CONCLUSION
En considérant le geste dans sa dynamique et non dans
sa forme figée, nous avons constaté qu'une gestualité se
déploie tout le long des répétitions chez chacun des
acteurs. Elle signifie le personnage de manière singulière. Celle
qu'ils auront le jour de la représentation devant le public est
déjà en eux, en puissance, dès le premier jour des
lectures à la table. Et ils la déploient au-delà de leur
volonté de signifier. La gestualité des acteurs se fonde d'abord
dans leur posture qui leur attribue la singularité de leur attitude
gestuelle et donc celle de leur jeu. Ce qui permet de concevoir l'acteur comme
une sorte d'auteur-interprète. Le geste prend son sens dans son
déploiement sur toute la durée du Laboratoire, au-delà du
contrôle des acteurs, par leur tonicité. Celle-ci ayant un
potentiel expressif, la théorie de la «fonction tonique» et ce
qui en découle nous enjoint à déconstruire un certain
modèle d'incarnation. Les gestes qui se déploient n'ont donc pas
de significations s'ils ne sont accompagnés de leur contexte: un
contexte de répétitions, puis de représentation, dans
lequel les éléments du réel et de la fiction se
mêlent.
Au final, c'est le rapport fondamental du geste à
l'imaginaire du public qui donne un sens à cette gestualité dans
un contexte de spectacle-vivant. Dans ce contexte où les systèmes
de signes se répondent, l'enjeu des acteurs en répétitions
est de transmettre l'imaginaire déployé par le texte. Cela se
fait au travers de leur gestualité propre. À travers
l'étude des fonctions symboliques des gestes dans ce Laboratoire, nous
notons que l'analyse de la gestualité des acteurs permet de proposer au
spectateur un accès sensoriel à la forme en plus de l'aspect
dramatique porté par le texte. Ce qui enrichit l'expérience du
spectateur. L'imaginaire de la tirade en question se créée
à partir d'un rapport au monde symbolique qui appartient à
l'actrice et d'un autre appartenant au metteur en scène. Cette relation
oriente la gestualité de l'actrice dans ses états de corps et non
dans la forme de ses gestes, et le sens de celle-ci se trouve dans
l'écart entre ce qui est dit et ce qui est fait pendant la lecture, par
la correspondance étudiée entre le langage et les sensations. Il
constitue un pont sensoriel entre le spectacle et l'oeuvre. Par le refus de
s'identifier à un personnage lors de la création, l'acteur
enrichit ainsi la portée symbolique de sa gestualité.
L'orientation du corps de l'acteur sur scène informe le public sur le
rapport des acteurs à l'espace. En s'éloignant, par sa
gestualité de la fiction du drame, l'acteur permet d'amplifier
l'imaginaire qui plane sur la scène. Le spectacle n'est alors plus une
représentation d'un espace virtuel où évoluent les
personnages,
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mais une performance.
Les interactions qui composent la gestualité des
comédiens en travail nous révèlent le mouvement global de
la scène, par-delà la singularité de chaque acteur, tout
comme la situation exposée par les personnages. Le sens de la
gestualité des acteurs résulte des interactions entre l'acteur et
le metteur en scène pendant la création. La manière dont
elle se construit relève d'une direction d'acteurs tournée vers
la création d'un propos esthétique. D'autre part, l'analyse des
interactions entre les acteurs pendant les répétitions nous a
permis de signifier la complexité des rapports entre les acteurs,
grâce à leur disponibilité et leur capacité
d'écoute. Les liens qu'ils font entre rythme et tonicité
déterminent les rapports entre les personnages tels qu'ils devront
apparaître pendant la représentation publique. Ainsi, le sens de
la gestualité se transmet au spectateur par la sensibilité,
derrière les structures dramatiques.
Si la gestualité est une nécessité pour
l'acteur, elle est un élément signifiant de son jeu.
L'utilisation des méthodes d'analyse du mouvement nous
révèle qu'elle appartient à un langage particulier fait de
son état de corps, de sa tonicité ou encore de son organisation
gravitaire. Au cours de nos analyses, nous avons constaté que la
gestualité exprime un propos en soi qui peut enrichir le texte
dramatique, en révéler certaines subtilités voire
l'actualiser sans le trahir. Ainsi, cette recherche sur les effets des
méthodes d'analyse du mouvement au jeu d'acteur pourrait mener à
améliorer les relations entre un metteur en scène et ses acteurs
pendant la création d'une forme dramatique. Admettre, puis
connaître le langage propre des gestes d'un acteur permettrait à
chaque artiste concerné dans la création de comprendre les
potentiels et les limites de ses techniques et de sa volonté, et de
travailler un résultat à partir d'une disponibilité
tonique et sensorielle.
Les résultats de cette réflexion pourraient
ainsi enjoindre le metteur en scène à deux éléments
concernant ses acteurs pour la création d'un spectacle: le choix de ses
comédiens d'une part, et d'autre part la relation qu'il établit
avec eux dès la première rencontre, puis lors des
répétitions. S'intéresser à la fonction de
l'interaction dans la création pourrait mener à
interpréter un rôle autrement que par imitation et par
référence à des standards, et donc à envisager une
autre manière de jouer et de diriger. L'analyse du mouvement ouvre la
voie vers une interprétation alternative, pour laquelle l'acteur passe
constamment de la maîtrise de son geste, permise par la connaissance de
soi, à un lâcher prise constitutif de sa posture de
créateur.
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