1.3.2. L'adjectif qualificatif dans les grammaires
classiques
La présentation d'une unité linguistique et des
propriétés qui en découlent sont tributaires de l'option
épistémologique prise et du soubassement théorique. Il en
est ainsi de la présentation de l'adjectif qualificatif. En tant que
catégorie de la langue, cette espèce de mot a été
étudiée. Avant de voir en quoi consiste cette présentation
et ce qu'elle a de particulier, donnons un aperçu de la notion de
grammaire classique.
1.3.2.1.La grammaire classique : bref
aperçu
Il est courant d'opposer deux tendances de la grammaire : la
grammaire traditionnelle et la grammaire linguistique. Par grammaire classique,
il faut entendre, selon Arrivé et al. (1986 :298),
tout un corps de doctrine (conception de la description de
la langue, règles, terminologie, conception de l'apprentissage)
hérité de la deuxième moitié du XIXè
siècle et globalement entériné par le modèle
culturel qui a dominé la première moitié de ce
siècle, avec quelques remises à jour périodiques qui n'ont
guère affecté que des points et des détails.
Cette doctrine est d'essence philosophique et logique. La
langue reflète la pensée dans cette doctrine. Pour comprendre la
pensée, il faut découper la manière dont elle est
disposée en jugements dans la langue. Ainsi, s'inspirant de la logique,
les grammairiens traditionnels veulent faire une analyse
détaillée de la langue. Ils aboutissent à des
règles coercitives. C'est donc une grammaire normative, en tant
qu'ensembles de règles prescriptives qui s'appliquent tant à
l'oral qu'à l'écrit : dites ceci, ne dites pas cela,
écrivez ceci, n'écrivez pas cela. La primauté est
accordée aux grands écrivains de renom, considérés
comme des modèles à imiter.
La grammaire traditionnelle a plusieurs objectifs. Il s'agit,
d'après Poulin (1980 :22),
d'enseigner la grammaire pour enseigner la langue ;
d'enseigner la grammaire pour apprendre à raisonner ; d'enseigner la
grammaire au primaire pour préparer l'entrée au secondaire ;
d'enseigner la grammaire pour doter l'enfant d'un moyen, d'un instrument au
service de la compréhension et de l'expression.
Pour atteindre ces objectifs éminemment
pédagogiques, deux exercices sont mis sur pied : l'analyse grammaticale
et l'analyse logique. Selon Chevalier (1979 : 20),
Les exercices intitulés « analyse grammaticale
(AG) » et « analyse logique (AL) » ont été
[...] les deux piliers de l'apprentissage de la grammaire dans
l'école française. L'AG définit la nature et la fonction
des mots isolés, l'AL définit la nature et la fonction des
propositions.
Onguene (2017 : 241) y insiste également. Pour cette
auteure, le protocole de l'analyse grammaticale et celui de l'analyse logique
sont les procédures majeures de découverte et de
présentation des unités linguistiques en grammaire classique.
La méthodologie de la grammaire traditionnelle
opère en trois mouvements : la définition ou la règle,
l'observation des exemples littéraires et leur application. Pour Poulin
(1980 :30), la grammaire traditionnelle a une méthode
déductive, elle va de l'abstrait au concret, de la règle aux
applications, du général au particulier, elle n'a aucune
procédure de découverte, elle fait [sic] un recours
continuel à la réflexion. La grammaire traditionnelle,
héritière de la philosophie et de la logique, a été
à l'origine d'une nomenclature grammaticale diversifiée : nom
commun, proposition subordonnée, nom abstraits, COI, compléments
circonstanciels, sujet réel, sujet apparent, sujet commun, etc. C'est
à l'aune de ce soubassement théorique et méthodologique
que les grammaires classiques, pour la plupart scolaires, présentent
l'adjectif qualificatif.
1.3.2.2. L'adjectif qualificatif : des contours flous en
grammaire classique
Les manuels de grammaire classique donnent une place centrale
au mot. Concernant l'adjectif qualificatif, ils sont influencés par la
bipartition détermination/qualification présentée
ci-dessus. Il importe de donner un compte rendu de leur présentation de
l'adjectif qualificatif.
Pour Dubois et al. (1961 :37), l'adjectif
qualificatif est un mot variable, indiquant une qualité d'un être
ou d'une chose (nom ou pronom). Il peut varier de forme selon son genre et son
nombre. L'ouvrage insiste sur la place de l'adjectif qualificatif par
rapport au nom auquel il se rapporte. On en retient que
l'épithète peut se placer indifféremment avant ou
après le nom auquel il se rapporte. La place de l'adjectif
épithète obéit à un usage compliqué qui
dépend en particulier du rythme de la phrase et du désir
d'expressivité. Ces auteurs constatent également que
l'adjectif qualificatif peut être transcatégorisé. Ce
faisant, il est susceptible de connaitre un emploi adverbial ou
prépositionnel.
Par ailleurs, l'adjectif qualificatif peut, selon les auteurs,
avoir trois fonctions essentielles : épithète, attribut et mis en
apposition. Pour Dubois et al (op.cit : 44),
l'adjectif qualificatif est épithète quand,
placé à côté d'un nom nom dont il indique une
qualité, il forme corps avec lui. L'adjectif qualificatif est attribut
du sujet quand, relié au nom ou au pronom par le verbe, il exprime une
qualité reconnue ou attribuée au sujet et qu'il ne fait pas corps
avec ce sujet.
Tout comme le nom, l'adjectif peut être mis en
apposition. Dans cette fonction, l'adjectif et le nom sont
séparés par une ponctuation à l'écrit ou une pause
à l'oral. Observons ces données liées à l'adjectif
qualificatif dans les énoncés suivants.
2.a. Ô chaude, étouffante, presque
pimentée, l'atmosphère de la case ! (SDI : 37)
2.b.
Parlant de l'attribut, Onguene (2001 :189-205) montre combien
ardue est l'identification de cette fonction. Elle présente la
complexité des mécanismes lexicaux qui
Ils collèrent leurs épaulent [...]
par une prise irrésistible qui était le fruit d'un long
entraînement (LP : 275)
2.c. Faut dire qu'Eddie se prend pour un intellectuel,
sinon pour un fin lettré, bien que sa connaissance de la
littérature française se borne pour le moment à une
très relative imprégnation par les oeuvres complètes (TSTA
:43)
2.d. Elle était craintive, circonspecte, comme une
bête aux abois (VC : 81)
En 2.a., les adjectifs qualificatifs chaude,
étouffante, presque pimentée sont apposé à
atmosphère. Selon la définition de Dubois et al.,
ils indiquent la qualité de l'atmosphère. Dans
l'énoncé 2.b., irrésistible et long sont
respectivement épithète de prise et
d'entraînement. Ils font corps avec le nom et ne sont par
conséquent séparés par aucune pause. Il en est de
même pour fin et relative en 2.c. Ils sont
épithètes de lettré imprégnation. Craintive
et circonspecte sont attributs du pronom elle dans
l'énoncé 2.d.
Pour peu que le développement de Dubois et al.
vaille la peine, nombreux de ses aspects sont sujets à caution. En
effet, les données avancées pour définir l'adjectif
qualificatif, unité linguistique, semblent seoir davantage à une
réalité extralinguistique. Cette définition laisse croire
que le qualificatif aurait un référent. Or, d'après
Tomassone (1996 :268), l'adjectif qualificatif n'a en propre aucun
référent ; il renvoie à une propriété du
référent du nom dont il dépend, auquel il apporte un
élément d'identification ou de caractérisation.
Qu'est-ce qu'indiquer une qualité ? Tout adjectif qualificatif
indique-t-il une qualité ? Par exemple, avec des énoncés
tels que sacré type, vrai cauchemar, quelles sont les
qualités indiquées par sacré et vrai
?
En outre, dire que l'adjectif peut varier de forme selon
son genre et selon son nombre parait ignorer la dépendance de
l'adjectif vis-à-vis du nom. L'adjectif est un subordonné du nom.
Pour ce faire, il n'a pas d'existence propre indépendamment du nom.
C'est le nom qui confère à l'adjectif ses marques de genre et de
nombre. Tomassone (1996 : ibid) le relève en ces termes :
certes l'adjectif qualificatif est un mot variable en genre et en nombre,
mais il ne possède pas de genre propre : ses marques de genre et de
nombre lui sont déterminées par le terme dont il dépend
nécessairement.
Bien plus, la définition de l'adjectif qualificatif
donnée ci-dessus aborde avec simplicité les fonctions mis en
apposition et attribut.
entourent cette notion. En réalité, dire que
l'adjectif attribut ne fait pas corps avec le sujet semble une posture peu
soutenable. Dans la phrase 2.d. reprise ci-dessous, la suppression du
sujet entraîne une agrammaticalité en 2.d». Supprimer
l'adjectif change le sens de la phrase, car était revêt
le sens de exister si l'adjectif est supprimé en 2.d.'. Cela
montre que la connexion entre les deux est forte et que l'attribut et le sujet
dont il dépend sont liés.
2.d. Elle était craintive, circonspecte, comme une
bête aux abois (VC : 81) 2.d'. Elle était comme une bête aux
abois
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