entreprise, Société de Chemin de Fer du Congo (SNCC), Amicongo, Agetraf, Hakuna Matata, ainsi que plusieurs agences agréées. 131 La population est composée des salariés et des sans-emplois en proportion considérable. Aussi, à cause du degré élevé de la pauvreté, la grande partie d'activités économiques est dans le secteur informel. Comme dans beaucoup de villes de la République Démocratique du Congo, les problèmes de sous-alimentation, provoqués par l'écart entre la croissance démographique galopante et la croissance moins rapide de la production vivrière locale ne peuvent être résolus de manière habituelle, par des importations des vivres. Au fait le problème réside dans la définition et l'application d'une bonne politique des productions vivrières locales, ainsi que dans la qualité et la quantité d'aliments. A Lubumbashi, deuxième ville de la République Démocratique du Congo, la majorité de ce qui est consommé vient de l'extérieur et de son interland. Et à cause des coûts de transport élevés dûs au délabrement des réseaux routiers notamment de desserte agricole, des distances et de multiplicités des taxes, les prix de produits alimentaires élevés et posent le problème de survie des ménages. La farine de maïs qui est consommée par la majorité de la population de Lubumbashi vient de la Zambie, le riz en grande partie de l'extérieur (Pakistan, Inde et autres), la partie qui venait de Kindu au Maniema n'arrive plus à cause des difficultés que connait la Société Nationale des Chemins de Fer (SNCC), Le poisson salé, frais ou fumé, chinchard (thomson) viennent de Kasenga, Kapolowe, Kalemie et Afrique du sud ; l'huile de palme vient de Kindu, du Kasaï et de Bandundu par voie ferrée. Beaucoup de produits consommés à Lubumbashi proviennent de l'Afrique du Sud, de la Zambie, de la Tanzanie, du Malawi, de l'Asie et de l'Europe. Donc la présence de divers produits de consommation courante et de luxe importés montre que les produits locaux, à eux seuls ne peuvent pas satisfaire aux multiples besoins de la population lushoise. Cependant, il faut noter que les produits alimentaires parviennent quand même à arriver dans les marchés implantés dans les différents quartiers de la ville de Lubumbashi, car ceux-ci ne sont pas vides, nonobstant le fait que nous ayons leur coût élevé. 132 Le « bukari », une pâte à base de la farine de maïs, est l'aliment de base des populations de la ville de Lubumbashi. Au niveau de la consommation interne, il représente environ 20% des éléments glucidiques de la ration de lushois. La forte demande en maïs a fait que depuis longtemps le prix de cette denrée augmente. Mais depuis l'implication du gouvernement provincial sous la direction de monsieur le Gouverneur Moise Katumbi Chapwe auprès des entreprises minières pour soutenir la culture des maïs, le prix de ce produit a été revu sensiblement à la baisse à cause de l'augmentation de la production locale qui supplée aux importations de cette denrée. Les difficultés économiques des ménages et le coût élevé des biens de première nécessité, notamment les produits alimentaires obligent la majorité des lushois à renoncer à prendre trois repas par jour. Or on sait que mal se nourrir entraine vite la malnutrition qui ne signifie pas seulement la sous-alimentation, mais aussi la suralimentation qui est à la base de plusieurs maladies du coeur, des vaisseaux sanguins et de l'obésité observée chez les lushois aisés. La sous-alimentation entraine beaucoup de maladies endémiques, surtout infantiles, comme le kwashiorkor, le marasme et le rachitisme dont les cas sont les plus souvent rencontrés dans les quartiers populaires et périurbains de Lubumbashi. Dans beaucoup de ménages, les trois repas par jour évoqués ici se sont réduits à deux, voire très souvent à un seul avec une monotonie exagérée du « bukari » avec comme condiments le « kitoyo », le « ndakala » et des légumes du premier au trentième jour du mois. La viande étant devenue une denrée très rare et coûteuse, donc non accessible à tout le monde, au point que manger la viande est synonyme de fête dans certains ménages. A ce sujet, Bushabu Piema Kuete note que le comportement du citadin lushois consiste à consacrer la plus grande part de son argent à l'alimentation jusqu'à la satisfaction de ses besoins. Et lorsque ceux-ci sont satisfaits, il peut alors porter son choix sur d'autres dépenses non alimentaires. Cette priorité de la nourriture laisse entrevoir une certaine 133 insuffisance alimentaire généralisée à laquelle n'échapperaient que les revenus supérieurs observés plus dans des quartiers résidentiels que dans les populaires et les périurbains. Mis devant un choix, le consommateur au budget limité choisit habituellement les aliments les moins chers et opterait pour la quantité et non pour la qualité(1). L'analyse de cet éminent chercheur corrobore celle de Joseph Houyoux et Yann Lecoanet qui, partant de l'estimation de la consommation à posteriori à partir des dépenses, ont constaté qu'une grande partie de l'alimentation à Lubumbashi est d'origine végétale et typiquement traditionnelle. La consommation importante de maïs transformé en Bukari, explique une couverture de 63% des besoins en protéines des habitants à revenus salariaux très limités. La consommation de la viande est partout un luxe.(2) En effet, si dans le milieu traditionnel, l'alimentation de l'individu est plus fonction des conditions écologiques que de sa situation économico-sociale, à Lubumbashi elle dépend de son insertion dans le circuit monétaire par ses possibilités à gagner de l'argent. Ceci explique la débrouillardise de beaucoup de ménages lushois au regard du degré de la précarité économique à laquelle ils sont soumis pour des raisons diverses. Donc qu'on réside dans les quartiers résidentiels (Centreville, Golf ou Bel-air), les quartiers planifiés ou populaires (Kamalondo, Kenya, Katuba, Ruashi) ou périurbains (Luwowoshi, Kasungami, Kigoma, Kasapa, Brodo, etc) c'est le niveau économique du ménage auquel on appartient qui détermine la qualité et la quantité de sa ration journalière. 2.7. Les problèmes urbains Le développement rapide de la ville de Lubumbashi tant sur le plan démographique que sur le plan de son urbanisation pose certains problèmes d'alimentation en eau, en électricité et même d'équipements résidentiels.
134 Assurée à l'origine d'abord par l'Union Minière du Haut Katanga, l'alimentation et la distribution d'eau sont depuis 1945, l'affaire de la REGIDESO. En 1960, les quartiers européens et les cités ouvrières étaient desservis par des bornes fontaines. En 1984, 4 stations de captage ont été mises en service et trois quarts de ménages sont servis en eau potable. Toujours est-il que la situation n'est pas pourtant uniformément résolue. Le niveau de l'équipement étant inégal selon les quartiers. Si au centre-ville, toutes les maisons sont raccordées, dans les cités et les camps des travailleurs chaque parcelle est desservie le plus souvent par un robinet extérieur. Plus on s'éloigne du centre-ville, l'inégalité de répartition se fait sentir avec acuité. C'est précisément le cas des cités de plus en plus périphériques et les cités d'auto construction, évoluant sous l'emprise de manque total de ce genre d'équipements. D'où le recours de la population soit à des nombreux puits creusés à cet effet malgré les risques dûs à la pollution des eaux, soit le cas échéant, la population est censée effectuer d'incessantes navettes en vue de s'approvisionner en eau dans les quartiers avoisinants. C'est ici l'occasion de rappeler que la pauvreté de la population congolaise en général et de Lubumbashi en particulier est un phénomène global dont l'état du secteur de santé n'est qu'un indicateur. Or, à Lubumbashi, la plupart des maladies dont souffre la population sont d'origine hydrique. L'eau potable est devenue un luxe de quelques quartiers urbains, la majorité des Lushois boivent une eau infectée. Les femmes et aussi les enfants doivent dans certains quartiers faire plusieurs kilometres pour trouver un point d'eau même poluée. Car dans certains endroits, trouver un puits cimenté ou une citèrne alimentée par une pompe imergée d'un puits foré dans la parcelle où l'eau est en permanence est un signe de progrès qui modifie les conditions d'existence des Lushois. Depuis 2008, à cause du manque d'une politique de renouvellement d'équipements et des difficultés que connait la Société nationale d'électricité, la fourniture et l'approvisionnement en eau dans la ville de Lubumbashi devient aléatoire. L'eau est devenue une denrée rare et moins 135 sécurisante, au point qu'il est maintenant difficile de dire que cette eau est encore potable. Sur le plan national, « la riche hydrographie de la RDC lui confère un potentiel hydroélectrique estimé à 100.000 MW, soit 13,0% du potentiel hydroélectrique mondial. La puissance installée totale est évaluée actuellement à 2.516 MW, soit 2,5% du potentiel total et la production moyenne possible à 14500 GWh. La production effective n'est actuellement que de 6.000 à 7.000 GWh. La quasi-totalité de la capacité de production hydroélectrique est de 96%. Le reste étant essentiellement constitué de centrales thermiques de faibles puissances et, pour la plupart, situées dans des zones isolées. Le barrage d'Inga, sur le fleuve Congo, est la principale source de production d'énergie hydroélectrique. Il comprend aujourd'hui deux centrales ayant une puissance totale de 1.775 MW. Malgré ces atouts, les centrales d'Inga ne produisent ensemble que 40% de leur capacité. Une bonne partie de cette production est destinée à l'exportation, laissant ainsi la demande locale insatisfaite. Cette situation fait que le taux d'accès de la population à l'électricité est de 1% en milieu rural, 30% pour les villes et 6% sur le plan national ».(1) L'observance d'une inégalité de répartition dans l'espace urbain mérite d'être relevée dans la fourniture d'énergie électrique. Progressivement la société nationale d'électricité s'essouffle, alors que la ville s'étend de plus en plus et le besoin en raccordement au réseau électrique devenant aussi croissant dans les quartiers d'auto construction et périphériques, le centre-ville et les quartiers urbanisés qui étaient servis en électricité sont confrontés au problème de vétusté des équipements. Le délestage devient monnaie courante. Même les quartiers industriels et commerciaux ne sont pas épargnés. Avec ça la population est obligée de s'approvisionner en vivres frais au jour le jour à cause de l'irrégularité de la chaine de froid. Au sujet des équipements résidentiels, nous notons que lors de sa création en 1932, le centre extra-coutumier d'Elisabethville comptait 9000 (1) DSCRP, 2006, p.33 136 habitants, sa population était restée un peu stagnante jusqu'au début de la deuxième guerre mondiale, en 1940. Mais huit ans plus tard, soit en 1948, la population urbaine avait triplé créant ainsi une crise aigüe du logement. Déjà en 1948, 33500 habitants se partageaient 16000 chambrettes dont la surface était inférieure à 9 m2, alors que d'autres étaient obligés de loger dans des paillottes ou habitat de fortune dans la périphérie de Lubumbashi. Face à cette situation, les autorités coloniales avaient alors obligé les employeurs de plus de 20 ouvriers à loger leur personnel, cette politique a donné naissance aux différents camps de travailleurs que l'on trouve encore dans la ville de Lubumbashi. De 1949 à 1956, la formule dite de Grevisse permit la construction d'environ 8000 logements principalement dans les communes de Kenya et de Katuba. Cette formule laissait à la population l'opportunité de construire leurs maisons par des fondations et avec des matériaux octroyés sous forme de prêt remboursables au Fonds d'avance. Presque dans la même période, l'Office National de Logement (ONL) né des cendres de l'Office des Cités Africaines (OCA) entreprit la construction de quelques maisons modernes entre 1954 et 1955 à Kamalondo et étendit son action à partir de 1956 en construisant les cités de Ruashi et de Karavia. De 100000 habitants en 1956, la ville de Lubumbashi est passée à 183000 habitants en 1960 et à 1.653.000 habitants en 2011 alors qu'aucune politique globale d'habitat n'a été envisagée depuis lors pour résoudre le problème de logement. La pénurie de logements, la montée spectaculaire des taux de loyer et des difficultés économiques ont réduit et fragilisé encore le Lushois moyen déjà paupérisé et l'ont poussé à s'engager dans des processus d'autoconstruction et taudification de l'espace urbain. Aujourd'hui, Kigoma, Tabacongo, quartier-Congo, Luwowoshi ou Zambia, Kasapa, Kasungami et pourquoi pas, les habitations vendues aux travailleurs dans ce qui était autrefois les camps (SNCC et GCM) offrent un visage désolant et traduit cette réalité. Toutefois si le processus d'autoconstruction traduit la volonté légitime des ménages à trouver un logement, il est pour les autres une source 137 indéniable des revenus financiers et relève de stratégie de survie des ménages. La ville de Lubumbashi a été faite des basses constructions au milieu des vastes parcelles jusqu'à la périphérie de la ville ou banlieue, c'est-à-dire des grandes parties des piscines, parois d'arbres de toutes sortes. C'est singulièrement le cas de la partie Nord de Lubumbashi et du quartier Golf. Pour ce qui concerne la qualité de résidences les maisons de très bonne qualité se trouvent dans la commune de Lubumbashi et le quartier Bel air de la commune de Kampemba, alors que dans les communes de Kamalondo, Kenya, Katuba, Ruashi les maisons sont relativement bonnes mais également exiguës. Dans les quartiers d'auto construction s'observent des maisons de qualité moyenne voire précaire, bien que dans certains quartiers d'autoconstruction comme CRAA et Hewa Bora on trouve aussi de belles maisons comme celles de quartiers résidentiels. Dans sa globalité, l'habitat est du type pavillonnaire constitué des maisons individuelles. La ville regorge plusieurs débouchés servant à ravitailler la population. Sur le plan économique, le pouvoir d'achat des travailleurs a connu une chute vertigineuse à tel point qu'actuellement, on parle plutôt de la survie. Les salaires des travailleurs sont dérisoires et irréguliers et ne permettent pas aux salariés de nouer les deux bouts du mois et donc de satisfaire les besoins élémentaires quotidiens de la famille. Les pères de famille, à cause de la crise, sont devenus incapables de satisfaire les besoins élémentaires des membres de leurs familles. Leur autorité vis-à-vis de leurs épouses et des enfants se trouve moralement entamée. Cet état de choses justifie, entre autres, la multiplication des cas des enfants qui espèrent trouver la sécurité sociale dans la rue ou dans la pratique de la prostitution dans le cas des filles, ou dans la mendicité. Le salaire mensuel insuffisant et irrégulier ne permet pas aux parents de prendre en charge les frais scolaires de leurs enfants ni de satisfaire à leurs besoins corporels comme, par exemple, leur payer des habits à la mode, la lotion ou le lait de beauté, leur procurer l'argent de poche pour 138 leurs loisirs ou pour l'achat des friandises à l'école, etc. Cette situation conduit les enfants, dans certaines circonstances, au vagabondage, à la délinquance juvénile et à d'autres méfaits dont les jeunes non scolarisés sont les victimes. Les conditions sociales et économiques sont telles que les parents sont obligés de s'absenter longtemps de la maison. Leur retour est tardif et ils ne consacrent guère assez de temps pour l'éducation de leurs enfants : écouter leurs doléances, leur prodiguer des conseils, partager leurs joies et leurs peines. La plupart d'enfants voient leurs rêves rompus et se sentent négligés et rejetés par les parents qu'ils croyaient concourir à leur bonheur. Ainsi, avec le temps, ces enfants éprouvent de l'aversion à l'endroit des parents. Dans ce contexte, la famille ne remplit plus les critères d'érection en un espace de référence qui offre sécurité, soins, nourriture et autres avantages sociaux à ses membres. Les pères de famille, de plus en plus « périphérisés » par manque de moyens de leur politique familiale, perdent le contrôle de leurs familles. Parfois, les enfants, considérés comme les auteurs des malheurs qui s'abattent sur la famille, sont chassés du foyer et doivent se débrouiller ailleurs. Nous assistons, à partir des années 1970 qui inaugurent la crise congolaise, à l'apparition du phénomène « enfants de la rue et enfants dans la rue », produits de la pauvreté criante qui a élu domicile dans la ville de Lubumbashi. La période de transition politique s'est accompagnée d'un cortège de malheurs qui ont affecté la population congolaise tout entière : pillages et détérioration du tissu économique, inflation monétaire galopante entraînant la hausse exagérée des prix des denrées de première nécessité, retard dans le paiement des salaires déjà insuffisants des travailleurs des secteurs tant privé que public, diminution considérable du pouvoir d'achat de la population, etc. Cette crise économique a consacré le développement ou l'actualisation des activités informelles. Cette situation a bouleversé 139 les rapports de genre. Elle a libéré les ménagères qui dépendaient économiquement de leurs époux dont l'emploi donnait à la famille un statut social et dont le salaire était la seule source importante de revenu. La pénurie a forcé les femmes à se lancer, de façon fracassante et en grand nombre, dans l'économie informelle qui leur permettrait de contribuer largement au budget familial. Dans certains ménages, la situation économique des femmes a contribué à rejeter les époux dans la marge. Leur autorité a décliné, tandis que les épouses devenaient le point central du ménage. Cette inversion des rôles a été accompagnée d'une redéfinition des relations entre les différents membres de la famille. Certaines femmes devenues économiquement fortes ont considéré leurs conjoints comme des charges inutiles, des bouches excédentaires dont il fallait se débarrasser. 2.8. Contexte socioculturel Devant les difficultés économico sociales, psycho-sanitaire et la pertinence des motivations en faveur de la survie du ménage, les croyances et les dogmes traditionnels s'ébranlent dans le rapport hommes-femmes dans la ville de Lubumbashi. Dans son ouvrage intitulé : L'énigme de Ntu. Regard sur la Région des Grands lacs africains, Tshimpaka Yanga dénonce la culture d'avarice et de la privation délibérée du droit à l'argent. Il démontre cela en ces termes : « dans le cas de notre pays, je constate non seulement une sorte d'avarice nationale, mais aussi, une culture entretenue de la privation délibérée du droit à l'argent aux travailleurs. La fixation par l'Etat des salaires modiques, irrégulièrement payés, et souvent détournés par les mandataires, dans un environnement socioéconomique où il n'existe pas des institutions de crédit financier fait absolument penser d'une part, à une mal adaptation à une économie monétaire mondialisée, et d'autre part, à la survivance, ou mieux, au prolongement du système colonial des corvées »(1). L'auteur montre aussi (1) TSHIMPAKA Yanga., L'énigme de Ntu. Regard sur la région des grands lacs africains, Lubumbashi, Cactus, 2006, p. 173 140 que cette privation des salaires décents non seulement n'a pas permis le développement des réflexes appropriés pour la manipulation de l'argent, mais constitue le prolongement du mode de production esclavagiste et du système colonial de longues corvées qui pervertissent le sens local de l'usage et de la fonction de l'argent. Nous ne voulons pas affirmer ici que la ville de Lubumbashi est un milieu privilégié de déstructuration des valeurs traditionnelles, tribales ou ethniques en faveur soit de l'homme soit de la femme. Mais à cause de la mondialisation de l'économie et des valeurs humaines, elle façonne certaines attitudes et comportements nouveaux et influence le changement de la structure familiale suivant le temps, l'espace et les circonstances. A ce sujet encore, Tshimpaka écrit : « il est à noter que, d'une part, le blocage des voies normales d'acquisition et d'accumulation de l'argent est à la base de l'intensification des pratiques fétichistes affectant même les chrétiens qui fréquentent les églises. Ces pratiques, dit-on, amènent les désespérés à se faire envoyer au milieu de la nuit, dans les cimetières pour y invoquer des « esprits-porte-bonheur » qui les assisteraient à trouver de l'argent d'une façon ou d'une autre. D'autre part, la privation prolongée des moyens de subsistance adéquats, a aussi entraîné la fragilisation croissante des structures familiales, à la suite des accusations de sorcellerie »(1). Il est évident qu'il n'existe pas un seul type de famille traditionnelle : chaque groupe ethnique a son propre système familial, tantôt patrilinéaire, tantôt matrilinéaire, tantôt bilinéaire, tantôt matrilinéaire avec des éléments du système patrilinéaire ou encore patrilinéaire avec des traits du système matrilinéaire. L'environnement socio-culturel de Lubumbashi dominé par des communautés matrilinéaires d'origine bemba et lamba, tribus originaires de la région sud où a été construite la ville de Lubumbashi, influence vraisemblablement le comportement matrilinéaire dans le chef de certains Lushois tendant à donner à la femme certaines prérogatives au nom de la (1) TSHIMPAKA Yanga, op. cit, p.178-179 141 coutume. C'est par exemple, le cas de la responsabilité et la charge des enfants. Mais en tant que ville métropolitaine et ouvrière, Lubumbashi a eu à accueillir plusieurs personnes issues des traditions différentes. La cohabitation des valeurs traditionnelles matrilinéaires à côté des valeurs patrilinéaires au regard des exigences économiques de survie a amené une marginalisation économico sociale et matrimoniale de la femme, la féminisation de la pauvreté, la prostitution, l'abandon des enfants. Aussi l'on note que la création et l'organisation des Centres extra-coutumiers, comme Elisabethville aujourd'hui Lubumbashi, dans toute la colonie du Congo belge était mue par la volonté d'annihiler la diversité coutumière et former une société détribalisée, anonyme. Mais, d'après Dibwe dia Mwembu, cet objectif colonial, à savoir la formation d'une société urbaine détribalisée, ne fut qu'une illusion. D'abord, au niveau rural, le souci de regrouper les Congolais par affinité tribale ou ethnique a amené l'administration coloniale à légitimer les identités ethniques et tribales par la création des entités administratives auxquelles elle attribuait des noms des grandes tribus ou ethnies majoritaires. Ensuite, dans le milieu urbain, le colonisé et le colonisateur contribuèrent, chacun de son côté, à étouffer dans l'oeuf cette future société urbaine moderne en gestation. Au fil du temps, les simples regroupements d'accueil et d'intégration ont évolué vers des associations socioculturelles ethniques et tribales, c'est-à-dire des formes plus structurées des masses provoquées par la compétition dans la recherche de l'emploi et la promotion sociale, besoins qui n'étaient pas en vue tant que la société se portait garante de la sécurité sociale de ses travailleurs. (1) Certains chercheurs pensent que les associations socioculturelles sont une adaptation des petits groupes villageois communément appelés lignages, groupes de parenté au sein desquels se (1) DIBWE dia Mwembu D., Bana Shaba abandonnés par leur père : structures de l'autorité et histoire sociale de la famille ouvrière au Katanga, 1910-1997, Paris, L'Harmattan, 2001. 142 pratiquait la solidarité au niveau familial et clanique. En ville, pour faire face au chômage et à la misère, la pratique villageoise, le lignage donc, a débordé le cadre familial et clanique pour atteindre les frontières tribales et ethniques. « Incapable, note Mwamba Sinonda, de subvenir isolément à ses besoins en raison de la mise en oeuvre de techniques culturales rudimentaires, le Congolais rural compte, depuis des siècles, sur les autres membres de sa communauté pour survivre, en attendant d'eux aide, protection, existence même. Il a ainsi toujours trouvé sa sécurité personnelle dans la vie communautaire, dans un groupe où prévalent les solidarités familiales et claniques. Ce besoin séculaire d'intégration totale incite le Congolais, lorsqu'il s'installe dans un centre urbain, où il se retrouve généralement dans un dénuement total en raison du chômage et du sous-emploi qui y sévissent, soit à se faire membre d'une association ethnique, soit à s'insérer dans un réseau de liens de clientèle à base ethnique»(1). C'est donc cela qui explique l'importance sociologique des associations culturelles comme stratégies de survie, qui ne peuvent être compris que dans le contexte des familles étendues africaines et dans la dynamique des réseaux sociaux. C'est dans ce contexte que les sectes religieux, miroitant d'une part la résorption des misères par des miracles et assurant, d'autre part, l'assistance matérielle et financière à leurs membres, recrutent davantage leurs adeptes. Et les Lushois en sont des fers de lance. De tout ce qui précede, nous pensons qu'il ne fait aucun doute que l'aggravation des conditions de vie de la population de Lubumbashi entrave aussi sa survie et son propre développement. La fraction dirigeante tout comme La Low Level Corruption dont on a déjà parlé danc cette thèse doivent alors comprendre qu'ils sont en train de créuser leur propre tombe. Car les masses populaires ne tarderont pas à se rendre compte qu'elles ne (1) MWAMBA Sinonda, « Des joutes électorales aux conflits intercommunautaires en R.D.CONGO », In Likundoli : Mémoire et enquête d'histoire congolaise, X (2006) 1-2, pp. 59-60. 143 peuvent survivre que si elles cessent d'être exploitées et opprimées. Il faudra, comme le précise Jean Marc Ela « que les privilégiés d'aujourd'hui comprennent qu'ils ne peuvent dormir en paix dans leurs îlots de prospérité que s'ils revalorisent ceux qui produisent la fortune des nouveaux Etats avec leurs dix doigts. Car en prenant conscience de la situation qui leur est faite dans la répartition des biens nationaux, la masse des affamés ne peut manquer de s'unir, de retrouver la force de resistance à l'exploitation ».(1) 2.9. Conclusion partielle Ce chapitre a été essentiellement consacré à la description du cadre d'étude, à savoir la ville de Lubumbashi afin de permettre de saisir de manière claire et globale, les divers problèmes socio-matériels, socio-économiques et socio-culturels qui s'y posent et provoquent aussi bien des inégalités et des exclusions mais aussi un changement de rôle social dans la recherche des voies et moyens pour la survie des ménages. Comme dans la suite de cette étude, nous allons particulièrement nous intéresser à voir comment la population qui vit dans une situation de précarité économique à cause de la modicité, de l'irrégularité du salaire, ou tout simplement à cause de sa pauvreté relative cherche à assurer la survie de son ménage par des stratégies diverses. Ces stratégies de survie ont amené avec elles le changement des mentalités dans le rapport hommes-femmes dans la ville Lubumbashi et suscitent dans leur compréhension l'adoption de l'approche genre. L'analyse éco-systémique de la ville de Lubumbashi, nous a permis de dégager trois types des quartiers : les résidentiels, les planifiés-populaires et les non-planifiés ou périurbains. Or dans tous ces quartiers les difficultés économiques de tout bord obligent les habitants à se livrer à des multi-activités pour survivre. C'est ainsi que dans cette étude sur le genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi (1) ELA, J.M., op. cit, p.205 144 nous envisageons de tirer notre échantillon dans tous les trois types des quartiers afin de saisir cette réalité dans sa globalité et sa complexité. Car ce sont toutes les couches de la ville de Lubumbashi qui sentent ou assistent à la détérioration de leur niveau de vie et voient leur reproduction matérielle et biologique sérieusement menacée. Il nous parait donc légitime de parler de stratégies de survie comme phénomène social, tendant à développer un ensemble des comportements visant à résister aux forces ou processus de détérioration. C'est dans ce cadre que nous allons analyser le genre et la situation des ménages dans la ville de Lubumbashi. 145 CHAPITRE III: GENRE ET SITUATION DES MENAGES DANS LA VILLE DE LUBUMBASHI 3.1. Introduction A cause de l'aggravation des difficultés économiques et sociales et le désengagement progressif de l'Etat dans les domaines de la santé et l'éducation, on assiste à Lubumbashi à l'émergence d'une nouvelle forme de pauvreté, avec l'apparition de nouveaux pauvres et d'exclus. Dans la ville de Lubumbashi, la régie de distribution d'eau (REGIDESO) ne compte que 33132 abonnés pour une population évaluée à 1476374 en 2009, soit 15,71% des ménages qui ont accès à l'eau de la REGIDESO et 48% au réseau électrique, 46% aux soins de santé primaire.(1) Au niveau des ménages, la famille remplit de plus en plus difficilement ses fonctions de reproduction, de production, de consommation, d'éducation et de transmission des valeurs. Lieu de socialisation par excellence, la famille, soumise aux pressions résultant de la situation économique, n'est plus à mesure d'imposer une orientation forte à ses membres ni de fixer les normes. Les familles sont confrontées aux changements et aux difficultés pour satisfaire leurs besoins essentiels pour vivre et dans certains cas, pour survivre. La dégradation du tissu économique, accompagnée d'une baisse du pouvoir d'achat à cause de la perte d'emploi, de la retraite anticipée ou encore d'un licenciement, a rendu la plupart des ménages incapable d'activer des réseaux relationnels pour satisfaire leurs besoins primaires et même changer le visage de la pauvreté en milieu urbain. Parmi ces nouvelles figures, on trouve les femmes, les adolescents et les enfants. 3.2. La pauvreté et l'exclusion de la femme à Lubumbashi La situation de la femme tout comme des ménages lushois est conditionnée par un ensemble d'éléments de fragilisation qui est révélateur (1) INS, Le Katanga en chiffres, Devinfo, Novembre 2010, p. 26 146 des conséquences conjuguées de changements sociaux profonds. Ainsi, l'objet de cette section est d'analyser l'évolution du cadre macroéconomique de la ville de Lubumbashi et de souligner son impact sur la survie des ménages à travers les différentes transformations sur le marché de l'emploi et du modèle familial. 3.2.1. Les conditions générales de fragilisation de la femme La pauvreté des femmes congolaises en général et lushoises en particulier constitue un nouveau champ de recherche pour les scientifiques et les organisations non gouvernementales. Si elle n'est pas nouvelle, elle exprime, cependant, la fragilisation systématique des femmes. Le processus d'appauvrissement des femmes congolaises au cours de ces deux dernières décennies est pluridimensionnel. Il découle d'un ensemble de déterminants conjoncturels, structuraux et socio-culturels, parmi lesquels les inégalités liées à la socialisation qui maintiennent les femmes dans les sphères domestiques. La question de la marginalisation, de la fragilisation, de la jouissance de la plénitude de droits et des capacités ou même encore de la promotion du statut de la femme fait couler aujourd'hui beaucoup d'encre et de salive. Elle suppose de profondes transformations de la société, aussi bien dans l'organisation de la vie professionnelle que dans les structures familiales. Car les femmes sont aujourd'hui, à l'ère de la mondialisation et de la révolution de la modernité inconsolables au sujet de leur marginalisation par le simple fait qu'elles sont femmes. A l'occasion du séminaire International sur les nouveaux enjeux du développement pour les femmes en Afrique et dans son exposé sur les temps des femmes, KAMBAY bwatsha, note : « Presque partout dans le monde, la femme a été subordonnée à l'homme. Un regard attentif sur l'évolution de l'humanité permet de nous renseigner que la problématique de l'égalité de chances entre les sexes est aussi vieille que le monde. Elle est quasi universelle et se fonde sur les préjugés négatifs que les idéologies dominantes ont construits au sujet de la femme. 147 « La situation injuste que connaît la femme se traduit dans toutes les sociétés par le clivage ahurissant entre d'une part, le rôle vital que lui reconnaît la société à travers soit disant « merveilleuse mission », celle d'épouse, de génitrice et d'éducatrice, et d'autre part l'image et la place qui lui sont réservées au sein de la société. Tandis que les grandes religions monothéistes vont jusqu'à consacrer l'infériorité et l'impureté de la femme, les courants de pensée se sont développés, les uns pour justifier la subordination et l'infériorité naturelles de la femme, les autres pour condamner cet état de choses et dénoncer le traitement injuste que la société impose à la femme. Les traditionalistes plaident pour la soumission de la femme à l'homme. Elle est d'ailleurs une « enfance continue », un « être inaccompli biologiquement » et par conséquent, il est dangereux de lui confier d'autres tâches que celles d'épouse et de ménagère. D'autres partisans de la soumission de la femme croient dans ce sens que « la destinée de la femme et sa seule gloire sont de faire battre le coeur de l'homme ... Elle n'est à proprement parler qu'une annexe de l'homme ». « La femme ... c'est une esclave qu'il faut savoir mettre sur le trône ». A ce courant traditionaliste, on peut opposer celui qu'on peut qualifier de progressiste ou même de révolutionnaire. Il voit le jour au début du XXème siècle et prône « l'émancipation » de la femme. Plusieurs femmes s'accrochent à l'idée en estimant que la seule façon de libérer la femme, c'est qu'elle travaille. Ainsi s'emploient-elles à démystifier la théorie de la « nature de la femme ». Plus loin que ce courant progressiste, le courant marxiste se lance dans la recherche des vraies origines de l'asservissement de la femme. Il explique que le sort de la femme comme celui de tous les opprimés est semblable particulièrement à celui des prolétaires. Sans doute était-il très marqué par les inégalités et les injustices liées à l'essor de l'industrie et du capitalisme. Il démontre la relation de cause à effet entre la propriété privée, le capitalisme et l'exploitation de la femme. Le capitalisme a donné l'occasion 148 aux hommes de s'approprier le sol et les outils de travail tout en soumettant les autres à l'esclavage, à leur service. La femme productrice d'enfants devint de facto propriété de l'homme donc inférieure à celui-ci. La famille devenue institution patriarcale, opprima la femme, pendant que la société se sépara en classes : l'une des propriétaires et l'autre de ceux qui n'avaient pour seule richesse que leur possibilité de travailler ou leur sexe (pour les femmes)(1). Pour étayer ses arguments sur le statut de la femme à travers le temps, Kambay Bwatsha(2) cite quelques textes grecs, latins et juifs datant de l'Antiquité montrant la tendance et la nécessité de maintenir la femme sous tutelle de l'homme. Chez les Grecs, Xénophon préconise que la jeune femme « vive sous une stricte surveillance, voie le moins de choses possible, entende le moins de choses possible, pose le moins de questions possible». L'infériorité physique de la femme est une chose arrêtée, elle est exprimée en référence à la «perfection» plus grande de l'homme, modèle de l'espèce. Lorsqu'un auteur comme Aristote affirme que la « différence entre l'homme et la femme est indélébile; quel que soit l'âge de la femme, l'homme doit conserver sa supériorité», on comprend toute la mentalisation à l'égard du sexe féminin. Même Platon, un autre philosophe grec, connu pour sa pensée plutôt favorable à la femme, pense que « la différence entre le sexe, c'est que l'un engendre, l'autre enfante et que l'un a plus de force physique que l'autre». L'image que les Grecs se faisaient de la femme s'est matérialisée par le statut de la « femme au foyer ». Celle qui vit isolée du monde et sans pouvoir. Epouse, elle assure une descendance à son mari ; « la femme est son bien qu'il protège comme tout bien précieux ». La femme peut également être une courtisane cultivée auprès de laquelle les hommes peuvent trouver une compagnie agréable, à la fois sexuelle et intellectuelle.
149 Elle peut aussi refléter une esclave qui effectue les travaux de champs, tisse ou que l'on attèle à la meule pour piler le grain. Elle peut être placée par son mari endetté ou guerrier vaincu chez son ennemi comme servante afin de payer sa dette ou sa rançon. Dans le monde romain, on observe un certain progrès de l'image de la femme au début de la Royauté. Dans le domaine familial, elle est considérée comme l'associée de son mari et s'occupe de l'éducation des enfants. Mais l'Etat avait très vite limité cette tentative d'émancipation en décidant son incapacité au nom de la notion de l' «imbecilitas sexus». En effet, la loi romaine avait déclaré l'imbecillitas sexus ce qui ne veut pas dire l'imbécillité mais la faiblesse. C'est parce que la femme est définie par sa faiblesse qu'elle doit être protégée par l'homme qui est fort ; cette faiblesse justifie donc son statut de dépendance. Puis la notion de faiblesse physique glissa imperceptiblement vers la notion de faiblesse intellectuelle. Néanmoins la littérature et l'histoire nous montrent que la société des hommes n'excluait pas les femmes quand elles s'imposaient par leur talent, leur esprit. Au cours des siècles, des femmes furent célèbres soit par leur rôle politique dans la cité soit par leurs écrits qui connurent succès et audience. C'est pour cela que Mary Shelley soutient que « pour devenir respectables, il faut que les femmes exercent leur intelligence, il n'y a pas d'autre fondement à l'indépendance du caractère ; je veux dire explicitement qu'elles doivent s'incliner devant la seule autorité de la raison au lieu d'être de modestes esclaves de l'opinion »(1). Empêchée d'agir de manière directe sur les affaires publiques, la Romaine s'agite, fomente des conspirations, profite enfin du relâchement des moeurs pour s'adonner à la prostitution. Son image devint très négative de telle sorte qu'elle renforcât l'idée selon laquelle il était dangereux de donner (1) Olivier Bernacchi/ artoonum.com - 2015, consulté le 15 décembre 2015 150 trop de liberté à la femme. Des auteurs de l'époque en déduisent que sa nature n'est pas faite pour l'indépendance. Chez les Juifs, non seulement la condition de la femme est assimilée à celle d'enfants ou d'esclaves, socialement incapables, mais sa nature la fait classer parmi les êtres incomplètement achevés. Les textes de l'Ancien Testament la présente comme l'être sur qui pèse une malédiction. Elle est considérée chaque mois comme impure à cause du tabou de sang, référence faite à la menstruation. Son rôle se limite, comme chez les Grecs, à assurer la postérité à son mari. Son seul prestige est donc la maternité. Considérée également comme l'objet des tentations de la chair, elle est un personnage dangereux et inférieur. La conception et l'image juives de la femme tirent leur explication dans le mythe de la création de l'homme, tel que contenu dans le livre mythique de la sagesse juive, l'Ancien Testament. Il existe deux versions de la création telles que relatées dans Genèse, l'une montre l'homme créé mâle et femelle tout de suite ; l'autre rapporte que la femme est formée après l'homme, de lui, pour lui (Genèse 1, 27). C'est cette dernière version que les mentalités juives avaient retenue et qui se répandit plus tard dans une bonne partie du monde par le fait du Christianisme. La consultation patiente de la Bible permet de relever la double attitude de la religion chrétienne à l'égard de la femme. Dans Genèse 46,26 ; Proverbe 5,3-5, Juges 16 ; 1er Rois 21 ; 1er Samuel 18, 20-21, on brosse le tableau négatif de l'image de la femme. Dans le Nouveau Testament, les Témoins du Christ présentent la femme sous le symbole du mal et du péché chez Luc 24-25, Chez Mathieu 14,21 et 15,38, le statut de la femme n'est guère honorable sur tous les plans. Dans les siècles qui ont suivi l'époque de Paul, les pères de l'Eglise ont développé le même discours : « Femme tu es la porte du diable». «Tu as persuadé celui que le diable n'osait attaquer en face », c'est à cause 151 de toi que le fils de Dieu a dû mourir ; tu devais toujours t'en aller vêtue de deuil et de haillons ». Au sujet du mariage, le christianisme également sème le trouble dans les esprits. L'opinion largement répandue en ces premiers temps du christianisme est que « la femme est un être dangereux, un animal vénéneux, un fourbe, si pas simplement un démon ». Jean Chrysostome écrit à ce sujet que le mariage est le fruit de la désobéissance du premier couple, de la malédiction et de la mort. A cette époque aussi « l'angoisse et le dégoût ressentis à l'égard des répulsions sexuelles ont conduit certains à présenter sous un jour répugnant la procréation et le corps de la femme». Cette méfiance à l'égard de la femme, de son corps et même du mariage a eu pour conséquence l'interdiction aux prêtres en 305 après JC de se marier. L'institution du mariage religieux par l'église pouvait alors apparaître comme une contradiction. Cependant, elle contribua à améliorer le sort de la femme, notamment en imposant le mariage monogynique et en interdisant l'adultère pour les deux sexes. En même temps, elle consacra la soumission de la femme à la tutelle de l'homme : « femme soyez soumise », « mari aimez votre femme ». En échos de ce mépris du corps, Olivier Nkulu Kabamba écrit : « De nos jours, le corps fait donc encore problème dans le christianisme, imputé à l'influence de saint-Paul, à travers l'emploi du mot « chair » dans ses épitres, le mépris du corps et de la chair a assez vécu. En effet, le conservatisme moral qui a fait du corps une entité rebelle destinée à etre soumise à la domination de l'esprit, et qui a fait de la chair le siège du péché dont il faut se méfier, a fini par détourner bon nombre des personnes du christianisme en général et du catholicisme en particulier. Les gens se sont rendu compte que les règles de la morale sexuelle traditionnelle telles qu'elles étaient formulées en termes d'une liste de « ce qui est permis » et de « ce qui 152 est défendu » ne pouvaient que conduire à une impasse et à une certaine crise de confiance vis-à-vis de la doctrine morale de l'eglise(1). Soucieux de restaurer une bonne compréhension de la doctrine morale de l'eglise sur le corps humain et sa sexualité, Olivier Nkulu Kabamba s'appuie sur la théologie du corps développé par le pape Jean Paul II. Aussi appelée par Jean Paul II lui-même (( théologie du sexe » ou (( théologie de la sexualité », se distingue nettement par l'attention particulière qu'elle consacre à la sexualité. La théologie du corps, d'après le Pape Jean Paul II, est liée à la création de l'homme à l'image de Dieu et devient aussi d'une manière générale la (( théologie du sexe » ou plutôt la (( théologie de la masculinité et de la féminité ». Elle a son point de départ dans le livre de la Génèse. Jean Paul II montre combien la dignité humaine relève de la masculinité et de la fécondité du corps humain et de leur complémentarité intrinsèque. Voila pourquoi il présente la théologie du corps comme étant aussi une théologie du sexe. Car en plus d'être une anthropologie qui aide à comprendre rationnellement le corps humain, c'est aussi un enseignement religieux, une catéchèse qui a pour objectif de montrer le plan de Dieu sur la sexualité, l'amour sexuel entre l'homme et la femme est fondamentalement un don de soi de l'un à l'autre voulu par Dieu lui-même quand il les créa mâle et femelle(2). Dans la théologie du corps développée par le Pape Jean Paul II se manifeste véritablement comme une oeuvre de pédagogie sur la sexualité dans le mariage, la morale sexuelle, le sens des vocations au mariage et au célibat consacré. Au sujet du célibat consacré des religieux et prétres, précisément catholique, du soi disant mépris du corps de la femme et du mariage voici ce que nous avons pu trouver dans le site officiel de l'Eglise
(1) https://www. Catholique.org/apropos/43-informations légales 2004-2015, le 12 mars 2015 153 catholique(1): Les religieux et les prêtres s'engagent à vivre dans le célibat ce n'est ni par mépris du mariage, ni aversion à l'égard de la sexualité. Le célibat est une façon particulière de vivre cet appel à l'amour. A l'image du Christ resté célibataire pour faire alliance avec tous les hommes, le prêtre renonce à aimer une personne en particulier pour être signe de l'amour de Dieu pour tous les hommes. Le Christ y fait allusion dans l'évangile: «il y a des personnes qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux». Le célibat - le fait de ne pas être marié - a été l'état de vie d'un nombre incalculable d'hommes et de femmes au cours de l'histoire. Certains d'entre eux ont vécu ce célibat dans la vie religieuse, mais pas la plus grande partie. De nombreuses personnes ne se marient pas pour une décision personnelle ou à cause des circonstances de la vie. Leur condition n'est pas « anormale ». A proprement parler, il existe trois vocations dans la vie : religieuse, mariée et célibataire. Chacune possède sa valeur et doit être considérée avec respect. Il y a un nombre grandissant de vocations religieuses aujourd'hui dans le monde. Or, si on regarde de près le genre de personnes, homme et femme, qui entrent dans la vie religieuse, on en trouve très peu qui grognent sur le fait de devoir passer seul le reste de leur vie. Ces gens auraient-ils un problème ? Ont-ils une mauvaise opinion du mariage ? Pas du tout. En fait, ils ont même souvent une plus haute opinion du mariage que de nombreuses personnes mariées : Ils savent que l'Eglise Catholique insiste sur le fait que le mariage est un sacrement - donc une chose « sacrée » - au même titre que l'Eucharistie et le baptême. Mais ils embrassent librement le célibat parce qu'ils veulent offrir leur amour « sans partage » à Dieu. Ils ont été touchés par une grâce particulière (l'appel) et ont ressenti le besoin de tout laisser pour y répondre et être complètement disponible. Dieu est un « Dieu 154 jaloux » dit un psaume : il nous veut tout entier pour Lui. Les prêtres et les religieux lui appartiennent d'une façon spéciale et unique. Ils suivent l'exemple de St Paul qui recommandait le célibat à tous ceux appelés à cette vocation, sans mépriser le mariage en aucune façon (1Co 7,8). Il ne s'agit pas de rabaisser la valeur du mariage, mais nous pouvons admirer ceux qui, tout en estimant la grande valeur de ce sacrement, choisissent volontairement de s'en priver afin de servir Dieu avec tout leur coeur et toute leur disponibilité. Certains rites orientaux, de fait, autorisent les hommes mariés à accéder à la prêtrise (mais pas à l'épiscopat, réservé chez eux aux moines). Dans les premiers temps de l'Eglise, il n'y avait pas véritablement de règlement sur la question du mariage des prêtres. Peut-être tout simplement parce que la venue du Christ sur Terre était encore tellement proche que ses enseignements, dans toute leur cohérence, se sont imposés très facilement aux premières générations de chrétiens. Jésus avait parlé de pureté comme un grand bien : « car les coeurs purs verront Dieu » (Mt 5,8). Il avait annoncé que « certains se feraient chastes pour le royaume des cieux ». (Mt 19,12) et avait loué ceux qui quitteraient tout (maison, frères, soeurs, père, mère, enfants ou pays) pour son nom (Mt 19,29) en leur assurant une récompense au centuple et la vie éternelle en héritage. Répondant librement à l'appel de Dieu, le prêtre ne vit pas le célibat comme une contrainte, mais comme une ouverture à une grande fécondité, certes différente de celle d'un couple, mais tout aussi riche. C'est l'Eglise catholique qui a proclamé que le Christ avait élevé le mariage au rang de sacrement. Il est vrai que les prêtres catholiques latins ne peuvent pas se marier, mais personne n'est obligé de devenir prêtre ! Le mariage ne leur est pas interdit en tant qu'être humain, mais en tant que prêtre. Tout catholique 155 est libre de choisir la prêtrise dans le célibat, le mariage ou la vie solitaire, qui est aussi une forme de célibat. Mais personne n'est contraint au célibat(1). Dans la conception baha'ie, parmi les enseignements de Sa Sainteté Bahá'u'lláh il y a l'égalité des femmes et des hommes. Le monde de l'humanité a deux ailes - l'une est la femme, l'autre l'homme. Ce n'est que lorsque les deux ailes se seront également développées que l'oiseau pourra voler. Si une aile reste faible, le vol est impossible. Ce n'est que lorsque le monde de la femme deviendra égal au monde de l'homme dans l'acquisition des vertus et des perfections que l'on parviendra à la réussite et à la prospérité telles qu'elles doivent être(2). Dieu a créé tous les etres par couples, homme, animal ou végétal, toutes les créatures de ces trois règnes sont de deux sexes et l'égalité est absolue entre elles. Le monde végétal comprend des plantes mâles et des plantes femelles dont les droits sont égaux, et qui partagent pareillement la beauté de leur espèce, quoiqu'on puisse vraiment dire que l'arbre donnant des fruits est supérieur à l'arbre stérile. Dans le monde animal, nous voyons que le mâle et la femelle ont les mêmes droits, et que chacun d'eux jouit des avantages de son espèce. Nous avons donc constaté que, dans les deux règnes inférieurs de la nature, il n'est pas question de la supériorité d'un sexe sur l'autre. Dans l'espèce humaine il y a une grande différence ; le sexe féminin est considéré comme inférieur, et on ne lui accorde pas de droits et de privilèges égaux à ceux de l'autre sexe. Cette condition ne vient pas de la nature mais de l'éducation. Dans la création divine, il n'y a pas de distinction semblable et, au regard de Dieu, l'un des sexes n'est pas supérieur à l'autre. Pourquoi donc
156 l'un d'eux devrait-il affirmer l'infériorité de l'autre, lui refusant les justes droits et les privilèges, comme si Dieu avait autorisé une telle ligne de conduite ? La justice divine exige que les droits des deux sexes soient également respectés puisque, au regard de Dieu, aucun des deux n'est supérieur à l'autre. Pour Dieu, la dignité ne dépend pas du sexe mais de la pureté et de l'éclat du coeur. Les vertus humaines sont données à tous de manière équivalente. La femme doit donc s'efforcer d'atteindre une plus haute perfection, d'être l'égale de l'homme à tous égards et de faire des progrès pour rattraper son retard, afin que l'homme soit obligé de reconnaître cette égalité d'aptitudes et de réalisation. Quand les hommes reconnaîtront l'égalité des hommes et des femmes, celles-ci n'auront plus besoin de lutter pour leurs droits(1). Les femmes africaines pré-capitalistes ont connu de multiples formes d'inégalités sociales : entre classes sociales, entre groupes professionnels, entre classes d'âges, entre clans, entre sexes ; cette dernière source d'inégalité est sans doute la plus généralisée, la plus profonde et peut-être la plus ancienne. Les femmes sont soumises aux hommes de multiples manières et tout au long de leur existence : en naissant elles sont revêtues essentiellement d'une valeur d'échange concrétisée plus tard par la dot ; en grandissant elles fournissent très tôt une valeur d'usage pour un travail dommestique subalterne effectué dans l'obéissance la plus complète à la mère ou à la tante ; en se mariant elles réalisent leur valeur d'échange initiale et entrent sous la dépendance du mari et de sa famille sans cependant s'y intégrer à part entière. On attend d'elles des prestations économiques astreignantes, mais avant tout qu'elles soient fécondes et de bonnes (1) HESSE, E., Op. Cit. p.142 157 reproductrices. Elles doivent perpétuer la lignée des hommes, soit celle du mari, soit celle de l'oncle. On sait aujourd'hui qu'Engels s'est trompé lorsqu'il a situé l'origine de l'oppression des femmes dans le développement de la proppriété privée et des sociétés de classes. Les études anthropologiques ont montré que cette oppression existait déjà dans les sociétés sans classes, y compris dans les sociétés matrilinéaires, et qu'il n'existait pas de sociétés matriarcales proprement dites. Pour Meillassoux l'origine de l'oppression est liée à la nécessité du contrôle des femmes dans les sociétés agricoles où le « mode de production domestique » exige «la préservation des effectifs des producteurs».(1) Selon Maurice Godelier c'est le faible développement des forces productives et la dépendance à l'égard des conditions naturelles qui ont mis la femme, handicapée par les contraintes des maternités, en position d'infériorité. Quelle que soit l'origine historique de la soumission, `dans les sociétés primitives, écrit Godelier, « la femme a une importance décive pour le maintien des communautés par ses fonctions reproductives et économiques, et cette importance rend nécessaire le contrôle par la société de l'accès aux femmes. Mais ce contrôle, ce sont toujours les hommes qui l'exercent. La relation entre les sexes dans les sociétés primitives est donc fondamentalement asymétrique et non réciproque. La réciprocité des femmes ne fera que s'accentuer avec le développement des forces productives et la division croissante du travail »(2). L'anthropogue Marie-Claude Dupré décrit de la manière suivante la condition de la femme telle qu'elle l'a observée il y a 10 ans chez les Teke du Congo : « dans cette société matrilinéaire et virilocale, la femme est soumise à une double pression : celle de son mari et de la famille de son mari chez qui elle réside ; celle de sa famille et de son frère qui est le seul
158 véritable parent de ses enfants... Obéissance et pauvreté sont de rigueur pour l'épouse dont les biens sont peu nombreux et les revenus infimes. L'épouse possède en propre quelques poulets, de maigres ressources tirées de la vannerie et, plus récemment, de la culture commerciale des arachides. Tous les gains monétaires doivent être partagés avec l'époux. « A l'épouse incombent le ravitaillement en eau, la cuisine, la culture, la cueillette et bien sûr, les soins aux enfants. L'homme se réserve la chasse dont il consomme seul le produit, le tissage du raphia qui sert à constituer les dots, anciennement les voyages de commerce, les escarmouches et les embuscades et, actuellement les cultures commerciales, riz et café, qui apportent un certain revenu monétaire. En outre, il passe chaque année une dizaine de jours à défricher un morceau de forêt pour les champs destinés au manioc. « C'est pour la femme une situation de dépendance absolue. Elle fournit l'essentiel des produits de subsistance sans avoir jamais initiative de son travail. L'accès au monde des hommes (de la société politique masculine), à l'univers des décisions tant agricoles que politiques, la possession des richesses, argent, pagne de dot ou bien de traite, lui est interdit ou strictement réglementé. L'adultère, autre moyen de participer au monde masculin et avoir pouvoir de décision pour les relations sexuelles est sévèrement réprimé. Ajoutons, pour nuancer ce sombre tableau, que le puritanisme de la société tsaayi est tempéré par un idéal de douceur, de retenue, de patience et de politesse qui, pour les dirigeants se mue en bienveillance attentive et, pour les femmes en bonheur résigné » (1). Pour la femme congolaise (RDC) en général et lushoise en particulier, faire face aux enjeux du développement signifie affronter plusieurs facteurs-obstacles et freins à leur épanouissement, promotion et (1) DUPREE, M. C., « Comment être femme. Un aspect du rituel Mukisi chez les Téké de la République Populaire du Congo », Archives de Sciences Sociales des Religions, juillet-Septembre, 1978, Vol 46, N°1, p 62 159 développement. La lutte est rude à de multiples niveaux: des coutumes et traditions, professionnel et du cadre d'accès à une vie décente. Au niveau des coutumes et traditions, on ne doit pas oublier que la coutume ne constitue rien d'autre que l'ensemble des règles érigées sous formes des lois qui régissent la vie d'une communauté sous sa forme de vie traditionnelle. La tradition est l'ensemble des règles acquises dans le temps, par expérience, qui régissent des comportements des individus dans le cadre de leur société spécifique. Ainsi, la famille, le clan, la tribu voire le ménage sont des lieux privilégiés où s'applique généralement la tradition. Chaque groupe organisé a ses coutumes, et traditions. Mais de quelles coutumes et traditions s'agit-il ? Celles construites par l'homme, à travers les âges, pour satisfaire son orgueil et asseoir sa supériorité vis-à-vis de la femme. Les illustrations sont multiples à ce sujet : interdits alimentaires, mariages préférentiels, éducation de la jeune fille, héritage, place de la femme dans le foyer et en société, considération de la femme, polygynie, concubinage, adultère, divorce, travail salarié et même au niveau du savoir. Bref les coutumes et traditions sont élaborées par l'homme en fonction de «homme supérieur/femme inférieure». Si les femmes sont gardiennes des traditions, comme on le dit fort heureusement, les flammes des foyers, source de vie et même «berceau des peuples», elles doivent plutôt s'attacher à perpétuer les valeurs intrinsèques de solidarité, de solidité conviviale du groupe pour le développement. La vie de la femme lushoise peut être présentée sur trois plans : socioculturel, économique et politique. Socialement et culturellement : La femme lushoise demeure en grande partie une femme soumise aux us et coutumes locales. Un être sans initiative individuelle pour contribuer au développement matériel de son foyer ; une prisonnière enchainée, ne vivant qu'au gré du niveau de vie de son mari. De ce fait, elle participe, sans droit de véto, aux affaires de la famille. Dans beaucoup de cas, la marginalisation de la femme lushoise est telle qu'on n'a 160 pas besoin de son avis quand il s'agit, par exemple de vendre des biens meubles ou immeubles de la famille ou de marier ses enfants. Elle est condamnée, comme l'enfant, à ne pas aimer l'argent « hapana kuzoesha bibi ao mutoto feza ». A ce sujet sans vouloir à tout prix faire l'apologie de la pauvreté comme dans les coutumes et la vision coloniale, voyons cependant, comment cette logique se trouve dans un processus historique et continu du développement du capitalisme. En 1920 le ministre des colonies de Belgique, Monsieur Jules Renquin, dans son allocution de bienvenue aux missionnaires blancs arrivés au Congo-Belge, actuellement République Démocratique du Congo, invitait ses compatriotes à «... désintéresser nos sauvages des richesses matérielles dont regorgent leur sol et sous-sol, pour éviter que s'intéressant, ils ne nous fassent une concurrence meurtrière et rêvent un jour à nous déloger. Votre connaissance de l'évangile vous permettra de trouver facilement des textes qui recommandent et font aimer la pauvreté. Exemple :'Heureux sont les pauvres, car le royaume des cieux est à eux' et ` il est plus difficile pour un riche d'entrer au ciel qu'à un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille'. Vous ferez donc tout pour que ces Nègres aient peur de s'enrichir pour mériter le ciel... »(1) L'homme congolais à travers la coutume et dans le souci de perpetuer sa domination sur la femme, a fait la même chose en soutenant qu'une bonne femme ne doit pas trop aimer l'argent « bibi mzuri hapashe kupenda sana feza ». C'est dire que la bonne femme doit accepter la pauvreté ou du moins se contenter de ce que son mari (son maître) lui présente et pas l'argent. Economiquement : la femme de Lubumbashi est plutôt la fille de courses du foyer. Le mari lui remet, selon sa propre comptabilité, juste l'argent du salaire destiné aux besoins primaires de la famille : la nourriture, le savon, etc. En rapport avec les coutumes, la pauvre femme se résigne ainsi à son sort, allant jusqu'à se faire passer pour l'objet par lequel mesurer la richesse d'un mari : la tradition populaire admet que la richesse d'un mari transparait dans la façon de s'habiller de sa femme. (1) www.africamaat.com, Le rôle des mississionnaires à l'époque coloniale. 161 A propos de l'accès aux ressources et au contrôle de celles-ci par les femmes, le législateur est aussi strict. Juridiquement, les épouses sont des incapables comme le note aussi bien clairement l'article 448 du Code de la famille : «la femme doit obtenir l'autorisation de son mari pour une prestation qu'elle doit en personne». L'article 450 du même code consacre cette incapacité de l'épouse. Même l'administration et la gestion de ses propres biens est admise sous réserve par le code, car l'article 497 stipule ceci : (...) si la gestion et l'administration de ces biens par la femme porte atteinte à l'harmonie et aux intérêts pécuniaires du ménage, le mari peut les assumer »(1). Alors que le même code ne précise pas en quoi consiste l'harmonie du ménage. Donc l'appréciation de cette harmonie dépend du pouvoir discrétionnaire du mari. Or, la monétarisation de l'économie mondiale fait aujourd'hui que pour améliorer les conditions économiques et sociales du ménage, il faut avoir des moyens financiers, donc avoir l'argent. La bonne lutte contre la pauvreté exige des programmes et des actions de dépaupérisation de la population mais aussi surtout une participation démocratique qui garantie l'égal accès aux ressources aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Politiquement : la femme lushoise, malgré ses capacités intellectuelles, n'a pas d'atout à se faire valoir comme politiquement responsable. Une femme qui postule à un poste politique est vite jugée en fonction d'abord de sa féminité (cela est essentiellement dû au poids des coutumes) et ensuite, par rapport à son mari. Tous les défauts de ce dernier seront à tort portés par la femme. Quoiqu'on en parle, le manque d'accès aux ressources matérielles, les conditions de vie précaires (manque d'emploi qualifié, habitat de fortune, la non scolarisation d'enfants, la faim quotidienne...) qui sont à considérer comme signes extérieurs de la pauvreté, sont à notre avis, des éléments pouvant basculer au fil de l'histoire d'une population. Pour nous donc, la véritable pauvreté se caractérise par le manque de prise en charge de soi qui découle de l'absence de cette conscience d'être homme ou femme (1) Les Codes Larcier de la République Démocratique du Congo, Tome 1 Droit Civil et judiciaire, Larcier, Bruxelles, 2003, p. 35, 36 et 39 162 ayant un rôle à jouer dans la société. Le développement matériel qui est l'antonyme de la pauvreté, dépend du niveau de développement culturel bien incrusté dans la population. C'est dans cet ordre d'idées que tout plaquage de développement finit par échouer, par engendrer des conséquences plus graves que celles qu'on espérait. Car comme le dit un adage populaire : « laver la tête d'un singe, c'est gaspiller du savon ». En nous référant à tous ces récits historiques, notre intention n'est nullement de fatiguer inutilement les lecteurs mais de montrer certains des préjugés qui justifient encore aujourd'hui la fragilisation et la marginalisation de la femme lushoise. La femme congolaise en général et lushoise en particulier doit savoir que faire face aux enjeux du développement et de la lutte pour la survie de son ménage, c'est affronter plusieurs obstacles et freins à son épanouissement et à sa promotion. Au niveau professionnel, les femmes sont peu présentes sur le marché du travail formel ; la majorité d'entre elles occupent des emplois peu valorisants qui témoignent de leur ghettoïsation dans des secteurs d'activités les moins valorisées, les plus précaires, à faible taux de syndicalisation: par exemple, les activités informelles. Les inégalités prennent différentes formes du fait de la nature des emplois occupés, des différences de revenus, des possibilités de carrières. Elles s'expliquent par l'accès limité à l'éducation ou à la formation professionnelle, par des conditions très précaires de ces femmes et leur présence massive dans le secteur informel de subsistance qui nécessite aujourd'hui la participation des enfants,
voire de tous les Les programmes d'ajustement structurel entamés par la plupart des pays africains, dont le Zaïre, aujourd'hui la République Démocratique du Congo, depuis les années 80 ont contribué à la dégradation continuelle des conditions de vie d'une grande partie de la population. Pour Diagne, les nouvelles politiques dictées par le Fonds Monétaire International (FMI) et la 163 Banque Mondiale (BM) ont beaucoup renforcé la dépendance vis-à-vis de l'extérieur et occulté les besoins domestiques(1). Les nouvelles politiques industrielles ont entrainé des conséquences dramatiques pour les entreprises, avec le ralentissement de la production, les fermetures d'usines, les pertes massives d'emplois, le retard de paiement sur de longues durées, les obligations de départs volontaires, etc. Sur le plan économique, la période allant de 1991 à 2003 aura été « noire » pour les entreprises de Lubumbashi, pillages, fermeture des entreprises, congés techniques, licenciements massifs et départs volontaires ont été enregistrés. Elle correspond à la période de crise la plus dure et la plus longue que la ville de Lubumbashi ait traversée. Cette situation s'est caractérisée par une dégradation générale des ressources économiques et des difficultés accrues dans l'accès à des programmes sociaux. Cela a donc entrainé les femmes dans une grande pauvreté. Les dynamiques démographiques ont fortement accru la demande des services sociaux, des infrastructures de base et ont accentué les pressions sur le marché de l'emploi. Or le secteur de l'emploi est en pleine crise car, il est caractérisé par le sous-emploi massif et par l'intensification du chômage. Le chômage et la précarité de l'emploi constituent une des réalités de la nouvelle pauvreté dont souffrent les femmes à l'instar de la population lushoise. Cette situation résulte des effets combinés des approches des Programmes d'ajustemement structurel et de l'absence de politiques à la fois économiques et sociales qui prennent en charge les préoccupations des populations. Des distorsions existent sur le marché de l'emploi entre les femmes et les hommes. Les personnes actives de moins de 35 ans sont les plus touchées par le manque d'emploi avec un taux de chômage se situant à 31,9%. Le nombre de jeunes n'ayant jamais travaillé et à la recherche d'un premier emploi est particulièrement important. Chez les hommes, ils étaient de (1) DIAGNE Pathé et GUEYE Boubacar., Quelle démocratie pour le Sénégal ? , Dakar, Sankoré, 1984, p.36. 164 67,2% du total des chômeurs et chez les femmes 52% du total des chômeuses(1. Ces résultats sont loin de refléter toute la réalité des problèmes de l'emploi qui demeurent une hantise pour la femme lushoise. C'est peut-être pour cela que Aimé Mukena s'interroge, « la nouvelle question qui se profile à l'horizon est de nouveau celle de savoir comment un pays, comme le nôtre, peut-il tirer vers le haut la masse des moins favorisés même si une ferme volonté politique se manifestait à ce sujet ? Cette interrogation est tout à fait légitime et tous les indices nous y ramènent : 70% de la population vit au seuil de la pauvreté, en dessous de 1$ (USD) par jour, 7 millions d'enfants ne peuvent pas accéder à la formation scolaire, ils sont inoccupés, désoeuvrés et presque abandonnés à eux-mêmes ; avec 13,200% de taux d'inflation et 130USD de PNB annuel par habitant, la situation n'est guère clémente. »(2) La population active est aussi affectée par la précarisation due aux fluctuations économiques et contextuelles de la mondialisation. Plus de la moitié de la population active lushoise est constituée par des indépendants ou des aides familiales qui exercent dans le secteur informel ou le secteur de survie. Si l'on veut considérer le chômage dans son ensemble, il est nécessaire de faire intervenir l'âge comme variable explicative, pour tenir compte des jeunes cherchant leur premier emploi à l'issue de la scolarité et de l'apprentissage, voire même avant. Cette exclusion par le chômage engendre de la dépendance, de l'appauvrissement et de la honte. Dès lors, un phénomène prend l'ampleur surtout dans les grandes villes : celui des femmes qui exercent de petits métiers pour vivre ou pour survivre. La nourriture constitue un des premiers indicateurs de la pauvreté, avec le logement et les vêtements qui font partie des éléments essentiels à l'existence. Cependant l'alimentation et l'eau sont des nécessités sans lesquelles la vie ne peut persister au-delà de quelques jours. Les aliments que les hommes consomment- leur quantité, leur qualité et leur (1 Ahmed Moummi, Analyse de la pauvreté en République Démocratique du Congo, Banque Africaine de Développement, Working Paper N° 112, Août 2010. (2) MUKENA, A., Op. Cit, p.205 165 variété- ont toujours servi d'indicateurs pour évaluer le statut social économique et les changements manifestes dans le mode de vie. Le changement le plus marquant aussi bien pour les ménages que pour les familles concerne celui de leurs habitudes alimentaires à cause des privations obligatoires, avec souvent la diminution en qualité et en quantité des repas par jour. L'analyse en termes de pauvreté alimentaire, faite par Ahmed Moummi, confirme l'extrême gravité de ce phénomène. Les résultats obtenus montrent, encore une fois, que ce phénomène affecte la population congolaise sous différentes formes. Ainsi, les résultats dégagés montrent que près de 60% de la population souffrent de cette forme sévère, c'est-à-dire que la population est incapable de subvenir à ses besoins vitaux(1). Cela constitue le signe manifeste d'une fragilisation au quotidien et d'une grande pauvreté. Plusieurs études ont montré que le régime alimentaire de beaucoup de familles lushoises s'est dégradé et ne comporte que la prise d'un repas ou deux par jour au lieu de trois, avec la disparition du petit déjeuner ou du dîner. Selon césar Nkuku, certains ménages lushois n'assurent plus les trois repas quotidiens et réservent une partie du repas de midi pour la soirée, phénomène plus connu sous le terme « gong unique »(2). Par ailleurs, l'alimentation, lorsqu'elle est disponible, est de qualité insuffisante, ce qui induit une fragilisation physique et augmente la fréquence des maladies. La population ne fait plus la différence entre la qualité et la quantité, elle se contente seulement de manger ce qui se présente. Dans certains ménages, l'unique repas du soir est assuré à cause de la débrouillardise dont font preuve certains membres du ménage. Ceci est encore confirmé par Mulang N'daal en ces termes : quelle que soit la nature de l'activité exercée ou l'identité des acteurs, il reste vrai que le programme de manger ne s'élabore, n'est possible que le soir, voire la nuit après le retour des parents ; d'où le langage commun : « on ne
166 sait jamais », car chacun doit, en sortant, prévoir un sachet pour un approvisionnement éventuel, sur la rue populaire. Notons cependant que cette expression a beaucoup de significations dans la mesure où quelqu'un qui rend visite à un ami ou un parent peut toujours en sortir avec quelque chose (farine, fretins), pour sa famille(1). La fragilisation des conditions de vie des femmes s'observe aussi dans leur difficulté d'accès à un cadre de vie décent. En ce sens, le problème du logement constitue une nouvelle donne de la pauvreté. De nombreuses familles et de nombreux ménages sont sans abri, au point que de nombreux enfants dorment dans les rues, aux bords des marchés et magasins, et même là où un semblant de logis est trouvé. Ils dorment des fois à même le sol, à cause de l'incapacité, pour certaines familles, à conserver ou à trouver un lit convenable. Les problèmes les plus graves qui ont été évoqués lors des entretiens individuels et collectifs sont l'étroitesse, l'insalubrité, le surpeuplement et le délabrement de ces lieux, ainsi que les difficultés à assurer les coûts de location. La majorité des familles vivent dans des conditions de logement très précaires et dans des lieux ressemblant à des bidonvilles ou encore dans des baraques sans eau ni électricité. Pour certaines personnes interviewées, les parents ont des difficultés à assurer la seule location de la maison, sans équipement de base (eau et électricité). Ils ne peuvent ni payer le loyer, ni meubler le logement. La promiscuité et le surpeuplement dans les lieux de vie sont directement associés à la pauvreté, au chômage et au manque de ressources. Malheureusement, ils ne font pas encore l'objet de beaucoup d'attention de la part des institutions politiques et ne retiennent guère l'attention des organismes d'aide et de lutte contre la pauvreté. La plupart des politiques locales de logement ne concernent pratiquement pas les personnes les plus pauvres. Or, si l'on veut vraiment résoudre le problème de la promiscuité et de surpeuplement, il faut régler à la fois le problème du manque de logement accessible et celui de l'obtention des revenus qui obligent la (1) MULANG N'daal, op. cit, p.247 167 population de construire avec n'importe quoi et n'importe où ; en se disant que l'essentiel est de trouver un cadre pour vivre, voire pour survivre. 3.2.2. Les conditions sociales de la fragilisation Les crises successives et les récessions économiques ont entrainé le désengagement progressif de l'Etat et de ses fonctions de régulations économiques (moins d'Etat, mieux d'Etat) et sociales (politiques de santé, de l'éducation formelle) occasionnant des restrictions majeures et des coupures budgétaires. Celles-ci ont entrainé une détérioration constante et continuelle des conditions de vie de la grande partie de la population qui compte parmi les principales victimes des programmes d'ajustement structurel et se trouve exclue des circuits du « développement humain(1) ». Selon les témoignages recueillis par Rosalie Adouayi Diop, l'incapacité, pour la plupart des femmes et des jeunes filles, de satisfaire leurs besoins essentiels en matière de formation, d'éducation et de santé ainsi que de s'insérer dans le circuit du travail, caractérise un processus d'appauvrissement extrême, source d'exclusion sociale et d'instauration des relations inégales où les femmes comptent parmi les personnes les plus défavorisées(2). Une des grandes conséquences de transformations économiques est le désengagement de l'Etat des programmes consacrés à la santé. En effet, les politiques de santé ont connu beaucoup de transformations au cours de ces deux dernières décennies et ont accentué la vulnérabilité de la population lushoise. La non prise en charge des malades, la dégradation et l'insuffisance des infrastructures sanitaires et la privatisation à outrance de ce secteur ont contribué à la fragilisation de la population en général et de la femme en particulier en termes de couverture et d'accès aux services sanitaires. La majorité de la population lushoise éprouve de grandes
168 difficultés dans l'accès aux soins de santé et ne peuvent faire face aux coûts élevés des médicaments et des services de soins, même si on note une légère amélioration de la couverture sanitaire depuis l'avènement des médicaments génériques. D'où le recours à l'automédication, au marché parallèle de vente de médicaments ou dans des pharmacies ambulantes, à la pharmacopée locale à base de racines et de plantes comme stratégies de lutte contre cette marginalisation sociale. Le système éducatif congolais en général et lushois en particulier connait depuis un certain temps une crise profonde. La situation a été aggravée par les restrictions économiques, qui ont miné tout le système. La diminution des budgets notés dans les années 1980 et 1990 s'explique par les mesures de rigueur et la politique du désengagement de l'Etat. Elle s'est accompagnée de la politique de responsabilisation des parents d'élèves qui exige une participation financière pour le paiement des enseignants, la construction des classes et l'achat des matériels. Les programmes d'ajustement structurel et la dévaluation monétaire sont des événements de nature fondamentalement économique qui ont eu comme conséquences : la réduction des investissements et des subventions destinées au social, le rationnement de la masse salariale, la privatisation, la liquidation des entreprises publiques, les licenciements à tour de bras et la réduction de la parité monétaire nationale par rapport aux devises étrangères. En conséquence, l'exécution des programmes d'ajustement structurel a vu une baisse du budget affecté à l'éducation, l'accélération du processus de création des écoles privées, de fois sans structures adéquates. La scolarisation prend une part importante des ressources parentales en raison de la hausse des frais afférents à l'éducation. Au même moment, tous les degrés de l'enseignement vivent une chute des performances. Les élèves étant souvent exclus temporairement de classes pour impaiement des frais de scolarité. Cette simultanéité entre la régression du social et la mise en application des programmes d'ajustement structurel permet de reconnaitre 169 que le recul des conditions et des indicateurs de l'éducation est imputable aux options politico-économiques prises par le gouvernement congolais pendant les deux dernières décennies. Au fait, le délabrement du secteur éducatif pendant cette période se situe surtout au niveau de l'inefficacité tant interne qu'externe. Pour ce qui est de l'inefficacité interne, la République Démocratique du Congo (ex. Zaïre) enregistre les taux d'abandon et de redoublement les plus élevés de l'Afrique subsaharienne. Si l'on considère 100 élèves commençant le cycle primaire, seuls 20 arrivent en classe terminale(1). Le ratio élèves/enseignant est de 45 à 50, alors qu'en moyenne il est de 27 pour les pays francophones d'Afrique. Concernant l'inefficacité externe, la situation est encore déplorable. Elle s'exprime par le déphasage entre la formation et l'emploi qui s'illustre par la croissance notoire de la masse des jeunes diplômés sans emploi et l'accentuation du chômage surtout en milieu urbain. L'effondrement du système éducatif est imputable à la légèreté politique du feu Président de la République, Joseph Désiré Mobutu qui malheureusement considérait l'éducation comme non vitale, la cinquième roue. Une telle conviction débouche sur la réduction drastique des ressources mobilisées pour le système éducatif : pénurie du personnel qualifié, effectifs pléthoriques des classes, manque de matériels didactiques et d'équipements, etc., et ensuite sur le désengagement de l'Etat de sa position de régulateur du système éducatif et par le gel de recrutement du personnel dans le secteur public. Etant donné que les phénomènes sociaux sont en relation intrinsèque les uns avec les autres, les rendements sont affectés par les conditions de travail. Finalement, la médiocrité des résultats qui prévaut à tous les niveaux du système jette du discrédit sur la nécessité de la scolarisation. Par recul général des conditions de vie, les programmes d'ajustement structurel et la dévaluation ont exercé à court terme des effets néfastes sur l'école, ils ont diminué le pouvoir d'achat des ménages, des (1) Division provinciale de l'Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnelle (EPSP) 170 enseignants, voire de toute la population lushoise. L'avènement de ces deux phénomènes a accru les prix des fournitures scolaires, des équipements et annihilé ainsi les sacrifices consentis par les parents en faveur des enfants. Les effets produits ont été très déplorables. Le taux brut de scolarisation s'établit à 62,2% dans les ménages pauvres et à 69,5% dans les ménages non pauvres. En raison de l'absentéisme, de l'exclusion d'un certain nombre d'enfants en rapport avec leur environnement de vie, de l'incapacité de l'école à répondre à de nombreux problèmes particuliers de ces jeunes, l'échec scolaire et l'inégalité dans les parcours des enfants augmentent. L'échec fréquent de la scolarisation des filles constitue un facteur important de fragilisation sociale. En effet, celles qui quittent le système scolaire deviennent des femmes pauvres, des travailleuses exploitées, des chômeuses et parfois des délinquantes. Plusieurs facteurs continuent encore d'entraver la scolarisation et le maintien des filles dans le système éducatif scolaire. Au nombre de celles-ci, on note la faible éducation maternelle, les grossesses précoces, les difficultés financières, les conditions défavorables des parents, des facteurs socioculturels et le système de division sexuée du travail. A ce sujet voyons ce qu'ont trouvé Tshibilondi Ngoyi, Bwawa Kandanyi, et Kayiba Bukasa. Pour Albertine Tshibilondi Ngoyi, l'accès des filles à l'éducation est demeuré plus faible que celui des garçons. Les raisons qui justifient cette faible scolarisation des filles sont liées aux facteurs socioéconomiques tels que les salaires dérisoires, l'inflation, la baisse du pouvoir d'achat et les préjugés coutumiers. En effet, écrit-elle, l'éducation coûte cher, même si, dans le réseau public, la scolarité est presque gratuit au niveau primaire. Avec l'enlisement économique, la plupart des parents sont au chômage et n'arrivent pas à payer les études de tous leurs enfants. Ainsi, ils jugent inutile d'envoyer leurs filles à l'école, car, pour ces parents, la scolarisation des filles présente moins d'avantages économiques parce qu'elles sont destinées au mariage. Généralement, lorsqu'elles se marient, elles cessent de travailler et n'ont plus 171 d'obligations économiques envers leurs parents. Elles sont en outre victimes de discrimination sur le marché du travail(1). Examinant la question de l'éducation des enfants dans le territoire de Luiza, Bwawa Kadanyi, tout en reconnaissant la pauvreté comme l'une des causes de la discrimination dans l'éducation des filles et des garçons, ajoute qu'une différenciation sexuelle qui tient au fait que les filles aient globalement beaucoup moins de chance que les garçons à être inscrites à l'école est liée aussi à la considération africaine. Les femmes, d'après cette considération, ne disposent pas de statut personnel et ne sont pas considérées comme des individus, mais, en quelque sorte, comme des biens pouvant s'échanger, s'acheter, s'hériter et qui appartiennent à des hommes selon des règles bien définies(2). A ce sujet d'ailleurs, Kayiba Bukasa le souligne très bien, lorsqu'elle traite de la perception de la femme congolaise dans le milieu traditionnel, en ces termes : « traditionnellement, la femme était considérée comme un être mineur, destinée à des rôles secondaires dans la vie sociale. Et si quelque part, certaines femmes ont joué un rôle politique, c'est sûrement toujours sous la direction de l'homme »(3) . Cette citation de Kayiba Bukasa corrobore très bien avec ce qu'écrit Kambay Bwatsha : « Pour la femme et pour l'homme « sa conditionnalité », la tradition devient un phare qui illumine la voie pour le développement. Au niveau de la masculinisation de la société, rien à dire, le lieu de la vie quotidienne de femme africaine est un lieu masculin formaté à la mesure des hommes. La fille, la femme est vue à travers les yeux des hommes : combien de femmes ne se font pas belles pour plaire aux hommes ? Combien les jeunes filles ne sont-elles pas préparées au mariage (services
172 divers, pratiques sexuelles), en fonction des hommes ? On dit souvent chez les Baluba tout comme chez d'autres peuples du Congo « Mukaji kabuji ka kusuikila pabuipi... Ne kakutuka kalu ka mukwabu » (en tshiluba), c'est à dire : « La femme, c'est une petite chèvre qu'il faut attacher tout près (de l'homme)... une fois libre, elle appartient à d'autres » ; « Mukaji mbusa bua mbalanda budi kutula dia mudumbi »(en tshiluba) c'est-à-dire « la femme c'est l'oseille que l'on plante dans la véranda pour que même quand il pleut et qu'on a faim on peut cueillir facilement pour préparer et assouvir sa faim »; ou encore « mukaji nka seba ka kabundi kadi kakayi kusomba babidi » (en tshiluba) c'est-à-dire la femme c'est la peau du renard sur lequel on ne peut pas s'asseoir à deux » « Mobali nde Nzambé!», ce qui signifie « L'homme... c'est un dieu! » (Lingala). Au niveau de la religion dite chrétienne, à moins de lire la bible avec les yeux du Christ, l'image de la femme est celle de la femme que nous avons décrite plus haut. Elle est la « tentatrice » et « Même la bible l'a dit » dit-on souvent. « La fleur qui ambélli et attire les hommes dans les Eglises sans être autorisée de precher publiquement (1 Corinthien 14 :34)», « La femme, c'est le complément de l'homme », C'est faux, disons-nous, elle est sa « conditionnalité ». Bien que n'abordant pas directement la position de la femme dans la religion, Aimé Mukena traite cependant quelques aspects qui touchent, tout à la fois, au débrouillardisme ainsi qu'à la ruse et à un état d'esprit inédit qui rend obsolètes les préoccupations majeures du christianisme congolais, en ces termes : « La macromafia a élu domicile dans notre pays, l'imposture religieuse aussi. Leurs rapports s'expriment sous diverses harmonies ou arragements. Mais en parler publiquement est indéniablement un éloge funèbre pour tout le monde. Mille fois odieuse, l'imposture religieuse excite l'indignation de toute conscience en éveil. Il y a un peu trop de religion chez nous, mais ce trop plein de religion n'est rien d'autre qu'un christianisme d'à peu près, très proche d'antéchrist. Il y a donc chez nous une sorte de religion du péché. Non seulement que ce phénomène est étrange au 173 christianisme catholique, orthodoxe ou protestant, il est même ouvertement hostile au Christ, à son Esprit et à l'Eglise chrétienne. De l'esprit du siècle passé, les hommes et les femmes d'Etat de ce temps ont gardé néanmoins le goût du divin : la plupart des Congolais, en effet, s'attachent avec ferveur aux différents courants religieux de leurs choix. Il y a chez nous des hommes et des femmes qui vivent de religions. Nombre des compatriotes ont reçu l'appel puissant de Dieu et ils y ont répondu en y engageant toute leur vie. On trouve aussi des serviteurs engagés et attachés à plusieurs traditions religieuses à la fois : nombreux sont ceux qui mélagent inconsciemment ou non les versets bibliques, les sourates coraniques et autres courants spéculatifs exhumés des cultures ancestrales diverses. D'une manière générale, on trouve partout des débris du christianisme accolés aux fragments du coran, des hérésies idolâtres associées aux psaumes et, comme si cela ne suffisait pas, des musiciens des âmes pures des sectes de reveil nous offrent tout ce que l'air du temps peut qualifier de vrais cantiques des cantiques, véritables hérésies chantées où le Christ est tout simplement présenté comme gentilhomme qui, n'ayant pas eu le temps matériel nécessaire pour exprimer lui-même clairement sa doctrine, a suscité des Bishops et Archi-bishops, des Très-Réverends Frères et des Apôtres Charismatiques pour parachéver son oeuvre. En fait tout ce que le chrétien d'hier a perdu dans l'orthodoxie et la rigueur du christianisme du siècle dernier, le chrétien congolais de ce temps de danses publiques dans les temples veut le retrouver intégralement dans les cantiques des cantiques. L'événement le plus important dans ce cas d'espèce c'est la dissipation du message du Christ. ... En effet, l'imposture religieuse met à l'ordre du jour une contre-christologie animée d'un désir ardent d'argent facile collecté en un tournemain lors de croisades évangéliques en plein air. Le spectre accorde peu d'attention aux préceptes bibliques: on se consacre peu ou prou au message concret du royaume de cieux et à la séconde venue du Christ. L'imposture religeuse est devenue une branche spécialisée de la macromafia qui s'occupe de prêcher à travers les médias et dans les stades du football une sorte de moralité qui blanchit tout, la fraude, la corruption, le 174 culte de mensonge, les vertus de la paresse et l'éloge de l'orgueil. Cette contre-christologie promet de miracles qui guérissent tout, notamment le sida, le vol, le viol, ce qui, d'une manière ou d'une autre, encourage la prostitution et le déreglèment des moeurs. En fait, le recul de la Foi en Christ est donc significatif dans notre espace social. En tout cas, nous faisons face à un deluge d'immoralité religieuse qui s'est déverséé sur le territoire national à un point tel que les causes qui occasionnent généralement la décadence de grandes nations et de grandes civillisations sont maintenant exaltées sur toutes les chaines de télévision et considérées comme mode d'une vie liberée. Et au-delà du simple constat, la question qui se pose est donc de savoir si les péages qui disent des messes sur la place publique sous les amen répétés des fideles trompés sont plus forts que les élus de la Chambre des Représentants. Vivant sur le térritoire de richesse inépuisable, il est curieux de constater que le vide stupide de progrès matériel trop visible dans notre pays soit comblé scandaleusement par l'imposture religieuse, le seul progrès congolais réellement visible et accéléré dans le pays. Et le pire des péchés c'est de constater que les Réprésentants du peuple se laissent abuser par les fantasmes les plus incroyables auxquels donne lieu le monde de l'imposture religieuse ».(1) A la lecture de cet extrait du texte de Aimé Mukena, tout observateur averti donnerait raison à l'auteur surtout lorsqu'on voit chaque jour l'acharnement à l'argent, le viol au nom de la religion et sous prétexte de guérir la stérilité et le démon du chômage et du célibat, surtout pour nos jeunes mamans et filles considérées comme pilliers de l'Eglise. Une concurrence éhontée qui met face à face les hommes et les femmes sortis des écoles théologiques et les aventuriers pasteurs et bishops n'ayant pas fréquenté ces écoles mais faiseurs de miracles et de délivrances à la manière de magiciens et catcheurs. Au niveau de l'éducation, le matraquage est net. « Linzanza libongi na langi ... Mwasi abongi na mobali » (lingala). « Un vase est beau (1) MUKENA, A., Op. Cit, p.355-357 175 à voir quand il est peint ». Tout comme « une femme n'est digne que mariée ». « Mwasi mpo azwa lokumu kaka abala ». Comme pour dire, « C'est le toit conjugal qui fait la valeur de la femme ». Ces formes de slogans et proverbes se retrouvent chez tous les peuples africains. Plus grave, « l'ennemi de la femme, c'est la femme elle-même ».(1) Les conséquences de la dégradation des conditions socio-économiques, dans la ville de Lubumbashi, notamment la remise et reprise entre les femmes et leurs maris dans le domaine de la direction des ménages, ont amené certaines personnes à transgresser les règles de leurs coutumes traditionnelles. Le passage de ce mode de production traditionnel ou esclavagiste par la femme lushoise au mode de production capitaliste ne s'est pas fait sans heurts. Il s'est fait au prix de nombreux efforts et de sacrifices. Car comme le souligne Karl Marx, si l'argent vient au monde avec des taches de sang naturelles sur une joue, le capital quant à lui vient au monde dégoulinant de sang et de saleté par tous ses pores, de la tête aux pieds(2). Par rapport à l'histoire du développement du capitalisme primitif et de l'asservissement des peuples, notait jean Fonkoué, « l'esclavage n'est pas une idée du passé, secondaire, qui reviendrait incidemment, pas plus qu'il était et ne peut être une fatalité marquant le destin d'un groupe humain, même lorsque celui-ci est racialement ` nègre' (descendant de cham), ` paien ` `damné de la terre'. L'esclavage des Noirs africains est le résultat historique du processus permanent d'une organisation matérielle d'actes de violence raciste prolongée en vue de recrutement, de l'embrigadement et du réembrigadement de la main-d'oeuvre noire destinée principalement au travail des mines et dans les plantations à l'époque de la constitution et du développement du capitalisme dans les pays d'Europe et d'Amérique»(3). Citant P.Foureyrollas à ce propos, l'auteur note que la traite a été marquée par une violence extreme
(1) VANGROENWECHE, D., Du sang sur les lianes. Léopold II et Son Congo, Edition revue et corrigée, Bruxelles, Aden, 2010 176 et un caractère criminel qui l'on fait condamner; mais il ne faut pas oublier que ce sont des raisons fondamentalement économiques qui l'on engendrée. En ce sens, nous voulons analyser la dégradation de la condition sociale de la femme, tout comme la paupérisation de la population lushoise comme une suite logique du processus découlant du mode de production capitaliste qui a commencé par la traite de Noirs, la colonisation et l'impérialisme actuel. Dans le même contexte nous pouvons aussi confirmer cette thèse de Marx par quelques données tirées de l'ouvrage de Daniel Vangroenweche intitulé : Du sang sur les lianes. Léopold II et Son Congo(1). Dans cet ouvrage, Daniel montre comment le bassin du Congo était plongé dans le sang à cause des récoltes de caoutchouc et d'ivoire au profit des capitalistes blancs. Dans cet ouvrage, Daniel montre, à travers
plusieurs Parmi les récits quasi monotones qui montrent les atrocités qu'on subit les indigènes congolais lorsqu'il s'agissait de la cueillette de caoutchouc : « Le Lieutenant sarrazijin se jette sur les villages de Bompomo le 7 juillet 1892. Le bilan : vingt indigènes tués, treize prisonniers, exclusivement des femmes et des enfants. Bompomo finit par se soumettre, promet la livraison de quatre déserteurs et paiera sa ration : six hommes et 10 chèvres. ...la libération des prisonniers leur coutera une vingtaine de paniers de caoutchouc. Les femmes emprisonnées sont amenées à l'officier blanc. Au poste de l'Etat, 4 mongo sont choisis et publiquement exécutés. A Basankusu, la bataille du caoutchouc a commencé, en croire Lemaire, le 17 177 septembre 1892. Lemaire note que les villages de cette région ont été contraints d'acquitter une taxe hebdomadaire sur le caoutchouc. En six semaines, l'Etat obtient ainsi 1060 kilos de caoutchouc(1). Aussi pour implanter l'autorité de l'Etat là où il n'avait eu aucun contact auparavant. Lemaire note encore : « Le premier contact entre soldat et indigènes est rarement amical. Les soldats envahissent les villages, tuent un certain nombre de noirs, arrêtent ceux qui n'ont pu fuir, pillent les huttes, volent le menu bétail et d'autres objets de valeur, incendient les maisons et détruisent les plantations. Les enfants prisonniers sont envoyés dans les colonies scolaires ou mis au travail comme « boys » dans un poste d'Etat. Les femmes sont rendues à leur mari contre le paiement d'une rançon à moins que leurs officiers blancs ne les réclament pour leur servir de concubines. »(2) Il nous semble que les soldats sont casernés dans les villages pour y forcer les indigènes à cueillir le caoutchouc. Les femmes et les grands chefs échappent à ce travail forcé. Si un soldat constate qu'un indigène se trouve au village au lieu de cueillir du caoutchouc, il l'abat sans ménagement, sa main droite est amenée au supérieur blanc pour témoigner qu'on a bel et bien respecté la consigne. Pour dénoncer et condamner ce calvaire, Duncan, secrétaire d'une association missionnaire de Boston aux Etats-Unis cite une correspondance qu'il a reçue le 25 mars 1896 en ces termes : Le commerce du caoutchouc est un véritable bain de sang. Si les indigènes devraient se révolter et massacrer tous les Blancs, dans le haut Congo, alors la balance des assassinats pencherait encore toujours en faveur des Blancs. Ne serait-il pas possible que quelques Américains influents rendent visite au roi des Belges et l'informent de ce qui se passe en son nom ? La contrée du Lac est réservée au roi - les commerçants n'y sont pas tolérés - et c'est à cause de la
178 récolte du caoutchouc que des centaines d'hommes, de femmes et des enfants ont été massacrés.(1) A lire ce message d'alarme, on croirait que l'Etat ou les autorités belges ne savaient pas ce qui se passait au Congo. Or toutes ces méthodes de recrutement et d'exploitation sont totalement approuvées par les mêmes autorités comme en témoigne cette lettre du Secrétaire d'Etat à l'intérieur M. Van Eetvelde datée du 4 avril 1892 : « Nous nous réjouissons du soin que vous mettez aux camp d'entrainement. Activez, s'il vous plait, le recrutement dans tous les districts. C'est une affaire de première importance en ce moment. Ne vous gênez pas pour mettre de force la main sur les hommes - comme en Europe - ou les acheter. L'Etat a le droit d'exiger ce service et pour lui, c'est une question de vie ou de mort.»(2) Tout en déplorant les effets nefastes de ce « pouvoir blanc » qui a conduit au dépeuplement et à l'appauvrissement des empires africains, à l'arrêt du développement économique, Jean Fonkoué note que « ce ` cauchemar' comme dirait Sartre, correspondait en fait à la forme naissante du capitalisme. Il ne pouvait y avoir une telle systématisation, une telle ampleur dans le `trafic triangulaire', un tel développement de plantation et d'exploitation des mines des métaux précieux, un tel essor dans le monopole du commerce colonial, etc., que parce que ces activités contribuent directement à l'essor des villes européennes et américaines, à l'essor du capitalisme naissant. »(3) L'organisation, aujourd'hui, du processus de production des moyens de subsistance pour lutter contre la pauvreté à travers plusieurs mécanismes de survie des ménages rappelle encore la souffrance et les sévices des indigènes en général et de la femme en particulier. Ne pouvant plus vivre uniquement grâce au travail rémunéré du mari, lorsque ce travail existe encore, certaines femmes sillonnent la ville toute la journée avec un bassin sur la tête pour vendre, qui des arachides, qui des feuilles de manioc,
179 qui d'autres de bois découpés en petits morceaux, communément appelé « bikonga », des poissons, des tomates, des fruits, des fripéries etc. Elle est, par moments brutalisée par la police pour cause de marché pirate. Laquelle police à l'instar du soldat d'avant la colonisation qui ramènait le bras coupé de indigène victime de la repression, ramene aujourd'hui à son chef le bassin des marchandises ou autres effets de commerce arrachés à cette pauvre lushoise qui lutte contre la pauvreté et la survie de son ménage. Elle est même encore obligée d'abandonner son activité à cause de la jalousie du mari ou de certaines coutumes qui l'accuse de s'être livrée à d'autres hommes supposés lui donner un peu d'argent qu'elle consacre à la survie du ménage. Face à tout cela, la femme lushoise devrait briser toute résistance, tous préjugés qui non seulement l'assujettissaient, mais qui risquaient de la conduire à la mort. Mais là où le bas blesse, c'est ce qui apparait aux yeux de tous comme un paradoxe dans la ville de lubumbashi: comment comprendre les mesures publiques de chasses à ces femmes et ces hommes qui font les marchés pirates, pendant que les garages des rues, les épaves des bus, des camnions, les marchands de matériqux de construction : sables, graviers, etc. encombrent et salissent les avenues, les quartiers sans que les propriétaires en soient inquiétés, alors que tous se débrouillent pour la survie de leurs ménages. Pour illustrer cet effort d'autonomisation de la femme lushoise et la nécessité de briser les préjugés dans la recherche des moyens pour assurer la survie du ménage, nous notons ici l'exemple de Madame Mbala , citée par Marcel NGANDU Mutombo(1),: « J'ai aussi un point de vue à émettre sur les coutumes lulua. Je suis mariée à Kabundi Bakatushipa en novembre 1967. Nous sommes tous deux du territoire de Dibaya. Moi du village Ndumba Tshimbulu, mon mari de Beena Tshiteka. Au début de (1) NGANDU Mutombo M., « Femmes Lulua du Kasaï, que sont devenues vos traditions au cours de la crise des années 1990 à nos jours : Confessions, témoignages et expériences des femmes lulua sur la vie conjugale en milieu urbain de Lubumbashi,» dans Isidore NDAYEWEL è Ziem et MUDIMBE Boyi E., Images, mémoires et savoirs une histoire en partage avec Bogumil Koss Jewsiewicki, Paris, Karthala, 2009, pp.539-562 180 notre mariage, j'étais une femme heureuse. Mon mari était jardinier chez les Soeurs Carmélites ici à Lubumbashi. Il recevait un salaire, un sac de farine, et des objets scolaires pour nos trois enfants de cette époque-là. Je parle de trois enfants que j'ai eus pendant les six ans que mon mari a passés chez les religieuses. Il a ensuite abandonné son contrat chez les religieuses au profit d'un commerçant grec chez qui il était domestique, cuisinier. Il aimait ce grec parce qu'il lui donnait des ustensiles de cuisine déjà usés, des chaises, etc. Comme il était cuisinier, il y a des fois qu'il apportait la nourriture, le reste de nourriture que le Grec-là laissait. Chaque soir, mon mari apportait une nourriture bien préparée que moi-même je ne pouvais pas préparer. Mais cette situation n'a pas duré longtemps. Mon mari a été révoqué pour n'avoir pas su expliquer la perte du petit chat de la maison de son patron. Et, c'est vers le milieu des années quatre-vingt. Mon mari était arrivé au bout de son imagination. Ne sachant que faire pour nous nourrir, il m'a encouragée à vendre des beignets au coin de notre avenue. Comme il n'avait pas d'autres occupations, il venait se mettre à mon côté bavarder avec moi. Mais moi je n'appréciais pas cette attitude ; j'aimais être seule avec mon bassin de beignets et un peu d'arachides grillées. Mon mari venait m'épier pour voir si je ne causais pas avec des hommes à cet endroit. Quand je rentrais le soir à la maison, je faisais cette remarque, mais il me répondait qu'il n'avait pas confiance en moi car, les femmes vendeuses ne respectaient pas les coutumes. A moi de rétorquer que si cela ne lui plaisait pas, que je reste à la maison attendre tout de lui. Il refusait. Comme il me soupçonnait tous les jours, j'ai demandé conseil à d'autres femmes lulua,.vendeuses au marché de m'aider avec des conseils pratiques sur l'attitude correcte à prendre envers mon mari. L'une des amies vendeuses me conseilla de boucher mes oreilles et de travailler pour nourrir les enfants, une autre me dit que les hommes ont déjà fait la remise et reprise avec leurs femmes et par voie de conséquence, il ne faut plus les écouter. J'ai trouvé ces conseils révoltants. Pendant ce temps, mon mari était devenu buveur de lutuku, boisson alcoolique sur base de maïs. Chaque soir 181 il revenait ivre mangeait peu et dormait profondément. Il sentait l'odeur de l'alcool et était bon à rien. Le nombre de nos enfants avait déjà doublé et nos problèmes multipliés par dix. L'argent que je ramasse ne permet pas de payer la prime des enseignants, les frais de scolarité, les uniformes, etc. Mon mari s'est montré incapable de me nourrir pourtant depuis le jardin d'Eden, c'est l'homme qui a reçu mandat de vivre à la sueur de son front et s'occuper donc de son foyer. Ce n'est pas mon travail. Un autre problème, c'est le loyer. Comme il devenait impossible de payer régulièrement le loyer, dont les frais s'élevaient à dix dollars américains par mois, j'ai dû acheter une tôle tous les deux mois et rapidement, j'ai pu réussir à construire une petite bicoque de trois petites pièces où nous sommes restés jusqu'au conflit Katangais-Kasaïens. C'est pendant ce conflit que mon mari m'obligea de vendre cette bicoque pour que nous puissions quitter Lubumbashi pour toujours. Mais c'était un rêve pour nous. Quand nous avons appris ce qui était arrivé aux autres Kasaïens qui partaient chez-nous, beaucoup avaient trouvé la mort en cours de route, surtout dans des grandes gares de la société de transport comme à Luena et à Kamina, nous nous sommes mis à utiliser cet argent, de l'ordre de sept cents dollars américains. Grâce à cet argent, j'ai dû changer de type de petit commerce. De la vente de beignets, je suis passée à celle des fretins et des bitoyo (poissons salés) au marché de Njanja sur la route Munama, vers la commune de Kenya. J'étais plus heureuse qu'avant le conflit. Le calme étant revenu à l'intérieur de la province, mon mari se rendait à Kilwa et Pweto à la recherche de la viande boucanée et du poisson. Parfois, il ramenait quelque chose, parfois il ne ramenait rien, il n'avait pas totalement abandonné l'alcool. Pendant ce temps, notre fille aînée s'était enfuie avec un jeune homme toujours dans la ville de Lubumbashi. Nous l'avons retrouvée six mois après. Quelle souffrance pour moi ? Une situation de ce genre en l'absence du mari. Mon fils aîné, quant à lui, a pris l'habitude de jouer au football et de nous apporter des problèmes, souvent, il bat quelqu'un, des fois c'est lui qui est battu. Le poids de la charge familiale 182 reposait sur mes épaules. Mais Dieu est avec moi. Pour ne pas craquer, j'ai pris l'habitude de boire, de me divertir après avoir vendu. Généralement c'est vers quinze heures que beaucoup parmi nous vont dans les nganda derrière certains dépôts pour oublier un peu les tracasseries de la journée. Dans ces nganda, il ne faut pas brandir les coutumes sinon on ne peut pas vivre. Un jour j'étais autour d'une table en train de boire en compagnie de deux femmes et de deux autres clients. Nous étions en train de discuter des prix des colis de poissons. Ce jour-là, le mari de ma voisine du quartier est entré pour boire. Quand il a posé son regard sur moi, il s'est exclamé :" Toi, la femme de mon frère, tu oublies que tu es lulua et que tu ne dois pas vivre ainsi, bras dessous bras dessus avec des gens inconnus, tu viens de commettre le tshibindi et tu dois payer le tshibau". J'avais assez bu, je lui ai vite répondu en tshiluba :" Endela yebe", qui veut dire « Occupe-toi de tes affaires » et j'ai fini par dire : "Tshibindi tshiakashala ku Babindi", ce qui veut dire, « Ce délit concerne seulement les Babindi ». Rentré vite à la maison, mon voisin est allé vite trouver mon mari et lui rapporter les faits. Mais après qu'il eut fini de parler, mon mari lui répondit : "Ne viens plus me raconter des choses pareilles. Ne viens plus me raconter des choses qui poussent au divorce d'avec ma femme. Si elle me quittait définitivement, est-ce toi qui vas t'occuper de mes enfants ?" Cet homme-là est parti sans mot dire. C'est le discours que mon mari a tenu à notre voisin et quand nous fumes ensemble, mon mari me posa cette question: "Veux-tu mourir à cause de la méconduite ? Tu as oublié que beaucoup de femmes mariées lulua ont trouvé la mort dans cette ville à cause de ce comportement ? Je vais appeler les membres de la famille pour que tu te confesses devant eux". Je lui ai répondu : "Les femmes des membres de ta famille sont-elles épargnées par la crise ? Ne fréquentent-elles pas les bars et nganda ? N'aiment-elles pas les plaisirs ? Si tu ne veux plus de moi, signe-moi une lettre de divorce. Je ne suis pas une esclave domestique, donc privée de liberté. Aujourd'hui, alors que beaucoup de gens recourent à la prière, toi, tu recours aux coutumes de tes ancêtres. 183 Nos coutumes nous retardent. Si je dois travailler sans distraction, sans loisir, je finirai par mourir de stress". Après cette réaction, mon mari s'est tu et est allé dormir en chambre. Depuis ce jour-là, il ne m'a plus demandé quoi que ce soit au sujet de mon comportement. Il s'en est même excusé une nuit en disant : "Nous, les hommes, sommes égoïstes. Nous voyons avant tout notre intérêt et celui de la famille après". Depuis lors, mon mari me laisse en paix. J'effectue une ou deux fois des déplacements à Kasenga pour payer du poisson à bon prix et je reviens m'occuper de lui et de mes enfants. Je suis quelquefois tentée de m'amuser avec un autre homme, mais par respect de mon corps et surtout par peur de mourir du sida, je me suis toujours réservée. La tentation vient de l'isolement affectif dans lequel se trouvent toutes les femmes en déplacement, en voyage, loin de leurs maris. Les hommes ne sont-ils pas autant tentés que les femmes ? Alors pourquoi souligner le mauvais côté de la vie de la femme et sanctifier celle de l'homme ? Mon mari est devenu mon défenseur auprès des membres de sa famille. Ce comportement me rend de plus en plus libre. Je pouvais être amenée à me défendre contre les coutumes par le recours aux classiques mécanismes culturels de défense de droits de la femme en milieux urbains et ruraux de Beena Lulua ». Cette histoire traduit en suffisance toute la souffrance de la femme lushoise à travers les stéréotypes culturels construits par l'homme mais aussi sa préoccupation permanente à venir au secours de son mari dans la recherche de la survie du ménage. Elle a également montré comment la débrouille a su bousculer si pas arrivé à bout de certains tabous à Lubumbashi. 3.3. Le secteur informel à Lubumbashi Le secteur informel a toujours existé en République Démocratique du Congo en général et à Lubumbashi en particulier. Durant la période coloniale, au moment de la création des villes, on remarque déjà les petites activités marchandes et artisanales. (Lire Dibwe(2001), Coquery- 184 Vidrovitch(1991)). Des activités très diverses, spécialement celles qui relèvent du petit commerce, se sont développées dans la plupart des pays africains. Cependant, les personnes qui s'y livrent font aussi partie de la main d'oeuvre salariée ou continuent de participer à des travaux agricoles en tant que cultivateurs indépendants(1) . Dans ce cadre, Dibwe dia Mwembu note que les femmes prostituées n'étaient cependant pas tolérées lorsqu'elles entretenaient des relations intimes avec plusieurs partenaires. La crainte de la propagation des maladies sexuellement transmissibles était une des causes du rejet de cette catégorie de femmes par l'Union Minière. Pour manifester leur présence, certaines femmes prostituées ont créé des associations à partir des années 1930. Il s'agit notamment de SAMI et de DIAMANT aussi bien à Kinshasa qu'à Lubumbashi. Ces associations féminines avaient pour objectifs, entre autres, celui de chercher des maris à tout prix. Mais par contre, les femmes mariées, tolérées dans les milieux urbains, étaient cependant exclues du circuit économique moderne. Elles exerçaient des activités informelles, non reconnues par la trilogie coloniale, comme les activités champêtres, les activités commerciales, etc. Des foyers sociaux furent créés déjà à partir de 1935 à Lubumbashi pour faire des femmes africaines des bonnes gouvernantes de ménage(2). Touré Abdou note que le secteur informel joue un rôle très important dans l'économie du pays, parce qu'il constitue aussi un « refuge économique » pour une part importante de la population urbaine que le secteur dit moderne ne peut employer. Comme dans toutes les grandes villes des pays en développement, il représente une part importante de l'emploi, en particulier en milieu urbain, et a pris de l'ampleur(3).
185 Engendrée par l'Union Minière du Haut-Katanga, actuelle Gécamines, Lubumbashi a connu un développement notable grâce à la naissance et à l'essor dans son giron de nombreuses entreprises. Le travail y est donc la raison de son existence, de son importance non seulement au Katanga, mais aussi au Congo. C'est également le travail qui y a drainé et brassé des centaines des milliers d'individus de races et d'origines diverses et l'a fait passer de l'état de milieu homogène à celui de ville cosmopolite. Grâce au travail, Lubumbashi est devenue non seulement le point de production, de commercialisation, de consommation et de distribution des biens, mais aussi un des trois grands pôles économiques de la République Démocratique du Congo (avec Kinshasa et Kisangani) et, partant, le point de polarisation de l'espace. Jadis une ville des salariés, le séjour y était conditionné par l'obtention d'un contrat de travail. Les chômeurs n'y avaient pas de place. Le secteur formel y régnait en maître. L'informel y était exclu ou absent ou, mieux, inconnu. Le service des passeports contrôlait la mobilité de la population. Maintenant plus de 50 ans après l'indépendance, le travail n'a plus la même signification et la même valeur pour les travailleurs des entreprises privées, para étatiques ou publiques, les agents et fonctionnaires de l'État, les enseignants, les missionnaires, les femmes ménagères, les jeunes gens et jeunes filles diplômés de l'enseignement supérieur et universitaire, obligés de recourir à la débrouille pour survivre. Tirant du travail industriel non seulement la substance mais surtout la raison d'habiter une région, parfois un pays, et la fierté d'en être les citoyens de plein droit, ces populations ont instantanément tout perdu. Ils sont désormais étrangers chez eux. Ils ne sont plus ni ouvriers, ni citoyens, ni même souvent des époux et des pères de famille capables d'honorer leurs obligations sociales. L'analyse de la structure de l'emploi permet de remarquer que la dynamique du secteur informel productif s'appuie essentiellement sur 186 l'utilisation d'une main-d'oeuvre pas ou peu rémunérée. Il s'agit essentiellement d'apprentis qui constituent la première catégorie de main d'oeuvre. Ils sont localisés dans les activités de production, dans les services et dans le commerce. L'utilisation massive de main d'oeuvre féminine et infantile s'explique par la régression des activités traditionnelles et l'évolution de la notion d'apprentissage en fonction de nouvelles formes de relations sociales : celles-ci entrainent parfois des abus et de l'exploitation. Dans tous les quartiers et dans toutes les strates sociales de la ville de Lubumbashi, l'homme reste le poumon économique de la famille grâce à son salaire et autres apports en argent. Une fois que ce pourvoyeur n'arrive plus à cause de multiples raisons ci-haut évoquées, il doit coûte que coûte faire quelque chose pour subvenir aux besoins de sa famille ou de son ménage. Dans le monde urbain, l'argent est la force protectrice et vitale à rechercher à tout prix. Ainsi donc, si pour les maris (hommes) des quartiers populaires et périurbains de Lubumbashi, il n'y a pas de sots métiers : cependant, ceux des quartiers résidentiels et planifiés pensent aux activités mondaines et louches : trafic des ressources précieuses, trafic d'influence, commissionnariat, bradage de la monnaie, monnaillage de services, etc., comme mécanismes de sortie de leur état de précarité existentielle. Donc l'agent de cadre et l'ouvrier se débrouillent assez différemment selon les habitudes et les attentes familiales du moment. La précarité économique et existentielle de la plupart des ménages de la ville de Lubumbashi témoigne non seulement du secteur informel, mais oblige les femmes et les enfants à se débrouiller comme leur prétendu protecteur. Ils refusent à leur manière de se considérer comme des éternelles bouches à nourrir à partir des maigres ressources dégagées du travail fait par le père en crise. Cette précarité économique explique justement le drame qui se déroule au sein des ménages lushois, lorsque le chef de ménage apporte son maigre salaire à partir duquel on peaufine des stratégies de survie. Cette réalité traduit en quelque sorte les lots de femmes trafiquantes, 187 femmes propriétaires des salons de coiffure, femmes marchandes, et probablement le nombre de plus en plus élevé des femmes mariées qui se prostituent. Certaines femmes mariées pratiquaient furtivement la prostitution pour assouvir leur soif sexuelle. Mais aujourd'hui, tout a changé. Beaucoup de femmes mariées s'adonnent publiquement à la prostitution pour diverses raisons, entre autres, la survie du ménage. Une tragédie fustigée par un musicien congolais, feu Dindo Yongo qui, dans sa célèbre chanson « Mokili e Changer » dit que le monde a changé, les femmes mariées sont devenues des prostituées, alors que les prostituées deviennent des mariées. L'étude de cette situation désolante au Sénégal a amené Polany Karl(1) à parler du tertiaire primitif, de l'économie populaire que nous appelons ici tertiaire de survie ou une économie de la débrouille pour désigner sociologiquement les activités auxquelles se livre une catégorie de la population de la ville de Lubumbashi. De toute façon, il est question d'une foule d'activités multiformes, par leurs aspects les plus visibles, celles qui s'imposent à l'évidence du vécu urbain. Cette forme de débrouillardise comme d'autres d'ailleurs traduit l'inégalité sociale et l'exclusion qu'il faut vraiment combattre. C'est pourquoi, les différents mécanismes d'accommodement au chômage, parmi lesquels les petites activités commerciales et professionnelles, absorbent les non-scolarisés, les migrants, les déscolarisés, les sans emploi, les travailleurs exclus du secteur moderne ou désirant un revenu supérieur, les mariés tout comme les célibataires et jouent un rôle essentiel dans la création d'activités urbaines de survie. On ne parle pas de création de véritables emplois urbains, car, comme l'a souligné Deblé, « le terme emploi lui-même, très ambigu, masque l'hétérogénéité des statuts du travail et des marchés du travail dans les villes africaines(2).
188 Dans le cadre de la théorie de la marginalité spatio-économique, Bushabu Piema Kuete constate qu'à Lubumbashi, les habitants de quartiers résidentiels (45%), de quartiers planifiés ou populaires (70%) et de quartiers non-planifiés ou périurbains (85%), sont exclus du monde du travail contractuel et constituent, par conséquent, une armée de réserve ou un excédent de la force de travail par rapport au capital. Phénomène spécifique du capitalisme périphérique, la marginalisation est généralement synonyme de dysfonctionnement du système urbain et d'exclusion sociale. Mais dans le cas de la vie économique à faibles ou irréguliers revenus des lushois (80%), elle procure la survie quotidienne à cette frange de la population citadine de toutes les aires de résidence et catégories sociales confondues(1) . Le chômage et la précarité économique sont perçus par les Lushois (hommes, femmes, jeunes et enfants) comme une contrainte existentielle contre laquelle il faut lutter en recourant aux mécanismes d'accommodement, solutions et stratégies comportementaux, afin de garantir la survie individuelle et familiale en ville. 3.4. Rôle et participation de la femme dans le secteur informel La place et l'importance du secteur informel pour la population lushoise ne sont plus à démontrer. Sa genèse, sa complicité, sa croissance ainsi que son rôle toujours plus important dans la vie économique et sociale sont maintenant bien connus. En effet, l'émergence du secteur informel correspond à un ensemble de réponses à la crise économique et au contexte macro-économique d'ajustement. Trois facteurs essentiels permettent de mesurer sa place. Il s'agit d'abord de sa contribution à la production nationale, au niveau des revenus et des besoins essentiels. Le secteur informel assure des emplois dont les revenus contribuent à subvenir aux besoins de la famille. Il joue un rôle non négligeable dans la réduction du chômage, surtout chez les femmes et les jeunes. Selon Bugnicourt, « le secteur informel a un rôle à jouer dans la réduction du chômage et de la pauvreté, il corrige les inégalités sociales et (1) BUSHABU Piema Kuete R., op. Cit, p. 267 189 spatiales des revenus et donne des réponses aux besoins des populations à faible pouvoir d'achat (1)». Les emplois qu'il offre sont cependant épisodiques et occasionnels. Ainsi, à Dakar, selon les données de Gaufryau et Maldonado(2) il offre de manière directe et indirecte des possibilités à plus de 250.000 personnes dans les domaines de l'emploi, de la scolarisation, de la formation et de la distribution des revenus. Outre sa fonction de source de subsides, il joue un rôle dans la satisfaction des besoins essentiels et même vitaux pour la majorité de la population qui n'a pas accès à l'emploi formel. La lutte des femmes pour la survie des ménages et contre leur ghettoïsation dans le secteur informel sont des réalités connues. A la faveur de la crise et de la rareté de l'emploi aggravé par les licenciements massifs, les femmes ont émergé dans ce secteur comme actrices sociales, prenant une place décisive dans les espaces domestiques et publics même si elles ne parviennent pas encore à obtenir des changements qualitatifs et empiriques de leurs statuts et de leurs droits. Selon les études réalisées au Sénégal, le secteur de travail informel employait beaucoup plus de femmes que des hommes. A Dakar, en 1989, le secteur informel comprenait apprentis et aides familiaux alors que les salariés chez des particuliers
et les femmes
190 L'insertion des femmes dans le commerce urbain a été documentée (Coquery-Vidrovitch(1) ; Sow(2) ; Sarr(3) ; Bouchard(4)). Ces études ont attesté l'importance du travail féminin dans le secteur informel, particulièrement dans le commerce. Ils ont aussi démontré que, grâce au secteur informel, des femmes ont acquis une autonomie, une valorisation et un certain pouvoir. Ils ont par exemple démontré que des femmes commerçantes utilisaient leur autonomie financière comme moyen de lutte et de revendications, latentes ou ouvertes, pour se positionner dans la sphère politique. Certaines arrivent aussi à se professionnaliser, à se spécialiser et à créer des biens commerciaux, de la valeur ajoutée pour dépasser ainsi les nécessités de la simple survie, pour apporter un soutien financier dans les ménages et participer à la régulation sociale et économique des structures familiales(5). Cependant, la majorité des femmes produisent et revendent des produits dérivés du secteur primaire et des activités traditionnelles : de l'agriculture, de l'industrie et de l'artisanat. Leurs activités consistent surtout à vendre à l'état des denrées alimentaires (légumes, poissons, condiments, pagnes, aliments, plats cuisinés), devant leurs portes, dans la rue, au marché, mais aussi travailler dans l'artisanat, le service, la prostitution, la coiffure, etc. Bref, il s'agit d'une panoplie d'activités liées de près aux travaux domestiques dont elles constituent parfois le prolongement. Economiquement, les femmes sont affectées à des activités précaires, fragiles, où elles sont largement désavantagées par rapport aux hommes. Leurs activités commerciales ou de services sont de plus
191 incertaines en raison de la concurrence, de la fiscalité et de la diminution du nombre de clients potentiels en lien avec la baisse du pouvoir d'achat. Par conséquent, les femmes sont toujours davantage confrontées à des situations d'incertitude qui caractérisent les milieux populaires. Le secteur informel, lui-même en crise, n'arrive plus à absorber les individus qui sont très nombreux à adopter cette stratégie pour obtenir des revenus. En outre, les femmes obtiennent des revenus dérisoires et aléatoires qui ne leur permettent même pas d'assurer les dépenses quotidiennes d'entretien de leurs enfants et de leurs ménages. Cette image de la femme au travail est perpétuée par la représentation collective que se fait la société de cette dernière. Les femmes sont réputées fragiles, émotives, intuitives. Des images qui les ont amenées à s'orienter d'elles-mêmes vers les métiers censés leur convenir. Les stéréotypes acceptés ont été modelés par l'éducation et la culture transmise aux nouvelles générations. Un autre indice de la fragilisation économique et familiale est l'obligation faite à la femme et aux enfants de travailler pour contribuer aux revenus du ménage. Malgré ses immenses ressources naturelles, la République Démocratique du Congo est l'un des pays les plus pauvres du Monde. Les populations vivent dans des conditions économiques et sanitaires déplorables. Près de 80% de la population congolaise survivent à la limite de la dignité humaine, avec moins de 1$ par personne par jour, moins de 20% ont accès régulier à l'électricité(1) . La pauvreté se manifeste par la malnutrition qui touche entre 30 et 50% des femmes et des enfants. Au total, 1,6 millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire(2) . Sur le marché du travail, la situation de chômage ou d'emploi précaire touchait la majorité de la population active en 2004. La part du travail informel est en constante augmentation et les salaires sont dérisoires. Aux termes des négociations de février 2004, un nouveau barème avait été fixé à
192 208$ le traitement mensuel du dernier fonctionnaire de l'Etat et à 2080$ celui du secrétaire général de l'administration publique. Cependant, cette grille n'est toujours pas appliquée(1). Un huissier touche 31.000 francs congolais (environ 34,4$). L'étude portant sur le comportement des ménages en temps de crise peut nous aider à comprendre le lien entre la pauvreté des ménages et le travail des femmes. L'enquête menée en Tanzanie en 1998, à une époque de crise et de réforme économique montre que ces deux phénomènes conjugués ont provoqué une forte baisse des salaires réels dans le secteur formel et ont incité la population, surtout les femmes, à se tourner vers les activités du secteur informel pour gagner un revenu ou compléter leurs revenus existants. Cette étude a constaté que 80% de femmes avaient mis sur pied leur entreprise dans les cinq ans précédent l'étude, contre 50% des hommes. Cet écart prouve que l'accroissement de la part des femmes dans le revenu constituait bien une réponse à la situation de crise. Par ailleurs, le nombre des travailleurs autonomes vivant en ville a augmenté, passant de 7% dans les années 1970 à plus de 60% au moment de l'enquête. Souvent, le capital de démarrage leur était fourni par leur mari. Dans toute la mesure du possible, les ménages maintenaient leurs liens avec le secteur formel du marché de l'emploi, mais plutôt pour la sécurité des revenus ainsi générés que pour leur montant. Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de cumuler plusieurs types d'activités, le plus souvent la gestion d'une petite entreprise et l'agriculture urbaine (généralement pratiquée dans des lopins situés dans les zones périphériques). Dans le même cadre, dans une étude menée au Togo, Esse Amouzou signale que les ménages de conditions modestes mobilisent plus de la moitié de leurs ressources en faveur de l'amimentation comme moyen de changement d'attitudes dans la gestion budgétaire des ménages en cas de crise et explorent les sources de revenus inédites. Le résultat est une (1) BAFD/OCDE, Op. Cit, p. 245 193 polyvalence professionnelle, sous la forme de débrouille ou d'activités durables dans le secteur informel.(1) Il présente aussi dans la meme étude, le secteur informel comme une voie de sortie à la déconfiture du secteur formel et du manque d'emploi. « La part de plus en plus croissante du secteur informel dans l'économie togolaise se pose comme une solution au manque d'emploi structuré. Pour suppléer à l'existence d'une politique de promotion de l'emploi, le secteur informel fleurit avec une exubérance surprenante : le secteur informel trouve ses ressources humaines au sein des jeunes diplomés, des « ratés » scolaires et des femmes qui y assurent une partie importante et sont largement impliquées dans des secteurs comme le commerce et la restauration. De façon plus globale, les licenciements générés par les contraintes budgétaires publiques, la restructuration des entreprises et la réorganisation administrative ajoutées à l'irruption de jeunes diplomés sur le marché de l'emploi accentuent l'étroitesse du marché de l'emploi qui offre comme unique porte de salut l'auto-emploi d'où la floraison de micro-entreprises(2). Dans une étude menée précédemment par nous-mêmes (Dikasa Engondo) sur « la dépréciation continue du zaïre monnaie et l'effritement de pouvoir d'achat du fonctionnaire zaïrois. Cas de l'enseignant de l'université », nous avons eu à démontrer que face à une situation de crise due à l'effritement du pouvoir d'achat à cause des dépréciations continues de zaïre monnaie une situation de défense ou de refus de mourir à amener les fonctionnaires et leurs familles à multiplier les initiatives pour vivre et palier à l'insuffisance de revenus. Dans cet article, on peut lire : ...le salaire du fonctionnaire congolais (ex Zairois) était et est encore, jusqu'à nouvel ordre, bien en-deçà du coût de la vie et envenime ses conditions sociales. Le fonctionnaire congolais s'épuise dans ses travaux et ses diverses initiatives sans pour autant parvenir vraiment à se prendre en charge. D'où le climat
194 d'angoisse et d'inquiétude dans lequel il vit au jour le jour quant à l'obtention du minimum vital avec le pouvoir d'achat précaire(1) . Pour être beaucoup plus précis sur la position de la femme du fonctionnaire dans ce combat pour la survie, Dikasa écrit encore, « - perplexe et impuissant dans le combat pour la survie qu'il mène chaque jour, le fonctionnaire zaïrois (congolais) confronté à l'insuffisance de son salaire et l'amenuisement de son pouvoir d'achat, se voit obligé de combiner plus d'un emploi. Conséquences directes de ce cumul des fonctions : la détérioration de la qualité du travail et de sa santé, l'absentéisme, sinon les retards et les départs du service avant l'heure et l'éducation des enfants au rabais au sein des foyers où l'homme et la femme, en détresse, s'adonnent pour la survie à des activités économiques désordonnées ; - On assiste à la maximisation des activités des spéculation où, pour vivre, tout le monde devient commerçant. Pour la subsistance du foyer, le fonctionnaire pratique des activités commerciales contrairement aux statuts qui le régissent. En réalité, l'importance voire même la recrudescence du secteur informel est essentiellement due à cet état des choses. »(2) En tout état de cause, le travail des femmes constitue de toute évidence un facteur incontournable de la survie et de la sécurité des ménages pauvres. Il s'avère en outre indispensable pour que la famille puisse espérer sortir de la pauvreté. Les femmes des ménages pauvres se consacrent à toutes sortes d'activités qui génèrent des revenus ou réduisent les dépenses. Dans certains cas, elles complètent l'apport masculin ; dans d'autres, elles assument l'essentiel ou l'intégralité des moyens d'existence du ménage. Cependant, les liens entre le travail rémunéré des femmes et la pauvreté ne sont pas uniformes. Ils dépendent notamment des particularismes économiques locaux et du degré de patriarcat des structures sociales. Dans les régions qui pratiquent la réclusion féminine, le fait qu'une femme occupe
195 un emploi rémunéré à l'extérieur de son domicile peut constituer en soi un indice révélateur de la pauvreté qui sévit dans son ménage. Dans d'autres régions, ce n'est pas le fait que les femmes travaillent qui témoigne de la pauvreté, mais plutôt le type de travail qu'elles (mais aussi les hommes) accomplissent. La pauvreté féminine n'induit pas toujours et partout aux mêmes types d'activités et d'emplois. 3.5. Rôle de la femme dans la survie du ménage Selon une approche centrée sur la division sexuelle du travail, les femmes sont responsables d'unités domestiques et ou familiales à l'intérieur du ménage et les hommes sont présents dans les unités de production. Jusque dans les années 1980, la division normative du travail au sein de la famille traditionnelle tendait à attribuer aux hommes les emplois hors du foyer. Ceux-ci exigeaient de longues périodes de travail ininterrompu ou de déplacements importants alors que les femmes accomplissaient plutôt leur travail à la maison. Ce type formel de relations montre que le couple jouait deux rôles fortement contrastés ; à la femme était attribuée une fonction affective ou expressive et, à l'homme, la fonction instrumentale qui consistait à fournir les ressources nécessaires au ménage, rôle également attribué d'ailleurs dans la plupart des religions révélées à l'homme. De nos jours, la situation économique de la famille repose largement sur le travail des femmes qui constitue la principale source de revenus familiaux. Avec la crise, la contribution de la femme et des enfants à la survie de la famille est cruciale. Le travail de chaque conjoint est indispensable à la subsistance de la famille. Les politiques de compression et de licenciement des personnels et la crise économique ont mis les hommes au chômage et balayé certains tabous sociaux et moraux. Les barrières qui s'opposaient jadis au travail des femmes s'effondrent. Les hommes sont obligés de les laisser travailler, car ils ne sont plus en mesure de satisfaire tous les besoins : habillement, nourriture, logement, etc. Ils savent, en dépit de leur orgueil masculin, que leurs moyens sont limités. 196 Pour appuyer cette thèse, Céline Pauthier citée par Odile Goerg démontre le rôle mobilisateur et protestataire de la femme en ces termes : « les femmes se mobilisent lorsque la situation économique du pays les empêchent de remplir complètement leur rôle de mères et d'épouses. C'est parce que les femmes ne peuvent plus assurer les rôles que la société leur assigne, que les hommes ne tiennent pas leur place, qu'elles agissent : elles doivent alors inciter les hommes à agir, en les tournant en ridicule, et se mettant en avant, sortant ainsi du rôle effacé qui est théoriquement le leur : ce faisant, elles remettent en cause les rapports de genre même si elles le font au nom d'une dimension conservatrice »(1). Elles chercheraient donc à empêcher le départ des hommes et assurer la survie de leurs ménages en mettant en pratique des stratégies qui prolongent les modes de fonctionnement antérieur et les élargissent. Cet équilibre fondamental de la société reposerait, suivant la théorie traditionnelle, sur une répartition des rôles et des représentations somme toutes habituelles : la masculinité renvoie à des notions telles que capacité d'initiative et force physique, la féminité à la maternité. Selon la théorie traditionnelle (à la Parsons), le chef de ménage est le principal support économique du ménage. Son ou ses épouses ont pour rôle premier l'assurance des activités domestiques, y compris la constitution de la descendance. Les enfants, quand ils sont jeunes, sont censés se consacrer à leurs études, alors que les membres extérieurs au noyau familial ont des rôles divers selon leur âge et la raison de leur présence dans le ménage(2). C'est dans ce cadre que pour appréhender l'apport de la femme dans la survie du ménage à Lubumbashi, César Nkuku dans sa recherche sur la survie des ménagères à Lubumbashi notait que : « Pendant cette période de crise où l'autorité des hommes, jadis construite sur le salaire
197 et les avantages sociaux, est aujourd'hui lézardée, ne tenant que sur des béquilles peu sûres, les femmes ménagères sortent de leur torpeur, mettent fin à leur rôle de figurantes imposé et de suiveuses résignées, enfilent des gants et s'apprêtent à la lutte pour la survie de leurs foyers ».(1) Ceci montre donc l'évolution du rôle traditionnel de la femme. La « révolution féminine » et l'empowerment des femmes, les nouveaux modèles de famille et surtout la pauvreté ont beaucoup contribué à la déconstruction des modèles anciens et à la reconstruction de nouveaux. Dans le contexte économique très difficile de la République Démocratique du Congo en général et de Lubumbashi en particulier, depuis les années 1988 les femmes doivent contribuer activement au revenu familial. Outre leur rôle dans la transmission des valeurs aux nouvelles générations, elles ont une place dans les réseaux sociaux et maintenant dans le processus de production. A partir d'une analyse sur le rôle de la femme dans la lutte contre la pauvreté, Rosalie Aduayi qui cite Wane signale que les femmes chefs de ménages consacrent en moyenne, une part importante de leurs revenus à la consommation plus que les hommes(2). Cela fut aussi confirmé par Meillassoux « le rôle notable joué par la femme africaine dans l'économie de subsistance, ses fonctions de travailleuse font de la famille conjugale et plus encore polygamique une cellule productive et organisée. Elles combinent leurs tâches ménagères avec le travail dans le secteur informel qu'elles occupent largement avec de petites activités rémunératrices. Elles alternent souvent différentes sortes de travaux et cumulent une série de tâches afin d'accroitre leurs revenus et gagner suffisamment pour aider leurs familles à survivre. Comme les familles sont des unités productrices et reproductrices, des centres d'activités économiques, créatrices de vie, les femmes sont amenées à tenir plusieurs rôles dans leur ménage »(3). Pour Fatou Sow, le rôle des femmes commence à être pris en considération et valorisé du fait de leur
198 contribution dans les ménages. Toutefois, les femmes pauvres ont des possibilités limitées. Elles offrent ainsi leur force de travail à bon marché comme domestiques, lingères, pileuses de légumes ou de maïs, gardiennes des enfants, vendeuses à la sauvette, etc. En raison de leurs possibilités limitées, les femmes pauvres recourent au travail des enfants et autres corésidents pour la survie du ménage(1). L'origine familiale et l'action des femmes seront déterminantes dans le processus de mise au travail des enfants et autres corésidents. La majorité d'enfants qui travaillent ne sortent pas de l'unité domestique ou familiale. La socialisation différenciée fait que les jeunes filles sont toujours avec leurs mamans et les jeunes garçons avec leurs papas, surtout pratiquant les petits métiers artisanaux. Ces pratiques influent sur la division sociale du travail par le genre. Les filles ont tendance à reproduire les mêmes métiers que leurs mères. Les activités de vente ou de petit commerce sont souvent pratiquées dans le prolongement de l'activité de la parente (mère, tante, soeur ainée, grand-mère, voisine), soit sur les marchés, soit aux carrefours ou le long des rues (vente à la sauvette, vente ambulante). Fréquemment, cette activité ne constitue pas une prise de distance avec l'univers domestique. Au contraire, elle fait de la jeune fille une actrice dans l'économique de pénurie que nous avons appelée ici une économie de la débrouille. Les enfants (garçons et filles) accomplissent donc systématiquement une activité rémunérée qui prolonge le travail de la mère ou de la parenté. Il s'agit en général du petit commerce au détail ou de la vente ambulante. C'est à travers la famille et principalement, par les femmes que les jeunes filles ont développé des capacités d'adaptation à leur situation de pauvreté qu'elles cherchent à améliorer. L'acquisition des savoir-faire liés au commerce se fait singulièrement par le mécanisme de transmission, d'accommodation des conditions de vie définies et structurées par ce milieu. (1) SOW Fatou., op. cit, p.94 199 De même l'expérience acquise au marché, et à travers l'activité du micro-commerce, prend naissance dans la famille grâce au vécu quotidien. Plusieurs auteurs (Cordonnier 1992 ; Marcoux 1993 ; Verlet 1996 ; Lecarme-Frassy 2000 ; Bouchard 2000) ont démontré que beaucoup de femmes au travail s'appuient sur leurs filles pour l'organisation de leur temps et de leurs activités. « La femme au travail sera vite conduite à s'appuyer plus fortement sur le concours de ses filles, soit pour se substituer à elle pour une large part des activités domestiques, soit pour l'aider dans son activité mercantile(1) ». Une gestion efficace de l'économie de la débrouille doit mobiliser toutes les capacités de travail de l'unité domestique en crise. La division familiale du travail qui consiste à transférer une partie du travail domestique à un membre de la famille pour pouvoir se consacrer à d'autres activités génératrices de revenus (restaurant, petit commerce), permet la gestion de l'économie de la débrouille. Selon Lecarme-Frassy, la division sociale du travail par genre, dans le golfe de Guinée, vouait les hommes à la production et à la pêche, les femmes à la commercialisation et la transformation du poisson. L'appartenance au groupe socioprofessionnel des sulbalbés(2) oriente les activités des femmes et des filles vers la commercialisation du poisson frais ou transformé par leurs soins, tandis que les hommes assurent l'activité de pêche(3). Parlant des revendeuses de tissus de la ville de Togo, R. Cordonnier souligne que dans les familles de commerçantes riches, comme les vendeuses de tissus ou « Nana Benz »(4), les femmes insistent sur la scolarité des enfants, mais n'en espèrent pas moins voir un jour leurs enfants
(1) CORDONNIER Rita, Femmes africaines et commerce : les vendeuses de tissus de la ville de Lomé (Togo), Paris, ORSTOM, 1982, p.163. 200 reprendre le commerce(1) .Les filles sont initiées aux activités de commerce dès le bas âge. Sur le plan économique, la contribution des filles issues de ces familles, même si elle est invisible dans les statistiques nationales, est énorme et plus importante que celle des garçons. De même il n'y a pas de données statistiques pour quantifier ce temps utilisé pour les travaux domestiques, ni pour évaluer la contribution de ces filles à l'économie domestique, urbaine et même rurale. Néanmoins, suite à des observations empiriques, il apparait qu'une bonne partie des filles contribue aux deux tiers du total des heures passées dans diverses activités. La justification principale pour légitimer le travail des filles en milieu urbain est la pauvreté qui est une catégorie construite en termes de capacité fonctionnelle (pauvreté absolue) et de capacité monétaire et économique (pauvreté relative) où le marché occupe une place centrale. L'accroissement de la pauvreté féminine explique l'intérêt porté au travail des filles. Cependant la thèse de la pauvreté comme explication du travail des enfants semble être réfutée par certains observateurs et des organismes non gouvernementaux qui ont trouvé des solutions alternatives à la non scolarisation des enfants pauvres, discriminant une partie des filles les plus défavorisées dans les villes. De même elle ne considère pas, pour notre part, la genèse du problème, à savoir les parents pauvres qui comptent sur la participation économique des enfants pour survivre. Dès lors, la thèse de pauvreté est pertinente mais demande à être relativisée. Dans les pays comme la République Démocratique du Congo et surtout dans la ville de Lubumbashi, il est indéniable que la pauvreté s'est fortement transformée durant les deux dernières décennies. Elle a augmenté de façon exponentielle chez les femmes et les jeunes et elle est même devenue urbaine : il existe ainsi un lien entre la pauvreté, le genre et la survie des ménages. 201 Au regard de tout ce qui précède, même si certains néo-féministes assimilent encore la situation de la femme à celle du colonisé, voire du prolétaire, celle d'opprimée de la société contemporaine, force nous est de considérer, à titre provisoire tout au moins, la femme comme faisant partie d'une vaste catégorie sociale aux contours encore non précisés, et qui devrait se voir progressivement acceptée dans des secteurs de la vie jusque- là exclusivement réservés à l'homme. 3.6. Conclusion partielle A Lubumbashi, la place du travail de la femme et des enfants est déterminée, en grande partie, par le processus de socialisation et d'attribution des rôles et statuts sociaux. Cependant, avec les crises et la mondialisation économique, politique et culturelle, les statuts et les rôles se sont modifiés. Ce qui suscite des conflits et de dysfonctionnements. Ces rapports conflictuels et asymétriques se mesurent par les inégalités en matière d'éducation, de formation, de santé et d'emploi dont certaines femmes ou certaines familles sont victimes, ce qui nous a amené à évoquer l'approche genre. En effet, ces transformations ont des impacts différentiels sur les groupes sociaux, en particulier sur les femmes et les enfants. Ainsi le phénomène de travail des femmes et des enfants au travail et luttant pour la survie de leur ménage s'inscrit dans une dynamique de changement social et sociohistorique provoqué et accéléré par un contexte général de crise et d'appauvrissement. En d'autres termes, la problématique du travail des femmes, des enfants et même des autres corésidents émergent dans ces processus de transformation non seulement économiques, mais également macrosociologiques. Mais nous pensons aussi, qu'au-delà des dimensions structurelles, macroéconomiques, il peut exister d'autres facteurs sous-jacents concertés et conjoncturels qui demandent à ce qu'on replace la question du genre, pauvreté et stratégies de survie des ménages dans le cadre d'une société où ils se manifestent et se remodèlent pour sa bonne compréhension. 202 D'où le choix de la ville de Lubumbashi, en République Démocratique du Congo, comme le terrain empirique de cette étude. Pour éviter d'être trop théorique, nous avons préféré confronter cette partie théorique aux réalités de terrain par l'organisation des enquêtes. Ce qui nous amène d'abord à la présentation morphologique de l'échantillon. 203 CHAPITRE IV : CADRE METHODOLOGIQUE ET PRESENTATION DES RESULTATS DES ENQUETES SOCIO-ECONOMIQUES DE L'ETUDE 4.1. Introduction A travers ce chapitre, nous voulons montrer comment la population de Lubumbashi, qui est confrontée aux problèmes récurrents de manque ou de l'insuffisance du revenu monétaire, est obligée de s'adonner à la débrouille pour la survie de ménage. Pour ce faire, nous avons organisé des enquêtes adressées directement aux ménages pauvres de la ville de Lubumbashi, sans oublier les recherches bibliographiques et théoriques qui nous ont aidé à bien cerner la question avant de procéder à l'étude des cas. Pour cette recherche, nous avons décidé d'utiliser largement comme instruments, le questionnaire d'enquêtes et les interviews. Nous savons que, quelle que soit sa configuration réelle, le ménage, en tant qu'unité de consommation, doit générer assez de ressources pour subvenir aux besoins de ses membres. Ainsi quand le principal pourvoyeur de revenu (le chef de ménage), pour une raison ou pour une autre, n'est pas à même de bien assurer cette fonction, le ménage se doit de mettre en place un certain nombre de stratégies génératrices de ressources supplémentaires. Dans le cadre de cette thèse, nous nous intéressons à la mobilisation de la main-d'oeuvre secondaire dans les ménages en fonction du revenu du chef. Nous entendons par main-d'oeuvre secondaire l'ensemble de personnes autres que le chef de ménage exerçant une activité dans les ménages. Ces personnes peuvent être classées dans les catégories suivantes: conjointes du chef de ménage, enfants du chef de ménage et membres du ménage n'appartenant pas au noyau familial. Cette étude cherche à voir si, par rapport aux ménages dont les chefs disposent d'un emploi bien rémunéré, ceux dont les chefs sont mal rémunérés mobilisent plus 204 ou moins les différentes catégories d'actifs secondaires et si cette mobilisation permet d'améliorer leur situation. Comme dans les chapitres précédents nous avons fait ressortir quelques indicateurs de la pauvreté à Lubumbashi. Nous voulons à présent pousser un peu plus loin notre analyse par l'examen de quelques variables particulières de notre enquête afin d'appréhender le phénomène de la pauvreté qui oblige les ménages de Lubumbashi à multiplier les stratégies de survie. Les conditions actuelles de vie de la population à Lubumbashi, où tout le monde est acculé à la débrouille, ne permettent pas d'avoir des données relativement fiables. A part quelques exceptions, le Lushois ne connait pas un budget mensuel à cause de l'incertitude de son revenu du fait de l'effondrement du tissu économique du pays, et de la quasi inexistence du véritable salarié. Au regard de ce qui précède, notre protocole d'enquête avait prévu de récolter les données sur les conditions de vie des ménages, notamment : l'habitat, l'approvisionnement en eau et en électricité, l'alimentation, l'habillement et la scolarisation des enfants. 4.2. Organisation de l'opération sur terrain Ces enquêtes ont été dirigées par nous-même avec le concours d'une équipe de trente enquêteurs et sept encadreurs, tous étudiants à l'Institut Supérieur de Statistique de Lubumbashi. Le choix de cette catégorie d'enquêteurs se justifie à la fois par le sérieux que nous avons voulu inculquer à cette opération de terrain afin de produire un travail de qualité, mais aussi par le fait que ces enquêteurs sont bien rodés dans les techniques de collecte des données et en techniques de sondage. Les trente enquêteurs étaient tous étudiants de troisième graduat en Statistique, alors que les encadreurs étaient étudiants en deuxième licence en Techniques Mathématiques de Gestion. Ainsi une enquête de terrain avait été organisée dans la ville de Lubumbashi du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 à travers les sept Communes et 205 les quarante-trois quartiers. Etant donné que la récolte des données n'a pas porté sur l'ensemble de la population de la ville de Lubumbashi, il est important d'indiquer et de décrire la procédure de l'échantillonnage. 4.2.1. Echantillonnage et modes de collecte Pour des raisons pratiques, il nous était impossible de toucher l'ensemble des ménages de la ville de Lubumbashi, donc il fallait déterminer dans cette population un groupe d'individus qui devait constituer notre échantillon. Sur ce, nous avons, dans cette étude, pris comme cadre de sondage la ville de Lubumbashi. Celle-ci est administrativement subdivisée en sept communes et quarante-trois quartiers. Et comme unité de sondage le ménage. Le ménage est "une unité socioéconomique de personnes qui partagent les mêmes repas et qui vivent régulièrement ensemble, le plus souvent sous le même toit, en partageant leurs ressources". Il ne s'agit donc pas du foyer au sens biologique, puisque le ménage s'étend bien souvent à d'autres personnes que celles de la famille nucléaire, qui en constituent généralement le noyau central(1). La méthode de quotas a été utilisée pour notre étude, pendant que les données requises par ménage ont été obtenues directement au moyen de l'interview par questionnaire, tout cela sous notre supervision. 4.2.1.1 Détermination de l'échantillon La méthode de quota ayant été non probabiliste, la sélection des enquêtés n'a pas été conditionnée par la présence d'une liste préalable. L'un de nos objectifs dans cette étude aura été de mener une enquête dont l'ampleur serait suffisante de sorte que les résultats soient fiables et précis. Ainsi, nous aurions pris d'après les chiffres de l'administration urbaine de la ville de Lubumbashi en 2011 où la population congolaise était de 1650649 ; avec une moyenne de 7 personnes par ménage, on aurait 235807 (1) PETIT, P. (Dir), Op.Cit, p.88 206 ménages, et en considérant un taux de sondage de 1/10, nous devrions logiquement prendre comme échantillon 23581 ménages, comme chez César Nkuku en 2002(1). Alors que pour presque la même étude Zola(2) en 2005 prenait un taux de sondage de 1/1000, ce qui amènerait alors notre échantillon à 236 ménages. Mais pour sa part Pierre Petit en 2003 et pour une étude similaire à la nôtre dans la même ville de Lubumbashi a considéré 84 ménages, sans tenir compte du quelconque taux de sondage. Dans la logique de ce qui précède, pour fixer la taille de notre échantillon, nous avons utilisé la formule statistique suivante : ??= ????.p(??-p) e?? Avec : n = la taille à fixer t = la valeur de la loi normale à 95 p = le taux de pauvreté en milieu urbain en RDC (3) 1-p = le complément à l'unité de taux de pauvreté e = l'erreur ou risque statistique de se tromper n ? ? 372 0,05 2 D'où : 1,962.0,59(1 - ??,59)
0,92928304 ménages Dans ce chiffre, nous avons pris en compte les non répondants, généralement estimés à 20 %. Donc en tenant compte des non répondants estimés à 20 %, notre échantillon a été trouvé en prenant 372+ 372/0,80, ce qui nous a donné 465 ménages à interroger.
207 Ainsi donc, nous avons arrondi les chiffres en prenant un échantillon de 500 ménages. Ce qui a permis d'améliorer davantage la précision des résultats des investigations organisées. La raison en faveur de cet échantillon fixé à 500 ménages serait que, comme le souligne bien Pierre Petit, « les chiffres sans les significations qu'ils recouvrent sont des abstractions hors contexte : on a parfois vu dans ce pays de véritables cas de « quantophrénie » (folie des chiffres) lorsque, emballés par la logique des statistiques, des chercheurs en sont venus à démontrer par un appareillage mathématique savant des réalités qui tombaient sous le sens- quand elles n'en étaient pas complètement dénuées. Depuis une vingtaine d'années au contraire, le mouvement s'est inversé et les recherches qualitatives - faisant usage de biographies, d'interviews, d'analyses de discours, d'exégèse symbolique, etc. - ont pratiquement détrôné les approches statistiques. Ici aussi, les excès ne sont pas rares, et l'informateur privilégié est souvent devenu une source d'information que le chercheur utilise de façon trop exclusive : un cas unique, parfois très marginal, peut ainsi parfois être présenté abusivement comme le modèle de son milieu ou de son temps »(1). Aussi pour concilier l'approche quantitative avec l'approche qualitative, nous avons opté de travailler avec un échantillon réduit de 500 ménages construit selon la méthode de quotas et avec 37 enquêteurs qui ont travaillé en moyenne avec plus ou moins 14 ménages, et ce, du 12 avril 2013 au 14 mai 2014. Pour les habitués des enquêtes dont les chiffres de répondants se calculent par milliers, cet échantillon paraîtrait insuffisant, mais nous pensons, pour notre part, avec Pierre Petit qu'en travaillant de façon intensive et non extensive avec un ménage, nous sommes arrivé à cerner des données sur des domaines variés et vérifier des informations qui, en fin de compte, se sont recoupées. Surtout lorsque l'on sait que dans une ville où la population est relativement homogène, les exigences de l'échantillonnage trop élevé sont moindres. (1) PETIT, P. (Dir), op cit, p.26 208 Nous avons donc enquêté 500 ménages en respectant la répartition de la population par commune et par quartier. Ainsi en prenant comme base les données administratives de la population en 2011, les données statistiques de 2012 n'ayant pas encore été finalisées au moment des enquêtes en avril 2013, au niveau de l'hôtel de ville de Lubumbashi. Sur base de ces données de 2011, nous avons trouvé le nombre de ménages à enquêter par Commune et par quartier en utilisant les formules suivantes : Ménages à enquêter par commune = 500 X Total des ménages de la commune en 2011 Total des ménages de la Ville en 2011 Et :
Tableau N° 3 : Nombre de ménages à enquêter par commune de la ville de Lubumbashi
Source : Résultats de nos calculs sur base des statistiques administratives de 2011 Selon les données administratives, la ville de Lubumbashi compte 43 quartiers répartis de la manière suivante : Communes Quartiers Annexe Kalebuka, Kasapa, Kasungami, Kimbeimbe,
Kisanga, Kamalondo Kitumaini et Njanja Kampemba Bel-Air 1, Bel-Air 2, Bongonga, Industriel, Kafubu, 209 Kampemba et Kigoma Katuba Bukama, Kaponda nord, Kaponda sud, Kisale,
Lufira, Kenya Luapula, Lualaba et Luvua Lubumbashi Gambela, Kalubwe, Kiwele, Lido-golf, Lumumba, Makutano et Mampala Ruashi Bendera, Kalukuluku, Matoleo, Shindaika, Luano, 210 Tableau N° 4 : Population et ménages par commune et par quartier de la ville de Lubumbashi
211
Source : Résultats de nos calculs sur base des statistiques administratives de 2011 Comme notre objectif était de couvrir toute la ville de Lubumbashi et étant donné que chaque commune présentait au moins deux quartiers aux morphologies géographiques et socio-économiques identiques, nous avons opté de retenir un seul pour l'enquête en donnant cependant priorité au quartier le plus vaste. De ce qui précède et moyennant ces critères, 23 quartiers ont été retenus comme secteurs d'enquête. Il s'agit de : Communes Quartiers Annexe Luwowoshi, Kalebuka, Naviundu et Kisanga Kampemba Bel-Air 1, Bel-Air 2, Bongonga, et Kigoma Katuba Bukama, Kisale, Musumba, Nsele et Mwana Shaba (Mwana katanga) Kenya Luapula et Lualaba Kamalondo Kitumaini et Njanja Lubumbashi Kalubwe, Lido-golf et Mampala Ruashi Bendera, Shindaika, et Congo Source : Résultats de nos calculs sur base des statistiques administratives de 2011 212 Tableau N° 5 : Nombre de ménages enquêtés par quartier
213 De cette façon, le nombre des ménages enquêtés par commune et par quartier avait respecté les proportions mentionnées ci-haut. Alors que les ménages à enquêter avaient bel et bien fait l'objet d'un choix aléatoire, c'est-à-dire que chaque ménage avait une probabilité égale d'être sélectionné. La procédure d'échantillonnage probabiliste a permis au chercheur d'intervenir activement en mettant au point une procédure de sélection destinée à assurer au mieux la représentativité(1). Etant donné que les numéros des parcelles ne sont pas bien ordonnés sur toutes les avenues (rues), nous avions pris soin d'attribuer sur chaque avenue (rue) un numéro à chaque parcelle. Ces numéros furent par la suite l'objet d'un tirage aléatoire ayant déterminé les ménages retenus dans l'échantillon. Le choix de la parcelle étant fait au hasard, nous avons laissé l'option à l'enquêteur, dans le cas où il trouvait plusieurs ménages dans une parcelle, de n'enquêter qu'un seul ménage. D'après M. Jacquemain et F. Heselmans, le principe pour un échantillonnage aléatoire simple est que chaque unité de la population ciblée a la même chance d'être sélectionnée pour faire partie de l'échantillon. La procédure probabiliste implique l'existence ou la confection d'une liste complète des individus de la population qui constitue la base de sondage. La liste doit être complète, sans omission et sans répétition et les individus doivent être numérotés de 1 à N, N étant le nombre total des individus de la population. La méthode la plus simple serait d'inscrire des noms ou numéros sur des papiers identiques, de bien les brasser dans une urne ou dans un chapeau et de faire tirer l'échantillon de n individus par une main innocente. En réalité cette façon de faire devient vite très lourde lorsque la taille N de la population est grande(2).
214 Pour ces auteurs ci-haut cités, l'échantillonnage aléatoire simple est la méthode d'échantillonnage la plus facile à appliquer et la plus couramment utilisée. Il convient aux petites populations. Pour les grandes populations, l'échantillonnage aléatoire simple est très coûteux et irréalisable parce qu'il faut en identifier et en étiqueter toutes les unités avant l'échantillonnage. Son application peut également être coûteuse s'il faut effectuer des interviewes sur place, puisqu'il est possible que les unités faisant partie de l'échantillon soient géographiquement situées sur de grandes étendues. Avec cela nous pensons vraiment que notre échantillon a été représentatif et traduit la réalité de la question sous étude. 4.2.1.2 Instruments de collecte des données Pour les besoins d'efficacité, cette étude a utilisé pour la récolte des données le questionnaire écrit et les interviewes occasionnelles. Ce questionnaire écrit a été destiné aux ménages pauvres et a pris en compte toutes les catégories socioprofessionnelles de la ville de Lubumbashi. Il a comporté cinq thèmes de recherche ou modules. Il s'agit :
Les interviews occasionnelles ont été usitées pour approfondir un aspect de la question. 4.2.1.2.1. Localisation et caractéristiques sociodémographiques et socioprofessionnelles des chefs de ménages. L'analyse de cette rubrique nous a permis d'avoir une connaissance approfondie et claire de la population concernée par l'enquête. Elle a mis en évidence l'importance du capital humain dans la survie des 215 ménages en même temps qu'elle a révélé certains aspects de la pauvreté et des stratégies de survie de ménages. Sur ce, bien que la réduction de la pauvreté ait souvent été considérée comme tributaire du plein emploi et d'un travail décent pour tous, nous avons pensé nous appuyer un peu plus sur les activités génératrices des revenus plutôt que la profession ou le travail, au vrai sens du mot. Cela nous a donné la possibilité de tenir compte de tous les acteurs des stratégies de survie même si l'on sait que certains sont toujours exclus à cause de limitations liées à l'âge et autres (autorisation maritale, etc.). L'examen des questions concernant la structure des ménages a permis donc d'apporter des éléments de compréhension supplémentaires. Les caractéristiques sociodémographiques des ménages ont agi dans le même sens tant sur le statut de pauvreté monétaire que sur celui de vulnérabilité de la pauvreté. 4.2.1.2.2. Caractéristiques de l'habitat Les caractéristiques de l'habitat constituent un indicateur du niveau de vie de ménage et de pauvreté. La diversification des formes d'habitat nous a permis de saisir le niveau de la pauvreté à travers les conditions de logements indécents, la situation d'insécurité et le manque de liberté, etc. Cela aussi parce que les aspects sociaux doivent être pris en considération conjointement avec les aspects économiques. Car en tant que phénomène multidimensionnel, la pauvreté se manifeste principalement sous trois formes : la pauvreté monétaire, la pauvreté des potentialités et la pauvreté des conditions de vie évaluée en rapport à l'accès aux services de base. 4.2.1.2.3. Accès aux services de base Si la consommation de la nourriture constitue un des premiers indicateurs de la pauvreté, l'habitat, l'alimentation en eau, les sources d'énergie, les moyens de transports et les soins de santé ont toujours été des éléments essentiels pour évaluer le statut socioéconomique et les 216 changements dans le mode de vie des ménages dans une étude sur la pauvreté. L'analyse des éléments des enquêtes en rapport à l'accès aux services de base nous a permis de saisir les privations dont souffrent les ménages de la ville de Lubumbashi concernant l'accès aux services de santé, à l'éducation, à l'eau et au marché de services. 4.2.1.2.4. Revenus et dépenses du ménage Parmi les indicateurs clairs de la pauvreté figure aussi l'apparition du détail microscopique dans le commerce de certains produits de consommation courante. Ce commerce de détail microscopique fait que le lait, le café, le sucre, l'eau, la farine, l'huile, l'arachide, le savon en poudre sont vendus dans la ville de Lubumbashi en petites unités mises en sachets en plastique, qu'il n'est plus possible de diviser pour avoir de subdivisions plus petites. Les anciennes unités de détails tels que les pots, les paquets, la bouteille qui correspondaient à des unités de consommation familiale ont été remplacées par des unités de consommation apparemment individuelle et indivisible. Donc à travers l'analyse, des éléments recueillis au cours de l'enquête en rapport aux revenus, voire des dépenses de ménages nous ont permis de saisir le degré de pauvreté des ménages ainsi que l'importance de la débrouille dans leur survie à Lubumbashi. 4.2.1.2.5. Activités et stratégies de survie La paupérisation croissante de la population a entraîné une redéfinition des priorités des ménages et un repli sur toutes les ressources disponibles en leur sein. Cela a conduit de fois à une instrumentalisation des rapports de genre. C'est ainsi que dans notre analyse, nous avons mis en évidence l'interaction entre la pauvreté des ménages, le sexe du chef de ménage, le degré d'implication des individus - hommes et femmes - dans la 217 recherche des moyens de survie et la nature de contribution respective des hommes et des femmes au sein des ménages. 4.2.2. Déroulement de l'enquête 4.2.2.1 Pré-enquête Les instruments d'enquête, c'est-à-dire les questionnaires ont été pré testés dans la ville de Lubumbashi à travers une pré-enquête que nous avions organisée avec les étudiants de deuxième licence en Statistique qui, dans le cadre de leur stage de professionnalisation, devaient effectuer une enquête socio-économique à travers les sept communes de la ville sous la supervision de la coordination de stage de l'Institut Supérieur de Statistique de Lubumbashi, au mois de décembre 2012. C'est dans ce cadre que nous avions inséré nos trente-sept pré-questionnaires en raison de cinq par commune et au moins deux par enquêteur. Par cette pré-enquête, nous cherchions à apprécier : ? l'intelligibilité du questionnaire par rapport au sujet enquêté, ? la capacité de l'enquêté à répondre à notre questionnaire sans se fatiguer, ? la durée moyenne pour une interview Cette opération s'est bien déroulée dans la mesure où tous les trente-sept questionnaires nous ont été dûment complétés. Ce qui a témoigné que nos enquêtés auraient la capacité de bien répondre au questionnaire sans trop se fatiguer, bien que celui-ci paraissait un peu long. L'évaluation de la durée d'interview et de la disponibilité des enquêtés a permis de nous rassurer qu'un enquêteur pouvait être à mesure de bien échanger avec la personne enquêtée dans moins de trente minutes et avec au moins sept ménages par jour. 218 4.2.2.2 Les enquêtes sur terrain Les enquêtes sur terrain ont eu lieu du 12 avril 2013 au 14 mai 2014. Le suivi des enquêteurs sur terrain a consisté à superviser et à organiser des réunions techniques. La supervision a consisté à s'assurer de la présence effective des enquêteurs sur les sites d'enquête et de l'exécution effective de leurs travaux. Ces travaux de terrain, il faut l'avouer, allaient être assez pénibles si nous-même ne disposions pas d'un moyen de déplacement rapide. Cela à cause des distances qui séparent parfois les diverses aires d'enquête, à savoir les communes et les quartiers de la ville de Lubumbashi. Du quartier Kalebuka dans la commune Annexe, par exemple, au quartier Luwowoshi de la commune Ruashi, la distance est d'environ treize kilomètres. Ainsi, nous avons, malgré nos moyens financiers limités, doté tous nos sept encadreurs de moyens de communication cellulaire pour pouvoir nous contacter en cas de besoin. Pendant que nous-même, accompagné d'un superviseur de la pré-enquête, étions occupé à faire la ronde des quartiers et communes pour nous assurer de l'effectivité des opérations et tenter de résoudre quelques petits problèmes qu'ils rencontreraient sur terrain. 4.3. Les tests statistiques utilisés Pour analyser et interpréter les données d'enquêtes de terrain, nous nous sommes servi de test Khi deux ou Khi carré et d'analyse factorielle des correspondances en utilisant aussi le logiciel SPSS et Sphinx plus2. 4.3.1. Le test de Khi deux (X2) Le test de Khi deux, désigné aussi Khi carré, permet de déterminer si la probabilité que les lignes et les colonnes d'un tableau croisé sont dépendantes. Autrement dit, il permet d'évaluer si la répartition des effectifs 219 dans une table de contingence est significativement différente de celle de la table calculée sous l'hypothèse d'indépendance des deux variables croisées.(1) L'objectif du test du khi deux est de déterminer si les lignes et les colonnes d'un tableau croisé (c'est-à-dire les deux variables étudiées) ne sont pas indépendantes. Par indépendance, on veut dire que le fait d'appartenir à une modalité de la première variable n'a pas d'influence sur la modalité d'appartenance de la deuxième variable. C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'on le définit aussi comme la mesure de la liaison entre deux variables qualitatives. En prenant, par exemple, le genre du chef de ménage et le niveau d'instruction ou encore le revenu ordinaire du ménage, il nous a été possible de dire soit : - que le fait d'appartenir à une des modalités de la première variable (genre) n'a aucune influence sur la modalité d'appartenance de la seconde (niveau d'instruction ou revenu quelconque) ; - les pourcentages lignes du tableau croisé sont les mêmes pour toutes les lignes ; - les pourcentages colonnes du tableau croisé sont les mêmes pour toutes les colonnes. Donc, la question qui se pose ici est celle de savoir à partir de quand on peut dire que les variations observées sont dues au hasard, et à partir de quand on peut estimer qu'elles sont dues à un lien entre les deux variables. C'est tout l'objet du test du Khi deux. Le test du Khi deux s'applique à un tableau croisant deux variables qualitatives. Il vise à tester l'indépendance des lignes et des colonnes de ce tableau. Il vise à déterminer si l'on peut raisonnablement rejeter l'hypothèse d'indépendance des lignes et des colonnes de notre tableau. (1) BARNIER, J., Tout ce que vous n'avez jamais voulu savoir sur le Khi deux sans jamais avoir eu envie de le demander, Groupe de recherche sur la socialisation, CNRS- UMR 5040, julien.barnier@ens-lyon.fr, consulté le 18 mars 2013 220 Pour cela, on commence par calculer les effectifs qu'on observerait si les lignes et les colonnes étaient parfaitement indépendantes, en tenant notamment compte des contraintes sur les marges du tableau. On obtient ainsi le tableau des effectifs théoriques sous l'hypothèse d'indépendance. On calcule ensuite les écarts entre effectifs observés et les effectifs théoriques et on les standardise pour qu'ils soient tous positifs et comparables : on obtient ainsi le Khi deux partiel pour chaque case du tableau. La somme de ces Khi deux partiels donne la valeur du Khi deux pour notre tableau. A partir de cette valeur et du nombre de degrés de libertés de notre tableau, la statistique nous permet de déduire un p qui n'est autre que la probabilité d'obtenir le tableau croisé observé si nos variables étaient indépendantes. L'interprétation du test de Khi deux se fait en comparant les profils lignes ou les profils colonnes à leur profil moyen pour déterminer l'importance des écarts. L'utilisation des résidus permet de déterminer, à l'échelle de chaque case, quels sont les écarts qui sont statistiquement significatifs. Ils sont très utiles pour l'analyse notamment quand le nombre de cases est important, et peuvent même conduire à une représentation graphique. 4.3.2. L'analyse factorielle des correspondances L'analyse factorielle des composantes ou l'analyse des correspondances simples est une méthode exploratoire d'analyse des tableaux de contingence. Elle a été développée essentiellement par J.P. Benzecri durant la période de 1970-1990. Soient deux variables nominales X et Y, comportant respectivement p et q modalités. On a observé les valeurs de ces variables sur une population et on dispose d'un tableau de contingence à p lignes et q colonnes donnant les effectifs conjoints, c'est-à-dire les effectifs observés pour 221 chaque combinaison d'une modalité i de X et d'une modalité j de Y. Les valeurs de ce tableau seront notées nij, l'effectif total sera noté N. Donc, l'analyse factorielle des composantes vise à analyser ce tableau en apportant des réponses à des questions telles que :
4.3.3. Le SPSS Le SPSS (Statistical Package for the Social Sciences) est un logiciel qui permet d'exécuter des analyses statistiques pour les sciences sociales. Elle nous a permis d'organiser et de présenter les résultats obtenus, lors des enquêtes de terrain, et aussi de les présenter sous forme des tableaux et des graphiques. 4.3.4. Le Sphinx plus2 Le Sphinx plus2 est un logiciel de traitement d'enquêtes et d'analyse de données. Il permet d'accomplir toutes les étapes d'une étude : le questionnaire, la saisie des réponses, les traitements quantitatifs et qualitatifs. Le Sphinx plus2 comprend des compétences plus étendues en analyse quantitative avec des possibilités d'analyse multivariée. 222 Le Sphinx Plus2 nous a donc permis d'approfondir les analyses grâce aux techniques statistiques avancées de l'analyse multidimensionnelle, telles que : analyse factorielle, classification, typologie, analyse de la variance et aussi d'enrichir la base de données initiales en calculant des nouvelles variables. 4.4. Présentation des résultats des enquêtes socio-économiques Les enquêtes que nous avons menées n'ont concerné que 493 ménages de la ville de Lubumbashi sur les 500 préalablement prévus. Les modalités de tirage de cet échantillon ont été déjà présentées au point 4.2.1.1 du présent chapitre. Le but de cette enquête était de voir comment les ménages de Lubumbashi se démènent pour survivre à la pauvreté. C'est-à-dire face aux revenus très faibles ou même incertains du chef de ménage dû à la situation de crise multiforme que connaît non seulement la République Démocratique du Congo, en général, mais la ville de Lubumbashi en particulier. Comment les ménages de Lubumbashi recourent-ils à la participation du travail des femmes, des enfants et des autres membres secondaires comme stratégies de survie de leurs ménages. Il s'agit également d'analyser les motivations du travail de la femme, dans le cadre de l'approche genre, afin de comprendre ses efforts pour son autonomisation et pour la survie des ménages à Lubumbashi. Il s'agit ici de confronter trois théories sur l'offre de travail de la femme, à savoir : la théorie féministe, la théorie du capital humain et la théorie de survie afin de confirmer ou de nuancer notre hypothèse. A l'issue de l'enquête, une base de données sous Sphinx plus2 a été conçue pour la centralisation des informations recueillies en vue d'un traitement. Le traitement des données a été effectué avec le logiciel Sphinx Plus2 et Excel. Ces logiciels nous ont permis de classer les observations et d'analyser les données recueillies. 223 Nous avons eu 493 observations avec 70 variables ou questions. Chaque variable présente plusieurs modalités de réponses allant de deux à onze suivant le cas. Pour une bonne présentation et un bon traîtement, nous avons donné à chaque modalité une valeur numérique correspondant au numéro de la réponse sur la liste des modalités proposées. Nos 70 variables ou questions ont été réparties en 5 thèmes de recherche ou modules. Il s'agit de : - Localisation et caractéristiques du chef de ménage, - Caractéristiques de l'habitat, - Accès aux services de base, - Revenus et dépenses du ménage et -Activités et stratégies de survie. 4.4.1. Localisation et caractéristiques des ménages Tableau N° 6 : Distribution des ménages enquêtés par commune
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Il ressort de ce tableau que les ménages de la commune Kamalondo ne représentent que 2,0% de notre échantillon, la commune de Kenya 6,5%, Ruashi 11,2%, Lubumbashi 17,2%, Katuba 18,5% , Kampemba 21,5% et Commune Annexe 23,1%. Cette situation est fonction du poids démographique de chaque commune. 224 Tableau N° 7 : Etat matrimonial de chef des ménages enquêtés
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Considérant les six modalités de ce tableau, nous constatons à première vue que Lubumbashi est en majorité habitée par des mariés monogames. Ils représentent 77,1% de la population de notre échantillon. Cela n'est pas surprenant dans une ville en grande majorité chrétienne. Les unions consensuelles sont fréquentes dans les grandes agglomérations urbaines. Elles sont une sorte de prostitution ou concubinage vulgairement appelé « bureau ». Mais curieusement à Lubumbashi, ces unions représentent dans la population de notre échantillon 1,2%. Cela s'explique à notre avis par de nombreuses campagnes de déclaration des mariages. Les mariés polygames qui représentent 3,4% traduisent une faible représentation de la communauté musulmane. Les veufs (ves) 8,7%, les célibataires 5,5% et les divorcés 4,1%. Pour déterminer le nombre des ménages dont le chef serait un homme ou une femme, nous recourons à l'interprétation du tableau présentant une distribution de l'état civil par le genre. 225 Tableau N° 8 : Distribution de l'état civil en fonction du genre du chef de ménage
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Sur base de ce tableau croisé de l'état-civil par rapport au genre du chef de ménage, nous pouvons constater que considérant la forte dépendance entre les deux variables sous étude, il y a dans les ménages de notre échantillon 416 ménages dirigés par les hommes soit 84,4% contre 77 ménages dirigés par les femmes soit 15,6%. Ces ménages dirigés par les femmes sont pour la plupart les veuves, les divorcées et les femmes seules ou célibataires. Cela est non seulement confirmé par le test de Khi2 qui présente une dépendance très significative, avec un Khi2 égale à 372,55 et montre que les cases des veuves, des divorcées et des célibataires ont des effectifs réels nettement supérieurs à l'effectif théorique. Cette analyse confirme donc notre position au sujet de chef de ménage aux pages 66 et 67 de cette thèse. Outre le statut matrimonial (état-civil), la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage constitue un élément important dans l'étude de la pauvreté. Comme signalé dans les chapitres précédents, notamment aux chapitres deux et trois, Lubumbashi est d'abord une ville industrielle et l'occupation d'un emploi rémunéré et stable était synonyme d'un bon niveau de vie, mais avec la dégradation progressive des structures économiques à cause de l'arrêt des activités de la Gécamines, les pillages etc, les emplois rémunérés sont devenus rares, la population a créé d'autres 226 structures pour lutter contre la pauvreté et assurer sa survie. C'est ainsi que nous allons examiner le tableau N°9 pour comprendre les occupations de chefs des ménages de notre échantillon. Tableau N° 9 : Catégorie socioprofessionnelle des chefs des ménages
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Au regard de ce tableau n°9 l'on peut constater qu'il y à 50% des ménages qui dépendent d'un salaire soit 247 ménages dont 22,1% sont occupés dans le secteur privé formel, 20,7% par l'Etat et 7, 3% dans le secteur privé informel. 20,9% s'occupent du commerce et petits commerces soit respectivement 12,0% et 8,9%. Toutefois bien que 12,0% des ménages aient déclaré qu'ils font du commerce, il convient néanmoins de noter qu'il y a tout dans cette catégorie, et nous craignons une confusion, car il peut bien s'agir d'un petit vendeur de clous dans un des marchés de la ville, en passant par un petit vendeur au détail microscopique dans un kiosque à un grand commerçant avec des magasins. Car chacun prétend payer une patente à l'administration urbaine qui exige désormais que les propriétaires de taxi ou taxi-bus, les vendeurs des marchés et propriétaires de kiosques, les vendeurs ambulants des bières... puissent payer une patente pour exercer du commerce. 227 C'est donc à cause de cette difficulté que nous pensons qu'il est difficile de considérer que tout chef de ménage exerçant le commerce avec patente a un bon niveau de vie. C'est souvent les activités de survie qui permettent à ces ménages d'atténuer leurs souffrances. 9,7% sont occupés à faire des petits métiers artisanaux, tels que : les batteurs de malachite ou de cuivre, les coiffeurs, les soudeurs, les tailleurs, les charpentiers, les maçons, etc. Une autre catégorie dont les activités s'imbriquent entre les petits commerces et les petits métiers et se désignant ici par chômeurs occupe 10,4%. C'est ici que nous avons trouvé, après dépouillement de certains questionnaires de notre enquête, les cambistes, les commissionnaires de maisons, de véhicules ou autres, les taximen, etc. Les retraités, les agriculteurs, les ménagères et les étudiants (et élèves) représentent respectivement 3,2%, 3,7%, 1,2% et 0,8% des ménages enquêtés. Fort de l'analyse et de l'interprétation des catégories socioprofessionnelles des ménages de Lubumbashi, il est clair que la plupart des ménages ont un niveau de vie assez précaire qui induit à la pauvreté et à la débrouille. Ainsi comme beaucoup d'études démographiques et sociologiques ont toujours corrélé le niveau de la pauvreté à la taille de ménages, nous avons aussi prévu dans notre protocole d'enquête une question en rapport avec la taille de ménage. Tableau N° 10 : Taille des ménages à Lubumbashi
Minimum= 2, Maximum= 18 Somme=3482 Moyenne= 7,06 Ecart-type= 2,86 Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Les valeurs de ce tableau sont les moyennes calculées sans tenir compte des non-réponses. Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 228 Commentaires : L'analyse de ce tableau montre que 26,2% de ménages enquêtés ont une taille de 6 à 8 personnes, 24,1% de ménages sont entre 4 et 6 personnes par ménage, 19,5% vivent entre 8 à 10 personnes par ménage. 14,8% de ménages ont reconnu vivre à moins de 4 personnes par ménage, pendant que 11,6% de ménages sont entre 10 et 12 membres par ménage et 2,0% vivent entre 12 et 14 personnes par ménage, et les ménages de 14 et 18 personnes représentent 1,8%. Le nombre minimum de personnes par ménage que nous avons enregistré au cours de notre enquête est de 2 personnes alors que le nombre maximum a été de 18 personnes par ménage. Donc la taille moyenne de ménage de notre échantillon est de 7,06 personnes. Ce résultat corrobore celui trouvé à l'issue du recensement organisé en 2001 par la mairie de Lubumbashi. Il est un peu moins que celui de Pierre Petit 7,48 avec un échantillon de 84 ménages et un peu plus que celui de César Nkuku 6,4. Mais comme ce dernier s'était par la suite rallié aux résultats de l'enquête après les avoir comparés à celui de Kakoma (6,6) avec un échantillon de 494 ménages et de l'INS en 1984 (6,7) avec un effectif de 400 ménages, nous pouvons dire que nos résultats sont satisfaisants et reflètent la réalité. En désagrégeant les mêmes données relatives à la taille de ménage par commune de Lubumbashi, on obtient le graphique ci-dessous : Tableau N° 11 : Moyenne de taille de ménages enquêtés par commune
229 Commentaires : Au regard de ce tableau, nous constatons que la commune de Ruashi vient en tête avec une moyenne de 8,47 personnes par ménage, suivie de la commune de Kenya avec une moyenne supérieure à la moyenne totale de la ville, la commune Annexe se situe légèrement en dessous de la moyenne totale, puis viennent les communes de Lubumbashi et Kampemba qui tout en ayant la taille de ménage estimée à près de la moitié de la moyenne totale, dépassent toutefois la moyenne de la commune de Kamalondo. Ainsi s'il faut vraiment retenir l'hypothèse selon laquelle la taille du ménage induit sur le niveau de vie, nous pouvons conclure que les ménages de notre échantillon de la commune de Ruashi présentent un niveau de vie plus bas de toutes les autres communes de Lubumbashi, suivi de ceux résidant les communes de Kenya et Katuba. Aussi pour nous permettre de bien appréhender la pauvreté et les stratégies de survie des ménages dans la ville de Lubumbashi, nous avons prévu dans notre protocole d'enquête un certain nombre de variables clefs pouvant nous aider à faire un état de lieux des conditions de vie des ménages. Il s'agit notamment : du statut d'occupation de la maison, du type de mur, de toiture, de pavement, de toilette, nombre de pièces dans le logement, source d'énergie pour la cuisson et pour l'éclairage, source d'approvisionnement en eau, le moyen de transport et la scolarisation des enfants. 230 Tableau N° 12 : Niveau d'études des chefs des ménages par commune
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Au regard de ce tableau, il se dégage qu'en tenant compte de la population enquêtée 57,20% sont de niveau secondaire, 33,06% du niveau universitaire et 9,74% du niveau primaire. La commune de Lubumbashi vient en tête quant à la population ayant niveau universitaire suivi respectivement de la commune de Kampemba, de Katuba, Annexe, Ruashi ; Kenya et Kamalondo. Pendant que la Commune Annexe prend la tête des populations ayant un niveau secondaire suivi de Kampemba et Katuba. Pour ce qui est de la population ayant un niveau primaire on la retrouve majoritairement dans la commune Annexe. Comparativement aux études antérieures, P. Petit trouvait après son enquête fin septembre 2000, 7% de la population de son échantillon était de niveau supérieur, contre 32% du niveau secondaire, 28% du niveau primaire, 2% du niveau maternel, 23% sans instruction et 8% non spécifié(1). Contrairement à notre démarche, Pierre petit a tenu compte même des enfants à partir de 6 ans, alors que pour notre part, il s'agit uniquement des chefs des ménages. Presque en échos avec Pierre Petit, César Nkuku a choisi cinq catégorie et trouve que les Lushois ont un niveau secondaire dans (1) PETIT, P. (Dir), op. cit, p.103 231 35,65% de cas ; le niveau primaire représente 26,35%; ceux qui n'ont aucune instruction sont encore nombreux, soit 10,70%, alors que la proportion des diplômés du supérieur ou de l'universitaire est faible 6,66%. La catégorie des post-universitaires est extrêmement rare : on en compte 0,0045%.(1) Alors que chez Kakoma, cité par Nkuku, ces statistiques sont 29% de primaire, 37,5% de secondaire et 7,2% d'universitaire. Comme nous venions de le souligner, notre enquête n'a pas cherché à déterminer le niveau d'instruction de toutes les catégories de la population de Lubumbashi, mais plutôt des chefs des ménages. Il est aussi possible que la différence résulte de la définition des niveaux. Pour nous, cela n'est pas entendu dans le sens de celui qui a terminé son cycle et a eu nécessairement un diplôme. 4.4.2. Caractéristiques de l'habitat des ménages Tableau N° 13 : Statut d'occupation de la maison des ménages enquêtés
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Au regard de ce tableau 13, pour l'ensemble des ménages de notre échantillon, la majorité est locataire et représente 53,1%, les propriétaires avec titre ne représentent que 32,9%, les propriétaires sans titre 5,1%. Ceux qui sont logés par les parents ou un ami représentent (1) NKUKU Khonde, C. et REMON, M., op. cit, p.44 232 respectivement 7,7% et 0,6%. Cependant que ceux qui sont logés par l'employeur ne sont qu'à 0,6%. On aurait pu s'attendre à une proportion assez significative de ménages logés par l'employeur dans la ville de Lubumbashi qui d'ailleurs regorge de grandes entreprises dont la dimension sociale était très accrue en prenant, par exemple, le cas de la Gécamines, SNCC,... Mais à cause du fait que ces deux sociétés ont vendu la majeure partie de leurs patrimoines immobiliers aux agents, cette proportion traduit une réalité connue et déjà analysée par d'autres avant nous (Nkuku, Pierre Petit, Muland Mbal, etc.). Ce pourcentage s'explique aussi par le fait que beaucoup d'agents, à cause de difficultés socioéconomiques, préfèrent toucher les indemnités de logement qui correspondent à la valeur locative de cette maison qu'aurait loué l'employeur et aller louer à moindre prix. Ils en obtiennent le bénéfice de la différence pour résoudre d'autres problèmes du ménage. L'augmentation sensible de locataires par rapport aux propriétaires se justifie par un accroissement très rapide de la population dû à un flux migratoire élevé enregistré depuis le début d'agressions que connaît la République Démocratique du Congo, plus précisément à l'Est (Nord et Sud-Kivu), l'insécurité perpétuelle dans le Nord du Katanga créée par la bande à Gédéon, la détérioration de la situation économique dans les deux provinces du Kasaï à cause de l'arrêt des activités de la Miba (Minière de Bakwanga). Donc la recherche d'un terrain d'asile et les nouveaux espoirs créées par l'illusion d'un boom minier au Katanga et à Lubumbashi ont rapidement fait augmenter la population (de 1.180.337 habitants en 2001 à 1.650.849 habitants en 2011, soit un accroissement de près de 40%) et justifient l'augmentation de la proportion des locataires. Presque la même situation s'est vérifiée avec l'enquête de l'INS dans les années 1980 où le nombre des locataires l'emportait sur le nombre de propriétaires. Tout cela à cause de deux guerres du Shaba en 1977 et 1979. Lorsque l'on analyse la distribution du statut d'occupation par commune (voir figure n°1), l'on remarque en cumulant les pourcentages des 233 propriétaires avec et sans titre que la commune de Ruashi a plus de propriétaires que des locataires, de même que la commune Annexe. Par contre dans les communes de Kampemba, de Lubumbashi, Kenya et Kamalondo les ménages avec statut de locataire sont plus ou presque le double de propriétaires. Le choix des quartiers enquêtés peut aussi justifier la proportion assez élevée de locataires dans la commune de Kampemba où en dehors de deux quartiers Bel-Air 1 et 2 considérés jadis comme de quartiers avec un standing assez élevé, les autres quartiers tels que Kigoma et Bongonga sont des quartiers d'auto construction et donc non planifiés où les prix très réduits des maisons attirent plus de locataires surtout ceux ayant un niveau de vie assez bas. A l'inverse, dans les quartiers périphériques lointains comme Luwowoshi, Kalebuka, Naviundu, Congo, le coût de construction des maisons étant réduit avec les mécanismes de fabrication artisanale des briques et l'utilisation de la chaux ou autres, la proportion de propriétaires augmente. C'est ainsi que la plupart des maisons de quartiers non planifiés sont plus occupées par les propriétaires que par des locataires. Commune; x Statut d'occupation de la maison 69 0 24 Logé par l'employeur Logé par les parents Logé par un ami Lubumbashi 4 45 1 10 1 26 Kampemba 7 69 1 3 2 Kamalondo 8 9 20 Kenya 51 33 3 3 1 3 Katuba 26 2 19 Ruashi 8 42 9 Annexe 50 11 2 Propriétaire avec titre Propriétaire sans titre Locataire Figure N° 1 : Distribution du statut d'occupation par commune à Lubumbashi Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 98 0 En bêton armé En bloc ciment en brique cuite En brique adobes Lubumbashi Kampemba Kamalondo Kenya Katuba Ruashi Annexe 0 20 14 5734 0 98 85 67 47 27 72 10 'Type de mur' x 'Commune;' 9 6 7 4 3 22 0 0 0 1 0 En planches En pisé (mortier En matériaux de fortune Figure N° 2 : Distribution de type de murs des maisons par commune Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 234 Tableau N° 14 : Type de murs de maisons abritant les ménages enquetés
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Considérant le type de murs, 82,4% des ménages de notre échantillon vivent dans des maisons construites en briques cuites, 10,8% en blocs de ciment rappelant les constructions coloniales des quartiers planifiés de la ville, 6,3% sont construites en briques adobes, 0,4% en matériaux de fortune faits de mélange de l'argile avec la chaux ou avec les déchets organiques issus de la distillation d'alcool indigène communément appelé « lutuku ». La solution est appelée le « bishakata ». La figure ci-dessous illustre très bien la distribution de types des murs par commune. 235 Commentaires : Les maisons couvertes de tuiles sont devenues très rares dans la ville de Lubumbashi. Elles représentent dans les tableaux 11 et 12 ci-après, 5,1% et se retrouvent localisées majoritairement dans les quartiers résidentiels et constituent un héritage de la période coloniale. Les tôles galvanisées couvrent 65,5% de toits des maisons des ménages de notre échantillon, tandis que 28,8% des ménages ont des maisons couvertes en tôles de récupération à cause du prix élevé de tôles et du pouvoir d'achat de leurs occupants. Ces maisons couvertes de tôles de récupération sont dans toutes les communes, mais majoritairement dans les quartiers non planifiés des communes : Ruashi, Annexe et Kampemba. Les maisons couvertes de chaumes représentent 0,6% des ménages de notre échantillon et se trouvent principalement dans la commune Annexe, plus précisément dans les quartiers Luwowoshi et Kalebuka. En effet, si les toitures en tôles de récupération et en chaumes traduisent directement la pauvreté de leurs occupants, nous ne pouvons pas cependant conclure que la toiture en tuiles ou en tôles galvanisées témoignent de la richesse ou du bon niveau de vie du ménage. Car parmi les tôles galvanisées on trouve toute une diversité : des tôles légères le BG 32 ou 34, des semi dures et des dures. Et dont les prix varient, allant de moins de 10$ à plus de 20$. Cela peut aussi signifier qu'une proportion assez significative des pauvres ont aussi des maisons couvertes des tôles galvanisées ou même en tuiles. Tableau N° 15 : Type de toiture des maisons abritant les ménages enquêtés
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Dans l'ensemble des ménages de notre échantillon et au regard de ce tableau n° 16, 79,9% de pavement sont en ciment, 16,0% en 236 Commentaires : Dans l'ensemble des ménages de notre échantillon et au regard de ce tableau n° 15, 65,5% ont la toiture en tôles galvanisées, 28,8% sont couvert en tôles de récupération, 5,1% en tuiles. Les maisons en chaume ne représentent que 0,6% de notre échantillon. 85 Lubumbashi 106 Kampemba 10 Kamalondo 32 Kenya 91 Katuba 55 Ruashi 114 Annexe En tuile En tôles galvanisées En tôles de récupération En chaumes Commune; x Type de toiture Figure N° 3 : Distribution de type de toiture par commune Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Outre la qualité des murs et de la toiture des maisons, le recouvrement du sol d'une maison et le type de toilette utilisée sont aussi révélateurs du niveau de vie d'un ménage. C'est ainsi que nous présentons les tableaux Nos 16 et 17. Tableau N° 16 : Type de pavement des maisons abritant les ménages enquêtés
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : 237 terre battue, 4,1% en carrelage. Les maisons avec un pavement en bois ne représentent que 0,0% de notre échantillon. Comme pour les tôles galvanisées, les maisons avec un sol couvert de ciment présentent une très grande diversité quant à la qualité du pavement, partant d'une petite couche de ciment juste pour cacher le sol et éviter que la poussière ne se lève à chaque coup de vent à une bonne qualité respectant les normes de construction d'un pavement en béton. Nous disons sans exagérer que la plupart des pavements des maisons de ménages enquêtés ne figurent pas dans cette deuxième catégorie et traduisent la précarité du niveau de vie de leurs occupants. Le sol en terre battue est très souvent une solution provisoire, dans l'attente de l'achat du ciment nécessaire pour faire un pavement plus digne, en ciment ou en carrelage. Tableau N° 17 : Type de toilettes utilisées par les ménages enquêtés
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Les types de toilettes utilisées se prêtent également à une approche tenant à mesurer le niveau de vie des ménages. Mais il convient d'emblée de signaler que nous ne les avons pas classées en fonction des matériaux utilisés mais suivant leur emplacement et selon les modalités figurant dans le tableau 17 ci-dessus. Parmi les 493 ménages de notre échantillon, 49,9% utilisent une toilette commune à plusieurs ménages et sans chasse eau, 18,5% des ménages utilisent une toilette extérieure privée sans chasse eau, 15,4% ont 238 des toilettes communes à plusieurs ménages avec chasse eau ; 10,1% ont des toilettes extérieures privées avec chasse eau, contre seulement 6,1% qui ont une toilette intérieure privée avec chasse eau. Aucun ménage de notre échantillon n'est sans toilette, ce qui témoigne une bonne évolution de la politique d'hygiène. Cependant lorsqu'on corrèle les données de ce tableau avec celles des tableaux 18 et 19 reprenant les résultats de nos enquêtes sur les nombres de pièces dans le logement et le nombre de ménages dans la parcelle, il y a lieu d'hésiter sur les bonnes conditions d'hygiène. Tableau N° 18 : Nombre de pièces dans le logement des ménages enquêtés
Source : Résultats de nos enquêtes 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : S'agissant du nombre de pièces dans le logement et en considérant les résultats de nos enquêtes, plus de 46,7% des ménages disposent d'au moins quatre pièces (soit 20,9%) et 25,8% ont plus de quatre pièces, alors que 53,3% vivent dans plus ou moins trois pièces, la salle de séjour ou salon y compris (26,8% dans trois pièces, 24,1% dans deux pièces et 2,4% dans une pièce). Donc avec une moyenne de 7 personnes par ménage, il y a lieu de dire que ce résultat fait voir une situation de promiscuité au sein des ménages enquêtés avec plus de trois personnes dans une chambre à coucher. 239 Tableau N° 19 : Nombre de ménages dans la parcelle
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : La parcelle est définie comme un morceau de terrain délimité, de superficie variable et comprenant un ou plusieurs logements. 86,4% des ménages de notre échantillon sont logés plus d'un dans la parcelle : 26,0% des ménages sont à deux dans la parcelle, 31,0% à trois dans la parcelle, 14,2% à quatre dans la parcelle, 9,1% à cinq dans la parcelle, alors que 6,1% sont à plus de cinq dans la parcelle. Seulement 13,6% des ménages de notre échantillon vivent seuls dans la parcelle. La moyenne de pièces par logement dans la ville de Lubumbashi est de 3,4 au regard de données ci-dessus, soit 1643/493. Comme nous venons de le stigmatiser, si 86,3% de ménages vivent à plus d'un dans la parcelle et considérant qu'il y a en moyenne 7 personnes par ménage, lesquelles utilisent à une proportion de 68,4% une toilette commune à plusieurs avec ou sans chasse eau, c'est que la situation hygiénique au sein des ménages de la ville de Lubumbashi est encore loin d'être meilleure. Car on peut même arriver à imaginer de longues files d'attente le matin au niveau de toilette lorsque chacun doit se préparer pour aller à l'école ou encore à son activité socioprofessionnelle. Cela ne peut être toléré que lorsqu'effectivement un niveau de vie est assez précaire, comme celui de la majorité des ménages de Lubumbashi. Dans la parcelle le nombre moyen de ménages est de 2,925 soit 3 ménages par parcelle. 240 Les énergies servent à l'éclairage mais aussi à la cuisson des aliments. Notre enquête s'est également penchée sur l'étude des modes d'éclairage et de cuisson des aliments. 4.4.3. Accès aux services de bases à Lubumbashi en 2013 Tableau N° 20 : Type d'énergie utilisé pour l'éclairage 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Ce tableau montre la prédominance relative de l'électricité comme mode d'éclairage pour les logements de ménages de la ville de Lubumbashi 65,5%. Cependant, ce mode connaît de très sérieux problèmes à cause des coupures régulières voire la rareté du courant électrique. Ce qui oblige plus d'un ménage à ne plus compter avec la fourniture d'électricité et à prévoir chaque fois un autre moyen, énergie solaire,et autres. 15,6% de ménages utilisent un groupe électrogène pour l'éclairage de leurs maisons, mais à cause de difficultés financières, ces ménages arrivent de fois à suppléer avec d'autres types d'énergie comme la bougie ou torches. Malgré la recrudescence des incendies causés par l'usage des bougies dans la ville. 18,9% utilisent la bougie, pétrole, katori-tori (un filament trempé dans l'huile de palme ou mazout placé dans un pot en verre ou en boîte de conserve) comme source d'éclairage. 241 Tableau N° 21 : Type de source d'énergie utilisée pour la cuisson
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Au regard de ce tableau, on constate qu'à cause des coupures intempestives du courant, même ceux qui utilisent l'électricité pour la cuisson (21,9%) recourent aussi aux charbons de bois. Alors que 71,4% des ménages de notre échantillon utilisent du charbon de bois ; 4,9% des ménages utilisent du bois de chauffage pour la cuisson et représentent les ménages les plus pauvres de la ville de Lubumbashi. Les sciures de bois et le gaz n'ont pas été constatés comme mode de cuisson au cours de nos enquêtes, pendant que 1,8% ont signalé qu'ils utilisaient le pétrole comme sources d'énergie pour la cuisson. La forte utilisation du charbon de bois explique le déboisement considérable de la périphérie de la ville jusqu'à un rayon qui va au-delà de 40 kilomètres mais aussi fait augmenter considérablement le budget des ménages. Dans la ville de Lubumbashi comme toutes les villes de la République Démocratique du Congo, l'eau est fournie par la régie de distribution d'eau (REGIDESO). Les conditions d'abonnement et le prix ne permettent pas à tous les ménages d'y accéder. C'est ainsi que nous avons prévu dans notre protocole d'enquête une question pour connaître les sources d'approvisionnement en eau de consommation pour les ménages. 242 Tableau N° 22 : Source d'approvisionnement en eau
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : A cause de la vétusté des équipements et des coupures intempestives du courant électrique, la régie de distribution d'eau connaît de sérieux problèmes et des fois soumet aussi ses abonnés à des interruptions régulières de fourniture en eau et baissant sa cote auprès des ménages. Malgré cela, 61,1% des ménages de notre échantillon ont pour source d'approvisionnement en eau les robinets de la Regideso. 29,6% consomment l'eau des puits dont 24,7% des puits protégés et 4,9% des puits non protégés. 0,6% des ménages utilisent les cours d'eau et les rivières ; 0,8% les sources aménagées. Signalons aussi que le nombre important de sous-abonnés et la nécessité d'assurer la bonne santé des membres du ménage obligent à combiner la consommation de l'eau de robinet, en participant au paiement de la facture chez le voisin, et l'eau des puits ou des rivières que certains réservent uniquement pour les travaux domestiques. Les bornes fontaines qui autrefois servaient les ménages pauvres et les quartiers périphériques à avoir l'eau potable et éviter ainsi les maladies d'origine hydrique sont devenues rares, 6,3% des ménages seulement ont reconnu s'approvisionner aux bornes fontaines. Enfin, même si l'on rencontre maintenant plusieurs entreprises s'occupant de forage des eaux, cette source reste encore l'apanage de la 243 catégorie de gens riches, car le prix n'est pas encore accessible au bas peuple. D'où 1,6% seulement des ménages de notre échantillon sont approvisionnés en eau de forage. Bien que la proportion des ménages servie par l'eau de robinet semble être presque la même que celle trouvée par Asumani en 1985 77%)(1), Nkuku en 2006 (75,5%)(2) nous ne pensons pas que la situation soit restée la même, car la dégradation continue de la situation socioéconomique des ménages et la possibilité des réponses cumulées ne nous ont pas permis de bien dégager ceux qui sont exclusivement servis par l'eau de la Regideso. Tableau N° 23 : Moyen de transport utilisé par le chef de ménage pour aller au lieu de sa principale activité
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Le moyen de transport utilisé par les ménages de Lubumbashi représente un autre indicateur retenu dans notre protocole et qui nous permet aussi d'avoir une idée sur le niveau de vie des ménages. Au regard de ce tableau N°23, 61,2% des ménages de notre échantillon utilisent pour leurs déplacements vers le lieu de leur principale activité les taxis-bus. Ce moyen de transport en commun le moins cher est à la portée de toutes les bourses. Le prix de la course étant fixé en moyenne à 200Fc, soit 0,22 dollar américain. 8,5% utilisent les taxis pour un prix variant entre 500 à 1000F pour une course normale soit 0,6 à 1,1 dollar américain ; 6,7% utilisent pour leur déplacement
244 un véhicule personnel ; 4,1% le bus de service et 0,4% de ménages utilisent la moto. Contre 19,1% qui se déplacent encore à pieds. Nous pouvons donc conclure que plus de 80% des ménages utilisent encore dans la ville de Lubumbashi soit le taxis-bus soit les pieds ou utilisent concomitamment les deux pour leur déplacement. Ce qui traduit quand même un niveau de pauvreté de ménages. Ceux qui prennent les taxi-bus sont obligés de parcourir une bonne distance à pied pour atteindre un arrêt bus ou de taxi, au point qu'il est même assez ardu de savoir distinguer celui qui fait la marche à pied de celui qui prend le taxi-bus ou taxi. Car même celui qui aurait réellement fait la marche à pied peut facilement par honte déclarer qu'il a pris un taxi bus dans le cas où il est rencontré à côté de chez lui. Tableau N° 24 : Nombre de repas par jour
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Sur les 493 ménages enquêtés 50,3% reconnaissent prendre deux fois le repas, 23,9% ne prennent qu'une fois leur repas, 14,8% eux soutiennent qu'ils prennent trois fois leur repas, pendant que 11,0% disent qu'il est difficile de déterminer le nombre de repas tellement que celui-ci relève encore du domaine de l'incertitude. En fait, même si au regard de ce tableau on peut voir que la situation des ménages semble être bonne parce que plus de la moitié des ménages mangent au moins deux fois par jour, car la moyenne de nombre de repas est de 2,13. Il faut cependant noter que la qualité et la consistance de repas n'a pas été analysée. Beaucoup de ceux-là qui ont dit avoir mangé deux fois par jour se contentent de prendre un peu de bouillie de farine de 245 maïs ou un peu du riz comme repas du matin. D'autres encore, considérés comme les moins pauvres s'occupent d'offrir aux enfants une tasse du thé rouge avec un petit pain sec, si pas un beignet, sans autre accompagnement ou revêtement comme on le voit dans des ménages occidentaux. Ce thé ou cette bouillie est pris soit le matin soit à midi en attendant l'unique repas consistant du soir, s'il y en a. Car souvent, il faut attendre le retour de papa ou de la maman pour savoir si l'on va manger et quoi. Tableau N° 25 : Les ménages scolarisant leurs enfants
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 201 Commentaires : 366 ménages sur les 493 ménages enquêtés nous ont déclaré avoir des enfants qui sont scolarisés soit 74,2%, pendant que 127 ménages soit 25,8% sont soit sans enfants soit ayant des enfants mais qu'ils n'ont pas la possibilité de scolariser. Le nombre des enfants scolarisés par ménages nous permet de comprendre la charge du ménage mais aussi d'envisager les dépenses de scolarisation des enfants sur le revenu des ménages de Lubumbashi. Tableau N° 26 : Nombre d'enfants scolarisés par ménage à Lubumbashi
Minimum = 1 Maximum= 11 Somme= 1278 Moyenne = 2,59 Ecart-type= 2,18 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 246 Commentaires : 37,7% des ménages enquêtés ont entre trois à onze enfants scolarisés, 18,9% ont entre deux à trois enfants, pendant que 17,6% ont entre un à deux enfants scolarisés. La moyenne est de 2,59, alors que le maximum est de 11 enfants scolarisés. Par contre 25,8% n'ont pas d'enfants scolarisés à cause de difficultés financières ou tout simplement n'ont pas d'enfants. Ces chiffres consolident la problématique de la taille de ménage à Lubumbashi mais aussi celle de dépenses ordinaires des ménages étant entendu que la scolarisation des enfants a un coût. 4.4.4. Dépense et revenus des des ménages 4.4.4.1. Dépenses ordinaires et extraordinaires des ménages Les dépenses ordinaires sont celles consacrées à la satisfaction des besoins primaires tels que : l'alimentation, le logement, l'instruction, l'habillement, la consommation d'eau et d'électricité. Nous allons donc, dans cette section, analyser les dépenses relatives à ces six variables, malgré le fait qu'on a oublié les dépenses relatives aux soins de santé qui sont aussi les dépenses ordinaires. Nous estimons toutefois que cet oubli n'altérera pas nos conclusions. Tableau N° 27 : Dépense journalière en francs congolais pour l'alimentation du ménage à Lubumbashi
Minimum=1000 Maximum= 10000 Moyenne= 5682,56 Ecart-type= 1882,76 Somme= 2801500 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 247 Commentaires : Tenant compte du fait qu'avec la dégradation de la situation socioéconomique à la suite de plusieurs crises déjà évoquées dans cette thèse, les ménages de Lubumbashi n'ont pas l'habitude ou mieux n'ont pas la possibilité de budgétiser leurs dépenses surtout celles relatives à la consommation alimentaire. Nous nous sommes contenté de saisir cette dépense par jour. Au regard du tableau ci-dessus, nous constatons qu'un ménage dépense au minimum 1.000FC par jour et maximum 10.000FC. Ainsi 30,0% des ménages enquêtés dépensent entre 7.000Fc et 10.000Fc; 18,1% des ménages dépensent entre 6.000 et 7.000Fc ; 21,7% dépensent entre 5.000 et 6.000Fc, 16,6% dépensent entre 4.000 et 5.000Fc, 10,5% dépensent entre 3.000 et 4.000Fc et 3% seulement des ménages dépensent entre 1.000 et 3.000FC pour leur alimentation journalière. La moyenne de dépenses d'alimentation des ménages est de 5.682,56Fc. Donc 804,89Fc par personne étant donné que la taille moyenne de ménage est de 7,06 personnes, soit 0,89 dollar américain par personne donc en dessous du seuil de la pauvreté fixé à 1 ou 2 dollars. Tableau N° 28 : Coût en francs congolais de scolarisation des enfants en charge des ménages enquêtés par mois à Lubumbashi en 2013-2014
Minimum =5000 Maximum=598000 Somme=50522000 Moyenne=102478,70 Ecart-type=117373,46 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 248 Commentaires : En rapport au coût de scolarisation par mois des enfants les résultats du tableau ci-dessus renseignent que 35,7% dépensent entre 5.000F et 90.000F pour la scolarisation de leurs enfants ; 18,1% dépensent entre 90.000 à 180.000F par mois ; 11,2% dépensent entre 180.000 à 270.000F par mois, alors que ceux qui ont déclaré dépenser entre 270.000 et 598.000F représentent 9,3%. Comparant les résultats de ce tableau à ceux du tableau n°26 où nous avons trouvé le maximum d'enfants scolarisés à 11 et la moyenne à 2,59. Soit 3 enfants scolarisés par ménage. Ce qui nous conduit à dire que les ménages de Lubumbashi sont confrontés à une dépense ordinaire d'au moins 102.478,700F par mois pour la scolarisation. Tableau N° 29 : Dépense de consommation en eau à Lubumbashi en 2013 -2014
Minimum= 1000 Maximum= 54000 Somme= 2801000 Moyenne= 5681,54 Ecart type= 6849,44 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : En ce qui concerne la consommation en eau de la REGIDESO ce tableau nous montre que 51,9% dépensent entre 1.000 et 9.000F, soit 10$ ; 11,4% dépensent entre 9.000 à 18.000F soit 10 à 20$ ; 3,7% dépensent 249 entre 18.000 à 27.000F, soit 20 à 30$us, 1,2% dépensent entre 27.000 et 36.000F (30 à 40$), et 0,8% seulement ont déclaré dépenser entre 36.000F et 54.000F, soit entre 40 à 60$us. Le pourcentage de 51,9% qui dépensent entre 1.000 à 9.000F confirme le fait de sous-abonnés que nous avons déjà évoqué et qui n'ayant pas la possibilité de s'abonner au réseau de distribution de la REGIDESO puisent de l'eau dans les parcelles voisines en contribuant au paiement de la facture ou en payant directement un montant variant entre 50 à 100F par bidon de 20 litres Tableau N° 30 : Dépense vestimentaire en francs congolais à Lubumbashi en 2013 -2014
Minimum =10000F Maximum= 675000 Moyenne= 99538,54F Somme= 49072500 F Ecart-type= 85855,39 F Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : En vue de bien saisir cette dépense occasionnelle, nous l'avons estimé par an et pour l'ensemble du ménage. En rapport aux dépenses vestimentaires 70,4% dépensent entre 10000 et 100.000F, soit entre 11 à 110$ ; 19,5% dépensent entre 100.000 à 200.000F soit 110 à 120$ ; 6,5% dépensent entre 200.000 à 300.000F, soit 210 à 330$us, 1,6% dépensent entre 300.000 et 400.000F, soit 330 à 440% ; 1,6% dépensent 400.000 à 500.000F, alors que ceux qui ont déclaré dépenser entre 250 500.000F et 675.000F, soit entre 550$ et 750$us représentent seulement 0,4%. Ces résultats confirment le fait que les ménages de Lubumbashi harcelés par les conditions socioéconomiques très difficiles se préoccupent moins de l'habillement et considèrent cette dépense comme secondaire. Tableau N° 31 : Coût de loyer mensuel à Lubumbashi en francs congolais
Minimum =5000F Maximum= 460000 Moyenne= 62119,69 Somme= 30625000 Ecart-type= 51989,77 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 90235,29 Lubumbashi Kampemba Kamalondo Kenya Katuba Ruashi Annexe TOTAL 40463,16 Figure N° 4 : Distribution de coût moyen de loyer par commune Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 251 Commentaires : En prenant en compte seulement les dépenses liées au loyer par les ménages de notre échantillon, nous constatons que les maisons dans la commune la plus chère que dans d'autres communes avoisine 90.235,29FC en moyenne, Kamalondo 75.850,00Fc, Kampemba 68.782,08Fc. Les quatre autres communes sont mêmes en dessous du coût moyen de loyer calculé à 58.457,20Fc. Ainsi on trouve Kenya 53.856,25Fc ; Katuba 47.593,41Fc ; Ruashi 44.232,73Fc et enfin Annexe 40.463,16Fc. Cette répartition suit aussi l'importance des quartiers allant des quartiers planifiés vers les quartiers non planifiés. C'est ainsi que la commune de Lubumbashi qui présente le profil de quartier plus aisé et plus planifié et considérée comme le centre-ville vient en tête, suivie de Kamalondo, la plus ancienne cité créée après celle de « Blancs » et puis Kampemba en venant en troisième position confirme son statut du quartier résidentiel des Blancs. Ce qui justifie le fait que dans le temps, l'occupation de ces communes devrait être conditionnée par un standing de vie considérable. Tableau N° 32 : Dépenses de consommation d'énergie électrique en francs congolais par mois à Lubumbashi en 2013-2014
Minimum = 1000 Somme=2183000 Maximum = 54000 Moyenne= 4427,99 Ecart-type=5116,04 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : En ce qui concerne les dépenses de consommation en énergie électrique 55% sont entre 1000 à 9000F par mois soit entre 1,1$ à 10$ US, 252 9,1% dépensent entre 9000 et 18000F par mois, ceux qui dépensent entre 18000 et 27000F par mois représente 0,6%, enfin ceux qui dépensent entre 27000F et 54000F sont à 0,8% En effet, outre le fait que ces six tableaux ( 27, 28, 29, 30, 31 et 32) nous permettent de lire les fréquences de dépenses suivant les amplitudes retenues, mais leurs analyses minutieuses nous permettent, comme promis, d'avoir une idée générale sur le volume de dépenses d'un ménage moyen à Lubumbashi. Nous allons donc sur base de ces six tableaux couvrant les dépenses ordinaires constituer le tableau ci-dessous : Tableau N° 33 : Tableau synthétique de dépenses ordinaires mensuelles des ménages en francs congolais à Lubumbashi en 2013-2014
N.B Les dépenses journalières pour l'alimentation ont été multipliées par 30 pour avoir la dépense mensuelle étant donné que les autres tableaux présentaient les depenses mensuelles. Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Au regard de ce dernier tableau synthétique de dépenses ordinaires des ménages à Lubumbashi et considérant le fait que beaucoup de Lushois n'ont même pas un salaire et surtout du fait que la majorité des travailleurs et agents de l'état, pour ne prendre que l'exemple du barème de l'enseignement supérieur et universitaire en octobre 2010 et a été vigueur jusqu'à 2011, un agent de bureau de première classe a un salaire de base fixé à 48.692FC et une prime institutionnelle de 74.897,00FC soit au total Dans leur étude sur le budget ménager de Lubumbashi, Houyoux et Lecoanet avaient énuméré les sources suivantes de revenu: le 253 123.589,00FC. Cependant qu'un directeur chef de service lui touche 60.323Fc plus une prime institutionnelle fixée à 187.912FC donc au total 248.235,00FC. Si le grade de l'agent de bureau de première classe est celui d'un diplômé d'Etat ou équivalent, le directeur chef de service est le dernier grade dans l'administration universitaire. Donc il n'est pas n'importe qui et on n'en trouve pas plus de cinquante dans la ville de Lubumbashi, en 2014, même en considérant les institutions universitaires officielles de la ville de Lubumbashi. Du côté du personnel enseignant, un assistant du premier mandat touche, salaire de base et prime institutionnelle mis ensemble 200.153,80Fc, Un chef de travaux lui 375.105,90Fc alors que celui qui est au sommet, le professeur ordinaire est obligé de se contenter d'une modique somme de 1.101.529,50Fc par mois. Il faut préciser que le salaire de base du professeur ordinaire est de 60.323Fc seulement et une prime institutionnelle de 1.041.206,50Fc. Pour de plus amples détails lire le barème susmentionné en annexe. Si les agents de l'Enseignement Supérieur et Universitaire (ESU) ont une prime institutionnelle, il n'est pas de même de tous les fonctionnaires et enseignants de l'enseignement primaire et secondaire. Le sort est vraiment déplorable. Or nous savons que parmi ceux qui comptent encore sur leur salaire pour la survie de leurs ménages figurent en grande partie ces fonctionnaires et agents de l'Etat qui représentent plus de la moitié de la population travailleuse de la ville de Lubumbashi. Tout ceci nous permet de constater l'insuffisance du revenu principal des ménages de Lubumbashi et de comprendre leur recours à une économie de la débrouille. Cette dernière comprend tout un univers des moyens informels qui viennent à la rescousse de l'économie formelle pour suppléer au manque à gagner et permettre aux ménages de survivre. 4.4.4.2. Revenus ordinaires et extraordinaires du chef de ménage 254 salaire, l'entreprise traditionnelle, la propriété, l'autoconsommation, le transfert d'argent, les cadeaux et les dons. Aujourd'hui cette classification paraît dépassée, dans la mesure où ils semblent mettre ensemble la source principale avec les occasionnelles comme les dons, les cadeaux et le transfert d'argent. Nous référant donc à cette étude et à bien d'autres qui se sont intéressées au revenu des ménages, nous avons proposé la nomenclature présentée dans le tableau ci-dessous : Tableau N° 34 : Les sources principales de revenus des chefs des ménages à Lubumbashi en 2013-2014
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Malgré l'effondrement de l'économie congolaise et du marché d'emploi à Lubumbashi, le salaire comme on peut bien le lire dans ce tableau occupe encore la tête de la liste des principales sources de revenus de ménages avec 50,1% des ménages de notre échantillon. La débrouille vient en deuxième position avec 25,6%, le commerce occupe la troisième position avec 20,7% suivi de l'agriculture 3,7%. Cependant, il reste à savoir si celui-ci est régulier et satisfait aux besoins du ménage. Également même ceux qui déclarent vivre du commerce, nombreux sont ceux qui ne peuvent pas être appelés commerçants car n'ayant pas des documents administratifs. Toutefois le petit commerce est la source principale des revenus des ménages et constitue l'une des activités importantes de survie à Lubumbashi. Les études antérieures dont celles de César Nkuku et de Pierre Petit attribuent le développement des activités 255 commerciales notamment dans les communes de Kenya et Kamalondo à cause des grands marchés. Nous n'avons trouvé opportun de désagréger ici les résultats de nos enquêtes bien que le test de Khi2 sur la distribution des sources principales de revenu par commune ait révélé une dépendance très significative avec un Khi2 = 58,48, ddl = 24, 1-p = 99,99% et attestent le développement de ces activités dans les communes de Lubumbashi et de Kenya. Nous pensons que la configuration actuelle de la ville favorise le développement des activités commerciales dans tous les quartiers de la ville de Lubumbashi, qu'il s'agisse de petit commerce en détail tout comme de commerce de gros. On retrouve des supers-marchés, les maisons de commerce de gros comme de détails, les petites boutiques d'alimentation ou d'habillement partout. Donc plus question maintenant d'effectuer des grandes distances pour s'approvisionner. Tableau N° 35 : Régularité du salaire à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Parmi les ménages enquêtés qui avaient déclaré le salaire comme leur principale source de revenu, 32,9% reconnaissent toucher régulièrement leur salaire. Alors que 17,2% d'entre eux ont aussi déclaré qu'ils ne reçoivent pas régulièrement leur salaire. Cette situation ne peut guère être surprenante lorsqu'on a suivi nos analyses dans cette thèse sur ce qui a conduit à une économie de la débrouille. A côté de cette catégorie des salariés il y a 49,9% des ménages enquêtés qui n'ont pas un salaire. Celle-ci représente ceux qui vivent de leurs activités commerciales ou de la débrouille. 256 L'examen du tableau ci-dessous permet aussi d'expliquer la distribution de principale source de revenu par commune à Lubumbashi: Tableau N° 36 : Distribution de la principale source de revenu par commune à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 La dépendance est très significative. Khi2 = 58,48, ddl = 24, 1-p = 99,99%. Les cases encadrées en bleu (rose) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique. Commentaires : Le tableau montre également le développement des activités agricoles dans les ménages des communes de Kenya, Katuba, Ruashi et Annexe. L'agriculture comme principale source de revenu n'est pas seulement la conséquence de la crise actuelle, mais elle est toujours une passion pour certaines personnes qui l'ont choisie comme leur activité principale. Les salariés sont concentrés en majorité dans les communes de Kampemba, Lubumbashi, Katuba, Annexe et Ruashi. 257 La précarité d'emploi oblige un certain nombre de Lushois aujourd'hui à recourir à plusieurs activités difficiles à lister et qui constituent ce que nous avons ici considéré comme activités de la débrouille. Elles croisent tantôt le petit commerce, tantôt les petits métiers. C'est comme par exemple les cambistes, les vendeurs occasionnels des boissons dans les arrêts de bus, les convoyeurs, les chargeurs de bus et des camions, etc. Ils n'ont pas un contrat de travail et même pour la plupart, ils travaillent pour eux-mêmes et n'ont pas une activité fixe. 4.4.4.2.1. Les revenus extraordinaires Les revenus extraordinaires sont ceux générés régulièrement ou occasionnellement par toutes sortes d'activités du chef de ménage en dehors de son revenu principal, par sa conjointe, ses enfants ou les membres extérieurs au noyau familial, mais également l'aide fournie par les membres de la famille. Dans le contexte économique que connaît Lubumbashi actuellement, la mise en contribution des apports des différentes catégories d'actifs travaillant pour le ménage permet de survivre et de soulager tant soit peu les effets de la crise. En Afrique, les ménages sont toujours composés de plusieurs membres, conformément aux réalités claniques et sociales de la société. Notre enquête a révélé la présence dans les ménages de Lubumbashi de sept types de membres environ. Il s'agit : ? du chef de ménage, généralement un homme (on trouve aussi des femmes dans le cas des veuves, divorcées et de femmes seules ou célibataires), ? de son conjoint (une femme normalement quel que soit son statut socioprofessionnel) ? des enfants de deux premiers (engendrés dans et hors mariage, conformément à l'article ... du code de la famille) ? des frères et soeurs (y compris des cousins, neveux et nièces) ? des petits-fils et petites-filles du chef de ménage 258 ? des parents du chef de ménage ou de son conjoint, ? des autres personnes ne faisant pas partie de la famille biologique du chef de ménage ou de son conjoint, mais qui résident dans le ménage. Pour raisons de concision, nous allons regrouper les quatre dernières catégories vivant dans le ménage sous la rubrique autres membres extérieurs. Ainsi les apports des frères et soeurs, petits-fils et petites-filles, des parents du chef de ménage seront examinés dans la section 5.4.1.5 sous le sous-titre l'apport des membres extérieurs au noyau familial. Cependant que s'ils vivent en dehors du ménage, leur apport a été nommé aide familiale, voir le point 5.4.1.3. 4.4.4.2.2. Les sources secondaires du revenu Tableau N° 37 : Moyens utilisés pour suppléer à l'insuffisance du revenu du chef de ménage à Lubumbashi en 2013-2014
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Nous avons montré dans cette thèse qu'à cause de l'insuffisance ou de la rareté du revenu des chefs de ménages, ces derniers ont trouvé des stratégies pour suppléer en créant des sources secondaires de revenus. Pour connaitre les sources secondaires une question fermée a été prévue dans notre protocole d'enquête. Celle-ci prévoyait sept modalités de 259 réponses figurant dans le tableau ci-dessus. Elle stipulait : « que faite-vous pour suppléer à l'insuffisance de revenu du chef de ménage ? » Au regard de ce tableau, nous constatons que les petites activitées génératrices exercées par la femme constitue la première source secondaire avec 52,4%. En deuxième position figure la débrouille du chef de ménage lui-même, avec 19,7%, les petites activités exercées par les enfants représentent 17,6%, l'aide de la famille avec 6,7%, alors que l'agriculture représente 3,6%. Il ne serait pas juste si nous affirmons au regard de ce tableau que tous les ménages à Lubumbashi recourent aux activités procurant un revenu supplémentaire, car les 77 ménages dirigés par les femmes qui n'étaient pas concernés la question peuvent avoir aussi un point de vue différent, quant bien même nous savons qu'ils sont constitués des veuves, des divorcées ou célibataires qui constituent une catégorie vulnérable. 4.4.4.2.3. Les activités de la femme/la conjointe La participation de la femme au marché de travail laisse présager des degrés de contribution tout aussi différents aux ressources du ménage. C'est dans ce cadre que nous approfondissons cet aspect en analysant l'apport de la conjointe dans la survie de ménages. Comment les hommes (chefs de ménages) apprécient la contribution de leurs conjointes pour la survie de leur ménage ? Nous avons prévu dans notre protocole d'enquête deux questions suivantes : Est-ce que votre conjointe contribue à la survie de votre ménage ? De quelle manière contribue-t-elle ? Tableau N° 38 : Contribution de la conjointe (épouse) à Lubumbashi
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 260 Commentaires : Comme on peut s'y attendre, les ménages dirigés par les femmes n'ont pas été concerné par la question, c'est pourquoi nous avons observations 416 au lieu de 493 comme sur d'autres tableaux. 52,4% des ménages dirigés par les hommes ont reconnu la participation de leurs conjointes à la survie de leurs ménages, 28,1% qui n'ont pas reconnu cette contribution, alos que 21,9% n'ont pas repondu à la question. Tableau N° 39 : Manière de contribuer de la conjointe (épouse) à Lubumbashi en 2013-2014
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : En rapport à cette question, 46,1% des ménages souhaitent que leurs conjointes contribuent à la survie de leurs ménages grâce aux petites activités génératrices de revenus, 5,3% voudraient que cela soit grâce à leurs emplois dans les entreprises publiques ou privées. Ceux qui n'ont pas répondu représentent 47,6%, soit 198 ménages sur 416. Il ressort de l'analyse de ces deux tableaux relatifs à la contribution de la conjointe à la survie des ménages que la génération des revenus des ménages repose essentiellement sur deux principaux responsables (le chef de ménage et sa/ses conjointe(s)). Il convient aussi de faire remarquer qu'au regard de ces tableaux, la crise actuelle et, pour besoins de survie des ménages, les préjugés qui entouraient la femme et même son travail à l'extérieur du ménage se sont ébranlés. Elle n'est plus la chèvre qu'il fallait à côté de la maison. Même si certaines femmes se complaisent dans cette situation, l'homme 261 n'estime plus que l'emploi à l'extérieur soit une occasion d'infidélité pour la femme. A ce propos Albertine Tshibilondi note que « dans la crise économmique que traverse le pays, l'amélioration (quant elle existe) du revenu de la femme entraine une réaction ambivalente des hommes qui ne s'opposent pas aux activités lucratives de leurs épouses. On constate, d'une part, qu'ils manifestent une méfiance devant cette autonomie féminine qui ne peut que mettre à mal les privilèges traditionnels et `'leurs droits sur leurs femmes». Et d'autre part, les hommes expriment une certaine satisfaction en voyant leurs épouses s'occuper des enfants, mais en général, lorsque la femme travaille, il n'est pas rare que l'homme démissionne de ses responsabilités familiales »(1). L'analyse des correspondances multiples, effectué grâce au logiciel Sphinx Plus 2, prenant en compte quatre variables à savoir : l'état-civil, les enfants scolarisés, la principale source de revenu et les moyens de suppléer à l'insuffisance du revenu principal présente pour sa part les résultats suivants : (1) TSHIBILONDI Ngoyi A., Op. Cit, p.150 E2 E6 E5 P4 M6 M3 M4 P1 E2 E1 M7 E1 M1 P3 E4 M2 P2 P5 M5 E3 262 Figure N° 5 : état-civil, les enfants scolarisés, la principale source de revenu et les moyens de suppléer à l'insuffisance du revenu principal E1 : Marié(e) monogame E2 : Marié polygame E3 : Veuf(ve) E4 : Divorcé(e) E5 : Célibataire E6 : Union consensuelle E1 : Oui E2 : Non P1 : Salaire P2 : Commerce P3 : La débrouille P4 : L'agriculture P5 : Autres M1 : Petits commerces exercés par la femme M2 : Petites activités par ci par là exercent par les enfants M3 : Coup de main ailleurs en dehors des heures de travail M4 : Débrouillardise au service M5 : La famille vient en se secours M6 : l'agriculture M7 : Salaire de la femme Au regard de ce tableau de l'analyse factorielle nous disons que la plupart des ménages dirigés par les hommes survivent grâce à la débrouille et ont très souvent en charge dans leurs ménages les petits fils ou petites filles, et même le père ou la mère du chef de ménage. Alors que pour les ménages dirigés par les femmes, généralement ce sont le petit commerce et la débrouille qui constituent les activités sur lesquelles elles s'appuient pour survivre avec l'aide de petits frères et petites soeurs qui sont très souvent sous-logés par elles. 263 Ces résultats confirment l'hypothèse selon laquelle lorsque le chef de ménage a un revenu insuffisant ou incertain, le ménage tente toujours de pallier à cette insuffisance du revenu principal par l'accroissement de l'activité économique des corésidents. Mais les conjointes constituent, après les chefs de ménages, la seconde force économique en termes de participation à l'activité économique et à la survie des ménages. Si le mal persiste, le ménage ne recours pas directement aux enfants ou même aux autres membres extérieurs au noyau familial vivant en sein. Peut-être pour raison d'honneur et de responsabilité, il préfère d'abord épuiser d'autres voies de sortie de crise. C'est dans ce cadre que nous faisons allusion à l'aide familiale. 4.4.4.2.4. L'aide familiale à la survie des ménages Ici comme dans la stratégie précédente, nous avons par rapport au tableau N°38 demandé à nos enquêtés s'ils bénéficient quelquefois d'aide de leur famille et à combien estiment-ils cette aide. La fréquence de l'aide, le genre et la localisation des personnes qui leur viennent en aide n'ont pas été oubliés. Tableau N° 40 : Aide familiale à la survie des ménages
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : 6,7% des ménages enquêtés recourent à l'aide familiale pour pallier l'insuffisance de revenu du chef de ménage, Contre 93,3% qui disent ne pas bénéficiés de l'aide de la famille et sont obligés de trouver seuls des solutions ou recourir au soutien de la femme et pourquoi pas des enfants pendant les moments difficiles de la vie. Au regard de ce tableau l'on constate que l'interdépendance de réseau familial fonctionne très bien à Lubumbashi. Il 264 s'agit surtout des membres des familles qui, grâce aux relations de leurs parents, ont pu quitter le foyer familial pour un emploi et une maison souvent proche de celle de leurs parents. Tableau N° 41 : Estimation de l'aide familiale à la survie des ménages en franc congolais
Minimum=10.000 Moyenne= 6.511,16 Maximum= 368.000 Somme= 3.210.000 Ecart-type= 30.273,92 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Des avis de 33 ménages qui ont reconnu avoir bénéficié de l'aide de la famille, 2,43% estiment cette aide entre 10.000 à 60.000FC, pendant que 2,64% estiment l'aide entre 60.000 à 120.000FC, 0,81% l'ont estimée entre 120.000 à 180.000FC et 0,20% l'estime entre 180.000 et 240.000, et 0,61% la situe entre 240.000 et 300.000Fc. Comme on le constate la moyenne d'aide est égale à 6.511,16Fc, pendant que le Maximum à 368.000FC. Tableau N° 42 : Objectif de l'aide familiale à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 265 Commentaires : Quant à l'objectif de cette aide familiale 3,04% des ménages ont déclaré que c'est pour la scolarisation des enfants, 2,03% soutiennent que c'était pour le paiement de loyer, et 1,62% qui eux disent que c'est pour la ration alimentaire, et 93,31% non réponses, ce derniers représentent ceux qui soutiennent qu'ils ne recoivent pas d'aide familiale pour la survie de leurs ménages. Tableau N° 43 : Lieu de résidence de celui qui aide
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : En rapport à la localisation de ces membres de famille qui viennent en aide aux ménages de notre échantillon, 5,07% sont installés en République Démocratique du Congo, 1,62 % se trouvent eux à l'étranger et 93,31% de non réponse. Tableau N° 44 : Genre de celui qui aide
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 266 Commentaires : Voulant établir un rapport de genre dans cette rubrique, nous avons cherché à connaitre le sexe de ces membres qui viennent en aide aux ménages de leurs membres de famille. 4,87% des ménages ont indiqué qu'ils sont du sexe masculin, alors que 1,82% seulement sont du sexe féminin. A notre avis ce faible pourcentage des femmes qui assistent leurs membres de famille se justifierait par la précarité de leurs activités et par le fait que celles-ci dépendent en majorité de leurs époux. Les raisons généralement évoquées pour la préférence par rapport au sexe de l'enfant attestent, dans l'ensemble qu'aussi bien le garçon que la fille peut être bénéfique pour les parents et pour la survie du ménage : « les filles sont au même pied que les garçons car elles sont capables de prendre en charge financièrement les parents comme le feraient les garçons ». Contrairement aux opinions reçues dans certains milieux ruraux particulièrement, l'idée d'une certaine suprématie des garçons sur les filles par rapport à leur apport dans la famille semble être écartée à Lubumbashi. Les hommes pensent ainsi que les filles, parallèlement aux garçons, peuvent être à la hauteur des attentes de leurs parents : « je n'ai pas de préférence car les filles assurent les mêmes rôles que les garçons. Ma maison a été construite par ma fille donc je ne suis pas de ceux qui préfèrent les uns au détriment des autres » (propos d'un parent de Katuba sur l'avenue kabulo roger). D'autres tendances indiquent cependant que l'apport de la fille serait beaucoup plus rentable pour les femmes surtout quand elles commencent à avoir de l'âge : « moi, je n'ai pas des garçons mais j'aurais préféré avoir des filles car elles seules pourront assurer mon intimité quand je serais vieille et n'aurais plus la force de m'occuper de moi-même » (Témoignage d'une maman d'une soixantaine d'année au quartier Bel-Air 2 sur l'avenue Wamba). A Lubumbashi, la préférence par rapport au sexe de l'enfant n'est prise en compte que mis en rapport avec la mobilité. Les parents misent davantage sur les garçons, car ils savent que les filles sont appelées à 267 rejoindre plus tard leurs futurs maris, à la différence des garçons qui devront plutôt amener leurs épouses au sein de la famille. Mais si l'on se situe purement dans la perspective d'aide et d'apport, alors les parents, conformément aux habitant de Lubumbashi, valorisent aussi bien le sexe masculin que féminin comme l'indique cet habitant du quartier Kalebuka dans la commune annexe à Lubumbashi « batoto bote biko lazima, awe manaume ao mwana muke » ce qui veut dire tous les enfants sont importants, qu'il soit garçon ou fille ». Dans cette perspective d'aide et surtout cherchant à comprendre les raisons du travail précoce des enfants, nous avons également soumis les résultats de nos enquêtes à l'analyse factorielle multiple en prenant en compte les variables : Etat civil, Membres de famille venant au secours, contribution des enfants à la survie du ménage, raison du travail précoce. R3 R4 C1 R2 E4 M2 E1 R1 M1 E2 E3 268 Figure N° 6 : Etat civil, Membres de famille venant au secours, contribution des enfants à survie ménage, Raison du travail précoce. E1 : Marié(e) monogame E2 : Marié polygame E3 : Veuf(ve) E4 : Divorcé(e) M1 : Oui M2 : Non C1 : Oui : Non R1 : La pauvreté des parents R2 : les enfants aiment vite être indépendant R3 : la recherche des moyens pour survivre R4 : je ne sais pas Commentaires : En interprétant rapidement cette figure, nous notons que les mariés polygames et les veuves soutiennent que c'est la pauvreté des parents qui pousse très souvent les enfants à travailler précocement. Il est évident que dans les mariages polygamiques, les hommes ont plusieurs charges et par conséquent les ressources matérielles et financières pour assurer la survie de 269 leurs ménages arrivent à faire défaut. Ainsi leurs multiples épouses sont condamnées à se débrouiller pour la survie de leurs ménages. Elles s'appuient aussi dans cette débrouille sur leurs enfants. Ces derniers par compassion à la situation malheureuse de leur mère se lancent précocement dans la recherche de moyens de survie en exerçant les activités génératrices de revenu. Par contre, les divorcées et les mariés monogame soutiennent que les enfants arrivent à travailler précocement, seulement, parce qu'ils aiment être rapidement indépendants. De ces deux points de vue, nous pensons que lorsque les conditions de vie sont difficiles, chaque homme cherchera à tout prix les moyens pour assurer sa survie et donc la pauvreté étant considérée comme une menace à la vie, les enfants ne peuvent que se défendre en se livrant précocement au travail, n'en déplaise à ceux qui soutiennent le souci d'indépendance dans le chef des enfants. Car si cela était vrai on devra trouver le même engouement envers les activités productrices de revenus même auprès des enfants des familles aisées. Or, ceux-là préfèrent très souvent et le plus longtemps possibles vivre sous la dépendance de leurs parents. Tableau N° 45 : Age de celui qui aide les ménages de Lubumbashi
Minimum = 10 Maximum= 42 Moyenne= 2,11 Somme=1039 Ecart type=7,99 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 270 Commentaires : 2,84% de ménages enquêtés ont déclaré que l'âge de celui qui leur vient en aide est entre 32 et 42 ans. Donc le fait de voir ici que les membres qui viennent en aide aux autres ont un âge moins de 32 ans traduit le fait qu'ils sont économiquement actifs. C'est-à-dire qu'ils sont encore en mesure d'exercer une activité économique. Au fait, nous ne saurons quitter cette section sans pour autant rappeler la logique de la solidarité communautaire qui soutient l'aide familiale, considérée d'après Marie A. comme la logique de la dette. Selon cette logique, « tout membre de la communauté, toujours déjà endetté vis-à-vis d'elle - vis-à-vis des ancêtres, des parents, de qui on tient sa vie, son identité, son éducation, sa force vitale, sa chance et le capital économique, social, culturel et symbolique de départ qui permettra de réussir un jour comme adulte socialement autonome-, doit tôt ou tard, à moins d'encourir un risque de proscription, cette mise à mort sociale, honorer cette dette multiforme, multidirectionnelle et infinie tout en commençant, parallèlement à endetter à son tour des obligés, de manière à pouvoir lui aussi faire valoir des créances sur autrui. »(1) 4.4.4.2.5. L'apport des enfants à la survie des ménages Conscient de la susceptibilité d'une question directe sur la contribution des enfants à la survie des ménages, nous avons estimé qu'il était nécessaire de parler d'abord de l'occupation des enfants avant d'atterrir éventuellement sur leurs contributions. (1) Marie, A., « y a pas l'argent : l'endetté insolvable et le créancier floué, deux figures complémentaires de la pauvreté abidjanaise » Revue Tiers-monde, Tome 36, pp. 303324 citée par KOKO Siaka Koné, Op. Cit, p.24 271 Tableau N° 46 : occupation des enfants à Lubumbashi en 2013-2014
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Ainsi, Sur 493 ménages de notre échantillon, 366 soit 74,2% ont déclaré que leurs enfants s'occupent principalement des études. Principalement parce que les autres ont reconnu qu'en dehors, ils s'occupent également d'autres activités, 75 ménages sur les 366 qui représentent ici 15,2% de l'ensemble des ménages enquêtés. 23 ménages soit 4,7% ont déclaré que leurs enfants s'occupent seulement de petites activités activités de survie (petits commerces, petits métiers artisanaux et le transport de biens au profit de ceux qui les sollicitent moyennant un paiement). Pendant que 104 ménages soit 21,1% n'ont pas répondu à cette question. Tableau N° 47 : Contribution des enfants à la survie des ménages
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Au regard de ce tableau et comme nous avons fait allusion à la délicatesse de cette question, 19,9% seulement de ménages de notre 272 échantillon ont reconnu la contribution de leurs enfants à la survie de leurs ménages. Par contre 80,1% de ménages enquêtés ont répondu non. Tableau N° 48 : Fréquence de contribution des enfants à la survie des ménages
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : S'agissant de la fréquence de cette contribution 7,7% de ménages enquêtés estiment que cette contribution est occasionnelle, 6,1% des ménages de notre échantillon reconnaissent que leurs enfants contribuent journalièrement à la survie de ménage, 2,2% mensuellement et 3,9% hebdomadairement. Et presque dans la même proportion que dans la question précédente, 80,1% n'ont pas répondu. Tableau N° 49 : Niveau de contribution des enfants par mois en Fc
Minimum= 10.000Fc Maximum=200.000 Moyenne 6.561,87 Somme= 3.235.000 Ecart-type= 15.961,25 Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 273 Commentaires : Evaluant le niveau de cette contribution 98 ménages seulement ont daigné répondre à cette question soit 19,9% de ménages enquêtés. Aux nombres desquels on note 13,2% qui bénéficient d'une contribution de leurs enfants de l'ordre de 10.000FC à 30.000Fc, 3,7% des ménages l'estiment entre 30.000 et 60.000Fc, 3,0% évaluent cette aide entre 60.000 et 90.000Fc. 395 ménages n'ont pas répondu soit 80,1%. Toutefois la moyenne de cette aide est 6.561,87Fc et le maximum à 200.000Fc. Tableau N° 50 : Raison du travail précoce des enfants à Lubumbashi
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : S'agissant de la raison du travail précoce des enfants la recherche des moyens pour la survie des ménages occupe 12,5%, la pauvreté des parents 7,5%. Ceux qui ne se sont pas exprimés sur la question parce qu'ils n'ont pas reconnu la participation des enfants à la survie des ménéges représentent 80,1%. Les ménages ne regorgent pas seulement à leur sein le chef de ménage, son conjoint et leurs enfants, mais des membres extérieurs au noyau familial (petits frères, petites soeurs, neveux ou nièces...). Donc une dernière catégorie d'actifs à la survie des ménages. 274 4.4.4.2.6. L'apport des membres extérieurs au noyau familial Tableau N° 51 : Nombre des membres extérieurs au noyau familial vivant dans les ménages enquêtés à Lubumbashi
Commentaires : Evitant toujours de procéder par une question directe, nous avons commencé par nous rassurer de la présence de cette catégorie d'actifs dans les ménages enquêtés. La question consistait à savoir combien de membres extérieurs au noyau familial vivaient dans le ménage. Donc, au regard de ce tableau 226 ménages seulement hebergent les membres extérieurs au noyau familial. En cas d'une réponse positive, trois petites questions supplémentaires venaient boucler l'enquête. A savoir : contribuent-ils à la survie du ménage ; A quelle fréquence et enfin quels sont les liens qui les unissent au chef de ménage ? Tableau N° 52 : Contribution des membres extérieurs au noyau familial à la survie des ménages à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 275 Commentaires : A la première question 33 ménages seulement sur 493 enquêtés ont répondu affirmativement soit 6,7%, alors que 460 ménages soit 93,3% ont répondu négativement parce qu'ils eux n'hebergent pas des membres extérieurs au noyau familial ou tout simplement bien qu'étant hebergés ne contribuent pas à la survie du ménage. Tableau N° 53 : Fréquence de la contribution des membres extérieurs au noyau familial à la survie des ménages à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Commentaires : Au regard de ce tableau N°53, nous constatons que 5,9% des ménages enquêtés déclarent recevoir cette contribution occasionnellement, pendant que 0,6% les reçoivent mensuellement et 0,2% l'estime être journalière. Et enfin 460 ménages sur les 493 enquêtés soit 93,3% qui n'ont pas répondu à la question. Tableau N° 54 : Lien de parenté des membres extérieurs au noyau familial avec le chef de ménage à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 276 Commentaires : En interprétant ce tableau nous constatons que 267 ménages sur 493 n'ont pas répondu à cette question soit 54,2%, alors que 98 ménages soit 19,9% vivent avec les petits frères ou petites soeurs du chef de ménage ou de la conjointe du chef de ménage. 27 ménages soit 5,5% vivent avec les petits fils ou petites filles du chef de ménage ou de la conjointe du chef de ménage ; 16 ménages sur 493 soit 3,2% hébergent le père ou la mère du chef de ménage ou de sa conjointe. Alors que 73 ménages soit 14,8% hébergent les autres (les amis, cousins ou neveux venus pour raison d'études ou autres) Considérant donc l'examen des tableaux en rapport aux apports des différents actifs pour la survie de ménages, nous pouvons dire que les résultats de nos enquêtes confirment la théorie de Schoemaker mais aussi celle de Kuepie Mathias. Pour Juan Schoemaker « lorsqu'il existe une base de subsistance incertaine, peu abondante ou irrégulière, la solidarité sociale est mobilisée comme une ressource pour la survie. Tous les membres se débrouillent pour contribuer au revenu familial. Toutes les personnes valides et même invalides participent à la gestion de l'économie familiale à travers une variété d'activités légales ou illégales susceptibles de générer des revenus additionnels» (1). Et d'après Kuepie Mathias, après les parents (chef de ménages et conjoints), les enfants sont sans doute, les membres les plus stables des ménages et pourraient, de ce fait, y constituer des éléments clefs dans la mise en place des stratégies de survie. En effet, contrairement aux membres extérieurs au noyau familial qui arrivent par immigration et peuvent facilement quitter le ménage d'accueil (en retournant par exemple chez leurs parents) quand la situation de celui-ci se dégrade, les enfants du couple n'ont pas cette alternative et sont probablement plus solidaires vis-à-vis de leurs parents(2).
277 4.5. Difficultés rencontrées Cette étude, comme toutes les recherches scientifiques, n'a pas été exemptée des difficultés. Elle a été confrontée à plusieurs difficultés notamment : au niveau de la collecte des données, de la gestion de l'espace, de finance et de la gestion du temps. Au niveau de la collecte des données nous avons rencontré quelques difficultés dues au manque d'instruction de certains chefs de ménage. Ce manque d'instruction a conduit des fois à vouloir confondre nos enquêtes scientifiques à l'enquête policière, ce qui fait que certains avaient peur d'approcher les enquêteurs et accepter de répondre. Mais grâce à la formation que les enquêteurs avaient eu à l'avance, ils arrivaient toujours à contourner cette difficulté en prenant soin de bien expliquer leur mission et surtout montrer ce qu'ils étaient. Le manque d'instruction s'est aussi fait remarquer par le fait que certains enquêtés ne connaissaient même pas leur date de naissance. Il fallait pour ce faire contourner la difficulté en posant d'autres questions comme l'âge de leur premier enfant pour estimer le leur. La gestion de l'espace a constitué aussi une difficulté non négligeable. La promiscuité, dans certains quartiers comme Bongonga, Kigoma, Congo par exemple, ont rendu difficile la numérotation de certaines parcelles. Les limites des parcelles n'étant pas toujours très visibles, il arrive que certaines parcelles se trouvent les unes derrière les autres rendant difficiles leur accessibilité et leur localisation sur une avenue. Cette promiscuité a conduit aussi à la difficulté dans certains quartiers à déterminer les limites exactes entre les quartiers, exemples entre Bongonga et Tabacongo, Kaleja et Tabacongo, Kigoma et Congo, etc. Toutefois le nombre des ménages trouvés dans ce cas est très limité et très négligeable dans notre échantillon et ne peuvent en aucun cas influencer significativement les résultats obtenus et analysés dans l'étude. A ces difficultés, s'ajoutent aussi celles d'ordre temporel et financier. La recherche des moyens de survie des ménages obligeait quelques-uns de nos enquêtés à rentrer un peu plus tard au point que cela 278 conduisait à des rendez-vous manqués, voire de report des rencontres planifiées. Alors il arrivait que pour éviter de rater quelques rendez-vous avec certains ménages, les enquêteurs décident de rentrer même à des heures tardives, question d'avoir la chance de les rencontrer. C'est dans cette catégorie que nous classons sept fiches d'enquête qui sont rentrées sans réponses. L'organisation de cette enquête depuis la formation des enquêteurs, l'impression du questionnaire, le déploiement des enquêteurs sur terrain, leur transport, le dépouillement et le traitement des résultats ont entrainé un coût non négligeable qui a dû faire retarder et même failli faire capoter la réalisation de cette thèse, n'eût-été notre détermination et l'esprit de sacrifice et de dévouement qui nous a caractérisé. Ainsi, nous l'avons réalisée avec nos maigres moyens sans être assisté par un quelconque organisme. 4.6. Conclusion partielle Les questions d'ordre éthique dans les recherches en sciences sociales soulèvent toujours des interrogations dans la communauté scientifique. Elles sont d'autant plus cruciales qu'il s'agit de questions qui fouillent la sphère privée des individus. Des promesses de confidentialité sont en général faites par les chercheurs. Malgré les garanties d'anonymat et de confidentialité des informations recueillies, il n'est toujours pas rare que les enquêtés soient réticents devant certaines questions qui touchent leur condition de vie, la pauvreté, leurs revenus, etc. Ces questions relèvent un peu partout du domaine de la discrétion, du respect de la vie intime et même de la pudeur. Par conséquent, la mise en confiance des personnes à interviewer a constitué une démarche la plus longue et la plus laborieuse auprès de nos enquêteurs qui nécessitaient des séances de patiente et rude formation. Malgré les pièges du terrain, les conditions spécifiques dans lesquelles nous avons mené nos observations et nos enquêtes, la diversité des activités des ménages et les contraintes majeures de temps nous ont 279 obligé le plus souvent à faire preuve d'une grande patience et d'une grande flexibilité pour saisir toutes les opportunités qui s'offraient à nous. La préoccupation principale de ces enquêtes et méme de cette étude était de savoir comment les ménages de Lubumbashi qui connaissent une détérioration constante de leur environnement économique et social arrivent à nouer les deux bouts du mois. Pour répondre à cette question, il fallait d'abord montrer à travers certaines observations la précarité du niveau de vie des ménages à Lubumbashi avant de montrer ce que ces ménages font pour assurer leur survie. Cette démarche n'a été possible qu'à travers l'examen des éléments en rapport à la qualité de vie des ménages, tels que les caractéristiques de l'habitat, les dépenses et les revenus de ménages et les activités de survie. La qualité de la vie des ménages de Lubumbashi est relativement très basse par rapport à la situation des décennies précédentes. Trois postes qui incombaient autrefois à l'employeur ou à l'Etat à savoir l'éducation, le transport et les soins de santé sont pour le moment à la charge des ménages, alors que les revenus salariaux ont sensiblement chuté ou presque inexistants. L'alimentation du Lushois faite essentiellement du Bukari accompagné de légume avec de temps en temps d'un peu de poissons, de la viande est aussi en baisse à considérer les tableaux de nombre de repas et de dépenses en alimentation : 58,11% des ménages de notre échantillon consomment entre 1000 à 6000FC par jour contre une moyenne totale estimée à (5682,56FC (soit 6,31$) par jour pour la taille moyenne de ménages de 7,06% personnes. En moyenne cette dépense s'évalue à 170476,8 FC par mois soit 189,42$ par rapport à l'étude antérieure de Pierre Petit notamment qui la fixe à 5254 FC(1) soit 65,68$ par mois en 2003, il se dégage une baisse considérable du niveau de vie de ménages à Lubumbashi. (1) PETIT, P. (Dir), Op. Cit, p.200 280 Le coût moyen de loyer est évalué à 62119,68FC. Dans le logement, la part du combustible non électrique est très grande et est dominée par les charbons de bois et la bougie. L'électricité est devenue une denrée très rare, même si son coût moyen s'éleve encore à 4427,99FC par mois et par ménage, beaucoup de ménages n'en bénéficient qu'une ou deux fois par semaine et cela malgré les efforts du gouvernement provincial de doter certains quartiers de nouveaux transformateurs électriques. L'instruction des enfants est un autre casse-tête pour les ménages de Lubumbashi. L'Etat ayant tout abandonné entre les mains des parents qui doivent soutenir la survie à la fois de l'enseignant et des enfants, dépensent en moyenne 102478,7Fc par mois pour une moyenne de 2,44 enfants à scolariser. L'habillement n'est plus une priorité. On se le procure occasionnellement. La majorité des ménages enquêtés ont reconnu avoir assuré ce besoin une fois seulement et cela essentiellement à la rentrée scolaire des enfants ou à l'occasion de la maternité de l'épouse, grâce à une activité de la débrouille. Cette dernière va de simples activités commerciales de proximité à des opérations souterraines qui frisent la criminalité. L'habitat (le logement) est bâti essentiellement en semi dur, en briques cuites (82,4%), la toiture est faite en tôles mais aussi en matériaux de récupération, le pavement en ciment (79,9%) et en terre battue (16,0%), et très souvent sans plafond, 49,9% des ménages utilisent une toilette commune à plusieurs ménages. La taille moyenne de ménage 7,06% et vivant en majorité dans deux ou trois pièces y compris la salle de séjours ou le salon, et en moyenne trois ménages dans la parcelle. Ici les communes de Kampemba et Katuba viennent en tête avec plus de 5 ménages dans une même parcelle. Ce qui témoigne un état de promiscuité dans les ménages. Tout ce tableau sombre atteste la précarité de niveau de vie des ménages à Lubumbashi et confirme la pauvreté des ménages. L'objectif de ce chapitre était non seulement de montrer la pauvreté des ménages mais aussi et surtout de montrer comment ils se débrouillent pour assurer leur survie. L'analyse des résultats de nos enquêtes 281 au cours de ce chapitre nous ont permis de mettre en évidence les mécanismes complexes qui favorisent la participation des femmes, des enfants et des membres extérieurs au noyau familial au marché de travail. Cependant, si la participation au marché de travail constitue un pas vers l'autonomisation de la femme, le type d'emploi occupé s'avère central dans ce processus. Elle est encore moins représentée dans le secteur formel (5,3% des femmes qui supplée au manque de revenu du chef de ménage par leur salaire) et ne se procure pas encore un revenu stable et confortable. La plupart sont dans le secteur informel où les emplois n'offrent que des conditions de travail précaires et des revenus dérisoires. Enfin, si la pauvreté a poussé les ménages de Lubumbashi à accroitre leur offre de travail, comme stratégies de survie des ménages, celles-ci ne peuvent améliorer significativement leur niveau de vie et les sortir de la pauvreté qu'à travers l'investissement dans les emplois stables et bien rémunérés. Toutefois, dans leur pauvreté et avec subjectivité, ces ménages de Lubumbashi ont constitué des informateurs qualifiés et ont contribué au développement d'un savoir scientifique et nous leur restons reconnaissant. 282 CHAPITRE V : DISCUSSION GENERALE SUR LE GENRE ET LES STRATEGIES DE SURVIE DES MENAGES DANS LA VILLE DE LUBUMBASHI 5.1. Introduction Le présent chapitre vise à mettre en exergue les facteurs qui conditionnent la participation aussi bien des femmes que des enfants et des autres membres secondaires au marché du travail afin d'assurer la survie de leurs ménages pendant la période de crise où le revenu du chef de ménage est très faible ou incertain. Il nous permet, en outre, d'analyser les motivations du travail de la femme afin de comprendre ses efforts pour son autonomisation et pour la survie des ménages à Lubumbashi afin de confirmer ou de nuancer notre hypothèse de recherche soutenant que l'accroissement de la participation de la femme à l'activité économique, surtout dans les ménages pauvres serait lié au processus de lutte pour la survie quotidienne qui entraîne une mobilisation de toute la main-d'oeuvre disponible, même celle des femmes faiblement qualifiées. Et cela, contrairement à la théorie féministe d'offre de travail et celle du capital humain. La théorie féministe d'offre de travail postule que la situation d'activité des femmes n'est que le prolongement de la place qu'elles occupent dans la société ; la théorie du capital humain qui insiste sur l'hétérogénéité des dotations en capital humains. Il s'agit donc de voir, s'il existe, des écarts significatifs entre les ménages dirigés par des femmes et ceux dirigés par des hommes dans le contrôle et la mobilisation de leurs forces économiques et sociales pour une bonne lutte contre la pauvreté et pour la survie de ménage. 283 5.2. La proportion de conjointes occupées suivant le niveau d'instruction et la catégorie socioprofessionnelle du Chef de ménage Nous supposons dans cette section que la théorie du capital humain a un pouvoir explicatif à la fois dans la décision de participation aux activités économiques et du choix des activités socioprofessionnelles. Selon cette théorie, les individus cherchent les emplois les mieux rémunérés en fonction de leurs capacités, de leurs obligations et de leurs préférences. Cela veut dire que les hommes et les femmes les plus instruits devraient donc se retrouver dans les secteurs les plus rentables et les plus sécurisants de tous les autres parmi eux. Ainsi, les femmes tout comme les hommes hautement qualifiés devraient plus s'investir, comparativement aux femmes et aux hommes moins qualifiées sur le marché de travail à travers les activités socioprofessionnelles dans les secteurs les plus rentables et plus sécurisés. Tableau N° 55 : Niveau d'étude du Chef de ménage et la manière de se débrouiller de la conjointe à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Nous partont de l'hypothèse nulle(Ho) selon laquelle : « l'activité de la débrouille de la conjointe est indépendante du niveau d'étude du chef de ménage » pour confirmer ou infirmer notre 284 hypothèse de l'étude. Pour vérifier cette hypothèse nous avons appliqué le test de Khi carré aux données du tableau n°55 et avons obtenu le résultat suivant : Au seuil de signification de 5%, avec un degré de liberté de 16, le Khi carré théorique égal à 26,2962 tandis que le Khi carré calculé= 50,35. Il se dégage une dépendance très significative étant donné que le Khi carré calculé est vraiment supérieur au Khi carré théorique. Ce résultat du test de Khi carré nous permet donc de rejeter statistiquement notre hypothèse nulle dans la mesure où il vient d'être prouvé par le test de Khi carré qu'il y a une dépendance entre le niveau d'étude du chef de ménage et la manière de se débrouiller de sa conjointe. Ce constat nous permet de recourir à l'hypothèse alternative qui est notre hypothèse de recherche selon laquelle : « l'accroissement de la participation de la femme à l'activité économique, surtout dans les ménages pauvres est lié au processus de lutte pour la survie quotidienne qui entraîne une mobilisation de toute la main-d'oeuvre disponible, même celle des femmes faiblement qualifiées ». En rapport avec les résultats de nos enquêtes, les conjointes des chefs de ménages dirigés par les diplômés d'universités et d'instituts supérieurs se débrouillent plus en tant que agents de l'Etat ou d'entreprises publiques ou privées. Alors que celles de diplômés d'Etat sont en train de se débrouiller plus comme agent de l'Etat. Cependant que les conjointes des chefs des ménages qui ont un niveau primaire se retrouvent plus dans l'agriculture et dans le coup de mains çà et là à d'autres ménages nantis, comme cadre de débrouille. Par conséquent, si les conjointes des chefs de ménages les plus instruits sont plus nombreuses dans les activités socioprofessionnelles a priori mieux rémunérées et plus sécurisées socialement à travers le secteur publique et privé, ce qu'elles ont des revenus plus élevés au point d'affranchir leurs ménages des besoins de survie. Or nous avons eu à démontrer dans cette thèse, dans les chapitres précédents, que la situation de basse 285 conjoncture que connaissent les ménages de Lubumbashi les oblige à la débrouille pour la survie de leurs ménages à travers le secteur informel. Le cadre et les raisons de la débrouille ont été aussi précisés par Djik Meine Peter dans une étude similaire sur la vie et de survie des acteurs urbains dans les pays du tiers monde : « c'est dans le secteur informel qu'une grande partie de la population active gagne sa vie en produisant des biens et services peu coûteux. Ces biens et services contribuent dans une large mesure à la satisfaction des besoins essentiels de la population urbaine. Ce secteur allège le problème du chômage dans les villes, il absorbe les migrants, les jeunes qui ont quitté l'école, les non-employés ou les personnes qui veulent tenter leur chance. On pourrait même parler d'un secteur de la dernière chance : un secteur en dernier ressort. »(1) Dans le même sens Rosalie Aduayi confirme que la débrouille constitue une solution tampon à l'insuffisance de revenu du chef de ménage et à la pauvreté. Elle écrit : « quand une partie ou des couches entières de la société voient s'aggraver ou se détériorer leur niveau de vie, au point de sentir leur reproduction matérielle et biologique sérieusement menacée, il est raisonnable de parler de stratégies de survie comme phénomène social, tant que ces couches développent un ensemble des comportements visant à résister aux forces ou processus de détérioration »(2). Partant de cette idée et dans le souci de vérifier la théorie économique de survie, nous avons dans notre protocole d'enquête prévu une question sur la raison de la débrouille, comme solution à la crise.
286 Tableau N° 56 : Genre et raison de la débrouille de la conjointe du chef de ménage à Lubumbashi en 2013
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 En appliquant le test de Khi carré (X2) sur les données du tableau ci-haut et en considérant une hypothèse nulle : « les raisons de la débrouille sont indépendantes du genre du chef de ménage », nous constatons qu'au seuil de signification de 5%, avec un degré de liberté de 4, le Khi carré calculé de 20,34 contre un Khi carré théorique égal à 9,4872. La dépendance est très significative car le Khi carré calculé est supérieur au Khi carré théorique. Ainsi notre hypothèse nulle est statistiquement rejetée. La dépendance de la raison de la débrouille par rapport au genre de chef de ménage, nous amènes à formuler l'hypothèse alternative de la manière suivante : « pour faire face aux multiples facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté » C'est pourquoi au regard de données du tableau ci-haut on constate que les conjointes des chefs de ménages dirigés par les hommes se lancent dans la débrouille à cause notamment de la pauvreté et de l'insuffisance du revenu du chef de ménage. Or la pauvreté ou l'insuffisance de revenu ne sont pas seulement l'affaire des ménages dirigés par les hommes mais également de ceux dirigés par les femmes. Donc, il devient fort clair que les ménages dont les chefs des ménages sont les plus touchés par la pauvreté et l'insuffisance de revenu mobilisent un grand nombre d'actifs dont ils disposent en leurs (1) VERHAEGEN, B., `'La ville de Kisangani», in Cahiers d'actualité sociale, N°3, IRSA, Décembre 1986, p.10 287 seins pour la survie, y compris des acteurs n'ayant pas suffisamment investi dans le capital humain. A ce sujet Benoit Verhaegen montre que « le principal moyen pour résoudre l'impasse du budget familial est le cumul des activités rémuratrices au sein de la famille : cela va du petit commerce de l'épouse dont l'apport financier est parfois plus important que celui du mari, ou de la culture du potager familial, à la prostitution des filles, en passant par les occupations secondaires du chef de famille ; celui-ci exerce souvent une deuxième activité plus lucrative que la première, soit dans le prolongement de celle-ci (enseignement privé, vente de médicaments, dactylographie à la pièce, etc... soit indépendante. Beaucoup de fonctionnaires et employés dont l'activité officielle tend vers zéro, peuvent consacrer la plus grande partie de leurs temps à d'autres tâches rémunérées en supplément ».(1) Au vu de cette analyse, la théorie économique de survie qui soustend que « l'accroissement de la participation de la femme à l'activité économique, surtout dans les ménages pauvres serait lié au processus de lutte pour la survie quotidienne qui entraîne une mobilisation de toute la main-d'oeuvre disponible, même celle des femmes faiblement qualifiées » explique mieux la situation des ménages de Lubumbashi que la théorie du capital humain. Elle consolide notre hypothèse de recherche qui soutient que « pour faire face aux multiples facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté ». Même si certains économistes affirment encore aujourd'hui que la position de la femme sur le marché du travail n'est que le reflet de sa subordination dans la société en général, l'idée sous-jacente à cette théorie est que trop souvent investies dans les travaux domestiques de leurs ménages, de façon voilée ou non, les femmes acceptent et préfèrent s'insérer dans les activités tendant à être une sorte de prolongement de leurs tâches domestiques où le temps de travail leur 288 permet d'accomplir leurs obligations ménagères. Autrement dit, la société est faite telle que, même celles qui ont beaucoup accumulé en capital humain peuvent se retrouver dans des emplois précaires à faible rémunération ou moins sécurisés. Au fait, la théorie du genre soutenue dans cette thèse ne vise pas à écarter totalement la femme de ses rôles domestiques, mais plutôt à l'aider à concilier ses rôles avec les besoins de subsistance de son ménage par sa participation aux activités économiques et au développement de la société. Néanmoins, même si la situation des parents n'offre pas de perspective intéressante à Lubumbashi, celle des femmes est pire encore que celle des hommes. Concernant l'occupation et le statut des parents (chefs de ménages), la majorité des femmes sont engagées dans les activités commerciales et plus précisément dans le petit commerce informel et sans patente. Les hommes sont dans les petits métiers et aussi le petit commerce. La catégorie de salariés est deux fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Et même pour les quelques rares qui s'y trouvent, elles sont souvent dans l'enseignement, elles sont encore peu présentes dans le marché de travail formel. Par contre, elles le sont massivement dans le secteur informel ou le secteur de la survie. Majoritairement commerçantes pour raison du contexte de crise, elles investissent le secteur des activités microéconomiques, où l'insertion est très facile et la retraite ou le licenciement ne sont pas connus. Le taux d'occupation élevé des femmes dans le secteur informel démontre également une forte aspiration ainsi que la nécessité de rechercher des solutions et de prendre des initiatives pour tenter de sortir de la pauvreté ou de la réduire. Cependant, leur faible présence dans le secteur formel les contraingnent à développer des initiatives et à créer leurs propres emplois sans encadrement et accompagnement adéquats. D'où la vulnérabilité de leur situation économique et partant des enfants. 289 Le manque de moyens et des ressources des parents traduit davantage la situation des enfants. Car d'après le point de vue de ces derniers, les parents sont confrontés à des difficultés matérielles pour satisfaire leurs besoins de base : nourriture, hébergement, scolarisation ou instruction, soins de santé. Ces difficultés liées au manque d'argent et de travail expliquent la précarité multidimensionnelle et les poussent précocement à la débrouille pour la survie de ménage. Sociologiquement, le recours aux stratégies de survie ne peut être compris que placé dans le contexte des familles étendues africaines et aussi dans la dynamique des réseaux sociaux et de solidarité africaine. Selon Juan Schoemaker lorsqu'il existe une base de subsistance incertaine, peu abondante ou irrégulière, la solidarité sociale est mobilisée comme une ressource pour la survie.(1) A Lubumbashi, à cause de la crise multiforme qui secoue les ménages et mine leur survie, un réseau de sociabilité et d'aide régulière est souvent assuré par les enfants considérés comme une base certaine de sécurité économique en temps de crise. C'est dans ce cadre que nous analysons dans la section ci-dessous la contribution des enfants comme stratégie de survie des ménages. 5.3. Le genre, l'Etat-Civil, niveau d'études du chef de ménage et la contribution des enfants à la survie du ménage Les enfants n'ont pas uniquement des fonctions sociales, ils jouent aussi des rôles économiques décisifs. Parmi les nombreuses stratégies de survie préconisées par beaucoup de ménages de Lubumbashi, lors de nos enquêtes, la dimension microéconomique de la participation des enfants est de loin la plus importante comme des mécanismes amortisseurs dans les moments où la carence des biens essentiels approche un seuil critique. C'est dans ce cadre que Aduayi Diop Rosalie écrit : « les enfants investissent massivement les entreprises informelles des villes africaines. Leurs activités ont un impact réel sur les familles qui luttent (1) SCHOEMAKER, J., op.cit, p. 28 290 continuellement pour améliorer leurs conditions de vie et oeuvrer contre les processus d'exclusion. C'est pourquoi une différence doit être faite entre le travail et l'exploitation ; le travail des adolescents ne saurait donc être analysé exclusivement comme une forme d'exploitation. Beaucoup plus complexe et ambivalent, il confère une forme de légitimité à certains adolescents, leurs permettent de déployer leurs capacités et leurs compétences. Il s'accompagne d'apprentissages et de socialisation qui comportent sans doute des risques et des obstacles à surmonter, mais sont aussi sources d'espoir pour celles qui en tirent des bénéfices »(1). Les observations directes faites sur le terrain Lushois montrent que tous les membres y compris les enfants se débrouillent pour contribuer au revenu des ménages. Ainsi sans entrer dans une logique « afropessimiste » qui ne projette que les images de corruption, d'humiliation ou mieux de diabolisation du travail des enfants comme stratégie de survie, nous avons voulu étudier cette stratégie dans le cadre de survie des ménages à Lubumbashi. Compilant les résultats de nos enquêtes, nous avons aussi pu voir comment les enfants participent à côté d'autres membres à la survie du ménage, en utilisant l'analyse des correspondances multiples avec Sphinx Plus2. (1) ADUAYI Diop R., Op. Cit, p.203-204 291 E6 N1 E2 E3 E4 N3 N2 G2 C1 E1 G1 E5 Figure N° 7 : Genre, Etat-Civil, Niveau d'études et contribution des enfants à la survie de ménage. G1 . Masculin G2 . Féminin E1 . Marié(e) monogame E2 . Marié polygame E3 . Veuf(ve) E4 . Divorcé(e) E5 . Célibataire E6 . Union consensuelle N1 . Primaire N2 . Secondaire N3 . Supérieur et universitaire C1 . Oui . Non L'analyse des correspondances multiples qui ressort de ce tableau montre que les ménages dirigés par les femmes sont tenus soit par les veuves (E3), les Divorcées (E4) ou encore les célibataires (E6). Elles sont pour la plupart de niveau primaire et secondaire. Elles bénéficient très souvent de la contribution de leurs enfants pour la survie de leurs ménages. Par contre les ménages dirigés par les hommes sont en grande partie de mariés monogames ou polygames, des unions consensuelles et quelques célibataires. Ces ménages bénéficient aussi de la contribution des enfants pour la survie surtout pendant les moments de crise. Tous les niveaux d'études y sont représentés, c'est-à-dire primaire, secondaire et universitaire. Comme la pauvreté au regard de cette étude n'épargne aucun niveau d'études, nous disons que tous recourent à la contribution des enfants pour la survie de leurs ménages. 292 Tableau N° 57 : Genre du Chef de ménage et l'occupation des enfants
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Considérant les résultats de nos enquêtes on constate que 242 sur 416 ménages dirigés par les hommes et 49 sur 77 ménages par les femmes soutiennent que leurs enfants s'occupent uniquement des études, alors que 72 sur 416 ménages dirigés par les hommes et 3 sur 77 ménages dirigés par les femmes ont réconnu que leurs enfants combinent les études et la débrouille. 19 sur 416 ménages dirigés par les hommes et 4 sur 77 ménages dirigés par les femmes ont des enfants qui s'occupent des activités génératrices de revenus pour la survie de leurs ménages. Ainsi voulant savoir si l'occupation des enfants du chef de ménage est fonction du genre de celui-ci nous avons soumis les données de la figure et du tableau n°57 ci-haut au test de Khi carré, et avons formulé notre hypothèse nulle (Ho) comme suit : « l'occupation des enfants dans les activités de survie des ménages est indépendante du genre de chef de ménage et à la pauvreté». Après, les résultats du test ont révélé ce qui suit : La dépendance est très significative. Khi carré = 18,24, ddl = 5, 1-p = 99,73%. Par rapport à ces résultats, notre hypothèse nulle est statistiquement rejetée à cause de la dépendance très significative entre les deux variables à savoir le genre et l'occupation des enfants. Nous sommes donc obligé de recourir à l'hypothèse alternative qui soutend notre hypothèse de recherche à savoir : « pour faire face aux multiples facettes de la 293 pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté ». Explicitant cette théorie de survie, Schoemaker écrit « La stratégie familiale de survie économique consiste en un réaménagement des fonctions à l'intérieur des unités familiales, en accentuant la participation économique de tous ou de la plupart des membres : la mère, les enfants ainés, les mineurs, les co-résidents, et même les proches. En d'autres termes, elle consiste à optimiser le nombre de personnes qui contribuent aux activités rentables de l'unité domestique et se manifeste principalement par la multiplication des fonctions productrices dans la famille. Les stratégies de survie seraient les différentes actions conduisant à minimiser le risque d'un appauvrissement plus critique ou à trouver une plus grande probabilité d'assurer la subsistance du groupe familial ».(1) Au regard des interprétations faites sur les données de la figure ci-dessus, l'on constate que l'investissement des enfants dans les activités économiques de survie n'est pas seulement l'apanage des ménages dirigés par les femmes mais aussi ceux des ménages dirigés par les hommes. Dans les deux cas on trouve les enfants qui font les petits commerces comme ceux qui s'occupent de transport des biens afin de trouver de l'argent. Donc l'on ne peut pas dire que la dépendance de l'occupation des enfants est à mettre pour le compte seulement des femmes ou des hommes. La véritable raison qui pousse les enfants à la débrouille n'est pas le genre, mais ailleurs. Voulant pousser un peu plus loin nos analyses sur la participation des enfants aux activités économiques pour la survie des ménages et trouver les raisons de la débrouille, nous avons également analysé leurs occupations par rapport à l'état civil et par rapport au niveau (1) SHOEMAKER, J., Op. Cit., p.23 294 d'études du chef de ménage et aussi par rapport aux raisons du travail précoce des enfants. Tableau N° 58 : Etat-civil du Chef de ménage et l'occupation des enfants à Lubumbashi en 2013-2014
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Afin de bien voir l'occupation des enfants par rapport à l'état matrimonial du chef de ménage, nous avons soumis les résultats de nos enquêtes en rapport à l'état matrimonial du chef de ménage et ceux en rapport à l'occupation des enfants au test de Khi carré, en prenant comme hypothèse nulle (H0) « l'occupation des enfants est indépendante de l'état matrimonial du chef de ménage ». Le test du Khi carré nous donne alors les résultats suivants : La dépendance est très significative. Khi carré = 131,20, ddl = 25, 1-p = >99,99%. Nous disons qu'au seuil de signification de 5%, avec un degré de liberté de 25 le Khi carré théorique égal à 37,65 tandis que le Khi carré calculé= 131,20. Il se dégage une dépendance très significative étant donné que le Khi carré calculé est vraiment supérieur au Khi carré théorique. Ce résultat du test de Khi carré nous permet donc de rejeter statistiquement notre hypothèse nulle dans la mesure où il vient d'être prouvé par le test de Khi carré qu'il y a forte dépendance entre l'état-civil du chef de ménage et l'activité des enfants. Ce constat nous permet de recourir à l'hypothèse alternative qui est aussi notre hypothèse recherche selon laquelle « pour faire face aux 295 multiples facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté ». Ce qui revient à dire que sans distinction du statut matrimonial, lorsque les ménages se trouvent coincer par les effets de la crise et donc de la pauvreté, ils mobilisent tous les actifs y compris les enfants comme stratégie de survie. 5.4. L'occupation des enfants par rapport au niveau d'étude du chef de ménage Tableau N° 59 : Niveau d'étude du Chef de ménage et l'occupation des enfants
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 En prenant comme hypothèse nulle (Ho) selon laquelle : « l'occupation des enfants est indépendante du niveau d'étude du chef de ménage ». Nous avons soumis les données tableau N°59 au test du Khi carré et avons obtenu les résultats suivants : La dépendance est très significative. Khi carré= 41,83, ddl = 10, 1-p = >99,99%. Ces résultats confirmant une dépendance très significative entre les deux variables, nous oblige à rejeter statistiquement notre hypothèse nulle et à recourir à une hypothèse alternative qui est d'ailleurs notre hypothèse du travail et qui stipule que : « pour faire face aux multiples 296 facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté ». Tableau N° 60 : L'occupation des enfants par rapport à la catégorie Socioprofessionnelle du chef de ménage
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Au regard de ce tableau N°60 sur les occupations des enfants par rapport à la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage, nous constatons que lorsque le chef de ménage exerce une activité rémunératrice dans le secteur public ou privé, les chances que ses enfants soient occupés à une autre activité que les études est significativement plus faible. Alors que ceux dont les parents n'ont pas une activité rémunératrice significative et qui 297 travaillent dans le secteur informel s'occupent des activités de survie. Cela pourrait s'expliquer d'une part par le fait que les chefs de ménages exerçant dans le secteur informel recourent à leurs enfants comme aides familiaux ou apprentis. Une autre explication pourrait être que, quand même ils auraient des revenus élevés, une partie des chefs de ménages exerçant dans le secteur informel resteraient vulnérables, d'où la nécessité pour ces ménages de diversifier leurs sources de revenus et lutter contre la pauvreté. Cependant, les ménages dont les chefs exercent dans l'informel, ainsi que ceux dont les chefs exercent dans le secteur formel mais qui ne gagnent pas assez comptent toujours sur leurs enfants pour assurer la survie de leurs ménages. Ainsi, dans l'un comme dans l'autre cas, la participation des enfants aux activités économiques pour la survie de ménage peut avoir des conséquences négatives s'ils sont encore très jeunes. Car dans ce cas, cela amènerait à l'abandon ou au délaissement de l'école et la compromission de leurs chances d'occuper, plus tard un emploi qualifié. Comme souligné précédemment, nous nous sommes aussi intéressé après avoir analysé l'occupation des enfants à la fois par rapport à l'état matrimonial, à l'activité socioprofessionnelle et au niveau d'études à vérifier si cette occupation est effectivement liée à la pauvreté et à la recherche des moyens de survie des ménages. Ayant pour ce faire prévu dans notre protocole d'enquête une question à l'attention des ménages de notre échantillon, en rapport à la raison du travail précoce des enfants, nous allons soumettre ces données (résultats) du tableau ci-dessous au test de Khi carré en considérant comme hypothèse nulle : « les raisons du travail précoce des enfants sont indépendantes du genre du chef de ménage ». 298 Tableau N° 61 : La raison du travail précoce des enfants par rapport au genre du chef de ménage
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 Après ce test les résultats suivants ont été enregistrés : La dépendance est très significative. Khi carré = 26,79, ddl = 4, 1-p = >99,99%. Au regard de ces résultats qui attestent une dépendance très significative entre les deux variables, notre hypothèse nulle est statistiquement rejetée et nous recourons donc à l'hypothèse alternative qui confirme notre hypothèse du travail et qui stipule que : « pour faire face aux multiples facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté ». Lorsqu'on lit d'ailleurs les résultats du test de Khi carré on remarque une forte dépendance au niveau de deux raisons susmentionnées à savoir : la pauvreté et la recherche de moyens de survie des ménages. Donc qu'il s'agisse des ménages dirigés par les hommes ou de ceux dirigés par les femmes c'est la pauvreté et la recherche de moyens de survie qui poussent les enfants à se livrer à des activités génératrices des revenus. Voulant une fois de plus confirmer ces résultats par l'analyse des correspondances multiples, nous avons encore utilisé le logiciel Sphinx Plus2 en utilisant les variables suivantes: Genre, Contribution des enfants à la survie du ménage, Raison du travail précoce. 299 R2 G1 R4 C1 R1 R3 G2 Figure N° 8 : Genre, Contribution des enfants à la survie du ménage, Raison du travail précoce G1 : Masculin G2 : Féminin C1 : Oui : Non R1 : La pauvreté des parents R2 : les enfants aiment vite être indépendants R3 : la recherche des moyens pour survivre R4 : je ne sais pas 300 R4 E3 G2 E1 G1 C1 R3 R1 R2 E4 E2 Figure N° 9 : Genre, Etat civil, Contribution des enfants à la survie du ménage, Raison du travail précoce. G1 : Masculin G2 : Féminin E1 : Marié(e) monogame E2 : Marié polygame E3 : Veuf(ve) E4 : Divorcé(e) C1 : Oui : Non R1 : La pauvreté des parents R2 : les enfants aiment vite être indépendants R3 : la recherche des moyens pour survivre R4 : je ne sais pas 301 En rapport à cette figure, nous pouvons noter que dans la plupart des ménages dirigés par les femmes (G2) la pauvreté des parents et la recherche des moyens de survie respectivement (R3) et (R4) qui justifient le travail précoce des enfants, pendant que certains ménages disent ne pas savoir les raisons (R4). Cependant que dans les ménages dirigés par les hommes (G1) l'on soutient soit la recherche de l'indépendance (R2) ou tout simplement qu'ils ne savent pas pourquoi les enfants travaillent précocement (R4). Pour ce qui concerne le travail précoce des enfants, comme d'aucuns semble croire à l'irresponsabilité des parents. Nous pensons pour notre part que ceux qui soutiennent qu'ils ne savent pas veulent s'échapper à la honte. Pour terminer cette section, disons que le contexte de crise et la précarité multiforme a contribué à la fragilisation des enfants et a accéléré leur mise au travail sous forme de stratégies de survie aussi bien à Lubumbashi que dans d'autres villes de la République Démocratique du Congo. Autrement dit, le travail des enfants dans les villes joue un rôle fondamental de régulation de pauvreté en participant à l'amélioration de leurs conditions de vie et celles de leurs ménages. Cependant, la pauvreté et même l'exclusion à laquelle certains d'entre eux font face les poussent à recourir à des stratégies individuelles ou collectives comme solution alternative permettant d'améliorer leur condition de vie. Dans ce cadre, les enfants développent une diversité d'activités légales ou illégales, légitimes ou illégitimes, pour lutter contre la condition de pauvreté à partir des situations de vie difficiles qu'elles affrontent sans pour autant les choisir. Devant l'hétérogénéité des activités, le petit commerce, comme on a pu le constater représente l'activité par laquelle les enfants réduisent leurs difficultés financières et contrôlent leur problème de pauvreté. Les études sur le travail des enfants dans le secteur informel ne doivent pas toujours aller dans le sens de la stigmatisation, mais surtout permettre, d'une part de disposer d'informations précises sur la pauvreté et d'autre part, faire ressortir la gamme importante et diverse des activités auxquelles se livrent ces enfants. La plupart d'entre elles, si pas la totalité, 302 sont irrégulières et artisanales. Elles ne sont ni soutenues ni règlementées par aucun cadre institutionnel ou politique. Ce sont des activités stigmatisées comme illégales (voir les tracasseries policières déjà développées dans cette thèse) et marginales, fondées sur une économie d'autosubsistance des ménages, d'où l'intérêt de les situer dans l'analyse de l'apport économique de survie parce que nous savons tous que cette catégorie sociale (les enfants) a aussi droit à l'existence, et continuera à lutter tant que la pauvreté est encore récurrente dans nos sociétés. Pour notre part, le travail des enfants n'a pas seulement des cotés négatifs, comme le prétendent beaucoup d'observateurs. A travers le travail des enfants (les petits commerces, les petits métiers, etc.) on observe d'autres traits positifs. Il y a lieu de signaler ici la volonté de survie, les aspirations et la débrouillardise des enfants qui, d'une économie de subsistance au départ, peuvent progressivement s'orienter, avec un bon accompagnement et un minimum d'organisation, vers une activité de type commercial ou artisanal et donc plus stable. Les revenus des activités des enfants leur permettent de satisfaire leurs propres besoins mais aussi ceux des parents et partant de leur ménage. Les témoignages des enfants recueillis lors de nos enquêtes le montrent très bien même si la mère est privilégiée par rapport au père. « On voudrait bien soutenir nos pères mais pas avec la même intensité que nos mères, car eux, ils ont d'autres enfants capables de leur venir en aide s'ils conjuguent leurs efforts. Ce qui n'est pas le cas pour nos mères ». (Témoignage d'un jeune garçon à la commune de Kenya à Lubumbashi) Le sens du devoir envers les parents reste un principe qui caractérise la mentalité collective de tous les enfants, c'est comme un contrat implicite qui lierait parents et enfants. Ce principe conditionne même, parfois chez certaines filles, à la limitation de leurs propres besoins au profit de ceux de leurs parents. « Il nous arrive, des fois, de décliner une offre de mariage parce que tout simplement nous ne voulons pas quitter nos mères. Nous préférons rester encore aussi longtemps que possible à leurs côtés pour les 303 soutenir. Il nous arrive aussi parfois, de renoncer à aller quelque part rien que dans le but de pouvoir leur venir en aide en restant près d'elles à la maison. (Propos d'une jeune fille travailleuse à l'Institut Supérieur de Statistique de Lubumbashi). Les parents ont des devoirs vis-à-vis de leurs enfants mais les devoirs des enfants envers les parents sont plus importants dans la conception congolaise en général et lushoise en particulier. Car il est souvent dit que l'enfant ne pourra jamais payer ses parents. Cela dit, tous les sacrifices qu'un enfant fera pour ses parents sont normaux. C'est ce qui justifie leur quête effrénée, par le biais du travail, de ressources potentielles dans les grandes agglomérations urbaines. Les enfants joueraient alors un rôle primordial dans la vie des parents car ces derniers attendent beaucoup de leur progéniture. Toutefois les logiques associées au travail des enfants restent reliées à des fins de survie. Cette vision est au coeur des préoccupations de recherche axées sur les perceptions et motivations du travail des enfants en milieux urbains congolais. En effet, devant l'incapacité des politiques à faire face aux exigences des ménages pauvres, l'émergence de mécanismes d'anticipation dans le processus d'autonomisation des jeunes en général, l'implication des enfants dans l'organisation du travail se présentent comme un recours incontournable pour la survie des ménages. Les enfants sont ainsi cooptés et responsabilisés à bas âges pour participer à la survie du ménage. Donc, loin d'être réduit au rôle de spectateur, l'enfant doit jouer sa participation dans la gestion quotidienne du ménage. Les enfants doivent être animés du sens du devoir et de la contribution dans la gestion et le développement du ménage. Aussi jeunes soient-ils, les garçons doivent fournir leur apport pour alléger la charge de travail de leurs parents : « tous les enfants doivent aider leurs parents même en étant jeunes. Un enfant peut partir à la chasse et amener le gibier à ses parents ». Pour ce qui est des filles, le rôle qu'elles jouent semble être beaucoup plus porté vers leur mère. « En tant que filles, nous travaillons pour nos mères. Nous assurons la relève 304 de nos mamans dans les travaux domestiques. Nous faisons le linge pour elles, nous cuisinons pour leur permettre de se reposer ou même de les permettre de bien se débrouiller pour assurer notre survie. (Propos d'une jeune fille de la Katuba à l'un de nos enquêteurs). Le rôle des enfants consiste à aider leurs parents dans toutes les tâches. Cela revient pour les garçons à aider leurs pères, et les filles, leurs mères à la maison. Ce point de vue normatif repose sur des fondements à la fois socioculturels et moraux, légitimés par des valeurs de respect, de subordination et d'obéissance aux parents. En effet l'implication des enfants dans les tâches à la fois productives et domestiques, procède d'une volonté de transmettre un savoir-faire à ces derniers. Cela signifie que le travail constitue pour les parents, un moyen de formation de l'enfant par le biais d'un apprentissage des rôles futurs qu'il est appelé à assumer au sein de l'espace familial et communautaire. Le travail reste perçu ainsi comme lieu de socialisation de l'enfant. 5.5. Le genre du chef de ménage et la contribution des membres extérieurs au noyau familial à la survie des ménages La contribution des membres extérieurs au noyau familial ne vient pas susciter un débat autour de la fratrie qui relève de la démographie, mais nous l'abordons surtout parce que l'analyse de la taille des ménages et partant de revenus des ménages tient compte en particulier du nombre important de frères et soeurs d'une part et du rang dans la fratrie d'autre part. Les théories sur les déterminants familiaux de la scolarisation ont beaucoup insisté sur le rapport entre la non-scolarisation des enfants et le rang dans la fratrie (Lloyd et Blanc 1996). Selon ces théoriciens, les derniers-nés dans une famille ont plus de chances de réussir leurs études ou de faire des études avancées. S'il y a des contraintes de revenus dans une famille, les aînés, surtout les filles, sont davantage sollicitées pour travailler(1). (1) Lloyd, Cynthia B., Blanc Ann-K., « Children's schooling in sub-Saharan Africa : the role of fathers, mothers and others » in Population and Development Review N°22, 1996, p.272 305 Les contraintes familiales constituent non seulement des déterminants pour l'insertion précoce des enfants sur les marchés du travail, mais confirment les effets du poids de la pression communautaire. Ainsi très souvent les ainés ont la responsabilité d'assurer une partie, voire la totalité, de la charge familiale. Cette situation est bien décrite par Zadi Kessy Michel. « Malgré les bouleversements et les mutations subies, la société africaine est restée fondamentalement d'essence communautaire. Ce mode d'organisation sociale assure la primauté de la famille élargie ; donc de la collectivité sur l'individu. L'individualisme et l'indépendance s'effacent au profit de l'identité communautaire et de la loyauté vis- à -vis de la collectivité. La principale préoccupation semble être le maintien d'un équilibre social et d'une justice distributive plutôt que la considération des réalisations économiques individuelles. De cette façon, « les bénéfices » obtenus par un membre du groupe sont redistribués, tandis que les « pertes » occasionnées sont supportées par tous. Il s'agit d'une forme de solidarité qui met en avant la responsabilité de la communauté à l'égard de chacun de ces membres. La pression communautaire peut être définie comme le poids et les contraintes de tout ordre exercées sur les travailleurs par l'effet du système de solidarité dû à la mentalité communautaire. Dès son enfance le jeune africain sait qu'il appartient à une famille élargie. Ce sont les membres de cette famille qui le prennent en charge pour son éducation, ses études. D'une manière ou d'une autre, le jeune africain bénéficie généralement de la couverture sociale des membres de la famille élargie. Aussi une fois qu'il est employé, qu'il a un salaire, le travailleur africain bien que débutant doit pouvoir à son tour faire fonctionner le système d'entraide. Il est condamné de payer la dette sociale en permanence ou en distribuant son salaire, dès le début de sa carrière, ce qui peut le pousser à devenir de plus en plus pauvre tout au long de sa vie. Le système d'hébergement et de tutorat est l'une des formes manifestes de la pression communautaire. C'est une pratique courante en (1) ZADI Kessy M., Culture Africaine et Gestion de l'Entreprise moderne, Abidjan, CEDA, 1998, p. 108-109 306 Afrique qu'un salarié accepte sous son toit cinq, dix voire quinze personnes. »(1) Cet impôt social ou mieux cette solidarité africaine a été constaté au cours de nos enquêtes, car on a eu à trouver dans certains ménages enquêtés de petits frères et soeurs du chef de ménage ou d'autres venus soit pour raisons d'études ou autres, ou encore parce qu'ils sont devenus trop âgés et n'ont plus de force pour travailler et gagner leur vie ; ils doivent être supportés par leurs enfants, c'est le cas des parents. Et comme nous savons qu'en cas de dégradation de la situation socioéconomique les ménages recourent à la stratégie familiale de survie économique qui consiste en un réaménagement des fonctions à l'intérieur des unités familiales, en accentuant la participation économique de tous ou de la plupart des membres : la mère, les enfants ainés, les mineurs, les co-résidents, et même les proches, nous analysons dans cette section le genre du chef de ménage et la contribution de membres extérieurs dans le cadre de stratégies de survie des ménages. Tableau N° 62 : Distribution de contribution des membres extérieurs par rapport au genre du chef de ménage
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 La dépendance est très significative. Khi carré = 29,43, ddl = 1, 1-p = >99,99%. 307 Au regard de cette figure la contribution des membres extérieurs à la survie de ménage : 36 ménages seulement sur 493 ménages enquêtés ont reconnu cette contribution, soit 16 sur 416 ménages dirigés par les hommes et 17 sur 77ménages dirigés par les femmes. Soumettant les résultats de ce tableau n°62 à l'analyse par le test de Khi carré et en considérant notre hypothèse nulle (Ho) comme suit : « la contribution des membres extérieurs au noyau à la survie du ménage est indépendante du genre du chef de ménage ». Après ce test, le résultat suivant a été enregistré : au seuil de signification de 5%, avec un degré de liberté de 1, le Khi carré théorique égal à 9,49 tandis que le Khi carré calculé= 29,43. Il se dégage une dépendance très significative étant donné que le Khi carré calculé est vraiment supérieur au Khi carré théorique. Ce résultat du test de Khi carré nous permet donc de rejeter statistiquement notre hypothèse nulle dans la mesure où il vient d'être prouvé par le test de Khi carré qu'il y a une dépendance entre la contribution des membres extérieurs au noyau familial et le genre du chef de ménage. Ainsi nous recourons à l'hypothèse alternative qui est d'ailleurs notre hypothèse de travail qui stipule que : « pour faire face aux multiples facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté ». Ce qui revient aussi à dire que la contribution des membres extérieurs au noyau familial à la survie bien que dépendant du genre n'est pas l'apanage seulement des ménages dirigés par les hommes ou de ceux dirigés par les femmes. On constate que lorsqu'on a fait l'interprétation des données des enquêtes que le tableau N°62 enregistre cette contribution dans les deux types de ménages. Pour bien voir le genre et le lien de parenté avec les membres extérieurs au noyau familial à Lubumbashi en 2013, nous avons recouru à l'analyse des composantes multiples, dont les résultats sont présentés dans la figure n°10 ci-dessous : L4 G1 308
L1 L3
P4P5 M1 P1 M2 L2 P2 G2 Figure N° 10 : Genre, Principale source de revenu, Membres de famille venant au secours, Lien de parenté G1 . Masculin G2 . Féminin P1 . Salaire P2 . Commerce P3 . La débrouille P4 . L'agriculture P5 . Autres M1 . Oui M2 . Non L1 . père ou mère du CM/CCM L2 . petit(e) frère ou soeur du CM/CCM L3 : petit(e) fils ou fille du CM/CCM L4 : autres 309 Tableau N° 63 : Genre et le lien de parenté avec les membres extérieurs au noyau familial
Source : Résultats de nos enquêtes du 12 avril 2013 au 14 mai 2014 La dépendance est très significative. chi2 = 14,79, ddl = 4, 1-p = 99,48%. Nous notons que les ménages dirigés par les femmes ont très souvent comme principale source des revenus de leur commerce et vivent aussi avec les petits frères ou les petites soeurs qui les aident pour survivre. Par contre les ménages dirigés par les hommes c'est très souvent le salaire qui constitue la principale source de revenu à côté de la débrouille et autres activités. On y trouve très souvent le père ou la mère du chef de ménage ou même encore les petits fils ou les petites filles du chef de ménage Au regard de ce tableau et par rapport à l'impôt social auquel on a fait allusion dans ce travail, ces membres extérieurs au noyau familial sont généralement les parents du chef de ménage ou de sa conjointe, les petits-frères ou les petites soeurs du chef de ménage ou de sa conjointe, les petits-fils ou petites-filles du chef de ménage ou de sa conjointe, mais aussi les autres connaissances ou apparentés. Comme nous voulions savoir par rapport à l'approche genre, dans quel type de ménage se retrouvent-ils et quels sont leurs liens de parenté avec le chef de ménage, nous avons aussi soumis les résultats du tableau n°63 au test de Khi carré, en prenant comme hypothèse nulle (Ho) : « les liens de parenté entre les membres extérieurs au noyau familial 310 intervenant pour la survie de ménage et le chef de ménage sont indépendants du genre du chef de ménage ». Le test de Khi carré nous donne les résultats suivants : au seuil de signification de 5%, avec un degré de liberté de 4, le Khi carré théorique égal à 9,49, tandis que le Khi carré calculé= 14,79. Il se dégage une dépendance très significative étant donné que le Khi carré calculé est vraiment supérieur au Khi carré théorique. Ce résultat du test de Khi carré nous permet ainsi de rejeter statistiquement notre hypothèse nulle dans la mesure où il vient d'être prouvé par le test de Khi carré qu'il y a une dépendance entre les liens de parenté et les membres extérieurs au noyau familial intervenant pour la survie de ménage, le chef de ménage et le genre du chef de ménage. Ces résultats nous oblige alors à recourir à l'hypothèse alternative qui est d'ailleurs notre hypothèse de travail qui stipule que : « pour faire face aux multiples facettes de la pauvreté, les ménages de Lubumbashi mobiliseraient l'ensemble des actifs dans la quête des moyens de subsistance, afin de mieux faire face à la pauvreté ». Que le chef de ménage soit homme ou femme, les ménages non seulement recourent presque dans les mêmes proportions à la contribution des membres extérieurs au noyau familial pour leur survie, mais entretiennent les mêmes relations familiales. L'on retrouve presque les mêmes liens dans les deux types de ménages. Les parents, les petits frères et soeurs, les petits-fils ou les petites filles et les autres apparentés vivent à Lubumbashi tant dans les ménages dirigés par les hommes que dans ceux dirigés par les femmes. Cependant pour la majorité des ménages enquêtés le fait que les parents sont devenus âgés et par conséquent inactifs, constitue une charge. Donc c'est sur les petits frères et les petites soeurs, les autres corésidants qui sont encore actifs que l'on peut éventuellement compter. Car les petits-fils sont pour la plupart encore en bas âge. La forte dépendance du côté de la femme s'explique aussi par le fait que le ménage dirigé par l'homme est souvent soutenu par leur 311 descendance, alors que celui dirigé par la femme est aidé par tout le monde même par ceux qui ne sont pas de sa descendance. Donc comparativement à la contribution des enfants du chef de ménage et en rapport à ce que nous venons de souligner ici, la contribution des membres extérieurs bien que présente dans certains ménages est moins significative. La raison a été déjà donnée par Kuepie Mathias : « les membres extérieurs au noyau familial qui arrivent par immigration peuvent facilement quitter le ménage d'accueil (en retournant par exemple chez leurs parents) quand la situation de celui-ci se dégrade »(1). Mais aussi parce que les enfants s'il faut utiliser le jargon populaire africain, les enfants sont comme les « Nkuku » poules et les personnes extérieurs les « ndeke » oiseaux. Si le premier est appelé à vivre dans la maison quels que soient les moments ou les circonstances, le deuxième voit l'intérêt, la moisson autrement il s'envole à la recherche de là où il peut bien vivre. 5.6. Réflexion a posteriori Le concept de stratégie de survie n'est pas réservé aux pays en développement. Dans leur recherche sur les jeunes de la rue et la famille (des pays développés), Hurtubise, Laaroussi et Dubuc(2) démontrent que les jeunes ont développé des stratégies de changement et de survie au quotidien. Et cela leur permet de se débrouiller dans les situations difficiles, de faire face aux périodes de transition et aussi de s'insérer, de s'opposer, de décrocher, de se construire une identité et une place sociale. Cette stratégie de survie au quotidien est une construction sociale des ressources et des supports qui est établie à partir des réseaux informels et des liens de parenté en milieu urbain. Plusieurs études comme celle de Kouamé Aka ont montré que la pratique des activités informelles relevait, entre autres, de stratégies que développent les populations urbaines défavorisées pour assurer leur survie (3).
312 Le travail productif des femmes et des enfants est un phénomène presque exclusif de l'économie populaire. Cependant, alors que des recherches sur les stratégies de survie démontrent des interrelations entre celles-ci et le secteur informel ou l'économie populaire, peu d'études ont été consacrées à l'apport des femmes et des enfants dans ce secteur. En effet, la présence des femmes et des enfants dans l'économie informelle a été, jusque-là, occultée dans les recherches en sciences sociales utilisant des approches quantitatives. De plus, l'importance du rôle économique que jouent ces femmes et ces enfants reste invisible(1). Aujourd'hui, avec la stagnation du secteur formel et les limites du secteur informel, il est indéniable que, pour la majorité des populations pauvres dans les pays en développement, la subsistance dépend d'innombrables activités de production des biens et des services : petits commerces, ateliers de couture, ateliers de soudure, transport informel urbain, services, receveur, marchand ambulant, les tenanciers des cabines téléphoniques, les dactylographes dans les bureautiques, les `'kadhafis», les »quados» etc., qui sont intimement liés aux réalités des réseaux sociaux, qui traduisent ce que nous avons désigné dans cette thèse par les stratégies de survie. Elle consiste à déployer et à consolider les réseaux de contacts personnels et familiaux afin de compter, dans une certaine mesure, sur une solidarité et un soutien qui aident à surmonter les moments de crise. Nous avons montré certains liens entre la mise au travail des femmes, des hommes et des enfants, en gros de débrouillards et les caractéristiques du contexte général de précarité des ménages. L'examen de leur point de vue, des motifs, des objectifs et symboliques qui expliquent leur engagement, leurs pratiques et leurs logiques de survie à travers une analyse de genre nous a permis de construire la théorie sociale de survie des ménages à travers quatre phases : la motivation, la fragilisation, l'accommodation et l'avenir. (1) ADUAYI Diop R., Op. Cit, p.111 313 En tant qu'acteurs, ces débrouillards nous ont fourni des explications sur les relations qu'ils entretiennent avec leurs activités et leur motivation. La motivation principale d'entrée au travail de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants est liée à la situation globale de précarité engendrée par les conditions de vie difficiles. Il est évident que la pauvreté, les crises économiques liées aux conditions macro-économiques expliquent leur venue dans l'économie populaire. Cependant, de manière objective, leur situation est tributaire des revenus des chefs des ménages. Or ceux-ci sont très précaires et irréguliers, sinon inexistants. Pour la plupart d'entre eux, les chefs de ménages sont sans emploi du fait de la retraite, du licenciement, de la fermeture d'usines, ou impayés depuis plusieurs années. Ces situations entraînent des pertes ou un manque important de revenus. L'absence de ressources financières du chef de ménage devient, pour les femmes et les enfants, la cause première de leur arrivée dans l'activité informelle. Les expressions telles que : « Je dois soutenir mon mari pour de nombreuses dépenses de la maison », « mon mari/mon père n'a pas du travail », « nous n'avons pas de ressources » ; « mon père ne travaille plus » ; « ma mère n'a personne sur qui compter », ... montrent le souci de résoudre le problème urgent et crucial de la subsistance. Mais elles montrent aussi l'utilité morale et sociale : la valeur de la participation de tous les membres du ménage permet une amélioration des conditions socio-économiques. Elle contribue entre autres à financer les études de leurs enfants, à régler les factures d'eau et d'électricité ou contribue au paiement du loyer, à l'acquisition et à la construction de leurs habitations, etc. L'autre fonction utilitaire du travail est qu'il représente une source de satisfaction des besoins que les maris ou les parents ne peuvent assumer. La satisfaction de leurs besoins matériels personnels constitue une nouvelle donne pour les femmes et les enfants qui doivent se prendre en charge. Cette dimension est apparue dans tous les récits de beaucoup de nos enquêtés sous la formule récurrente : « Je dois régler mes problèmes » ou « je dois subvenir à mes besoins ». 314 De ce fait les enfants qui travaillent précocement sont acteurs de leur propre survie et de celle de leur famille. Comme acteur, l'enfant qui se livre à un travail dans le secteur informel fait de ce travail une activité matérielle, cognitive, affective et psychologique. Il participe à la vie sociale et économique en s'appropriant des opportunités, des contraintes, des stigmates et des ressources, aussi précaires soient-elles. Cet aspect du travail a rarement été analysé. La plupart des études sur le travail des femmes et des enfants en réduisent la dimension économique. Les rationalités autres que productives sont minimisées. Or, les motifs ne reposent pas uniquement sur la rationalisation économique ou instrumentale. D'autres rationalités (relationnelle, symbolique, socialisante), mises en avant par les femmes et les enfants interrogés informent sur leur identité, leur personnalité et leur environnement social. Ces motivations multiples conditionnent et expliquent l'entrée dans les activités productives des femmes et des enfants à Lubumbashi. Mais cette entrée ne s'est pas faite sans choc. La fragilisation apparait souvent au début de leur entrée au marché de travail. Celle-ci peut prendre plusieurs formes. Les femmes et les enfants sont arrivés au marché de travail par obligation ou contrainte économique aiguê. Pour les enfants, si les conditions de cette entrée précoce dans la vie active sont différentes d'un enfant à l'autre, elles ne représentent pas
moins de similitudes. La Le cas d'une femme qui, secouée par la crise, a décidé de vendre au marché de la Kenya à Lubumbashi est une belle illustration: « Au début c'était difficile, je ne connaissais personne au marché et les autres vendeuses ne faisaient rien pour m'assister... j'ai fait beaucoup de 315 pertes, je voulais même laisser tomber..., les voisines du quartier ne parlaient pas en bien de moi et de mes activités». Cependant, c'est en surmontant ces difficultés et en se considérant comme seule responsable de sa propre survie et parfois de sa famille que la carrière pouvait débuter. Certaines femmes, par contre, s'empressent de trouver des revenus par tous les moyens. Leur objectif est de résoudre les problèmes urgents de subsistance pour ainsi « sauver la face » devant les autres. Cet objectif a poussé la plupart des femmes et des filles à adopter des comportements déviants ressemblant à une prostitution déguisée. La deuxième forme de fragilisation est matérialisée par l'entrée guidée. Beaucoup d'enfants et de femmes sont arrivés pour la première fois dans les activités productrices de revenus accompagnés d'une personne adulte et expérimentée, le plus souvent une amie, une mère, une grand-mère, un parent qui a facilité leur socialisation. Cette forme d'entrée se fait progressivement sans pression de subsistance. Enfin les autres aussi sont entrés par choix. Pour ces deux dernières formes, la fragilisation est moins ressentie. Cela ne veut pas dire que les débrouillards (femmes, hommes et les enfants) arrivés au marché de travail dans l'économie populaire n'ont pas rencontré des difficultés qui ont pu les faire douter de leur choix et de leur chance de réussir, malgré leur volonté et leur abnégation. Au début, beaucoup d'entre eux éprouvent peu d'attrait, parfois la peur de l'inconnu, la honte du regard des autres, de la coutume, des stéréotypes sociaux, etc., mais ces obstacles sont vite surmontés par une certaine détermination à réussir. La phase de fragilisation est la plus courte. Elle peut déterminer le choix entre la poursuite du travail ou l'orientation vers d'autres activités ou même l'abandon simple de l'activité. Après cette phase vient celle de l'accommodation. L'accommodation correspond à la période d'engagement et d'adaptation du débrouillard à son milieu et à ses activités. Avec le temps, il acquiert de l'expérience, se conforme désormais aux modalités de la vie quotidienne du marché et la routine s'installe progressivement. Le travail devient un habitus. 316 Les débrouillards se familiarisent et s'adaptent à l'espace de leurs activités qu'ils s'approprient. Ils déploient des habilités, des savoir-faire et des pratiques concrètes qui leur permettent de s'engager et de développer des interactions avec les autres acteurs. Avec le temps, Ils développent des stratégies, des tactiques, des rituels à la fois matériels, individuels et symboliques. Ils ont de l'assurance. Ils y prennent goût et décident d'y rester. La sortie d'anciennes conditions et les perspectives prennent des formes différentes selon le genre, l'âge, l'activité et la représentation que les débrouillards se font de leur travail et du milieu. Contrairement au travail des enfants et des jeunes qui ne dure pas longtemps, les activités des femmes et des hommes adultes durent aussi longtemps que les besoins de survie constants se font sentir. Ainsi, plusieurs possibilités peuvent être envisagées quant à l'avenir. Le choix peut dépendre de l'organisation du ménage: amélioration des conditions de vie ou du revenu du ménage. Dans le cas des enfants, certains peuvent envisager le retour aux études. Ces cas sont assez rares. Certains parents, même s'ils manifestent le souhait de voir leurs enfants retourner à l'école ne parviennent pas à mobiliser les ressources nécessaires. A cet égard, le discours des ONG, de l'Etat, des institutions et de certains chercheurs met l'accent sur les liens entre la scolarité, le travail des enfants et leur avenir. Il oublie que dans un contexte de précarisation et de marginalisation, l'espoir d'une profession ou d'un avenir radieux à l'issue d'une scolarisation prolongée peut constituer une utopie, quelque chose d'inenvisageable dans la réalité quotidienne. La scolarisation ne constitue pas une référence positive pour des individus qui luttent pour leur survie et encore moins pour les enfants qui sont exclus des circuits formels d'éducation. Le chômage de ceux qui détiennent des diplômes les encourage plutôt à persévérer dans la débrouillardise, une sorte de « carpe diem ». La scolarisation des filles pauvres en particulier, est conditionnée par une amélioration des revenus des parents et de la mère, notamment. 317 Les possibilités de changement d'activités dépendent aussi des rapports de genre. Pour les filles tout comme pour les femmes interviewées, le besoin d'améliorer ou de changer leurs conditions de vie par le statut et par l'identité est fonction de l'insertion sociale et des moyens économiques, des revenus, trouver un emploi dans le secteur formel. Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, notamment dans le programme d'amélioration des conditions de vie de la femme et de protection des enfants, cette dimension doit être prise en compte pour la réalisation de leurs projets. Cependant, un fait nouvellement constaté dans cette thèse, engendré par la crise et la pauvreté, est que les femmes et les enfants ne veulent plus rester à la maison. Ce qui contraste avec les habitudes des femmes plus âgées de la ville de Lubumbashi et la vision stéréotypée que l'on fait du statut et de la place de la femme congolaise en générale et lushoise en particulier. Elles préfèrent de plus en plus le contact direct avec le monde extérieur et être informées de ce qui s'y passe pour échapper à leur condition de misère et de marginalisation. Et pour cela le travail devient un moyen de subsistance. Il les aide à s'insérer dans la société, à formuler un projet et à réaliser également leur citoyenneté. Les propos ci dessous recueillis lors de nos enquêtes à Lubumbashi sont vraiment illustrants: « Je pense qu'une femme doit avoir de l'instruction et travailler pour pouvoir trouver sa place dans la société et être une meilleure maman ». (Propos d'une jeune femme de la commune de Ruashi) ; « Les femmes devraient pouvoir travailler. Pourquoi devrais-je rester à la maison si je peux travailler en dehors du foyer ? Je devrais avoir aussi un revenu et profiter de l'argent que je peux gagner comme les autres. Nous ne sommes plus à l'époque où nos mères étaient obligées de demander de l'argent à nos pères même pour pouvoir acheter quelque chose d'aussi élémentaire que des sous-vêtements : nous avons besoin d'avoir notre propre argent et cela veut dire que nous 318 devons travailler ». (Propos d'une jeune femme au marché Mzee dans la commune de Lubumbashi). « Je pense que les femmes devraient chercher un emploi, elles aussi parce que les hommes n'arrivent pas à obtenir du travail ; c'est plus facile pour les femmes parce qu'elles ont beaucoup d'options ». (Propos d'un jeune homme habitant Kalebuka dans la commune annexe à Lubumbashi). Aujourd'hui, malgré leurs conditions de travail difficiles, beaucoup de Lushois reconnaissent que grâce à la débrouille ils sont moins dépendants leur ancienne source de revenus et suscitent le respect de la part de leur entourage et aussi au sein de leur ménage. 5.7. Conclusion partielle A travers l'examen des résultats de nos enquêtes, nous avons montré dans ce chapitre que les ménages de Lubumbashi mobilisent les membres secondaires afin d'accroitre leur niveau de vie et assurer la survie de leurs ménages. Ainsi nous avons constaté qu'à Lubumbashi les conjointes sont, après leurs maris, celles qui participent le plus à l'exercice d'une activité économique pour la survie de ménages. Cette implication dans les activités génératrices de revenus va croissante avec la baisse du niveau de rémunération (revenu) du chef de ménage. Cela ne veut pas dire que, pendant que les ménages pauvres développent des stratégies de survie afin de sortir de la pauvreté ou du moins d'améliorer leurs conditions d'existence, les ménages les moins pauvres, à leur tour, ne mettent pas en place des stratégies afin d'accroître ou de maintenir leur niveau de vie. C'est ainsi que cette étude intéresse aussi bien les pauvres que les moins pauvres. Par ailleurs, la participation des femmes (conjointes) ne saurait être simplement considérée sous l'angle des stratégies de survie car, avec la modernisation et l'élévation du niveau d'instruction, elles devraient aspirer à un statut plus favorable qui passe par la participation à l'activité économique, que le ménage soit pauvre ou non. 319 La femme lushoise, au regard de tout ce que nous avons démontré dans ce chapitre participe à la vie économique et à la lutte contre la pauvreté par ses activités domestiques, économiques et professionnelles rémunérées et non rémunérées. Et donc, son autonomie économique est une condition essentielle dans la lutte contre la pauvreté. Enfin, même si la contribution des enfants aux ressources des ménages permet, à court terme, d'améliorer les conditions d'existence, elle peut aussi les maintenir dans le cercle vicieux de la pauvreté car cette contribution passe par le délaissement de l'école pour ceux qui sont encore jeunes avec comme conséquence l'impossibilité soit d'occuper plus tard des emplois rémunérateurs et sécurisants du secteur moderne ou bien de disposer des aptitudes nécessaires afin de moderniser leur activité de survie. En résumé, les déffaillances du marché, les obstacles institutionnels et la persistance des normes sociales qui touchent différemment les hommes et les femmes, conjuguent souvent leurs effets pour renforcer les inégalités entre le genre et accroître considérablement la complexité de l'action en faveur de l'égalité de sexe. Ainsi pour amélioer leur condition, les femmes doivent agir en vue de faire entendre leur voix de manière collective, de changer les normes et éviter que celles-ci ne perdurent et perpétuent les inégalités entre les hommes et les femmes. 320 |
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