3. DYNAMIQUE DES CONNEXIONS DANS LA SUITE V+ADJ+QUE
P
Le statut du GV attributif et le traitement qui lui est
réservé sont loin de faire l'unanimité. Pour certains, le
complexe formé par V + Adj est un tout solidaire. Le verbe attributif
qui s'y trouve apparait de ce fait comme une copule. Il serait donc un
auxiliaire, un instrument. À l'opposé, d'autres estiment que
V est non pas comme un mot de liaison, mais un verbe doté d'une
autonomie et d'une valence. Le problème de la rection de la
complétive y est consécutif. On se demande si la
complétive dépend exclusivement d'Adj. ou concomitamment
du verbe et de l'adjectif dans les suites V + Adj + Que P. Dans ces
structures, on voudrait savoir si le verbe et l'adjectif sont coalescents au
point de les considérer comme un prédicat complexe ou s'ils sont
au contraire indépendants à tel point qu'on puisse les dissocier.
Ces deux questions, solidaires et complémentaires, méritent
grande une attention.
3.1. V + Adj : un prédicat complexe ?
L'ensemble V + Adj est considéré comme
prédicat complexe par des linguistes. Ces derniers se fondent sur
l'observation de la dynamique fonctionnelle et relationnelle des deux
éléments qui composent ce complexe. Selon Onguene (2001 :
193-194),
lorsqu'en français l'élément attribut
s'associe à être, les deux unités font corps et constituent
un nucléus, centre structural régissant le reste de
l'énoncé. L'auxiliaire attributif assure dans le nucléus
une fonction structurale ; en cela, il devient un outil grammatical, un verbe
vidé de son sens originel, tandis que l'auxilié assure une
fonction sémantique par le contenu de l'attribut.
En d'autres termes, l'association être + Adj. Que P
est coalescente. Et pour reprendre Onguene (op. cit : 198), le
verbe être y apparaît comme pur lien, auxiliaire,
instrument de prédication, mot de liaison, unité sans âme
propre, mot postiche. Il importe d'observer ce fonctionnement dans les
énoncés suivants :
13.a. J'ai été étonné que
vous n'accordiez pas plus de place à Darwin (LP11/10/02 :31)
13.b. Je suis persuadé qu'au bout de l'explication
nous pourrons prendre congé (LP : 36)
13.d. Tu es sûr que je t'ai demandé ton avis
(TSTA : 133)
13.e. Je suis heureux qu'on m'ait donné ainsi ces
deux messieurs (LP : 276)
Si l'on supprime l'un des éléments du
binôme être + adj, nous obtenons un énoncé
agrammatical. Procédons par exemple à l'effacement de l'adjectif
qualificatif et observons le résultat.
13.a'. *J'ai été étonné que
vous n'accordiez pas plus de place à Darwin
13.b'. *Je suis persuadé qu'au bout de l'explication
nous pourrons prendre congé
13.d'. *Tu es sûr que je t'ai demandé ton
avis
13.e'. *Je suis heureux qu'on m'ait donné ainsi ces
deux messieurs
Le verbe être ne peut pas être
dissocié de l'adjectif. Que l'on efface l'adjectif ou le verbe, nous
aboutissons au même résultat. En leur appliquant le test de la
négation, la portée de la négation se centre non pas sur
le verbe seul ou sur l'adjectif exclusivement, mais sur l'ensemble formé
par les deux ainsi que le montrent ces deux dérivés :
13.a. Je n''ai pas
été étonné que vous n'accordiez pas plus
de place à Darwin
13.b. Je ne suis pas
persuadé qu'au bout de l'explication nous pourrons prendre
congé
13.d. Tu n'es es pas
sûr que je t'ai demandé ton avis
13.e. Je ne suis pas
heureux qu'on m'ait donné ainsi ces deux messieurs
Ces deux tests montrent que la suite être +
Adj. forme un complexe. Les deux forment un noyau indissociable. Si l'on
s'y limite, on croirait que la structure attributive est simple. Il n'en est
pas ainsi.
Nous constatons que cette considération n'est valable
que pour l'attribut du sujet nucléaire, c'est-à-dire celui
introduit par être. Elle est adéquate pour les
constructions personnelles. Or, ci-dessus, nous avons étudié
diverses structures de complétives adjectivales. Le verbe n'est pas
toujours être. Il est quelques fois un substitut de la copule
être et d'autres fois un VOA. Dès lors, en quittant le
paradigme du verbe être pour les autres verbes attributifs, on
peut obtenir une analyse différente. Autrement dit, on se demande si
les
succédanées du verbe être et les
VOA peuvent être dissociés de l'adjectif et s'ils sont aussi des
auxiliaires, des unités sans âme.
Contrairement à être qui est neutre
sémantiquement, ses substituts sont sémantiquement
marqués. Feuillet (1984 :145-146) affirme :
Il n'est pas exact de prétendre que «
être » est vide de sens : il est le centre, très peu
sémantiquement marqué d'un système d'oppositions axiales
[...] L'inconvénient de traiter « être » comme une
copule et non comme un verbe « normal » est qu'il faut en ce cas
distinguer plusieurs verbes « être » : un verbe absolu (sens
exister) ; un verbe adjectal (où être équivaut à se
trouver) ; un verbe objectal (commute avec appartenir) et une copule (qui
commute avec d'autres copules à valeur prédicatives).
Ainsi, avec ou sans adjectif prédicatif, devenir,
paraitre, rester, sembler, passer pour gardent un sème qui les
particularise. Par exemple, devenir signifie entrer dans un
état ; rester renvoie à la persistance d'un état.
14. a. Il apparaissait inconcevable que Jésus ait eu
des frères (Lp18/04/03)
14. b. il ne semblait pas exclu que son mari se
représente en 2007 (LP18/04/03 :7) 14. c. Il lui parut impossible que
tous ces malheurs ne tombassent pas (SDI ; 154)
Nous pouvons en déduire que V et Adj sont
indépendants. Ils ne sont pas soudés comme avec le verbe
être. V + Adj serait donc un prédicat complexe dans les
énoncés attributifs avec être. On pourrait parler
d'unité verbale complexe ou d'adjectif complexe. En d'autres mots, on
aimerait savoir lequel de l'adjectif et du verbe a de la
prééminence sur l'autre. Quoi qu'il en soit, l'adjectif et le
verbe se tiennent. Comme le pense Onguene (2001 :197), être apparait
comme un élément de surface en forte cohésion avec un
élément au contenu notionnel plus stable. D'où la
réécriture transformationniste : GV attrib. ? Cop + {SN, SA,
SP}. Par conséquent, il conviendrait de ne plus analyser l'adjectif
comme attribut du sujet dans les structures actualisant être. On
pourrait intégrer l'adjectif qualificatif au prédicat de la
même manière que les SN des locutions verbales telles que
avoir faim, faire connaissance, rendre hommage, faire long feu, tenir
tête.
Par contre, avec les autres verbes attributifs, la fusion
entre les deux est éclatée. L'adjectif peut donc naturellement
être analysé comme attribut du sujet ou de l'objet. Dans ce
contexte, nous ne saurons parler de prédicat complexe. Nous avons le
verbe attributif et l'adjectif qualificatif. Cette répartition
opère dans les structures personnelles et dans les structures
unipersonnelles. Cette analyse permet donc de revoir la question de la
dépendance de la subordonnée adjectivale.
|