CHAPITRE PREMIER HISTORIQUE DE LA NOTION
DE L'ADJECTIF
Les notions grammaticales connues aujourd'hui tirent leur
source dans une longue tradition qui remonte parfois à
l'Antiquité. En effet, la plupart des constituants et des fonctions
grammaticales existantes ont été conceptualisées dans les
périodes antérieures. Il en est ainsi du nom, de l'adverbe, du
verbe, de la proposition, de l'attribut, du complément d'objet, etc.
Aussi est-il important d'avoir recours aux théories ayant eu cours
à ces différentes époques pour mieux saisir les faits
modernes. Car, le discours grammatical passé et ses fondements peuvent
déteindre sur les analyses actuelles. En linguistique, rien n'est
isolé. Les ères d'étude se caractérisent par la
continuité, les ruptures et les redécouvertes.
La notion de l'adjectif telle que nous la connaissons
aujourd'hui a ainsi connu une évolution. Pour mieux la déployer
dans le travail, il importe de (re) découvrir ses fondements et son
analyse au fils du temps en grammaire. Il s'agit d'un travail diachronique.
Selon Dubois et al. (1973 : 148), on caractérise de
diachroniques des études, des recherches, une linguistique, dans la
mesure où elles ont comme point de vue la diachronie,
c'est-à-dire l'évolution des faits linguistiques.
De ce fait, le présent chapitre voudrait
répondre à trois questions. D'une part, comment l'étude
grammaticale des parties du discours a-t-elle été faite par les
Anciens et quelle place y occupe l'adjectif ? Quelle évolution y a-t-il
dans la saisie de cette espèce de mot au gré du temps ? Enfin,
quels sont les propriétés de l'adjectif qui découlent de
ces présentations ? L'analyse suit une progression bipartite. La
première partie revient sur les fondements logico-sémantiques de
l'adjectif. Elle passe en revue les développements grammaticaux de
l'Antiquité jusqu'à Port-Royal et leurs retombées
relativement à la saisie de l'adjectif en grammaire classique. La
deuxième articulation quant à elle est consacrée à
l'étude de l'adjectif en grammaire structurale.
1. LES FONDEMENTS LOGICO-SÉMANTIQUES DE
L'ADJECTIF
Pour mieux comprendre la notion de l'adjectif de nos jours, il
est nécessaire de retourner à l'activité grammaticale des
siècles antérieurs. Son fonctionnement et plusieurs de ses
propriétés y tirent leurs sources. En effet, selon Piron (2008
:1) en suivant ainsi les
méandres de la réflexion grammaticale sur la
langue française, nous pourrons mieux comprendre l'origine des
nomenclatures modernes, en particulier celle de la grammaire dite
traditionnelle. Conséquemment, majoritairement historique, cette
section du travail interroge l'activité sur le langage des anciens. Elle
met par ailleurs en lumière la place de Port-Royal dans les
études grammaticales et ses retombées dans les siècles de
grammaire scolaire qui s'en suivent.
1.1. Le langage et les langues chez les Anciens : une
réflexion extra ou périlinguistique
La grammaire, les débats sur le langage et les langues
du monde existent depuis l'Antiquité. Mais, contrairement à leur
orientation de nos jours, ils ont des préoccupations
étrangères au fonctionnement interne de la langue. La
problématique de la langue et du langage est liée au droit,
à la politique, à la religion, à la pédagogie,
à la logique et à la philosophie.
La période allant de l'Antiquité au XVIIe
siècle a une réflexion dense sur le langage. Le cadre restreint
de la présente étude ne saurait en faire un développement
complet. Nous en donnons un aperçu succinct. Nous tirons profit des
développements de Paveau et Sarfati (2003).
De l'Antiquité aux Lumières, la réflexion
linguistique est secondaire et subsidiaire. Les philosophes et les
légistes pratiquent l'étymologie sous sa forme embryonnaire en
vue de la définition des mots et de la légitimation de leurs
disciplines. Les philosophes animent un débat sur l'origine, le sens des
mots et leur capacité à référer à la
réalité pendant plusieurs siècles. La querelle entre
Aristote et Platon est liée à l'origine des mots. Les deux
philosophes se demandent en fait si le langage humain émane de la nature
ou de la convention. Le Cratyle de Platon permet de mettre ne
lumière les débats de cette époque. Platon soutient la
thèse de la justesse naturelle des mots. Aristote par contre penche pour
la thèse conventionnelle. La réflexion tourne donc globalement
autour de l'articulation entre la pensée et le discours. Aristote
oriente la réflexion dans une dimension plus empirique. Il propose de ce
fait le premier découpage de langue en partie du discours.
Denys le Thrace est un auteur majeur de cette vaine. C'est lui
qui, dans sa Tékhné gramatiké, propose un
classement de huit parties du discours. Il recense le nom, le verbe, le
participe, l'article, le pronom, la préposition, l'adverbe et la
conjonction. On peut y lire la préfiguration de la nomenclature
actuelle.
L'époque médiévale est dominée par
le latin et les langues vernaculaires en France. L'Eglise impose et vulgarise
l'usage du latin. Ce dernier doit servir à l'analyse de la Vulgate.
Néanmoins, deux noms retiennent l'attention : Donat et Priscien.
Contrairement aux autres grammairiens et pédagogues de l'époque,
fascinés par le latin, ces deux auteurs préconisent l'usage des
langues vernaculaires. Ils en esquissent des descriptions. Les débats
liés à la langue, à son fonctionnement et à son
usage restent sommeillant jusqu'aux XVIè et XVIIè siècles
avec l'érection de Port-Royal.
|