Introduction
La protection de l'environnement et la lutte contre les
inégalités environnementales sont devenues de nos jours des
préoccupations de premier ordre au niveau mondial. Ces concepts
n'échappent pas de nos jours aux médias, aux débats
intellectuels ainsi qu'aux conférences intergouvernementales. La cause
de cette mobilisation mondiale c'est deux siècles de
développement (du XVIIIe au XXe siècle) qui ont conduit à
la crise écologique. En effet, même si les modifications de
l'environnement par l'homme remontent à l'apparition de l'homme
lui-même, les modifications actuelles de l'environnement sont
inquiétantes à cause de la rupture dans les processus
biochimiques et écologiques anciens causée par la
déforestation, l'industrialisation et l'intensification des pratiques
agricoles et aussi le réchauffement de la planète comme le note
si bien C. Grino (2001). Pour dire concrètement en quoi consiste ces
phénomènes, E. Bonnefous (1973, p. 22) note:
On estime que 700 millions d'hectares de terre
cultivées sont plus ou moins dégradées. La superficie des
déserts a augmenté de 1milliard d'hectares depuis que l'homme a
entrepris sa lutte contre la nature, et la FAO signale que le Sahara «
avance» chaque année de 1,5 à 10 kilomètres.
L'activité inconsidérée de l'homme a détruit
à ce jour 2 milliards d'hectares de terre, soit 15% de toutes les terres
continentales, 24% de toutes les terres aujourd'hui cultivables.
De nos jours ces chiffres se sont accrus. Les
dégradations de la biosphère ont dès lors une envergure
mondiale et bien que nul n'échappe aux méfaits d'un tel
état de faits, ses conséquences sont subies de façon
inéquitable; iniquité qui d'après C. Larrère
(2017), se remarque quand certaines catégories sociales en souffrent
plus que d'autres de façon significative; plus de 12 millions
d'individus meurent selon l'OMS (2016) parce qu'ayant vécu ou
travaillé dans un environnement insalubre, les enfants et les personnes
âgées étant les plus exposés. Cet état de
rareté relative de l'environnement, impose une jouissance
limitée des qualités environnementales, constitue, tel que le
signalait P. Van Parijs (1991), la condition suffisante pour évoquer le
concept de justice et notamment de justice environnementale dans notre
contexte.
La prise de conscience des dérèglements
écologiques remonte à la seconde moitié du XXè
siècle, précisément en 1968, par la publication des
rapports de prévisions catastrophiques en matière
environnementale, démographique, économique et sociale par le
club de Rome. Puis s'ensuivront d'autres conférences qui auront pour but
à la fois, d'accroitre la conscience environnementale et de
remédier à cet état de fait; ce fut dans cette logique
qu'en 1971, 2200 scientifiques s'adressaient au monde entier par le Message
Menton pour
2
prévenir une catastrophe écologique; en 1972 a
lieu la Conférence de Stockholm sur « l'environnement humain »
(première conférence des Nations Unies sur l'environnement).
En 1980, les mouvements de justice environnementale aux
Etats-Unis attirent l'attention sur les inégalités
environnementales persistantes telles que la construction des habitations
près des sites pollués, les dépôts des
déchets toxiques dans certains voisinages; les populations socialement
vulnérables étant les plus touchées. C'est dans la logique
de la résolution de la crise écologique à partir de ses
deux polarités à savoir la dégradation de l'environnement
d'une part et les inégalités environnementales d'autre part que
se tient en 1992 la Conférence de Rio « le sommet de la Terre
» qui adopte le développement durable, proposé par la
commission Brundtland (1987) comme nouveau paradigme de développement
mondial. Après Rio, la conférence de Kyoto en 1997 reviendra sur
la nécessité de réduire les émissions de gaz
à effets de serre; s'ensuivront les différentes
Conférences des Parties (COP).
Dans ce concert de conférences, la conférence de
Rio reste capitale car ce fut elle qui, ayant connu la participation de 170
chefs d'Etats, adopta officiellement le développement durable comme le
nouveau paradigme de développement dont l'objectif est de juguler la
crise écologique. Ce nouveau paradigme de développement a
précisément pour but, d'après ladite conférence,
d'interpeller les responsables des dégradations environnementales en
l'occurrence les pouvoirs publics et les décideurs économiques
pour que ceux-ci prennent leurs responsabilités conformément
à la déclaration N°8 de Rio qui stipule: « afin de
parvenir à un développement durable et à une meilleure
qualité de vie pour tous, les Etats devraient réduire et
éliminer les modes de production et de consommation non-viable».
C'est dans cette perspective que le développement durable se veut, d'une
part une solution immédiate aux inégalités
environnementales par un changement de la gestion politique de l'environnement
et d'autre part, une solution préventive dans l'optique de l'article 14
de la déclaration de Rio:
Les Etats devraient concerter efficacement leurs efforts pour
décourager ou prévenir les déplacements et les transferts
dans d'autres Etats de toutes activités qui provoquent une grave
détérioration de l'environnement ou dont on a constaté
qu'elles étaient nocives pour la santé de l'homme.
La conférence de Rio reconnaît donc l'importance
de l'implication des politiques dans la résolution de la crise
écologique. Bref, dans l'esprit du rapport Brundtland (1987), le
développement durable est un processus de transformation dans lequel
l'exploitation des ressources, la direction des investissements, l'orientation
des techniques et les changements
3
institutionnels se font de manière harmonieuse et
renforcent le potentiel présent et à venir permettant de mieux
répondre aux besoins et aspirations de l'humanité; tout ceci
passant par le renforcement des rôles et des capacités des agences
chargées de la protection de l'environnement et de la gestion des
ressources.
Force est alors de constater que malgré la force des
principes de la durabilité et sa mise en application depuis 1992, les
dégradations et inégalités environnementales
crèvent encore les yeux, signe de la persistance de la crise
écologique. La persistance de ces inégalités et de la
détérioration biosphérique laisse dire que derrière
la prétendue lutte pour parvenir à l'égalité face
aux risques environnementaux et à résorber les
dégradations environnementales, la société de classes
semble se perpétuer. Et reconnaître la persistance de ces
inégalités sociales permet de comprendre comment les logiques
sociales et les rapports politiques qui ont pris en otage la durabilité,
continuent de mettre en danger la vie des plus vulnérables; d'où
la nécessité de la justice environnementale qui se résume
d'après C. Larrère (2017, p.35) à : « repérer,
mesurer et corriger les inégalités environnementales ».
Etant une critique des inégalités
environnementales et d'un usage anarchique des qualités
environnementales, la justice environnementale est aussi une critique des
retombées disproportionnées des politiques de la protection de
l'environnement qui profitent surtout aux riches et ignorent les pauvres. Ceci
étant, de façon objective, les politiques environnementales ne
profiteront aux populations défavorisées qu'à condition
que ceux qui réclament la justice environnementale, en l'occurrence les
populations pauvres, soient en mesure de prendre part effective à la
délibération. Mais plus qu'une simple accession aux instances de
décision, la participation consiste précisément
d'après C. Larrère (2017, p.27) à s'inspirer de « la
façon dont d'autres communautés se sont organisées pour
restaurer des biens communs ». C'est dans cette logique que s'inscrit
notre travail intitulé: de la critique de la durabilité : pour
une justice environnementale participative.
Notre critique de la durabilité ne sera pas les 17
Objectifs du Développement Durable (ODD) qui embrassent les
sphères de la pauvreté, de la faim, de la santé, de
l'éducation, de l'égalité des genres, de l'accès
à l'eau et à l'assainissement, de la croissance durable
inclusive, de l'énergie, des infrastructures, de
l'inégalité entre les pays, de l'indépendance des villes,
de la lutte contre les changements climatiques et ses impacts, de la protection
des océans, de la gestion durable des forets, de la promotion des
sociétés justes et de la revitalisation du partenariat mondial,
ni un reniement de la durabilité ;au contraire, notre critique de la
4
durabilité est une analyse foncièrement
conceptuelle de la durabilité dans le but de la méthode classique
de la durabilité qui est l'adoption des initiative de réparation
des dommages environnementaux par les institutions sans l'avis des populations
concernées; initiatives qui le plus souvent ne sont pas adaptées
aux réalités locales; d'où notre question principale: en
quoi la justice environnementale participative est une condition de
possibilité de la durabilité? Cette question principale
s'éclate en trois questions spécifiques qui orienteront notre
travail.
En 1971, le « Message Menton» alertait toute la
planète de l'état de notre biosphère déjà en
détérioration. Cependant, comme le signale C. Larrère
(2017), il était possible d'éviter la catastrophe en
écartant ce qui nous divise et fusionner nos efforts autour du
péril qui nous unit; principe sur lequel reviendra le rapport Brundtland
qui, tout en insistant sur le fait que la globalisation du danger unifierait
les intérêts divergents dans la lutte contre les
dégradations écologiques, incère la notion des
générations à venir dans la construction conceptuelle de
la durabilité. Au nom de quels fondements peut-on s'employer à
comprendre une telle configuration de la durabilité?
Une fois ces fondements mis au jour, il faudrait rappeler que
la finalité de la durabilité est de parvenir à une
réduction considérable des émissions de gaz à
effets de serre, d'orienter la consommation énergétique vers les
énergies renouvelables, de parvenir à une nouvelle gestion des
espaces urbains afin d'y réduire la pollution, de règlementer
l'exploitation des ressources minières et fossiles par souci pour les
générations à venir et de juguler les
inégalités environnementales. Mais, peut-on vraiment nier
l'inefficacité des politiques qui visent à mener à cet
idéal?
Or sans sensibilité environnementale, tous les efforts
de restauration de l'environnement et des inégalités
environnementales sont voués d'avance à l'échec. Au nom de
quel modèle peut-on dès lors s'employer à résoudre
les inégalités environnementales et de là, la crise
écologique? Ces trois questions spécifiques débouchent sur
trois hypothèses de travail.
Partant de l'évidence que la durabilité est un
paradigme de développement qui se veut protecteur de l'environnement et
économiquement soutenable en vue de juguler les inégalités
environnementales, elle se pose comme un moyen préventif des
dégradations environnementales d'une part et réparateur des
inégalités qui en ont découlé d'autre part.
Ancrée dans le rapport Brundtland, la durabilité tire donc ses
fondements des dégradations
5
environnementales devenues inquiétantes depuis la
seconde moitié du vingtième siècle et des injustices
environnementales. Ceci étant, la durabilité est tout
entièrement dédiée au mieux-être des
générations futures.
Bien que justifiée dans ses fondements la
durabilité est néanmoins prise en otage par une complexité
conceptuelle, politique, économique ainsi que par les divergences
éthiques; tout ceci fragilise la durabilité pouvant mener
à dire que, plutôt que de juguler la crise écologique, la
durabilité contribue à son accentuation visible par les
indicateurs de dégradation environnementale.
Au coeur de cette complexité, une solution à la
crise écologique reste néanmoins envisageable dans la mesure
où, tel que le signale une fois encore C. Larrère (2017), ceux
qui réclame la justice environnementale participent non seulement
à la délibération mais aussi à la restauration des
qualités environnementales. La solution à la crise
écologique émergerait donc de la participation.
Pour vérifier ces hypothèses, nous
appréhendons le présent travail dans la logique d'une
reformulation conceptuelle et méthodologique de la durabilité.
Pour y parvenir, nous procédons d'abord par une analyse des fondements
de la durabilité. Cette analyse permettra d'établir le lien entre
la croissance de l'inquiétude environnementale et la construction
conceptuelle de la durabilité. Une fois ce lien cadré et compris,
nous procéderons ensuite à une évaluation critique de la
durabilité eu égard à la persistance de la crise
environnementale de nos jours. De là, une redéfinition de la
durabilité nous permettra de mieux appréhender la justice
environnementale participative.
Cette démarche sera structurée en trois parties
qui constitueront les grandes articulations de notre travail; dans la
première partie de notre travail, il s'agira pour nous de
préciser les fondements de la durabilité. Dans la deuxième
partie, il s'agira de son évaluation critique; ce qui nous permettra
enfin, dans la troisième partie, de poser la justice environnementale
participative comme source revitalisante de la durabilité dans le
processus de la transition écologique.
6
|