De l’évaluation de l’impact des décisions judiciaires dans la protection des victimes de violences sexuelles en république démocratique du Congo. Cas de viol d’enfants.par Sylvain KITENGE LOBABA Université de Kinshasa - Master de recherche en droit international humanitaire et droits de l'homme 2017 |
F. L'octroi de liberté provisoire en matière de violence sexuelleLa pratique d'octroi de liberté provisoire par les magistrats du parquet et les juges constitue en matière de violence sexuelle est un véritable handicap au bon déroulementdes procès y relatifs320(*). En effet la liberté est le principe, la détention l'exception321(*) et la liberté provisoire un droit de tout justiciable322(*) et qui peut la demander soit devant le magistrat instructeur ou en chambre du conseil devant les juges. Or la politique criminelle du gouvernement congolais est qu'on ne puisse pas accorder la liberté provisoire aux prévenus poursuivis pour de crimes de sang , notamment le viol323(*). C'est dans cette logique que l'ancien Procureur Général du parquet près la cour d'appel Lubumbashi, Monsieur Pierre Essabe Kamulete avait interdit à ses magistrats d'accorder la liberté provisoire aux auteurs de violences sexuelles324(*). Curieusement, dans la pratique, les juges au lieu d'attendre que l'inculpé la leur demande, tentent de la lui accorder moyennant un cautionnement. Defois les magistrats du parquet accordent cette liberté provisoire aux inculpés sous quelques closes résolutoires après perception d'une caution325(*) en projection de l'extinction de l'action publique. A titre illustratif, les actions sous RP 13.321, pendant devant le Tribunal de grande instance de Kinshasa/Kalamu ; RP 6.296, 6.359, 6.445 et 6.465 pendant devant le Tribunal de grande instance de Matete sont restées sans issue par ce que les prévenus sont en liberté (provisoire). La conséquence de cette pratique de liberté provisoire, amènerait donc les victimes et leurs familles à recourir à la vengeance privée car estimant que la justice a failli326(*). Ce qui est plus grave encore est que certaines décisions de justice se font monnayer. G. La corruption et la concussionLa corruption et la concussion, deux faces d'une même médaille, constituent l'une de cause principale de la faiblesse de la justice congolaise. Le Doyen Kalongo Mbikayi327(*) opinant sur la question des jugements iniques en RDC, citait la corruption parmi les causes principales de la flambée de procédure de prise à partie contre les magistrats congolais. Tel est également le point de vue du Bâtonnier Matadi Nenga Gamanda qui dans sa théorie de la réforme judiciaire sur la question des jugements iniques, pense que la cause principale de cet état de chose est la corruption328(*). « Au Congo écrit-il, le constat est amer : la corruption est de nature professionnelle et est devenue `'une seconde nature'' ...Une décision rendue par un juge, sans avoir été contacté, relève de la surprise et rappelle toujours admiration. La hiérarchie elle-même corrompue vit des dons de commerçants et de la protection politique. Les juges et le procureurs sont placés par des chefs hiérarchiques comme pourvoyeurs de recettes de rackets ... 329(*) ». La mission conjointe multi bailleurs sur l'audit organisationnel du secteur de la justice fait également le même constat à ce sujet lorsqu'elle écrit dans son rapport que : « le droit n'est plus dit (en RDC), il est acheté...330(*) ». Pourtant l'intégrité qui est l'expression d'une probité et d'une honnêteté absolue doivent être attachées à la fonction du magistrat331(*). Elle constitue le socle de toutes les valeurs déontologiques et le fondement de la confiance en la justice que le magistrat a le devoir de promouvoir332(*). Si les magistrats bénéficient la présomption d'innocence dans une certaine mesure, mais le profil des certains prévenus placés en détention justifie ces différents points de vie. En effet, la plupart des personnes arrêtées dans nos prisons sont pour la plupart de ceux qui ne sont pas en mesure de payer des sommes d'argent qui leur sont proposées pour obtenir la liberté provisoire et/ou transiger avec les familles de victimes. Alors que ceux qui sont cabales de transiger, sont mis en liberté provisoire ou amplement acquittés au bénéfice du doute. A titre illustratif, sous R.E.C.L 1.023333(*), le tribunal pour enfants de Bunia, acquitta les enfants M.T. et M.D pour doute. Le motif avancé par le tribunal est qu'il ne se trouvait pas au dossier le rapport médical pouvant attester le viol dont l'enfant prétendue violée était victime. Alors que le tribunal avait le devoir de requérir le médecin s'il tenait à ce rapport. Mais profitant de l'absence de la victime à l'audience de plaidoirie, et qui du reste n'était pas signifiée de la date ladite audience, pour favoriser les ECL a quo et les acquitta. C'est le dol dont parle le Premier Président Luamba Bindu, qui selon lui est caractérisé par « le recours dans un jugement, à la tromperie, à la fraude, aux affirmations mensongères,...aux manoeuvres destinées à donner à sa décision l'apparence d'un jugement valide pour favoriser une partie au détriment d'une autre334(*) ». * 320 MONUSCO ET LE PARQUET DE GRANDE INSTANCE DE KINSHASA KALAMU, Les violences sexuelles et leurs répressions, Kinshasa, juin 2014, p.89. * 321 Article 17, alinéa 1er de la constitution ; article 28 alinéa 1er du code de procédure pénale. * 322 Article 32 du code de procédure pénale. * 323 Cf. La circulaire n°03/CAB/MIN/J&DH/2013 du 31 août 2013 relative à la politique pénale gouvernementale en matière de privation de liberté provisoire. * 324 MONUSCO ET LE PARQUET DE GRANDE INSTANCE DE KINSHASA KALAMU, op.cit., p.89. * 325 Idem., p.85. * 326 MONUSCO ET LE PARQUET DE GRANDE INSTANCE DE KINSHASA KALAMU, op.cit., p.88. * 327 Kalongo MBIKAYI, La problématique des jugements iniques, Revue de droit congolais, CRDJ, janvier, février-avril 2000, n° 003/2000, pp.7 à 14, cité par N. MWILANYA WILONDJA, Néhémie, La responsabilité professionnelle des magistrats en droit congolais : Cas de la prise à partie, 2ème édition avec jurisprudence, Kinshasa, Editions Cabinet Mwilanya & Associés, Décembre 2010, p.60. * 328 Matadi Nenga Gamanda, La question du pouvoir judiciaire en RDC, contribution à une théorie de réforme, Ed. Droit et Idées Nouvelles, Kinshasa, 2001, p.183, cité par N. MWILANYA WILONDJA, op.cit., p.61. * 329Idem. * 330Rapport d'état des lieux, mais 2004, inédit, cité par N. MWILANYA WILONDJA, op.cit., p.58. * 331 Article 14 du Code d'éthique et de déontologie des magistrats. * 332 Idem. * 333 Cf. MINISTERE DE LA JUSTICE, op.cit., n°10, pp.33-34. * 334 B. LUAMBA BINDU, « l'Etat de droit et l'exécution des décisions de justice », Discours prononcé à la rentrée judiciaire 2007, p.8, inédit, cité par N. MWILANYA WILONDJA, op.cit., p.59. |
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