2.3.2. La structure il est Adj Que P
La structure Il est Adj Que P est le prototype des
phrases attributives unipersonnelles. Nous partageons le point de vue de
Feuillet (1984 :145) pour qui être est un verbe normal, à part
entière. Il est le centre, très peu marqué
sémantiquement d'un système d'oppositions axiales. Lesdites
oppositions s'établissent entre être et ses variantes
modales, à savoir devenir, rester, paraitre, sembler, passer
pour. Les adjectifs vrai, possible, probable, exact, rare, beau,
nécessaire, indéniable, naturel, impossible, bon, naturel,
inutile, étrange, imaginable, regrettable et certain,
entre autres en constituent les illustrations. Ne pouvant pas totalement
les reproduire, nous produisons ci-dessous des exemples. Une liste des
adjectifs y entrant dans le cadre restreint de notre corpus sera fournie en fin
de chapitre.
11.a. Il est probable que cette rencontre se serait
prolongée et aurait connu des sommets d'émotion encore plus
vertigineux (TSTA : 75)
11.b. Il n'était pas imaginable qu'on allât
prêcher maintenant (LP : 257)
11.c. Il est rare qu'aux Invalides se trouvent des
madrigaux (LP 11/10/02 : 8)
11.d. il est donc inutile que tu me donnes la parole (VB
:40)
Dans ces énoncés, le verbe être
est suivi d'un adjectif qualificatif recteur de complétive.
La position extraposée de la complétive signifie qu'elle est
complément de l'adjectif en surface, mais que ces complétives
sont en réalité des sujets réels. Pour des raisons de
cadence, c'est-à-dire rythmiques, elles ont été
extraposées :
Que tu me donnes la parole est donc inutile
Pour pallier la vacuité du poste de sujet, le
morphème grammatical il, fondamentalement préverbal, a
été mis à leur place. Le test de l'extraction permet de le
visualiser dans les deux dérivés ci-dessous :
11.a'. C'est que cette
rencontre se serait prolongée et aurait connu des sommets
d'émotion encore plus vertigineux qui est
probable
11.b'. C'est qu'on allât
prêcher maintenant qui n'était pas
imaginable
Le présentatif discontinu C'est...qui
s'applique à la complétive. Or, il est la forme aidant
généralement à détecter la fonction sujet. Comme il
s'applique à la complétive, nous en déduisons que cette
dernière est un sujet de l'ensemble être + adj.
Cette sous-classe de structure le conditionnel et le
subjonctif. L'indicatif est absent de notre corpus. La sélection d'un
mode reste liée à chaque prédicat adjectival. Par exemple,
en [11.a], il est possible de combiner le prédicat probable
avec l'indicatif. On rencontre des
énoncés tels que il est probable qu'il
sera élu. On pourrait se demander quelles
contraintes président à l'élection des modes dans les
complétives unipersonnelles à verbe être.
Au plan transformationnel, la structure Il est Adj. Que P
peut se réduire en Adj. Que P tout court. Nous obtenons
ainsi les énoncés ci-après :
11. c'. Rare qu'aux Invalides se trouvent des madrigaux 11.
d'. Inutile que tu me donnes la parole
À partir de cette reformulation, ces dernières
se rapprochent des structures à attributs de l'objet. Car, après
transformation, on peut facilement dire Je trouve inutile que tu me
donnes la parole, J'estime/ je trouve rare qu'aux Invalides se
trouvent des madrigaux. Nous n'oublions pas de rappeler
qu'à cette position initiale et dans cet emploi absolu, l'adjectif
qualificatif est susceptible de commuter avec un adverbe. D'où
l'analogie entre Adv + Que P et Adj + Que P.
Un infinitif peut apparaitre à la place de la
complétive. La complétive commute naturellement avec l'infinitif.
L'infinitif est précédé d'une préposition de
dans la majeure partie des occurrences. C'est ce que nous montrent les
phrases suivantes :
11.a. Il est probable de voir
11.b. Il n'était pas imaginable de
prêcher
11.c. Il est rare d'imaginer / de trouver des
enfants
11.d. il est donc inutile de donner
Du point de vue sémantique et modal, les adjectifs de
cette structure dans notre corpus sont subjectifs. Ils relèvent de la
classe des mots que Kerbrat Orrechioni (2009 :79134) nomme les
subjectivèmes évaluatifs et affectifs. Ils marquent à
chaque fois une attitude de l'énonciateur vis-à-vis de son
énoncé, traduisant son doute, sa certitude, ses souhaits, son
appréciation méliorative, etc. Outre la structure impersonnelle,
il existe des verbes pleins, ayant des attributs du sujet ou de l'objet qui
sont recteurs de complétives.
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