http://portaildoc.univ-lyon1.fr
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
Creative commons : Paternité - Pas d'Utilisation
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
UNIVERSITÉ CLAUDE-BERNARD LYON 1
INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE LA
RÉADAPTATION
Directeur de l'Institut des Sciences et Techniques de la
Réadaptation Professeur Jacques LUAUTE
D'une motricité subie à une motricité
agie
Le soin psychomoteur comme soutien à
l'élaboration d'une motricité intentionnelle chez l'enfant
porteur d'autisme
Mémoire présenté pour
l'obtention du Diplôme d'État de Psychomotricien
Par: Juliette LANDEAU
Juin 2022 (Session 1)
N° 1716
Directrice du Département Psychomotricité Mme
Tiphaine VONSENSEY
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
UNIVERSITÉ CLAUDE-BERNARD LYON 1
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RÉADAPTATION
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Réadaptation Professeur Jacques LUAUTE
D'une motricité subie à une motricité
agie
Le soin psychomoteur comme soutien à
l'élaboration d'une motricité intentionnelle chez l'enfant
porteur d'autisme
Mémoire présenté pour
l'obtention du Diplôme d'État de Psychomotricien
Par: Juliette LANDEAU
Juin 2022 (Session 1)
N° 1716
Directrice du Département Psychomotricité Mme
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UNIVERSITÉ CLAUDE BERNARD LYON 1
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U.F.R. de Médecine Lyon Est Doyen Pr. RODE
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Mérieux
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Comité de Coordination des Etudes Médicales
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universitaires
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Directeur Général des Services M. ROLLAND
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Directeur Pr. DUSSART Claude
Institut des Sciences et Techniques de la Réadaptation
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INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE LA
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DÉPARTEMENT
PSYCHOMOTRICITÉ
Directrice du département Mme Tiphaine
VONSENSEY Psychomotricienne, cadre de santé
Coordinateurs pédagogiques M. Bastien
MORIN Psychomotricien
M. Raphaël
VONSENSEY Psychomotricien
Mme Aurore
JUILLARD Psychomotricienne
Responsables des stages Mme Christiane
TANCRAY Mme Charlène DUNOD Psychomotriciennes
Secrétariat de scolarité
LANDEAU
(CC BY-NC-ND 2.0)
Mme Lynda ABDELMOUMNAOUI
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
REMERCIEMENTS
Un grand merci à tous les maîtres de stages qui
m'ont accompagnée au cours de ces années en
psychomotricité. Vous avez su m'accompagner dans la construction de
mon identité de future psychomotricienne, avec écoute et
bienveillance.
Je remercie Audrey Maire pour son accompagnement dans la
rédaction de ce mémoire.
Merci à mes camarades de promotion, qui ont tous grandi
à mes côtés durant ces trois
années.
Un grand merci à mes amies de toujours, Marine et
Chloé, toujours présentes pour moi malgré la
distance.
Je tiens à remercier notre ancienne camarade Esther,
devenue une grande amie, merci de toujours être là et de
m'avoir permis d'évoluer en tant que personne à tes
côtés.
Merci aussi à Amélie, avec qui j'ai
partagé tant de choses durant ces années
d'études. Merci d'être une personne sur qui je peux compter
dans les moments de stress comme de
joie.
Enfin, merci à ma famille, à mes parents et
à mon frère de toujours croire en moi et soutenir mes projets
quoiqu'il en coûte.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
SOMMAIRE
LEXIQUE
INTRODUCTION 1
PARTIE THÉORIQUE 3
1. Les Troubles du Spectre de l'Autisme (TSA)
3
1.1. Généralités 3
1.1.1. Définitions 3
1.1.2. Les TSA et leurs comorbidités 4
1.2. Troubles psychomoteurs dans les TSA 4
1.2.1. Développement sensori-moteur 4
1.2.2. Développement cognitif 5
1.2.3. La dimension socio-communicative 6
1.3. La prise en soins des TSA 7
2. La sensorialité 9
2.1. Fonctionnement normal des sens 9
2.1.1. Le développement sensoriel 9
2.1.2. La perception 9
2.1.3. Les sens comme base des apprentissages 10
2.2. Fonctionnement sensoriel chez la personne avec TSA 11
2.2.1. Les manifestations sensorielles 11
2.2.2. Les expériences sensorielles 12
2.2.3. Moyens d'adaptation 15
2.3. Les stéréotypies et autostimulations 15
2.3.1. Définitions 15
2.3.2. Origine des stéréotypies 16
2.3.3. Impact des stéréotypies sur le
fonctionnement de la personne 18
3. L'intentionnalité dans le mouvement, ou le
passage du mouvement au
geste 19
3.1. Les bases du mouvement 19
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
3.1.1. De la posture aux praxies 19
3.1.2. Les espaces du mouvement 20
3.2. Les processus de représentation 21
3.2.1. Tout commence dans l'interaction 21
3.2.2. Appropriation du corps 22
PARTIE CLINIQUE 23
1. Présentation de la structure 23
1.1. L'institution 23
1.1.1. Les professionnels 23
1.1.2. Les locaux 24
1.2. Déroulé d'une journée type à
l'IME 24
2. Présentation de Jamil 25
2.1. Anamnèse 25
2.2. Contexte du soin 25
2.3. Première rencontre 26
3. Les séances de psychomotricité
27
3.1. Une agitation psychomotrice marquée 27
3.1.1. Première séance : incapacité à
rester immobile 27
3.1.2. Seconde séance : besoin sensoriel important ? 30
3.1.3. Troisième séance : une perturbation du cadre
31
3.1.4. Quatrième séance : mise en danger 33
3.1.5. Cinquième et sixième séance : mise en
place d'une routine 34
3.2. Le profil sensoriel, une entrée dans le monde de
Jamil 35
3.3. Modification des conduites 37
3.3.1. Septième séance : recherche d'attention
37
3.3.2. Huitième séance : une fatigue qui modifie
l'agitation 39
3.3.3. Neuvième séance : du corps à l'objet
40
3.3.4. Dixième séance : apporter de la variation
41
3.3.5. Onzième séance : réussir à
s'apaiser et à se rencontrer 42
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
4. Synthèse des séances avec Jamil
43
PARTIE THÉORICO-CLINIQUE 44
1. Une motricité subie 44
1.1. Instabilité 44
1.1.1. Un monde instable, et recherche de stabilité 44
1.1.2. Aspect stéréotypique du mouvement 45
1.1.3. Déséquilibre sensori-tonique 46
2. Une psychomotricité en mouvement
48
2.1. Naissance d'une intention 48
2.1.1. L'intention du psychomotricien 48
2.2. Apaisement moteur 49
2.2.1. Structuration temporelle 49
2.2.2. Structuration spatiale 50
2.2.3. Sécurité qui mène à
l'apaisement 51
2.3. Début de symbolisation 52
2.3.1. Des expériences qui font trace 52
2.3.2. Déplacer l'attention sur le geste 55
2.3.3. Geste symbolisé 55
CONCLUSION 56
BIBLIOGRAPHIE
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
LEXIQUE
ABA : Applied Behavior Analysis ou Analyse
Appliquée du Comportement
ANESM : Agence Nationale de l'Évaluation et de la
qualité des établissements et services
Sociaux et Médico-sociaux
CIM-11 : Classification Internationale des Maladies,
onzième édition
CPS-R : Checklist du Profil Sensoriel -
Révisé
DSM-5 : Manuel Diagnostique et Statistique des troubles
mentaux, cinquième édition
HAS : Haute Autorité de Santé
IME : Institut Médico-Éducatif
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
PPA : Projet Personnalisé d'Accompagnement
SESSAD : Service d'Éducation Spéciale et de
Soins À Domicile
TDAH : Trouble Déficitaire de l'Attention avec ou sans
Hyperactivité
TDI : Trouble du Développement Intellectuel
TEACCH : Treatment and Education of Autistic Children and
related Communication
Handicapped ou Traitement et Éducation des
Enfants avec Autisme et autres Handicaps
de la Communication
TND : Trouble du Neuro Développement
TSA : Trouble du Spectre de l'Autisme
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
INTRODUCTION
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
INTRODUCTION
Toujours intéressée par le travail du corps et
le soin, mon projet initial après le lycée était de
devenir kinésithérapeute. Mon parcours m'a ensuite amenée
à découvrir la psychomotricité, jusqu'alors inconnue pour
moi. La psychomotricité dans ses aspects corporels, mais aussi
psychiques et relationnels m'a tout de suite intéressée.
C'est par une rencontre avec une enfant en cabinet
libéral, en deuxième année de psychomotricité, que
naît mon intérêt pour la clinique des Troubles du Spectre de
l'Autisme (TSA). Tout particulièrement, c'est la question des sens qui
m'interpelle. Dans sa motricité ainsi que dans la relation, les
éléments sensoriels semblent prendre une place importante pour
cette jeune fille, dans des comportements de recherche ou d'évitement
des stimuli. À quoi ressemble le monde dans lequel cette enfant vit ?
À quel point sa perception de l'environnement diffère-t-elle de
la mienne ? Comment puis-je parvenir à sentir au travers de ses sens
à elle, et ainsi comprendre ce qu'elle vit ? Est-ce au moins possible de
comprendre, quand je suis moi-même imprégnée de mon
vécu sensoriel ?
Ainsi, la question de la perception sensorielle atypique dans
les TSA et de ses conséquences sur la psychomotricité des
personnes autistes suscite chez moi un vif intérêt. Cette
ouverture sur les sens me fait prendre conscience de leur importance dans la
psychomotricité de tout individu.
Cette envie de comprendre, d'explorer le fonctionnement
sensoriel me pousse à chercher un stage dans la clinique de l'autisme
pour ma troisième année de psychomotricité. Au cours de ce
stage, j'observe beaucoup de comportements liés aux sens chez les
enfants que je rencontre. Jamil, un enfant que j'apprends à connaitre au
sein d'un groupe psychomoteur, m'interpelle tout particulièrement : sa
motricité semble être au service de sa sensorialité. Si le
corps n'est qu'un moyen de satisfaction sensorielle, quelle relation au monde
est-il possible de construire ?
L'image que me renvoient ces mouvements d'autostimulation est
celle d'un corps prisonnier de ses besoins sensoriels, d'une motricité
esclave de ces contraintes. Mais alors, comment l'approche
psychomotrice peut-elle permettre à un enfant avec un TSA qui s'enferme
dans des autostimulations sensorielles de retrouver une intentionnalité
dans le mouvement ?
Afin de répondre à mon questionnement et
à l'aide de références théoriques, j'expliquerai
dans un premier temps ce que sont les TSA ainsi que les troubles psychomoteurs
souvent
1
rencontrés dans ces troubles. J'aborderai dans une
seconde partie le développement sensoriel normal puis le fonctionnement
sensoriel spécifique des TSA, en expliquant ce que sont les
stéréotypies et autostimulations. Enfin, j'aborderai la
construction du geste intentionnel dans le développement normal de
l'enfant.
Dans un second temps, je présenterai ma clinique
auprès de Jamil, de façon chronologique, afin de comprendre
l'évolution progressive observée en séances.
J'accompagnerai mes observations de mes ressentis et des différentes
hypothèses qui en sont issues.
Enfin, je mettrai en lien les éléments
théoriques à ma clinique pour tenter de répondre à
ma problématique.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
2
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
PARTIE THÉORIQUE
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
PARTIE THÉORIQUE
1. Les Troubles du Spectre de l'Autisme (TSA)
1.1. Généralités 1.1.1.
Définitions
La multiplicité des définitions de l'autisme
rend bien compte de la diversité des manifestations cliniques de ce
trouble. Je me baserai dans cet écrit sur deux classifications pour
expliquer cette pathologie.
Le Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux,
cinquième édition (DSM-5), introduit le Trouble du Spectre de
l'Autisme (TSA) (American Psychiatric Association, 2015). Le terme de «
spectre » illustrant la grande variabilité des handicaps d'un
individu à l'autre. Le DSM-5 considère une dyade symptomatique
dans le diagnostic de TSA consistant en un déficit de communication
sociale ainsi que des comportements restreints et répétitifs. Les
déficits de communication sociale sont divisés en trois
critères : des troubles dans la réciprocité
socio-émotionnelle, dans les conduites non verbales à
visée communicative et dans l'entretien et la compréhension des
relations. Quatre critères sont repérés dans les
agissements restreints : des discours et mouvements
stéréotypés, une intolérance aux changements, des
intérêts restreints et des particularités sensorielles.
Les TSA sont considérés comme Troubles du Neuro
Développement (TND) : ils se manifestent pendant la période du
développement.
L'impact sur le fonctionnement du sujet ainsi que l'exclusion
d'un retard global de développement ou d'un handicap intellectuel
pouvant mieux expliquer les symptômes sont aussi des
éléments à prendre en compte (American Psychiatric
Association, 2015).
En janvier 2022, la CIM-11, onzième édition de
la Classification Internationale des Maladies publiée initialement en
2019 (OMS, 2022) est entrée en vigueur. La définition de
l'autisme dans cette nouvelle édition de la CIM reprend les termes de
trouble neurodéveloppemental et de trouble du spectre de l'autisme. On y
retrouve la dyade symptomatique décrite dans le DSM-5.
Par souci de clarté, je désignerai dans cet
écrit les personnes avec TSA « personnes autistes ».
3
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
1.1.2. Les TSA et leurs
comorbidités
Nous l'avons mentionné, l'autisme est aujourd'hui
considéré comme un spectre. La variabilité
interindividuelle des troubles peut s'expliquer par la différence
d'intensité des symptômes, mais aussi par la possible association
avec d'autres handicaps.
Pour être au plus proche des besoins de la personne
autiste, il est donc important de rechercher et spécifier les
comorbidités. On peut identifier des comorbidités
développementales et psychiatriques (Toureille, 2019). Parmi les
affections développementales, on distingue la déficience
intellectuelle ou le Trouble du Développement Intellectuel (TDI),
introduit dans le DSM-5 (American Psychiatric Association, 2015). Le TDI
correspond à un déficit des capacités mentales qui
altère les compétences d'adaptation et d'autonomie. On peut aussi
observer des troubles du langage chez les personnes autistes, ainsi que divers
désordres moteurs (Toureille, 2019). Le Trouble Déficitaire de
l'Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) est souvent associé
au TSA. On retrouve dans les comorbidités psychiatriques des troubles
anxieux, la dépression ainsi que la schizophrénie.
Il est également fréquent qu'une
épilepsie soit associée à un TSA (Amiet et al., 2010).
Celle-ci est importante à repérer, car elle peut être une
cause de troubles du comportement. Les TSA sont parfois reliés à
des maladies génétiques tels que le syndrome de l'X fragile ou la
trisomie 21 (Toureille, 2019). Tous ces éléments vont entrer en
compte dans la prise en soins des personnes autistes.
1.2. Troubles psychomoteurs dans les TSA 1.2.1.
Développement sensori-moteur
Comme énoncé précédemment, les
personnes autistes peuvent présenter des particularités
sensorielles. Nous l'aborderons plus tard, mais les aspects sensoriels et
moteurs sont étroitement liés dans le développement de
l'enfant. Il semble donc cohérent que des troubles moteurs puissent
être retrouvés chez ces individus.
Bien que les problématiques motrices puissent
être variées en fonction des comorbidités, on repère
dans les TSA des éléments de développement
récurrents. On peut observer assez tôt des problématiques
de régulation du tonus, avec une hypotonie de fond (Paquet, 2019;
Réveillé et al., 2018). Joly (2010) mentionne aussi des
alternances entre des états d'hypotonicité et
d'hypertonicité. Ces troubles vont être marqués dans la
relation, avec des discordances dans l'ajustement tonico-émotionnel.
4
Sur le plan postural, les enfants avec TSA peuvent
présenter des stratégies de compensation pour maintenir leur
équilibre (Paquet, 2019; Réveillé et al., 2018). En plus
de l'aspect tonique, leurs difficultés sur le plan sensoriel peuvent
affecter leur contrôle postural.
L'étude de la marche chez de jeunes enfants autistes
montre des particularités dans celle-ci, avec notamment une diminution
d'amplitude dans les mouvements (Paquet, 2019). Cette baisse d'amplitude
permettrait de maintenir un équilibre dans le mouvement. La marche est
dans l'ensemble moins fluide et moins bien orientée. Ces
difficultés diminuent au cours de la croissance des enfants.
La motricité globale et la motricité fine sont,
elles aussi, souvent impactées (Paquet, 2019). Des coordinations et une
dextérité manuelle déficitaires peuvent influer sur les
apprentissages et doivent donc être prises en compte. Encore une fois,
les capacités motrices peuvent être perturbées par des
problématiques sensorielles.
Joly (2010) précise que les aspects relationnels de la
motricité sont perturbés, avec notamment des difficultés
dans la reproduction de gestes et l'imitation. Les activités motrices
sont souvent autocentrées et les jeux demandant d'être en relation
sont peu investis. Le corps va aussi pouvoir être utilisé dans des
mouvements répétitifs et stéréotypés
(Paquet, 2019). De plus, Joly (2010) décrit une motricité duelle,
avec des moments de forte agitation opposés à des moments de
ralentissement moteur.
L'appréhension de l'espace et du temps se retrouve
souvent déficitaire elle aussi (Joly, 2010). Des études montrent
que la latéralisation chez les sujets TSA est sujette à des
perturbations, pouvant être en lien avec le langage (Paquet, 2019).
Enfin, Joly (2010) explique que, plus que les
difficultés ou capacités repérées individuellement
dans chaque item psychomoteur, c'est la notion d'équilibre entre ces
items qui importe. En effet, on peut repérer une certaine dysharmonie
dans les compétences des personnes autistes.
1.2.2. Développement cognitif
La sensorialité et la motricité sont
liées entre elles, mais elles sont aussi en lien avec le
développement cognitif. Les personnes autistes présentent un
fonctionnement cognitif singulier. Là encore, on observe une grande
diversité des niveaux cognitifs, allant de la déficience
intellectuelle sévère à un haut potentiel intellectuel.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
5
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
Les personnes autistes présentent souvent des
particularités dans le traitement perceptif, en lien avec leur
sensorialité (Gillet, 2019). Elles vont avoir tendance à
percevoir les détails de leur environnement, sans parvenir à en
faire une représentation globale.
Outre les ressources cognitives en tant que telles, c'est leur
utilisation dans la réalisation d'activités au quotidien qui
importe (Plumet, 2019). Ce sont les fonctions exécutives qui permettent
la mise en oeuvre des capacités de l'individu. Elles permettent la
planification et l'exécution d'actions et de raisonnements, mais aussi
l'adaptation de ceux-ci aux situations. La notion de flexibilité est
donc importante dans ce processus qui nécessite de bonnes
capacités dans plusieurs domaines.
En effet, pour aboutir à une activité
finalisée, avec un but, la perception, l'attention, l'inhibition motrice
et cognitive, la planification et la mémoire de travail sont
essentielles. Chez les personnes autistes, certains de ces domaines sont
impactés. Des études ont montré que chez les jeunes
enfants avec TSA l'inhibition motrice est difficile à acquérir,
ces difficultés se normalisent cependant au cours du
développement. On sait aussi que les personnes autistes peuvent avoir
tendance à adhérer à des rituels, à résister
aux changements, rendant difficile l'accès à de nouveaux
apprentissages, mais aussi l'adaptation d'une même action dans un
environnement différent (Plumet, 2019; Réveillé et al.,
2018).
Ce manque de flexibilité est lié à un
problème dans l'inhibition de l'action apprise, mais aussi à des
difficultés dans la généralisation d'un fonctionnement
d'un contexte à un autre. Dans les environnements multisensoriels, la
tendance à la focalisation sur les détails empêche la
personne de comprendre le contexte dans lequel elle se trouve (Gillet, 2019).
Ce processus de généralisation des informations en un tout ayant
un sens est appelé la cohérence centrale.
L'aspect sensoriel peut aussi influer sur l'action, des
éléments de l'environnement pouvant jouer un rôle de
distracteur. La question de l'intérêt d'une action ou de son
inhibition entre aussi en compte, les intérêts sociaux ne sont par
exemple pas toujours compris par les personnes autistes (Plumet, 2019).
1.2.3. La dimension socio-communicative
La question de la communication sociale est un des
critères de diagnostic des TSA. En effet, les enfants avec un TSA
présentent souvent dès les premiers mois des dysfonctionnements
dans la communication non verbale (Garrigou, 2019; Réveillé et
al., 2018). Les auteurs le remarquent notamment au niveau du regard, avec peu
de contacts
6
visuels, mais aussi dans les réactions aux stimuli. Le
bébé va montrer peu de réponses à la voix humaine
et des expressions faciales et vocales pauvres. Plus tard, les gestes de
communication comme l'attention conjointe ou le pointer du doigt sont souvent
incompris et rarement utilisés dans une dimension sociale (Garrigou,
2019; Réveillé et al., 2018). Les enfants autistes
présentent peu de comportements d'imitation, et vont avoir du mal
à se mettre à la place de l'autre, à comprendre ce
qu'autrui peut ressentir.
L'apparition du langage chez ces enfants est souvent
retardée, et peut prendre des formes atypiques, comme les
écholalies (Garrigou, 2019; Réveillé et al., 2018). Les
écholalies sont des répétitions de mots ou de phrases de
façon immédiate ou différée (Garrigou, 2019). Elles
sont souvent inadaptées au contexte et ne varient pas dans leur ton ou
leur forme. Dans les cas de déficience intellectuelle importante, elles
peuvent être la seule manifestation langagière de l'enfant. Les
écholalies, mêmes inadaptées au contexte, peuvent avoir une
fonction de communication pour le sujet.
1.3. La prise en soins des TSA
Nous l'avons compris, les TSA regroupent des situations
cliniques très diverses, avec un fonctionnement cognitif et
sensori-moteur spécifique. La prise en soins nécessaire pour
répondre à ces troubles est donc elle-même
caractéristique. Pour encadrer l'intervention auprès des
personnes autistes, la Haute Autorité de Santé (HAS) et l'Agence
Nationale de l'Évaluation et de la qualité des
établissements et services Sociaux et Médico-sociaux (ANESM) ont
mis au point des recommandations de bonnes pratiques (HAS & ANESM,
2012).
Plusieurs points sont abordés dans ces recommandations.
Tout d'abord, il est primordial d'évaluer les capacités et les
besoins des individus initialement, puis de manière
régulière afin d'ajuster au mieux les interventions
proposées à tout moment. Ces interventions devront alors
être individualisées et appliquées dans une approche
globale et coordonnée entre les professionnels, mais aussi avec les
familles. Il est essentiel que la prise en soins soit mise en place de
façon précoce.
Des approches d'interventions ont été
développées dans les établissements afin de
répondre aux besoins des sujets (Le Menn-Tripi & Zupranski, 2019).
Ces démarches peuvent être éducatives,
développementales ou comportementales et se complètent entre
elles. Elles prennent en compte la structuration de l'environnement, la notion
de co-construction des soins avec les familles et l'intensité des soins,
le tout dans un but de généralisation des apprentissages.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
7
Le modèle d'intervention précoce de Denver est
une méthode développementale et comportementale. Elle s'adresse
à des enfants d'âge scolaire, et développe des objectifs
à court terme. Chaque activité proposée présente
plusieurs objectifs et se base sur le principe que le jeu et la relation
développent la motivation sociale.
Le dispositif de Traitement et Éducation des Enfants
avec Autisme et autres Handicaps de la Communication (TEACCH) est un
modèle éducatif. C'est une forme d'éducation
structurée qui permet d'encourager les apprentissages et l'autonomie en
adaptant l'environnement et les consignes proposées. Ces
aménagements peuvent prendre la forme de supports visuels, d'une
structuration de l'espace et du temps... Des séances en vis-à-vis
avec la personne permettent de développer les compétences
émergentes, d'où la nécessité d'une
évaluation préalable (Le Menn-Tripi & Zupranski, 2019).
Une autre méthode plébiscitée est celle
de l'Analyse Appliquée du Comportement (ABA). C'est un modèle
d'intervention comportemental. Il consiste en une analyse des comportements, de
ce qu'il se passe avant et après ceux-ci, de ce que l'individu en
retire, afin d'encourager les bons agissements et de diminuer les comportements
problèmes. Un temps progressif d'apprentissage des bons comportements
est proposé, souvent avec un système de renforçateur pour
jouer sur la motivation du sujet. L'objectif sera de diminuer les
renforçateurs avec le temps pour autonomiser l'individu. Le lien avec
l'intervenant doit être un lien de confiance, un temps de
pairing est donc proposé en amont des apprentissages pour
créer la relation (Le Menn-Tripi & Zupranski, 2019).
Ces méthodes sont généralement
utilisées de façon complémentaire dans les structures
accueillant des personnes autistes. Elles prennent en compte un des objectifs
essentiels de la prise en soin des personnes autistes : l'autonomie (HAS &
ANESM, 2012). L'autonomie, c'est avoir conscience de ses actions, et pouvoir
les mettre en oeuvre librement et de façon adaptée à
l'environnement (Orjubin, 2022).
De plus, l'évaluation et la prise en soins des troubles
sensoriels sont prises en compte dans les recommandations de la HAS ainsi que
dans ces méthodes (HAS & ANESM, 2012). Cela montre bien que la
question sensorielle prend une place importante dans la prise en soins de la
personne autiste.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
8
2. La sensorialité
2.1. Fonctionnement normal des sens 2.1.1. Le
développement sensoriel
Avant d'aborder les particularités sensorielles dans
les TSA, comprendre le fonctionnement sensoriel normal est essentiel.
Les sens sont présents dès la vie foetale et se
développent un à un : tout d'abord le sens tactile, puis
l'équilibration qui comprend la proprioception et le sens vestibulaire,
puis la gustation et l'olfaction, ensuite l'audition et enfin la vision
(Degenne et al., 2019). Les organes des sens sont les yeux pour la vision, les
oreilles pour l'audition, le nez et la bouche pour l'olfaction et la gustation,
la peau pour le sens tactile, des récepteurs internes pour la
proprioception et l'oreille interne pour le sens vestibulaire (Bogdashina,
2012/2020). Les récepteurs tactiles peuvent recevoir des informations de
toucher léger, de pression, de température et de douleur, ils
sont répartis différemment en fonction des zones du corps. Les
récepteurs proprioceptifs se trouvent au niveau des muscles, des tendons
et des articulations et permettent de connaitre la position de son corps dans
l'espace (Bogdashina, 2012/2020). Ces organes reçoivent les stimuli de
l'environnement interne ou externe par des récepteurs, qui le
transforment en message nerveux. Ce message circule jusqu'au système
nerveux central qui les identifie, les assemble et les interprète dans
des aires cérébrales spécifiques.
Des études ont montré que le fonctionnement
sensoriel est multimodal, c'est-à-dire que les différents sens
sont en interaction (Degenne et al., 2019).
2.1.2. La perception
Au début de sa vie, le bébé ne
perçoit le monde que par contrastes et par comparaisons
(Livoir-Petersen, 2008). Il ressent simultanément les différents
sens, ainsi que les stimuli internes et externes à son corps. Alors
qu'il perçoit son environnement, il éprouve aussi les
modifications tonico-émotionnelles que cela lui fait vivre. Bullinger
(2007b) explique qu'on observe toujours des réactions tonico-posturales
lors de la perception de flux sensoriels.
Ces réactions sont à la base du sentiment de soi
qui sert de référence dans l'intégration sensorielle
(Livoir-Petersen, 2008).
La perception, c'est le processus de réception,
d'interprétation et de compréhension des informations
sensorielles (Bogdashina, 2012/2020). Ce processus se déroule en
plusieurs étapes. Nous avons tout d'abord l'étape de la
sensation, c'est un stade de qualification du
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
9
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
stimulus, dans son intensité, sa durée, etc. Il
n'a pas encore de sens. C'est une phase où la perception est
littérale et objective. Puis les aires cérébrales
spécialisées traitent les informations sensorielles
reçues, et les associent en un tout multimodal qui permet une
identification de l'objet. C'est la phase d'interprétation. Enfin,
l'objet identifié va pouvoir être associé et comparé
aux représentations mentales, pour accéder à un concept
d'utilisation de cet objet par exemple.
Le premier apprentissage du bébé est la
discrimination des stimuli, c'est-à-dire l'identification et la
caractérisation des informations sensorielles reçues (Bogdashina,
2012/2020). Ensuite vient le développement de l'attention aux stimuli,
la sélection des informations pertinentes de l'environnement, aussi
appelée modulation. Enfin, le bébé sera capable
d'économiser sa prise d'information au minimum nécessaire pour sa
compréhension. Cette dernière capacité permet une
économie d'énergie dans l'analyse de l'environnement, facilite la
mémorisation et permet d'être disponible à d'autres
éléments d'apprentissage par exemple.
Grâce à la multiplicité des
expériences et à la mémorisation des
éléments sensoriels de son milieu, l'enfant aura accès
à l'anticipation. Bogdashina (2012/2020) ajoute que la perception du
monde est toujours teintée de subjectivité, elle dépend
des expériences sensorielles déjà vécues, de
l'intérêt porté à certains aspects de
l'environnement, etc.
2.1.3. Les sens comme base des apprentissages
« Tout ce que nous connaissons du monde et de
nous-même nous vient de nos sens. » (Bogdashina, 2012/2020, p.
54)
Le bébé perçoit donc son environnement
très tôt, mais il devra encore développer ses
capacités de reconnaissance, de traitement et de filtrage des stimuli
sensoriels internes et externes (Degenne et al., 2019). Cette capacité
à traiter et donner un sens aux informations sensorielles sert de base
au développement moteur, social et cognitif. Livoir-Petersen (2008)
explique que la multiplication des vécus sensoriels permet une
habituation à ceux-ci, et ainsi une connaissance de plus en plus
variée du monde et des objets.
La pyramide des apprentissages formulée par Williams et
Shellenberger en 1996 place les sens comme base pour toutes les sphères
de développement (cité par Degenne et al., 2019). En effet, les
sens et leur intégration influencent le langage, la motricité,
les comportements sociaux et la cognition par leur présence dans chacun
de ces domaines. Avant de pouvoir être acteur dans son quotidien, le
sujet doit pouvoir comprendre son
10
environnement grâce aux informations sensorielles qu'il
reçoit. Les sens vont alors participer aux apprentissages ainsi
qu'à la régulation des émotions et des comportements.
2.2. Fonctionnement sensoriel chez la personne avec TSA
Nous l'avons abordé, la question sensorielle est
présente dans beaucoup d'aspects du développement des personnes
autistes. Certaines difficultés motrices et cognitives peuvent
être liées à leur fonctionnement sensoriel atypique.
2.2.1. Les manifestations sensorielles
Les symptômes sensori-moteurs dans les TSA apparaissent
très tôt, dès les premiers mois de vie du
bébé (Degenne et al., 2019). On le remarque sur le plan visuel et
auditif, avec généralement peu de contacts oculaires et des
réactions atypiques aux sons. Les systèmes proprioceptifs et
vestibulaires sont aussi impactés, cela se traduit par de mauvais
ajustements toniques et posturaux, une tendance à rester statique.
Les perturbations sensorielles sont présentes dans la
majorité des TSA, mais la diversité de leurs manifestations rend
difficile l'élaboration d'un profil type. On peut cependant
dégager certains éléments souvent présents (Degenne
et al., 2019). Il est à préciser que ce ne sont pas les organes
sensoriels en eux-mêmes qui dysfonctionnent, mais c'est
l'intégration des informations perceptives qui se fait de façon
atypique (Gorgy, 2014).
Sur le plan visuel, les personnes autistes vont principalement
traiter les informations de manière locale (Degenne et al., 2019). Elles
vont s'intéresser à des détails, et ainsi manquer de
globalité dans leur perception visuelle. Nous pouvons mettre cela en
lien avec leur traitement cognitif et leurs difficultés à
créer des représentations globales, certainement impactés
par cette donnée sensorielle. La perception visuelle est souvent
dominante par rapport aux autres sens chez les personnes autistes. Gorgy (2014)
ajoute aussi que la luminosité et l'intérêt pour les
détails perturbent le traitement des visages et donc les interactions
sociales.
Le sens tactile est lui aussi souvent perturbé et cela
va impacter certaines activités du quotidien comme l'habillage, la
toilette, etc. (Degenne et al., 2019) La question de la perception de la
douleur et de la température se pose aussi souvent dans la clinique de
l'autisme. Selon Gorgy (2014), les réactions au toucher peuvent influer
sur l'attention et les interactions sociales, notamment avec la dimension
affective du toucher qui est mal perçue.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
11
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
Au niveau de l'audition, Gorgy (2014) explique que les aires
cérébrales liées à l'audition sont
sous-activées, cela perturbe l'intégration du langage et provoque
des réactions d'évitement ou de recherche sensorielle. On
remarque souvent une sous-réaction à la voix humaine, et des
problèmes de filtrage des sons (Degenne et al., 2019).
Sur les plans olfactif et gustatif, une
hypersélectivité, des besoins de tout sentir, des troubles de
discrimination gustative peuvent être observés. L'alimentation est
donc un point important à interroger chez les sujets TSA, d'autant plus
que l'aspect tactile intervient aussi dans celle-ci.
Des particularités dans le contrôle postural, des
maladresses ou encore des perturbations de l'équilibre peuvent
être en lien avec des traitements proprioceptif et vestibulaire
dysfonctionnant (Degenne et al., 2019).
Les sens fonctionnant de façon multimodale, il n'y a
généralement pas qu'une seule modalité sensorielle
touchée dans les TSA. L'intégration multimodale des informations
sensorielles est perturbée, notamment dans la connexion entre les
modalités sensorielles qui se fait avec un temps de latence (Gorgy,
2014). Le trop-plein d'informations sensorielles peut aussi conduire à
une saturation. Les conséquences sur la vie quotidienne et sur les
apprentissages vont donc être multiples. Ces particularités du
traitement sensoriel vont empêcher l'expression des capacités du
sujet, le rendre moins disponible aux interactions sociales, voire provoquer
l'apparition de comportements dits « problèmes » (Degenne et
al., 2019). Ces comportements peuvent prendre la forme d'agressivité, de
troubles attentionnels, de stéréotypies, etc.
2.2.2. Les expériences sensorielles
Les personnes autistes ont une perception du monde
différente de la nôtre. Leurs expériences sensorielles
présentent des caractéristiques que nous allons tenter
d'expliquer. Un premier degré de perception souvent observé dans
les TSA est la perception littérale, c'est-à-dire sans
interprétation (Bogdashina, 2012/2020). Le stimulus sensoriel ne prend
pas sens, il n'est pas compris et reste au stade de la sensation. Dans le
fonctionnement sensoriel typique, le cerveau anticipe et interprète ce
qu'il perçoit avant même de l'avoir analysé en
détail. Cette anticipation n'est pas réalisée dans la
perception littérale.
Les personnes autistes ont souvent des problèmes dans
le filtrage sensoriel (Bogdashina, 2012/2020). Ils ne distinguent pas les
stimuli proches ou lointains, importants ou non. Ils perçoivent tout
sans aucun filtre, chaque pièce ou situation constituant alors un tout
de sensations. Le cerveau n'est pas capable de traiter une quantité si
élevée d'informations et
12
va ainsi fragmenter les perceptions sans signification
particulière. Un objet va être identifié grâce
à une petite quantité d'informations, un seul détail. Si
ce détail change, il faut réapprendre à identifier
l'objet. Un même objet peut même être divisé en
plusieurs pièces séparées qui ne se lient pas entre elles
(Bogdashina, 2012/2020).
Des difficultés dans le filtrage des informations
signifient que quand un petit élément change, c'est le tout qui
change, provoquant de la confusion chez la personne. En effet, la situation est
similaire, familière, mais différente en même temps. La
plupart du temps, les gros changements sont plus faciles à vivre pour la
personne autiste, car ils constituent alors une situation complètement
différente, nouvelle, qui ne crée pas de confusion (Bogdashina,
2012/2020). Cela mène à des associations
d'évènements particulières, par exemple, si un jour un
verre a été cassé et que le tapis du salon était
bleu, alors à chaque fois que le tapis est bleu un verre doit se casser.
On remarque dans ce cas une rigidité de la pensée, et un manque
de généralisation. S'il y a une différence de contexte, ce
n'est plus la même situation et la personne ne sait plus quoi faire. La
création de routines et de rituels permet alors aux personnes autistes
de se rassurer et de maintenir une continuité dans un monde trop
changeant (Bogdashina, 2012/2020).
On remarque chez certaines personnes autistes un manque
d'accoutumance aux sensations, celles-ci restent présentes même
après que la stimulation initiale est arrêtée. C'est ce
qu'on appelle l'effet de rémanence (Bogdashina, 2012/2020).
La perception peut aussi être déformée,
distordue. La personne, pour équilibrer ses perceptions, pourra adopter
des comportements nous paraissant étranges comme tourner en rond,
sauter...
Un retard de traitement et un temps de latence de la
réponse sont généralement observés dans les TSA. En
effet, les processus de perception peuvent être différés,
empêchant la généralisation d'informations.
Réitérer la consigne, modifier l'élément va alors
demander de recommencer le processus de traitement (Bogdashina, 2012/2020).
Les modalités sensorielles fonctionnent parfois en
hypersensibilité ou en hyposensibilité. L'hypersensibilité
c'est que le seuil de perception est bas, c'est-à-dire qu'il faut peu de
stimulations, une faible intensité pour que la personne discerne les
stimuli (Bogdashina, 2012/2020). La personne perçoit des
éléments que nous ne percevons pas, comme des particules fines
sur le plan visuel, des fréquences sonores sur le plan auditif, etc.
L'hypersensibilité peut aller jusqu'à la douleur, les personnes
autistes expliquent que les sensations sont parfois impossibles à
supporter (Bogdashina, 2012/2020). L'anticipation du stimulus dérangeant
provoque parfois un comportement problème comme la
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
13
destruction de l'objet qui provoque la douleur. La question de
la prévisibilité du stimulus est donc importante à
intégrer dans nos soins. À l'inverse, la personne autiste peut
développer des fascinations pour certains stimuli, ce qui lui permet de
se couper du reste du monde. Le plaisir qu'elle en retire la rend cependant
dépendante de cette stimulation (Bogdashina, 2012/2020).
L'hyposensibilité c'est quand le seuil de perception
est haut. Il faut beaucoup de stimulations, une intensité importante
pour que celles-ci soient perçues (Bogdashina, 2012/2020). Il est alors
nécessaire de s'appuyer sur d'autres modalités sensorielles pour
appréhender l'environnement.
Ces hyposensibilités et hypersensibilités
s'observent en fonction des sens, mais aussi en fonction des différentes
stimulations. Par exemple, une stimulation sonore peut être en
hypersensibilité tandis qu'une autre est en hyposensibilité.
Elles conduisent souvent à la mise en place de comportements de fuite ou
de recherche de stimuli, allant parfois jusqu'à l'automutilation. Il est
important de comprendre la fonction de ces comportements et de proposer des
solutions plus adaptées avant de tenter de les supprimer (Bogdashina,
2012/2020).
Des incohérences de perception ne sont pas rares dans
les TSA, lorsqu'une sensation est une fois en hypersensibilité et une
autre en hyposensibilité, ou fluctue entre la normalité et l'une
de ces sensibilités (Bogdashina, 2012/2020). Cette fluctuation
dépend notamment de l'état d'excitation sensorielle initiale de
la personne.
On remarque fréquemment un état de surcharge
sensorielle chez les personnes autistes, en lien avec les expériences
sensorielles présentées (Bogdashina, 2012/2020). Cette surcharge
provoque des hypersensibilités, une incapacité à traiter
les informations sensorielles, des comportements
stéréotypés... Une sensation qui d'habitude n'est pas
dérangeante peut donc le devenir lorsque la personne est en
surcharge.
L'incapacité à traiter les informations se
traduit par une fermeture sensorielle, ou une agnosie sensorielle temporaire
(Bogdashina, 2012/2020). La fermeture correspond à un arrêt de
traitement des informations provenant d'une ou plusieurs modalités
sensorielles, ou un arrêt de la capacité à répondre
aux sollicitations. Le traitement multimodal ne se fait plus et la personne se
retire dans son monde, coupe les interactions sociales. L'agnosie sensorielle
correspond à un retour temporaire à un mode de perception
littéral, la personne ne peut plus mettre de sens sur ce qu'elle
perçoit (Bogdashina, 2012/2020).
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
14
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
2.2.3. Moyens d'adaptation
Des moyens inconscients d'adaptation à ces
expériences sensorielles s'observent dans la façon dont les
personnes autistes appréhendent le monde. Souvent, les personnes
autistes fonctionnent en monotraitement, c'est-à-dire que pour
préserver leur énergie et éviter la surcharge, elles ne
traitent qu'un sens à la fois. Cela implique une perte des informations
provenant des autres sens (Bogdashina, 2012/2020).
L'évitement de contacts trop directs avec leur
environnement est aussi un moyen de se protéger de la surcharge.
Effectivement, la perception directe pour chaque canal sensoriel est
généralement hypersensible. Les personnes autistes fonctionnent
donc avec une perception périphérique, plus facile à
gérer au quotidien. Cela explique en partie leurs difficultés
à regarder les personnes dans les yeux, ce contact est trop direct
(Bogdashina, 2012/2020).
Les personnes autistes compensent parfois le défaut
d'une modalité sensorielle par l'utilisation des autres sens. Cela
conduit par exemple à l'appui sur l'olfaction pour découvrir les
objets ou les personnes chez certains (Bogdashina, 2012/2020).
Des fonctionnements en résonnance sont remarquables
chez les personnes autistes. La personne se perd dans les
caractéristiques de l'objet, les fusionne à elle-même, et
ressent les émotions de l'autre sans comprendre son origine. On appelle
cela l'échoémotion (Bogdashina, 2012/2020).
2.3. Les stéréotypies et autostimulations
2.3.1. Définitions
Nous allons ici revenir sur l'un des critères de
diagnostic des TSA : les comportements restreints, répétitifs et
stéréotypés. Tout d'abord, il semble important d'expliquer
ce qu'est un comportement stéréotypé. Les
stéréotypies sont très fréquentes dans les TSA,
mais difficiles à définir (Gorgy, 2018). En effet, la
multiplicité de leur expression et le manque de connaissances sur les
mécanismes physiopathologiques à leur origine rendent difficile
le processus de définition. De plus, de nombreux termes
différents sont utilisés pour les qualifier :
persévérations, compulsions, comportements
répétés... Les avis sur leur classification divergent
aussi beaucoup.
On peut cependant les définir comme des conduites
répétées, rythmées qui n'ont pas de sens apparent,
sur un mode d'expression vocal ou moteur (Albaret, 2018; D'Ignazzio, 2019;
Gorgy, 2018). Leur forme et leur intensité ne varient pas ou très
peu.
15
Ces comportements sont suppressibles (Gorgy, 2018) et sont
à différencier des tics moteurs qui sont plus courts et
variables, des rituels dans les troubles obsessionnels compulsifs ou de crises
d'épilepsie (Albaret, 2018).
On distingue deux types de stéréotypies, celles
dites primaires qui sont présentes dans le développement normal
de l'enfant, et celles dites secondaires qui sont liées à des
troubles (Albaret, 2018). Les stéréotypies primaires sont une
manifestation corporelle des processus de développement neurologiques.
Leur intensité est plus faible et elles ne persistent pas au-delà
de 3 ans. Les stéréotypies secondaires sont pathologiques,
intenses et persistantes. Leur degré de sévérité
est souvent relié à un quotient intellectuel bas.
Dans les TSA, leur apparition est précoce (D'Ignazzio,
2019). On distingue plusieurs types d'expression des stéréotypies
(Albaret, 2018; D'Ignazzio, 2019; Gorgy, 2018). Elles peuvent être
motrices et toucher différentes parties du corps, dans des mouvements
simples ou complexes, avec ou sans objet, de motricité fine ou globale
(D'Ignazzio, 2019; Gorgy, 2018). Les autostimulations sensorielles, avec une
recherche de sensations et de plaisir, sont aussi une forme de
stéréotypie. Les aspects moteurs et sensoriels sont difficilement
séparables, c'est pourquoi on trouvera souvent le terme
d'autostimulations pour évoquer des stéréotypies (Gorgy,
2018).
Les stéréotypies peuvent être cognitives,
et s'exprimer par des rituels ou un contrôle de l'environnement comme les
alignements d'objets, ou encore verbales (D'Ignazzio, 2019).
2.3.2. Origine des stéréotypies
Plusieurs hypothèses de compréhension des
stéréotypies ont été élaborées.
Bullinger écrit en 2006 que les stéréotypies auraient pour
fonction de maintenir l'organisation sensori-tonique (cité par
D'Ignazzio, 2019). Cette hypothèse est appuyée par McBride et
Parker en 2015, qui expliquent les stéréotypies comme moyen de
gestion du stress (cité par Albaret, 2018). Elles seraient aussi un
moyen de régulation du niveau de vigilance et de l'attention (Albaret,
2018; D'Ignazzio, 2019).
Si l'on considère l'aspect sensoriel des
stéréotypies, celles-ci peuvent constituer un moyen de
réponse aux hyposensibilités ou hypersensibilités dans une
recherche ou un évitement de stimulations (D'Ignazzio, 2019; Gorgy,
2018). Elles persisteraient car le plaisir retiré de ces
autostimulations renforcerait le comportement, allant jusqu'à le rendre
addictif, mais aussi car il ne s'inscrit pas dans un processus d'habituation,
et ne prend alors pas sens (Gorgy, 2018).
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
16
Gorgy (2018) classe ces stéréotypies comme
sensori-motrices, elles peuvent à terme disparaître pour laisser
place à des actions fonctionnelles.
Gorgy (2018) explique que les stéréotypies
peuvent apparaître en réponse à des dysfonctionnements des
organes sensoriels. Le comportement stéréotypé aurait
alors pour fonction de tenter de rétablir le système perceptif.
Ces stéréotypies sont dites perceptivo-motrices.
Selon Gorgy (2014), le traitement perceptif des informations
précède le traitement émotionnel, qui lui-même
précède le traitement cognitif. Dans les TSA, le défaut de
perception va engendrer une réaction émotionnelle qui va alors
perturber la réponse motrice et comportementale. Si l'on suit ce
principe, la perception d'une douleur va aussi pouvoir activer une
réponse motrice spécifique, d'où l'importance d'une
recherche de cause somatique aux stéréotypies.
Des troubles dans le fonctionnement cognitif peuvent aussi
provoquer l'apparition de stéréotypies (Gorgy, 2018). En effet,
la personne ayant des troubles des fonctions exécutives va peiner
à structurer son action et donc rester dans des mouvements qu'elle
connait. Le manque de flexibilité et la gestion attentionnelle vont
aussi altérer l'accès à de nouveaux schèmes
moteurs. Les stéréotypies d'origine cognitive sont dites
cognitivo-motrices.
L'environnement peut avoir un effet sur les comportements
répétés dans sa façon de répondre aux
stéréotypies (D'Ignazzio, 2019). En effet, celles-ci peuvent
aussi avoir une fonction de recherche attentionnelle ou d'évitement de
certaines situations. La réponse à ces comportements va
conditionner la répétition de ceux-ci ou non : si
l'élément voulu est obtenu, la personne va systématiser le
comportement pour l'avoir à nouveau.
Étant donné que l'on observe des
stéréotypies dans la croissance normale de l'enfant, il semble
important de ne pas ignorer la dimension développementale de celles-ci.
Si elles incarnent des étapes du développement neurologique
normal, elles peuvent en effet marquer un dérèglement dans
celui-ci (Albaret, 2018).
Nous pouvons remarquer que les stéréotypies
peuvent avoir de multiples explications, ce qui rend leur compréhension
difficile. Pour comprendre l'origine et la fonction d'une
stéréotypie, il est donc important de garder une approche
bio-psycho-sociale et de chercher à la comprendre de façon
multifactorielle (D'Ignazzio, 2019).
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
17
2.3.3. Impact des stéréotypies sur le
fonctionnement de la personne
Les stéréotypies peuvent être
considérées comme une forme d'adaptation au milieu, car elles
répondent généralement à des perturbations internes
ou externes (D'Ignazzio, 2019). Pour déterminer quand agir sur une
stéréotypie il est nécessaire de comprendre si celle-ci
est organisante pour la personne, c'est-à-dire si elle permet de
réguler sa sensorialité ou ses émotions, ou si elle est
envahissante, c'est-à-dire si elle perturbe l'interaction ou l'attention
de la personne.
Des échelles ont été mises en place pour
l'évaluation des stéréotypies, elles permettent de mieux
les appréhender et d'intervenir en cas de nécessité
(Albaret, 2018; D'Ignazzio, 2019).
Nous allons agir sur les stéréotypies quand
elles restreignent le répertoire moteur de la personne ou lorsqu'elles
perturbent les apprentissages. Si l'intégrité physique de
l'individu est menacée par la stéréotypie et que celle-ci
tend à devenir une automutilation, il est impératif d'intervenir.
L'aspect social peut être un motif d'action si le comportement
paraît inadapté ou impressionnant (D'Ignazzio, 2019).
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
18
3. L'intentionnalité dans le mouvement, ou le
passage du mouvement au geste
Nous allons expliquer comment l'enfant parvient, sur la base
de ses perceptions sensorielles, à une instrumentalisation de son corps,
ou comment il passe d'un organisme à un corps. Bullinger (2007a)
définit l'organisme et le corps comme deux éléments
différents. L'organisme représente les fonctions corporelles
biologiques, il est l'objet, tandis que le corps est la résultante des
interactions de l'organisme avec son milieu, il est représentation.
3.1. Les bases du mouvement 3.1.1. De la posture aux
praxies
Obéji (2020) présente la posture comme
étant à la source du mouvement. En effet, la posture
prépare le mouvement, sert de point de départ à celui-ci.
Le maintien postural se fait grâce au tonus, et notamment au tonus axial.
Un bon tonus axial libère les membres pour l'action, les retient dans un
espace contrôlé et place la tête à la commande du
reste du corps.
À partir de cette posture stable, le mouvement peut
prendre naissance. Démarrer une action, c'est un équilibre entre
l'activation de certaines chaînes musculaires et l'inhibition d'autres
(Obéji, 2020).
Pour que le mouvement soit perçu dans le corps, il doit
produire et avoir pour objectif une variation (Douchin, 2014, cité par
Obéji, 2020). Le changement est en effet un aspect fondamental du
mouvement. Il peut sembler paradoxal que le mouvement soit changement, mais
nécessite une stabilité importante à sa
réalisation.
Pour accéder à un nouveau geste, il faut alors
oser créer un changement, aller vers une forme d'inconnu. « C'est
ainsi que l'on peut considérer que ce n'est pas tant l'acte moteur qui
fait le geste que l'intention, le désir qui l'anime. »
(Obéji, 2020, p. 65).
Le terme de praxie désigne une action orientée
dans l'espace dans le but d'interagir avec le milieu (Obéji, 2020), soit
le passage d'un aspect sensori-moteur à un aspect symbolique du
mouvement (Orjubin, 2022).
Une action orientée implique une analyse de
l'environnement pour répondre au but fixé (Obéji, 2020).
L'action dépend alors de nombreux facteurs : la maîtrise du geste
dans ses dimensions spatiales et temporelles, un objectif que le geste
permettra d'atteindre et la prise en compte des contraintes du milieu, qui
peuvent évoluer au cours même du geste. Il
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
19
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
est alors important que l'image corporelle soit stable pour
servir de repère dans l'engagement d'une action.
De plus, la notion de rythmicité du geste, de son
esthétisme vient apporter un intérêt et un plaisir à
celui-ci, motivant ainsi les apprentissages (Obéji, 2020). Cela
représente la dimension sociale du geste.
3.1.2. Les espaces du mouvement
La question des espaces est cruciale dans le
développement du geste (Obéji, 2020). On distingue plusieurs
notions d'espace au cours du développement. Au départ, c'est
l'espace des déplacements qui se construit, c'est-à-dire
l'organisation générale de l'espace, se situer dans celui-ci et
pouvoir l'explorer.
Cette exploration est conditionnée par
l'intérêt que va porter l'enfant aux objets : « Il est
nécessaire de donner l'envie, la sécurité, de partager
l'expérience, afin que l'enfant oriente ses perceptions sur ces objets
parce qu'investi par d'autres. » (Obéji, 2020, p. 57)
L'exploration dépend aussi du sentiment de
sécurité interne de l'enfant (Dugravier & Barbey-Mintz,
2015). Il se construit par le biais du système d'attachement à un
adulte, créé par l'accumulation d'interactions avec celui-ci.
Plus le lien d'attachement est sécure, plus l'enfant ose explorer un
environnement inconnu. Les réactions émotionnelles
provoquées par le milieu seront aussi mieux maîtrisées.
Puis l'espace des objets se développe, avec un
repérage des différents objets du milieu (Obéji, 2020). La
visualisation d'un espace nécessite de s'appuyer sur sa mémoire
sensori-motrice, sur les mouvements du corps nécessaires pour s'y
rendre, et implique donc d'avoir déjà pu l'explorer
(Poincaré, 1917, cité par Obéji, 2020).
Enfin, l'espace des limites est maîtrisé,
l'enfant fait la différence entre l'intérieur et
l'extérieur, le soi et le non-soi (Obéji, 2020). Penser les
espaces dans le geste, c'est aussi penser à celui du corps. Plusieurs
noms existent pour représenter cet espace, comme le schéma
corporel, l'image du corps, l'espace corporel, espace du soi... La construction
de cet espace se fait par l'exploration sensorielle, par la perception de
stimuli internes et externes. L'image du corps se construit alors que la
perception sensorielle passe d'un fonctionnement monomodal à multimodal,
et permet de délimiter l'intérieur et l'extérieur de
celui-ci.
Le dialogue tonique participe à l'intégration du
corps comme unité différenciée de son environnement
(Livoir-Petersen, 2008). Le processus de construction de l'espace du corps est
permis par le milieu humain ainsi que par la répétition des
expériences (Obéji, 2020).
20
Si l'image du corps n'est pas stable, les mouvements vont
avoir pour rôle un maintien constant de celle-ci, allant à
l'encontre de l'instrumentation du geste (Bullinger, 2007a).
3.2. Les processus de représentation 3.2.1. Tout
commence dans l'interaction
Les processus de représentation commencent dans
l'interaction entre l'organisme et son milieu (Bullinger, 2007a). Les
caractéristiques stables de l'organisme et celles de l'environnement
permettent une cohérence dans leurs échanges. Ainsi,
l'équilibre sensori-tonique de l'organisme est indispensable à
l'interaction. Cette cohérence et cet équilibre sont essentiels
pour que les échanges entre l'organisme et son milieu donnent lieu
à l'activité psychique. En effet, ils sont ce qui permet
d'interagir sans se désorganiser et à terme de modifier ses
conduites.
Piaget, en 1936, décrit trois niveaux de connaissance
des objets (cité par Bullinger, 2007a). Le premier correspond à
une connaissance dans l'interaction, et permet l'habituation à des
signaux sensoriels perçus dans cette interaction.
Le second niveau de connaissance des objets correspond
à la connaissance du geste sensori-moteur, dans ses aspects de vitesse,
de force, qui peut alors être anticipé et
répété. La représentation est alors centrée
sur le mouvement et ses caractéristiques.
Enfin, ce sont les objets et l'espace qui sont
représentés grâce à la trace du geste, à ses
effets. La représentation ne dépend plus du mouvement, elle est
déplacée sur l'effet de celui-ci. Le geste peut alors être
planifié dans une perspective de modification du milieu et devenir
action instrumentale.
L'activité psychique se construit grâce à
la répétition et à la régularité des
expériences sensorielles (Bullinger, 2007a). Au départ, le
traitement des signaux sensoriels se fait sur la base du tout ou rien, d'alerte
et d'orientation dans ce qu'on appelle la boucle archaïque. Le
développement de la perception, développé
précédemment, donne accès à une instrumentalisation
progressive du geste.
La répétition des expériences
sensorielles permet de les mémoriser et de les comparer, et à
terme de les symboliser. Pour Obéji (2020), mémoriser et comparer
les expériences implique que celles-ci aient fait trace et qu'elles
trouvent un écho entre elles, qu'elles se généralisent et
ne dépendent plus d'un contexte strict. D'un geste réalisé
uniquement en réponse à l'environnement, le sujet va pouvoir
passer à un geste d'instrumentation actif. L'anticipation repose alors
sur la stabilisation des processus d'activation et d'inhibition musculaire,
mais aussi sur la capacité à mémoriser et comparer les
expériences entre elles.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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3.2.2. Appropriation du corps
Un équilibre psychocorporel est essentiel dans les
processus d'élaboration des représentations (Obéji, 2020).
Passer d'un mouvement purement sensori-moteur à une action symbolique
nécessite en effet de pouvoir se sentir maître de son corps
(Orjubin, 2022). Ce sentiment constitue la première étape au
développement de l'autonomie. Maîtriser son corps, c'est se le
représenter comme un objet à part entière de
l'environnement, être soi-même acteur dans son milieu.
La seconde étape à la constitution de
l'autonomie est l'appropriation de ses capacités psychomotrices en les
adaptant au contexte temporel, spatial et social.
Le milieu humain joue un rôle crucial dans le passage de
la boucle archaïque, système d'alerte aux stimuli, à la
boucle cognitive (Bullinger, 2007a). Effectivement, grâce au dialogue
tonique, le milieu humain donne accès à une régulation des
états toniques engendrés par la perception des flux sensoriels.
Livoir-Petersen (2008) décrit trois rôles du milieu humain dans la
réorganisation tonico-émotionnelle du bébé. Ceux-ci
sont de faire cesser ce qui a désorganisé le bébé,
de le rassurer en lui apportant des éléments familiers et de
montrer de l'empathie par le biais du dialogue tonique.
L'équilibre tonique nécessaire à
l'interaction est alors maintenu et prend du sens dans celle-ci (Bullinger,
2007a). La boucle cognitive est constituée par l'apparition des
représentations. Celles-ci offrent de nouveaux moyens de
régulation tonique, d'anticipation et de compréhension du monde,
et permettent de se détacher de l'environnement immédiat
(Bullinger, 2007b).
Ainsi, de nouveaux gestes peuvent être mis en place, les
conduites sont transformées.
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
PARTIE CLINIQUE
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
PARTIE CLINIQUE
1. Présentation de la structure
1.1. L'institution
En stage au sein d'un Pôle TSA départemental, je
suis présente les mardis matin dans l'Institut
Médico-Éducatif (IME) du Pôle. Les après-midi sont
dédiés à un travail d'équipe mobile et de bilans
psychomoteurs. Le patient dont je vais présenter le cas étant
pris en soins à l'IME, je centrerai cet écrit sur mon
expérience dans cet établissement.
1.1.1. Les professionnels
C'est un IME qui prend en soins des enfants avec un TSA de six
à douze ans, avec TDI léger à modéré. L'IME
fonctionne sur un système d'internat séquentiel avec un accueil
des enfants de neuf heures à seize heures la journée, et de
certains enfants quelques nuits dans la semaine. On y trouve trois
unités de cinq à huit enfants, accompagnés de trois
à cinq professionnels de l'éducation. L'équipe du
quotidien est composée d'éducateurs spécialisés et
de moniteurs-éducateurs. En parallèle, une psychologue et une
psychomotricienne sont présentes en tant que professionnelles
ressources. Elles proposent des bilans ou des observations sur le quotidien
lorsqu'un besoin est identifié. La psychomotricienne anime aussi des
groupes thérapeutiques pour les jeunes de l'IME.
Une coordinatrice de parcours supervise les suivis de chaque
enfant et s'assure que les professionnels suivent les recommandations de bonnes
pratiques. Chaque enfant a un éducateur référent qui sera
l'interlocuteur privilégié pour les parents et les professionnels
qui interviennent dans le soin de cet enfant.
Les objectifs de cette structure sont d'accueillir les jeunes
avec TSA et leur apporter un maximum d'autonomie au quotidien grâce
à des dispositifs d'éducation structurée.
À leur entrée, les enfants disposent de bilans
et un Projet Personnalisé d'Accompagnement (PPA) est mis en place avec
les équipes et les parents. Ce PPA est renouvelé chaque
année en fonction de l'évolution de l'enfant et de ses troubles.
On y détermine un objectif à l'année,
décomposé en sous-objectifs évaluables, en
déterminant donc des moyens d'évaluation objectifs.
La psychomotricienne intervient sur tout le Pôle, sur le
Service d'Éducation Spéciale et de Soins à Domicile
(SESSAD), l'IME, l'équipe mobile... Elle n'est donc pas à temps
plein au
23
sein de l'IME. Elle n'y fait que des prises en soins groupales
afin d'apporter la psychomotricité à un maximum d'enfants sur le
temps du mardi matin.
1.1.2. Les locaux
Les locaux sont aménagés en trois unités,
dans lesquelles on trouve une salle à manger, une salle commune, une
salle de loisirs, une salle d'apaisement sans aucun mobilier, une salle de
vis-à-vis ainsi que des sanitaires et douches. Deux unités se
partagent le rez-de-chaussée, tandis que la dernière unité
est au deuxième étage. Une salle de psychomotricité et une
salle multisensorielle sont partagées entre les trois unités et
se trouvent au premier étage, avec les bureaux administratifs et la
salle de classe.
La salle de psychomotricité est une grande salle, aussi
utilisée pour les activités sportives. On y trouve au fond quatre
agrès sportifs, comme des vélos elliptiques et agrès de
marche. Une table avec deux chaises est installée pour les
activités au bureau, un grand miroir est fixé au mur, suivi par
un petit mur d'escalade et un espalier, et des chaises sont placées le
long du mur adjacent. Au plafond est attaché un système de
fixation pour la balançoire que l'on installe parfois, au centre de la
pièce.
Une porte donne accès à un placard où est
rangé le matériel de psychomotricité.
1.2. Déroulé d'une journée type
à l'IME
Tous les matins de la semaine, les enfants arrivent à
l'IME autour de neuf heures, pour la plupart en taxi. Un temps d'accueil leur
est proposé dans leurs unités respectives. Là, ils sont
libres jusqu'à leur première activité. Les enfants, dans
leur journée, vont avoir des temps scolaires avec l'enseignante, des
temps de vis-à-vis avec leur éducateur-référent, ou
des temps d'activités plus ludiques parfois. Des sorties à la
piscine sont aussi organisées dans la semaine. Des temps de
récréation sont proposés en milieu de matinée et
après le repas du midi.
L'établissement suit les méthodes TEACCH et ABA,
et présente donc un environnement neutre, avec des pictogrammes et
indications pour favoriser l'autonomie des enfants. Des schémas
journaliers sont en place pour les enfants qui ont les capacités de les
comprendre, avec des pictogrammes qui correspondent aux différentes
activités et actions du jour. Les vis-à-vis peuvent servir
à apprendre les pictogrammes, le fonctionnement d'un schéma,
etc.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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2. Présentation de Jamil 2.1. Anamnèse
Je vais aborder le cas d'un jeune patient, que je nommerai
Jamil, né en juillet 2014, il a donc sept ans et demi. On retrouve peu
d'informations dans son dossier informatisé, et la présence
limitée de la psychomotricienne au sein de l'IME ne permet pas de
compléter les informations manquantes. Ma recherche d'informations
supplémentaires auprès des équipes a été
parasitée par le manque de temps d'échanges possibles. Je
présenterai ici les quelques informations d'anamnèse que j'ai
été en mesure de récupérer.
Jamil a deux soeurs, une plus jeune et une plus
âgée, et ses parents sont séparés. Il a grandi dans
un climat familial violent, son père est incarcéré depuis
un an.
Le diagnostic de TSA est posé tardivement pour Jamil,
autour de ses trois ans. La mère de Jamil observe notamment chez lui des
problèmes de communication vers ses deux ans et demi et consulte
à cette période. À la suite du diagnostic, Jamil n'est pas
immédiatement pris en soin dans un établissement
spécialisé et continue de vivre à son domicile. Il arrive
à l'IME fin 2020, autour de ses six ans et demi. Je n'ai pas
d'informations concernant d'éventuels suivis pendant la période
entre le diagnostic et l'entrée à l'IME, mais il semble qu'il n'y
avait pas de psychomotricité.
Le PPA de Jamil élaboré pour l'année est
de pouvoir exprimer sa douleur et la localiser. Jamil peut en effet se mettre
en danger et se faire mal. Selon la mère de Jamil, sa réaction
à la douleur est souvent atypique.
Jamil n'a pas encore réalisé de bilan
psychomoteur à mon arrivée, il est prévu qu'il en
réalise un vers la fin de l'année. Son projet au sein du groupe
est de pouvoir se poser et suivre les consignes sur un temps défini de
la séance : sur le parcours psychomoteur. Cela s'inscrit dans la
continuité de son PPA : afin de pouvoir prendre conscience de ce qu'il
se passe dans son corps, il est nécessaire qu'il puisse s'apaiser sur le
plan moteur.
2.2. Contexte du soin
Il n'y avait précédemment pas de
psychomotricienne sur l'IME, Jamil ne disposait donc pas de suivi psychomoteur.
La psychomotricienne arrive en novembre et j'arrive deux semaines après
elle sur l'établissement.
Une éducatrice organise un groupe moteur avec quatre
enfants de son unité, elle se trouve en difficulté à le
mener et demande l'aide de la psychomotricienne. Cette dernière et
moi-même nous sommes donc intégrées au groupe à sa
demande afin de le coanimer. Ce
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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groupe n'avait jusqu'alors pas d'objectifs formulés, ni
de structure particulière, les enfants avaient accès libre au
matériel qu'ils préféraient. La psychomotricienne observe
deux séances du groupe avant mon arrivée afin de
déterminer des objectifs et une structuration de séance. Notre
arrivée marque alors un changement, la séance est
structurée en différents temps : temps d'accueil,
échauffements par des déplacements dans la pièce, parcours
psychomoteur, temps sensoriel libre puis temps calme. Ces temps sont
signifiés sur un schéma avec des pictogrammes.
Durant les séances de psychomotricité, je prends
rapidement une place active dans l'accompagnement des jeunes sur les
activités.
2.3. Première rencontre
Je rencontre Jamil pour la première fois au sein de son
unité à l'IME, sur le temps d'accueil puis sur un temps de
goûter juste avant de descendre en séance de
psychomotricité. Jamil est un enfant d'origine arabe, il a le teint
hâlé et les yeux marrons, ses cheveux sont sombres et
légèrement bouclés. Il est plutôt fin, et a les
traits du visage assez doux. Jamil semble plein d'énergie et difficile
à poser. Il ne parle pas, mais peut produire des sons comme des cris
lorsqu'il s'ennuie ou qu'il est dans l'excitation.
Jamil comprend bien le langage oral lorsque les phrases sont
simples, il ne présente pas de déficience intellectuelle
marquée. Il dispose d'un classeur avec différents pictogrammes
qu'il peut prendre et montrer aux professionnels pour formuler des demandes.
Jamil se saisit bien de cet outil pendant les temps de repas par exemple,
où il est capable de demander un fruit ou du pain.
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3. Les séances de psychomotricité
3.1. Une agitation psychomotrice marquée
3.1.1. Première séance :
incapacité à rester immobile
Lors de la première séance où j'assiste
au groupe, nous expliquons aux enfants la nouvelle structuration de la
séance et plaçons le schéma au mur. À chaque
étape nous prenons le temps de montrer le pictogramme qui correspond.
Le premier pictogramme correspond à l'action de retirer
ces chaussures. C'est une action qui était déjà
réalisée en début de groupe, elle est donc bien
intégrée par Jamil et les autres enfants.
Après avoir retiré ses chaussures, Jamil se
dirige seul vers le placard pour aller chercher la balançoire. Il avait
pour habitude d'utiliser cette balançoire sur le temps de groupe lorsque
la monitrice-éducatrice l'animait seule. Nous lui indiquons que non, ce
n'est pas encore le moment pour la balançoire, mais qu'il pourra l'avoir
plus tard en fin de séance, comme récompense. Il accepte de ne
pas avoir la balançoire, mais ne parviens pas à rester en place.
Il court dans la pièce, avec un tonus élevé et grimpe sur
l'espalier. Son agilité me surprend, il semble réaliser les
mouvements de manière automatique, avec une bonne dissociation des
membres et une maîtrise de son équilibre. Cependant, il ne semble
pas réellement présent à ce qu'il fait. Lorsqu'il
redescend, il saute, se jette presque au sol. Cela me surprend encore une fois,
et j'éprouve une volonté d'aller le rattraper, comme s'il allait
se faire mal. Il se réceptionne pourtant correctement sur ses deux
jambes, malgré un impact assez fort qui le pousse à les plier.
Tout cela se déroule très rapidement, Jamil me semble plein
d'énergie et je me sens presque dépassée par sa
vitesse.
Le temps suivant est un temps d'accueil, où nous nous
passons une balle les uns aux autres en nous disant bonjour. Jamil a du mal
à se calmer sur ce temps, son agitation est très présente
: il court dans la pièce, sautille et escalade des agrès. Son
tonus est encore une fois très élevé, dans ce qui semble
un trop plein d'énergie. Il pousse aussi quelques cris d'excitation.
Lorsqu'il a la balle dans les mains et qu'on lui demande de la donner à
un autre enfant, il la lui jette sans vraiment regarder la direction de son
geste. Son regard est porté sur son objectif suivant : l'espalier, vers
lequel il se dirige au moment même où il lâche le ballon.
Puis nous entamons des échauffements, qui consistent en
des déplacements dans la pièce : course, quatre pattes, ramper...
Courir avec Jamil est possible et amène encore une fois de
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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l'excitation, qui est ensuite difficile à contenir. Il
va s'échapper alors que je suis avec lui pour l'accompagner et filer
très vite à l'autre bout de la pièce, vers l'espalier,
qu'il escalade encore une fois. Je lui dis de descendre, et le ramène
assez aisément à l'activité en cours. Les
déplacements au sol sont plus difficiles à réaliser,
j'essaie de lui montrer, de le guider au sol, mais il ne le fait pas. Je me
demande alors si c'est une question de compréhension ou d'envie,
d'intérêt qu'il ne trouve pas dans le fait d'aller au sol.
À ce moment, Jamil s'échappe à nouveau pour aller grimper
sur les agrès, chercher à nouveau de la hauteur. Il me
paraît alors insaisissable, comme s'il me « glissait » entre
les mains, qu'il était impossible de le garder présent avec
nous.
Nous prenons ensuite le temps d'installer un parcours
psychomoteur. Ce temps de transition permet à Jamil de grimper à
sa guise, sous notre surveillance. Je ressens cependant le besoin de toujours
le surveiller. En effet, il est capable de se mettre en danger en escaladant
les agrès, dans des positions de déséquilibre. Ce besoin
d'être toujours vigilante à ce qu'il fait est présent
durant toute la séance, alors que je le rencontre à peine.
Il vient ensuite s'intéresser au matériel que
nous sortons et nous aider à l'installer. Nous installons une poutre en
mousse, des barres à enjamber, des plaques sensorielles au sol, un
tunnel ainsi qu'une planche d'équilibre. Jamil semble aimer nous aider
à installer le matériel. Je porte alors sur lui un autre regard,
son agitation laisse place à un enfant curieux. Il aide à placer
les barres dans les plots, mais se trouve en difficulté pour les placer
correctement dans les trous, car son regard n'est pas fixé sur ce qu'il
fait. Cependant, pour la première fois de la séance je me sens
« avec » lui, et non plus « autour » de lui.
Il est difficile de faire suivre le parcours à Jamil,
il va commencer puis partir au milieu du parcours pour aller grimper sur
l'espalier à nouveau. Nous le ramenons au parcours, pour qu'il le
finisse, et aussitôt finit il retourne escalader les agrès.
J'observe à chaque fois que lorsqu'il doit redescendre il ne prête
pas attention à la présence d'un autre objet, d'une personne en
dessous de lui, il se lâche afin de retrouver le sol.
Durant le parcours, Jamil parvient à aller au sol dans
le tunnel, et s'y déplace à quatre pattes. Je suis
étonnée, lui qui ne va pas au sol lors des déplacements
accepte de le faire quand l'objectif est de traverser le tunnel. Je me
questionne alors, la nature contenante du tunnel a-t-elle aidée à
ce qu'il accepte de se déplacer au sol, ce qu'il n'a pas l'habitude de
faire ? Ou la présence d'un but, traverser, le motive-t-elle à
accepter un déplacement qui n'a d'habitude pas de sens, d'utilité
pour lui ?
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
28
Nous rangeons ensuite le matériel du parcours et
sortons des éléments pour le temps sensoriel libre. Jamil nous
aide encore une fois à ranger le matériel et montre de bonnes
capacités de mémorisation : il est capable de replacer les objets
dans le placard au bon endroit, sans que nous ayons à le lui indiquer.
Sur ce temps sensoriel, Jamil demande à utiliser la balançoire,
il la prend par lui-même et la place en dessous de la fixation, puis
essaie de la soulever pour l'accrocher, mais n'atteint pas la hauteur de la
fixation. C'est une balançoire à assise circulaire en tissu
épais avec trois points d'attache qui se rejoignent en une fixation en
haut. Une fois la balançoire attachée, j'observe Jamil se jeter
dedans sans aucune considération pour son environnement ou du danger
possible pour lui-même ou les autres. Il se balance très fort,
très haut et ferme les yeux et place sa tête en arrière.
Ses comportements d'escalade que j'ai observés pendant
la séance, mis en lien avec ce balancement durant le temps sensoriel, me
questionnent sur un éventuel besoin de sensations vestibulaires chez
Jamil. Il semble apprécier et rechercher les stimulations vestibulaires
fortes.
Nous éteignons ensuite les lumières et jouons
une comptine sur un téléphone afin de proposer aux enfants un
temps calme. La comptine offre une enveloppe sonore et la baisse de
luminosité permet de réduire les stimulations visuelles, offrant
un espace d'apaisement sensoriel. La psychomotricienne, la
monitrice-éducatrice et moi-même restons très disponibles
durant ce moment. Nous offrons des stimulations tactiles avec des balles
à picots ou un appui dos pour les enfants qui le veulent. Jamil
apprécie la baisse de luminosité, mais il ne se pose pas dans cet
espace, même avec les stimulations tactiles qui lui sont
proposées. Il continue ses comportements d'escalade, de course et pousse
même des cris qui semblent liés à une excitation.
À l'issue de cette séance, je m'interroge sur
l'agitation que j'observe chez Jamil. Il me semble que l'immobilité lui
est très difficile à atteindre, et que dans son mouvement il
recherche une certaine hauteur et des éléments sensoriels
vestibulaires. Son tonus axial est élevé, comme dans une
recherche de grandissement et peut-être de sensations proprioceptives.
Revenir au sol est difficile pour lui, malgré nos encouragements et nos
démonstrations. Je fais l'hypothèse que revenir au sol n'apporte
pas les sensations proprioceptives et vestibulaires que Jamil recherche, il n'y
trouve donc pas d'intérêt. En effet, Jamil semble apprécier
le déséquilibre, ce qu'un déplacement au sol apporte
peu.
Ces comportements d'escalade et de course semblent le couper
du monde et des conséquences de ses actions, Jamil est peu
présent au groupe et aux activités qu'il réalise. Je
l'observe, mais nos regards ne se croisent pas, il est absorbé par ses
sensations. La relation avec Jamil ne semble pas trouver d'attache.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
29
Il est malgré tout relativement aisé de le
ramener à l'action présente, lorsqu'on lui donne la consigne de
descendre il le fait. Néanmoins, son besoin d'escalader revient
rapidement et nous le « perdons » à nouveau. Ces conduites me
paraissent très envahissantes au cours de la séance.
Je me demande alors si cette agitation est influencée
par le changement que nous apportons au groupe, autant par la présence
de deux nouveaux adultes que par le changement du dispositif. Cette agitation,
proche d'une hyperactivité, me pose aussi une question sur
l'éventuelle présence d'un TDAH associé. Après
vérification auprès de la psychomotricienne, le diagnostic de
Jamil n'inclut pas de TDAH.
L'aspect sensoriel me paraît dès le début
assez présent dans le fonctionnement de Jamil et me questionne. Un
profil sensoriel serait pour moi important à réaliser pour tenter
de comprendre ce qu'il se joue pour lui.
Je me questionne aussi sur l'état de vigilance qu'il me
fait vivre, mon attention semble accaparée par Jamil. Est-ce alors un
moyen pour lui d'attirer, de maintenir l'attention sur lui ?
3.1.2. Seconde séance : besoin sensoriel important
?
La structure de cette seconde séance est la même
que la semaine précédente, et se déroule plus
aisément que la précédente, car déjà
expérimentée par les enfants, mais aussi par nous-mêmes. Le
cadre est plus facile à tenir auprès de Jamil et des autres
enfants du groupe. Jamil est moins agité et accepte plus facilement les
propositions d'activités. Sur le temps d'accueil, il continue de se
déplacer et grimper, mais peut prendre la balle et la relancer à
un autre enfant. Encore une fois, son regard n'est pas porté sur ce
qu'il fait, bien que le geste ait été juste dans sa direction et
sa force.
Durant les déplacements dans la pièce ensuite,
Jamil court, mais ne va encore pas au sol. Les enfants de ce groupe vont tous
peu au sol, alors nous décidons de placer dans le parcours des barres
pour qu'ils passent en dessous à la place des barres à enjamber.
Le reste du parcours reste le même, afin qu'ils s'habituent à
celui-ci. Nous apporterons de la nouveauté plus tard, quand le cadre de
la séance sera mieux intégré.
Lorsqu'il faut passer en dessous des barres, Jamil est capable
de ramper. Ses mouvements sont alors moins précis et agiles que
lorsqu'il escalade le mobilier, mais la dissociation des membres est bien
présente. Encore une fois, il est difficile de le maintenir dans
l'activité : une fois les barres passées, Jamil se met debout et
court jusqu'aux agrès. Je suis obligée de le suivre et de le
ramener au parcours afin qu'il le finisse, il est important qu'il distingue
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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les moments de « travail » et les moments où
il peut faire ce qu'il veut. Je me questionne à nouveau sur la fonction
de cette fuite, est-ce purement une recherche de stimulations sensorielles
qu'il ne peut réprimer ? Ou est-ce aussi un moyen de fuir une
activité qu'il ne veut pas faire et qui pourrait le mettre en
difficultés sur le plan sensori-moteur ?
Je me questionne aussi sur la pertinence de ce qui est
proposé, s'il ne peut se passer d'informations sensorielles
vestibulaires et proprioceptives fortes, comment peut-il réaliser un
parcours entier qui en contient peu ? Le temps sensoriel libre où il
peut se stimuler comme il le souhaite se déroule en fin de
séance, comment tenir jusqu'à ce moment, alors même que le
besoin est là, maintenant ? De façon plus générale,
comment l'amener à une conscience du corps comme entité et non
plus comme objet de satisfaction sensorielle ?
Durant le temps sensoriel libre ensuite, nous installons un
ballon d'équilibre, constitué d'un demi-ballon fixé
à une plateforme ronde et rigide. Nous le posons sur le
côté planche, afin que le dôme du ballon serve de surface
sur laquelle rebondir ou tenir en équilibre. Jamil s'y intéresse,
il saute dessus en tenant les mains de la psychomotricienne. Son attention se
porte ensuite sur une corde que nous avons attachée sur la fixation de
la balançoire, il grimpe dessus, s'y balance. Il change rapidement
d'intérêt pour se diriger vers l'espalier, qu'il escalade et sur
lequel il se place en cochon pendu, les yeux fermés. Il se coince le
pied dans une barre de l'espalier, et semble ne plus savoir comment s'en
sortir. Il pousse des gémissements de plainte et essaie de tirer sur son
pied pour le sortir du barreau, mais n'y parvient pas. Je perçois
à ce moment de la peur chez Jamil, son tonus est élevé.
Quand la psychomotricienne s'approche pour l'aider à descendre, elle
pose sa main sur son ventre pour servir de soutien. Il dépose alors tout
son poids sur sa main, et lâche complètement l'espalier.
Sitôt qu'un appui humain lui est proposé, Jamil s'en sert comme
support à son corps tout entier.
Pour finir, nous entamons le temps calme, toujours dans les
mêmes conditions que la première séance. Encore une fois,
il est impossible pour Jamil de se poser sur ce temps, il éprouve encore
le besoin de bouger, toujours dans les mêmes mouvements d'ascension.
3.1.3. Troisième séance : une perturbation du
cadre
À l'issue de ces premières séances, nous
remarquons chez les enfants des difficultés à être
présents aux activités proposées. Il semble qu'ils aient
du mal à comprendre que le temps sensori-moteur libre arrive à la
fin, et sont très envahis par des éléments sensoriels
pendant les ateliers. Cette réflexion nous amène à
déplacer ce temps libre en début de
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
31
séance, après le temps d'accueil, afin de leur
permettre de se « remplir » d'éléments sensoriels et
ainsi être plus accessibles à nos propositions ensuite.
Une grève fait que la monitrice-éducatrice doit
rester sur l'unité pour combler un manque d'effectif. La
psychomotricienne et moi-même emmenons deux enfants du groupe afin de
leur proposer une séance. Après le temps d'accueil qui se
déroule plutôt aisément, nous proposons aux deux enfants,
dont Jamil fait partie, un temps sensoriel libre. Jamil choisit encore une fois
d'utiliser la balançoire, dans laquelle il se balance très fort,
en fermant les yeux et en plaçant sa tête en arrière.
La psychomotricienne et moi-même profitons de ce temps
sensoriel pour réorganiser la salle, ce qui attire l'attention des
enfants sur les agrès, que nous déplaçons. Ils viennent
alors les utiliser pour se stimuler, en observer les mécanismes, les
utiliser.
Le temps de déplacements que nous proposons par la
suite se déroule comme habituellement, il est difficile de faire en
sorte que Jamil se déplace au sol. Puis, nous commençons à
installer le matériel pour le parcours psychomoteur. Jamil refuse que
nous sortions le matériel et cherche à le ranger par
lui-même. Il refuse ensuite de faire le parcours et s'évertue
à le ranger. Il pleure lorsque nous lui indiquons que ce n'est pas le
moment de ranger, qu'il doit laisser le matériel à sa place. Ce
comportement de rangement me questionne. Est-ce un moyen pour Jamil de nous
montrer qu'il ne veut pas continuer la séance ? Nous avons sur cette
séance perturbé le cadre : il manque les autres enfants ainsi que
la monitrice-éducatrice, et nous plaçons le temps sensoriel en
début de séance et non plus à la fin. Est-ce alors un
moyen de garder un contrôle, une maîtrise alors que le cadre n'est
plus connu ? Cette séance est la troisième où la
psychomotricienne et moi-même intervenons, et la cinquième
où la psychomotricienne est présente. Jamil ne nous a
peut-être pas encore intégrées comme personnes de confiance
et l'absence de la monitrice-éducatrice le laisserait alors sans
repères stables.
Ma réflexion se porte aussi sur un aspect sensoriel,
Jamil a déjà pu montrer une sensibilité à la
lumière pendant les séances. Il se frotte parfois les yeux en fin
de séance, mais surtout va éteindre les lumières, et
refuse qu'elles soient allumées de nouveau. L'autre enfant
présent à cette séance présente le comportement
inverse, il cherche à allumer les lumières. S'instaure alors un
va-et-vient autour de l'interrupteur, difficile à endiguer. Sur le plan
visuel donc, Jamil semble montrer une certaine sensibilité. Le
matériel qui compose le parcours est très coloré : des
barres et plots de toutes les couleurs, un tunnel bleu, des plaques
sensorielles colorées elles aussi. La lumière de la salle
provient du plafond et est plutôt forte, même si elle est diffuse.
Le seul moyen de tamiser un peu la lumière est de
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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n'allumer que la moitié des luminaires. Tout cela est
très stimulant visuellement et il n'est pas impossible que Jamil ne
supporte pas de subir toutes ces informations sensorielles. Son comportement de
rangement pourrait donc être lié à une sensibilité
douloureuse aux stimuli visuels.
Sur le temps calme en fin de séance, Jamil semble
s'apaiser et ne pleure plus. L'obscurité l'aide à se calmer, bien
que son agitation reste présente. Il reprend ses conduites d'escalade,
et se coupe encore une fois du monde.
3.1.4. Quatrième séance : mise en danger
La séance qui suit se déroule avec beaucoup
d'agitation chez Jamil. S'il escaladait déjà beaucoup le mobilier
lors des séances précédentes, cela est encore plus
marqué lors de celle-ci. Jamil est très actif et nous peinons
à le maintenir sur les activités. Plus que d'habitude, Jamil se
met en danger en grimpant sur les agrès, l'espalier, en prenant des
positions d'équilibre instable, il lâche par exemple les mains, ne
tient que sur un pied, se jette sur le mobilier.
Sur le temps sensoriel, que nous avons décidé de
maintenir en début de séance, Jamil utilise la balançoire
et se jette dedans, la fait monter très haut en ne prenant pas en compte
d'autres enfants qu'il pourrait blesser ou de sa propre sécurité.
Nous ne parvenons pas à lui faire réaliser le parcours, et encore
moins à l'aider à se poser pendant le temps calme, durant lequel
il pousse des cris en courant notamment.
L'après-midi qui suit, nous apprenons qu'au cours d'une
promenade, Jamil a chuté du haut du toboggan d'une structure pour
enfant. Il était toujours dans des comportements d'escalade et de mise
en danger et la chute lui a causé de se casser les incisives
supérieures. Les professionnels nous rapportent que Jamil a réagi
très fort à la vue du sang, et probablement à la frayeur
de la chute, en hurlant et pleurant. Ils identifient difficilement si la
réaction est due à une douleur ressentie ou non.
Après cet évènement, je ressens une
inquiétude vis-à-vis de cet enfant. Je me demande comment l'aider
à contrôler son besoin de sensations vestibulaires, à lui
faire comprendre les situations de danger dans lesquelles il se place. J'ai
l'impression que son besoin sensoriel n'est jamais rassasié, qu'il a
toujours besoin de plus, et je me sens impuissante face à cela.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
3.1.5. Cinquième et sixième séance :
mise en place d'une routine
Les séances suivantes se ressemblent, les conduites
d'escalade et de course de Jamil sont toujours présentes,
répétées et leur forme ne change pas. Le cadre de la
séance semble compris par Jamil, et plutôt bien
intégré, mais il est toujours difficile de lui faire
réaliser une activité du début à la fin.
La sixième séance se déroule en deux
temps, car il manque des professionnels sur les unités, la
monitrice-éducatrice ne peut pas nous accompagner. Dans un premier
temps, nous accueillons sur le groupe Jamil et l'enfant avec qui il avait
déjà partagé une séance, puis dans un second temps
nous accueillons les deux autres enfants du groupe. Jamil ne se montre pas plus
perturbé par ce changement du cadre, peut-être parce que cette
configuration a déjà eu lieu, et que la psychomotricienne et moi
sommes mieux intégrées par ces enfants. Jamil accepte de
réaliser les activités de déplacements et de parcours
aisément, même si cela est parasité par ses
échappées vers l'espalier ou les agrès. Je suis surprise
de le voir continuer à escalader l'espalier et se balancer toujours
aussi fort alors qu'avant les vacances de Noël, Jamil a fait une chute
effrayante. Il ne montre pas d'appréhension, ce qui me questionne sur ce
qui fait trace chez cet enfant. Depuis mon arrivée, Jamil montre des
conduites d'escalade pendant les séances, son besoin de grimper semble
toujours le même. C'est comme s'il était impossible à
satisfaire sur le plan sensoriel. Est-ce alors que son besoin est trop grand
pour parvenir à en atteindre la satisfaction ? Ou est-ce parce que les
expériences ne font pas trace, et que tout « repart à
zéro » à chaque fois qu'il descend ?
En prêtant plus attention à ces moments où
Jamil escalade le mobilier ou se place en cochon pendu les yeux fermés
sur l'espalier, je remarque que plus rien d'autre ne semble exister pour lui.
C'est comme s'il n'y avait plus que lui, ses sensations, et que les autres
enfants, les professionnelles et tout autre élément de la
pièce disparaissaient. En nous manifestant verbalement, en lui demandant
de descendre et de réaliser l'activité, nous sommes de nouveau
présentes, pour un court moment.
Ce sentiment de ne plus exister aux yeux de Jamil me fait
presque violence, quand je le réalise, comme si je cessais
réellement d'exister. C'est comme si son regard, son attention
conditionnait ma présence, et qu'en l'absence de celle-ci je
n'étais plus. Comme je l'ai déjà mentionné, la
constante vigilance qu'il provoque chez l'autre en se mettant facilement en
danger lui permettrait peut-être d'exister au travers de cette attention.
Ainsi, mon sentiment serait un miroir de ce processus : tout comme il n'est
plus sans le regard de l'autre sur lui, je n'existe plus sans son regard
à lui.
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
3.2. Le profil sensoriel, une entrée dans le monde
de Jamil
Un profil sensoriel est réalisé en
février, à partir de la Checklist du Profil Sensoriel -
Révisé (CPS-R) de Bogdashina (2012/2020). Un entretien, auquel je
n'ai pas pu assister, est réalisé avec la mère de Jamil
pour répondre aux diverses questions du profil.
Il en ressort d'importantes particularités sensorielles
ayant un fort impact sur sa relation à l'environnement. Sur le sens
visuel, Jamil perçoit tous les détails de son environnement, mais
parvient à filtrer et sélectionner les détails pertinents
afin de comprendre le contexte. Jamil est facilement distrait et peut atteindre
des moments de surcharge aux stimuli visuels.
Il montre aussi des comportements de recherche de stimulations
visuelles comme les lumières, les couleurs ou les reflets, liés
à une hyposensibilité. Ces comportements peuvent parfois
s'apparenter à une fascination. Cependant, Jamil présente une
sensibilité douloureuse à certains stimuli comme la
lumière des néons ou certaines couleurs spécifiques (rose,
légumes verts). Ces états d'hyposensibilité et
d'hypersensibilité fluctuent en fonction de son état de fatigue.
J'ai en effet pu observer que les lumières pouvaient être
difficiles à supporter en séances, particulièrement
lorsqu'il est fatigué.
Lorsqu'il atteint un état de surcharge sensorielle,
Jamil ne traite plus les informations visuelles qui lui parviennent et va
compenser par un autre sens. Jamil va d'ailleurs parfois explorer les objets
grâce à l'odorat, au toucher plutôt qu'à la vision.
Sa recherche de stimulations vestibulaires serait-elle un moyen de compenser,
de fuir les sensations visuelles désagréables ?
Jamil présente une très bonne mémoire
visuelle et est capable de bien analyser les informations lorsque les stimuli
ne sont pas trop envahissants.
Sur le plan auditif, Jamil perçoit aussi tous les sons
sans arriver à les filtrer, sa perception est alors fragmentée.
Il ne traite que le dernier mot d'une phrase par exemple, cela est à
prendre en compte dans les consignes données. Sa perception de la voix
est aussi retardée, il peut montrer un temps de latence après une
consigne.
Jamil est hypersensible aux stimuli auditifs faibles et aigus
et peut y réagir de façon exacerbée, tandis que d'autres
sons sont perçus de manière hyposensible. Il va alors rechercher
ces sons plutôt forts, comme les vibrations, la musique ou le son de sa
voix, ce qui peut devenir envahissant dans son quotidien. Parfois, Jamil ne
semble plus traiter l'information auditive et compenser par l'utilisation de la
vue.
Le toucher chez Jamil est aussi impacté, il montre des
difficultés à distinguer les stimuli d'intensités
différentes. Il ressent aussi les sensations tactiles plus longtemps,
c'est l'effet
35
de rémanence. Jamil est hypersensible au toucher
léger, et peut présenter une sensibilité douloureuse
à certains tissus ainsi qu'à des aliments. Il est capable
néanmoins de s'accoutumer à certains vêtements lorsqu'il
trouve un intérêt fort dans une activité. Jamil
apprécie les textures douces et lisses et développe une
fascination pour celles-ci.
On remarque aussi une hyposensibilité pour le toucher
profond, Jamil demande parfois qu'on le serre très fort dans les bras et
aime les pressions fortes. Une hyposensibilité à la
température est aussi remarquée, avec une recherche de forte
chaleur à la douche ou dans l'alimentation pouvant le mettre en
danger.
Sur le plan tactile, la question de la douleur est aussi
perturbée chez Jamil. En effet, il réagit fortement à la
vue d'une blessure ou du sang, mais une fois le sang enlevé ou
caché il passe à autre chose. Il ne semble pas ressentir vraiment
la douleur, et est capable de se frapper lui-même en cas de frustration
ou colère.
L'olfaction chez Jamil est moins impactée. Il
présente une hypersensibilité aux stimuli, et semble sentir des
odeurs que les autres ne sentent pas. Cette sensibilité peut aller
jusqu'à la douleur pour Jamil, et provoquer des nausées. À
l'inverse, certaines odeurs fortes et sucrées entrainent une fascination
chez lui. On remarque aussi une hyposensibilité à certaines
sensations, avec des comportements de recherche des odeurs, il se sent et sent
les autres, les objets. Jamil montre un besoin de compenser le manque de
fiabilité de cette modalité sensorielle par l'utilisation des
autres sens, comme la vision et le toucher. Par exemple, une bougie qui sent le
gâteau va provoquer de la confusion chez lui et il aura besoin d'explorer
l'objet avec d'autres sens pour l'identifier.
Sur le plan gustatif, Jamil présente aussi des
hypersensibilités et hyposensibilités en fonction des sensations,
avec un besoin de vérification des aliments par la vue et l'odorat.
Certains goûts provoquent une sensibilité douloureuse, comme les
légumes verts et les médicaments, tandis que les goûts
sucrés provoquent une fascination. On remarque une fluctuation entre les
hypersensibilités et hyposensibilités, un même aliment peut
être apprécié ou non selon son aspect, s'il est dans son
assiette ou dans celle d'un autre, ou selon la période.
La proprioception chez Jamil est aussi impactée, il
perçoit les stimuli de manière prolongée et
fragmentée entre les parties du corps. Jamil a une perception
déformée de son corps, malgré son agilité, il
montre des difficultés à réaliser des mouvements
précis et coordonnés et mesurer la force de ses gestes. On
observe des éléments d'hyposensibilité, il manque de
conscience de son corps dans l'espace, et d'hypersensibilité, il marche
sur la pointe des pieds par moments, sautille. Un élément
important qui ressort beaucoup au
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
36
quotidien est la fascination pour certains mouvements du
corps, il aime les activités très stimulantes et cherche des
postures et mouvements complexes à réaliser.
Cela pourrait expliquer la constante mise en mouvement de
Jamil, ainsi que son tonus élevé, qui lui permettrait ainsi de
ressentir la totalité de son corps.
Enfin, sur le plan vestibulaire, Jamil présente une
perception déformée, il n'a pas conscience de la hauteur et du
danger que cela peut représenter. Il est capable de grimper sur le toit
du domicile, sur les étagères, les meubles... On observe une
importante hyposensibilité, il a besoin de beaucoup de sensations
vestibulaires pour ressentir cette modalité sensorielle. Il recherche
énormément les mouvements et la hauteur, ce qui va jusqu'à
une fascination qui peut le mettre en danger. Lorsqu'il est pris dans ces
stimulations, il semble se couper du reste du monde pour ne traiter que ces
stimuli.
Jamil présente donc des particularités pour
chaque modalité sensorielle, et développe des stratégies
de compensation en vérifiant chaque information sensorielle par d'autres
sens pour comprendre ce qu'il perçoit. Les informations de
l'extérieur semblent instables et difficiles à traiter pour lui.
On pourrait alors interpréter son besoin d'être en mouvement et de
grimper comme un moyen de garder une sécurité interne en
stimulant ses sens intéroceptifs. Jamil n'a cependant pas conscience du
danger dans lequel il se place et de ce qu'il pourrait lui arriver, en lien
avec ses difficultés dans le traitement de la douleur. En effet, s'il
perçoit la douleur de façon atypique, il est difficile qu'il
intègre celle-ci comme possible conséquence de ses actions et
développe la prudence adéquate.
3.3. Modification des conduites
3.3.1. Septième séance : recherche
d'attention
Cette séance semble marquer un changement dans la
fonction des conduites d'escalade chez Jamil. La séance débute
toujours par le temps d'accueil, durant lequel Jamil participe de mieux en
mieux, bien qu'encore parasité par son besoin d'aller courir ou
escalader dans la salle. Je note cependant un élément important :
lorsqu'il est en haut de l'espalier ou des agrès, il cherche notre
regard. Habituellement, le monde extérieur semble disparaître pour
Jamil dans ces moments. Lors de cette séance, son regard est
porté sur nous, dans ce qui ressemble à une attente. Si je vais
le chercher pour lui demander de descendre, il le fait puis court dans la
pièce pour aller escalader à un autre endroit. Encore une fois,
il cherche le regard, la réaction. L'attention qui lui est portée
semble le satisfaire.
À ce moment, je me sens perdue sur la réaction
à avoir. Je sais que si je lui donne cette attention le risque est qu'il
généralise le fait de grimper comme un moyen de l'obtenir. Or,
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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ces conduites d'escalade perturbent son attention aux
activités qu'on lui propose et empêchent une continuité de
s'installer dans celles-ci. L'objectif est alors de diminuer ces comportements
tout en trouvant un moyen de répondre à ses besoins sensoriels et
attentionnels de façon plus adaptée. D'un autre
côté, cette recherche d'attention marque une forme
d'intentionnalité envers nous, que je ressens comme un appel.
Sur le temps d'accueil, Jamil a compris que la consigne est de
donner et non de lancer la balle à l'autre, et y parvient de
façon ajustée. Son regard n'est cependant pas encore porté
sur son action. Après avoir donné la balle, il retourne escalader
et cherche à nouveau l'attention, que nous ne pouvons lui donner
à ce moment, car nous sommes occupées avec les autres enfants sur
l'activité d'accueil. Jamil reste en haut de l'espalier et nous regarde,
jusqu'à ce que l'une d'entre nous réponde à son appel
silencieux.
Le temps sensoriel est toujours un moment que Jamil
apprécie. Il choisit toujours d'utiliser la balançoire et
commence à accepter de la partager avec un autre enfant. Nous lui
exprimons qu'il est temps de laisser la balançoire à un autre
enfant du groupe et après s'être stimulé encore un peu il
en descend. Les lieux pour se stimuler sur le plan vestibulaire ne manquent pas
pour Jamil, il court et escalade encore les agrès et l'espalier. Il me
paraît cependant moins extrême dans ses moments de stimulation
vestibulaire : il se balance moins fort sur la balançoire, ne place pas
sa tête en arrière, son excitation est moins forte.
Peut-être que ce jour-là Jamil a moins besoin de ces sensations
que lors d'autres séances.
Sur le temps de déplacements dans la salle, Jamil
court, mais ne va toujours pas au sol. Le temps de parcours psychomoteur est,
quant à lui, moins entrecoupé par les besoins d'escalade de
Jamil. Précédemment, durant un parcours, il pouvait partir quatre
à cinq fois, il ne le fait que deux fois ce jour-ci.
Durant le temps calme, il ne parvient cependant pas à
se poser, et montre encore une certaine agitation.
Globalement sur la séance, Jamil grimpe toujours
autant, mais il le fait à des moments plus adaptés,
principalement entre les activités. Ces conduites semblent aussi porter
une fonction différente : si précédemment j'y voyais
principalement un besoin sensoriel, sur cette séance c'est le besoin
d'attention qui semble primer. Je me questionne sur l'apparition de cette
intention envers nous, sur ce qui a permis ce changement. Est-ce que son besoin
de sensations est plus faible qu'à l'habitude, lui permettant
d'être plus
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
38
disponible à la relation ? Est-ce que
l'intégration du cadre et des acteurs du groupe lui permet de se sentir
plus en confiance et de tenter une approche envers nous ?
3.3.2. Huitième séance : une fatigue qui
modifie l'agitation
Le profil sensoriel de Jamil nous permet de mieux comprendre
la façon dont Jamil peut appréhender son environnement. Son
besoin de sensations intéroceptives, qui lui permettent de maintenir une
stabilité qu'il ne trouve pas dans son milieu, est alors important
à prendre en compte. Nous décidons d'intégrer l'espalier
dans le parcours psychomoteur, ce qui lui permet alors de trouver un
intérêt supplémentaire dans cette activité.
Jusqu'ici, l'élément apportant des sensations vestibulaires les
plus fortes dans le parcours était la planche d'équilibre.
L'espalier permet à Jamil de mieux combler son besoin de hauteur. Cette
étape se fait à la fin du parcours et sert de motivateur à
Jamil. S'il arrive à parcourir toutes les autres étapes, il gagne
le droit de monter sur l'espalier. Intégrer l'espalier au parcours
permet d'encadrer son utilisation pour Jamil, et de le vivre autrement
qu'à l'habitude. Cela permet aussi aux autres enfants du groupe
d'expérimenter des mouvements nouveaux ou peu connus.
En début de séance, Jamil est sur la
balançoire pour le temps sensoriel. Nous avons mis un peu de temps
à l'installer et cela semble l'avoir frustré. Il se balance et
prend des postures étranges sur la balançoire, avec la tête
en arrière. Jamil bouge sur la balançoire, se tortille presque,
et pleure. Les segments de son corps paraissent rigidifiés, par rapport
à d'habitude où ses mouvements me semblaient fluides. Cela
exprime peut-être un besoin de sensations proprioceptives plus fort
qu'à l'accoutumée chez Jamil. J'éprouve des
difficultés à comprendre ce qu'il se passe à ce moment
pour Jamil.
Au cours de la séance, Jamil recherche encore beaucoup
l'attention et va même se jeter sur nous pour qu'on le prenne dans les
bras. Alors qu'il est sur un agrès et que je m'approche pour lui
demander de descendre, il s'agrippe à moi pour que je le porte. Depuis
le matin, il semble fatigué et se frotte souvent les yeux. Dans mes
bras, il cache son visage contre moi, comme pour se cacher de la
lumière. Il semble aussi sentir mon odeur, renifler mes cheveux.
J'accepte de le garder contre moi un instant, et le serre très fort pour
lui apporter des sensations tactiles profondes. Il semble apprécier,
mais lorsque je lui indique que ce moment est fini, qu'il doit descendre, je
peine à me détacher de lui. En effet, il me serre très
fort avec ses jambes et refuse de me lâcher. Je parviens finalement
à le faire descendre en insistant un peu, après l'avoir
serré très fort une nouvelle fois. Il fait de même avec la
psychomotricienne quelques instants plus tard. Avec elle, il se penche en
arrière pour
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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chercher des sensations vestibulaires, elle tourne sur
elle-même pour renforcer les sensations, ce qu'il semble
apprécier. Je vois un sourire sur son visage, il a les yeux
fermés et le tonus dans le haut de son corps est très bas. Jamil
semble avoir relâché complètement le haut de son corps en
arrière, et se maintient fermement avec les jambes autour de la taille
de la psychomotricienne. Plus tard dans la séance, il reproduit cela
avec moi, et je trouve très difficile de porter tout son poids qu'il
lâche complètement. Même dans mes bras, Jamil est difficile
à tenir, comme insaisissable.
Jamil me surprend en réalisant le parcours psychomoteur
sans trop de difficultés à rester concentré. Nous
réalisons plusieurs fois le parcours et, entre chaque tour, Jamil tente
de grimper dans les bras des professionnelles ou de moi-même. Il cherche
aussi à éteindre la lumière qui semble le déranger,
et pleure lorsqu'on la rallume.
Le temps calme en fin de séance est le bienvenu pour
Jamil, qui se calme dans l'obscurité. Pour la première fois,
Jamil parvient à rester quelques instants assis contre la
psychomotricienne qui le serre alors fort dans ses bras. Les sensations
tactiles profondes semblent être un élément qui permet de
calmer et poser Jamil. Néanmoins, cela ne dure pas très longtemps
et il part de nouveau escalader les agrès après avoir
profité du temps contre la psychomotricienne.
3.3.3. Neuvième séance : du corps à
l'objet
Lors de cette séance, la monitrice-éducatrice
n'est pas présente en raison d'une journée pédagogique.
Nous réduisons donc le groupe à trois enfants, dont Jamil fait
partie.
Le temps d'accueil du début de séance se
déroule de mieux en mieux avec les enfants et Jamil commence à
être plus présent à ce qu'il fait. Cette fois, en donnant
le ballon à son camarade, il porte le regard sur le ballon qui passe de
ses mains à celles d'un autre. Son action est aboutie,
c'est-à-dire qu'il attend que la balle ait été
reçue avant de porter son intérêt sur d'autres
éléments de la pièce. Il continue cependant d'escalader
les agrès, dans ce qui semble encore être une recherche
d'attention. J'essaie alors de porter mon attention sur lui dans des moments
plus propices, non pas lorsqu'il escalade pour éviter qu'il associe le
fait de grimper à une réaction de notre part, mais lorsqu'il
réalise bien les consignes qu'on lui demande.
Sur le temps sensoriel, Jamil profite toujours de la
balançoire et a intégré qu'il devait la partager avec un
autre enfant. Lorsqu'il accepte de descendre de la balançoire et de
laisser la place, nous le félicitons. Les déplacements avec Jamil
sont toujours similaires, il parvient à courir, mais il est difficile de
l'amener au sol.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
40
Un temps d'installation du matériel pour le parcours
est nécessaire, et Jamil se dirige vers le placard à ce moment.
Il y trouve des briques en carton, qu'il commence alors à placer les
unes sur les autres pour en faire une tour. Voyant qu'il cherche à la
rendre toujours plus haute, je ne peux m'empêcher de faire le
parallèle entre cette recherche de hauteur avec les briques et la
recherche de hauteur dans son propre corps lorsqu'il escalade le mobilier. Il
n'a, à cet instant, pas choisi de chercher la hauteur et le
déséquilibre corporellement, mais par le biais d'objets. Cela
m'interroge sur la trace qu'ont laissée ses expériences
d'escalade, pour pouvoir être représentées sur l'objet et
non plus dans un aspect sensori-moteur.
Je me questionne aussi sur ce que j'identifie jusqu'alors
comme une recherche de hauteur. Au travers de son tonus et de ses mouvements,
Jamil ne cherche-t-il pas à expérimenter sa propre
axialité ?
Puis, pendant le temps de parcours, Jamil le réalise
sans trop s'échapper pour aller grimper. Sur l'espalier en fin de
parcours, Jamil me surprend, il descend de façon plus
contrôlée qu'à l'habitude. Même si son mouvement est
toujours un peu précipité et grossier, il place le pied sur un
barreau en dessous et saute alors de moins haut. Lorsqu'il a fini le parcours
et que notre attention se porte vers un autre enfant, Jamil court et escalade
les agrès. Il attend une réaction de notre part. Sans cette
réaction, il redescend par lui-même, encore une fois en
plaçant les pieds un à un sur les barreaux avant de sauter, et
vient nous chercher plus près, en tentant de ranger le parcours par
exemple.
Sur le temps calme, Jamil se calme encore une fois quelques
instants. Assise au sol, je le serre fort contre moi, dans des stimulations
tactiles profondes. Il se sépare ensuite de moi pour aller utiliser un
agrès de marche, chercher de la stimulation vestibulaire. Ses pulsions
à grimper se réduisent, ou du moins sont plus contrôlables,
prennent moins de place. Je rencontre petit à petit cet enfant qui
devient de plus en plus présent à ces actions.
3.3.4. Dixième séance : apporter de la
variation
Nous commençons cette séance comme à
l'habitude, avec le temps d'accueil. Celui-ci se déroule très
bien pour Jamil, qui donne encore une fois le ballon à un autre enfant
en portant son regard sur son action. Le temps sensoriel se déroule
aussi très bien, mais je remarque que Jamil se frotte beaucoup les
yeux.
Nous décidons à cette séance de changer
un peu le parcours, car le parcours précédent est bien
intégré pour les enfants. Modifier ce parcours permet d'apporter
de la nouveauté, de la variation et éviter de toujours rester
dans la même configuration. Nous plaçons alors à
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
41
la place des cercles sensoriels au sol des petites plateformes
surélevées à différentes hauteurs, et nous
déplaçons certains ateliers du parcours pour modifier sa
structure.
Les plateformes attirent l'attention des enfants, ils semblent
beaucoup les apprécier. Jamil cherche à monter sur ces plots en
dehors du contexte du parcours. Il joue à passer d'un plot à
l'autre, en tenant sur un seul pied, en déséquilibre. Il montre
peu de comportements d'escalade durant la séance, j'imagine que son
besoin de se stimuler est moins présent. Jamil vient vers la
psychomotricienne, la monitrice-éducatrice et moi-même et demande
à être serré très fort dans les bras. Je le serre
alors contre moi et le porte. Il s'accroche fortement à moi avec les
jambes et semble ne pas vouloir descendre. Jamil joue alors avec mes cheveux,
m'observe un peu et sourit. Ce moment est très fort pour moi, j'ai
l'impression de vraiment partager un instant avec Jamil.
3.3.5. Onzième séance : réussir
à s'apaiser et à se rencontrer
La monitrice-éducatrice n'est pas présente
à cette séance, mais la psychomotricienne et moi-même
prenons, malgré tout, les quatre enfants du groupe. Globalement sur
cette séance, Jamil se montre très calme. Ses conduites
d'escalade ne sont plus aussi envahissantes et nous parvenons à
réaliser le parcours plusieurs fois sans que Jamil ne parte sur
l'espalier ou les agrès. Il grimpe encore sur le mobilier durant les
temps de transition entre les activités, mais je ne ressens plus cette
agitation irrépressible du départ. Jamil semble plus posé,
plus présent à son corps et à ses mouvements. Son tonus
est aussi moins élevé, son corps moins tendu.
Sur le temps calme de fin de séance, Jamil est capable
de rester dans les bras de la psychomotricienne plus longtemps que les fois
précédentes avant de partir escalader un agrès. Cependant,
il revient auprès de la psychomotricienne ensuite et retrouve le calme.
Cette séance se termine alors tout en douceur, dans un calme
général assez inédit.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
42
4. Synthèse des séances avec Jamil
Au cours des séances, j'observe donc que Jamil a de
bonnes capacités motrices globales, une certaine agilité et un
bon équilibre. Son tonus est globalement élevé, et
augmente lors de moments d'excitation. Cette motricité globale est
cependant mobilisée au service de ce qui semble être un fort
besoin de sensations vestibulaires et proprioceptives. Jamil est alors
constamment en mouvement et ne peut rester dans l'immobilité. Il se
balance très fort sur la balançoire, se place dans des positions
instables sur les agrès et l'espalier... Il paraît être en
recherche d'un déséquilibre constant, toujours à la limite
entre la stabilité et la chute, sans réelle conscience du danger.
Jamil investit l'espace dans une recherche continuelle de hauteur. Ainsi, les
espaces qui lui permettent de trouver cette hauteur sont surinvestis, au
détriment des espaces plus proches du sol.
Son attention est happée par ses besoins sensoriels et
il porte peu de regards sur ce qu'il fait. Jamil semble d'ailleurs peu
présent à ce qu'il est en train de réaliser, il se coupe
presque du monde extérieur.
Il est alors difficile de réaliser des activités
avec Jamil, car celles-ci sont parasitées par son besoin de
stimulations. Le profil sensoriel de Jamil nous montre que cette recherche de
sensations pourrait être un moyen pour lui de trouver une
stabilité interne.
Les séances avec Jamil se suivent et se ressemblent, sa
motricité est toujours dirigée vers une recherche vestibulaire.
Ses mouvements pour escalader sont toujours les mêmes, et une routine
s'installe.
Puis, au fil des séances, les conduites d'escalade de
Jamil prennent une autre fonction. Alors qu'auparavant l'aspect sensoriel
primait, que le monde extérieur cessait presque d'exister, Jamil
commence à chercher notre regard et notre attention. Une intention,
dirigée sur nous, est née dans sa motricité.
Ces moments d'escalade sont cependant de moins en moins
envahissants dans les activités, et se placent sur les temps de
transition entre celles-ci. Jamil commence à porter plus d'attention
à ce qu'il fait, il regarde l'autre quand il échange le ballon,
s'applique mieux à redescendre sur l'espalier. L'agitation des
débuts s'estompe et Jamil devient plus présent à ses
gestes. Enfin, j'ai le sentiment de le rencontrer.
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
PARTIE THÉORICO-CLINIQUE
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
PARTIE THÉORICO-CLINIQUE
Nous l'avons vu, les conduites de Jamil au départ
très envahies par l'aspect sensoriel ont pu évoluer vers des
gestes plus habités. Ainsi, nous pouvons nous demander comment
l'approche psychomotrice peut-elle permettre à un enfant avec TSA
s'enfermant dans des autostimulations sensorielles de retrouver une
intentionnalité dans le mouvement ?
Par le biais des références théoriques
abordées en première partie, et en lien avec ma clinique
auprès de Jamil, je vais tenter de répondre à ce
questionnement.
1. Une motricité subie
« L'acte effectué sous la contrainte, que celle-ci
soit externe ou interne, perd ses qualités inhérentes aux gestes,
pour ne demeurer qu'une simple manifestation motrice » (Obéji,
2020, p. 65)
1.1. Instabilité
1.1.1. Un monde instable, et recherche de
stabilité
Le traitement des sens chez Jamil est grandement
impacté, comme le montre son profil sensoriel. Avec des
difficultés à filtrer et sélectionner les informations
sensorielles pertinentes, Jamil ne peut les réguler efficacement. Comme
l'explique Bogdashina (2012/2020), pour les personnes autistes, un même
objet ou une même personne peuvent être identifiés par un
seul détail. Si celui-ci disparaît, l'objet n'est plus le
même. Le monde extérieur en devient alors très changeant,
non fiable. Pour Jamil, les sens de la vue, de l'ouïe, du toucher, de
l'odorat et du goût peuvent tous être source de confusion. Il a
besoin de compenser chaque modalité sensorielle par les autres, qui ne
sont pas toujours fiables elles aussi.
Nous l'avons abordé, une stabilité
sensori-tonique est nécessaire à l'élaboration du
mouvement (Bullinger, 2007a; Obéji, 2020). Or, l'équilibre
sensoriel chez Jamil n'est pas atteint, ce qui peut impacter son
équilibre tonique. Mais alors, comment trouver la stabilité
nécessaire à l'appropriation de sa motricité ?
Livoir-Petersen (2008) explique que dans son
développement, lorsque l'environnement interne ou externe est trop
instable, le bébé se repose sur une source sensorielle
extérieure prévisible ou sur son environnement corporel interne.
Pour Jamil, le recours à des
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stimulations proprioceptives et vestibulaires, qui sont des
sensations internes, aurait cette fonction stabilisante. Cependant, pour
l'enfant « l'agrippement à des sources sensorielles le laisse
dépendant de celles-ci » (Livoir-Petersen, 2008, p. 53). Jamil
semble en effet très dépendant de ses explorations sensorielles,
il ne peut réprimer son besoin d'aller escalader, chercher de la hauteur
et de l'instabilité corporelle. Son incapacité à se
stabiliser sur le plan moteur, ou ce que j'ai pu nommer comme étant de
l'agitation, fait écho à l'instabilité du monde qu'il
perçoit. Il est d'ailleurs paradoxal que Jamil stabilise son vécu
du monde en cherchant des positions d'équilibre instable.
Selon Bullinger (2007a), la recherche de stimuli sensoriels a
pour fonction de maintenir l'image du corps, lorsque celle-ci n'est pas stable.
Pour Jamil, quelle image de lui-même peut-il construire quand il doit
constamment être en alerte et gérer l'instabilité du monde
qui l'entoure ? Ces manifestations motrices d'escalade seraient alors un moyen
de maintenir une perception corporelle pour Jamil. De plus, le sentiment de
vigilance que provoque Jamil chez l'autre en se plaçant dans des
positions dangereuses pourrait être un moyen de maintenir cette image de
lui-même au travers du regard de l'autre. En effet, l'attention que je
lui porte durant les séances fait que je l'investis beaucoup
psychiquement, il semble prendre une place plus importante que d'autres enfants
plus discrets dans le groupe.
De plus, Jamil a grandi dans un environnement familial
instable, ce qui a pu perturber l'élaboration d'un sentiment de
sécurité interne lié à l'attachement à ses
figures parentales (Dugravier & Barbey-Mintz, 2015). Son besoin de
s'accrocher à des ressources sensorielles internes peut être en
lien avec un besoin de garder une sécurité interne qu'il ne
trouve pas dans la relation.
1.1.2. Aspect stéréotypique du mouvement
L'aspect répétitif des mouvements d'escalade
chez Jamil, autant dans leur forme que dans leur intensité qui varie
très peu, m'évoque les stéréotypies. Ces
manifestations sensori-motrices représentent pour Jamil un moyen de
répondre à un besoin sensoriel, mais peut-être aussi
à un stress que la nature changeante de l'environnement lui apporte.
Nous l'avons abordé, le mouvement constitue
systématiquement un changement (Obéji, 2020). S'accrocher
à des mouvements connus et répétitifs est aussi un moyen
d'éviter la nouveauté. Cela permet de ne pas aller vers
l'inconnu, vers un changement qui serait difficile à gérer et
imprévisible.
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De plus, le plaisir que Jamil semble ressentir dans ces
conduites le maintient dans celles-ci. Gorgy (2018) explique que ces
comportements répétés ne permettent pas d'habituation, et
ainsi pas de représentation.
Selon la classification proposée par Gorgy (2018),
cette stéréotypie entre dans la catégorie des
stéréotypies sensori-motrices, par son aspect d'autostimulation.
Cependant, l'évitement du changement, de la nouveauté dans le
geste peut être associée à un trouble des fonctions
exécutives, et ainsi à des stéréotypies
cognitivo-motrices. Pour Jamil l'aspect sensoriel semble dominer l'aspect
cognitif dans ses comportements stéréotypés, mais je ne
peux écarter complètement cette catégorie de
stéréotypie. Aucun examen médical n'indique des
problématiques au niveau des organes sensoriels de Jamil, je ne classe
donc pas la stéréotypie comme perceptivo-motrice, bien qu'un
trouble encore inconnu puisse exister.
Nous voyons bien ici la difficulté à classer et
à comprendre les stéréotypies que mentionne Gorgy (2018).
En fonction du regard porté sur la stéréotypie, mais aussi
en fonction du moment où celle-ci est réalisée, elle peut
être classée dans une catégorie ou dans une autre. En
effet, ce même comportement d'escalade chez Jamil dans un autre contexte
peut prendre une fonction différente, avoir des causes et des
conséquences différentes.
D'Ignazzio (2019) explique l'importance d'analyser l'impact
des stéréotypies sur le fonctionnement de la personne pour agir
sur celles-ci ou non. Pour Jamil, la stéréotypie lui permet de
réguler sa sensorialité, mais elle le coupe aussi de la relation,
restreint son répertoire moteur, perturbe son attention... Nous pouvons
donc la considérer comme envahissante et il semble nécessaire de
trouver un moyen de réduire ses conduites d'escalade. Cependant, il est
important de prendre en compte la fonction observée de ces comportements
et d'y trouver un substitut plus acceptable, moins envahissant. Si l'on
supprime simplement le comportement, un autre qui aura la même fonction
se développera. En psychomotricité, la connaissance de ces
mécanismes permet d'adapter notre réponse.
1.1.3. Déséquilibre sensori-tonique
Nous l'avons abordé, la motricité de Jamil est
d'abord au service de ses besoins sensoriels. Ses mouvements d'escalade
répondent à une contrainte, une nécessité de
maintenir son environnement stable. Selon Bullinger (2007a), l'équilibre
sensori-tonique est essentiel pour que l'organisme interagisse avec son
environnement et devienne corps. Pour Jamil, l'équilibre sensoriel est
très impacté, et son tonus est généralement
élevé.
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Lorsque je porte Jamil pendant certaines séances, je
remarque que son tonus est peu modifié, ne s'adapte pas dans le dialogue
tonique. Les difficultés d'ajustement tonique sont un des
éléments psychomoteurs que l'on observe dans les TSA et
constituent une première barrière dans le développement
des personnes autistes (Joly, 2010; Paquet, 2019; Réveillé et
al., 2018). Lorsque Jamil se lâche complètement sur la main de la
psychomotricienne alors qu'elle l'aide à descendre de l'espalier, son
tonus s'effondre. Dans les bras, alors qu'il maintient un certain tonus dans
ses jambes pour s'accrocher à nous, il est capable de jeter son buste en
arrière en lâchant tout son poids, son tonus s'effondre. Plus rien
ne tient dans le haut de son corps, c'est à nous de le porter et de le
rassembler.
Nous l'avons mentionné, le milieu humain joue un
rôle important dans la régulation tonique (Bullinger, 2007a). Or,
les troubles dans la relation et la communication sont un des critères
de diagnostic de TSA. Jamil est non verbal, et prend peu en compte les
personnes qui l'entourent au quotidien. L'autre prend alors une place
particulière pour lui, il ne s'appuie pas sur autrui pour mettre un sens
à ce qu'il vit.
L'interaction avec son environnement, quand elle est
présente, est peu adaptée corporellement. Ainsi, la
première étape de connaissance des objets, la connaissance dans
l'interaction (Piaget, 1936, cité par Bullinger, 2007a), est
déjà impactée chez Jamil.
Tandis que la régulation tonique ne se fait pas, le
passage de la boucle archaïque du traitement sensoriel, l'alerte, à
la boucle cognitive, la représentation, ne peut se faire non plus. La
répétition des comportements moteurs d'escalade chez Jamil ne lui
permet pas de les signifier, de s'en détacher. Non
représentés, ces mouvements ne sont perçus que dans leur
effet sensoriel interne, et non dans un effet sur l'extérieur, dans un
effet du geste.
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2. Une psychomotricité en mouvement 2.1. Naissance
d'une intention
Les mouvements stéréotypés de Jamil
semblent évoluer d'une fonction essentiellement sensorielle à une
recherche volontaire d'attention. Le terme de volontaire me paraît ici
important à noter. En effet, les comportements de Jamil appellent
déjà une importante attention sur lui, dans un processus qui
semble inconscient. Lorsque Jamil commence à chercher notre regard,
à attendre notre réaction, la demande d'attention est alors
volontaire. Dans ces regards, cette attente, il y a une intention.
Lorsque Jamil parvient, dans le temps d'accueil, à
donner le ballon à ses camarades, dans un geste dirigé vers lui
et non plus dans un simple « lâcher » du ballon dans sa
direction, c'est un début de conscience de l'autre et de soi.
Quels éléments du suivi psychomoteur ont permis
l'apparition de cette intention ?
2.1.1. L'intention du psychomotricien
Nous savons que le milieu humain, dans l'interaction avec
l'enfant, met du sens à ses expériences (Bullinger, 2007a).
Ainsi, au travers du dialogue tonico-émotionnel, mais aussi du regard,
l'adulte donne une valeur aux vécus de l'enfant. En séances avec
Jamil, lorsqu'il escalade l'espalier ou les agrès et se place dans des
postures instables, voire dangereuses, mon attention et mon regard se dirigent
sur lui. J'identifie dans ce comportement un moyen de maintenir l'attention de
l'autre, d'exister au travers du regard de l'autre, en plus des
éventuelles raisons sensorielles.
Mon propre comportement s'adapte alors dans la relation.
J'ajuste la distance à laquelle je me place par rapport à Jamil,
en répondant ou non à ces appels d'attention. Dans les temps
où Jamil escalade l'espalier par exemple, je reste présente
à une distance lui permettant de continuer ce qu'il fait jusqu'à
ce qu'il redescende, tout en étant garante de sa sécurité.
Mon regard se porte sur lui, sur ce qu'il fait. Ainsi, je crée un espace
relationnel dans ces moments d'escalade où Jamil efface habituellement
le monde qui l'entoure.
Cet espace relationnel, tout au long des séances,
permet ainsi de différencier l'intérieur et l'extérieur du
corps (Bullinger, 2007a). C'est grâce à nos différentes
réactions face à ces comportements que Jamil peut intégrer
qu'il est lui-même différent de nous. En signifiant verbalement et
corporellement ce qu'il expérimente, nous alimentons sa
représentation de lui-même. Signifier les expériences de
l'enfant passe donc par le dialogue tonico-
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émotionnel, mais aussi par le regard et
l'investissement psychique et physique envers l'enfant qui sont en jeu dans la
relation (Orjubin, 2022).
Orjubin (2022) explique que c'est la réponse du milieu
qui donne un sens au vécu. En interprétant les conduites de Jamil
comme une sorte d'appel inconscient, je leur donne ainsi cette valeur de
message. Dans mon regard, dans l'attention que je lui porte, ainsi dans ce que
je peux exprimer corporellement, je lui transmets la portée
messagère de son comportement. Progressivement, alors que les
expériences s'accumulent, Jamil peut s'approprier cette valeur de
message que j'associe à ses conduites, pour en faire une valeur
messagère intentionnelle. Le travail en psychomotricité permet
une modification des conduites chez Jamil, la naissance d'une intention envers
l'autre, signifiant une ébauche de représentation de soi et de
l'autre, dans un processus de différenciation.
2.2. Apaisement moteur
Petit à petit, Jamil semble s'apaiser, ses
comportements stéréotypés sont moins envahissants dans les
séances. Alors qu'au départ il s'échappe
régulièrement pendant les activités proposées, il
commence à pouvoir rester de plus en plus longtemps concentré sur
celles-ci. Ses conduites d'escalade sont toujours présentes, mais
à des moments plus adaptés.
Lors des moments de temps calme, il est capable de rester
plusieurs minutes immobile au sol avant de courir et escalader à
nouveau. Il parvient même à revenir auprès de la
psychomotricienne après son temps d'escalade. Cet apaisement se retrouve
aussi dans son tonus qui baisse de façon adaptée.
2.2.1. Structuration temporelle
La mise en place d'une structuration de la séance,
selon le principe de la méthode TEACCH, permet de garder un cadre de
séance stable (Le Menn-Tripi & Zupranski, 2019). Au fur et à
mesure que les séances se déroulent, cette structuration
temporelle s'inscrit comme fonctionnement normal. La première
séance avec Jamil est difficile, il a du mal à comprendre les
différents temps que nous mettons en place. Petit à petit,
malgré ses conduites stéréotypées qui
interfèrent avec les activités, le cadre temporel de la
séance est plus facile à maintenir. Un rythme est
créé et chaque temps est mieux respecté.
Ces activités sont représentées par des
pictogrammes qui permettent d'intégrer visuellement les temps
proposés, et de les anticiper. La stabilité et la
prévisibilité qui en découlent sont des
éléments essentiels pour les personnes autistes. Dans un monde
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sensoriel souvent imprévisible, cela apporte une
sécurité : « c'est ainsi que cela va se passer, je sais
à quoi m'attendre ». Progressivement, la stabilité
temporelle et la répétition permettent une habituation, qui donne
accès à des représentations (Bullinger, 2007a).
La modulation du rythme des séances par le
psychomotricien prend une grande place dans les processus de
représentation (Orjubin, 2022), en particulier dans la clinique de
l'autisme. Pour Jamil, la structuration du temps semble progressivement prendre
du sens, il parvient de plus en plus à rester présent sur les
activités. Il repère chacun des temps et sait qu'après
avoir fini son parcours psychomoteur par exemple, il peut aller escalader. Son
besoin de stimulations, bien que toujours présent, peut être
contenu jusqu'à la fin du parcours.
2.2.2. Structuration spatiale
En plus de la structuration temporelle, la structuration de
l'espace permet aussi une stabilité. En effet, l'environnement de la
salle reste toujours le même et est plutôt neutre. De plus, les
activités proposées servent de support à l'exploration de
l'espace. Nous proposons une utilisation très variée de l'espace
de la salle au travers des déplacements, du parcours, du temps sensoriel
et du temps calme. L'espace global de la salle est exploré par les
déplacements, le parcours offre une expérimentation de l'espace
du sol, des côtés, du dessus, du dedans, mais aussi de la hauteur.
Le temps sensoriel sert de lien avec l'espace plus interne du corps, les
enfants peuvent s'y stimuler comme ils le souhaitent. Enfin, le temps calme
donne accès à l'espace du sol, mais aussi de la relation.
L'espace se construit d'abord par les déplacements,
puis par la connaissance des objets et enfin par la délimitation entre
l'intérieur et l'extérieur de soi (Obéji, 2020). Le cadre
spatial que nous offrons permet alors aux enfants de reprendre le
développement des notions spatiales, dans un contexte sécure et
adapté. En psychomotricité, la salle constitue un espace
d'expérimentation corporelle, qui donne accès à la
représentation (Orjubin, 2022).
L'exploration de l'espace par les enfants dépend du
sentiment de sécurité interne qu'ils ressentent, qui se construit
grâce à la présence de l'autre (Dugravier &
Barbey-Mintz, 2015). La première absence de la
monitrice-éducatrice me fait réaliser l'importance d'un
repère humain identifié et stable pour Jamil. En effet, il
connait alors très peu la psychomotricienne et moi-même, ce qui
semble le perturber. Il ne semble pas trouver en nous des repères. Plus
tard, alors que Jamil paraît mieux nous avoir intégrées, la
modification des personnes qui l'accompagnent ne le perturbe plus autant. La
confiance et
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la sécurité dans la relation sont donc
essentielles à l'établissement d'une stabilité dans la
séance.
Ces repères spatiaux, temporels et relationnels
permettent de créer un environnement propice aux expériences
corporelles. Repérer le temps et l'espace est essentiel pour les
personnes autistes, qui présentent des difficultés dans
l'appréhension de ces notions (Joly, 2010). Pour Orjubin (2022),
l'enfant qui n'a pas encore accès aux représentations s'appuie
sur le cadre et le thérapeute qui l'étayent dans sa
psychomotricité. La structuration du temps, de l'espace et
l'accompagnement du psychomotricien sont alors essentiels dans
l'intégration de son identité psychomotrice.
De plus, la connaissance des stéréotypies nous
permet d'y répondre de manière adaptée, d'en chercher les
causes, les conséquences, par l'utilisation de l'analyse des
comportements ABA (Le Menn-Tripi & Zupranski, 2019). Ainsi nous adaptons
nos réactions et l'environnement en fonction de ces connaissances.
2.2.3. Sécurité qui mène à
l'apaisement
Pour Jamil, la sécurité que la structuration des
séances apporte est essentielle car sa perception sensorielle du monde
est instable et incertaine. Dans un espace fixe et sécurisé, il
peut alors se séparer de la fonction d'alerte de ses sens. De la boucle
archaïque du traitement sensoriel, il peut ainsi passer à la boucle
cognitive qui ouvre aux représentations (Bullinger, 2007a).
Cela permet à Jamil de passer de comportements
envahissants de recherche sensorielle vestibulaire à un apaisement
sensoriel et corporel. Ainsi, j'observe des comportements sensoriels plus
variés dans les séances récentes que dans les
séances de départ : Jamil vient sentir mon odeur, observer mon
visage quand il est dans mes bras ou demander des sensations tactiles
profondes. Maintenant que l'environnement est stable, Jamil n'a plus besoin de
mobiliser ses sens intéroceptifs dans une recherche de
sécurité interne et peut à nouveau explorer le monde avec
ses autres sens.
C'est alors que Jamil peut s'ouvrir au monde, se rendre
présent à ce qu'il fait et s'apaiser dans sa motricité.
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2.3. Début de symbolisation
Alors que les mouvements d'escalade de Jamil évoluent
dans leur intention, j'observe aussi un élément qui me
questionne. Lors d'une séance, Jamil trouve les briques en carton dans
le placard et les empile dans une construction toute en hauteur. Il place les
briques les unes sur les autres, jusqu'à ce que sa taille le limite,
puis me regarde comme s'il demandait de l'aide. Jamil semble vouloir que sa
tour soit toujours plus haute.
Cette recherche de hauteur et de verticalité, similaire
à celle qu'il peut mettre en jeu dans son propre corps en mobilisant son
tonus axial pour se grandir, ainsi que dans l'escalade, semble s'être
déplacée sur l'objet « brique ».
Selon les niveaux de connaissance des objets décrits
par Piaget en 1936 (cité par Bullinger, 2007a), Jamil se trouve
précédemment sur le second niveau : la connaissance dans l'aspect
sensori-moteur du mouvement. Dans cette expérimentation corporelle de la
hauteur, on peut penser que Jamil tente d'explorer et de mettre en jeu sa
propre axialité. Les comportements d'escalade de Jamil constitueraient
alors un moyen de connaissance d'une caractéristique de son propre
corps.
Lorsque Jamil expérimente l'axe par le biais d'un objet
qui n'est pas son corps, il est alors dans le troisième niveau : la
connaissance de l'objet dans l'effet du geste. Il apprend à connaitre et
représenter son axialité en dehors de ses sensations corporelles
internes, dans une dimension plus symbolique.
Orjubin (2022) explique qu'en psychomotricité,
l'investissement de l'espace par le patient constitue son premier support de
représentation. Ce rapport à la salle lui permet
d'intérioriser certaines formes qui la constituent dans sa propre image
du corps.
Jamil semble investir certains espaces de la salle de
façon plus intense que d'autres. L'espalier et les agrès sont
surinvestis, tandis que l'espace plus large du sol et du reste de la salle est
sous-investi. Cet investissement de l'espace par Jamil est très
porté sur la hauteur. L'espace de son propre corps est investi dans une
axialité importante avec son tonus élevé. Cet
investissement de la hauteur, de l'axe serait alors un moyen de s'approprier
ces caractéristiques.
2.3.1. Des expériences qui font trace
Au début du suivi, je me questionne sur la trace que
laissent les expériences d'autostimulation chez Jamil. Leur aspect
stéréotypique ne semble pas permettre de leur donner un sens, et
elles se répètent inlassablement. Or, pour que les conduites
soient symbolisées, il est nécessaire qu'elles puissent
être associées et soient mémorisées, et donc
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qu'elles aient pu faire trace pour l'enfant (Obéji,
2020). Qu'est-ce qui a donc permis à ces expériences de
finalement laisser une marque et d'évoluer vers une symbolisation ?
Encore une fois, la répétition des
activités selon un schéma précis, ainsi que la
stabilité de l'environnement des séances jouent un rôle
important. C'est sur la base de cette « mêmeté » de
l'expérience qu'un mouvement initié en simple réponse
à l'environnement peut devenir un geste avec une action sur
l'environnement (Obéji, 2020). Les expériences, par leur
ressemblance, peuvent être mémorisées, comparées
puis généralisées. Elles prennent du sens dans la
répétition.
Pour Jamil, la répétition de ses conduites
d'escalade ne prend pas de sens lorsqu'il les réalise seul. En ajoutant
dans les activités proposées des moments d'escalade sur
l'espalier ou le mur d'escalade, nous lui permettons de répondre
à ses besoins sensoriels dans un contexte spécifique. Cela
s'intègre dans le parcours psychomoteur, il y a donc un chemin à
parcourir avant de grimper, et pour aboutir le parcours il faut redescendre.
Ainsi Jamil explore la hauteur de façon différente de ce qu'il a
l'habitude de faire. La répétition de cette action dans le
contexte du parcours permet aux expériences de faire trace.
Durant le parcours, nous sommes présentes pour
accompagner les enfants. La relation prend aussi une place dans les processus
de symbolisation (Bullinger, 2007a). En effet, en apportant du sens aux
expériences de Jamil au travers de notre regard, celles-ci ont pu
commencer à s'éloigner de leur aspect
stéréotypique. Les variations apportées dans nos
réactions à ses comportements ont apporté du changement
dans ses mouvements habituels. Livoir-Petersen (2008) explique que le
bébé perçoit le monde par contrastes. En plus de la
stabilité et la répétition de l'environnement, la
présence de variations est aussi essentielle. Nous retrouvons ici le
paradoxe que l'on trouve dans le mouvement : une stabilité est
nécessaire à la construction et la mise en sens des actions, mais
celles-ci amènent et nécessitent du changement pour être
perçues et généralisées (Douchin, 2014, cité
par Obéji, 2020).
Le contexte de groupe est un élément à
prendre en compte dans l'apport de variations. En effet, la manière dont
se déroulent les séances est conditionnée par chacun des
enfants du groupe et chaque professionnelle qui les accompagne. Cette variation
est indispensable pour que les expériences puissent être
comparées et à terme généralisées, ne plus
dépendre d'un unique contexte.
Orjubin (2022) explique que la variation, notamment dans la
relation, provoque un bouleversement tonique à l'origine du sentiment de
soi. En effet, pour Bullinger (2007b),
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la perception de flux sensoriels apporte toujours des
réactions tonico-posturales. Or, nos réactions, le son de nos
voix et notre toucher sont autant de stimuli sensoriels variés. Les
réactions tonico posturales alors engendrées servent de base
à la constitution d'un sentiment d'unicité, qui donne
accès aux représentations.
Ainsi, les différentes réactions face aux
comportements d'escalade de Jamil permettent ces changements dans
l'expérience nécessaires à la symbolisation. Au sein du
groupe, nous n'avons pas instauré d'accompagnant référent
pour chaque enfant. La psychomotricienne, la monitrice-éducatrice et
moi-même nous occupons donc des enfants en fonction de notre
disponibilité et de leurs demandes. À mesure des séances,
les interlocuteurs de chacun varient alors. Les modifications dans le dialogue
que cela induit permettent à Jamil de sentir les limites de son corps
et, à terme, de représenter son corps comme entité qui
peut agir sur l'environnement.
La recherche d'axialité dans son propre corps,
répétée dans un contexte stable et étayée
par notre accompagnement, peut laisser une trace pour Jamil. Cette
axialité qui s'intègre petit à petit dans son corps se
déplace alors sur l'objet « brique », dans un début de
symbolisation.
L'investissement de l'espace de la salle par Jamil commence
aussi à montrer des différences. Les espaces du sol et de la
salle jusqu'alors difficiles à explorer commencent à être
investis durant les ateliers. Son besoin d'escalade laisse place à un
investissement des activités et donc de l'espace proposé durant
celles-ci. Durant le temps calme, Jamil commence à être capable de
s'asseoir au sol sans bouger.
Pour Orjubin (2022), la salle de psychomotricité est
représentée par le psychomotricien comme une extension de
lui-même. Son propre rapport à l'espace de la salle teinte alors
la relation et sert de médiateur dans celle-ci. Dans le cas de Jamil,
notre investissement de l'espace a pu lui être transmis au travers de la
relation, et aboutir à un investissement différent. Alors que
Jamil investit au départ principalement l'espace dans sa hauteur au
niveau des agrès et de l'espalier, nous proposons des activités
qui se placent plus au sol et dans le centre de la salle. Tandis que la
relation se construit avec Jamil et que nous apprenons à comprendre ses
besoins, nous adaptons nos propositions pour y intégrer son espace
privilégié. En retour, Jamil commence à s'intégrer
dans les espaces que nous avons proposés. Comme lorsque l'on
mélange deux couleurs, nous avons donné naissance à une
nouvelle teinte d'investissement spatial.
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2.3.2. Déplacer l'attention sur le geste
Au début du suivi, Jamil ne porte aucune attention
à ses actions, il descend de l'espalier en se jetant du haut de
celui-ci, ne prête pas attention aux autres enfants lorsqu'il est dans la
balançoire... Il est dans une recherche de hauteur, mais la redescente
n'est pas réfléchie, pas intégrée à son
mouvement. Lorsque Jamil court avec nous lors des déplacements, il ne
retourne pas au point de départ, mais va vers un mobilier qu'il
escalade. Le geste ne me semble ainsi pas abouti : il y a un aller, mais pas de
retour.
Progressivement, Jamil développe le processus de retour
au point de départ. La descente de l'espalier se fait plus en douceur,
il place ses pieds un à un sur les barres puis saute de manière
plus contrôlée.
L'attention conjointe est peu développée chez
l'enfant autiste (Garrigou, 2019; Réveillé et al., 2018).
Cependant, nous portons une certaine attention aux gestes de Jamil. Celle-ci,
cumulée à la sécurité apportée par le cadre
de la séance et répétée au fil des semaines,
participe à l'attention que Jamil porte à ses propres gestes.
Notre regard, porté sur son action lorsqu'il donne un ballon à un
autre enfant, nos encouragements et notre investissement participent à
l'émergence de son regard sur ce qu'il se produit à ce moment.
2.3.3. Geste symbolisé
Au fur et à mesure des séances, la mise en place
d'un cadre spatio-temporel ainsi que notre investissement attentionnel envers
Jamil lui permettent de s'éloigner de son besoin sensoriel initial et de
se rendre présent à ce qu'il entreprend.
Globalement, Jamil commence à symboliser son propre
corps et sa motricité. La naissance de l'intention envers l'autre montre
que la notion d'intérieur et d'extérieur de soi commence à
apparaître. Cette symbolisation de son corps lui donne accès
à des gestes plus contrôlés, qui dépendent de moins
en moins de leur aspect purement sensori-moteur. Jamil commence à
symboliser le fait de monter, de chercher la hauteur au travers d'objets et a
ainsi accès au fait de redescendre.
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
CONCLUSION
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
CONCLUSION
Au cours de cette année, mes stages m'ont permis de
m'affirmer dans ma posture de future professionnelle, et d'approfondir mes
connaissances cliniques en psychomotricité. Le travail du
mémoire, concentré sur mon expérience lors de l'un de ces
stages, m'a permis de soutenir ma réflexion et d'appréhender les
problématiques sensorielles avec un regard psychomoteur. Je comprends
aujourd'hui à quel point les questions sensorielles sont importantes en
psychomotricité, et notamment dans le développement de
l'enfant.
Au travers de cet écrit, j'ai pu explorer l'impact des
particularités sensorielles sur la motricité d'un jeune patient,
Jamil. À partir de l'étude clinique de son cas, je suis
arrivée à me questionner sur la place du psychomotricien dans le
développement d'une intention dans la motricité, alors que
celle-ci est au service de ces particularités sensorielles. Grâce
à la théorie apportée, mise en lien avec la clinique, j'ai
remarqué l'importance de la relation dans les processus de
représentation à l'origine de l'intention du mouvement. Par le
regard, l'attention ainsi que ce qu'il transmet dans le dialogue
tonico-émotionnel, le psychomotricien apporte du sens aux
expériences de l'enfant.
Dans la clinique de l'autisme, le psychomotricien s'inspire
aussi des méthodes d'éducation structurée pour instaurer
un cadre spatial et temporel propice aux expériences corporelles de
l'enfant. Le travail en groupe réalisé dans ce cas clinique
permet d'apporter de la variation, nécessaire aux processus de
représentation. Il pourrait cependant de pas être adéquat
en fonction des patients, et doit être réfléchi. Pour
Jamil, le groupe a semblé apporter plus qu'il n'a pu être
délétère.
Dans le cas de Jamil, nous pouvons questionner
l'intérêt qu'un travail individuel basé sur l'habituation
sensorielle pourrait avoir sur sa motricité. Le libérer de ses
contraintes sensorielles lui permettrait de développer encore sa
psychomotricité et peut-être atteindre une plus grande autonomie.
Le travail déjà réalisé m'a en effet permis de
découvrir les capacités de Jamil qui ne pouvaient émerger
à cause de ses particularités sensorielles.
Ces émergences ont eu lieu dans un cadre
spécifique : la salle de psychomotricité, durant ce groupe. La
généralisation des expériences vécues à
d'autres contextes est une difficulté pour les personnes avec TSA. Nous
pouvons alors nous demander si cette généralisation a pu avoir
lieu pour Jamil. Sinon, comment permettre à Jamil de mobiliser ces
nouvelles capacités dans un contexte différent ?
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
Vu par la maître de mémoire, Audrey MAIRE,
Psychomotricienne D.E.
Institut de Formation en Psychomotricité, ISTR
Lyon 1
Promotion 2021-2022
Auteur: Juliette LANDEAU
Résumé:
Les sens constituent notre moyen de connaissance du monde et
de nous-même et servent de base au développement psychomoteur.
Quand le traitement sensoriel se fait de façon atypique, comme c'est
souvent le cas dans l'autisme, le reste du développement peut en
être impacté. Ainsi, la motricité perd son
intentionnalité pour ne répondre qu'aux lacunes du système
sensoriel. Au travers du cas clinique de Jamil, un enfant porteur d'autisme, ce
mémoire tente de mettre en lumière le travail du psychomotricien
dans le réinvestissement du corps chez ces patients dont la
motricité se trouve esclave de leurs besoins sensoriels.
The senses are our means of knowing the world and ourselves
and serve as the basis for psychomotor development. When sensory processing is
atypical, as it is often the case in autism, the rest of development can be
impacted. Thus, motor skills lose their intentionality and only respond to the
shortcomings of the sensory system. Through the clinical case of Jamil, a child
with autism, this thesis attempts to highlight the psychomotor therapist's work
in the body reinvestment in these patients whose motor skills are enslaved by
their sensory needs.
Titre: D'une motricité subie à une
motricité agie
Le soin psychomoteur comme soutien à
l'élaboration d'une motricité intentionnelle chez l'enfant
porteur d'autisme
Mots - clés:
Psychomotricité - Troubles du Spectre de l'Autisme - sensorialité
- autostimulations - intention du mouvement
Psychomotricity - Autism Spectrum Disorder - sensoriality -
self-stimulations - movement intention
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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