1.2.1.2. L'introducteur de la conjonctive
complétive
Les traits morphologiques de la conjonctive complétive
renvoient à l'ensemble des marques qui, du point de vue de la forme,
distinguent cette proposition des autres. Référence est faite
à l'introducteur et à ses propriétés. Tamine (1988
:41), parlant de l'introducteur des conjonctives pures ou complétives,
affirme qu'
elles sont introduites par la conjonction que, qui, comme
toutes les conjonctions, n'a évidemment aucune fonction grammaticale
dans la subordonnée, mais qui, de surcroît, n'a aucune valeur
sémantique. Elle a comme seul rôle de relier la principale
à la subordonnée.
Ainsi, dans les énoncés ci-après :
3. a. PTC, tu ne crois pas que tu vas un peu vite en besogne
? (TSTA : 29)
3.b. Le dernier des Doumbouya déclare qu'il
était un ex-détenu politique ( SDI :189)
3.c. K. lui expliqua que le procureur était en effet
un de ses amis (LP : 286)
Dans ces exemples, tous des constructions transitives
directes, le morphème que enchâsse les complétives
: « tu vas un peu vite en besogne », « il
était un ex-détenu politique », « le procureur
était en effet un de ses amis » dans les principales : « PTC,
tu ne crois pas », « Le dernier des Doumbouya déclare »,
et « K. lui expliqua ». Il n'y a pas de fonction grammaticale.
Il assure uniquement la liaison des deux propositions. Sa présence est
obligatoire, en sorte que sa suppression entraine une agrammaticalité
des phrases.
Dans les constructions transitives indirectes où la
complétive suit l'une des prépositions à, de, en.
Elle est introduite par à ce que, de ce que, en ce
que. Pour Chevalier et al. (1964 : 114),
la langue classique construisait couramment avec que des
verbes dont l'objet, infinitif ou substantif, était
précédé de À ou DE : je me passerai bien que vous
les approuviez E...] Mais dans l'usage de plus en plus courant, on
trouve ces verbes suivis de À CE QUE ou de DE CE QUE : Je consentis avec
empressement à ce qu'il réduisit en poudre Murillo.
4. a. Je veillerai à ce qu'il en soit ainsi (LP
:93)
4. b. Mon oncle tenait à ce que je vous charge de me
représenter (LP :233)
4. c. Je vais m'informer de ce qu'il viendra
réellement (SDI :122)
La conjonction de subordination qui introduit la
complétive semble un mot de liaison sans contenu notionnel ni fonction
grammaticale, contrairement au pronom relatif de la subordonnée relative
qui, lui, a une fonction et une valeur anaphorique vis-à-vis de son
antécédent (il le représente). On peut aussi l'opposer au
pronom interrogatif ou à l'adverbe interrogatif dans le cas de
l'interrogation indirecte. Ces derniers enchâsseurs ont, eux aussi, une
valeur sémantique. Les pronoms renvoient selon les cas à l'humain
ou non, les adverbes, quant à eux, évoquent une circonstance. La
complétive se distingue à cet effet des autres
subordonnées non seulement par les propriétés de son mot
introducteur, mais aussi par les mots qui la régissent et les fonctions
qu'elle peut occuper au sein la phrase, ce qui va maintenant être
examiné.
1.3. Essai de syntaxe de la complétive
Envisager une syntaxe de la complétive revient à
traiter d'une part des têtes lexicales avec lesquelles elle peut entrer
en relation, mais aussi d'en esquisser une typologie d'autre part avant
d'aboutir à ses fonctions au bout du compte.
1.3.1. Rection de la conjonctive complétive et
typologie
Comme tout constituant de la phrase, la complétive
obéit à des lois d'organisation qui précisent sa place,
l'élément qui la précède et qui peut la suivre
ainsi que ses fonctions. En effet dans chaque phrase, il existe un tissu de
liens hiérarchiques entre les constituants. Du niveau intrasyntagmatique
au niveau suprasyntagmatique, certains termes soumettent d'autres à leur
dépendance. Le but de cette section est de rendre compte des mots qui
introduisent la complétive afin d'en déduire une typologie.
La rection est, selon Dubois et al. (1973 : 407),
la propriété qu'a un verbe d'être
accompagné d'un complément dont le mode d'introduction est
déterminé [...] On parle aussi de rection pour les
prépositions lorsque l'on considère que la préposition
régit (gouverne) le cas qui est celui du syntagme qui suit.
Cette notion peut être étendue à toutes
les classes syntaxiques susceptibles de gouverner la complétive.
L'appréhension de Dubois et al. paraît restrictive
puisque la rection implique, de notre point de vue, toutes les têtes
lexicales majeures de la langue française, si l'on entend par «
rection » le fait qu'un terme X détermine l'apparition et / ou
le
choix d'un terme Y au sein de la phrase. Le nom est recteur de
l'adjectif qualificatif, ce dernier régit l'adverbe à son tour.
Le verbe régit son sujet et ses compléments, l'adverbe
régit un autre adverbe. À ce titre, toutes les parties du
discours autonomes de la langue sont dotées d'un schéma
actantiel, c'est-à-dire des positions syntaxiques qu'elles ouvrent et la
nature des constituants qui les occupent. Il s'agit de déterminer quels
sont les mots-têtes ou les syntagmes recteurs de la complétive. En
d'autres termes, on s'interroge sur les supports de la conjonctive en
que.
La réponse à cette question varie selon les
grammairiens, des grammaires d'obédience classique aux approches
structurales, car tous ne recensent pas les mêmes éléments.
Par ailleurs, ils ne trouvent pas pertinents tous les termes qui sont
potentiellement les régissants de complétives. Ainsi, Dubois et
Lagane (1973) recensent quatre possibilités de supports : le verbe,
les suites impersonnelles, le nom et l'adjectif qualificatif. Tomassone
(1996) ne considère que le verbe, la locution verbale et le nom
comme des introducteurs de la complétive. Chez Soutet (1989), les
complétives peuvent s'introduire dans le SV, le SN, et le SA.
Wagner et Pinchon (1962) corroborent cette pensée et soutiennent que la
complétive a pour régissants le verbe et les locutions y
afférentes, l'adjectif et le substantif. La même perspective est
suivie par Tamine (1988).
Riegel et al. (Op. cit) ainsi que Grevisse (1980) recensent
les complétives introduites par le verbe et ses locutions, par
l'adjectif, par le nom, et Grevisse (1990) y ajoute l'adverbe. Chevalier et al.
(Op. cit) pensent que la complétive se rapporte au verbe, à
l'adjectif, au nom et à l'adverbe. Maingueneau (1999), parlant des
constructions opératrices, postule que la complétive a comme
supports le verbe, le nom et l'adjectif. Hava Bat-Zeev Shyldkrot (2008) traite
des complétives introduites par la préposition.
En conclusion, traditionnellement, cinq éléments
sont susceptibles de régir la complétive. Il s'agit du verbe ou
de la locution verbale, du nom ou du GN, de l'adjectif qualificatif, de
l'adverbe et de la préposition. Ces catégories s'illustrent
respectivement dans les énoncés ci-après :
5.a. Je vous fais remarquer que mon client [...]
compte de plus dans ce pays (TSTA : 36)
5.b. Le fait que K. restait assis tranquillement au
chevet de Me Huld lui parut assez rassurant (LP :237)
5.c. Je l'ignore, répondit le forban,
étonné qu'on accordât une importance à ce freluquet
(TSTA :171)
5.d. Rien [...] simplement que tu raisonnes bien (TSTA :
62)
5.e. Disons que c'est à peu près ça.
Sauf que je ne raque rien moi (TSTA : 40)
Il paraît toutefois curieux que certains grammairiens et
linguistes rangent le nom parmi les recteurs possibles de la complétive
et ne signalent pas le pronom. En réalité, ce dernier est
susceptible d'occuper la place d'un nom. Il en est de même du
présentatif dont Riegel et al. (2104 :75) disent qu'il peut
être suivi d'une complétive. Ces deux structures sont
pourtant aussi attestées dans l'usage :
6.a. La certitude qu'on me piège est évidente
(TSTA :75)
6.b. Voilà que la tête t'abandonne (LP
:131)
De fait, en parlant de la certitude dans le premier
énoncé, on peut bien dire, avec un pronom démonstratif
apposé : 6.a'. La certitude, celle qu'on me piège est
évidente, ce qui permet, en tenant compte du présentatif,
d'ajouter le pronom à la liste des catégories susceptibles
d'introduire une complétive, relevant ainsi le nombre de recteurs
à sept. C'est de cette répartition que découle la
typologie de la conjonctive complétive
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