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L'entreprise face au phénomène de corruption privée de son service achat

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par Alexis CREN
Université Aix Marseille  - Master 2 Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée 2015
  

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INTRODUCTION

1. Quid de la corruption. La corruption peut revêtir différentes définitions. Pour le professeur André Vitu par exemple, la corruption (publique) désigne « les agissements par lesquels un tiers obtient ou essaie d'obtenir, moyennant des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, d'une personne exerçant une fonction officielle, qu'elle accomplisse ou retarde ou s'abstienne d'accomplir ou de retarder un acte de sa fonction ou un acte facilité par elle. La même expression sert aussi à désigner l'attitude du tiers qui cède aux sollicitations de la personne chargée d'une fonction officielle, et qui accepte de lui remettre ce qu'elle réclame pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir l'acte qui entre dans ses fonctions ou estfacilité par elle. Ce tiers personnage est, en ces divers cas, appelé corrupteur »1.

2. Une pluralité de définitions. A cet égard le rapport explicatif de la Convention pénale sur la corruption souligne le fait que bien que la corruption a connu une longue histoire et qu'elle est un phénomène de grande ampleur, il subsiste encore aujourd'hui des difficultés pour la communauté internationale à trouver une définition commune. Affirmant même que la corruption ne ferait probablement jamais l'objet d'un même degré d'acceptation d'un Etat à l'autre. « La communauté internationale n'a pas réussi à s'entendre au sujet d'une définition qui puisse recueillir l'assentiment général »2.

Pour Jean Cartier-Bresson, professeur agrégé de l'Universités de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, la corruption est « un phénomène d'échange occulte et d'influence réciproque entre les sphères politique, administrative et économique »3. Pour la Commission européenne, la corruption s'entend de « tout abus de pouvoir ou irrégularité commis dans un processus de décision en l'échange d'une incitation ou d'un avantage indu »4.

1 André VITU (2008 - 2014). JurisClasseur Pénal des Affaires. Fascicule 10. Corruption d'agents publics nationaux et trafic d'influence, actif ou passif, commis par des particuliers. N°3.

2 Rapport explicatif de la Convention pénale sur la corruption. (2000). Conseil de l'Europe.

3 Jean CARTIER-BRESSON. (2008). Économie politique de la corruption et de la gouvernance. Paris. L'Harmattan. collection « Éthique économique ». p8

4 Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen. (2014). Rapport anti--corruption de l'UE. Bruxelles. p2.

2

Le Conseil de l'Europe a lui aussi sa propre définition. Elle serait « une rétribution illicite ou tout autre comportement à l'égard des personnes investies de responsabilité dans le secteur public ou le secteur privé qui contrevient aux devoirs qu'elles ont en vertu de leur statut d'agent d'Etat, d'employé du secteur privé, d'agent indépendant ou d'un autre rapport de cette nature et qui vise à procurer des avantages indus de quelque nature qu'ils soient, pour eux--mêmes ou pour un tiers »5.

3. La corruption, un échange occulte. Il existe des dizaines de définitions officielles et bien qu'elles soient toutes sensiblement différentes, celles-ci tendent toutes à définir un même fait, celui d'un échange entre au moins deux personnes. L'une est investie d'une fonction particulière et va être rétribuée par l'autre personne pour agir à ce titre et de manière abusive.

4. La corruption est partout. Au détour d'une conversation au sujet des difficultés de stationnement à Paris une connaissance m'expliquait non sans une pointe de fierté qu'elle avait « trouvé la parade » : Cette personne avait un accord avec le gardien d'un parking privée d'une enseigne de supermarché. En l'échange de quelques dizaines d'euros, le gardien avait accepté de lever la barrière du parking autant de fois que nécessaire. Cette personne n'avait pas conscience de la qualification de ce comportement, le caractère anodin de celui-ci ne l'avait probablement pas amené à se poser la question. Reste que, qu'importe le montant du préjudice causé ou même son absence, la corruption peut se manifester de diverses façons. Dans le cas décrit, il s'agissait de corruption de personne n'exerçant pas une fonction publique.

5. L'importance de la qualité du corrompu. La forme de corruption la plus reconnue est probablement la corruption publique, celle des élus, des personnes investies d'une fonction de service public ou investies de l'autorité publique. Il ne faut pas oublier la corruption judiciaire, celle des magistrats, dont le grand public entend souvent parler en matière de grand banditisme. On le pressent, lorsqu'il s'agit d'identifier à quelle forme de corruption on a affaire il est nécessaire d'identifier la qualité du corrompu. Cette qualité est déterminante du texte d'incrimination qui sera utilisé pour qualifier les faits de corruption. La forme à laquelle nous avons décidé de nous intéresser est la corruption privée.

5 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée, étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée. p5.

3

Celle dans laquelle l'agent corrompu n'est jamais un membre de la fonction publique, ou du moins celle d'un agent public qui n'est pas corrompu à ce titre (On pense dans ce cas à l'exemple d'un maire qui dirige par ailleurs une entreprise du secteur privé et dont l'acte attendu est celui de sa fonction de dirigeant et non de celle de maire).

6. L'histoire de l'infraction de corruption privée6. « À l'origine était l'impunité. Alors que l'incrimination de la corruption publique semble bel et bien appartenir à des temps immémoriaux, l'incrimination de la corruption privée n'apparaît en comparaison que fort tardivement et en des termes singulièrement étroits ». Il faut attendre la loi du 19 février 1919 pour que la corruption privée soit pour la première fois incriminée. Auparavant, seule la corruption publique l'était, aux articles 117 et 179 du Code pénal de 1810. Au départ, en 1919, et pour longtemps, la corruption privée ne visait que les employés des entreprises privées. Par la suite, en 1945, les dispositions réprimant la corruption privée ont été complétées afin d'étendre l'incrimination des actes facilités par la fonction de l'agent, « mettant un terme à l'impunité de la para--corruption privée ».

Avec l'entrée en vigueur de la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992, la France a fait un bond en arrière important en dépénalisant la corruption privée, diminuant le maximum de la peine d'emprisonnement encouru de trois à deux ans et déplaçant le texte du Code pénal au Code du travail en son article L. 152-6.

Il faut attendre l'impulsion de l'Union européenne pour voir la législateur français avancer de nouveau en matière de lutte contre la corruption privée. La transposition de la décision cadre n°2003-258 du 22 juillet 2003 a conduit à la réintégration du texte d'incrimination de la corruption privée dans le Code pénal français. Cette décision cadre concrétise la volonté de l'Union européenne qui avait été formulée dans l'action commune relative à la corruption dans le secteur privée du 22 décembre 1998, celle « d'apporter une réponse internationale au favoritisme susceptible de fausser la concurrence, à la constitution de monopoles et aux atteintes à la liberté d'entreprendre »7.

C'est ainsi que, par l'entrée en vigueur de la loi n°2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice, un chapitre intitulé « de la corruption des personnes n'exerçant pas une fonction publique » a pu être créé. Les textes seront présentés ultérieurement.

6 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17 février. p3. N°2

7 Travaux parlementaires. (2015). Projet de loi relatif à la corruption. Disponible en ligne: http://www.senat.fr/rap/l07-051/l07-0512.html

4

Ainsi, parce-que les faits de corruption « portent atteinte à l'ordre public économique et à la confiance dans les acteurs du marché » et non plus seulement à une relation de travail de droit privé, les délits de corruption active et passive des personnes n'exerçant pas une fonction publique ont fini par trouver logiquement leur place au sein du Livre IV au titre des atteintes à la confiance publique (V. E. Blessig, Rapp. sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans le domaine de la justice: Doc. AN n° 2291, 2005, p. 27)8.

7. Diverses formes de corruption dans le secteur privé. Parmi les formes que revêt la corruption privée, la plus médiatisée, outre la corruption médicale, est peut-être la corruption sportive et ce, particulièrement en 2015. En effet, la presse a cette année relayé un certain nombre de scandales qui ont éclaboussé le monde du sport. Le plus important étant le celui de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), dont certains dirigeants auraient été achetés par des Etats désireux d'être choisis pour organiser la coupe du monde de football. Le football français a lui aussi été éclaboussé par la corruption. En effet, le club de football de Nîmes et ses dirigeants a été condamné le 18 mars 2015 par la commission de discipline de la Ligue Nationale de Football pour avoir arrangé des rencontres avec d'autres équipes9. Les agents sportifs eux aussi sont souvent soupçonnés de corruption. Ces derniers proposeraient parfois à un dirigeant de club l'achats d'un joueur en l'échange d'une rétro commission ou d'avantages en nature au profit du dirigeant10. (Rappelons ici que la corruption sportive fait l'objet d'un traitement particulier, en effet depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2012158 du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs, les articles 441-1-1 et suivants du Code pénal réprime spécialement la corruption active et passive d' « un acteur d'une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs, afin que ce dernier modifie, par un acte ou une abstention, le déroulement normal et équitable de cette manifestation »)11.

8 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17 février. p3. N°4

9 Décision de la Commission de Discipline de la LFP du 17 mars 2015. Disponible en ligne: http://www.lfp.fr/corporate/article/les-decisions-du-17-mars-2015.htm

10 Manon MUNIER. (2014). Les dérives liées aux transferts sportifs. Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée. p43

11 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17 février. p11. N°22

8.

5

La corruption dans le domaine des affaires. C'est probablement dans ce domaine que les formes de corruption peuvent être les plus variées. Un certain nombre de comportements d'un salarié du secteur privé (par exemple) qui seraient contraires à l'intérêt de son entreprise ou au moins contraires à son règlement intérieur, dans l'hypothèse où ils seraient effectués en l'échange d'une rémunération par un tiers, peuvent être constitutifs de corruption privée. A l'instar de l'espionnage industriel qui est une pratique pouvant revêtir diverses qualifications, notamment celles de violation du secret professionnel, d'abus de confiance de vol et de corruption privée passive. « La révélation d'un savoir-faire est souvent incitée par la recherche pour l'auteur d'un enrichissement ou d'un avantage. Il essayera souvent de monnayer la révélation contre un avantage matériel, un salaire plus intéressant ou un embauchage »12.

9. Le code des achats, l'équivalent privé du Code des marchés publics. Lorsqu'une mairie n'est pas en mesure d'effectuer une tâche, elle délègue à une entreprise du secteur privé. Lorsqu'une entreprise privée est dans la même situation, elle délègue à une autre entreprise privée. C'est l'idée de sous-traitance. Lorsqu'on est face à une administration publique, c'est le code des marchés publics qui va trouver à s'appliquer. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une entreprise de droit privé, c'est le code des achats qui va déterminer quelle procédure de dévolution du marché il faudra suivre. La corruption dans les marchés publics est un fait de société mondial, en France comme à l'étranger. Pour preuve, le législateur a même décidé de les protéger les marchés publics la corruption à l'aide d'une infraction obstacle qu'est le favoritisme. Pourquoi quelque-chose d'illicite se produirait dans le secteur public et non dans le secteur privé? Cette opération qui consiste pour l'Etat à déléguer une tâche quelconque à un tiers trouve son équivalent dans le secteur privé dans le secteur des achats, qui a l'instar du domaine des marchés publics est lui aussi un secteur exposé à la corruption. On se souvient de l'affaire Faurecia qui avait éclaté en 2006. Un équipementier du groupe PSA avait été accusé d'avoir versé des pots-de-vin de plusieurs centaines de milliers d'euros par an aux directeurs achats d'entreprises allemandes du secteur automobile afin d'obtenir des contrats juteux13.

12 Régis FABRE. (2014). Réservation du savoir-faire. Jurisclasseur Brevet. LexisNexis. Fasc N°4200 : N°40

13 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée, étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée. p50

10.

6

La corruption dans les achats. Bien que la corruption privée soit appréhendée par le code pénal, la réalité juridique est parfois éloignée de la réalité des affaires. La corruption dans les affaires semble être une pratique ancrée et qui soulève des difficultés importantes en terme de lutte, de détection et de répression. La raison d'être des services achats, leur organisation, les budgets qu'ils ont vocation à gérer et beaucoup d'autres raisons font que, parmi les formes de corruption qui affectent les affaires, celle qui touche particulièrement les services achats des entreprises privées constitue une des plus systématiques.

11. Un phénomène omniprésent. A en croire différentes études que nous présenterons de façon plus détaillée à l'occasion de cette étude, le phénomène de corruption privée des services achats des entreprises est loin d'être anecdotique. Un chiffre frappe tout particulièrement: Un quart des directeurs achats a été confronté à une tentative de corruption en 201414. Ce chiffre ressort d'une enquête basée sur des réponses de personnes sondées, ainsi, on peut légitimement se demander si les personnes ayant agréé à une proposition de nature corruptive ont répondu de façon affirmative à cette question. On peut aussi se demander si, parmi tous les sondés, tous ont répondu en connaissance de cause (nous verrons que la définition de la corruption n'est pas si évidente, notamment concernant les cadeaux d'affaires). Ainsi, ce chiffre devrait être interprété comme étant un minimum. Le pourcentage de directeurs achats ayant été confrontés à une tentative de corruption, devrait être plus importante.

La corruption ne peut être perçue comme un fait divers, mais comme un fait grave, porteur d'exclusions et d'inégalités. A cause de la corruption, les intérêts de quelques--uns sont favorisés au détriment des autres.

12. Une quasi absence de condamnation. Le rapport législatif sur le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption du 12 septembre 2015 avance le fait que très peu d'affaires de corruption sur le fondement des articles 445--1 et 445--2 du Code pénal sont actuellement en cours. En outre, les données du ministère de la justice disponibles montrent que le nombre de condamnations intervenues ces dernières années est extrêmement faible. Cette quasi absence de condamnation, dix ans après le renouveau de l'incrimination en droit français laisse perplexe.

14 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015

13.

7

Problématique. De par sa fonction et son organisation le service achat d'une entreprise privée constitue un écosystème favorable à la commission d'actes susceptibles de revêtir, entre autres qualifications, celle de corruption privée. Toutefois, certaines caractéristiques inhérentes aux actes de corruption rendent leur détection et leur répression difficile, expliquant alors le très faible niveau de condamnation actuel. Au travers de l'étude de l'infraction et de certains modes opératoires (du simple cadeau, aux fausses études en passant par le contrat d'apporteur d'affaires), nous tenterons de mettre en évidence les faiblesses du modèle répressif, de l'action des pouvoirs publiques et la nécessité pour les entreprises de mettre en place des mécanismes de prévention efficaces.

14. Plan du mémoire. Après avoir démontré en quoi le service achats d'une entreprise privée est particulièrement exposé au risque de corruption privée (Partie 1), nous verrons que malgré l'identification du problème, les difficultés de lutte contre le phénomène de corruption privée restent nombreuses (Partie 2).

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1ÈRE PARTIE - Le risque élevé de corruption

privée inhérent aux services achats

Cette partie constituera le socle nécessaire de cette étude. Dans un premier temps seront étudiés les contours juridiques puis économiques de la corruption privée via un état des lieux du phénomène en France (Chapitre 1er). Dans un second temps nous nous intéresseront plus en détail aux services achats des entreprises et à ce qui fait d'eux un écosystème propice à la commission de l'infraction de corruption privée (Chapitre 2nd).

CHAPITRE 1ER - La corruption privée, un phénomène omniprésent en France

Dans un premier temps il convient de s'intéresser au régime juridique actuel de l'infraction qui fait l'objet de ce mémoire, à savoir la corruption privée telle qu'elle est appréhendée par justice française (Section 1). Dans un second temps, la mesure du phénomène de corruption privée dans les services achats des entreprises françaises sera effectuée à l'aide des études menées par des institutions privée (Section 2). Le but étant de démontrer l'existence d'un fossé entre le nombre de condamnations et la réalité de la vie des affaires.

SECTION 1re -L'infraction de corruption privée en France en 2015

Dans un premier temps nous nous intéresserons au mécanisme de corruption privée en tant qu'infraction en droit pénal français (I) avant d'étudier les sanctions qui y sont attachées (II).

I - De la qualification de corruption de personnes n'exerçant pas une fonction publique

Dans cette partie nous définirons la notion de corruption privée (A) avant de présenter l'infraction telle qu'envisagée dans le Code pénal (B).

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A - Notion de corruption privée

15. La corruption est une infraction ayant vocation à sanctionner des modes opératoires utilisés « pour obtenir la conclusion ou le bénéfice de certaines affaires »15. Pour beaucoup et notamment dans les médias, la corruption est souvent assimilée à la notion de « pot-de-vin ». Michel Véron considère que l'aspect le plus inquiétant dans les affaires de corruption réside dans les arguments de défense des mis en cause. Ces derniers justifient souvent leurs agissements par le fait que corrompre est finalement un comportement relativement banal dans la vie des affaires publiques ou privées. La nécessité de tels comportements étant elle aussi avancée. Les prévenus invoquant parfois le fait que sans la corruption leur entreprise aurait périclité, que des emplois auraient été nécessairement perdus.

16. « Un éclatement des textes d'incrimination »16. En droit pénal français, la corruption fait l'objet d'un certain éclatement quant à sa codification. Les différents textes relatifs à la corruption sont concentrés dans le livre quatrième du Code pénal, au sein du titre III relatif aux atteintes à l'autorité de l'Etat et au sein du titre IV relatif aux atteintes à la confiance publique. Dans le cadre de ce mémoire, ce sont les infractions de ce titre IV qui feront l'objet de notre intérêt. Le chapitre V relatif à « la corruption des personnes n'exerçant pas une fonction public » leur est consacré.

17. Une définition de la corruption. Quelque-soit son type (privée, publique...), la corruption en droit pénal français peut se définir comme consistant à « rémunérer une personne pour qu'elle accomplisse ou n'accomplisse pas un acte qui relève de sa fonction ». Aussi, selon Michel Véron, l'infraction implique une collusion entre au moins deux parties. Un corrupteur qui offre ou accepte de récompenser le corrompu, en l'échange de la garantie de l'accomplissement ou du non accomplissement d'un acte de sa fonction.

18. Distinction entre corruption active et corruption passive. Traditionnellement, le comportement du corrupteur sera qualifié de corruption active (« il corrompt » voix active) et corrélativement, le comportement du corrompu sera qualifié de corruption passive (« il est corrompu » voix passive). On le voit, cette terminologie ne fait en rien référence à la personne qui est ou n'est pas à l'initiative du pacte. Le corrompu ayant un comportement actif, d'instigateur, ne sera donc pas qualifié de corrupteur actif. De la même manière que le corrupteur qui se laisse convaincre de verser un pot-de-vin « de façon passive » ne

15 Michel VÉRON. (2013), Droit pénal des affaires, Dalloz, 10ème édition. p73

16 Ibidem. p75

10

sera pas qualifié de corrupteur passif. L'explication n'est donc que grammaticale et ne repose pas sur un quelconque comportement proactif ou plutôt attentiste de la part de l'une et l'autre des parties à un pacte de corruption.

19. Un texte d'incrimination relativement jeune. Contrairement à la corruption d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public (articles 432-11 et 433-1 du Code pénal), d'un magistrat, d'un jurée, d'un expert ou d'un arbitre (article 434-9 du Code pénal) ou celle des membres d'une profession médicale ou de santé (article 441-8 du Code pénal), la corruption dans le secteur privée se limitait jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 à la corruption de salarié et n'était codifiée, nous l'avons vu, « que » dans le Code du travail à l'article L. 152-6.

B - L'incrimination de la corruption privée dans le Code pénal 1 - Les textes d'incrimination

20. La corruption privée active incriminée par l'article 445--1 du Code pénal. Cet article incrimine le « le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, à une personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir un acte de son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles.

21. Est puni des mêmes peines le fait, par quiconque, de céder à une personne visée au premier alinéa qui sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte visé audit alinéa, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles ».

22. La corruption privée passive incriminée par l'article 445--2 du Code pénal. Cet article incrimine « le fait, par une personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un

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mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque, de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle--même ou pour autrui, pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte de son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles ».

23. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la loi précitée17 portant adaptation du droit communautaire dans le domaine de la justice, la corruption privée se trouve incriminée par les articles 445-1 à 445-4 du Code pénal. La corruption de salarié ayant à cette occasion, disparu de nos codes. Dorénavant le texte d'incrimination de la corruption dite « privée » est susceptible de s'appliquer à toute personne « n'exerçant pas une fonction publique ».

2 - Personnes visées par les textes

24. Qualité indifférente de la personne du corrupteur (corruption active)18. L'article 445-1 du Code pénal qui incrimine la corruption active est susceptible de s'appliquer à, pour reprendre le terme de l'article, « quiconque ». Ce terme utilisé par le législateur permet de retenir dans les liens de la prévention toute personne physique ou morale sans qualité particulière requise.

25. Qualité requise de la personne corrompue (corruption passive)19. L'article 445-2 du Code pénal qui incrimine la corruption passive est susceptible de s'appliquer à une personne qui « sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque » se livre à un acte de corruption. La qualité requise du corrompu est ainsi définie de façon négative: Elle ne doit pas posséder la qualité d'agent public. Mais aussi de façon positive: Elle doit exercer une activité dans le secteur privée. Les deux conditions étant cumulativement exigées. Dès lors, qu'importe le but recherché par l'activité, lucratif ou non (les termes de l'article « professionnel ou social »

17 Loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice

18 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. 17 février, p5

19 Ibidem

12

permettent d'envisager non seulement l'appartenance à une entreprise privée, une association ou un syndicat) et peu importe la nature de la fonction exercée par le corrompu (les termes de l'article « direction ou de travail » permettent d'envisager de poursuivre aussi bien les salariés quelque soit leur place dans la hiérarchie20, toute fonction de direction (administrateurs, gérants de sociétés même non salariés et travailleurs indépendants ou bénévoles), dans toute entreprise privée quelle qu'en soit sa forme sociale. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005, l'exigence d'un lien de subordination n'existe plus.

3 - Les comportements incriminés par les textes

26. Un pacte de corruption. Qu'elle soit publique ou privée, de magistrat ou de médecin, le mode opératoire de la corruption repose toujours sur la conclusion d'un pacte reliant le corrupteur et le corrompu. « Le pacte porte sur les moyens de la corruption acceptés ou offerts par le corrupteur et sur la contrepartie qui est attendue du corrompu »21. Ainsi, pour Michel Véron, l'infraction nait à l'occasion de la conclusion de ce pacte qui conditionne l'accomplissement ou le non accomplissement de l'acte de la fonction du corrompu au versement de la contrepartie convenue par le corrupteur. Ainsi il convient de souligner que la mise à l'exécution effective du pacte est indifférente. L'infraction est consommée à sa conclusion et non au moment de l'exécution.

27. Les moyens de la corruption22. Selon les termes des articles incriminant la corruption privée, il s'agit pour le corrompu de solliciter ou d'agréer une proposition ou pour le corrupteur de proposer ou de céder à la sollicitation d'offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques. La contrepartie à l'acte de la fonction attendue peut donc être matérialisée par des versements de sommes d'argent, par des objets de valeurs et autres cadeaux ou encore par des offres de prix avantageux (exemple de travaux effectués gratuitement ou à un prix avantageux au domicile du corrompu23).

28. L'acte recherché par le corrupteur et l'exigence d'un dol spécial. D'après l'article 445-1 ou 445-2 du Code pénal, dans un schéma de corruption, la chose attendue, recherchée par le corrupteur auprès du corrompu est qu'il accomplisse, qu'il ait accompli, qu'il s'abstienne ou qu'il se soit abstenu d'accomplir « un acte de

20 Par exemple un salarié responsable des achats (Cass. crim., 27 mai 1987, n° 86-91.748. - plus récemment CA Paris, 25 mars 1998 : JurisData n° 1998-021008)

21 Michel VÉRON. Op. cit. p76

22 Michel VÉRON. Op. cit. p76

23 Cass. Crim, 26 janvier 2011

13

son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles». A cet égard, selon Michel Véron, un lien de causalité direct et certain doit nécessairement être recherché et établi entre l'acte du corrompu et la contrepartie qui doit être le but du pacte de corruption et non son simple résultat24, qu'elle soit postérieure ou antérieure. Michel Véron souligne par ailleurs le fait que le corrupteur puisse attendre un acte positif aussi bien qu'une abstention. Il convient aussi de souligner que cet acte peut être « seulement » facilité par les fonctions.

29. Le moment du pacte de corruption et l'indifférence de l'antériorité. En premier lieu, la jurisprudence exigeait la preuve de l'antériorité de la conclusion du pacte de corruption à l'accomplissement ou au non accomplissement des actes de la fonction, rendant extrêmement difficile la preuve de l'infraction. Une double modification législative a permis de supprimer cette exigence. Le premier assouplissement qui s'est avéré insuffisant était issu de la loi du 30 juin 2000 sur la lutte contre la corruption. A cette occasion, l'expression « à tout moment » en référence à la conclusion du pacte était ajoutée. Il a fallut attendre la loi du 17 mai 2011 de simplification et amélioration du droit pour aboutir à une modification substantielle de l'infraction. Grâce à l'ajout des expressions « pour avoir accompli » et « pour s'être abstenu d'accomplir », l'indifférence du moment de conclusion du pacte était donc acquise. Dorénavant, seule la preuve du lien de causalité entre l'avantage indu et l'acte de la fonction est requise. Ce qui constitue un progrès non négligeable en matière de répression puisque la corruption peut dorénavant, sans doute possible, résulter d'un avantage indu octroyé en remerciement de l'accomplissement ou du non accomplissement d'un acte de la fonction25.

30. L'incrimination de la « tentative » de corruption au même titre que la corruption26. La simple proposition de nature corruptrice suffit à consommer l'infraction. En droit français la tentative n'existe donc pas, ce qui fait de la corruption une infraction formelle. Ainsi, en cas de refus du destinataire d'une proposition de corruption, le corrupteur se rend tout de même coupable de l'infraction. En outre, le fait pour le corrupteur de revenir sur sa proposition est indifférent puisque la simple proposition, même non agréée suffit à consommer le délit.

24 Wilfrid JEANDIDIER. (2005). Droit pénal des affaires. Dalloz, 6ème édition. p. 40, n° 33

25 Michel VÉRON. Op. cit. p77

26 Marc SEGONDS. Op. cit. p12

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4 -- Le bénéficiaire de la corruption

31. L'indifférence du bénéficiaire de la corruption privée27. Le fait que le réel bénéficiaire de la corruption soit un tiers n'exclut pas la qualification de corruption privée. En effet, les articles font référence à « avantage quelconque (...) pour elle-- même ou pour autrui ». Avant même que la formule soit aussi claire à l'égard du bénéficiaire, la jurisprudence avait fait sienne la solution de l'indifférence du bénéficiaire et de l'indifférence de l'enrichissement personnel de l'auteur de l'infraction28. La chambre criminelle a récemment confirmé cette position dans un arrêt du 20 mai 2009. En outre, il convient de souligner qu'en droit pénal, le législateur n'a jamais fait de l'enrichissement personnel un élément constitutif de quelque infraction que ce soit.

II - Evolutions des peines encourues du chef de corruption privée

Ici il convient de s'intéresser d'abord à l'évolution de la peine principale (A) avant d'étudier l'intérêt des peines complémentaires (B) prévues par le Code pénal pour sanctionner la corruption privée.

A - Une aggravation progressive de la peine principale

32. 2005 et une première aggravation de la peine principale. La corruption active et la corruption passive sont punies de la même manière. Concernant les personnes physiques, la loi du 4 juillet 2005 a constitué un premier progrès important en matière de répression. La peine principale est passée de deux (article L152-6 du Code du travail aujourd'hui abrogé) à cinq ans d'emprisonnement (sans compter l'élargissement du champ de l'infraction évoqué précédemment). D'autre part, étant donné des enjeux financiers liés à la corruption privée pouvant atteindre des montants au moins aussi élevés qu'en matière de corruption publique, le montant de l'amende pécuniaire a été lui aussi revu à la hausse, passant de 30 000 euros (article 152-6 du Code du travail aujourd'hui abrogé) à 75 000 euros, équivalent des peines prévues pour le trafic d'influence, l'abus de biens sociaux ou encore l'escroquerie29. Toutefois, la durée de la peine

27 Agathe LEPAGE, Patrick MAISTRE DU CHAMBON, Renaud SALOMON. (2013) Manuel de droit pénal des affaires ». LexisNexis, 3ème édition. p169

28 Marc SEGONDS (2008). À propos de la onzième réécriture des délits de corruption. Dalloz dossier. p1071, n°10 et (2003) À propos d'une diversion juridique: l'absence d'enrichissement personnel. Dalloz. chron. 505

29 Pierre ROCAMORA. (2007) La corruption privée, un risque majeur pour les entreprises, Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée

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d'emprisonnement sanctionnant la corruption privée reste deux fois moins élevée que celle prévue pour la corruption publique (10 ans d'emprisonnement).

33. Une peine toujours limitée. Avant l'entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, la sanction de l'infraction de corruption privée à fait l'objet de certaines critiques. En effet, en 2005 le législateur n'avait pas souhaité, comme l'a fait remarquer Wilfrid Jeandidier30, appliquer certains moyens jugés encore plus dissuasifs. Notamment « la redoutable technique de l'amende proportionnelle, à taux mobile » qui aurait permis déjà à l'époque d'augmenter encore un peu plus le coût lié au risque pénal pour les potentiels délinquants.

34. 2013 et une deuxième aggravation de la peine principale Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, la peine principale applicable au personnes physiques a été plus que multipliée par cinq, passant de 75 000 euros à 500 000 euros, pouvant être portée au double du produit tiré de l'infraction. Ainsi, le défaut noté au paragraphe précédent est réparé. Il reste donc à étudier les peines complémentaires pouvant être prononcées par le juge en cas de condamnation.

B - Les peines complémentaires

35. L'article 445--3 du Code pénal relatif aux peines complémentaires encourues par les personnes physiques. Cet article dispose que : « Les personnes physiques coupables des infractions définies aux articles 445-1, 445-1-1, 445-2 et 445-2-1 encourent également les peines complémentaires suivantes:

1° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-26, des droits civiques, civils et de famille;

2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement »

30 Wilfried JEANDIDIER. (2002). Du délit de corruption et des défauts qui l'affectent. La Semaine Juridique Edition Générale. 25 septembre. n°39

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3° La confiscation, suivant les modalités prévues par l'article 131-21, de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution;

4° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35. »

Concernant les personnes physique, les peines complémentaires n'appellent pas de commentaire particulier. En revanche, le sort réservé aux personnes morales semble plus intéressant.

36. L'article 445--4 du Code pénal relatif aux peines complémentaires encourues par les personnes morales. Cet article dispose que: « Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des infractions définies aux articles 445-1, 445-1-1, 445-2 et 445-21 encourent, outre l'amende suivant les modalités prévues par l'article 131-38 :

1° (Abrogé) ;

2° Pour une durée de cinq ans au plus, les peines mentionnées aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6° et 7° de l'article 131-39.

L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise;

3° La confiscation, suivant les modalités prévues par l'article 131-21, de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution;

4° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 ».

37. Absence de peine de mort pour les personnes morales. La principale remarque concernant l'article 445-4 du Code pénal est qu'il ne prévoit pas la peine de dissolution, équivalent de la peine de mort pour les personnes morales. (Tout comme d'ailleurs l'article 433-25 incriminant la corruption publique active). Toutefois, les peines prévues sont susceptibles d'avoir des effets redoutables pour les entreprises, tant en terme de réputation que de ressources.

38. Responsabilité pénale des personnes morales expressément prévue. Aussi, la loi de 2005 apporte une nouveauté concernant la responsabilité pénale des personnes morales. Contrairement à l'ancien article L.152-6 du Code du travail, l'infraction est dorénavant expressément imputable aux personnes morales dans les conditions prévues par l'article 121-2 du Code pénal. En outre, l'article 445-4 du Code pénal opère un renvoi à l'article 131-38 prévoyant que le taux maximum de la peine d'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de

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celui encourue par les personnes physiques, c'est à dire 2,5 millions euros d'amende.

39. Autres peines complémentaires. Le législateur a aussi prévu une série de peines prononçables à l'encontre de ces personnes morales. Elles encourent:

- L'interdiction d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, pour une durée de cinq ans,

- Le placement sous surveillance judiciaire pour une durée de cinq ans au plus.

- Une peine de fermeture, pour une durée de cinq ans au plus, des établissements ou de un ou plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés

- Une peine d'interdiction de faire appel public à l'épargne, ou encore l'interdiction d'émettre des chèques ou d'utiliser des cartes de paiement

- La confiscation de la chose qui a servi ou qui était destinée à commettre l'infraction, ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des choses susceptibles de restitution;

- Une peine d'affichage ou de diffusion de la décision de condamnation.

40. Une amélioration substantielle du cadre juridique de la corruption privée. Ainsi, les changements apportés par la loi du 4 juillet 2005 concernant la corruption privée vont dans le sens d'une plus grande répression. Le champ d'application de l'infraction a été considérablement élargi et, au fil des réformes, le texte s'est perfectionné. Bien que les textes ne soient pas d'une clarté exemplaire et aient fait l'objet d'interprétations jurisprudentielles - au demeurant nécessaires - le cadre juridique de la corruption privée semble permettre une bonne appréhension du phénomène. La sévérité des peines ayant elle aussi augmenté avec le temps et le besoin de dissuasion ressenti par les pouvoirs publics.

41. Nombre de condamnations en 2014. Toutefois, malgré ces progrès non négligeables, lorsque l'on s'intéresse aux chiffres de la délinquance, force est de constater que le nombre de condamnations pour des faits de corruption (tout type confondu) reste relativement faible. Par ailleurs, il est regrettable que parmi toutes les données disponibles aucune n'opère de distinction entre les condamnations pour corruption privée et les condamnations pour corruption publique.

42.

18

Un niveau de répression toujours inférieur à celui de la corruption publique. Encore aujourd'hui, la sanction de la corruption publique est deux fois plus élevée que la corruption privée, que ce soit en terme de durée d'emprisonnement ou de montant de l'amende. Cette différence de niveau de répression traduit le fait que la corruption privée reste encore dans l'esprit du législateur un comportement « moins grave » que la corruption publique. Elle ne constitue donc pas à ce titre une priorité en terme de répression. Cet argument peut éventuellement constituer une première explication au très faible nombre de condamnations pour des faits de corruption privée. Aussi, l'augmentation du quantum de la peine est encore bien trop récent (Décembre 2013) pour en mesurer l'effet dissuasif.

43. Hormis cette explication insuffisante, comment expliquer ce très faible nombre de condamnations? Est-ce lié au faible nombre de comportements susceptibles de revêtir la qualification de corruption privée? L'explication est-elle ailleurs? Nous le verrons, la corruption privée est omniprésente en France. L'hypothèse selon laquelle il n'y aurait simplement pas de comportement incriminable est insuffisante. Nous tenterons donc de rechercher les causes de cette quasi absence de condamnations.

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SECTION 2nde - Les études statistiques privées, seuls outils de mesure du phénomène de corruption?

44. Mesure du phénomène. Afin de mesurer le fossé soupçonné entre le nombre de condamnations effectives en France pour des faits de corruptions privée et la réalité, il convient désormais de tenter de mesure l'ampleur du phénomène de corruption dans les entreprises françaises. Est--ce un épiphénomène ou au contraire, la corruption privée est--elle un phénomène de société préoccupant.

45. Utilité des études statistiques. Pour mesurer le phénomène, le meilleur outil à notre disposition semble être les études statistiques et autres enquêtes commandées ou menées par des organismes professionnels privés. Ces études et les informations qu'elles apportent ont été d'une importance non négligeable dans le cadre de cette étude.

I -- Première étude : «Les Priorités des Services Achats en 2015 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015 » Etude du cabinet AgileBuyer et du Groupement Achats d'HEC

46. Les priorités des services achats en 2015. La première étude que nous citerons est celle du cabinet de Conseil en Achats AgileBuyer qui s'est associé au Groupement Achats & Supply Chain d'HEC pour la cinquième année consécutive afin de rendre compte des principales priorités des services achats en 2015. Parmi les quelques questions que les auteurs de cette étude se sont posés, une est particulièrement mise en avant, tout comme l'année précédente31, à savoir « les services achats subissent-ils la pression de la corruption ? »

47. Une étude ciblée sur les services achats. Un des principaux avantages de cette étude, outre son caractère récent, est que le cabinet AgileBuyer collabore avec 80% des entreprises du CAC40, sur des problématiques qui nous intéressent tout particulièrement, celles des achats. A cet égard nous noterons que l'objet de cette étude n'est pas la corruption privée mais bien les services achats. Or, cette étude donne une importance non négligeable à cet aspect qui doit donc être analysé comme étant, aux yeux des auteurs, une problématique inhérente aux services achats.

31 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2014). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2014.

48.

20

Echantillon ou « population » de l'étude. « Cette étude a été réalisée à 1er

partir d'un questionnaire administré électroniquement à un panel ciblé entre le décembre 2014 et le 08 décembre 2014 ». Sur les 542 réponses à ce questionnaire, seules 482 ont été jugées assimilables pour l'étude. Les réponses aberrantes ayant été écartées ». Les questions ont été posées notamment à des acheteurs, directeurs achats, responsables achats, coordinateurs acheteur de tous secteurs (Automobile, aéronautique, énergie, gestion des déchets, santé, action sociale, agroalimentaire chimie, construction, distribution générale, équipements électroniques, transport, logistique, meubles, textiles, banque, assurance, télécommunication, informatique, communication, médias etc.)

49. Une définition de la corruption. Les auteurs de l'étude définissent la corruption dans les achats comme « le détournement d'un processus de choix afin d'obtenir des avantages ou des prérogatives particulières pour l'entreprise que le corrupteur représente »32. La corruption peut affecter toute personne ayant des prérogatives de décision ou d'influence.

50. En France, un quart des directeurs achats a déjà été confronté à une tentative de corruption de la part d'un sous--traitant. A la question « au cour de votre carrière un ou des fournisseurs ont--ils déjà essayé de vous corrompre », sur l'ensemble de la population interrogée, 16% des individus ont répondu oui. Et lorsque l'on s'intéresse plus particulièrement aux directeurs achats, il n'est pas étonnant que ce chiffre passe à 25%, soit un quart des directeurs d'achats interrogés ayant fait face à une tentative de corruption.

51. Une exposition à la corruption corrélée au niveau de responsabilité de l'acheteur. Les auteurs de cette étude tentent d'expliquer cette plus grande exposition des directeurs achats par le fait que les sous--traitants corrupteurs préfèreraient s'adresser directement aux donneurs d'ordre afin de « maximiser le retour sur investissement de leur démarche risquée »33. Cependant, les auteurs soulignent à juste titre que les collaborateurs ayant un niveau de responsabilité inférieur aux directeurs ne sont pas épargnés par le risque de corruption. Ces derniers ayant un niveau de rémunération corrélativement plus faibles seront parfois plus à même d'accepter de prendre part à un pacte de corruption. En outre, « les acheteurs opérationnels ont souvent le rôle d'analyste des offres fournisseurs, ce qui pourrait leur permettre de privilégier telle ou telle entreprise en toute

32 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015.

33 Ibidem

21

discrétion ou encore de donner un accès partial à l'information à certains fournisseurs généreux »34.

52. Les français et la corruption privée, une affaire de culture. D'autre part, l'étude menée par AgileBuyer et le Groupement Achats d'HEC s'intéresse à la nationalité des corrupteurs. A cet égard il est presque étonnant de relever le fait que, bien que la corruption n'épargne aucune nationalité, d'après les individus interrogés, la plupart des tentatives de corruption émanent de fournisseurs français et européens. En effet, « les fournisseurs français et européens représentent (...) plus de la moitié de ces tentatives, suivies de près par les entreprises asiatiques. Mêmes les entreprises américaines ne sont pas au--dessus

de tout soupçon »35. Les auteurs tentent d'expliquer ces différences en fonction de la nationalité par le fait que la corruption reste avant tout une affaire de culture. Un fournisseur sera nécessairement plus enclin à tenter de corrompre un acheteur s'il sait qu'il est susceptible d'entrer dans le jeu de la corruption. Les français doivent donc manifestement être considérés comme corruptibles. Ainsi, les auteurs déplorent le fait que privilégier les entreprises françaises et donc « le made in France », pour limiter les risques de corruption sera, contrairement à ce que l'on pourrait instinctivement penser, une erreur. A ce stade, une comparaison avec les résultats d'une autre étude peut être faite concernant « la culture française » et la corruption. En effet, d'après les plus récents résultats de « L'indice de perception de la corruption de 2014 » de l'association Transparency International, la France est seulement classée à la 26ème place sur 175, derrière les Emirats Arabes Unis, l'Uruguay, le Chili ou encore l'Estonie. On se rappel qu'en 2005, la France pointait à la 18ème place de ce classement36.

53. La mauvaise image confirmée du secteur de l'immobilier. Il semblerait que les secteurs les plus confrontés à des tentatives de corruption de la part des sous--traitants sont l'immobilier et l'industrie du bois et papier. Le secteur de l'immobilier pâtissait déjà d'une mauvaise image en terme d'intégrité et cette mauvaise image ne risque pas de disparaître. Plus de la moitié des membres des services achats aurait déjà été confrontée une tentative de corruption.

54. Remise en cause d'idées reçues concernant les secteurs les plus corrompus. Il est étonnant de noter que concernant les secteurs de l'automobile,

34 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015.

35 Ibidem

36 Association Transparency International. (2005). Corruption Perceptions Index 2005.

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du ferroviaire et de l'aéronautique, les chiffres sont relativement peu élevés37. Les auteurs expliquent cela par « Les efforts de sensibilisation et de formation des personnels des grandes entreprises de l'Automobile, de l'Aéronautique et du Ferroviaire (qui auraient porté) leurs fruits. On se souvient de certains scandales dans ces secteurs ». Ici, les auteurs font probablement référence, entre autres, à l'affaire Faurecia dont nous avons déjà discuté. Aussi, les efforts fournis par les professionnels des achats dans les grands groupes de construction en matière de lutte anti-corruption seraient, de la même manière, l'explication du plus « faible » niveau de corruption dans ce secteur38.

55. L'intérêt des chartes anti--corruption. Ainsi, grâce à cette étude, il est possible de croire en un effet positif des programmes de lutte anti-corruption mis en place par les entreprises elles-mêmes. Parmi les moyens à leur disposition pour se prémunir contre la corruption, on retrouve notamment les « chartes anticorruption ». 74% des individus interrogés déclarent en avoir signé une au cours ces dernières années. Ce chiffre correspond à une augmentation assez négligeable de 2% par rapport à l'année 2014. Pas de révolution majeure donc. Aussi, bien qu'il n'existe pas de corrélation statistiquement prouvée entre les deux variables, il est intéressant de noter que le pourcentage de directeurs achats ayant fait l'objet d'une tentative de corruption est identique au pourcentage d'individus n'ayant pas signé de charte anti-corruption, soit environ 25%. (La question « avez-vous déjà cédé à une tentative de corruption n'ayant pas été posé, soit par pudeur, soit par réalisme quant à la probabilité que les réponses soient honnêtes).

56. La conformité, une protection efficace contre le risque pénal. Outre l'effet bénéfique sur la réduction de la corruption, la mise en place de chartes et autres formations anti-corruption est un argument permettant de s'assurer une réduction des amendes infligées en cas de condamnation. Selon les auteurs, si les chartes ne sont pas un rempart absolu contre la corruption, elles constituent tout de même un outil au service de l'évolution des pratiques dans les achats. Pour eux, « La professionnalisation de la filière Achat n'est concevable qu'à l'aide de l'application de ce type de chartes, de la mise en oeuvre de processus viables et sûrs et par des formations régulières de haut niveau »39.

37 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2015.

38 14% des individus interrogés reconnaissent avoir déjà fait face à une tentative de corruption. Ibidem

39 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2015. p10

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II - Deuxième étude : La 13ème étude mondiale sur la Fraude « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014 menée par EY (Ernst Young)

57. Cette deuxième enquête susceptible de nous aider à mesurer le phénomène se base sur la perception des salariés vis-à-vis de la fraude, des pots-de-vin et de la corruption. Ainsi, bien que cette étude ne s'intéresse pas seulement au cas de la France, elle nous informe sur certaines tendances auxquelles la France n'échappe pas. Cette enquête a été conduite auprès de 2.700 cadres (directeurs financiers, des responsables de la conformité, des directeurs juridiques ainsi que des responsables de l'audit interne) dans 59 pays. La situation mondiale concernant la corruption qui ressort de cette étude est relativement inquiétante et soulève un certain nombre de questions:

- Les plus hauts responsables pourraient-ils être plus impliqués dans la lutte contre la corruption?

- Pourquoi sont-ils aussi réticents à suivre des formations anti-corruption?

- Pourquoi les procédures anti-corruption ne sont-elles toujours pas des automatismes dans les entreprises?

- Le « big data » est-il exploité de façon optimale au regard de la conformité et des enquêtes anti-fraude?

58. Existence d'un niveau de fraude incompressible. En outre, les auteurs considèrent qu'il existe un niveau résiduel et incompressible de comportements inappropriés qui ne peuvent être éradiqués. Ce qui n'implique pas que les entreprises doivent accepter ces comportements, au contraire, elles sont encouragées à tenter de minimiser l'impact des comportements frauduleux dans les affaires et notamment la corruption.

59. La corruption, une pratique courante dans les affaires. Dans beaucoup d'Etats, les individus interrogés dépeignent une vie des affaires comme étant un écosystème propice à la corruption (sans distinction entre corruption publique/ corruption privée). Cette étude révèle que les fraudes traditionnelles, dont la corruption fait partie (par opposition à des risques plus récents tel que la cybercriminalité), sont loin d'avoir disparu. En effet, à la question « lequel de ces comportement trouvez--vous justifié de recourir afin d'aider votre entreprise à surmonter un retournement de l'économie ? » 29% des individus interrogés ont répondu qu'ils seraient prêt à offrir un divertissement, afin de nouer ou de pérenniser une relation d'affaires, faits constitutifs de corruption. 14% d'entre eux seraient prêts à offrir un cadeau personnel pour les mêmes raisons, 13% à offrir une somme d'argent liquide, c'est-à-dire un « pot-de-vin » classique. Au total, près

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de la moitié des sondés a reconnu être prête à recourir à des moyens assimilables à de la corruption « en cas de besoin ».

60. « Les oeuvres de bienfaisance ». Un point particulièrement intéressant est mis en lumière par cette étude. La corruption est parfois associée à des dons pour des oeuvres de charité. En effet, 20% des sondés et près de la moitié des directeurs généraux (l'équivalent des chief executive officers ci-après: « CEOs ») se sont vus demander de contribuer à une oeuvre de charité par un de leur client. Une telle demande peut largement être assimilée à une corruption active et les entreprises et leurs acteurs devraient, selon les auteurs, être méfiantes envers de telles requêtes émanant d'un client. Il ne peut être exclu qu'une oeuvre de charité soit utilisée pour « faire écran » entre l'acheteur et le client afin de dissimuler ce qui doit en réalité être qualifié de « pot-de-vin ».

Page suivante : Diagrammes extraits de la 13ème étude mondiale sur la Fraude menée par EY « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014.

Figure 9: Cheques and balances

Have you ever been asked to pay a bribe in a business situation?

Total CEO Head of marketing/sales CFO

CCO

No Yes

92% 7%

21% 8% 7% 4%

79%

89%

92%

94%

25

Have you ever been asked to make a charitable contribution by a customer or client?

Total

 
 
 

20%

 

78%

CEO

 

61%

39%

Head of marketinglsales

 
 
 

31%

 

68%

CFO

 
 

77%

22%

CCO

 

86%

11%

No Yes

Have you ever been asked to pre- or post-date a contract?

Total CEO

81%

71%

17%

28%

Head of marketing/sales

78%

20%

CFO

80%

19%

CCO

80%

18%

No Yes

Q; Have you ever been asked to do any of the following?

Pay a bribe in a business situation

Make a charitable contribution by a customer or client

Pre- or post-date a contract

61.

26

Confirmation au niveau mondiale de l'exposition plus grande des dirigeants. L'étude révèle par ailleurs que même au niveau mondial, plus le niveau de responsabilité est élevé, plus le risque de corruption est présent. En effet, à la question « vous êtes-vous déjà vu offert un pot-de-vin ? », la proportion de Directeur généraux (CEOs) à avoir répondu « oui » était trois fois plus élevée que celle des autres catégories de professionnels interrogés40. Le plus paradoxal étant que, toujours d'après cette étude, les CEOs sont moins susceptibles que leurs collaborateurs subalternes de participer à des formations anti-corruption. Ceci confirme donc les résultats de l'étude AgileBuyer de 2015 concernant le fait que le risque de corruption affecte en premier les postes clefs des entreprises.

62. La corruption, une pratique encrée. Déjà en 2007, Ernst Young (EY) produisait une étude sur le sujet, cette fois plus centrée sur la France. (Enquête FIDS Ernest &Young. (2007). Dénoncer les abus liés à la fraude, aux pots de vin et à la corruption. Multinationales : perceptions pour la France). A la question, « l'année dernière avez vous eu à connaître des cas de fraude ou corruption dans votre entreprise », 25% des salariés affirmaient avoir des soupçons. Lorsque l'on sait que les salariés d'une entreprise sont les plus à même de révéler l'existence d'une fraude, ce sentiment de suspicion ne doit pas être négligé lorsqu'il s'agit de se faire une idée du niveau de corruption qui affecte les entreprises françaises.

III - Troisième étude: Edition 2014 de l'étude mondiale sur la fraude en entreprise « Global économic crime survey » menée par le département « Forensic » de PwcFrance.

63. Une étude permettant de synthétiser les apports des deux premières. Cette étude mondiale sur la fraude en entreprise a porté sur les réponses de plus de 5000 entreprises dans le monde avec un regard particulier sur la situation de la France. Après avoir analysé une étude centrée sur les services achats des entreprises françaises puis une étude ne se préoccupant pas particulièrement du cas de la France, cette étude semble permettre de synthétiser nos développements destinés à mesurer, à faire un état des lieux, de la corruption privée dans les achats en France.

40 21% des dirigeants et 10% des cadres dirigeants disent avoir été sollicités dans le passé pour payer des pots-de-vin » - EY (Ernst Young). (2014). 13ème étude mondiale sur la Fraude: « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth », juin.

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64. Une meilleure détection des fraudes en entreprise. Le premier apport sur lequel les auteurs de l'étude PwcFrance est le fait que la fraude dans les entreprises françaises ait progressé depuis 2009. En 2014, plus de la moitié des compagnies reconnaissent avoir été victime de fraudes, contre 29% en 2011. En parallèle, un constat est fait, celui de nets progrès dans le domaine de la détection. Les deux variables étant incontestablement corrélées. L'étude se veut donc optimiste pour les années à venir concernant le recul des pratiques frauduleuses en entreprise, du fait de leur meilleure détection.

Source: Département « Forensic » de PwcFrance. (2014) Etude mondiale sur la fraude en entreprise. « Global economic crime survey ». p5

65. La corruption au sein des services achats, la fraude la plus crainte pour l'avenir par les entreprises françaises. La fraude aux achats, ou plutôt la corruption privée des services achats puisque c'est bien souvent de cette infraction dont il s'agit, constitue, avec la cybercriminalité, le type de fraude le plus craint par un peu moins de la moitié des entreprises françaises.

66. Une nouvelle catégorie dans la typologie des fraudes: « La fraude aux achats ». Analyser ce sondage produit par PwcFrance a été une réelle satisfaction au regard de l'intérêt et de l'actualité de l'objet de ce mémoire, à savoir « L'entreprise face à la corruption privée de son service achats ». En effet, pour la première année (2014), les auteurs de cette enquête ont procédé à une modification de leur typologie de fraudes et ont décidé d'introduire « une nouvelle catégorie à la croisée des chemins du détournement d'actifs et de la corruption, à savoir la fraude aux achats »41. Auparavant, la grande majorité des fraudes devait

41 PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise « Global economic crime survey ». p11

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correspondre à une des trois catégories suivantes: « les détournement d'actifs », « les fraude comptable » ou « la corruption ». Le détournement d'actifs étant cette année encore la première fraude mondiale affectant les entreprises. Toutefois, dès son introduction dans la typologie des fraudes, la fraude aux achats s'est hissée immédiatement au deuxième rang en terme de récurrence. Cette dernière doit donc être considérée comme une menace non négligeable pour les entreprises. Au niveau de la France, « seuls » 21% des sondés ont affirmé avoir été victime de fraude aux achats (contre 29% au niveau mondial). Ce chiffre n'en fait pas moins l'une des fraudes les plus préoccupantes en France.

En outre, la très grande majorité des entreprises devrait se sentir concernée par la fraude aux achats. En effet, toute acquisition de bien ou fourniture de service expose une entreprise, d'une manière ou d'une autre, à un tel type de fraude. L'exposition étant très élevée, et nous le verrons à l'occasion d'un développement sur le fonctionnement des services achats, au moment de la sélection du sous-- traitant, c'est à dire au cours des appels d'offres.

Source: PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic crime survey ».p15

67. Une prise en compte tardive du phénomène? Il convient de faire remarquer que la récente création de cette catégorie de fraude ne signifie pas que le risque de fraude au achats soit un risque nouveau mais ceci traduit plutôt une prise de conscience relativement tardive de l'existence de ce phénomène qui conduit souvent à des surfacturations importantes au préjudice des entreprises

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mais à l'avantage des fournisseurs (ce qui explique peut-être pourquoi, de leur côté, la lutte contre la corruption semble plus négligée). Ainsi, les auteurs mettent en avant leur « expérience de terrain » afin d'affirmer que les modes opératoires employés par les auteurs de ces fraudes constitutives de corruption privée sont le plus souvent d'une certaine complexité et font intervenir plusieurs individus. Dans un développement ultérieurs nous illustrerons la complexité de ces modes opératoires à l'aide de cas concrets.

68. Rappel nécessaire des points essentiels permettant de mesurer le phénomène de corruption privée au sein des entreprises françaises:

- Le fait qu'une étude dédiée à la stratégie achats soit menée par un cabinet spécialisé dans ce domaine et réserve un chapitre entier à cette problématique est un premier indice de l'omniprésence de ce phénomène. Une remarque toutefois peut être faite, le cabinet en question est une entreprise à but lucratif, il est donc intéressant pour lui de pointer du doigt le phénomène

- Certains chiffres clefs tirés de différentes études démontrent la réalité de cette fraude, en effet, en France, 25% des Directeurs achats ont été confrontés à une tentative de corruption. Dans le monde et pour les Directeurs généraux ce chiffre est de 21%. Ces chiffres confirment par ailleurs que les postes à responsabilité sont les plus exposés au risque de corruption privée.

- La corruption en entreprise demeure un problème mondial et une préoccupation majeure. On constate à cet égard qu'une importante proportion de professionnels reconnaît être susceptible d'adopter des comportements qualifiables de corruption.

- La France est manifestement un Etat sensible à la corruption. Elle se situe seulement à la 26ème place des pays les moins corrompus d'après l'indice de perception de la corruption de Transparency International42. En outre, les fournisseurs français seraient les plus corrupteurs en Europe et dans le monde.

- Certains secteurs seraient plus exposés que d'autres, notamment l'immobilier. Toutefois des progrès ont été fait grâce à la mise en place de procédures internes anti-corruption et aux chartes dans des secteurs que l'on pourrait croire sensibles comme l'automobile. La corruption privée n'est donc pas une fatalité, bien qu'il y ait un nombre résiduel de fraudes commises contre lesquelles il est difficile de lutter.

42 Association Transparency International. (2014). Corruption Perceptions Index 2014.

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- Malgré leur efficacité ainsi démontrée, les programmes de lutte anti--corruption restent peu mis en place dans les entreprises. De nets progrès restent à faire en la matière. La meilleure détection des fraudes constitue un des progrès ayant déjà été faits depuis une dizaine d'année. Ceci semble avoir été rendu possible grâce aux nouvelles technologies et à l'exploitation du « big data ». C'est donc une première solution à envisager pour lutter efficacement contre la corruption privée.

- Pour mieux lutter contre le phénomène, une autre piste est suggérée par ces études. Les salariés d'une entreprise étant les plus à même de révéler la commission d'une fraude, encourager ces derniers à révéler les comportements peut être un axe intéressant.

- La corruption dans les achats est une réalité dont les professionnels semblent avoir conscience. Toutefois la lutte contre ce phénomène ne semble toujours pas être une priorité. Cette réalité et cette actualité a poussé à la création d'une nouvelle catégorie dans la typologie de fraude: « la fraude aux achats ».

69. Le nombre de condamnations pour corruption privée active en France. D'après les chiffres exposés dans le rapport pour 2013 du SCPC43, il est possible de compter 74 infractions de corruption active ayant donné lieu à condamnation en 2012. Si l'on soustrait les 31 qui ne concernent que les personnes dépositaires de l'autorité publique, les 26 qui ne concernent que les personnes chargées d'une mission de service publique et les 5 qui ne concernent que les magistrat et les jurés, il est possible d'affirmer que le nombre d'infractions ayant donné lieu à condamnation concernant les élus et les personnes qui ne sont pas dépositaires de l'autorité publiques est de 12, sans possibilité de distinguer entre ces deux catégories. (En 2010, ce chiffre n'excédait pas 14)44 Pour toutes ces infractions confondues le montant moyen de l'amende ferme était de seulement 2217 euros. Ce rapport du SCPC pour 2013 constitue la source la plus récente.

70. Le nombre de condamnations pour corruption privée passive en France. Concernant cette donnée il est néanmoins impossible de donner un chiffre « aussi précis » que pour la corruption privée active. Toutefois, on remarque que généralement, il y a toujours un peu plus de condamnations pour corruption active que pour corruption passive. (74 contre 59 en 2012...)

43 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2013. (2014) juin. p29

44 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2011. (2012) juin. p2

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71. Ainsi, grâce à ces diverses études, un constat s'impose: la corruption privée dans les achats semble être une réalité pour les entreprises françaises. La mise en lumière du très faible nombre de condamnations en France pour des faits de corruption privée et ce constat conduisent nécessairement à s'interroger sur les causes de ce fossé mais aussi sur les raisons qui font que le domaine des achats, plus que tout autre, est exposé à la corruption privée.

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Chapitre 2 - Raisons de l'exposition particulière des services achats au risque de corruption privée

Ce chapitre sera dédié à mettre en évidence le fait que le secteur des achats est par essence un domaine plus exposé au risque de corruption privée du fait de certaines pratiques auxquelles il est particulièrement exposé (Section 1re) mais aussi du fait de son fonctionnement (Section 2nde)

SECTION 1re - Le caractère sensible à la corruption privée de certains comportements qualifiés de pratiques d'affaires

Cette section aura pour objet d'étudier précisément la pratique des ventes avec primes et cadeaux. Après un bref exposé de thèses sur les notions de « don » et de « cadeau » (I) nous présenterons le cadre légal de ces pratiques commerciales (II) avant de soulever les limites à leur licéité (III)

I -- Propos liminaires: Réflexions sociologiques et sémantiques sur les notions de don et de cadeau

Seront présentées tour à tour une réflexion sociologique sur la notion de don par Marcel Mauss (A) puis une étude plutôt sémantique sur la notion de cadeau par Dominique Bourgeon (B)

A -- Etude sociologique pessimiste sur le don par Marcel Mauss.

72. Le don, une notion agonistique45. Marcel Mauss, considéré comme le père de l'anthropologie française, avait réfléchi longuement sur la question du don. Selon lui, celui-ci est agoniste (en créant un rapport de force qui oblige celui qui reçoit, et ne peut alors se libérer que par un « contre-don »). Marcel Mauss analyse le don en trois phases : l'obligation de donner, l'obligation de recevoir et l'obligation de rendre. Pour lui, la logique agonistique tend pour le donateur à rompre la réciprocité du don en tournant la situation à son profit, créant un déséquilibre « aux sources mêmes du pouvoir »46.

45 D'après la définition donnée par le Larousse, agonistique est un adjectif faisant référence à la lutte, au conflit. « Se dit d'un comportement agressif». En latin ecclésiastique agonisticus signifie « qui lutte »

46 Francis DUPUY. (2008). Anthropologie économique. Armand Colin. p75

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Le don, un vecteur de dette? L'auteur explique cette rupture d'équilibre par le fait que le « contre-don » est nécessairement différé dans le temps. Le don oblige à terme. En effet, en pratique une invitation à diner ou un cadeau quelconque ne peut être rendu immédiatement. Le laps de temps séparant le don de son rendu peut alors être assimilé à une forme de crédit, supposant alors un accroissement de la dette causé par un mécanisme semblable à celui de l'intérêt bancaire. Celui qui reçoit est alors obligé à un contre-don de plus grande valeur.

74. Le don, une pratique dénuée de générosité. Ainsi, derrière des pratiques en apparemment gratuites, libres et généreuses, se cache nécessairement un intérêt pour le donateur et « refuser de donner, négliger d'inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre; c'est refuser l'alliance et la communion »47

75. Le don, un vecteur de soumission. « Accepter quelque-chose de quelqu'un, c'est accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme »48. En disant cela Marcel Mauss reconnaît une force intrinsèque à toute chose donnée. « Dans les choses échangées il y a une vertu qui force les dons à circuler, à être donnés, à être rendus ». Raison pour laquelle, pour Marcel Mauss, donner revient à exercer une emprise sur le donataire qui ne pourra s'en libérer qu'en rendant l'équivalent de la chose qu'il a reçu au donateur. L'auteur reconnaît donc une forme de danger à accepter un cadeau quel qu'il soit.

76. Approfondissement de la théorie de Marcel Mauss. Dans le même sens, Pierre Bourdieu a lieu aussi effectué une lecture pessimiste du don à partir de la notion de temps entre le don et le contre-don et la relation de supériorité qui s'installe entre le donateur et le donataire: « en effet, pour lui, ce laps de temps permet au donateur de faire violence au donataire (contraint de rester débiteur du donateur). Par ailleurs, dans ce système, la violence est masquée sous une apparence de générosité sans calcul. Le donataire reste donc dans la dépendance du donateur49».

47 Marcel MAUSS. (1968). Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. Sociologie et Anthropologie. PUF. Collection Quadrige. 4ème édition. p.20 de la version numérique

48 Marcel MAUSS. (1923 -1924). Essai sur le don. L'Année Sociologique.

49 Nicolas OLIVIER. (2008). Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques - Lectures. Les comptes rendus.

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B -- Etude sémantique sur la notion de cadeau par Dominique Bourgeon

77. De l'intérêt de la sémantique et de l'étymologie. Dans son article « Le cadeau empoisonné: séduction et amours clandestines » publié en 2010 à la Revue du Mauss, Dominique Bourgeon, sociologue contemporaine, et dans la continuité des travaux de Marcel Mauss, mène elle aussi une réflexion intéressante sur la notion de cadeau. L'auteur fait d'ailleurs référence à une partie des développements de Marcel Mauss au sujet du don, du « recevoir » et du « rendre ». Elle nous rappelle aussi que la notion de « cadeau » au sens large a pu revêtir un certain nombre de significations au travers de son histoire. L'étymologie et la sémantique pouvant, dans le cadre de cette étude, être riches d'enseignements.

78. La notion de « cadeau empoisonné ». Un des développements de Dominique Bourgeon porte sur une signification péjorative du cadeau, le cadeau « empoisonné », à savoir celui qui aliène en plaçant le donataire dans une situation de dette.

79. Le cadeau et la notion de dette. A cet égard elle rappelle que « les mots « dette » et « culpabilité » portent, en allemand, le même nom (au pluriel près): « schuld-culpabilité » et « schulden-dettes ». Rompre avec l'obligation de rendre engendrerait un sentiment de culpabilité assimilable à un mal « qui ronge », à un poison à l'action lente »50. Ainsi, celui qui reçoit un cadeau serait rongé par la culpabilité et finirait inéluctablement par « renvoyer l'ascenseur » au donateur.

80. Le cadeau, objet de séduction et de corruption. Dominique Bourgeon assimile aussi le cadeau à un « philtre d'amour », sorte de venin, visant à séduire, à influencer les comportements et les choix. Elle apporte ainsi un parallèle entre la traduction en latin ecclésiastique du terme « séduire », signifiant corrompre, sens de subducere en latin populaire: « séduire, corrompre, suborner ».

81. Le cadeau, un outil de manipulation social, créateur de lien. L'objet de l'article de Dominique Bourgeon est manifestement de mettre en exergue le lien sémantique entre les notion de séduction, de corruption et de cadeau, dont la finalité serait de « transgresser l'ordre établi et de s'affranchir, notamment, des lois du don : au niveau de l'individu en le désinhibant et en violant sa libre acceptation, au niveau collectif en menaçant le jeu des alliances », en créant des alliances

50 Dominique BOURGEON. (2010). Le cadeau empoisonné: séduction et amours clandestines. Revue du MAUSS 2 (n° 36). pp 183--196

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normalement prohibées et au moins non-naturelles. On voit ici le rapprochement que l'on peut faire avec la notion de corruption en matière pénale. Le terme corruption n'est cependant évoquée par l'auteur qu'en tant que moyen de séduction amoureuse et non commerciale.

82. Portée des analyses de Marcel Mauss et Dominique Bourgeon sur la notion de don et de cadeau. En résumé, ces analyses confirment l'idée selon laquelle un cadeau est généralement utilisé, consciemment ou non, en vue de séduire celui qui le reçoit et, peut être de nature à corrompre son jugement. Ainsi, l'objectif sous-jacent, assumé ou non, de celui qui « offre » sera souvent d'obtenir quelque-chose qu'il n'aurait pu obtenir sans cadeau, ou du moins plus difficilement. On comprend bien pourquoi les cadeaux peuvent être considérés comme des objets de séduction, ayant pour finalité naturelle d'altérer le jugement du donataire et ainsi de le forcer à agir dans l'intérêt du donneur. Bien qu'il ait librement accepté de le recevoir, il faut reconnaître un pouvoir à la chose donnée, celui de violer la liberté du donataire au profit de l'intérêt du donateur.

83. Un lien existant entre les notions de don, de cadeau et de corruption. On comprend aussi d'autant mieux en quoi la frontière entre la corruption (cette fois-ci au sens pénal du terme) et le simple cadeau d'affaires est et restera toujours extrêmement fine et difficile à tracer. Et pour reprendre le vocabulaire employé par Marcel Mauss dans son « essai sur le don », on peut légitimement se demander dans quelle mesure, dans un schéma de corruption, l'acte de la fonction attendu de la part du corrompu, ne puisse s'apparenter au « contre-don ».

II -- La pratique du « cadeau d'affaires » et des ventes avec prime, des pratiques licites mais encadrées.

84. Nécessité de protection de l'économie. D'une certaine manière, le droit pénal répond, en complément du droit de la concurrence et du droit de la consommation à un objectif de protection de l'économie, des concurrents et des consommateurs. En effet, les qualités d'un produit ou d'un service sont parfois insuffisantes pour décider le client à contracter. Corrompre c'est renoncer à conquérir des marchés par la seule qualité des biens ou services proposés, c'est un comportement qui entraîne la diminution de la recherche et du développement et à terme une perte de compétitivité que même la corruption ne saurait annihiler. Les acteurs en situation de concurrence doivent donc recourir à divers stratagèmes plus ou moins ingénieux afin d'attirer la clientèle. Encore faut-il que les méthodes employées demeures légales. Parmi ces méthodes promotionnelles

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utilisées par les professionnels ont retrouve notamment la vente avec prime et le cadeau. La lutte contre la corruption peut elle aussi être considérée comme faisant partie d'un arsenal visant à protéger l'économie et ses acteurs.

A -- Eléments de définitions : Distinction entre primes et cadeaux dans les affaires

85. Evolution de la réglementation sur les primes et cadeaux. L'impératif de protection de l'économie est l'objet d'une réglementation ayant connu un certain nombre d'évolutions ces cinquante dernières années. Dans un premier temps les pouvoirs publiques ont eu une attitude plutôt restrictive, contribuant à l'existence d'une liste d'infractions importante à l'encontre des professionnels, concernant un certain nombre de procédés de vente jugés néfastes. Toutefois la tendance semble s'être inversée, notamment sous l'influence du libéralisme de l'Union Européenne. En droit interne, l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, codifiée dans le Code de commerce, aux articles L. 410-1 et suivants marque probablement ce revirement. Au départ, la loi du 20 mars 1951 n'interdisait que les ventes avec primes, épargnant l'autorisation de la pratique des cadeaux. Toutefois l'article 40 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 est venu à son tour les interdire. Ainsi, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 les deux pratiques étaient donc interdites et sanctionnées de la même manière.

86. Un assouplissement de la réglementation concernant les seuls cadeaux. Cette ordonnance a contribué à un certain assouplissement du droit. Depuis, le fait de remettre des cadeaux à la clientèle ne constitue plus, par principe, une infraction pénale. (Qui pouvait alors s'analyser à l'époque comme une infraction obstacle à certains modes opératoires de corruption privée). Quant à la vente avec prime, considérée comme faussant la concurrence, celle-ci est demeurée prohibée et sanctionnée par l'article L.121-1 du Code de la consommation jusqu'à une date récente.

87. La vente avec prime. La vente avec prime est une « technique d'incitation à l'achat consistant à attirer le client en lui offrant la perspective d'obtenir, avec un produit ou un service acquis à titre onéreux, un autre objet ou un autre service remis gratuitement ou à des conditions avantageuses »51. La prime est donc un produit ou un service accessoire additionnel au produit ou service objet principal

51 Lamy, « Droit économique », Partie 3 « Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou suppléments proposés ou imposés », Section 1 « Les primes et cadeaux ». (n°3337) « Critères de distinction entre primes et cadeaux ».

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de la relation d'affaires et accordée à l'entreprise et non à ses représentants. Cette prime est connue à l'avance et est accordée au client simultanément à la conclusion du contrat principal, de vente ou de prestation de service.

88. Le cadeau. Contrairement à la prime, le cadeau est indépendant de tout contrat principal. « C'est un produit accordé à toute personne sans obligation de contracter »52. Il est intéressant de faire ici un parallèle avec les développements précédents, au sujet de l'affirmation « sans obligation de contracter ». Il a en effet été soutenu par les auteurs que nous avons cités que, dans une certaine mesure, le cadeau oblige d'une manière ou d'une autre celui qui le reçoit.

89. Distinction principale entre cadeau et vente avec prime. La distinction essentielle entre la prime et le cadeau a pu être rappelée par la cour d'appel de Rouen qui a considéré que, dans l'hypothèse où, avant de contracter l'acheteur ignore qu'un produit ou service supplémentaire lui sera fourni gratuitement ou à des conditions avantageuses, il ne pouvait s'agir d'une prime mais d'un cadeau, d'une libéralité « puisque la vente ne confère pas obligatoirement un droit à cet objet» (CA Rouen, 11 mars 1965, Gaz. Pal. 1965, 2, tables, p. 287, nos 24 et s.). A cette époque la pratique du cadeau était autorisée, contrairement à celle de la vente avec prime.

90. Cas des cadeaux avant contrat. Une autre distinction se fait au sujet des cadeaux octroyés en amont de toute signature de contrat, une pratique répandue dans le monde des affaires et qui nous intéresse tout particulièrement au regard de l'infraction de corruption. Ces derniers n'entrent a priori pas dans le champ de la définition de la prime.

91. Autre cas particulier, la vente avec prime dissimulée. Une pratique courante consiste pour une entreprise à présenter des cadeaux en apparence indépendant de toute signature de contrat qui ne seront en réalité octroyés que si cette signature intervient. En d'autres termes, l'entreprise fait « miroiter » un cadeau à son client. A ce sujet, une réponse ministérielle de 1994 énonce que « lorsque l'annonce d'un cadeau d'entreprise dissimule une vente avec prime, ce qui suppose qu'en réalité la remise du cadeau soit subordonnée à un achat par le consommateur, le professionnel qui présente une fausse offre gratuite s'expose aux sanctions applicables à la publicité mensongère prévue et réprimée par les articles L.

52 Lamy, « Droit économique », Partie 3 « Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou suppléments proposés ou imposés », Section 1 « Les primes et cadeaux ». (n°3337) « Critères de distinction entre primes et cadeaux ».

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121-1 et suivants du code de la consommation » (Rép. min. à QE no 11015, JOAN Q. 26 sept. 1994, p. 4768).

92. Frontière ténue avec la corruption. Par essence, les primes et les cadeaux sont toujours utilisés comme des arguments de ventes additionnelles. Ils sont destinés à s'ajouter à la prestation commerciale principale (produit ou service) afin de convaincre le client de contracter avec celui qui les propose. Leur utilisation détournée est non seulement de nature à fausser la bonne concurrence mais peut aussi, à certaines conditions, être constitutive de corruption.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote