1.1.2. La complétive dans quelques grammaires
classiques
Analyse, brochure des Frères des écoles
chrétiennes (1990 : 20-21), n'a pas de leçon intitulée la
phrase ou la phrase complexe. Au contraire, la 41è leçon est
titrée Analyse logique : la proposition, titre révélateur
de la perspective dans laquelle s'inscrit l'analyse des propositions. La
proposition est un groupe de mots réunis autour d'un verbe ayant un
Sujet.
Dans une phrase, il y a autant de propositions que de
verbes à mode personnel. Pour trouver une proposition on commence par
trouver le VERBE, puis son SUJET et ses COMPLEMENTS. Dans ce manuel, la
complétive s'identifie dans les subordonnées directe
(leçon 47), indirecte (leçon 48) et sujet (leçon 49). Pour
les Frères (1990 :23),
on a une subordonnée DIRECTE lorsque la
subordonnée joue le rôle de compl. DIRECT du verbe de la
principale. Elle commence par une CONJONCTION : on dit qu'elle est
complétive [...] INDIRECTE lorsque la subordonnée joue
le rôle de compl. INDIRECT du verbe de la principale [et] SUJET lorsque
la subordonnée joue le rôle de sujet de la principale. (Verbe
impersonnel).
Plusieurs remarques émergent. La complétive y
est analysée comme un nom, suivant la méthode de l'AG. Par
ailleurs, la complétive risque de se confondre avec les autres classes
propositionnelles qui peuvent avoir les fonctions ainsi
énumérées. Référence est faite aux relatives
substantives, aux interrogatives indirectes, et aux infinitives. Bien plus,
étant donné cette saisie fonctionnelle globale que le livre en
donne, ses propriétés spécifiques n'apparaissent pas
clairement, au-delà de la conjonction, trait morphologique qui est
évoqué.
Grammont et Hamon (1951) s'inscrivent dans la même
perspective. Le titre de leur ouvrage est évocateur : Analyse
grammaticale et analyse logique, programmant ainsi les deux parties du
livre. Grammont et Hamon (1951 :70), dans la section titrée la
proposition dans la phrase, déclarent :
une proposition est un groupe de mots étroitement
liés par le sens et renfermant un verbe. Ex. : Le bûcheron regagna
sa chaumière ; Dans une phrase, c'est-à-dire une suite de
propositions, il y a en principe autant de propositions que de verbes à
un mode personnel : Ex. : Quand le soir arriva/ le paysan cessa son travail /et
se dirigea vers la ferme / qu'il apercevait au loin. Cette phrase renferme 4
verbes, donc 4 propositions.
La complétive est étudiée comparativement
à la relative. Il ressort que la complétive est rattachée
à un verbe dont elle achève et complète le sens. Elle est
un complément d'objet. On distingue deux sortes de subordonnées
complétives : la subordonnée complétive par Que ;
la subordonnée interrogative indirecte. La complétive par que
dont nous traitons est susceptible d'apparaitre après les verbes
qui expriment une opération de la pensée. On trouve la
complétive par que après certains noms renfermant l'idée
des verbes : dire, penser, etc.
Nous retenons que la complétive est analogue au nom.
Cette proposition est étudiée en des termes sémantiques
(elle achève et complète le sens) et morphologique
(introduite par que, un verbe, un nom). Les mêmes observations
peuvent être faites à la lecture de Dubois et al., Wagner et
Pinchon et Grevisse.
Dubois et al. (1961 : 132 et sq) ont un chapitre titré
La structure de la phrase. Pour peu que ce titre laisse entrevoir une
description structurelle de la phrase, son contenu ne demeure pas moins
fidèle à la logique classique. Pour les auteurs,
une phrase est faite de plusieurs propositions. Chaque
proposition contient en général un verbe, un sujet, des
compléments ou un attribut. Il y a autant de propositions dans une
phrase que de verbes à un mode personnel (indicatif, conditionnel,
subjonctif et impératif [...]. On appelle subordonnées
complétives les subordonnées qui jouent le rôle de
complément d'objet ou attribut de sujet du verbe principal. Elles
peuvent être introduites par une conjonction.
Les complétives en Que peuvent être sujet, objet
ou attribut. Les deux premières répondent respectivement aux
questions qu'est-ce qui ? Quoi ? Les auteurs closent l'exposé sur la
complétive par l'étude du mode dans cette dernière,
d'où il ressort que la complétive peut être au subjonctif
ou à l'indicatif.
Dans le chapitre Syntaxe Des Phrases Complexes,
Wagner et Pinchon (1962 :548 et sq) étudient les subordonnées
qu'ils nomment propositions dépendantes. Pour ces auteurs, la
subordonnée se ramène, par analogie, à la fonction d'un
terme équivalent dans une phrase simple. Les phrases dépendantes
peuvent donc assumer la fonction sujet ou objet ou attribut ou de
complément déterminatif. Wagner et Pinchon classent les
propositions en fonction de leur morphologie, sur la base du mot introducteur.
Les complétives sont introduites par la conjonction de subordination
que. Il en existe plusieurs catégories. Dans la première
catégorie dont on traite, la conjonction ne peut être
remplacée par aucune autre conjonction ou locution conjonctive ; la
proposition dépendante est dans un rapport étroit avec un terme
de la principale : verbe, locution verbale, substantif, adjectif. Exemple : Tu
penses qu'il viendra ; Il est souhaitable que tu reviennes sur tes pas.
Pour Wagner et Pinchon (1962 : 560), ces propositions
peuvent avoir pour support un verbe, une locution, un adjectif, un substantif,
et peuvent aussi n'avoir pas de support. Exemple : je sais que je
serai sauvé. Le fait que Marie revienne m'attriste ; J'ai envie
qu'on
m'instruise de la suite. Celles-ci peuvent être
sujet, attributs, objets, ou compléments déterminatifs.
Grevisse (1980 et 1990) a une orientation traditionnelle.
L'analyse des propositions qu'il fait est logique. L'auteur (1990 :52) part du
postulat selon lequel, il y a, dans une phrase, autant de propositions
qu'on trouve de verbes à un mode personnel, exprimés ou
sous-entendus. Il est tourné vers une grammaire du mot où
les parties du discours sont omniprésentes. Tous les autres faits
s'apprécient à partir du fonctionnement des espèces de
mots en phrase simple. C'est pourquoi, suivant Grevisse (Op. cit : 235),
on peut fonder une classification des propositions
subordonnées sur les fonctions qu'elles remplissent dans la phrase. De
même que, dans la phrase simple, les fonctions de sujet, d'attribut,
d'apposition, de complément d'objet direct ou indirect, de
complément circonstanciel, etc., peuvent être remplies par un mot
(nom, pronom, adjectif), de même, dans la phrase composée, ces
différentes fonctions peuvent être remplies par une proposition
une proposition [...]
Dans la classification qui s'en suit, la complétive,
par son analogie au nom, se retrouve disséminée au sein des
subordonnées sujets, objets, attributs, compléments du nom,
compléments de l'adjectif. Elle est introduite par une conjonction, que,
une locution à ce que, de ce que, et les verbes qui la régissent
sont des verbes d'opinions, de pensée, etc.
La perception de la complétive par la grammaire
classique peut être esquissée à partir de ces six
présentations. La complétive y est saisie par une série
d'éléments éparses et son identification se fait sur la
base de critères peu solides. La logique y est encore perceptible,
d'où l'analyse logique qui persiste comme moyen de description de cette
proposition. Nous pouvons aussi voir que dans la grammaire traditionnelle, la
complétive est davantage connue sur les plans morphologique et
sémantique : la plupart des grammaires reviennent sur le sens des verbes
recteurs de complétives. Les fonctions de la complétives se
détectent par le jeu des questions dont la pertinence est sujette
à caution.
En clair, l'étude de la complétive en grammaire
traditionnelle n'est systématique. À partir de son analyse
logique et du manque de fondement épistémologique, la grammaire
classique n'a pas réellement dressé un profil complet et
satisfaisant de la complétive. Ce faisant, au plan pédagogique,
cette situation est à l'origine de nombreux problèmes sur
lesquels revient Onguene (2017). Constatant ses limites, et la fortune des
courants structuralistes aidant, la grammaire et l'analyse de la phrase
complexe (PC) se tournent vers
les nouveaux instruments qu'offre la linguistique. La PC
quitte le cadre restreint des manuels pédagogiques pour gagner les
descriptions et ouvrages de linguistique. D'autres analyses voient le jour.
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