WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La matériauthèque du peintre Claude Yvel, né le 16 aoà»t 1930


par Crescence de Lattaignant
Ecole du Louvre - Master 1 2022
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

ÉCOLE DU LOUVRE

Crescence de Lattaignant

La matériauthèque du peintre Claude Yvel,

né le 16 août 1930

Mémoire d'étude
(1re année de 2e cycle)
Discipline : muséologie
Groupe de recherche : conservation-restauration

présenté sous la direction

de Mme Mireille Klein et M. David Bourgarit

Membre du jury : Mme Mireille Klein, M. David Bourgarit, Mme Clarisse Delmas

Le contenu de ce mémoire est publié sous la licence Creative Commons

CC BY NC ND

Mai 2022

1

Sommaire

Remerciements 3

Avant-propos 4

Introduction 6

I. L'atelier de Claude Yvel : une collection de matériaux anciens dans un

atelier contemporain 9

A. L'histoire du peintre et de ses recherches sur les techniques des maîtres

anciens 9

1. Claude Yvel 9

2. Ses recherches sur les techniques des maîtres anciens 17

3. Atelier d'un peintre réaliste : le lieu et ses enjeux 19

B. La place des matériaux dans l'atelier : organisation et description des fonds 21

C. La formation d'une collection : le contexte de la collecte des matériaux 24

1. Les marchands de couleurs parisiens 24

2. Les anciennes mines d'ocre 27

3. Des provenances mondiales 28

4. Des provenances inconnues 31

II. Les matériaux Lefranc Bourgeois 32

A. Point historique 33

1. Histoire de l'entreprise Lefranc Bourgeois 33

2. Lefranc Bourgeois et les artistes : la collaboration avec Claude Yvel 37

B. Les matériaux Lefranc Bourgeois dans l'atelier parisien de Claude Yvel 45

1. Pigments bleu et vert 46

2. Pigments noir et blanc 47

3. Pigments jaune et ocres 47

4.

2

Pigments orange et rouge 48

5. Gommes et résines 50

III. La place de cette matériauthèque dans les recherches actuelles 52

A. Les enjeux actuels des matériauthèques 52

1. Etudier les matériauthèques existantes 52

2. La question de l'accès à ces données 57

B. Des exemples de l'application concrète des matériauthèques 60

1. Dans le domaine de la conservation-restauration 60

2. Vers une ouverture plus large au public 62

C. La place et le potentiel de cette matériauthèque 65

1. Des problématiques communes et distinctes des autres

matériauthèques... 65

2. Un futur partagé entre la conservation-restauration et l'exposition dans un

musée 67

Conclusion 70

Bibliographie 72

3

Remerciements

J'adresse tout d'abord mes remerciements à mes directeurs de mémoire, madame Mireille Klein (Conservatrice en chef du patrimoine, cheffe du département Restauration au RMF) et monsieur David Bourgarit (Ingénieur de recherche et archéométallurgiste au RMF), pour leur encadrement, leur aide et leurs relectures tout au long de l'année lors des séances de groupe de recherche.

Je tiens à remercier madame Clarisse Delmas (Responsable des Ateliers Restauration Peinture Flore au RMF) en sa qualité de personne ressource pour avoir proposé le sujet et m'avoir accompagnée durant l'année. Ses conseils et ses relectures ont été un soutien précieux pour ce mémoire.

Sans les nombreux entretiens passés avec monsieur Claude Yvel (Figure 1) ce mémoire n'aurait pas eu lieu. Je le remercie de m'avoir toujours bien accueillie dans son atelier, pour son temps consacré à me répondre et sa générosité pour avoir partagé les trésors de son atelier et ses souvenirs qui les accompagnent.

Je fais part d'une grande gratitude à madame Nathalie Balcar (Ingénieure d'études au RMF, département Restauration, filière XXe-art contemporain) pour sa disponibilité, ses encouragements et l'intérêt manifesté pour ce mémoire. La documentation partagée et les conseils bibliographiques m'ont beaucoup aidée dans l'exécution de ce travail.

Je remercie monsieur Yannick Vandenberghe (Technicien de recherche, groupe peinture, RMF) pour son aide et ses réponses à propos du projet CoRef. Mes remerciements vont vers Marianne Segaud et Véronique Reuter (documentalistes-archivistes au RMF), qui m'ont conseillée pour la bibliographie.

Grâce à la documentation envoyée par Mélanie Juvany (Médiatrice au musée de la Chasse et de la Nature), j'ai appris la fonction de dispositif de médiation associé aux matériauthèques. Les médiatrices Emma Bégouin, Noémie Hozé, Mélanie Juvany et Pauline Sylvestre sont remerciées de m'avoir partagé leur travail sur leur projet de matériau technothèque au Musée Bourdelle.

Pour finir, je remercie chaleureusement mes amies qui ont eu la patience de me relire, et ma famille pour leur soutien infaillible durant toute l'année.

4

Avant-propos

Ce mémoire a été exécuté dans le cadre du master 1 Muséologie de l'Ecole du Louvre, au sein du groupe de recherche «Conservation-Restauration». Le sujet a été présenté par madame Clarisse Delmas, sous le nom de «la matériauthèque du peintre Claude Yvel».

Ce travail devait mener à l'élaboration d'une base de données recensant les matériaux, outils et livres dans l'atelier du peintre. Il s'agissait aussi de contextualiser l'historique de la collection, son espace et ses rangements. Lors de sa présentation, le sujet m'a d'abord intéressée pour la démarche qui consistait en partie à assurer la transmission de la mémoire du peintre sur sa collection de matériaux. C'était une manière originale et inédite d'aborder les questions relatives aux matériaux de peinture, qui permettait de sortir du cadre habituel de travail. J'étais aussi particulièrement intéressée par la rencontre avec ce peintre contemporain qui pratiquait la peinture à l'huile à la manière des maîtres anciens. La persistance de la peinture réaliste et hyperréaliste en France et de la vie dans les anciens ateliers parisiens, m'était alors entièrement inconnue.

Établir un cadre et bien délimiter le sujet a été la principale difficulté. Rencontrer ce peintre dans son atelier était comme entrer dans un autre univers, un environnement de matériaux qui prenaient vie avec ses souvenirs. Aborder les matériaux, c'était entrer dans les coulisses de la production artistique contemporaine. Les fabricants, la nature des matériaux, leur compatibilité avec tel liant, l'évolution du marché vers la perte des anciens marchands de couleurs, étaient autant de questions que je me devais d'éclaircir pour bien cerner le sujet. A cela s'est ajouté l'abondance des matériaux, des histoires concernant la situation des peintres réalistes, des anecdotes sur ses rencontres et expériences lors de ses voyages. Chaque élément, matériel comme mémoriel, était exceptionnel et unique. Mais leur quantité a été un critère qui a obligé à faire une sélection. Chaque boîte et chaque tiroir n'a pas été ouvert et étudié. Le mémoire se concentre sur les pigments, et principalement sur les matériaux Lefranc Bourgeois. Cette marque a été sélectionnée plutôt qu'une autre, car elle concerne une part importante de la collection de pigments, elle est liée très étroitement à la vie du peintre et ses recherches, et elle reste très bien documentée. Lefranc Bourgeois permettait de faire ressortir le

5

caractère d'inventeur de Claude Yvel, et l'aspect de laboratoire de son atelier. Il était ainsi possible de relier les dimensions matériau, histoire, et vie sociale et professionnelle à une époque désormais révolue, ce qui était un des traits atypiques de cette matériauthèque. L'autre défi était de rendre ce propos actuel grâce à la dimension de matériauthèque, domaine qui était loin d'être maîtrisé lors du choix du sujet. Etudier le domaine de la matériauthèque de manière plus large m'a permis de révéler la particularité, les ouvertures et les usages futurs de cette collection de matériaux d'après des exemples déjà connus.

Mais avant d'arriver à ces étapes de recherche, j'ai commencé par passer de nombreuses heures d'entretiens dans l'atelier de Claude Yvel. Ce sont ses matériaux et ses souvenirs qui sont la matière première de ce travail. C'est d'après ce qu'il m'a montré que j'ai pu construire un plan et approfondir le sujet. Il y a donc eu un véritable travail effectué avec Claude Yvel pour raviver des souvenirs et obtenir des réponses sur des personnes ou des moments déjà très éloignés dans le temps pour lui.

Malheureusement, les informations données par Claude Yvel sur sa collaboration avec la marque Lefranc Bourgeois ou bien l'histoire qui la concerne, n'ont pu être vérifiées avec les archives de l'entreprise Colart. Ils ont été contactés à plusieurs reprises par l'intermédiaire de Nathalie Balcar, mais nous n'en avons jamais eu de réponses.

Le récolement des matériaux vus et photographiés dans l'atelier, a abouti à leur présentation dans des tableaux. Ceci pour répondre rigoureusement à la demande d'une base de données comprise dans l'intitulé du sujet. Ils ont pour but de renseigner sur l'importance de cette collection, ce qui mènera peut-être à effectuer des prélèvements de la part des professionnels du RMF.

Grâce à ce mémoire j'ai pu en apprendre beaucoup sur les matériaux, leur importance dans la chaîne de création d'un artiste, pour la recherche et la compréhension des techniques artistiques, mais aussi comme outil pédagogique pour la médiation.

6

Introduction

«En art ce qui est important ce n'est pas les matériaux mais ce que l'on veut dire» a dit Nikolaï Maslov1. Ceci est la citation la plus célèbre à propos des matériaux artistiques. Elle prouve le peu de considération accordée à ce domaine.

Le mémoire qui suit prouvera au contraire toute l'importance des matériaux en eux-mêmes pour réaliser au mieux les intentions artistiques d'un peintre. Chez Claude Yvel la recherche des bons matériaux est la condition sine qua non pour exécuter une peinture de la bonne manière, pour qu'elle tienne à travers le temps.

Le mot matériauthèque n'est pas couramment employé, nous pouvons même dire qu'il manque de familiarité. Ce nom est récent, datant du XXIème siècle, sa définition n'est pas encore fixée. Il peut désigner un «lieu ou établissement où sont stockés des échantillons de matériaux» selon Wiktionnaire, ou bien «un dispositif de médiation conçu pour permettre aux visiteurs de toucher les matériaux composant certains des objets présentés dans les expositions» pour le Cnap2. Le champ d'application reste ainsi très ouvert. Remarquons que les définitions ne proviennent pas des dictionnaires officiels. Le dictionnaire de l'Académie française ne donne aucun résultat pour cette recherche. Matériauthèque est donc un mot d'usage officieux. Employé dans un milieu spécialisé, il est compris par tous, mais il n'est ni utilisé ni connu du grand public. Mais peu importe l'usage qui en est fait, une matériauthèque concerne des matériaux.

Or les questions sur les matériaux sont encore très vastes. Il y a une multitude de manières de les aborder : leur histoire, leur fabrication, leur marque, leur nature, leurs propriétés, et la liste pourrait encore s'allonger. Pour cette raison, la collection de matériaux ne peut être séparée des problématiques concernant son collectionneur, monsieur Yvel. Sa technique de peinture à l'huile et sa volonté profonde de peindre à la manière des maîtres anciens sont intrinsèquement liées aux matériaux. Ceux-ci ne concernent d'ailleurs pas que la matière première utilisée pour peindre. Par matériaux il faut entendre ici la matière présente in fine sur la toile, mais aussi les outils pour transformer et appliquer cette matière, et les sources écrites,

1 Nikolaï Maslov (1954 - 2014), auteur russe.

2 Centre national des arts plastiques, opérateur de la politique du ministère de la Culture.

7

livres et essais, qui ont guidé et nourri la pratique de ces techniques. Les matériaux sont donc divers et liés à des archives.

La diversité et la quantité vont de pair dans cet atelier. Or l'atelier parisien n'est qu'une partie de la collection entière de Claude Yvel. Cette dernière se divise en deux ensembles qui comprennent l'atelier à Paris et son annexe à Beauchamps en Normandie. L'annexe en Normandie ne sera donc pas étudiée. Le travail de ce mémoire évoquera la quantité des ressources, mais se concentrera ensuite sur les matériaux Lefranc Bourgeois présents dans son atelier parisien.

L'objectif donné en premier lieu au mémoire, était de fournir une base de données présentant les matériaux, en les replaçant dans leur contexte historique, donnant les sources d'acquisition, les familles de matériaux et les fabricants. En somme, expliquer pourquoi et comment tel matériau se retrouve dans l'atelier, sous quelle forme il se présente, quelle est son importance par rapport à l'histoire des matériaux et leurs fabricants. Dès le premier entretien avec Claude Yvel, il a été question d'une problématique majeure, qui est la fermeture des revendeurs et fabricants de couleurs tels qu'il les connaissait à ses débuts dans le métier. Ce phénomène provoque l'arrêt de la production de certaines matières et outils. Donc des matériaux communs aux peintres des générations précédentes, sont aujourd'hui rarissimes. C'est unique de les voir rassemblés dans ce petit espace du passage Fermat. Une autre conséquence est celle de leur collecte. Leur disparition du marché ne signifie pas la perte de l'importance ou de leur nécessité pour pratiquer la peinture telle que Claude Yvel le voulait. S'en est suivie une recherche méticuleuse dans les marchés aux puces, ou encore la fabrication de ses propres matériaux avec des éléments récupérés de multiples endroits.

La matériauthèque se trouve aussi en danger dans son existence. Elle risque de disparaître à terme puisque qu'il n'y a personne en tant qu'artiste pour la reprendre et mettre à profit ses trésors. Elle risque donc d'être plus tard dilapidée entre les personnes intéressées. Le mémoire répond donc à la nécessité de documenter ces matériaux, les reconnaître dans toutes leurs valeurs. Le mot mémoire a ici toute sa place puisqu'il garde en mémoire l'état de cette matériauthèque à un temps donné. Mais cette mémoire sera aussi mise en valeur dans tout son potentiel découvert, et placée dans la perspective de son usage futur. Ce futur est lié à l'émergence des matériauthèques aux niveaux national et

8

international. Il est important ici de préciser que l'étude est partielle, car la totalité des matériaux ne pouvait être prise en compte dans le temps accordé pour ce travail.

Si une question devait être soulevée pour résumer ces problématiques, elle pourrait prendre cette forme : quels sont les spécificités, enjeux et potentiels de la matériauthèque du peintre Claude Yvel à Paris ? L'atelier de Claude Yvel sera donc présenté dans son contenu général et son contexte. Puis l'angle d'approche se concentrera sur l'étude des matériaux Lefranc Bourgeois, en les replaçant dans l'histoire de la marque, celle de la collaboration avec le peintre, pour enfin renseigner sur l'inventaire exécuté en annexes. Nous nous questionnerons enfin sur quelle place cette matériauthèque peut prendre dans les recherches actuelles, en la mettant en rapport avec d'autres matériauthèques, les différents usages possibles, et les pistes pour son avenir.

I. L'atelier de Claude Yvel : une collection de matériaux

9

anciens dans un atelier contemporain

La collection de matériaux dans l'atelier parisien de Claude Yvel, qui fait l'objet de notre mémoire, pose avant tout des questions sur les intentions, l'histoire et le contexte qui l'ont fait naître. Une collection est intrinsèquement liée à son collectionneur. Étudier son art tel qu'il le pratique est donc la première étape vers une meilleure connaissance des trésors matériels de son atelier. Il est néanmoins nécessaire de garder en tête que les pigments et les outils qui y sont présents sont les matériaux d'un peintre contemporain qui en fait encore usage aujourd'hui.

A. L'histoire du peintre et de ses recherches sur les techniques des maîtres anciens

1. Claude Yvel

Comprendre les causes de la formation de cette collection, nous amène à répondre à cette question : qui est Claude Yvel ? Claude Yvel est né le 16 août 1930 à Paris. L'appartement familial, Porte de Vanves, est le lieu où, enfant, il passe le plus clair de temps, avec sa mère et ses quatre frères. Son père était musicien, violoniste, et batteur du Master Jack Orchestra3, René Forest4. Sa mère était Jeanne André, pupille de l'assistance publique, ayant acquis des «compétences en herboristerie et une formation de préparatrice»5 en pharmacie. Son nom, Yvel, a sa propre histoire. Il est l'anagramme du nom Lévy6. Son père, René Lévy, se faisait appeler Forest, nom de sa propre mère, dans le contexte antisémite de la Seconde

3 Groupe de musique jazz, actif pendant l'entre-deux guerres dans les brasseries parisiennes. Pascale Le Thorel, Claude Yvel, 2014, p.18.

4 René Emmanuel Lévy (Paris, 1904 ; Kovno ou Tallin, 1944).

5 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Pascale Le Thorel, « Un exercice d'équilibre sur une corde », p.17.

6 Idem, p.20.

10

Guerre mondiale. Mais René Lévy fut immatriculé 19341, puis déporté par le convoi n°73 de Drancy le 15 mai 1944, vers «la forteresse de Kovno en Lituanie ou vers Tallin en Estonie»7. Il n'en est jamais revenu, de même pour son frère Jean, déporté à Auschwitz le 7 décembre 1943. L'art de Claude Yvel est donc marqué par des événements violents dès l'enfance, relatifs à la guerre et aux déportations. Ceux-ci sont des sujets récurrents dans ses oeuvres. Nous pouvons citer Gott mit uns8, et Convoi n°73 Reichsbahn9. Ces oeuvres révèlent la réalité objective d'une histoire vécue par son auteur. D'une certaine manière, ce sont ces sujets réels qui ont poussé le peintre vers la pratique de son art du trompe-l'oeil.

Outre son histoire personnelle, Claude Yvel a été initié très tôt à la pratique du dessin et de la typographie. Son institutrice à l'école primaire lui enseigne la méthode Freinet10. Cette dernière est une pédagogie transformant la salle de classe en atelier, pour que les enfants choisissent un texte, l'impriment eux-mêmes et l'étudient en classe. La pédagogie Freinet encourage la créativité des enfants par des médiums comme la peinture, le dessin, la sculpture, et surtout l'imprimerie dont l'outil est directement présent dans la salle de cours.

Son histoire permet de mettre en lumière sa solide formation technique. A quatorze ans il quitte l'école, et suit des cours du soir donnés par la Ville de Paris, rue Didot11. En 1944, un professeur lui apprend la perspective, les proportions, le dessin d'après modèle. Après son certificat d'étude, il est dirigé vers le Centre d'apprentissage d'arts graphiques12, menant au métier d'illustrateur. Le mois d'octobre 1944 marque son entrée à la Cité verte13 alors au 147 rue Broca, dirigée

7 Idem, p.18

8 Claude Yvel, Gott mit uns, 1966, collection privée, Paris. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig. 2.

9 Claude Yvel, Convoi n°73, 1994, collection J.W., Los Angeles. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig. 3.

10 Célestin Baptistin Freinet (Gars, 1896 - Vence, 1966), pédagogue français, a écrit L'imprimerie à l'école, Boulogne, Ferrary, 1927 et l'Education du Travail, Paris, Ophrys, 1949.

11 Rue Didot, 14e arrondissement de Paris.

12 Pour Centre d'apprentissage des métiers d'art, Hôtel Salé, 3e arrondissement, Paris. Centre établi « Pour que les Jeunes reviennent aux Beaux Métiers d'Arts. Paris - Dans le cadre du bel Hôtel de Salé, un Centre, unique en Europe, apprend aux Jeunes, les métiers d'art, vitraux, poterie et aussi le dessin animé. », d'après le titre des photos, 1943, Musée Carnavalet, Paris. Voir Annexes 1, Les écoles et ateliers de formation de Claude Yvel, Fig. 9 et 10.

13 Passage privé avec des ateliers d'artistes, aujourd'hui 147 rue Léon-Maurice Nordmann, 13e arrondissement, Paris. Henri Cadiou, qui y louait un atelier, lui donne ce nom lors de l'action menée par une association d'artisans et artistes pour la défense des ateliers, menacés de destruction en 1977. Par l'arrêté du 3 août 1979,

11

par le peintre Henri Cadiou14. Il y reçoit une formation technique complète, sur le dessin de la lettre, laissant peu de place à l'histoire de l'art. Plus tard, il emploiera ces mots pour l'évoquer à Pascale le Thorel15 : «une bonne discipline qui à la longue les dompte et leur sert d'ascèse comme pour les moines copistes des monastères»16. En 1945, il va à l'Académie Frochot17, qui se situe au pied de Montmartre, à Pigalle, pour dessiner le nu. Après deux ans à la Cité verte, il devient l'assistant d'Henri Cadiou, preuve de sa maîtrise de l'enseignement reçu, puis en 1953 il travaille dans l'atelier de Cadiou.

Mais si la technique se trouve très présente dès ses débuts, il montre aussi un grand intérêt pour l'histoire de l'art, en particulier la peinture ancienne. Henri Cadiou emmenait ses élèves visiter les salons et expositions, il avait dès lors retenu cette habitude. A cette époque il visite fréquemment le musée du Louvre et le Musée d'Art Moderne, et des bibliothèques comme celle des Arts décoratifs ainsi que celle du Centre d'apprentissage18. André Thérive19 met en avant une «Révélation Georges de La Tour au pavillon de Marsan», et en 1956 un voyage en Hollande qui lui permet la visite de l'exposition Rembrandt20.

Nous remarquons donc le milieu propice à l'élaboration de son talent de peintre du réel. Cependant, il faut aussi noter qu'il se forme surtout à la peinture en autodidacte. André Thérive rapporte qu'en 1942, « il profite du jeudi pour peindre, de sa fenêtre, des paysages de la zone»21, et toujours vers 1945, «il peint seul des

la Cité Verte est classée parmi les sites du département de Paris. Voir Annexes 1, Les écoles et ateliers de formation de Claude Yvel, Fig. 11.

14 Henri Cadiou (Paris, 1906 - 1989) est un peintre français, fondateur du mouvement Trompe l'oeil / Réalité.

15 Pascale Le Thorel (Paris, 1960 -), commissaire d'exposition, critique d'art, directrice des éditions de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts depuis 2000, présidente du groupe Art du SNE (Syndicat national de l'édition) depuis 2009. Elle habite un atelier à côté de celui de Claude Yvel, passage Fermat.

16 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Pascale le Thorel, « Un exercice d'équilibre sur une corde », p.13

17 Académie Frochot : 15 avenue Frochot, 9e arrondissement, Paris. Voie privée avec les ateliers de Chassériau, Gustave Moreau, Toulouse-Lautrec (cf. Bruno Centorame, 2000). Serge Poliakoff (1906-1969) y était élève et en a fait un dessin en 1940 (Voir Annexes 1, Les écoles et ateliers de formation de Claude Yvel, Fig. 12). L'académie est transformée en 1952 en Ecole normale de dessin.

18 Pour Centre d'apprentissage des métiers d'art, cf. Note 10.

19 André Thérive (Limoges, 1891 - Paris, 1967) est le pseudonyme de l'écrivain, romancier, journaliste et critique littéraire, Roger Puthoste.

20 THERIVE, 1958, p.16.

21 Idem, p.15.

12

paysages à la gouache et des natures mortes à l'huile»22. Poussé par ce besoin de connaître davantage sur l'art de peindre à la manière des maîtres anciens, il étudie de lui-même le classique Répertoire de pharmacie pratique23, de François Dorvault24, et le Traité complet de la peinture25 de Paillot de Montabert26, donnant un savoir selon les règles de l'art classique, et pour la préparation des couleurs.

Son art a souvent été rapproché du mouvement Hyperréaliste27 alors en vogue aux Etats-Unis, selon Jack Pollock28. D'autant plus que les années 1970 voyaient naître l'étude des peintres de trompe-l'oeil américains du XIXème siècle comme Harnett29 et Peto30, dont le spécialiste est Alfred Frankenstein31. Claude Yvel a confié dans son entretien avec Natalie Mei32 : «Je me trouve très proche de Richard Estes33 qui peint des paysages de New York à partir de photos, en recherchant les techniques traditionnelles que d'autres n'ont pas découvert ou veulent ignorer»34, à cause de cette même recherche des techniques traditionnelles. 1971, date de son voyage au Canada puis aux Etats-Unis, marque sa rencontre artistique avec ces peintres américains. Mais c'est son lien au mouvement des peintres de la réalité formé autour d'Henri Cadiou qui prime avant tout.

Ce qui est très présent aussi, ce sont les inspirations et les références dans sa technique comme dans ses oeuvres aux Maîtres anciens. Il est devenu incontestable,

22 Ibidem.

23 Aussi appelé l'Officine, le livre est édité à Paris, par Ancienne Maison Béchet Jeune, à partir de 1844.

24 François Dorvault (Saint-Etienne-de-Montluc, 1815 - Paris, 1879), pharmacien des hôpitaux, lauréat de l'Ecole de pharmacie de Paris, fondateur de la Pharmacie centrale de France en 1852.

25 Traité complet de la peinture, Paris, Bossange Père, 1829.

26 Jacques-Nicolas Paillot de Montabert (Troyes, 1771 - Troyes, 1849), peintre et historien de l'art français.

27 Hyperréalisme : « courant des arts plastiques apparu aux États-Unis à la fin des années 1960, et caractérisé par une interprétation quasi photographique du visible, avec ou sans intention critique. (Synonyme : photoréalisme.) », encyclopédie Larousse.

28 Jack Henry Pollock (Toronto, 1930 - 1992), auteur, peintre et marchand d'art, directeur de la Pollock Gallery à Toronto.

29 William Harnett (Clonakilty, 1848 - New York, 1892), peintre américain de natures mortes et scènes de genre en trompe l'oeil. Voir Annexes 1, Exemples des peintures des hyperréalistes américains, Fig. 13.

30 John Frederick Peto (Philadelphie, 1854 - Island Heights, 1907), peintre américain spécialisé dans le trompe l'oeil. Voir Annexes 1, Exemples des peintures des hyperréalistes américains, Fig. 14.

31 Alfred Victor Frankenstein (Chicago, 1906 - San Francisco, 1981), critique d'art et de musique, auteur, musicien professionnel américain.

32 Natalie Mei (France, 1948 -), restauratrice de tableaux et brodeuse.

33 Richard Estes (Kewanee, 1932 -), peintre, photographe, graveur, hyperréaliste américain. Voir Annexes 1, Exemples des peintures des hyperréalistes américains, Fig. 15.

34 MEI, 1984, p.9.

13

pour chaque personne ayant écrit à propos de son art, et d'après ce qu'il en dit lui-même, que la tradition à laquelle il se rattache est celle des artistes du Nord, et en particulier Vermeer35. Il en reprend la peinture fine, avec le «traitement précis de la matière et de la lumière»36. Il est important de citer l'inspiration que lui ont procuré d'autres artistes anciens, comme Jacopo de' Barbari37. Ce dernier a peint en 1504 la Nature morte avec perdrix et gant de fer, considéré comme le plus ancien trompe l'oeil, conservé à l'Alte Pinakothek de Munich. Nous pouvons aussi y trouver des références aux peintres classiques du XIXème, comme Ingres38 et David39, et citer Cézanne40 pour la pratique de la peinture sur le motif.

Toutes ces inspirations assemblées, contemporaines, modernes et anciennes, montrent bien son étude approfondie du métier de peintre dans le médium à l'huile, ainsi qu'une volonté très présente de parodier l'art contemporain. Là où Marcel Duchamp41 plaçait un objet réel dans un musée pour en faire une oeuvre d'art, selon le concept du ready-made des Nouveaux réalistes42, Claude Yvel place les tableaux d'une affiche ou d'une caisse, réalisés en trompe-l'oeil, paraissant si réel qu'un huissier à l'oeil non averti en fut dupé43.

Sa technique et ses volontés artistiques restent très attachées à l'enseignement d'Henri Cadiou. Celui-ci fonde le mouvement des Peintres de la Réalité44, et dès 1955, avec Claude Yvel, ils organisent la première Exposition internationale des Peintres de la Réalité, à la galerie Marforen45. Cette réunion de 15 peintres de pays différents, forment ensuite le groupe Trompe l'oeil/Réalité qui

35 Johannes Vermeer (Delft, 1632 - Delft, 1675), peintre néerlandais.

36 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Matthias Frehner, « L'essence de la réalité », p.33.

37 Jacopo de' Barbari (Venise, 1450 - Malines, 1516), peintre et graveur italien.

38 Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban, 1780 - Paris, 1867), peintre néo-classique français.

39 Jacques-Louis David (Paris, 1748 - Bruxelles, 1825), peintre néo-classique et conventionnel français.

40 Paul Cézanne (Aix-en-Provence, 1839 - Aix-en-Provence, 1906), peintre français.

41 Marcel Duchamp (Blainville-Crevon, 1887 - Neuilly-sur-Seine, 1968), peintre, plasticien, homme de lettre français, naturalisé américain en 1955.

42 Nouveaux réalistes : groupe de peintres fondé par le peintre Yves Klein et le critique d`art Pierre Restany en 1960. Ils préconisent l'utilisation d'objet issus directement de la réalité, comme les ready-made de marcel Duchamp.

43 Anecdote relatée par Matthias Frehner, FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, p.37.

44 Après la Seconde Guerre mondiale, Henri Cadiou fonde ce mouvement avec des artistes spécialisés dans les motifs de genre et la nature morte. Il évolue ensuite vers le mouvement Trompe l'oeil / Réalité.

45 Galerie Marforen, 91 Faubourg Saint-Honoré, Paris. Cette galerie a aujourd'hui disparu.

14

connaît un rayonnement international, grâce au Salon Comparaisons46. C'est à partir de ce mouvement là que Claude Yvel élabore sa propre manière de peindre. Pascale le Thorel résume cela en quelques mots : «il va donc peindre le réel, d'après le réel, sur le motif»47. Son travail s'effectue face au motif, et non par la vision intermédiaire d'une photo, pour une meilleure appréhension du réel. Les sujets peints sont d'abord ce qui l'entoure, dans son environnement quotidien, aussi bien pour les objets que pour les personnes. A partir des années 1970, il tend davantage vers la peinture du trompe-l'oeil. Mais ce qui caractérise sa manière c'est sa recherche active et approfondie des techniques picturales perdues. Pour cela, il trouve des recettes dans le Répertoire de pharmacie pratique car pour reprendre ses propres paroles, «Jadis l'apothicaire était le fournisseur des drogues nécessaires pour la pratique des médecins et des peintres»48. Sa pratique du trompe-l'oeil le mène à vouloir faire disparaître la surface peinte, et Matthias Frehner49 note une «absence totale de facture personnelle»50. Ses trompe-l'oeil se composent d'une surface plane qui met en relief des objets posés ou suspendus par une ficelle. Les objets sont toujours grandeur nature et jamais sectionnés par les bords du tableau. Ses compositions sont le terme d'un travail long de plusieurs mois en atelier, comme les peintres du XVIIème siècle. C'est le moment de la conception qui prend le plus de temps. Ce temps est celui de la composition, des esquisses dessinées ou en détrempe, et du report à grandeur nature sur la toile avant la peinture. Mais ce savoir-faire n'est pour lui que le moyen d'atteindre son objectif visé, car selon lui la technique ne doit jamais s'afficher comme une démonstration, sinon elle est méprisable. Matthias Frehner a dit de lui qu'il pratiquait un «réalisme critique à la Courbet51»52. Ceci tient de son appropriation des techniques picturales des peintres du XVème au XVIIème siècles. C'est ce qui le distingue des peintres de la Nouvelle Objectivité53. Il ajoute ainsi au réalisme qu'il a hérité d'Henri Cadiou, la facture des Maîtres anciens. Tout comme

46 Le Salon Comparaisons, créé en 1956, expose des oeuvres d'art actuelles, issues de trente groupes de tendances artistiques différentes, à Paris et à l'international.

47 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Pascale le Thorel, « Un exercice d'équilibre sur une corde », p.14

48 Idem, p.17.

49 Matthias Frehner (Winterthour, 1955 -), historien de l'art, conservateur, publiciste suisse.

50 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Matthias Frehner, « L'essence de la réalité », p.32.

51 Gustave Courbet (Ornans, 1819 - La Tour-de-Peilz, 1877), peintre réaliste et sculpteur français.

52 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Matthias Frehner, « L'essence de la réalité », p.39.

53 La Nouvelle Objectivité est un mouvement artistique né en Allemagne, actif de 1918 à 1933, et centré sur un retour au réel et au quotidien.

15

les Maîtres hollandais du XVIIème siècle, ses «compositions sont de fins rébus»54. Un tel art constitue une exception dans son temps tourné plus volontiers vers l'abstraction, en réaction au réalisme de 1930. Sans aucune prétention de vouloir résumer son art, nous pouvons du moins établir les liens entre celui-ci et la technique employée, technique qui justifie l'emploi de ces matériaux. La technique fine des peintres hollandais du XVème au XVIIème permet ces détails. Et surtout l'emploi de ces matériaux, les pigments préparés par ses soins et le liant, permettent une durabilité dans le temps. Il y a aussi une nécessité de former des détails précis, des couches fines, des couleurs proches du réel, une volonté de pérennité pour les oeuvres qui conduisent donc le peintre vers ces techniques anciennes et l'emploi de ces matériaux.

Une telle formation et une telle pratique de la peinture, le lancent dès 1949 à exposer au National Indépendant55. Pour sa première exposition personnelle, il l'intitula «Peintures réalistes». Elle est réalisée dans la galerie de l'Institut, 12 rue de Seine, du 7 au 11 mai 1954. Dès ce moment le critique Maximilien Gauthier56 mentionne sa technique en la rapprochant des «maîtres hollandais, et surtout Vermeer de Delft»57. Mais c'est autour de 1970 que sa carrière connaît un véritable tournant grâce à la rencontre de deux hommes : Heinz Trösch, collectionneur à Bâle qui lui acheta sa première oeuvre et restera son soutien le plus fidèle, et Jack Pollock, qui promeut de jeunes artistes canadiens comme David Hockney58, Victor Vasarely59, Richard Hamilton60, et Claude Yvel. Il voyage donc au Canada et aux Etats-Unis en 1971, où il expose au New York Museum. C'est le début de l'engouement pour son art en Amérique, qui se confirme par les articles dans le New

54 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Matthias Frehner, « L'essence de la réalité », p.36

55 Salon national indépendant, président Gustave-Louis Jaulmes (Lausanne, 1873 - Paris, 1959), Palais des beaux-arts de la Ville de Paris, du 19 mars au 10 avril 1949. Il est organisé par la Société nationale indépendante. La bibliothèque d'art et d'archéologie de Genève a répertorié les catalogues des expositions de 1948 à 1950.

56 Maximilien Gauthier (Paris, 1893 - Paris, 1977), écrivain, critique d'art, biographe, journaliste français.

57 Maximilien Gauthier, Yvel, dépliant, galerie de l'institut, Paris, 1954

58 David Hockney (Bradford, 1937 -), peintre, dessinateur, graveur, décorateur, photographe et théoricien de l'art britannique.

59 Victor Vasarely (Pécs, 1906 - Paris, 1997), plasticien hongrois, naturalisé français en 1961.

60 Richard Hamilton (Pimlico, 1922 - Londres, 2011), peintre et graphiste britannique, à l'origine du Pop art en Angleterre.

16

York Times61, écrits par le critique principal du journal, John Canaday62, pendant deux semaines durant. Cette reconnaissance lui offre un large succès au sud des Etats-Unis. Puis il se poursuit à l'étranger, en particulier en Chine, à partir de 1988, lorsqu'il se rend à Pékin et à Shenyang pour enseigner la pratique de la peinture occidentale aux professeurs des Écoles de Beaux-Arts. Il effectue des voyages en Chine, de 1988 à 1991, pour donner des stages (Fig. 20) d'initiation pratique et théorique à la LuXun Academy de Shenyang, et former des peintres et des professeurs de peinture. Il retourne en 2013 à la Central Academy of Fine Arts de Pékin, dans le même but, et donne une conférence «How to be a painter» aux étudiants de l'université. Cette même année, il reçoit le certificat d'honneur (Fig. 21) décerné par l'Association des Peintres à l'huile en reconnaissance de sa contribution à l'initiation en Chine aux techniques occidentales. Sa réception est favorisée à l'étranger grâce à l'intérêt et aux contextes culturels que manifestent ces deux pays. Lorsqu'il expose une première fois à New York, Alfred Frankenstein venait tout juste de publier son étude63 sur les peintres du trompe-l'oeil américains du XIXème siècle : Michael Harnett, John Frederick Peto, John Haberle64. Pour ce qui est de la Chine, la tendance artistique est davantage portée vers des techniques extrêmement précises et réalistes, que seule permet la peinture à l'huile telle que la pratiquaient les artistes du XVème au XVIIIème siècles en Europe.

Nous voyons donc cette volonté, chez Claude Yvel, de peindre les objets du réel, plus réels qu'ils ne le sont, grâce à ses compositions et cette facture amenant l'illusion de la chose à son plus haut niveau. Mais aussi cette pratique de la peinture lui est inspirée par sa motivation d'amener le spectateur à voir, au-delà de la première impression de réalité de l'oeuvre. Et ce sont à travers des sujets comme l'absence, la disparition, la violence, la torture, la guerre, qu'il arrive à «amener les gens à voir en eux des contradictions qu'ils ne peuvent pas admettre»65. Le trompe-

61 Articles Reality and Illusion in Show of French Art, 8 août 1973, et Art, 19 août 1973, écrits par John Canaday à l'occasion de l'exposition Reality & Trompe l'oeil by French New Real Painter, New York Cultural Center, New York, du 7 août au 16 septembre 1973.

62 John Canaday (Fort Scott, 1907 - New York, 1985), écrivain, romancier et critique d'art américain.

63 Alfred Frankenstein, After the hunt: William Harnett and other American still life painters, 1870-1900, Berkeley: University of California Press, 1969

64 John Haberle (New Haven, 1856 - New Haven, 1933), peintre américain de natures mortes dans le style du trompe l'oeil. Voir Annexes 1, Exemples des peintures des hyperréalistes américains, Fig. 16.

65 MEI, 1984, p.11.

17

l'oeil fait prendre conscience que la toile n'est pas qu'une surface colorée, par la présence indéniable de la réalité, ou ce qui semble l'être. Mais un tel objectif ne peut être réalisé avec les matériaux disponibles dans le commerce. Trop grossiers, ceux-ci ne permettent pas d'atteindre la finesse et le raffinement de Vermeer. C'est donc à partir d'une telle détermination, que Claude Yvel a mené ses recherches sur les techniques anciennes, et a commencé à s'informer et collecter les matériaux qui font l'objet de ce mémoire.

2. Ses recherches sur les techniques des maîtres anciens

Claude Yvel a mené des recherches très actives pour retrouver les techniques des Maîtres anciens en peinture. Ces études se retrouvent dans ses livres qu'il a écrit depuis 1991, et dont le plus important reste Peindre à l'huile comme les maîtres, La technique du XVIème au XVIIIème siècle66, dont la réédition en 2014 était très attendue. Ces recherches sur les techniques s'accompagnent d'autres plus personnelles sur les origines et l'histoire de sa famille, rassemblées dans un petit ouvrage resté confidentiel, intitulé Jeanne et ses fils, Chronique vraie d'une famille.

Ses démarches l'ont mené à consulter les plus anciens textes parlant de peinture à l'huile, datant des XIIème et XIIIème siècles. Il cite les découvertes de Vitruve67, la tradition des peintures pariétales de la préhistoire, faisant remonter la tradition picturale toujours plus loin dans le temps. La technique telle qu'il la pratique toujours est ainsi directement liée aux plus anciennes traditions picturales présentes dans les grottes de Lascaux ou Chauvet. Il tire aussi ses sources du Répertoire de pharmacie pratique de François Dorvault. Il explique dans un entretien filmé68, que dans les anciens traités de pharmacie comme le livre de Galien69, De methodo medendi70, on utilisait un corps gras cuit, la litharge, pour les emplâtres. Ce serait donc le domaine des médecins anciens qui aurait trouvé les propriétés plastique et

66 Claude Yvel, Peindre à l'huile comme les maîtres, La technique de XVIème au XVIIIème siècle, Aix-en-Provence, Edisud, 2003

67 Marcus Vitruvius Pollo (République romaine, 80 av. J.-C. - Italie, 15 av. J.-C.), architecte et écrivain romain.

68 Entretien en 2009 sur le blog Claude Yvel.

69 Claude Galien (Pergame, 129 - Rome, 201), médecin et écrivain grec.

70 Claude Galien, De methodo medendi, traité médical en quatorze livres, grec ancien.

18

siccative d'un corps gras cuit. Et les peintres ont repris cette découverte pour l'appliquer à l'huile dans la peinture. Ce lien entre les deux corps de métier était établi par les apothicaires qui fournissaient les drogues pour les médecins et les artistes. Ces recherches ont abouti à la découverte de l'huile noire, une huile de noix cuite employée déjà par les Anciens.

Outre le domaine de la médecine, Claude Yvel a aussi reçu la recette de peinture des portraits du Fayoum par Elena Schiavi71, auteur d'Il sale della terra72. Cet échange lui a permis une meilleure connaissance de la matière picturale employée dans l'antiquité et des moyens utilisés pour la mettre en forme.

Ces recherches l'ont mené à retrouver des recettes perdues. Les recettes picturales des Maîtres du XVIIème siècle étaient propre à l'atelier et étaient strictement réservées à son usage. Ces principes de transmission du savoir expliquent le phénomène de perte de ces pratiques au fil des siècles. Par une goutte de vernis-gel visible sur la palette du Saint Luc peignant la Vierge73, dans le tableau de Maarten van Heemskerck74, Claude Yvel a pu saisir un secret de cet art de la peinture à l'huile des écoles du Nord. Il a donc mené des expériences et recherches pour en retrouver la recette. Sa volonté stricte d'appliquer les techniques anciennes et de retrouver la pratique de cet art l'ont mené à des découvertes extrêmement importantes pour de nombreux domaines, dont celui des artistes voulant pratiquer cette manière, ou encore celui des historiens de l'art et des conservateurs. Cette proximité avec les peintres flamands des XVème et XVIIème siècles se retrouvent dans les matériaux et techniques, qui lui permettent aussi de reprendre des images comme l'autoportrait du peintre reflété par un miroir convexe dans Coin d'atelier75, qui rejoint par-là, l'oeuvre si célèbre de Jan van Eyck76, Les Epoux Arnolfini77. Tout s'y trouve lié : les matériaux, la technique, la conception artistique.

71 Elena Schiavi (Mantoue, 1914 - 2004), peintre et auteur sur le médium à l'encaustique.

72 Elena Schiavi, Il sale della terra, Milan, U. Heopli, 1961.

73 Maarten van Heemskerck, Saint Luc peignant la Vierge, 1532, Rennes, Musée des Beaux-Arts de Rennes. Voir Annexes 1, Tableaux des maîtres anciens, Fig. 17.

74 Maarten van Heemskerck (Heemskerck, 1492 - Haarlem, 1574), portraitiste et peintre d'histoire des Pays-Bas.

75 Claude Yvel, Coin d'atelier, 1983, collection privée, France. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig. 4.

76 Jan van Eyck (Maaseik, 1390 - Bruges, 1441), peintre flamand.

19

Il est donc depuis longtemps très attaché à trouver et conserver les matériaux que les peintres utilisaient avant. Il n'utilise plus les produits vendus par le commerce car selon ses mots, «en général, les pigments naturels sont plus solides que les artificiels»78. Ces matériaux sont également la cause de la longévité des oeuvres peintes, de leur bonne conservation et des précisions techniques.

Ces découvertes ont été reconnues à l'international, puisqu'il a été appelé en France et à l'étranger pour résoudre certains problèmes de restauration. En 2013 le Musée d'Art et d'Histoire de Genève l'a fait intervenir dans le projet de restauration du retable de Konrad Witz79. Si son action est moins connue en France, en Chine son livre80 est un ouvrage de référence dans l'enseignement.

3. Atelier d'un peintre réaliste : le lieu et ses enjeux

Depuis 1968, il vit et travaille dans un atelier à Montparnasse, au passage Fermat. Cet endroit est constitué de cinq anciens ateliers avec leurs mini jardins, construits en 1900. Pascale le Thorel a fait remarquer l'importance du 14e arrondissement de Paris pour le peintre : c'est le lieu de sa naissance, ses études, ses maisons et ses ateliers. Son art et sa pratique sont là encore directement liés à l'histoire de ce quartier et des ateliers d'artistes en général.

Ces ateliers anciens ont été mis en danger dans les années 1960-1970, à cause de la refonte urbaine du quartier de Montparnasse qui a induit de grandes démolitions. Ses oeuvres déplorent la «disparition quasi-totale des ateliers d'artistes comme celui de Paul Gauguin81 et ceux du douanier Rousseau82»83. Nous pouvons

77 Jan van Eyck, Les Epoux Arnolfini, peinture à l'huile sur bois, 1434, Londres, National Gallery. Voir Annexes 1, Tableaux des maîtres anciens, Fig. 18.

78 Claude Yvel, dans une vidéo réalisée par Art 'Aire Prod, 2009, consultée sur le blog claudeyvel.fr

79 Konrad Witz (Rottweil, 1400-1410 - Bâle probablement, après 1444, avant mai 1447), Retable de la cathédrale Saint-Pierre de Genève composé de La pêche miraculeuse et La délivrance de saint Pierre, 1444, Genève, Musée d'Art et d'Histoire. Voir Annexes 1, Tableaux des maîtres anciens, Fig. 19.

80 Claude Yvel, Le métier retrouvé des maîtres : la peinture à l'huile, Paris, Flammarion, 1991. Edition chinoise, traduction de Christopher Cheung : « You Hua Ji Fa Gu Fang Jin Young», Taiwan, Boya Publishing Co Ltd., 1994.

81 Paul Gauguin (Paris, 1848 - Atuona, 1903), peintre postimpressionniste français.

20

voir dans Cité blanche84 et Terrain vague85 ces lieux désertés dont la seule présence factuelle et objective sur la toile, suffit pour montrer la désolation du peintre face à ces disparitions. Lui-même dans son atelier me disait : «Je ne peins que des choses qui disparaissent». La protection de ces anciens ateliers a été une cause soutenue par Henri Cadiou, qui a mené des actions pour sauver la Cité fleurie86 puis la Cité verte. Ces endroits sont actuellement des sites protégés où les ateliers et les artistes sont toujours présents. Claude Yvel est le dernier artiste présent dans ce passage Fermat près du cimetière de Montparnasse. Les autres ateliers ont été transformés en habitations.

Il y a un véritable sens lié à ces actions pour la protection et la sauvegarde des anciens ateliers d'artiste, car cela signifie la volonté profonde de s'inscrire dans la démarche et la tradition des peintres précédents qui sont liés aux Peintres de la réalité, d'Henri Cadiou, concernant la Cité fleurie et la Cité verte. Ces démarches sont aussi la revendication de la reconnaissance de cet art et de ces pratiques, car les destructions entraînent la perte de tout ce patrimoine artistique et matériel nécessaire à la sauvegarde de ces oeuvres réalisées par un groupe important d'artistes étalés sur plus d'un siècle.

Ainsi, Claude Yvel pratique encore la peinture à l'huile telle que nous l'avons cité précédemment. Matthias Frehner parle de son atelier avec ces mots : «musée de la peinture à l'huile de l'époque moderne»87. On y trouve tout ce qui est nécessaire à la confection d'un tableau, allant des outils comme des pinces et des sabres, à des matières précieuses telles des pigments très rares qui ne sont plus fabriqués. Les matériaux et outils qui sont présents dans son atelier sont l'incarnation de sa volonté artistique et de sa technique, ils font donc souvent l'objet de sujet pour ses tableaux :

82 Henri Rousseau (Laval, 1844 - Paris, 1910), peintre français représentant de l'art naïf.

83 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Matthias Frehner, « L'essence de la réalité », p.40.

84 Claude Yvel, Cité blanche, 1961, collection S.H., Ontario, Canada. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig. 5.

85 Claude Yvel, Terrain vague, 1974, collection A.M., Paris. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig. 6.

86 Cité fleurie, 61-67 boulevard Arago et rue Léon-Maurice-Nordmann, 13e arrondissement, Paris. Cette voie privée conserve des ateliers bâtis entre 1878 et 1888, dont les façades et toitures sont inscrits au titre des monuments historiques depuis 1994.

87 FRANKENSTEIN, LE THOREL, FREHNER, 2014, Matthias Frehner, « L'essence de la réalité », p.34.

21

Coin d'atelier et Imprimeur de toile88. Ces oeuvres lui permettent de se prononcer sur son temps.

Son atelier reste un endroit très vivant qui rassemble des artistes réalistes contemporains, des personnes avides d'apprendre et de se former, des restaurateurs et des historiens d'art intéressés par le cas particulièrement rare de la survivance des techniques anciennes. Ce lieu représente donc un point névralgique et rempli de multiples valeurs, pour des domaines très variés. La création et la recherche y tiennent encore maintenant la place primordiale. Les liens sont toujours entretenus avec ses amis peintres, comme Jürg Kreienbühl89, peintre suisse, auteur de vues de Paris réalisées à la même époque que celles de Claude Yvel. L'atelier a intéressé aussi des auteurs qui ont écrit des livres ou réalisé des vidéos documentaires. Nous pouvons citer Hiam El Ali, qui en 1990 a réalisé une vidéo sur l'Usage retrouvé d'une technique perdue.

B. La place des matériaux dans l'atelier : organisation et description des fonds

De quoi se compose une collection de matériaux d'un artiste contemporain pratiquant la peinture à l'huile à la manière des maîtres anciens ? Matthias Frehner qualifie l'atelier de Claude Yvel de «musée de la peinture à l'huile». En effet, pour pratiquer la technique de la peinture à l'huile comme au XVIIème siècle, cela demande d'effectuer des tâches qui ont été reprises ensuite par d'autres corps de métiers. Par là nous voulons parler du broyage des couleurs et de la préparation de la toile. Ceci pour avancer que les matériaux présents dans l'atelier du peintre concernent toute la chaîne de production d'une peinture, de la pince la plus simple au pigment le plus rare et précieux.

88 Claude Yvel, Imprimeur de toile, 1989, lieu de conservation inconnu. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig. 7.

89 Jürg Kreienbühl (Bâle, 1932 - Cormeilles-en-Parisis, 2007), peintre et graveur suisse et français.

22

La collection de Claude Yvel se répartit sur deux ateliers : Paris et Beauchamps, en Normandie. Ce travail se concentrera sur celui de Paris. Mais il est nécessaire de rappeler que les matériaux cités dans ce mémoire, ont leur équivalent, voire le double, en termes de quantité dans l'atelier normand. Claude Yvel me disait qu'il était bien plus grand que celui de Paris.

A Paris, les matériaux du peintre occupent presque tout l'espace. Au plafond, sont suspendues des rouleaux de toiles imprimées (Fig. 31). Aux murs, certaines de ses oeuvres sont accrochées (Fig. 29). Les meubles prennent toute la partie basse des murs, et se complètent par des étagères. Une table se trouve au centre, avec un petit meuble dont la surface porte une dalle de granit. Chaque rangement du mur de droite à l'entrée (Fig. 22) porte son étiquette imprimée par la typographie à laquelle il a été formé via la méthode Freinet, pour indiquer son contenu. Une partie y est réservée aux documents, qui sont ses archives, ses dessins, et ses livres, qui sont ceux qu'il a écrit, ceux sur son oeuvre, des manuels référençant des pigments et autres matériaux pour la peinture ou encore des traités sur la peinture. Les étagères en face de l'entrée (Fig. 27) portent en haut de grands conteneurs en verre avec des bouchons en liège : les pigments s'y trouvant sont en grande quantité. Aux deuxième et troisième étages, nous pouvons y voir des bocaux plus petits en verre, avec des bouchons en liège, contenant les gommes et les résines venant directement de l'usine Bourgeois, avant sa destruction au début des années 1970. Sur le côté se trouvent des boîtes en fer (Fig. 26) contenant des tests de pigments et vernis, faits sur des toiles préparées en 1953, et annotés. Une autre boîte en métal porte l'étiquette «Pigments Rares- anciens-» (Fig. 39). Les pigments s'y trouvant ont été relevés (Tableau 2). Ceux-ci sont contenus dans de très petits bocaux en verre, avec un bouchon vissé dans la même matière. Chaque bocal porte le nom du pigment contenu, mais rares sont ceux indiquant la provenance. Une dernière boîte en métal que Claude Yvel a pu me montrer est celle avec l'étiquette «Blanc de plomb de Klagenfurt en pain» (Fig. 42) complétée par la mention Poison accompagnée d'une tête de mort. A l'intérieur se trouve neuf pains de ce blanc de plomb encore entiers dans leur emballage en papier marqué par l'aigle bicéphale autrichien. Derrière l'escalier se trouve une étagère (Fig. 32 et 33) présentant toutes sortes de matériaux utilisés anciennement lors de la préparation des couleurs. Nous pouvons y voir des molettes très larges en granit ; des molettes en verre aux côtés du pot d'Ocre de

23

Rhue à l'huile donné par monsieur Touvron ; des coquilles de moule, des petits récipients en porcelaine blanche et des vessies de porc avec ou sans peinture, pour retrouver l'aspect historique de la conservation des couleurs avant l'invention des tubes en métal ; des blocs d'aquarelle Bourgeois dont le peintre conserve le moule en métal pour imprimer la marque en relief sur la surface ; des flacons, fioles et tubes à essai en verre. Le mur à gauche de l'escalier (Fig. 28) porte une petite étagère en bois suspendue, avec les vingt-quatre pigments anciens, dans des bocaux de verre à bouchons en liège. A ses côtés, figurent des palettes de toutes tailles, des sabres pour imprimer les toiles, un miroir convexe. En dessous de la baie vitrée (Fig. 30) sont rangées les huiles, colles et les pinceaux à sécher. L'ensemble de l'atelier est visible dans la vidéo de Hiam El Ali, Usage retrouvé d'une technique perdue, faite en 1990. L'intérieur en 2021-2022 a cependant un peu changé.

Le meuble (Fig. 34) qui a fait l'objet d'une plus longue étude de notre part, est celui recouvert de granit et monté sur des roulettes. Il porte souvent des pinceaux fins. Ce meuble se divise en quatre demi-tiroirs (Fig. 40) en haut, dont deux ont des étiquettes «broyage» et «couleurs». Puis quatre tiroirs dont les étiquettes sont en couleurs et répartis ainsi, de haut en bas : bleu-vert, noir-blanc, jaune-beige, rouge-orange (Fig. 35 à 38). Chaque grand tiroir a fait l'objet d'un inventaire minutieux avec des photographies pour chaque élément (Tableau 1). Dans ces tiroirs sont donc contenus les pigments, le plus souvent dans les bocaux en verre avec bouchons en liège, comme ceux de l'étagère en bois avec les pigments anciens. Chaque bocal porte une étiquette manuscrite indiquant le nom du pigment, et souvent sa provenance. Ces étiquettes sont en papier collées sur la face en verre, ou plus rarement sur le bouchon en liège. Nous devons préciser qu'il s'agit là d'une description valable pour le plus grand nombre des pigments. Il y a toutefois des exceptions car certains pigments sont contenus dans des flacons de plastique, ou encore dans leur conteneur d'origine lors de leur achat, et d'autres encore n'ont pas d'étiquettes permettant de connaître leur nature ou leur provenance.

24

C. La formation d'une collection : le contexte de la collecte des

matériaux

Pour mieux comprendre la collection des matériaux de l'atelier de Claude Yvel, nous allons nous intéresser au contexte menant à sa formation. La collecte s'est faite en lien avec la pratique de son art, bien entendu, mais la quantité dépasse largement les besoins du peintre. En effet, pour ne parler que des pigments, la peinture à l'huile selon la technique des maîtres anciens ne demande l'emploi que d'environ une trentaine de pigments (Fig. 41). Or, le meuble du peintre, ses étagères et boîtes, en contiennent beaucoup plus. Les matériaux, en particulier les pigments, ont une étiquette qui indique la plupart du temps leur provenance. C'est à partir de ces indications et des informations qu'il m'a transmises lors de mes visites dans son atelier, que nous pouvons retracer en partie l'histoire de cette collecte.

1. Les marchands de couleurs parisiens

L'emplacement de son atelier nous conduit d'abord à évoquer les marchands de couleurs parisiens. Ceux-ci présentent des questions complexes, du fait de leur nombre, et leur histoire récente liée à la montée de grands fournisseurs internationaux. L'histoire des marchands de couleurs au XIXème a fait l'objet d'une thèse par Clotilde Roth-Meyer90, mais aucun ouvrage ne nous est connu sur cette question pour le XXème siècle. Néanmoins, une ouverture dans cette thèse évoque la différence entre le nombre croissant de ces marchands au XIXème, et l'arrêt de son évolution à partir de la Première Guerre mondiale. D'après un entretien avec monsieur Dominique Sennelier91 en 2001, elle parle de sept à huit marchands dans le quartier de l'Ecole des Beaux-Arts en 1960, contre quarante-quatre en 189992. Il y a donc une disparition attestée des marchands de couleurs parisiens au XXème siècle.

90 Clotilde Roth-Meyer, Les marchands de couleurs à Paris au XIXème siècle, Paris IV, 2004

91 Dominique Sennelier (1938 -), petit-fils de Gustave Sennelier (? - 1929), créateur de la marque, propriétaire et développeur de l'activité de la société Sennelier dans les deux magasins de Paris, 3 quai Voltaire et 4 bis rue de la Grande-Chaumière.

92 Clotilde Roth-Meyer, Les marchands de couleurs à Paris au XIXème siècle, Paris IV, 2004, p.11

25

Parmi ces marchands, nous savons que Claude Yvel se fournissait chez des enseignes comme "À la Momie», Le Bon Broyeur, et des fabricants très reconnus déjà à l'international, comme Lefranc Bourgeois et Sennelier. Le Bon Broyeur (Fig. 45) est une enseigne pour vanter la qualité de broyage, mais c'est une désignation commune à trois marchands de couleurs connus au XIXème, Leroy, Malet et Picou93, selon Clotilde Roth-Meyer. Nous avons relevé sept pigments provenant de cette boutique dans la collection de Claude Yvel.

Sennelier (Fig. 46) est une provenance qui est bien connue, puisque son activité est toujours actuelle. Nous pouvons préciser qu'il s'agit d'un fabricant de couleurs fines depuis 1887. Il est à la fois revendeur et fabricant. Son fondateur est Gustave Sennelier, ancien employé de la maison Lefranc, qui est devenu son concurrent grâce à cette entreprise familiale dont la tradition perdure jusqu'à nos jours. Cette marque est réputée pour la vente de ses pigments naturels, cependant le fonds de Claude Yvel ne comporte que six pigments de cette provenance.

En effet, la majorité du fonds se compose des pigments Lefranc Bourgeois, raison pour laquelle ils seront davantage développés par la suite. Nous pouvons dès lors noter que certaines étiquettes précisaient seulement Lefranc ou Bourgeois, tandis que d'autres avaient la mention «L.B.». Cette précision donne une indication sur leur date, puisque la fusion de ces deux marques ne se fait qu'en 1965. De plus, les pigments et les gommes ont été collectés dans les anciennes usines de Lefranc et Bourgeois Aîné, avant que celles-ci ne soient déplacées au Mans après leur fusion puis leur rachat par Colart94 en 1982. Avant sa destruction, Claude Yvel a immortalisé l'usine Lefranc à Issy-les-Moulineaux dans une de ses peintures95.

Nous pouvons nous concentrer davantage sur le cas que présente l'enseigne «A la Momie», car c'est un exemple de l'évolution récente de cette profession de

93 Clotilde Roth-Meyer, Les marchands de couleurs à Paris au XIXème siècle, Paris IV, 2004

94 Colart, ou Col'Art, est une entreprise fondée en 1991 par Lindéngruppen, basée à Londres, spécialisée dans le commerce du matériel pour artiste. Colart regroupe les marques Winsor & Newton, Lefranc Bourgeois, Liquitex, Conté à Paris, Snazaroo, L'éléphant.

95 Claude Yvel, Usine Lefranc, 1970, Paris, collection N.P. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig. 8.

26

marchand de couleurs parisiens, qui a été étudié par le Musée des Arts et Traditions Populaires96 pour leur exposition «Des teintes et des couleurs» en 1988, et qui se trouve particulièrement bien représenté en termes de quantité de matériaux dans la collection de Claude Yvel. «A la Momie» désigne une enseigne d'une boutique de couleurs et vernis, fondée en 1712 et fermée en 1983. Le dernier gérant, bien connu de Claude Yvel, était monsieur René Touvron qui a pu transmettre l'histoire de cette boutique aux personnes chargées par le Musée des Arts et Traditions populaires de collecter les matériaux en 1983. Ce magasin était situé place du Châtelet à l'origine, dans la même rue que l'enseigne Au Bon Broyeur. Mais au XXème siècle, monsieur Touvron a dû la déménager dans un garage au 32-34 rue Blondel. Cette enseigne tient son nom de «la momie», une «drogue importée d'Egypte dont on tire des pigments noirs ou bruns»97. Elle avait la réputation de vendre des matières naturelles depuis sa fondation jusqu'en 1983, et des produits rares et anciens, bien que les réserves ne datent pas du XVIIIème. L'étude menée par le musée des Arts et Traditions Populaires révèle l'importance de la collection des verts Milori de l'enseigne. A. Milori98 était un fabricant de couleurs au XIXème, réputé pour la qualité de son bleu de Prusse, et dont une collection de pigments vert porte désormais le nom. Claude Yvel conserve dans son atelier les verts Milori n°1, 2, 3 et 4 provenant de «A la Momie», parmi de nombreux autres pigments. C'est une des caractéristiques qui rend sa collection de matériaux exceptionnelle, d'autant plus que comme nous l'avons dit, ce magasin est désormais fermé. Claude Yvel a été averti de cette fermeture et a donc pu collecter un bon nombre de ces pigments. Ces matériaux étaient en effet destinés d'abord à une clientèle de peintres de profession et d'élèves de l'Ecole des Beaux-Arts, ce qui est encore une garantie de qualité. Cette clientèle a été reprise par le demi-grossiste H.M.B., situé rue Saint-Nicolas dans le 12e arrondissement de Paris.

Cette marque H.M.B. est présente sur l'étiquette d'un seul pigment dans la collection de Claude Yvel. Cette entreprise a été fondée en 1889, à Paris. En priorité

96 Musée des Arts et Traditions populaires était un musée national fondé en 1937 par Georges Henri Rivière (Paris, 1897 - Louveciennes, 1985), fermé en 2005. Ses collections forment le fonds principal du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM) ouvert à Marseille en 2013.

97 Martine Jaoul, Des teintes et des couleurs, Paris, 1988, p.36

98 A. Milori avait une boutique située près de l'Hôtel de Ville, dont le succès était reconnu dès 1835.

27

tournée vers les matériaux concernant les métiers du bois, elle est encore en activité actuellement, et revend des produits beaux-arts de marques comme Winsor & Newton et Lefranc Bourgeois, entre autres. Elle est connue sous la mention HMB-BDA principalement.

Nous avons relevé aussi des provenances qui ne sont pas des marques de magasins ou marchands, mais dont les noms concernent directement le milieu artistique parisien. Il s'agit de la mention Limet et Paulet sur les étiquettes. L'indication Limet se retrouve pour huit pigments. Claude Yvel m'a précisé que ce nom désignait le fils du patineur de bronze préféré de Rodin, nommé Jean François Limet (1855-1941), aussi connu pour être un photographe amateur avec une formation de peintre. Son fils était établi à la Cité Verte, lieu où s'est formé Claude Yvel auprès d'Henri Cadiou, comme nous l'avons vu précédemment. Ce serait donc de lui que proviendrait ces pigments. Quant à Paulet il s'agirait de Pierre Paulet (1894-1978), restaurateur des peintures des musées nationaux. Mais seulement un pigment porte ce nom sur l'étiquette.

2. Les anciennes mines d'ocre

Un autre ensemble de pigments peut être relié aux anciennes mines d'exploitation à Roussillon et en Bourgogne, pour ce qui est des ocres. Les étiquettes y faisant référence portent les noms Okhra, Gargas, Plantes et couleurs, Sauilly, Sofolux99 Auxerre et Lechiche. Okhra (Fig. 49) est l'ancienne usine de productions d'ocre, fondée par Camille Mathieu à Roussillon. Son activité s'étend de 1921 à 1963. C'est donc une usine fermée, transformée actuellement en écomusée de l'ocre et qui vend toujours ces pigments, réputés pour être naturels et inaltérables. Quatre pigments sont référencés sous cette marque dans l'atelier de Claude Yvel. Nous pouvons noter que l'écomusée propose les livres de Claude Yvel sur les techniques des maîtres anciens sur son magasin en ligne. Les liens sont affirmés par le fait que le peintre a enseigné ces techniques au Conservatoire des ocres et de la couleur à Roussillon depuis 1999. Dans la même région se trouve Gargas (Fig. 50), commune

99 Transcription hypothétique du nom manuscrit sur une étiquette de boîte à pigment : Sofolux ou Sofrolux.

28

exploitant la mine d'ocre de Bruoux à partir de 1848, et ce pendant un peu plus d'un siècle. La mine perd son activité après la Seconde Guerre mondiale, comme ce fut le cas pour toutes les ocreries à cause de la concurrence de la chimie allemande. Un pigment de Claude Yvel est référencé sous ce nom. De même pour le pigment nommé Gaude jaune moyen, son étiquette indique le nom et l'adresse de son fabricant : Plantes et couleurs, 20 rue Jean d'Autant, 84360 Lauris. Cette entreprise était domiciliée à Le Faouet, et possédait un établissement secondaire à Lauris. Spécialisé dans la fabrication de colorants et pigments, cet établissement a ouvert en 1993, et est fermé depuis 2018. Pour Sauilly (Fig. 48), il s'agit de l'ancienne ocrerie en Bourgogne, exploitée avant la Révolution par les Hollandais100, devenue une entreprise familiale dans le deuxième quart du XIXème siècle, et restée en activité jusqu'en 1961101. Claude Yvel relie l'histoire de l'exploitation de la mine à celle des techniques des maîtres anciens de Hollande. Ces derniers calcinaient la terre dans un creuset fermé, ce qui permet d'obtenir une belle ocre très couvrante. Cette terre de Sauilly associée à la redécouverte de cette technique, permet de faire un pas de plus pour se rapprocher de la manière des maîtres anciens de Hollande. Ainsi, Claude Yvel possède cinq terres provenant de cette mine. La mention Lechiche (Fig. 47) ne se retrouve que pour le pigment annoté «noir de Grugy» pour Gurgy, terrain argileux produisant du carbonate de fer. Lechiche & Cie est l'exploitant de la mine de Sauilly, et intègre la Société des Ocres de France en 1901. Ce qui rend ces pigments exceptionnels, c'est à la fois leur rareté, depuis que la mine a cessé sa production en 1961, mais aussi la redécouverte de la technique ancienne qui leur est associée. Quant à Sofrolux Auxerre, ce serait le nom de l'exploitant de la mine en Bourgogne, selon Claude Yvel. Seulement un pigment est annoté à ce nom.

3. Des provenances mondiales

Beaucoup d'étiquettes donnent une provenance de marques à l'étranger. Les pays représentés sont les Etats-Unis, l'Italie, l'Allemagne, la Suisse, l'Angleterre et la Belgique. Ces marques sont souvent les plus réputées dans leur pays d'origine pour

100 YVEL, 2003, p.87.

101 Base Mérimée, Ancienne ocrerie de Sauilly, 2001, Notice PA89000018

29

la qualité de leurs matériaux destinés à l'usage des artistes. Elles représentent aussi l'histoire du peintre par ses voyages et les liens qu'il a pu nouer avec un fabricant ou un artiste étranger.

Pour les Etats-Unis, où il a voyagé pour des expositions depuis 1971, nous notons deux marques : Rublev colours, sur un bocal de pigment, et Fezandie, pour deux bocaux de jaune de Naples. Rublev colours est une marque de Natural Pigments, une société basée en Californie. Ils sont spécialisés dans la fourniture de matériaux rares utilisés dans la peinture depuis la préhistoire jusqu'au XIXème siècle pour les artistes. Cependant, Fezandie soulève deux hypothèses pour sa provenance. Claude Yvel avait des doutes quant à l'origine de cette marque, et avait mentionné Venise. Mais lors des recherches, j'ai pu constater que Fezandie était connue de la matériauthèque d'Harvard sous le nom Fezandie & Sperrle (Fig. 51), dont l'adresse se trouve à New York, au 103 Lafayette Street (Fig. 52).

L'Italie est très représentée dans la collection de Claude Yvel avec les marques Zecchi, pour douze pigments, et Maimeri, pour sept pigments. Zecchi est une boutique à Florence dont les recherches sur les pigments correspondent parfaitement avec les démarches de Claude Yvel. La marque s'attache à vendre les pigments employés à la Renaissance, d'après des études menées sur le traité de Cennino Cennini, Il Libro dell'Arte, écrit durant la dernière décennie du XIVème siècle. De plus la qualité de leurs matériaux est certifiée par l'usage qui en est fait pour des restaurations d'oeuvres florentines et internationales. Zecchi est toujours en activité et diffuse la liste des pigments anciens avec leur composition chimique. Quant à Maimeri, toujours en activité également, la marque revendique une fabrication à la fois artisanale et industrielle, et essaye de reproduire des recettes anciennes avec des ingrédients synthétiques.

L'Allemagne est représentée par les noms Schmincke et Kremer, pour lesquels la collection comprend respectivement un et cinq pigments. Schmincke est actuellement ce qu'on appelle un «géant des beaux-arts», car c'est un fabricant et revendeur international de nombreuses marques de matériaux pour artistes. Sa réputation se fonde sur les recettes traditionnelles mêlant résine, huile et couleur, datant de la période précédant l'invention du tube métallique, retrouvées par les

30

coloristes chimistes Hermann Schmincke et Joseph Horadam. L'histoire partagée avec Kremer est bien plus importante, car Claude Yvel connaît personnellement son dirigeant avec lequel il a mené les recherches sur l'huile noire pour le convaincre de l'importance de cette découverte. Kremer est donc aujourd'hui le producteur exclusif de l'huile noire Claude Yvel. Depuis 1977, Kremer tient sa réputation de qualité pour ses produits servant pour la restauration et les artistes.

Lachenmeier Farben est une marque de revendeurs de matériel pour artistes en Suisse. Claude Yvel conserve le vert de Schweinfurt, seul pigment de sa collection mentionnant cette entreprise.

La marque Winsor & Newton (Fig. 53) représente l'Angleterre sur trois bocaux de pigments. Fondée en 1832 à Londres, elle émerge grâce à la collaboration entre le scientifique William Winsor et l'artiste Henry Newton. Ils insistent sur les caractères stable et permanent de leurs pigments. Ceux présents dans la collection de Claude Yvel datent d'avant le rachat de la marque par Colart en 1990.

Les marques étrangères se terminent par celle fondée par un fabricant belge, Jacques Blockx (1844-1913), auteur du Compendium à l'usage des artistes peintres et des amateurs de tableaux102 (Fig. 54). Les pigments sous ce nom appartenant à Claude Yvel sont au nombre de quatre. Ceux-ci sont réputés pour leur solidité : notés sept sur huit, sur l'Echelle de laine bleue.

Les étiquettes mentionnent de nombreuses provenances qui ne sont plus des marques mais des lieux, villes, régions ou pays. Ces lieux sont à relier avec les voyages de Claude Yvel et les liens qu'il a tissé avec certaines personnes qui viennent désormais dans son atelier lui apporter des pigments. C'est le cas pour les pigments venus du Japon, où le peintre n'a jamais voyagé. De Chine, viennent plusieurs pigments du fait de ses nombreux voyages pour y enseigner la technique de peinture occidentale des anciens. Nous pouvons faire mention de terre brûlée, orpiment, cinabre et blanc de coquille. Les provenances géographiques sont aussi l'Inde, la Wallonie, Berne, Bâle. Le plus important dans cette section est le blanc de

102 BLOCKX, 1922.

31

plomb venu de Klagenfurt, ville en Autriche. Il est présent dans l'atelier de Claude Yvel sous forme de pains, encore dans leur papier d'emballage d'origine portant la marque imprimée de la ville. Le blanc de plomb sous cette forme ne se fabrique plus, car il est considéré dangereux pour la santé depuis la loi de 1909103 règlementant son usage. Le blanc autrichien était très réputé pour sa blancheur et son plomb très pur provenant de Bleiberg en Carinthie104. Claude Yvel nous livre ce procédé autrichien et son usage connu depuis l'antiquité dans ses écrits.

4. Des provenances inconnues

Certaines étiquettes portent des noms qui n'ont pas pu être retrouvés dans l'état actuel de nos recherches. Il s'agit de Labosciences, qui était un chimiste Boulevard Saint-Germain selon Claude Yvel, Lumicolor, La Borderie, Sirche P. de V. Nous pouvons remarquer l'emploi fréquent de la mention Ferramenta. Ce mot signifie quincaillerie en italien et désigne une provenance inexacte souvent le marché aux puces. Il est nécessaire de dire ici que de nombreux pigments ne portent pas de nom indiquant une provenance, ni même de nom pour désigner leur contenu. Quant à d'autres, il s'agit de préparations «home made» pour citer leurs étiquettes.

La collecte de ces pigments s'est faite dans un contexte de disparition progressive du métier de marchands de couleurs à Paris après la Seconde Guerre mondiale, et de la fermeture des anciennes mines d'ocre. Ces domaines sont repris par de grandes firmes et sociétés internationales, ou bien sont remplacés par l'emploi de produits synthétiques. Nous en avons vu des exemples plus haut. Mais aussi dans un contexte de déplacement d'anciennes usines comme celle de Lefranc et Bourgeois. Les matériaux récupérés datent de cette époque et ne sont donc plus, pour la plupart commercialisés. Leur provenance ainsi que leur date de production rendent cette collection davantage précieuse aux yeux des historiens d'art et des restaurateurs. Claude Yvel a dressé la liste des revendeurs de matériaux pour artiste

103 Loi du 20 juillet 1909 entrée en vigueur le 1er janvier 1915, « interdit l'usage de la céruse et des composés de plomb dans la peinture en bâtiment » (Judith Rainhorn).

104 YVEL, 2003, p.84

32

dans son livre, auprès desquels il est encore possible de trouver des pigments rares, des huiles et un outillage pour pratiquer la peinture à la manière des maîtres anciens.

Nous pouvons dès lors constater l'importance de la collection de matériaux du peintre Claude Yvel. Celle-ci se fonde sur les caractères ancien et unique qui lui sont propres. Ancien par la volonté du peintre de pratiquer la peinture à l'huile selon les techniques des maîtres anciens, et d'après la date de collecte et la période probable de production de certains d'entre eux. Unique grâce à la conservation de pigments provenant d'usines et ocreries actuellement fermées. Mais elle se fonde aussi sur le fait que ce rassemblement de matériaux a fait l'objet d'une collecte réfléchie, dépassant les limites de la simple utilisation par le peintre. Les pigments qu'il utilise vraiment pour ses oeuvres sont de quantité bien plus restreinte. Ainsi les matériaux n'ont pas tous la valeur d'usage pour laquelle ils étaient destinés à l'origine. Ils sont même exposés sur les étagères depuis des dizaines d'années pour certains, sans qu'ils aient été employés. Ils ont été étudiés pour les recherches de Claude Yvel publiées dans ses livres, mais surtout, représentés dans ses peintures, ils en sont souvent le sujet principal. Nous nous trouvons donc bien dans le cas d'une véritable collection, à valeur unique, dont la quantité et la diversité nous amènent à devoir restreindre notre champ d'étude pour ce mémoire. Nous nous concentrerons donc davantage sur les matériaux Lefranc Bourgeois par la suite.

II. Les matériaux Lefranc Bourgeois

Dans cette deuxième partie, nous allons nous intéresser plus spécifiquement aux matériaux Lefranc Bourgeois présents dans l'atelier de Claude Yvel. Cette étude concerne aussi leurs ancêtres, les fabricants Lefranc et Bourgeois Aîné que Claude Yvel connaissait bien avant leur fusion. Ce choix a été guidé d'abord par l'importance en termes de quantité que représentent ces matériaux, pigments, gommes et huiles, et l'histoire de la collaboration qui relie plus étroitement le peintre à ce fabricant. De plus, Lefranc Bourgeois a été plus largement documenté que les autres fabricants de couleurs et matériaux pour artistes. La marque est aujourd'hui mondialement connue et encore en activité, elle propose les services selon les mêmes principes depuis le

33

XVIIIème siècle. De plus, cette entreprise étant largement connue du milieu artistique, en France et à l'international, ce travail mené sur ces matériaux concerne de nombreuses oeuvres d'artistes, réalisées dans la seconde moitié du XXème siècle, en même temps que celles de Claude Yvel.

A. Point historique

1. Histoire de l'entreprise Lefranc Bourgeois

Lefranc Bourgeois est le nom pris récemment par l'entreprise après la fusion de Lefranc et de Bourgeois Aîné en 1965. L'histoire de chacune des deux marques a des origines bien plus anciennes, que nous allons voir ensuite. Ce rapide historique de leurs créations jusqu'à nos jours, nous permettra de saisir les raisons pour lesquelles Claude Yvel a privilégié l'emploi de leurs matériaux et cherché à les collecter pour les conserver, d'une part. Et d'autre part, cela nous amènera à comprendre pourquoi l'entreprise a collaboré avec le peintre pour vendre la création de ses nouveaux produits.

Pour commencer la rapide histoire de Lefranc, nous pouvons faire remonter ses origines en 1720. C'est la date à laquelle Charles Laclef ou de La Clef s'installe au coin de la rue Princesse et de la rue du Four pour y établir sa boutique (Fig. 55). La famille Laclef, artiste-peintre et marchand de couleur de père en fils, est l'ancêtre maternel direct de la famille Lefranc. La grande marque prend donc ses racines par ce commerce d'épices dans le quartier de Saint-Germain à Paris. Ces locaux marquent la longévité et la stabilité de la tradition familiale de l'entreprise, car ils seront occupés par Lefranc jusqu'en 1912, date de la démolition de cet hôtel particulier. Dès 1753, la marque augmente son prestige : Charles Laclef est le fournisseur officiel des peintures du château de Versailles. Son travail le mène à «formuler des couleurs pures, stables, et non nocives»105. Sa renommée s'étend alors auprès des artistes et du public. En 1775, l'enseigne «A la clef d'argent» est fondée par Jean-Baptiste Laclef, fils de Charles Laclef. En 1825, l'entreprise familiale prend

105 Site officiel de la marque Lefranc Bourgeois : https://www.lefrancbourgeois.com/fr/accueil/heritage-savoir-faire/#de-1720-a-2017

34

le nom de Lefranc Frères sous Jules et Alphonse Lefranc. En 1836, les frères Lefranc font bâtir une usine à Grenelle (Fig. 57), spécialisée dans la fabrication des couleurs et vernis pour l'industrie et le bâtiment. Il s'agit de la première usine en France consacrée à la fabrication des couleurs et vernis, pour surpasser la concurrence anglaise de Winsor & Newton. En 1859, Lefranc marque un impact considérable dans le domaine artistique grâce à la commercialisation de tubes améliorés par le bouchon à vis pour mieux conserver les couleurs grâce à cette fermeture étanche, permettant ainsi aux artistes de peindre en plein air : la marque s'adapte aux volontés des artistes paysagistes puis impressionnistes. Le véritable tournant s'opère donc avec Alexandre Lefranc. Dans les années 1870, il lui donne sa dimension industrielle. 1867 est la date du déménagement de l'usine de Grenelle vers Issy-les-Moulineaux (Fig. 58), à cause de l'extension des limites de Paris. L'usine ne devait pas se trouver à l'intérieur de l'enceinte car elle était jugée

« insalubre, dangereux et incommode »106. C'est lui aussi qui fait mener des recherches et examens scientifiques sur les oeuvres anciennes pour se rapprocher des techniques picturales présentes en Flandres et à Venise aux XVIème et XVIIème siècles. De ces recherches découlent la création et la vente des médiums Flamands et Vénitiens, mais aussi la mise à l'écart de matériaux dangereux ou non solides. Par-là, Alexandre Lefranc s'inscrit dans la lignée directe des principes initiés par Charles Laclef, et qui sont restés depuis les fondements de la maison Lefranc Bourgeois. C'est à partir de cette époque aussi que les découvertes des couleurs s'enchaînent et font la réputation de l'entreprise : le Jaune de Naples, flatté par le peintre Jean-François Millet107, les laques provenant de la garance naturelle, venues de Strasbourg après la guerre de 1870, le Vert de Cadmium en 1911, le Bleu Saphir en 1913, les Rouges et Verts de Cadmium, réputés pour leur opacité et leur résistance à la lumière, le Blanc de Titane très couvrant en 1922, et une gamme de couleurs transparentes conçues pour les glacis en 1950. En 1885, l'entreprise change son nom en Lefranc&Cie, et vend ses produits en Italie, Belgique et Allemagne.

106 Pascal Labreuche, Pratique des Arts, Lefranc Bourgeois - Histoire de marque, France, Diverti Editions, Hors-série août 2020, p.7

107 Jean-François Millet (Gruchy, 1814 - Barbizon, 1875), peintre, pastelliste, graveur et dessinateur français.

35

La réputation de l'entreprise Lefranc n'est donc plus à faire. La qualité de leurs matériaux est connue, reconnue et vérifiée. Lefranc se spécialise autant dans les couleurs fines pour les peintures sur chevalet, que dans les couleurs plus grossières pour la décoration, lesquelles sont très appréciées par Gauguin qui écrit qu'il les trouve meilleures108. Lefranc réunit les activités de commerçant et fabricant, dont les produits sont revendus par de nombreux marchands de couleurs parisiens dès le XIXème siècle. Clotilde Roth-Meyer recense une cinquantaine de marchands concernés par cette action de revente entre 1876 et 1877. Le guide Labreuche dispose du plan interactif en ligne, répertoriant toute l'activité des implantations géographiques des boutiques, bureaux et usines des marques Lefranc, Bourgeois Aîné et Lefranc Bourgeois.

Parallèlement à l'expansion mondiale de l'entreprise Lefranc, l'histoire de Bourgeois se forme depuis 1867, date de la création de Bourgeois par Joseph Bourgeois Aîné. Il découvre «la manière d'extraire la garance pour la mise au point de la laque de garance»109, et établit son commerce à Paris, au 31 rue du Caire, et son usine au 22 rue Claude Tillier et 20 passage du Génie de 1867 à 1965. Cependant l'histoire semble bien plus ancienne, puisqu'elle prend ses racines au début du XIXème siècle lorsque Charles Bourgeois110, peintre, chimiste et fabricant de couleurs, publie en 1823 une édition révisée grâce aux connaissances de la chimie moderne, du traité de Watin111. Charles Bourgeois monte une enseigne quai de l'Ecole, nommée « Au spectre solaire ». Il prend pour mission de « fournir aux artistes des matériaux aussi beaux et durables que ceux des maîtres anciens »112. A ce titre, le carmin rouge, la laque de garance et le jaune d'étain deviennent sa spécialité. La reconnaissance de ses produits s'opère en 1814, grâce à l'article dans le Journal des Arts d'Alissan de Chazet113, qui recommande la qualité des couleurs

108 Clotilde Roth-Meyer, Les marchands de couleurs à Paris au XIXème siècle, Paris IV, 2004, p.118

109 Archives de l'ancien site officiel de Lefranc Bourgeois

https://web.archive.org/web/20160527205612/http://www.lefranc-bourgeois.com/beaux-arts/produits-HISThistorique.html

110 Charles Bourgeois (1759 - 1832), L'art du peintre, doreur et vernisseur, Paris Belin-Leprieur, 1823

111 Jean-Félix Watin (1728 - ?), L'art du peintre, doreur, vernisseur, Paris, Chez Grangé, imprimeur-libraire, au Cabinet Littéraire, 1774.

112 LABREUCHE, 2011, p.155

113 René André Balthazar Alissan de Chazet (Paris, 1774 - Paris, 1844), auteur dramatique, poète, romancier français.

36

vendues par Charles Bourgeois, après avoir constaté des altérations chromatiques rapides lors des Salons précédents dès 1800 environ. Ceci constitue l'histoire ancienne de Bourgeois qui deviendra ensuite l'entreprise que nous connaissons. Cependant Bourgeois prend le tournant industriel dans le siècle suivant. De 1897 à 1912, nous lui connaissons une usine à Montreuil, 57 rue Armand-Carrel. L'entreprise déménage de 1912 à 1938 au 18 rue de la Croix-des-Petits-Champs, puis de 1938 à 1965, son usine et ses bureaux se trouvent au 18 passage du Génie. La marque s'attache elle aussi à la confection des couleurs «non dangereuses", et devient par là un concurrent sérieux de Lefranc. En 1955, Bourgeois lance la gamme Flashe, première peinture vinylique. Ce sont des couleurs synthétiques stables, indélébiles, au rendu mat et velouté, et proposant un séchage rapide et une très bonne adhérence sur de nombreux supports.

L'histoire de Bourgeois est moins documentée que celle de Lefranc qui la publie depuis 1880-1890, et lance leur agenda «Mémento Lefranc» en 1908. Pour Bourgeois, les archives sont conservées par Colart au Mans, et c'est une série de photos datant du début du XXème siècle qui permet de documenter sur l'ampleur de la société via la taille du magasin, des usines, du stock de leur production, et de leurs machines114. Les ouvrages édités par Bourgeois sont davantage tournés vers les amateurs et débutants pour démocratiser la pratique de la peinture. Ces ouvrages portent donc des noms comme La peinture vaporisée, ou encore Nouveau procédé de décoration n'exigeant aucune notion de dessin ou de peinture115.

Ces deux entreprises ont pu réunir leurs points communs et leurs qualités en 1965. La société s'installe ensuite au Mans en 1966, qui est toujours le lieu regroupant l'usine et le siège social. En 1982, le groupe AB Wilh. Becker, formé par Carl Wilhelm Becker en 1865, reprend l'entreprise Lefranc Bourgeois. Celle-ci fait désormais partie de la compagnie Colart, gérée par le groupe AB Wilh. Becker, lui-même détenu par Lindéngruppen, entreprise familiale suédoise axée sur le développement des entreprises industrielles.

114 Clotilde Roth-Meyer, Les marchands de couleurs à Paris au XIXème siècle, Paris IV, 2004, p.165

115 Idem, p.247

37

2. Lefranc Bourgeois et les artistes : la collaboration avec Claude Yvel

Ce lien avec les artistes constitue l'une des particularités de la politique commerciale innovante de Lefranc. L'entreprise suit la tradition ancienne qui combine le marchand et fabricant de couleurs à l'activité de marchand d'art. Elle fait tout pour accompagner les artistes dans tous les aspects pratiques de leur carrière, et ceci grâce à l'édition, la domiciliation lors des Salons, ou encore l'organisation d'expositions. Lefranc publie des ouvrages pour les artistes et les amateurs, dont la revue trimestrielle Memento Lefranc de 1909 à 1939, devenue L'Art de la couleur. Cette revue permet aux spécialistes des couleurs, critiques d'art et autres personnalités de s'exprimer sur les sujets pour en faire part à un public de spécialistes ou d'amateurs. De plus, Lefranc loge les artistes provinciaux lors des Salons, dans la boutique Lefranc dans les années 1840 jusqu'à la fin du XIXème siècle environ. Ces activités se complètent par l'organisation d'expositions, qui ont lieu dans une salle dédiée au plafond vitré, au sein du siège de la société rue de la Ville-l'Evêque (Fig. 61). C'est la galerie Alexandre Lefranc, mise à la disposition des artistes pendant plusieurs décennies.

Alors que Lefranc est devenue une marque de fabrication de couleurs à l'échelle mondiale, la production industrielle en grande quantité soulève la méfiance des artistes. Pour conserver la confiance et le lien avec les artistes, Lefranc initie les collaborations avec des peintres, aboutissant à la création et la vente de nouveaux produits, depuis les années 1880. Cette démarche permettant aux artistes de partager leurs recherches avec des professionnels, se retrouve pourtant dès l'origine de la marque Lefranc en 1720. En effet, c'est ce travail commun entre le marchand de pigments et d'épices à la fois apothicaire, Charles Laclef et le peintre Chardin qui initie cette démarche et fait naître cette industrie des beaux-arts. La fonction de Laclef est d'abord de remplacer les élèves pour le broyage des pigments et l'élaboration des liants.

38

Mais la première collaboration de Lefranc à proprement parler, se fait dans les années 1880 avec le peintre Jean-Georges Vibert116. Vibert est davantage connu pour ses activités de chimiste et la création de ses produits, que pour ses oeuvres peintes. Il s'attache à la reconstitution de procédés anciens par ses recherches sur le vernis pour la peinture à l'huile et les recettes d'anciens procédés de couleurs de la peinture à l'oeuf. Ce qui permet à Lefranc de publier en 1890 la Notice sur les vernis au pétrole employés pour la peinture à l'huile tiré de son Extrait du cours à l'Ecole des beaux-Arts sur les procédés matériels de la peinture. La gamme de produits Vibert est fabriquée en collaboration avec Lefranc&Cie, et le vernis à retoucher surfin de Vibert porte toujours son nom et est encore en vente dans le magasin Lefranc Bourgeois. Par cette collaboration, Vibert montre que l'usine fournit toutes les garanties pour une bonne fabrication de ses produits. Ce premier essai devient un modèle pour les autres artistes, car son succès ne se dément pas encore aujourd'hui. Ces collaborations favorisent tout autant les peintres que le fabricant. Pour les peintres, leurs recherches ont cette possibilité d'être matérialisées pour améliorer leurs procédés. Pour le fabricant «l'invention et la création de nouveaux produits sont à l'origine de formidables expansions"117.

L'histoire de la collaboration de Raoul Dufy118 avec la maison Bourgeois est remarquable pour le développement de la marque. Elle prend place dans le contexte de la commande à Raoul Dufy d'une décoration murale pour la paroi courbée du hall du Palais de la lumière et de l'électricité119, pour l'Exposition internationale120 de Paris en 1937. Raoul Dufy réussit une innovation technique spectaculaire dans son oeuvre la Fée Électricité121. Cette dernière fait 600m2, et a été réalisée grâce à une peinture spécialement mise au point pour cette occasion. Il s'agit d'une peinture légère, proche de la gouache, qui sèche rapidement. La matière picturale donne un rendu transparent comme l'aquarelle, permet une superposition des couches encore fraîches et un séchage de l'ensemble. La création de cette peinture a sollicité

116 Jean-Georges Vibert (Paris, 1840 - Paris, 1902), peintre et dramaturge français.

117 Clotilde Roth-Meyer, Les marchands de couleurs à Paris au XIXème siècle, Paris IV, 2004, p. 133.

118 Raoul Dufy (Havre, 1877 - Forcalquier, 1953), peintre, dessinateur, graveur, illustrateur français.

119 Palais de la Lumière et de l'Electricité : commande de la Compagnie Parisienne de Distribution de l'Électricité à l'architecte Robert Mallet-Stevens (Paris, 1886 - Paris, 1945), sur le Champs de Mars.

120 Exposition internationale à Paris du 25 mai au 25 novembre 1937.

121 Raoul Dufy, Fée Electricité, 1937, Paris, Musée d'Art Moderne de Paris.

39

l'expertise de Jacques Maroger122 pour son médium mis au point avec Marc Havel123. Le principe de ce mélange est une émulsion de «colle de peau allongée dans l'eau, en émulsion avec la couleur à l'huile plus 10% de gomme Dammar»124. Cette peinture est la base de l'inspiration qui mènera au développement de la Flashe, première peinture vinylique mise au point par Bourgeois Aîné en 1954. Cette gamme de couleur Flashe est encore à ce jour une icône de la maison Lefranc Bourgeois. Elle est née de cette première collaboration, mais en 1980 un autre artiste, Victor Vasarely125, a participé à son développement. Aujourd'hui, Flashe est disponible en soixante-seize couleurs, six couleurs fluorescentes et douze teintes iridescentes. La réussite d'une telle icône dans la création artistique s'avère être liée à ce travail d'échange entre des artistes et un fabricant spécialisé.

Cette réussite amène d'autres fabricants à proposer aux artistes des collaborations. Ceux-ci auraient donc pu se tourner vers d'autres entreprises, le choix étant ouvert. Cependant, dans la seconde moitié du XXème siècle, Claude Yvel a lui aussi effectué une collaboration avec Lefranc Bourgeois. Il est vrai que la longue histoire des collaborations donne une certaine garantie aux artistes quant au succès de la création de leurs produits. Lefranc Bourgeois est devenu à travers les années un gage de qualité et de réussite. De plus, nous l'avons vu, depuis Alexandre Lefranc, c'est une tradition de la marque de s'intéresser aux procédés anciens. Cet intérêt se retrouve dès la première collaboration de Lefranc avec le peintre Vibert. C'est précisément la démarche que suit Claude Yvel, dont les recherches l'ont mené à redécouvrir les techniques de la peinture à l'huile des maîtres anciens du XVIème au XVIIIème siècles. En collaboration avec Lefranc Bourgeois, Claude Yvel a créé quatre produits : l'huile noire, le vernis gel, les imprimeures rouge et grise (Annexes III, Tableau 3). Ces produits ne sont désormais plus commercialisés par cette marque à cause du plomb présent dans l'huile noire et présentant un danger pour la santé des artistes, aspect qui se trouve contraire à l'esprit de l'entreprise Lefranc

122 Jacques Maroger (Paris, 1884 - Baltimore, 1962), peintre, restaurateur d'oeuvres d'art, chercheur, directeur du laboratoire du musée du Louvre.

123 Marc Havel (France, 1901- ?), chimiste chez Bourgeois aîné puis Lefranc Bourgeois. Il a travaillé à la création de la Flashe, gamme de peinture iconique de Lefranc Bourgeois, dans les années 1950.

124 Pratique des Arts, Lefranc Bourgeois - Histoire de marque, France, Diverti Editions, Hors-série août 2020, p.27.

125 Victor Vasarely (Pécs, 1906 - Paris, 1997), plasticien hongrois naturalisé français, chef de file de l'art optique.

40

depuis Charles Laclef au XVIIIème siècle. Mais ils font l'objet d'une fabrication exclusive de la part du fabricant Kremer, mis à part les imprimeures.

L'histoire de la collaboration de Claude Yvel avec les usines Lefranc Bourgeois est aussi celle d'une amitié entre un peintre et un chimiste, Marc Havel. Celle-ci intervient dans un contexte où Lefranc Bourgeois essayait de vendre de nouveaux produits. Ils faisaient donc tester leurs nouvelles gammes par les peintres, pour en assurer l'approbation et la promotion. Les chimistes de l'entreprise venaient apporter les produits à la Cité fleurie, boulevard Arago, dans l'atelier d'Henri Cadiou où Claude Yvel travaillait. C'est là que Marc Havel est venu apporter une première version du vernis-gel, qui sera le point clé de leur collaboration future. La véritable rencontre entre Marc Havel et Claude Yvel prend place lors d'une exposition au Musée des Arts Décoratifs, où monsieur Havel présentait ce gel de Lefranc Bourgeois.

Les recherches de Marc Havel se sont fondées sur les livres de Mérimée126 et de Maroger (Annexes II, Histoire des recherches sur le vernis-gel). Elles ont ainsi abouti à une première version du vernis-gel, qu'il nomme médium flamand. La recette est exposée dans son livre La technique du tableau127, préfacé par Gérald van der Kemp128. Celui-ci le considère comme une mise au point des recherches menées depuis soixante-dix ans par Maroger, Anquetin129 et Paulet. Marc Havel note que «presque toutes les recettes des manuscrits comportent de la litharge (céruse calcinée). L'idée est sans doute venue de la médecine, car ces huiles au plomb s'appellent emplastiques»130. Elles ont été reprises par Claude Yvel pour la suite. Marc Havel avait trouvé la preuve visuelle de l'emploi de ce gel dans la peinture flamande, dans le détail de la palette tenue par saint Luc, du tableau Saint Luc peignant la Vierge de Maarten van Heemskerck. Claude Yvel poursuit ce travail sur

126 Jean-François-Léonor Mérimée (Chambrais (Broglie), 1757 - Paris, 1836), père de Prosper Mérimée (Paris, 1803 - Cannes, 1870), élève de David, Gabriel-François Doyen (Paris, 1726 - Saint-Pétersbourg, 1806) et François-André Vincent (Paris, 1746 - Paris, 1816), ami de Jean-Antoine Chaptal (Badaroux, 1756 - Paris, 1832), directeur de l'Ecole des Beaux-Arts et cofondateur de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale.

127 HAVEL, 1979.

128 Gérald Auffret Van der Kemp (Charenton-le-Pont, 1912 - Neuilly-sur-Seine, 2001), conservateur de musée français.

129 Louis Emile Anquetin (Etrépagny, 1861 - Paris, 1932), peintre français.

130 HAVEL, 1979, p.46.

41

Mérimée en complétant la recherche via les écrits d'un manuel Roret131, de Théodore Turquet de Mayerne, M.F.H. Thorps, Eastlake132 et Georges Halphen133. Eastlake relève une recette du gel attribuée à Van Dyck134, dans un manuscrit du XVIIème siècle aujourd'hui perdu. Les incertitudes sont donc nombreuses autour de l'authenticité de cette recette et sa provenance. Néanmoins, elle mentionne que la composition du vernis-gel comprend deux éléments qui doivent être mélangés à volume égal : une huile cuite avec de la litharge et un vernis au mastic. La recette attribuée à Van Dyck emploie le blanc de plomb comme agent siccatif, qui a été remplacé par la litharge chez Claude Yvel. Les propriétés siccatives de cette dernière sont très importantes, car c'est un «oxyde naturel de plomb»135, ou bien du «protoxyde de plomb fondu puis cristallisé en lames»136. Au contact de cette matière métallique qui est le plomb, l'huile devient plus siccative. Cette réaction est possible avec du plomb seul, mais la litharge étant un protoxyde de plomb, l'oxygène contenu dans ce produit donne un «effet plus énergique»137 selon A. Romain138. D'après les expériences comparant plusieurs matières métalliques, dont le minium, la céruse, l'acétate de manganèse et la litharge, Thorps en déduit que la meilleure est la litharge pour son temps de séchage plus court, la faible proportion nécessaire pour un effet satisfaisant, une apparence presque incolore. Dans son livre, Claude Yvel donne la recette avec toutes les étapes de préparation imagées et des conseils pour garantir la bonne qualité de cette gelée transparente. Les deux préparations citées dans la recette attribuée à Van Dyck, sont mélangées à volume égal, et cinq à dix minutes après, ce mélange prend en gelée, qui doit être conservée dans un tube métallique si possible. Pour un résultat limpide et clair, il faut laisser le temps aux deux préparations de décanter et de vieillir à l'abri de l'air.

131 Nouveau manuel complet du fabricant de vernis de toute espèce, Paris, 1977.

132 Sir Charles Lock Eastlake (Plymouth, 1793 - Pise, 1865), peintre et historien d'art britannique, président de l'Académie royale de Grande-Bretagne.

133 Georges Halphen (France, 18XX - 19XX), ingénieur chimiste, chimiste au laboratoire de Ministère du commerce.

134 Antoon van Dyck (Anvers, 1599 - Blackfriars, 1641), peintre et graveur flamand.

135 Définition de la litharge, premier sens, Dictionnaire de l'Académie française.

136 Idem, second sens, employé comme tel par Claude Yvel.

137 A. Romain, Manuels-Roret, Nouveau manuel complet du fabricant de vernis de toute espèce, Paris, 1977, p.390-391.

138 A. Romain (18XX - 19XX), ingénieur, ancien élève de l'Ecole Polytechnique.

42

Le vernis-gel de Claude Yvel a été mis au point et confié à un chimiste139 de Lefranc. Un tube de la préparation et sa recette sont restés chez Lefranc pendant un temps sans nouvelles, car le chimiste, en fin de carrière, les avait laissés et quitté l'entreprise sans s'en occuper. Cependant, l'histoire se poursuit lorsqu'un autre chimiste du nom de des Roseaux140, le contacte pour lancer la fabrication de ce produit en collaboration avec Lefranc Bourgeois. C'est alors le début de cet échange fructueux entre l'artiste et ce chimiste, qui va conduire à la fabrication du vernis-gel, de l'huile noire et des imprimeures rouge et grise.

L'huile noire est une préparation nécessaire pour obtenir le vernis-gel. Ce liant a été l'objet des recherches de Mérimée, Maroger, Marc Havel, avant d'aboutir avec Claude Yvel. Le premier, Mérimée a pris conscience de la présence de la litharge comme ingrédient principal des médiums anciens puisque «c'est aussi l'oxyde de plomb qui a le plus d'action sur l'huile»141. Pour obtenir une huile siccative incolore, il conseille d'employer de l'huile de lin ou de noix et de la mélanger avec de la litharge. La litharge doit se trouver sous forme de poudre très fine pour favoriser sa dissolution dans l'huile lors de la cuisson. Après cette étape, la surface de l'huile se recouvre d'une mince pellicule si elle est suffisamment siccative. Sa couleur est brune mais transparente après un temps de repos. Dès 1830, Mérimée souligne que la combinaison huile-litharge peut donner deux sortes de préparations : l'huile noire siccative dont nous venons de parler, et une sorte de matière emplastique dite savon, dont il tirera le vernis des Anglais. Il avait aussi compris l'avantage de mettre du plomb dans l'huile pour favoriser la ductilité du liant et maintenir la structure de la touche.

Selon Maroger, cette huile noire a été inventée par Giorgione, et «était la base de la technique des Italiens de la haute Renaissance et de leurs successeurs jusqu'au début du XIXe»142. La composition peut se trouver avec de la céruse (carbonate basique), de la céruse calcinée (protoxyde de plomb) ou de la litharge

139 Chimiste dont le nom reste inconnu après interrogations auprès de Claude Yvel et des archives de Colart.

140 Mention d'un B. des Roseaux (peintures Lefranc Bourgeois), dans Naoko Sonoda, Jean-Paul Rioux, Alain René Duval, Studies in Conservation, Identification des matériaux synthétiques dans les peintures modernes. II. Pigments organiques et matière picturale, Taylor & Francis Group, 1993, p.125.

141 MERIMEE, 1830, p.58.

142 MAROGER, 1986, p.104.

43

(oxyde de plomb). Il en donne toutes les étapes en précisant les proportions des ingrédients et les degrés de cuisson à respecter. Maroger souligne aussi les qualités supérieures de la litharge par rapport aux autres matières métalliques, car le plomb contenu n'est pas hydraté donc ne forme pas d'écume lors de la cuisson, de plus «l'huile faite avec de la litharge est plus épaisse et siccative»143. Il tire la recette des traités de Watin et de Mayerne, qui conseillent tous deux d'attendre que le plomb en suspension soit déposé au fond de la bouteille d'huile, avant d'en faire usage. L'utilisation est aussi précédée d'une étape de filtrage et décantation dans une autre bouteille. Le filtrage améliore les propriété siccative et donne un rendu plus limpide. Pour contrôler les coulures dues à sa consistance savonneuse et très fluide, Maroger conseille d'y ajouter de la cire comme les Italiens.

Claude Yvel en a formulé une recette retrouvée d'après des traités anciens, dans le manuel Roret, qui est consultable dans toutes les étapes dans son livre sur les techniques à l'huile. Ainsi, l'huile noire se compose d'huile de noix chauffée avec une once de litharge. La cuisson dure deux heures à une température autour de 105°C à 110°C. La couleur de l'huile évolue de l'orangé vers le brun clair après cuisson. Sa conservation est très bonne à l'abri de l'air, mais à la lumière du jour elle se décolore. Le plomb ajouté à l'huile, a la propriété de donner de la souplesse à la peinture. Claude Yvel l'utilise lors du broyage des pigments. Le plomb minéral contenu dans cette huile est séparé du plomb liquide, lors du filtrage. Ce jaune de plomb est ainsi stabilisé, comme le massicot. Cependant, les produits vendus portent la mention poison sur l'étiquette comme l'exige la loi.

Dans l'atelier, des rouleaux de toiles préparées sont suspendus au plafond. Ce sont les témoins de la collaboration du peintre avec Lefranc Bourgeois pour les imprimeures rouge et grise. Ces dernières étaient commercialisées sous forme de pots. L'idée de préparer ce produit lui vient de l'observation des tons différents des carnations de Velasquez. Elles sont tantôt argentées si le fond est gris, tantôt dorées, si la préparation est rouge. La recette est présente dans le traité de Watin, qui conseille d'employer du brun rouge mélangé à de l'huile de noix cuite avec de la litharge. Cette préparation obtient ainsi une couleur assez épaisse pour être étendue

143 Idem, p.105.

44

sur la toile avec un couteau. Le brun rouge peut être un pigment naturel ou artificiel, obtenu par la calcination de plusieurs types d'ocres jaunes. Elle a été employée comme couleur unique, ou bien comme une première couche préparatoire avant d'être recouverte d'un gris composé de céruse et de noir de charbon. Cette couche grise est constituée avec un mélange d'huile de noix et d'huile de lin, plus siccative que la première. Cette double couche de préparation rouge et grise est ce qui caractérise les oeuvres des XVIIème et XVIIIème siècles. Claude Yvel a donc retrouvé ces recettes, pour appliquer ces principes anciens de superposition de couches hétérogènes et d'utilisation de la litharge pour améliorer la siccativité. Ces informations ont été, cette fois encore, retrouvées dans le livre de Mérimée. Celui-ci précise que le problème de grains apparents à la surface de la couche picturale, comme Rey144 l'a soulevé, est due aux grains de litharge, mais n'aurait pas lieu si ce matériau était parfaitement broyé. Mérimée a pu beaucoup approfondir cette question de préparation des toiles à peindre. En effet, il était membre du jury central et secrétaire du jury de l'Exposition industrielle de 1819, où apparaissent les toiles à peindre innovantes de Rey. De plus, il participe aux recherches sur les toiles à peindre de Vallé145, qui ont reçu un rapport élogieux de Péligot146 en 1842. Mais d'après ses propres expériences, Claude Yvel recommande cette double préparation de rouge et de gris, reprenant aussi le discours d'Oudry147 à l'académie de peinture en 1752. Oudry se défendait d'employer une imprimeure blanche car, selon lui, elle gênait lors de la mise en place des valeurs, provoquait un phénomène d'opalescence suivant lequel les couleurs claires se réchauffent. Selon une remarque de Claude Yvel, cette double couche d'ocre puis de gris est une tradition présente dans la carrosserie automobile, avant de peindre la couche colorée, même si celle-ci est blanche.

Ces médiums étaient des secrets d'atelier, détenus par les maîtres anciens. Ils étaient un élément essentiel pour caractériser leur manière. Le gel employé par Rubens est ce qui lui permit de maintenir sa touche vive, conservant les empreintes

144 Etienne Rey (Lyon, 1789 - Lyon, 1867), peintre, graveur, membre de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon.

145 Pierre-Auguste Vallé (1801 - 1845), marchand de couleurs et restaurateur de tableaux, élève et successeur du peintre Michel Belot (1768 - 1824).

146 Eugène-Melchior Péligot (1811-1890), chimiste, professeur au Conservatoire des arts et métiers.

147 Jean-Baptiste Oudry (Paris, 1686 - Beauvais, 1755), peintre et graveur français.

des gestes des brosses et pinceaux, permettant une exécution rapide et de qualité, ce qui a fortement contribué à sa réputation internationale de son vivant comme à travers les siècles. Cependant, avec les siècles, la transmission dans les ateliers a disparu. Cette perte des médiums anciens a intéressé des chercheurs depuis Mérimée, et a connu un fort engouement après la Seconde Guerre mondiale148 lors de la création du premier gel par Maroger. Ces recherches ont mobilisé un grand nombre d'artistes, scientifiques et restaurateurs que nous avons cités plus haut, avant d'aboutir avec Claude Yvel à une production en collaboration avec l'entreprise Lefranc Bourgeois. Ces médiums ont été employés par les peintres en France dès leur première formulation par Maroger qui transmettait ses recherches à Marc Havel au-delà de l'Atlantique. Mais leur succès s'est étendu grâce à la diffusion via Lefranc Bourgeois, qui a permis leur utilisation par un plus grand nombre. Aujourd'hui la collaboration avec Lefranc Bourgeois a cessé, et c'est Kremer qui en a repris la création. Kremer met à disposition de ses clients la gamme Claude Yvel qui comprend l'huile noire, le vernis-gel à peindre, le vernis mastic, et le vernis mastic avec baume du Canada.

B. Les matériaux Lefranc Bourgeois dans l'atelier parisien de

Claude Yvel

Claude Yvel s'est principalement attaché à retrouver les pigments naturels utilisés par les maîtres anciens. Il en a formé un ensemble de trente-et-un pigments (Fig. 41), qu'il caractérise dans son livre. Cependant, sa collection se compose de nombreux flacons portant la mention L.B. pour Lefranc Bourgeois sur les étiquettes. Une date antérieure à 1965 peut être donnée à certains, grâce aux étiquettes précisant un seul nom (Lefranc ou Bourgeois). A l'intérieur se trouvent des pigments naturels, mais la plupart sont des pigments de synthèse. Ils sont employés par le peintre, car leur réputation de solidité s'ajoute à son histoire plus personnelle avec la marque. Ils sont ici étudiés dans l'ordre des tiroirs du meuble à couverture de granit où ils sont rangés, qui est le même dans le tableau en annexe (Annexes III, Tableau

45

148 Seconde Guerre mondiale (1939 - 1945).

46

1). Chaque pigment cité a été retrouvé dans le catalogue149 de matériaux Lefranc de 1934 conservé par Claude Yvel, attestant de leur ancienneté sur le marché. Quelques exceptions sont relevées concernant le bleu azural, le bleu d'Orient, le blanc de fresque et le blanc couvrant de fresque, le noir de mars, le bleu de paon et le jaune batavia. Leur cas sera donc davantage détaillé, selon les informations retrouvées, à la suite.

1. Pigments bleu et vert

Ces pigments sont tous des pigments inorganiques de synthèse. Leurs noms reportés sur les étiquettes sont tous connus et reconnus. Chez Lefranc Bourgeois, nous avons le bleu azural, bleu cæruleum, bleu cobalt, Outremer clair, vert de chrome et vert émeraude. De Lefranc, le bleu d'Orient et de Bourgeois, la Cendre d'Outremer.

Deux d'entre eux ne figuraient pas dans le catalogue Lefranc de 1934. Il s'agit du bleu azural et du bleu d'Orient. Le premier désigne le bleu de manganèse, «il figure au catalogue d'octobre 1938 de la maison Lefranc comme une nouveauté sous le nom de bleu Azural»150. Le baryum et le manganèse présents dans sa composition, bien qu'en faible quantité, le rendent toxique. Sa toxicité devait être mentionnée sur son contenant d'origine. Le second, bleu d'Orient, serait un des nombreux noms commerciaux attribués à un dérivé développé à partir du pigment PB15. Ainsi, les noms retranscrits sur les étiquettes ne sont pas toujours ceux donnés officiellement par leur créateur. Ils sont parfois le reflet d'une tradition orale, une appellation courante à une certaine époque. De plus, les contenants ayant été changés depuis dans des flacons de verre, les avertissements sur la toxicité des produits sont absents.

149 Lefranc, Couleurs fines et matériel pour la peinture à l'huile, Paris, Lefranc, 1934, p.20-23. Le catalogue a été récupéré par Claude Yvel avant la destruction de l'usine Lefranc à Issy-les-Moulineaux.

150 PEREGO, 2005, p.113.

47

De manière générale, ces pigments bleu de synthèse ont été développés au XIXème siècle, mais leur usage s'est perdu progressivement dans les années 1970, pour le vert de chrome, ou 1980, pour le vert émeraude. Ils ont été remplacés par des produits moins coûteux, comme le vert de phtalocyanine.

2. Pigments noir et blanc

Ces pigments de Lefranc Bourgeois se composent des blanc fresque et blanc couvrant fresque, dénominations qui ne se retrouvent pas dans le catalogue Lefranc ni dans le Dictionnaire des matériaux du peintre151. Pour les noirs, la collection comprend un pigment minéral, la terre d'ombre brûlée, des noirs de carbone, noir d'ivoire et noir de vigne, et deux pigments qui ne figurent pas dans le catalogue Lefranc de 1934, le noir de Mars et le bleu de paon.

Le noir de Mars est un pigment à base d'oxyde de fer noir, contrairement aux autres noirs de carbone. Il a une teinte qui tire un peu sur le rouge, opaque et à haut pouvoir colorant. C'est un pigment inorganique naturel ou de synthèse, d'utilisation assez récente. En effet, les auteurs du XIXème siècle n'en parlent pas, et Jean-Georges Vibert non plus au début du XXème siècle, alors même qu'il appréciait les autres couleurs de Mars.

Le bleu de paon, serait un dérivé du bleu de phtalocyanine, pigment organique de synthèse. Mais ce nom n'apparaît pas dans les synonymes répertoriés dans le Dictionnaire des matériaux du peintre152. Il se retrouve cité dans une partie qui ne correspond pas à sa teinte, car ce travail reprend l'ordre et le rangement mis en place par Claude Yvel.

3. Pigments jaune et ocres

151 PEREGO, 2005.

152 Ibidem.

48

En provenance de Lefranc Bourgeois, nous trouvons trois jaunes de cadmium différents : les teintes citron, clair, moyen. Ce sont des pigments inorganiques de synthèse, apparus chez Lefranc en 1855 en deux tons. Ils étaient alors très coûteux. Puis, l'ocre jaune et la terre de Sienne naturelle, qui sont des pigments minéraux d'origine, mais remplacés par des oxydes de fer synthétique au XXème siècle dans l'industrie de la couleur. C'est probablement sous cette forme qu'ils sont conservés.

La marque Lefranc est représenté par deux pigments : le jaune de Naples et le jaune batavia en deux flacons. Le jaune de Naples est un pigment inorganique de synthèse, très réputé pour sa qualité chez Lefranc. Dans une lettre adressée à Alexandre Lefranc le 28 septembre 1874, Jean-François Millet s'exclame : «J'ai retrouvé mon jaune de Naples !»153. Lefranc proposait une version ancienne de ce pigment contenant du plomb et de l'antimoine, toxiques, alors même que depuis les années 1850 le jaune de Naples était peu à peu abandonné et remplacé par les jaunes de cadmium. Au début des années 1970, les fabricants le suppriment de leurs catalogues. Lefranc l'a donc produit sous sa forme d'autrefois, de manière presque exclusive au XXème siècle compris, puisqu'il est présent dans le catalogue de 1934. Sa célébrité se confirme par sa présence dans la collection du Straus Center (Fig. 70). Le jaune batavia n'est pas un nom de pigment mentionné chez Lefranc, ni chez les autres fabricants de couleurs, ce qui explique son absence dans le Dictionnaire des matériaux du peintre. Il pourrait être relié au jaune de chrome, dont les appellations sont si nombreuses, que la liste donnée n'est pas exhaustive.

Bourgeois est cité sur le flacon de l'orpiment, pigment sous forme minérale, et synthétique majoritairement au XIXème siècle. Sa toxicité est bien connue à cause de l'arsenic contenue. Mais selon Claude Yvel, sa toxicité est encore plus dangereuse lorsque ce pigment est sous sa forme synthétisée du XIXème siècle.

4. Pigments orange et rouge

153 PEREGO, 2005, p.419.

49

Lefranc Bourgeois est encore largement représenté dans la gamme des rouge et orange. Le rouge de cadmium est en quatre teintes : clair, foncé, pourpre et orange. La gamme est complétée par le jaune de cadmium orange. Les cadmiums sont des pigments inorganiques de synthèse, allant du jaune pâle au rouge pourpre. Selon Claude Yvel, ces pigments modernes ont «fait leurs preuves»154, puisqu'ils sont stables et couvrants. Les rouges et verts de cadmiums ont vu le jour la même année chez Lefranc entre 1913 et 1922.

A ces couleurs de synthèse s'ajoutent une ocre rouge naturelle, phénomène assez rare pour être souligné, le rouge de Pouzzoles, et un pigment minéral, la Terre de Sienne brûlée. Le rouge indien, oxyde de fer rouge, peut se trouver sous forme naturelle, minérale ou de synthèse.

L'un des pigments les plus rares et précieux de la matériauthèque, est la garance foncée de Lefranc. Cette laque de garance a une histoire bien particulière, puisqu'il s'agit d'un pigment de synthèse dont la recette a été découverte par madame Gobert155. Cette recette de garance a obtenu la médaille d'or de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale156 en 1840. Les frères Lefranc font partie du jury de la Société depuis 1839. C'est à eux que madame Gobert a confié sa recette pour en assurer la production. Cependant, lors de la Seconde Guerre mondiale, un pavillon de l'usine Lefranc à Issy-les-Moulineaux a été bombardé, à cause de sa proximité avec les usines Renault qui étaient visées à l'origine. La recette était conservée dans ce pavillon, avec beaucoup d'autres, et a ainsi été perdue. Lefranc ne conservait plus qu'une boîte de cette garance, qui a été récupérée par madame Soutumier157. Cette dernière a offert le reste de cette boîte à Claude Yvel. Le peintre conserve la boîte originale dans son atelier à Beauchamps, tandis qu'à Paris la garance se trouve en faible quantité dans le flacon de verre nommé Garance foncée ou bien dans la petite boîte en plastique ronde et plate, à couvercle noir, dont l'étiquette mentionne simplement garance. Ce pigment est la

154 YVEL, 2003, p.110.

155 Dans Mémoires de l'Académie des sciences et de l'Institut de France, p.211-212, madame Gobert est citée pour la création de sept types de garance.

156 La Société d'encouragement pour l'industrie nationale est une association fondée en 1801, toujours en activité aujourd'hui, pour soutenir le service de l'industrie et les innovations technologiques en France.

157 Suzanne Soutumier (Paris, 1910 - Biéville, 2000), restauratrice et artiste peintre.

50

plus belle garance jamais réalisée selon Claude Yvel. Il m'a transmis le témoignage de monsieur Kremer qui, l'ayant vue et comparée avec sa propre garance, a affirmé que celle de madame Gobert était meilleure.

5. Gommes et résines

Sur l'étagère sous l'escalier de l'atelier, dans des bocaux en verre, est présentée une collection de gommes et résines (Annexes III, Tableau 4). Au nombre de quinze, elles ont été récupérées par Claude Yvel dans les années 1960 dans l'entrepôt de Bourgeois. Dans leur lieu d'origine comme celui actuel, elles ont été exposées à la lumière directe du jour. Elles ont donc jauni ou bruni, selon le phénomène d'oxydation propre à chacune.

La difficulté vient, là encore, de déterminer leur provenance et leur nature. Les étiquettes mentionnent souvent un lieu, qui correspond selon l'usage au port d'exportation du produit, bien que sa provenance originale en soit très éloignée. A ceci s'ajoute l'emploi global du mot gomme, qui peut désigner une gomme ou une résine.

Parmi les gommes, nous pouvons citer la gomme Bombay surfine blanche, la gomme coquilles surfine blanche, la gomme Sierra Leone surfine, la gomme Sydney fine granée, la gomme Zanzibar surfine et enfin la gomme adragante de Syrie. Les gommes de Sierra Leone et de Zanzibar pourraient être des gommes arabiques, puisque ce sont des régions proches du Sénégal et du Soudan, toutes deux réputées pour cette production. La gomme adragante de Syrie s'avère être la gomme la plus coûteuse, avec sa haute viscosité elle sert d'agglutinant pour les pastels ou de liant pour les gouaches.

Les résines seraient donc bien plus nombreuses dans la collection, puisque sous le terme de gomme se cache souvent des gommes laques. La gomme Manille friable et la gomme Calcutta grosse blanche sont des gommes laques, soit des résines naturelles. De même que la gomme laque cerise feuilles claires qui est une résine laque sécrétée par des cochenilles du genre Kerria, donnant ce liant d'origine

51

naturelle. Le Sticklac est une laque en bâton, sécrétée par les insectes laque de la famille des Kerriidae, incrustée sur des brindilles. La laque est retirée des brindilles, et ensuite purifiée pour donner une gomme laque liquide ou solide naturelle.

Les résines d'origine végétale sont la colophane blanche, la sandaraque lavée extra fine et le mastic en larmes. Sous sa forme industrielle et moins coûteuse, la colophane est une résine extraite d'une vieille souche de pin, distillée puis décolorée. Autrement, il s'agit d'un «résidu de distillation de la gemme dans la production de l'essence de térébenthine (colophane de gemme)»158. Le mastic en larmes est le suc du lentisque. Exposé aussi longtemps que les autres gommes et résines à la même lumière, il a peu jauni. C'est la résine utilisée par Claude Yvel pour sa recette de vernis car le mastic forme un film que ne pénètre pas l'humidité, facilement retiré il n'endommage pas la peinture, rend une surface plane avec des qualités optiques très recherchées par le peintre, grâce à sa pureté.

Le karabé jaune lavé et l'ambre jaune succin sont des résines naturelles fossiles. L'ambre est un matériau coûteux qui a donc été vendu en diverses qualités sous ce nom. Son usage se retrouve beaucoup en peinture à l'huile pour les médiums.

Cette collection de gommes et résines lui a été très utile dans ses travaux. Elles sont exposées comme des modèles dans son atelier. Les gommes, souvent plus utilisées dans les arts graphiques, ont été étudiées pour son livre sur les techniques à l'eau. De même les résines, et en particulier le mastic en larmes, ont abouti à la formulation d'une recette de vernis aujourd'hui commercialisée par Kremer.

Grâce à la bonne réputation et sa collaboration avec la marque, ses liens et connaissances avec des chimistes travaillant dans ces usines, Lefranc, Bourgeois et Lefranc Bourgeois sont très présents dans la collection de matériaux de Claude Yvel. Si ce travail se concentre principalement sur les pigments, les gommes et les résines, la marque est aussi inscrite sur les outils et d'autres matériels anciens,

158 PEREGO, 2005, p.221.

52

comme une louche bleue pour remuer la couleur dans la fabrication des pastels, un sabre, des couteaux et truelles (Annexes III, Tableau 5). Cette grande quantité de matériaux provenant de Lefranc Bourgeois ou de A la Momie, est un des marqueurs qui donnent le caractère exceptionnel de cette matériauthèque.

III. La place de cette matériauthèque dans les recherches actuelles

La collection de matériaux de Claude Yvel fait partie de ces ensembles de ressources historiques non renouvelables. La question de la sauvegarde, de l'étude et de la diffusion de ces collections trouve une réponse dans le domaine des matériauthèques. Ce secteur a été investi simultanément dans le dernier siècle, par de nombreuses institutions dans le monde ayant conscience de l'importance de cet héritage matériel pour la recherche, la conservation et encore bien d'autres disciplines. Les possibilités semblent multiples, mais la valeur de ces collections de matériaux est peu connue et reconnue. La diversité des appellations pour désigner une matériauthèque prouve bien que c'est un domaine encore en formation actuellement. Nous pouvons donc trouver les noms de matériauthèque, d'archives d'échantillons du patrimoine, de musée des matériaux, de collection d'échantillons, pour des institutions ayant toutes des projets et des fonctions à la fois convergents et novateurs.

A. Les enjeux actuels des matériauthèques

1. Etudier les matériauthèques existantes

La situation des matériauthèques a été le sujet de préoccupations récentes de la part de l'ICCROM. En effet, il y a une réelle nécessité de rassembler ces projets qui n'ont pas tous émergé au même moment dans des domaines similaires. Les

53

champs investis, pour le patrimoine, concernent l'architecture, l'archéologie, la peinture, la photographie et toutes les autres matières que nous ne citerons pas ici. Leurs formes étant diverses et les institutions menant des projets similaires étant isolées, l'organisation intergouvernementale promouvant la conservation du patrimoine culturel dans le monde s'est chargée de rassembler ces projets convergents dans une initiative commune nommée Heritage Samples Archives Initiative (HSAI). Le projet de l'ICCROM a rassemblé une quarantaine de posters de vingt-deux pays présentant différentes matériauthèques dans le monde. Toutes ne seront pas étudiées dans ce mémoire. Nous sélectionnerons les projets qui se rapprochent de la collection de Claude Yvel dans la nature des matériaux étudiés et des problématiques rencontrées.

Cet intérêt pour les collections de matériaux associées à un laboratoire de recherche semble naître au tournant du XXème siècle avec Edward Forbes aux Etats-Unis. Edward Waldo Forbes était directeur du Fogg Museum de Harvard, de 1909 à 1944. Il lance sa collection de matériaux centrée sur les pigments dans un but de préservation des oeuvres anciennes, en lien avec sa collection de peintures italiennes anciennes. Ainsi, il collecte des échantillons lors de ses voyages dans le monde entier. La collection conserve des pigments provenant de sites fouillés à Pompéi, du lapis lazuli directement venu d'Afghanistan, des pigments et liants japonais envoyés du pays par son frère William Forbes, ambassadeur américain au Japon dans les années 1930. Les collections sont donc des pigments anciens pour la plupart, dont la collecte a cessé après la Seconde Guerre mondiale. Ces pigments sont exposés selon un déroulement chromatique allant des bleus aux rouges. Les espaces de rangements sont des vitrines (Fig. 66), dans un espace moderne et vaste pour contenir ces 2700 échantillons environ159. La collection Forbes en comprend elle-même 3000 environ, séparés entre deux collections : le Straus Center et la collection privée Forbes au Institute for Fine Arts Conservation Center de l'Université de New York. Des sous-ensembles de ces collections sont répartis dans plusieurs laboratoires dans le monde.

159 Harvard Art Museums, Pigment Collection Colors All Aspects of the Museums, 21 octobre 2019

54

Il est nécessaire de noter ici que cette collection de matériaux est très vite liée à un laboratoire scientifique, car sa raison d'être est d'abord d'approfondir la connaissance des techniques de peinture anciennes, d'après sa collection d'art personnelle, et de «faciliter les travaux de recherche et de conservation»160. Le Département de la conservation et de la recherche technique est fondé dans cette optique en 1928 par Edward Forbes. Il est actuellement nommé Straus Center for Conservation and Technical Studies, département des Harvard Art Museums. La collecte de matériaux a repris récemment pour des pigments modernes et synthétiques, apparus sur le marché dans les soixante-dix dernières années. La collection est utilisée par les restaurateurs du Straus Center, dirigée actuellement par Narayan Khandekar, principal scientifique en conservation. Le Straus Center est accompagné dans ses démarches par la collection Gettens au sein des Harvard Art Museums. Cette collection regroupe 1600 échantillons de liants et vernis. Le laboratoire Gettens conserve aussi des diapositives documentant par des images le vieillissement naturel de la teinte d'une peinture en fonction de son liant. Ces échantillons sont avant tout des tests et des matériaux de références dans le laboratoire d'analyse. Cet exemple de la Collection Forbes de pigments, pourrait être le premier spécimen de matériauthèque, c'est-à-dire un lieu où sont stockés des échantillons de matériaux, conçue pour la conservation du patrimoine.

Ce sont les dernières décennies qui ont vu naître de nombreux projets de matériauthèques. L'ICCROM permet de leur donner cette dimension internationale pour «améliorer la reconnaissance, la préservation, la gestion, l'accès et l'utilisation des archives d'échantillons du patrimoine»161. Cette organisation établit «des bonnes pratiques, des politiques, des procédures, des outils et des méthodologies pour la gestion des archives d'échantillons»162, un cadre normé qui affirme d'une certaine manière la valeur de ce domaine. Durant les deux journées du webinaire 2021 « Découvrir les archives d'échantillons », les 29 et 30 novembre, l'ICCROM a mis en garde sur le fait que ces archives représentent une part importante du patrimoine qui est menacée. Le mot a été employé pour inciter les institutions à «leur sauvegarde

160 This is colossal, Harvard Pigment Library, Janvier 2016: traduction.

161 Initiative des archives des échantillons du patrimoine, site officiel de l'ICCROM.

162 Idem

55

physique, leur accès et leur utilisation". L'initiative est divisée en cinq groupes de travail qui sont ainsi présentés :

- « Valeurs et importance

Améliorer les méthodes de description et de communication des échantillons d'archives patrimoniales, notamment en ce qui concerne leur valeur pour les diverses parties prenantes.

- Catalogage et gestion des archives

Améliorer la préservation et l'utilisation des échantillons d'archives patrimoniales en fournissant des conseils et des outils pour établir des exigences de base minimales pour la gestion des échantillons d'archives.

- Accès et utilisation

Permettre un meilleur accès et une utilisation durable des échantillons d'archives patrimoniales en fournissant des conseils pratiques sur la manière de développer des politiques d'accès pour différents utilisateurs dans le cadre des ressources disponibles de l'organisation.

- Connexion des données entre les collections

Partager les informations sur les archives d'échantillons du patrimoine par le biais d'une plateforme commune gérable, modelée sur les informations minimales requises pour connecter les archives d'échantillons, en tenant compte des besoins des utilisateurs.»163

L'Initiative de l'ICCROM est cette possibilité de mise en relation de ces collections d'échantillons. Cette division des groupes et la date récente du webinaire montrent bien que ces questions sont au coeur des préoccupations internationales actuelles. De plus, comme le site de l'ICCROM l'a déclaré, la session de posters en ligne ne fait qu'annoncer l'atelier international ICCROM HSAI Connecting Collections, qui se tiendra du 13 au 15 juin 2022 à Evora, au Portugal.

Lors de la session de novembre, le poster Art reference materials collection of Edvard Munch - an original asset for research and innovation au Munch Museum (Fig. 63), a particulièrement retenu notre attention. Il s'agit d'une collection de

163 Initiative des archives des échantillons du patrimoine, site officiel de l'ICCROM.

56

matériaux originaux appartenant à l'artiste Edvard Munch. Le poster informe donc de l'état actuel de la collection et des projets futurs qui seront menés à son sujet. Elle est composée de 922 tubes de peinture de marques différentes, environ 300 crayons de pastel, de pigments en poudre, de palettes, d'ensembles d'aquarelles, d'encres, de brosses et chevalets, entre autres. Ces matériaux datent de la période d'activité du peintre, de 1890 à 1920. Ils sont dans un bon état de préservation, mis à part quelques tubes de peinture, des ensembles d'aquarelles, et des pots de pigment. Le déménagement du musée en 2021 a permis à la collection d'être entièrement révisée dans la configuration de son emballage et de son stockage. Des analyses ont été menées sur les tubes, crayons et palettes. Actuellement les conditions d'emballage et de stockage ont été améliorées et une mise en place de mesures de conservation préventive, soit des installations d'entreposage à climat contrôlé, est prévue. Cependant, la collection rencontre des problèmes au niveau de la provenance des matériaux, à cause de l'absence d'étiquettes ou du fait que le contenu ne correspond pas toujours chimiquement à ce qui est marqué sur le tube. De plus, il n'y a pas de preuve de leur acquisition, ni du pays de leur production, à part pour quelques pigments. Nous avons donc ici l'exemple d'une collection de matériaux dont l'intérêt n'est apparu que récemment. Un tel projet propose de nombreux axes de recherches sur les matériaux de peinture, les phénomènes de dégradation qui leur sont joints, et les marques des produits conservés. Le champ de recherche est très vaste et à caractère pluridisciplinaire. Ce cas précis montre enfin l'importance de la connexion des données entre les collections, comme le propose l'initiative de l'ICCROM, pour que ces informations numérisées puissent permettre d'identifier par comparaison des matériaux à la provenance inconnue.

En France, le RMF a présenté, lors de la séance des posters de l'HSAI, le projet CoRef, Conservation et Référencement des échantillons d'oeuvres (Fig. 62). La collection de matériaux, créée depuis soixante ans, concerne tout type et nature d'échantillons. Le nombre d'échantillons détenus s'élèvent à 40000 environ, avec une production de 1000 échantillons par an. La conservation et la gestion optimisées des échantillons permettent leur réexploitation et leur analyse avec des techniques nouvelles. Ainsi, les oeuvres concernées ne devront pas être prélevées à nouveau. La matériauthèque dispose aussi d'un espace de stockage et de conditionnements adaptés à une évacuation d'urgence. Le conditionnement se fait sur trois niveaux. Le

57

premier concerne le contenant de l'échantillon qui prend des formes diverses suivant le matériau et son utilisateur. Le deuxième niveau a celles de boîtes standardisées LAB qui ont quatre tailles différentes. Les contenants des échantillons y sont déposés, et ces boîtes sont organisées par oeuvres ou par programmes de recherche. Le troisième niveau concerne les caisses gerbables, stockées dans des compactus regroupés par catégories de matériaux. Les caisses sont indexées par type de matériaux, et numérotées suivant ce modèle : polychromie001, métal006, céramique003. De même pour les étagères et les travées. Tous ces éléments indexés sont enregistrés sur la base de données informatique, ce qui permet leur localisation rapide. CoRef envisage de développer un outil informatique permettant de lier l'échantillon avec une photo.

2. La question de l'accès à ces données

Tous les projets présentés lors du webinaire de l'ICCROM HSAI, convergent vers cette problématique de l'accès des données. Chaque matériauthèque, dans un but de conservation et de référencement des matériaux, crée une base de données. Les informations digitalisées sur ces plateformes sont une manière de conserver l'empreinte des matériaux, de les documenter, et de favoriser leur diffusion auprès des professionnels comme d'un public plus large, si la base de données se trouve en libre accès comme c'est le cas pour TMS, le projet de base de données du Munch Museum.

La session webinaire de novembre 2021 a été conclue par Paul Messier, directeur Pritzker du Lens Media Lab, qui fait partie de l'Institute for the Preservation of Cultural Heritage du campus ouest de Yale. Fondé en 2015 grâce au don du John Pritzker Family Fund, le Lens Media Lab prend exemple sur le Straus Center de Harvard. C'est la plus grande collection de référence mondiale de papiers photographiques. Bien que spécialisé dans le domaine de la photographie, le laboratoire investit des champs comme les eaux-fortes de Rembrandt, le verre américain du XVIIIème siècle et des peintures modernes sur toile. Cette institution étudie le développement d'une plateforme en ligne ouverte cataloguant les références des collections de matériaux. Le Lens Media Lab a deux projets : «étudier

58

les collections de référence de spécimens de matériel d'artiste et mener une étude de faisabilité pour une pratique de catalogage partagée»164 (trad.). Le projet est au coeur de cette problématique actuelle soulevée lors des conférences de l'ICCROM. La mission est d'évaluer la valeur potentielle que pourrait procurer un accès renforcé aux données de ces matériaux pour les domaines de l'histoire technique de l'art et la conservation. Pour ce faire, le Lens Media Lab s'appuie sur des institutions partenaires dans le monde entier, dont la Bibliothèque du Congrès. TIPP est leur base de données sur les matériaux, référençant des centaines d'échantillons de photographies cités dans les manuels internationaux de photographie de 1855 à 1900. La construction de la base de données a débuté à l'été 2016. Elle se concentre sur la numérisation d'images en haute résolution permettant de voir la texture de surface des papiers pour en créer un algorithme de classification. Le Laboratoire insiste sur leur futur projet de catalogue de fabricants, réalisé à partir des marques présentes au dos des papiers photographiques. De telles informations seront utiles pour dater les tirages et identifier les papiers.

Pour se concentrer de plus près sur les pigments, la collection Forbes est divisée en deux sections principales : la première est conservée au Straus Center dont nous avons déjà parlé précédemment, la seconde est une collection privée de pigments Forbes conservée au Institute for Fine Arts Conservation Center de l'université de New York. Il s'agit d'un ensemble de trois mille colorants, répartis en sous-ensemble dans des laboratoires du monde entier. Pour avoir une vue générale de cette collection, il a donc été primordial de les enregistrer dans une base de données. Cette base se nomme CAMEO165. L'enregistrement dans la base a deux avantages. D'une part, il conduit à approfondir la connaissance des matériaux référencés, par leur analyse. D'autre part, il permet une vue d'ensemble de la collection originale des pigments Forbes, par la réunification dématérialisée des échantillons d'un même matériau. À la suite du partage de la collection, un même pigment peut être conservé dans plusieurs endroits. Les enregistrements sont

164 Paul Messier, Project to survey reference collections of artist material specimens and to conduct a feasibility study for shared cataloguing practice, 19 juin 2018

165 CAMEO, Conservation and Art Materials Encyclopedia Online, est une base de données électronique, qui regroupe une base de données de matériaux et des collections de référence variées concernant les textiles asiatiques, l'analyse de colorant, une bibliothèque d'images de référence de fibre, la MWG (Materials selection & specification Working Group), les archives des colorants Uemura, et les pigments Forbes.

59

combinés lorsqu'il semble que les échantillons désignent un même pigment. C'est alors que les analyses sont primordiales pour des questions d'inventaire. La base de données CAMEO est en libre accès. Elle favorise donc la diffusion auprès d'un large public et offre ainsi à tous la vision de la composition d'origine de la collection.

Cependant il s'agit encore d'une activité en cours de réalisation concernant les dépositaires de ces pigments Forbes. C'est le cas pour le Centre for Heritage Analytical Reference Materials (CHARM), conservé à la Library of Congress aux Etats-Unis. En plus de sa collection de papiers, livres, papyrus, parchemins, échantillons photographiques, textiles, matériaux donnés par les artistes contemporains, le Centre détient des pigments Forbes. Lors du webinaire de novembre de l'ICCROM, leur poster (Fig. 64) présentait leur projet en cours pour une infrastructure de coordination et d'incorporation des données diverses d'analyse. Ces données seront déposées dans la base nommée CHARM-D, selon l'application des FAIR Data Principles : findable, accessible, interoperable, reusable. C'est-à-dire, que ces données sont conçues dans leurs codes, pour être réutilisées par d'autres applications, pour améliorer l'usage et la longévité du projet. Ce dernier a comme particularité de se concentrer sur l'évolution des matériaux dans le temps, d'analyser leurs changements et leurs dégradations. Ces recherches conduisent le Centre à faire des tests prédictifs, évaluer les traitements, pour ensuite développer de nouvelles techniques d'analyse.

Le projet CoRef a aussi conduit à la création d'une nouvelle interface pour faciliter et sécuriser l'enregistrement des échantillons. CoRef se présentera sous la forme d'une base qui s'adossera à la base principale du RMF, EROS. Cette dernière permet de lier les échantillons aux oeuvres. La collection est bien documentée et des études scientifiques sont menées sur chaque échantillon, conduisant ensuite ces données à leur intégration dans la base de données EROS. La question de l'accès à ces données fait partie du développement général de la base de données EROS, déjà existante mais consultable uniquement sur site, qui vise à en faciliter l'accès en externe. CoRef a mené des réflexions sur le statut légal des archives d'échantillons, qui constitue une autre préoccupation actuelle autour des matériauthèques. Le projet s'ouvre aussi sur des questions d'accessibilité pour envisager le prêt d'échantillons aux chercheurs extérieurs au RMF.

60

B. Des exemples de l'application concrète des matériauthèques

1. Dans le domaine de la conservation-restauration

La conservation, la numérisation et la recherche sur les pigments peuvent aboutir à la réalisation de projets scientifiques novateurs concernant la restauration des oeuvres. Ce fait a été observé pour la restauration du Harvard Mural Triptych166 peint par Mark Rothko167. Ce triptyque avait été exposé longtemps dans la salle de réception du Holyoke Center. Il souffrait d'un grave problème de décoloration des pigments, dû à une trop forte luminosité à cause du plafond percé à jour de la salle, mais aussi à l'utilisation du pigment instable Lithol Red et de sa surface délicate car non vernie. Le triptyque a fait l'objet d'études de la part du Straus Center for Conservation and Technical Studies. Khandekar explique qu'une restauration physique aurait aggravé son état, entraînant un endommagement irréversible de la touche de l'artiste. Cela étant contraire aux principes fondamentaux de la conservation-restauration, il a été décidé de ne pas intervenir matériellement sur l'oeuvre, mais d'envisager une restauration numérique168. A cette intention, le Straus Center a travaillé avec le Media Lab du Massachusetts Institute of Technology et celui de l'Université de Bâle. Cette collaboration a abouti à l'utilisation de la technique du mapping. Jens Stenger, scientifique en conservation du Straus Center, a conçu une carte numérique d'après les couleurs actuelles et celles sur les photos de l'aspect original du triptyque. Cette carte de couleurs prend en compte la dégradation hétérogène selon les parties de la peinture, d'après les différences de leurs expositions à la lumière. Ces données ont formulé une image de compensation

166 Mark Rothko, Panel Two (Harvard Mural Triptych), 1962, Harvard Art Museum. Voir Annexes I, Le Straus Center for Conservation and Technical Studies, Fig. 71.

167 Mark Rothko (Dvinsk, 1903 - New York, 1970), peintre américain.

168 Les sources insistent sur la restauration de l'apparence des peintures. Il est question de restauration virtuelle pour mettre en avant la puissance sensible renvoyée par l'état non conservé des oeuvres, lorsque la projection est éteinte. Nous n'avons donc pas d'informations concernant la sauvegarde matérielle des peintures.

61

qui a été ensuite projetée sur l'oeuvre (Fig. 72). Ce système a été présenté lors de l'exposition Mark Rothko's Harvard Murals, au Harvard Art Museums, du 16 novembre 2014 au 26 juillet 2015. Selon un article du New Yorker, les projections de Stenger restituaient l'aspect des couleurs d'origine et aboutissaient à une véritable révélation. Le mode d'exposition permettait aussi aux visiteurs de voir l'état de dégradation des peintures lorsque la projection était éteinte. La connaissance avancée du Straus Center dans le domaine des pigments et de la couleur en général a servi à la réalisation d'un tel projet.

La collection de matériaux du Straus Center sert aussi dans l'identification des pigments sur les oeuvres d'après les échantillons analysés dans le laboratoire. Ainsi en 2007, l'équipe de Khandekar s'est penchée sur le problème d'authentification de trois oeuvres de Jackson Pollock169. Les analyses ont révélé la présence d'un pigment jaune PY 151, développé en 1969, et d'un pigment rouge mélangé dans une peinture brune développée en 1974. Or, Pollock étant décédé en 1956, l'identification de ces pigments a permis de prouver scientifiquement que ces oeuvres étaient des faux.

Concernant le RMF, les échantillons de référence ont joué un rôle primordial pour l'étude menée sur la présence de peinture de la marque Ripolin170 dans les peintures du début du XXème siècle, notamment les oeuvres de Picasso171 et Picabia172. L'étude (Annexes II, Le projet Ripolin) a été menée avec l'Art Institute of Chicago qui conserve une collection d'échantillons de référence des peintures Ripolin, produits en France de 1890 à 1950. L'Art Institute of Chicago a mené ses recherches en 2013 pour détecter la présence de peinture Ripolin dans deux oeuvres de Picasso Nature Morte173 et Le fauteuil rouge174. En 2016, le RMF a analysé deux tableaux de Picabia, Déclaration d'amour175 et Symbole176, et un chevalet de Picabia conservé par le Comité Francis Picabia. La difficulté majeure, dans les deux

169 Jackson Pollock (Cody, 1912 - Springs, 1956), peintre américain du mouvement expressionnisme abstrait.

170 Ripolin : marque française de peinture de bâtiment.

171 Pablo Picasso (Malaga, 1881 - Mougins, 1973), peintre, dessinateur, sculpteur, graveur, espagnol.

172 Francis-Marie Martinez de Picabia (Paris, 1879 - Paris, 1953), peintre français.

173 Pablo Picasso, Nature Morte, 1922, Chicago, Art Institute of Chicago.

174 Pablo Picasso, Le fauteuil rouge, 1931, Chicago, Art Institute of Chicago.

175 Francis Picabia, Déclaration d'amour, 1949, Alès, Musée Pierre André Benoît.

176 Francis Picabia, Symbole, 1950, Alès, Musée Pierre André Benoît.

62

cas, était de distinguer les peintures de Ripolin de celles des artistes. Ces études ont amené un réel apport dans la distinction entre les peintures oléorésineuses Ripolin et les peintures d'artiste, par la connaissance de leur composition et grâce aux échantillons de référence conservés dans les collections de l'Art Institute of Chicago et du RMF.

La matériauthèque du RMF a servi dans l'élaboration de nombreux projets concernant l'identification des pigments. La collection d'échantillons a été sollicitée notamment pour le projet Zinc Oxide from Micro To Macro (ZOoMM) de la doctorante Nicoletta Palladino. Il s'agit d`une étude sur les propriétés du blanc de zinc utilisé par les peintres aux XIXème et XXème siècles, avant l'apparition du blanc de titane au début du XXème siècle. La doctorante a donc utilisé des microéchantillons issus d'oeuvres, conservés au RMF et à l'Art Institute of Chicago. Étudier ces échantillons lui a permis d'identifier le type de blanc de zinc employé, d'»évaluer les conséquences sur le comportement des peintures lors de leur emploi et vieillissement»177, pour une ouverture vers une application possible dans l'authentification des peintures.

2. Vers une ouverture plus large au public

Les matériauthèques que nous avons vues jusqu'ici sont directement liées au domaine scientifique de la conservation-restauration, grâce aux laboratoires qui analysent ces matériaux. Cependant, le cas du Straus Center évoque une autre possibilité. Son ancienneté dans ce domaine le place au niveau de modèle. La collection de pigments est conservée dans une architecture en verre (Fig. 67) de Renzo Piano178. Celle-ci a pour effet d'attiser la curiosité des passants qui peuvent supposer l'importance des matériaux conservés sans pourtant bien les distinguer. Le public ne peut pas s'approcher de l'ensemble des armoires de la collection, situé de l'autre côté de l'atrium, car le Centre est avant tout utilisé pour la recherche. Khandekar a donc mis en place l'installation d'une petite vitrine (Fig. 68) destinée à

177 Fondation des Sciences du Patrimoine, article de blog Oxyde de Zinc du micro au macro - ZOoMM

178 Renzo Piano (Gênes, 1937 -), architecte italien.

63

ce public intéressé par les pigments. Une sélection parmi les pièces rares et précieuses est présentée et renouvelée régulièrement. La vitrine se remplit de pigments et d'objets connexes, suivant le programme des expositions situées dans les étages inférieures du bâtiment des Harvard Art Museums. Les équipes du Straus Center ont ainsi pu conclure que les matériaux, et surtout les pigments, sont un point d'accès privilégié à l'art et aux musées pour beaucoup de personnes, car ils touchent au domaine de la couleur.

Pendant l'année, le Straus Center organise des visites pour les étudiants dans les espaces de conservation. Ces visites se concentrent sur l'histoire des pigments et les enjeux qu'ils représentent dans le domaine de la conservation-restauration. Pour favoriser une plus large diffusion de ses collections, le Centre a accueilli le youtubeur Tom Scott, suivi par cinq millions de personnes, pour les présenter dans un entretien avec Narayan Khandekar. Cette émulation autour des pigments a abouti à une monographie de la collection Forbes179, réalisée par Kingston Trinder en collaboration avec le Straus Center for Conservation and Technical Studies.

En France, c'est le site de Charenton qui accueille la première matériauthèque, dite «le musée des matériaux»180. La matériauthèque du CRMH est née dans les années 1930, grâce à Paul Deschamps, directeur du musée de Sculpture comparée, et Albert Chauvel, architecte en chef des monuments historiques. Cette matériauthèque est spécialisée dans le domaine de l'architecture, avec une collection d'échantillons de matériaux provenant des chantiers de restauration. La collection se compose de 3700 pièces environ, dont le nombre s'accroît encore actuellement. Son histoire débute par une collection d'échantillons de pierre en 1934 conservée dans le palais de Chaillot, et se poursuit en 2017 sur le site de Charenton à travers le chantier de collections qui a permis d'en dresser un inventaire détaillé, de reconditionner les pièces, d'effectuer une analyse sanitaire ainsi que la création d'une documentation historique et technique. Cette matériauthèque a pour but de «témoigner des savoir-faire anciens et servir de

179 Khandekar (Narayan), Finlay (Victoria), Trinder (Kingston), An Atlas of Rare & Familiar Colour, The Harvard Art Museums' Forbes Pigment Collection, Los Angeles, Atelier Editions, 2017

180 La matériauthèque du CRMH, site officiel de la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine : https://mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr/la-materiautheque-du-crmh

64

modèles à la fabrication de matériaux imitant ceux à remplacer»181. La fonction de la matériauthèque est là encore liée à ce besoin de connaître les techniques perdues, pour mieux réaliser les missions de restauration. A cette intention, le CRMH a publié un poster pour l'initiative de l'ICCROM (Fig. 65).

La matériauthèque du CRMH a pour particularité son espace d'exposition présentant six cents pièces, depuis septembre 2019. L'endroit est ouvert pour les étudiants en architecture lors d'ateliers pédagogiques, et de même pour les élèves au collège pour des affaires liées au patrimoine et à l'archéologie. L'exposition est ouverte au grand public lors des journées européennes du patrimoine. De plus, le CRMH porte le projet de mettre en ligne des documents donnant des détails techniques et historiques pour contextualiser les pièces, et permettre à tout le monde de découvrir et s'approprier la collection. La matériauthèque du CRMH a donc exposé dans son poster de l'HSAI de l'ICCROM, sa volonté de mener des actions de médiation à destination d'un jeune public. Ce projet se heurte néanmoins à une absence de Service des publics dans l'institution. Dans la lignée du Straus Center, elle a aussi le projet d'écrire une monographie des matériaux de la collection, classés selon leurs provenances géographiques.

La matériauthèque du CRMH a eu des échos importants dans le domaine de la médiation. En effet, le projet de matériau-technothèque au musée Bourdelle, conçu comme un dispositif de médiation à part entière, s'est bâti suivant son modèle. Le Sculpture Lab', conçu en janvier 2021 par Emma Bégouin, Noémie Hozé, Mélanie Juvany et Pauline Sylvestre, vise à rénover l'espace nommé Atelier Carrière au sein du Musée Bourdelle à Paris. L'angle d'approche privilégie les matériaux et leur connaissance directe par les publics, pour aborder plus facilement les techniques de création, ici la fonte à la cire perdue. Un tel projet nous amène à revoir la définition de la matériauthèque. Celle-ci peut être considérée comme un «lieu de présentation, d'information, de conseil et de recherche autour des matériaux»182. Le contact avec les matériaux se fait visuellement et par le toucher. Mais le projet va plus loin que la

181 La matériauthèque du CRMH, site officiel de la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine : https://mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr/la-materiautheque-du-crmh

182 Définition de matériauthèque dans le dossier pédagogique Les matériaux de la mine, Saint-Etienne, Parc-Musée de la Mine, 2018

65

présentation des matériaux et de leur histoire, puisqu'une large place est donnée à la connaissance des techniques et des procédés de transformation qui leur sont liés. La matériauthèque devient alors technothèque.

La matériauthèque concerne des domaines variés. Elle peut se présenter sous la forme d'un lieu de conservation, utilisé par les chercheurs, mais peut servir de dispositif de médiation, pour favoriser l'approche des publics aux domaines de l'art, des musées et des métiers qui touchent un centre de recherche et de restauration.

C. La place et le potentiel de cette matériauthèque

Cette bipolarité se retrouve dans le cas de la matériauthèque de Claude Yvel. Dans les problématiques rencontrées, elle rejoint certaines matériauthèques déjà élaborées, cependant son fond révèle un potentiel unique. Son futur pose alors de nombreuses questions, car elle intéresse des domaines multiples grâce à ses matériaux divers.

1. Des problématiques communes et distinctes des autres matériauthèques

Les matériauthèques étudiées précédemment soulèvent des problématiques communes à la matériauthèque de Claude Yvel. La collection de pigments, par nature, se rapproche beaucoup de la collection Forbes au Straus Center. Il s'agit dans les deux cas d'une collection de pigments anciens et contemporains, collectés par une personne, dans un but d'étude la plus exhaustive possible des techniques anciennes de peinture. Les contenants sont parfois similaires, soit des piluliers ou bocaux de verre avec bouchon en liège. Nous pouvons établir une correspondance avec les marques laissés sur les étiquettes : Blockx, Kremer Pigments, Lefranc & Cie, Fezandie & Sperrle INC., Winsor & Newton, ainsi que des indications géographiques pour la Chine et le Japon. Certains pigments font la fierté et le prestige de la collection Forbes. Ils sont nommés dans l'introduction de la monographie qui leur est dédiée et dans les entretiens, réalisés par Narayan

66

Khandekar. Ce sont des couleurs rares ou historiquement marquantes qui se trouvent aussi dans la collection de Claude Yvel. Nous parlons ici de l'Outremer synthétique, du bois de Brésil, du Lapis Lazuli, du Sandragon, de la Cochenille, du jaune de cadmium, du vert émeraude, du brun Van Dyck, du jaune indien extrait de l'urine de vaches nourries exclusivement de feuilles de manguier, du vermillon de Chine, et la liste pourrait encore s'allonger. Le noyau le plus précieux de la collection Forbes est aussi contenu dans l'atelier de Claude Yvel.

A la suite du projet du Munch Museum, la matériauthèque de Claude Yvel est concernée par la problématique des matériaux inconnus. Dans les deux cas, ils sont nombreux et constituent donc un potentiel pour la recherche. Cette question est liée à la recherche qui reste à faire sur les provenances des matériaux. Les noms des marques ou des lieux sont absents de manière récurrente à propos des matériaux référencés, ce qui ôte des informations à propos de leur histoire, de leurs dates, de leurs fabrications, entre autres. Cette remarque a été faite dans la première partie de ce travail, et elle constitue une partie majeure du projet du Lens Media Lab.

Sa particularité réside néanmoins dans le fait que l'ensemble des matériaux est l'oeuvre d'un collectionneur à la fois inventeur. L'approfondissement autour des matériaux Lefranc Bourgeois de l'atelier a permis de mettre en valeur ces deux axes. Ce sont donc des pigments qui retracent l'histoire des matériaux des peintres, et témoignent de l'évolution et des découvertes dans le domaine de la couleur. Mais ce sont aussi des produits créés et développés par un peintre en collaboration avec une marque à la renommée internationale, qui sont directement reliés à leur lieu de production et aux archives de leur inventeur. Pour aller au-delà de la marque Lefranc Bourgeois, il s'agit d'un lieu où sont conservés des matériaux et archives issus des usines Lefranc et Bourgeois avant leur destruction dans les années 1960, mais aussi des marchands de couleurs parisiens avant la disparition de leur réseau dans la capitale. Ces pigments et ustensiles sont donc uniques. Ceci amène à dire que la matériauthèque de Claude Yvel se distingue avant tout par son histoire et le témoignage qu'elle constitue sur le mouvement des peintres réalistes d'après-guerre. Ce groupe de peintres formé autour d'Henri Cadiou est peu connu des publics, surtout en France. Cependant les peintres réalistes et hyperréalistes ont connu du succès chaque fois qu'ils ont été mis en lumière à l'étranger, que ce soit New York, la

67

Suisse, la Chine et en ce moment à l'exposition «Hyperréel : l'art du trompe-l'oeil»183 au Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, en Espagne.

2. Un futur partagé entre la conservation-restauration et l'exposition dans un musée

Ces caractères de rareté et d'unicité n'ont pas échappé aux professionnels du RMF qui travaillent sur le projet CoRef. La matériauthèque de Claude Yvel présente un fort intérêt pour le domaine de la conservation-restauration, car son référencement permet de compléter les bases de données pour mieux caractériser les matériaux en lien avec les oeuvres. Son application est donc directement liée à la restauration, comme l'a prouvé l'exemple du Harvard Mural Triptych vu plus haut. La connaissance des pigments est aussi celle des techniques artistiques, et leur histoire aide à la datation ou l'authentification des oeuvres, ainsi que l'a prouvé l'exemple sur le faux tableau de Jackson Pollock étudié par le Straus Center. Pour revenir au projet CoRef, il se spécialise davantage sur les échantillons d'oeuvres. Cependant, il concerne aussi les échantillons de pigments en poudre, dont certaines marques sont similaires à celles vues dans l'atelier de Claude Yvel : Lefranc, Lefranc Bourgeois, Maimeri, Kremer, entre autres.

Claude Yvel et le RMF étant d'accord, des prélèvements pourraient être réalisés sous peu dans les matériaux de l'atelier. Ils pourraient être directement liés au projet CoRef, ou constituer une boîte d'artiste, comme c'est déjà le cas pour son ami peintre Jürg Kreienbühl. Ceci est une particularité du projet qui concerne des matériaux rassemblés selon le fond de l'atelier ou de l'artiste duquel ils proviennent. Cette organisation a l'avantage de conserver, intègre, l'aspect original de la collection de matériaux dudit artiste ou atelier. Cette partie ne s'avère être qu'une supposition sur l'avenir de cette matériauthèque. Il reste en effet de nombreuses incertitudes autour de ce sujet. Le contact et les prélèvements auprès du peintre ne sont pas encore effectués ; si cette action est menée, il reste plusieurs possibilités

183 « Hyperréel : l'art du trompe-l'oeil », Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, 16 mars 2022 - 22 mai 2022. A cette occasion, Claude Yvel a fait une conférence sur l'art du trompe-l'oeil.

68

pour leur intégration à CoRef, suivant l'importance de ces échantillons ; les boîtes d'artiste sont à part dans le projet CoRef et n'ont pas encore de statut.

Le futur de la matériauthèque de Claude Yvel pourrait concerner un tout autre domaine. Lors des entretiens dans son atelier, Claude Yvel a évoqué plusieurs fois le souhait de constituer une sorte de musée de la couleur pour exposer les techniques anciennes de la peinture à l'huile. Ce projet revient à ses fils quant à sa réalisation, puisque de son vivant le peintre a la volonté de toujours continuer à peindre, à la suite d'Henri Cadiou son maître. Présenter ses matériaux dans un musée serait une manière de prolonger son enseignement sur les techniques anciennes en peinture à l'huile. Cette forme s'apparente donc à une matériau-technothèque, soit un espace de médiation présentant les matériaux dans toute leur diversité pour mieux aborder les questions des techniques de création dans la peinture à l'huile.

Claude Yvel prend exemple sur un musée en Belgique184 qui présenterait les techniques en peinture. Plus directement, il a eu l'expérience de la présentation des matériaux des peintres à la suite de sa participation à la restauration du retable de Konrad Witz à Genève. Lui-même n'était pas intervenu sur les panneaux peints, mais il avait enseigné certaines techniques de peinture aux restaurateurs. A la suite de la restauration, l'équipe a monté une vitrine exposant les outils et couleurs qui avaient servi pour la restauration. Il s'agit donc d'un outil pédagogique pour expliquer les techniques de peinture anciennes et les procédés de restauration en relation avec le retable. C'est peut-être d'après un tel modèle que l'idée de musée des matériaux de la peinture à l'huile est née chez Claude Yvel.

Le lieu idéal pour son musée serait en Suisse, où vivent ses plus grands collectionneurs. Son attachement pour ce pays s'explique aussi par l'amitié qu'il a nouée avec le peintre suisse Jürg Kreienbühl, les nombreuses biennales auxquelles il a participé à Bâle, et à ses origines familiales établies longtemps à Berne. Ce serait donc cette ville qui serait privilégiée pour réaliser ce projet.

184 Claude Yvel ne m'a pas donné de nom, et il n'existe pas de musée de la couleur à proprement parlé en Belgique.

69

La matériauthèque de Claude Yvel est un sujet qui s'insère dans un contexte actuel qui cherche beaucoup à développer ce domaine. Ce dernier a d'ailleurs une ampleur internationale. Cependant, nous pouvons y trouver deux tendances principales, l'une n'excluant pas l'autre au sein de la même matériauthèque. Il en est ainsi pour la collection de pigments Forbes au Straus Center qui conserve les matériaux en priorité pour la recherche avec le laboratoire auquel il est lié, mais qui tend à exposer ses collections au public en disposant dans le musée une vitrine de pigments selon une sélection rotative. La matériauthèque est aussi un dispositif de médiation à part entière. Les matériaux permettent de mieux guider les publics vers la compréhension des techniques anciennes de création. C'est ce dernier aspect qui semble avoir touché Claude Yvel pour sa matériauthèque, puisqu'il envisage d'en faire une sorte de musée de la peinture à l'huile.

70

Conclusion

Le but de ce mémoire était de faire l'inventaire et de présenter les matériaux conservés dans l'atelier du peintre Claude Yvel dans leur contexte historique, pour en montrer toutes les qualités et le potentiel. Ce travail a abouti à leur classement dans une base de données pour l'usage des professionnels du RMF intéressés par la question.

Nous avons vu toute la diversité et la quantité de matériaux que l'atelier parisien contenait, et en particulier nous avons étudié les matériaux Lefranc Bourgeois. La marque est internationalement connue et utilisée par de nombreux artistes et ceci depuis plus de trois siècles déjà. La sélection opérée répond donc à une volonté d'utilité, car la marque concerne l'oeuvre d'un grand nombre d'artistes. Mais le sujet a ouvert aussi la question des collaborations entre la marque Lefranc Bourgeois et les artistes, qui est un marqueur de l'innovation des produits artistiques dans cette entreprise. Celle de Claude Yvel a ici été davantage étudiée, néanmoins le nombre de ces échanges entre le domaine des artistes et celui des chimistes reste très important et un angle d'approche intéressant à développer. Bien que nous nous soyons consacrés à un nombre restreint de matériaux, leur étude n'a pas toujours été concluante car ils sont inconnus dans leur provenance comme dans leur composition. Mais cet inconnu appelle aussi à d'autres recherches, ou bien à la nécessité de combiner les informations des différentes bases de données dans le monde.

Cette question est la problématique commune aux matériauthèques qui entretiennent ou ont pour projet de mettre en place une base de données sur les matériaux conservés. L'ICCROM s'attache à lier ces objectifs et leur donner cette ampleur internationale. Pour trouver sa place dans ces projets, chaque matériauthèque a sa spécificité, les matériaux qui la rendent unique et font sa renommée. Dans le cas de la collection de Claude Yvel, nous avons vu les caractères rare et précieux liés à ses pigments. Ce sont les mêmes éléments qui ont rendu la collection Forbes si célèbre dans ce domaine. Le potentiel de la matériauthèque est donc très élevé de ce point de vue. Il faut néanmoins garder en tête l'étude partielle, bien que maximale dans la limite de temps, qui a été faite sur le sujet. D'après ce qu'il reste à étudier, dans l'atelier parisien comme dans l'annexe en

71

Normandie, le potentiel de cette matériauthèque peut avoir un réel intérêt pour la recherche.

Constituée de matériaux anciens et uniques, à la fois laboratoire de recherche et lieu de préservation du plus grand nombre possible de matériaux de peinture, la matériauthèque de Claude Yvel a encore la double fonction de réunir la conservation-restauration pour l'analyse des pigments, et la médiation, s'ils sont exposés dans un musée comme outil pédagogique pour apprendre sur les techniques de la peinture à l'huile et l'histoire des matériaux.

72

Bibliographie

Blockx, 1922

Blockx (Jacques), Compendium à l'usage des artistes peintres et des amateurs de

tableaux, Anvers, J.-E. Buschmann, quatrième édition, 1922

Centorame, 2000

Centorame (Bruno), Le 9e arrondissement : itinéraires d'histoire et d'architecture,

Paris, Mairie de Paris, Direction générale de l'information et de la communication,

2000

Feller, 1986

Feller (Robert L.), Artist's Pigments, A Handbook of their History and Characteristics,

National Gallery of Art, Washington, 1986

Frankenstein, Le Thorel, Frehner, 2014

Frankenstein (Alfred), Le Thorel (Pascale), Frehner (Matthias), Claude Yvel, Paris,

Somogy, 2014

Havel, 1979

Havel (Marc), préface de Ven Der Kemp (Gérald), La technique du tableau, Paris,

Dessain et Tolra, 1979

Khandekar, Finlay, Trinder, 2017

Khandekar (Narayan), Finlay (Victoria), Trinder (Kingston), An Atlas of Rare &

Familiar Colour, The Harvard Art Museums' Forbes Pigment Collection, Los Angeles,

Atelier Editions, 2017

Labreuche, 2011

Labreuche (Pascal), Paris, capitale de la toile à peindre, XVIIIe-XIXe siècles, Paris,

INHA, 2011

Maroger, 1986

Maroger (Jacques), préface de Havel (Marc), A la recherche des secrets des grands

peintres, Paris, Dessain et Tolra, 1986

Mei, 1984

Mei (Nathalie), préface Frankenstein (Alfred), Claude Yvel : trompe-l'oeil, Galerie

Alain Blondel, Paris, Courbevoie, ACR Edition, 1984

Mérimée, 1830

73

Mérimée (Jean-François-Léonor), De la peinture à l'huile ou des procédés matériels employés dans ce genre de peinture, depuis Jan Van Eyck jusqu'à nos jours, Paris, Huzard, 1830

Perégo, 2005

Perégo (François), Dictionnaire des matériaux du peintre, Paris, Bélin, 2005 Thérive, 1958

Thérive (André), Claude Yvel, série de Robert Rey « Objectivement », Paris Flammarion, 1958

Watin, 1774

Watin (Jean-Félix), L'art du peintre, doreur, vernisseur : ouvrage utile aux artistes & aux amateurs qui veulent entreprendre de peindre, dorer & vernir toutes sortes de sujets en bâtiments, meubles, bijoux, équipages, etc., Seconde édition revue, corrigée et augmentée, Paris, Chez Grangé, 1774

Yvel, 1991

Yvel (Claude), Le métier retrouvé des maîtres : la peinture à l'huile, Paris, Flammarion, 1991

Yvel, 2003

Yvel (Claude), Peindre à l'huile comme les maîtres, la technique du XVIe au XVIIIe siècle, Aix-en-Provence, Edisud, 2003

Yvel, 2006

Yvel (Claude), Peindre à l'eau comme les maîtres : dessin, lavis et détrempe, techniques anciennes, Aix-en-Provence, Edisud, 2006

Sources

Catalogues :

Cat. d'exp., Claude Yvel, Un théâtre de l'illusion consommée, sous la direction de Xuriguera (Gérard), El Ali (Hiam), Galerie Gismondi, 11 octobre - 1_ novembre 1991, Paris, Gismondi Editeur, 1991

Cat. d'exp., Des teintes et des couleurs, Musée nationale des arts et traditions populaires, 4 mai - 31 juillet 1988, Paris, Edition de la Réunion des musées nationaux, 1988

Cat. d'exp., Section française. Catalogue officielle de l'exposition internationale, Londres, 1er mai - 1er novembre 1962, Paris, Imprimerie impériale, 1862






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault