1.3. Les adjectifs qualificatifs de troisième
type
Tous les adjectifs qualificatifs ne rentrent pas dans la
bipartition adjectifs qualificatifs simples vs adjectifs relationnels.
En effet, nombreux sont les adjectifs au comportement atypique. Pour
Riegel et al. (2014 :599)
les adjectifs de ce type ne sont ni relationnels ni
qualificatifs. Exclusivement épithètes et non gradables, ils sont
généralement antéposés au nom qu'ils modifient et
ils ne spécifient pas le sémantisme, mais modalisent, chacun
à sa façon, le rapport du GN où ils figurent avec sa
contrepartie référentielle.
Ces adjectifs sont encore appelés adjectifs
situationnels. Schnedecker (2002 :3) indique que cette classe renferme
les adjectifs situationnels de lieu (espace réel ou espace du
discours), les situationnels de temps et les situationnels d'existence.
Elle en donne une liste. Seulement, les contours de ces adjectifs ne sont
pas connus. On y retrouve des adjectifs comme
futur, passé, pur, simple, même, autre , tel,
pareil, certain, propre, seul, unique, simple, pur, franc, vrai,
véritable, faux, plein, authentique, soi-disant, prétendu, vague,
habituel, actuel, ancien, primitif, présent, passe, éternel,
droit, gauche, haut, bas, avant, arrière, principal, moyen, propre,
secret, passe, prochain, futur, ex, vieux, nouveau, amont, ouest, central,
périphérique, préféré, favori, adore,
chéri, suivant, précédent, récent, éventuel,
principal, simple, principal, grand, vrai, seul, droit, actuel, ancien, grand,
gauche, méchant.
Ces adjectifs ont reçu peu d'études
systématiques. Relevons celles de Giry-Schneider 2005 et Laporte 2005.
Ces adjectifs ont une extension sémantique différente de celle
des qualificatifs et de celle des relationnels. Les relationnels
établissent un rapport entre le nom et l'adjectif. Les qualificatifs
simples caractérisent et indiquent une propriété
intrinsèque du
référent désigné par le nom. Les
adjectifs de la liste précédente ont la particularité de
traduire la localisation dans le temps, l'espace ou l'ordre. Certains encore
participent à l'évaluation de l'énoncé. Nous ne
saurons leur consacrer plus de place dans le cadre restreint de ce travail. Les
analyser et en produire une systématique dépasse largement les
limites de ce travail. Il importe à présent de donner une vue des
adjectifs-participes passés.
1.4. Le participe passé : entre adjectif et
verbe
Selon Gross (1996 :16), les dictionnaires proposent
souvent deux entrées concurrentes pour les participes
passés. Il y aurait donc une forme adjectivale et une forme
verbale. Mais l'auteur propose dans son article de considérer tous
les participes passés comme des adjectifs, même dans les temps
composés avec l'auxiliaire avoir. La distinction entre les deux
usages n'est pas toujours évidente. Les deux formes ont en effet la
capacité de varier en genre et en nombre. L'observation des phrases
suivantes le montres. À partir de ces dernières, nous donnerons
modestement des éléments susceptibles de discriminer les deux
formes.
7.a. Sur le front sillonné de rides
se lisait le regret d'une jeunesse ratée et à
jamais enfuie (VC : 60)
7.b. Le conducteur...était affalé
sur le marchepied123-123-
7.c.elle fonçait devant elle, la tête
baissée (VNM :75)
7.d. Le monde est convaincu qu'il n'y aura
pas d'attaque ce soir (LP 11/10/02 :60)
Les formes en gras dérivent toutes des verbes. Ce sont
donc des déverbatifs issus respectivement de sillonner, rater,
(s'en)fuir, (s') affaler, baisser et convaincre. Au plan morphologique, en
dépit des flexions, ces formes sont parentes. Elles apportent une
information qualifiante ou spécifiante au sémantisme d'un nom.
Pourtant, les mêmes formes peuvent indifféremment être
adjectif ou verbe. Comment savoir qu'ici nous avons affaire à l'emploi
verbal et là à l'emploi adjectival ?
Pris comme adjectif, le participe passé est lié
au nom dont il constitue une expansion. Il peut être
épithète, attribut ou apposé. C'est le cas de
sillonné, raté, affalé, enfuie, baissé et
convaincu.
Par contre, en emploi verbal, le participe passé sert
généralement à la conjugaison des verbes aux temps
composés. Il peut introduire le passif. C'est le cas de
sillonné en [7.b.]. Certaines de nos phrases donnent cette
possibilité. On peut rétablir les actifs suivants : des rides
sillonnaient son front, il ou elle avait raté sa jeunesse, quelque chose
a convaincu le
Il ressort de ce parcours que la classe de l'adjectif
qualificatif est dense et hétérogène. Les
éléments qui la composent on de nombreuses différence au
plan de la forme
monde qu'il n'y aura pas d'attaque ce soir. Dans le
cas de sillonné et raté, il faut
rétablir l'auxiliaire être pour obtenir le passif. On ne
saurait cependant avoir l'énoncé suivant : *Le conducteur
était affalé sur le marchepied par la fatigue. On construit
difficilement une phrase à l'actif avec ce matériel lexical. Si
l'on en construit une, elle devient agrammaticale. L'énoncé qui
suit le montre : ?*La fatigue avait affalé le conducteur sur le
marchepied.
Dans le contexte verbal, les deux usages se confondent.
Employé avec l'auxiliaire être la forme participiale
fonctionne comme un adjectif. Mais, de notre avis, la substitution permet de
lever l'ambiguïté. Le participe peut être remplacé par
un adjectif qualificatif simple en emploi adjectival et la phrase conserve sa
grammaticalité. Si la substitution est impossible, s'il y a changement
de sens et que la grammaticalité de la phrase est mise en question, nous
conclurons qu'il s'agit d'un emploi verbal.
7.a'. Sur le front plein de rides se
lisait le regret d'une jeunesse triste et à jamais
fade (VC : 60)
7.b'. Le conducteur...était
installé / coucher / assis ?beau sur le marchepied (VC
: 123)
7.c'. Elle fonçait devant elle, la tête
nue / chauve (VNM :75)
7.d'. Le monde est sûr / heureux
qu'il n'y aura pas d'attaque ce soir (LP 11/10/02 :60)
Dans ces énoncés, [7.a', 7.c', et 7.d']
admettent l'adjectif qualificatif simple à la place de la forme
participiale. Ces adjectifs qualificatifs caractérisent le nom. Nous
concluons que ce sont des participes adjectivés. En conséquence,
si un participe passé se révèle être un adjectif, il
appartiendra à l'une des trois premières catégories
définies.
En [7.c'], si l'on introduit un adjectif qualificatif simple,
deux possibilités se présentent. Le sens de
l'énoncé change ou alors sa grammaticalité est
problématique. Dans la phrase, Le conducteur...était
?beau sur le marchepied, l'adjectif beau
particularise et caractérise le GN le conducteur. Un
glissement sémantique perceptible s'opère.
Notons aussi que son emploi verbal, le participe passé
sera généralement remplacé par un verbe de
sémantisme voisin. De ce fait, être affalé induit
être assis, être couché, être installé,
etc. Tous marquent l'adoption d'une station, l'adoption d'une posture.
et du sémantisme. Ces différences
s'étendent également à la complémentation de
l'adjectif qualificatif.
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